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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

La COSMOGONIE indienne

Généalogie du panthéon hindou
Généalogie du panthéon hindou
Généalogie du panthéon hindou
Généalogie du panthéon hindou
Généalogie du panthéon hindou
Généalogie du panthéon hindou
Généalogie du panthéon hindou

Généalogie du panthéon hindou

 

Il existe des dizaines de cosmogonies hindoues, propres à chacun des courants religieux du sous-continent. Nous avons donc sélectionné les plus communes et nous les avons placées en perspective, notamment en complétant la tradition védique par les traditions puraniques et agamiques, et en prolongeant la cosmogonie brahmanique par celle du vishnavisme. Se voulant la plus complète possible, afin de correspondre à l'idée que l'on se ferait d'une « bible hindoue », notre sélection contient une cosmogonie, une théogonie, une gigantomachie, des dialogues philosophiques, des contes, des paraboles, ainsi qu'un récit épique.

En outre, les principaux courants théologiques de l'hindouisme, que sont le vishnavisme (60 % de la population hindoue), le shivaïsme (30 %) et le shaktisme (10 %), sont présents dans notre sélection en proportion relative à leur popularité.
 

Vishnou

Texte composé d'extraits du Harivamsa (op. cit.) de la Bhagavad-Gita (trad. d' E.-L. Burnouf) et du Periya Thiruvandhadhi (16, 24 et 35) de Nammalvar.

Brahma, le créateur de tous les êtres, est accompagné partout et en toute chose de Vishnou, le maître des eaux primordiales.

Vishnou trône au dessus de l'océan initial d'où proviennent toutes les existences incarnées ou spirituelles . Il s'agit d'un océan de lait, dans lequel nage un serpent cosmique nommé Sesha. Sesha est le gardien de l'univers qu'il délimite en l'entourant de son long corps écailleux. C'est sur son dos que Vishnou est allongé, relié à Brahma par son ombilic.

De Vishnou, l'agent spontané de l'univers, sont sorties les diverses classes de créatures. C'est de lui que provient la création éternelle, l'énergie qui se renouvelle à chaque instant et permet à l'univers de demeurer l'univers.

Bien qu'allongé sur Sesha, Vishnou réside en même temps en plusieurs autres sanctuaires. Au même instant, il est debout, assis et allongé, tout en se déplaçant autour de toute chose et en s'incarnant en de très nombreux avatars. Depuis l'intérieur des choses, il est celui qui contrôle ces choses. Si jamais, ne serait-ce qu'un instant, les univers étaient privés de sa protection, ils s'effondreraient aussitôt.

De même, quand l'univers se dissoudra à nouveau dans l'océan primordial, Vishnou fera une fois encore surgir les créatures du chaos originel, afin que leurs âmes ne soient pas piégées dans l'immensité.

Mais quelle est la forme, quelle est l’apparence, de ce dieu si puissant ? Les caractéristiques de Vishnou sont infinies car ce dieu mystérieux ne possède pas qu'une couleur ni qu'un aspect !

Qu'est-ce donc alors que Vishnou? Vishnou est la lumière primordiale, ainsi que tout ce qui en a découlé! Il est les vents célestes qui balaient le cosmos, il est aussi le vent qui apporte la tempête, escorté par les éclairs et le tonnerre. Il est la colère mais aussi le remède.

Vishnou est à la fois descriptible et indescriptible, et il est encore bien des choses que nul n'a encore pu contempler! Il est l'univers dans toute son unité. En lui sont le mobile et l’immobile.

Contemplez son corps et vous y découvrirez tout les secrets qui vous taraudent! Cependant, si vous voulez l'apercevoir, ce n'est pas avec les yeux de votre corps mais avec le regard céleste que vous lui emprunterez.

Vishnou qui à la fois existe et n'existe pas, Vishnou qui est la cause indépendante, éternelle et spirituelle, a donc produit de lui-même la matière première primordiale ainsi que l’esprit cosmique. De ce grand Tout qui n'est autre que la conscience primordiale de l'univers et qui se nomme l'Ishvara, provient Brahma dont l’énergie créatrice est infinie.

 

Le chaos initial

L'extrait suivant est une recomposition littéraire inspirée des Védas. Elle est composée principalement d'extraits de l'Hymne à Pourousha et de l'Hymne à Paratma, contenus dans le Rig-Véda (1200 à 1000 av. J.-C.), mais aussi de passages empruntés à l'Atharva-Véda, au Gopatha Brahmanas, ainsi qu'au Harivamsa, un texte plus récent datant seulement début du premier millénaire apr. J.-C.

