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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Le CERF et la BICHE (animaux sacrés)

Présent dans d'innombrables légendes, le lien entre ermite et biche est un poncif de la littérature du Moyen Âge, mais aussi une influence directe de la littérature indienne. Prenons en exemple le Dolopathos (le Roman des sept sages) : un ouvrage indien qui connut de multiples adaptations et traductions. Traduit en français au 13e siècle par le clerc Herbert, il devint un des romans trouvères les plus populaires. Dans le conte des enfants-cygnes, le septième conte du Dolopathos (tel que publié par Brunet et Montaiglon, Li Romans de Dolopathos), on trouve une parfaite expression de ce cliché, qui fait de l'ermite un saint qui pratique la langue des oiseaux, c'est-à-dire qu'il communique avec les animaux, rendant dociles même les plus peureux ou les plus dangereux.

« Dans ce bois vivait un vieil homme, un philosophe très savant et très sage qui, pour méditer librement, refusait de vivre dans une ville ou quelque autre cité. Il mettait toute sa peine à étudier. D'une caverne il avait fait sa maison et il y vivait en toutes saisons. Il passait son temps à se promener dans les bois et tout en se divertissant, il étudiait et méditait. Ainsi que Dieu l'avait décidé, il arriva que ce vieil homme passât près de l'arbre. Il découvrit les sept enfants au pied de l'arbre. Cette découverte le remplit de joie ; il les emmena avec lui dans sa caverne et s'occupa d'eux avec une grande bonté. Il les adorait. Il les garda ainsi et les nourrit pendant sept ans ; il les chérissait comme s'ils étaient ses propres enfants. Il les nourrissait du lait d'une biche. D'ailleurs la biche était si bien apprivoisée et habituée qu'elle ne quittait pas la caverne. » Dolopathos, 7.

Si la rencontre avec un cerf fut bénéfique à Saint Édern, le cerf peut aussi annoncer un drame. C'est à la suite d'une chasse au cerf que le rishi Vishvamitra va maudire le roi Harishchandra. C'est aussi à la suite d'une chasse au cerf que va mourir Krishna, transpercé par une flèche.

Dans le mythe de Troie post-homérique, la chasse au cerf joue un rôle important. Chasse dangereuse, elle entraîne des accidents, dont les conséquences sont l'exil ou le désir de vengeance. L’Énéide de Virgile et l'Histoire romaine de Tite-Live rapportent que pour avoir tué une biche sacrée, le roi italien Ascagne subit la colère des dieux (qui déclencheront la guerre sur terre).

Toujours dans l'univers troyens post-homérique, citons le mythe de Brut, qui est, selon une légende tardive, l'ancêtre troyen de certains habitants de la Grande Bretagne. Une simple partie de chasse décida du destin d'un prince :

Le jeune homme accompagna son père à la chasse, et le tua sans le vouloir par le tir d’une flèche. Tandis que les serviteurs amenaient un cerf en leur direction, Brut en le visant frappa son père sous la poitrine. À sa mort, le garçon fut expulsé d’Italie, ses parents étant courroucés d’un acte aussi odieux. 

Geoffroy de Monmouth. Historia regum Britanniae, livre 1 (1335).

Si le cerf apporte la révélation après une chasse virile, la biche est plus calme dans son approche. Évoquant la Mère de dieu, la vierge initiale, elle est l'animal féminin et gracieux, naïf et bon, généreux, que seul un braconnier sans cœur pourrait tuer. Voici pourquoi, dans le conte de Blanche Neige, le chasseur substitue au cœur de la princesse, qu'il n'ose assassiner, le cœur d'une biche. Seul une biche est aussi gracieuse, aussi peureuse, aussi frêle, mais aussi versatile qu'une jeune femme.

En tant qu'allégorie de la Vierge Marie, c'est une biche qui recueille l’héroïne médiévale et sainte, Geneviève de Brabant.

Il n'est donc pas surprenant qu'une biche permette à des héroïnes et à leurs enfants de survivre. Tout comme le cerf de la légende de Saint Édern trouve refuge chez un saint, la biche de la légende de Geneviève trouve refuge chez une sainte.

Compagnon des ermites, le cervidé l'est aussi des femmes abandonnées et déshéritées. Comme nous le rappelle M. Chevaux dans sa thèse :

Le cerf est en outre, un symbole de fécondité et de résurrection, une image du baptême, un adversaire du Mal. C'est pourquoi une peau de cerf pouvait être déposée sur le ventre d’une femme lors de l’accouchement afin de faciliter le travail de délivrance.

Le cerf et le sanglier dans l’espace français : D’une mobilisation de l’imaginaire historique, à l’étude des enjeux et conflits territoriaux en classe de première

Le cerf fut par ailleurs l'animal des premiers rois de France. Dans sa thèse consacrée au cerf et au sanglier, Morgane Chevaux relie le cerf à :

- Louis VII et au pape Clément VI, tous les deux « inhumés avec des peaux de cerfs pour faciliter leur passage dans l’au-delà (car le cerf, par la régénération de ses bois incarnait une forme de résurrection). »

- Clovis, qui lors de la bataille de Vouillé en 507, « vit une biche d’une grandeur extraordinaire et permit à son armée de traverser une rivière et de remporter la victoire sur Alaric. »

- Charlemagne, qu'un cerf blanc guida à « travers la Gironde en crue ou pour franchir le col du Grand-Saint-Bernard. »

- Dagobert (602 - 632), qui fonda la nécropole royale de Saint-Denis en réaction à l’apparition d'un cerf.

Selon la légende, c'est en effet une biche qui est pour Dagobert, un roi franc réputé très pieux, le signe de la foi véritable. Ce roi ne fut pas toujours ridiculisé dans l'Histoire. Il fut même jadis un des rois les plus populaires, dont le règne eut les honneurs d'une des rares chroniques européennes composées durant le haut Moyen Âge (la Chronique, écrite vers 660 par Frédégaire, moine de St Denis).

Moins connue est la légende de Hubert, fils du duc d'Aquitaine. Sa vie fut elle aussi impactée par la rencontre fortuite avec un cervidé. Ce dernier, « vit un jour apparaître un crucifix entre les bois d'un cerf qu'il chassait un vendredi saint. Il se mit alors à réformer sa vie, partit évangéliser les Ardennes et devint le premier évêque de Liège. Ainsi, avec le cerf, le chasseur peut lui aussi devenir saint » (M. Chevaux. op. cit).

Populaire dans la culture celte préchrétienne, le cerf le demeure dans la culture celto-chrétienne. Animal attribué à Cernunnos, le dieu cornu des Celtes, sa symbolique s'accorde aussi avec les références chrétiennes :

Les Pères de l’Église et les théologiens en faisaient effectivement un animal pur et vertueux, une image du bon chrétien, un attribut ou un substitut du Christ au même titre que l'agneau ou la licorne. [...] D'où toutes les légendes hagiographiques puis littéraires construites autour du cerf blanc, du cerf d'or, du cerf ailé, du cerf merveilleux rencontré par un chasseur et portant entre ses bois une croix lumineuse.

M. Chevaux

Le cerf est mentionné d'une intrigante façon dans le Roman de Tristan et Yseult. Cette œuvre est une commande du roi de Norvège, composée par un écrivain normand en 1226. Il s'agit pourtant d'une légende bretonne, dont on retrouve la trace dès le 9e siècle. Chanté et colporté par les troubadours, ce récit d'un adultère entre une reine et un chevalier était très populaire et c'est donc sans surprise qu'il fût repris par les Normands qui lui donnèrent sa forme définitive.

Au début du roman, Tristan est seul et loin de sa patrie, quand il surprend des chasseurs, probablement normands, découper un cerf sans égard pour la singularité de l'animal (qui est particulièrement sacré chez les Celtes). Tristan interrompt leur besogne pour leur montrer une autre technique. En dépeçant le cerf, Tristan va révéler, malgré lui, sa véritable identité, qui est celle d'un chevalier de bonne naissance. À la suite de cet épisode, Tristan est invité à la cour du roi Marc, où commencera sa carrière de chevalier.

Ce moment du récit semble doté d'un sens second, que nous ne pouvons percevoir clairement : une sorte de secret que nous ne pouvons déceler faute d'initiation.

Quel est donc ce mystérieux rite de dépeçage qui étonne tant les chasseurs ? S'agit-il d'une technique de dépeçage favorisant les conditions sanitaires de la venaison ? Probablement pas.

Tristan qui dépèce le cerf est plutôt un hommage à la coutume ancestrale du sacrifice animal, perpétué jadis par les druides. La bête, une fois égorgée, devait alors être éviscérée selon des règles très strictes, puis ses plus beaux morceaux, à la manière védiques, étaient cuits sur les braises, offerts aux divinités, avant d'être mangés par les adorateurs lors d'un banquet.

À l'inverse des chasseurs, Tristan découpe le cerf comme un initié, comme un prêtre qui officierait lors d'un sacrifice païen. Tristan n'est donc pas un simple jeune homme, mais plutôt l'incarnation d'un prêtre de Cernunnos, dont l'animal totem est un cerf. En venant mourir à ses pieds, le cerf, messager de Cernunnos, fait de lui l'élu, celui que les dieux ont choisi pour perpétuer leur mémoire. En dépeçant le cerf d'une manière particulière, Tristan rétablie donc la sacralité de l'animal.

Le CERF et la BICHE (animaux sacrés)
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