 

Vishnou, voulant créer les différents êtres, forma d’abord les eaux dans lesquelles il déposa un germe vivifiant. Ainsi Vishnou est nommé Narayana ce qui veut dire « le refuge du seigneur des eaux » car c'est en Vishnou que, premiers dans l'ordre de la création, les eaux trouvèrent leur repos et leur maître.

Alors que Vishnou et Brahma cohabitaient dans un univers vide et immense, où était donc l’enveloppe des choses, comme le réceptacle de l’eau ou l’emplacement de l’air ? Dans quel lit se trouvait contenu l'océan primordial? S'il n'y avait rien, où donc étaient les profondeurs impénétrables de l’espace ?

Qui pourrait nous révéler ces mystères? Car rien n’existait encore : les ténèbres étaient enveloppées de ténèbres ; l'eau n'était troublée d'aucune vague. Tout était confondu. Rien n’existait alors, ni visible, ni invisible. Il n'y avait ni air, ni ciel, ni l'être, ni le néant, ni l'univers.

Le mort n'existait pas, pas plus que l'immortalité. Rien n’annonçait le jour, ni la nuit. Les ténèbres étaient enveloppées dans d’autres ténèbres et l’eau n’avait nul éclat. Tout était confondu en Brahma qui seul respirait, renfermé sur lui-même en ne laissant échappé aucun souffle. Il n’existait alors que lui, l’Être suprême qui reposait au sein du chaos sous la forme d'un œuf.

En effet, sous la forme d'un œuf d'or, dans le lit même des eaux, avait paru une matrice, qui refermait en elle toutes les possibilité des univers à créer. Après y avoir demeuré un an, de lui-même, est né Brahma qui brisa la coquille de son enveloppe d’or.

De l'œuf brisé a jailli Aditi, la Lumière Initiale. Aditi est l'espace infinie qui s'étend depuis en traversant l'univers, sans connaître de limite ni d'obstacle. Elle est la mère des dieux et des corps célestes. Elle est l'origine de toute chose. Elle est la conscience initiale qui permit à la Création de s'exprimer.

Aditi fut la première manifestation de Shakti, qui est le principe féminin actif dans n'importe qu'elle forme d'existence y compris divine. Shakti est l’énergie motrice qui anime chaque existence d'une force qui lui est propre.


Brahma

Texte composé d'extraits de l' Harivamsa (op. cit. ) et du Yajur-Véda (trad. d' A.-P. Soupé).

 

De l’œuf ainsi ouvert, en même temps que les premiers rayons de lumière éclairaient l'univers, Brahma émergea, puis s’envola vers le sommet de l'univers, où depuis il trône sur un immense lotus rouge qui ne cesse d'éclore.

Du haut du ciel, les yeux ouverts sur un univers qu'il est seul à vraiment connaître, Brahma est capable de distinguer ce qui existe réellement de ce qui n’existe pas, car il est celui dont tout objet, toute existence, toute réalité est originaire.

Cet être unique et inébranlable, plus rapide que la pensée, plus léger que les vents, et que les dieux eux-mêmes sont impuissants à concevoir, est le maître de tous les mondes, le suprême créateur qui les a tous devancés, le grand architecte de l'univers, le maître de l’immortalité, l'auteur de ce qui fut, de ce qui est et de ce qui sera. C'est pourquoi les hommes le représentent avec trois têtes, qui regardent chacune vers le passé, le présent et le futur. Mais en vérité, Brahma possède des milliers de têtes, des milliers d'yeux, et des milliers de pieds.

Quoique immobile, il met en mouvement l’univers tout entier. De lui sort tout ce qui est animé et inanimé. Enfin, il est surtout l'inspirateur des Védas qui renferment la science mystique et magique des anciens aryens et qu'il a lui-même dicté à de nombreux sages et poètes.


Le son Ôm

Au début il y avait donc Brahma, avec qui était le verbe et le verbe était Brahma. Ôm, le son de l'univers prit alors forme.

Dans le « AUM » le A représente l'eau, le U, le rêve et le M le sommeil, et chacune de ces expériences respectives sont le support de l'existence. La lettre-son A du AUM représente l'âme intemporelle et universelle d'un individu. Elle peut s'exprimer d'un millier de façons différentes. L'identité vulgaire d'un individu, telle que communément perçue, est la plus basse de ses manifestations. Le A doit se fondre dans la lettre-son U, qui représente l'état onirique de la conscience. C'est la seconde manifestation de l'existence dont la plus petite expression est l’œuf primordial. Enfin, la lettre-son M représente l'âme universelle, qui est la cause des précédentes facettes d'une personnalité et qui se fond dans l'identité suprême de toute existence : le brahman, le corps de Brahma.

Le Ôm primordial résonnait quand Brahma proclama dans l'univers le mantra magique suivant :

« Je suis le substrat de l'univers, je suis le brahman, libéré des sortilèges et de l'illusion, libre de tout ce qui équipait mon corps et qui m'attachait à lui : je suis l’œil de la sagesse. »

 

Les Lokas, les différents domaines de l'Univers et de l'existence

Texte composé de l'Hymne à l’Âme Primordiale de l'Univers, de l'Hymne à Purusha (Rig-Véda), ainsi que d'extraits du Gopatha Brahmanas (Atharva-Véda). Op. cit.

De sa coquille cassée, Brahma fit alors Dyaus, le Ciel, qui est l'espace en expansion ainsi que le support de la Création. De sa coquille, Brahma fit aussi la matière, incarnée en Prithvi, la Terre. C'est elle qui fut le support de la conscience initiale qui germa aussitôt dans chaque parcelle de l'univers. Dans le Ciel, Brahma étendit l'espace infinie du Svarga, le domaine divin, tandis qu'il fit de la Terre le lieu ou s'incarneraient la matière et la matérialité.

Dans l’intervalle qui les séparait, Brahma répandit l’air.

La Terre nageait sur les eaux qui l’entouraient. Au dessus d'elle, les régions célestes furent établies au nombre de six. Il s'agit, dans leur ordre d'éloignement par rapport à la terre, du Svargaloka, le domaine que peupleront bientôt les dieux, des Maharloka, Janloka, et Taploka, les domaines qu'arpenteront les sages libérés de leur propre existence et le Satya-Loka, le domaine indescriptible du brahman, qui est l'âme éternelle et collective que partagent chaque existence incarnée dans l'univers.

Entre la Terre et le Svarga fut placé le Bhuvarloka, constitué des planètes et de l'océan d'air qui les entoure. Entre la terre et le Bhuvar, du plus loin que souffle le vent depuis la terre jusque dans l'espace, où l'oxygène vient à manquer, Brahma consacra le Rakshabaloka, qu'arpenteront bientôt démons et fantômes.

Sous la Terre, furent désignés sept mondes souterrains et infernaux, les Patalas.

Enfin, comme axe de rotation de l'univers, Brahma créa le Mont Mérou, une montagne en cône inversé qui traverse les quatorze domaines de l'existence, du Satya Loka aux Patalas.
 

La Naissance du désir

L'émotion et l'extase de Brahma étaient si grandes, que de la sueur ruisselait le long de son front ainsi que par tous les pores de sa peau. Ces ruisseaux de sueur se convertirent en eau puis s’agglutinèrent en flaques à ses pieds. C'est alors que Brahma aperçut sa propre image et en devint épris ce qui marqua la naissance du désir.


Sarasvati, déesse de la connaissance

Ainsi Brahma reposait dans le vide qui le portait quand dans son esprit, un désir se forma, la première semence de tout l'univers.

Brahma donna d'abord naissance à la sagesse qu'il fit jeune et jolie et qu'il nomma Sarasvati. Brahma tomba amoureux d'elle et en fit sa compagne afin de réaliser avec elle son désir de donner naissance à l'amour, à la colère et à la volupté.

Sarasvati est donc à la fois la shakti, la fille et la femme de Brahma ; si Brahma est créateur de la vie et des créatures, Sarasvati est la source d'inspiration des créations artistique, musicale et poétique.

De son union avec Sarasvati, Brahma donna d'abord naissance au sage Narada, le messager des dieux qui arpente la Terre et les cieux pour porter les prières et les hommages. Brahma, inspiré par Vishnou, fit de Narada le maître du yoga, des mots, des synthèses, des résumés, des interprétations et des divers habiletés intellectuelles propres à l'expression, au verbe et à la verve. Narada possède donc le pouvoir de tout comprendre et de pouvoir résumer n'importe quel sujet en quelques mots d'une parfaite justesse.

Maître des nuances et des subtilités, Narada créa les instruments de musique, dont la vina, le plus abouti de tous, fut offert à sa mère Sarasvati. Alors, pour qu'elle s'exprime pleinement et embellisse l'univers de son talent et afin qu'elle puisse se déplacer aux quatre coins de l'univers pour y jouer la mélodie de la vérité, Brahma offrit à Sarasvati un cygne blanc comme véhicule, ainsi qu'un exemplaire des Védas.

Dès lors, Sarasvati devint la déesse de la connaissance, de la sagesse et des arts.

 

Les Kumaras

Texte inspiré du Harivamsa (Op. cit.)

Voulant engendrer une descendance et continuer son œuvre en famille, Brahma créa avec la seul force de son esprit les quadruplés Kumaras : Sanaka, Sanatana, Sanandana et Sanatkumara, qui sont des êtres immortels dotés d'une suprême intelligence et maîtrisant toutes les connaissances et tous les savoirs. Cependant, contrairement au souhait de leur père qui désirait voir se peupler l'univers, les Kumaras firent vœux de célibat et d'abstinence pour se consacrer à l'adoration de Vishnou. Depuis, plutôt que de créer, ils errent dans le cosmos sous une forme à jamais enfantine.

Prépubères, les Kumaras sont pourtant les rishis les plus savants de toute la création. Altruistes et désintéressés, ces éternels enfants voyagent à travers l'univers afin de distribuer généreusement la sagesse et la connaissance, enseignant les Védas à quiconque croise leur route dans l'espace infinie. Durant un de leur voyages, les Kumaras croisèrent Vishnou et le reconnurent aussitôt comme leur gourou. Depuis, libres d'une incarnation terrestre, en dehors du Samsara, qui est le cycle de la naissances et de la mort, les Kumaras sont ses serviteurs.

 

Rudra - Shiva

Texte composé à partir d'extrait du Mahabarata (trad. de L. Ballin), du Tirumantiram de Tirumular (depuis une trad. anglaise de B. Natarajan), et du Soundarya Lahari de Shankara.

 

Brahma était mécontent de ne pas être obéi des Kumaras qui refusaient obstinément de créer la vie, sachant tout le malheur qui en découlerait et qui affecterait les futurs êtres vivants. Dans un souffle de la colère de Brahma apparu alors Rudra, le dieu sauvage et instinctif qui possède le phallus comme emblème.

Rudra fut le premier avatar de Shiva qui est le troisième membre de la Trinité hindoue, appelée Trimurti et constituée de Brahma le créateur, de Vishnou le sauveur et de Shiva le destructeur. Rudra, « la Colère », qui devient Shiva, « la Douceur » quand elle s’apaise, est le commencement, le milieu et la fin des êtres. C’est par son impulsion seule que le monde entier se meut.

L'apercevant, le puissant Brahma, voulant procéder à la création des êtres, lui ordonna de créer. Cependant, le visionnaire Rudra connaissait lui aussi et à l'avance les défauts des futurs créatures et , afin que la création ne se fit pas, il plongea dans les eaux primordiales pour se réfugier dans un mutisme fanatique.

Sous les flots du chaos, Shiva médita alors intensément ; alors guidé par les conseils de sa Shakti, sa compagne intérieure, il créa l'univers matériel et temporel.

Le dessin magique et créateur de la vie que dessina Rudra sous la dictée de Shakti est nommé le « Sri Vidya ». Il garantit la maîtrise des forces vitales de l'univers et donne accès à la force qui permet d'exercer tous les pouvoirs. Le Sri Vidya est le premier des dessins magiques, il est à la base de la science ésotérique des mandalas du tantrisme.

De Shiva, l'espace infini à Shakti, la force motrice qui inspire la création, en passant par Sada-Shiva, l'omniprésence lumineuse, subtile et absolue, jusqu'au colérique Rudra et jusqu'à ses 25 formes et incarnations nommées Maheshwara, Shiva se succède donc à lui même à travers les âges, en s'incarnant d'avatars en avatars, assurant ainsi son rôle de gardien des traditions mystiques.

Malheureusement, bien qu'innombrables, ces initiations sont pourtant souvent considérées par les hommes comme des mots écrits sur de l'eau.

 

Si Shiva n'est pas un être matériel mais de pensée, à bien des égards il peut être comparé à un saint. Partout il est chez lui et, comme une feuille dans le vent, comme un cerf volant, il parcourt le monde en virevoltant, se posant parfois quelque part pour y répandre la force, la vie et l'amour. Il est le vent dont la vie a besoin.

La vie commence ; elle dure un temps puis c'est le départ ; entre temps, dans ce flux momentanée d’énergie, Shiva est celui qui révèle les mystères de la vie. C'est en l'honorant que les dieux eux-mêmes prennent conscience de leur mortalité. Mais dans le cœur de Shiva ne résonnent ni les prières des divinités ni celles des hommes, car c'est un puits sans fond où règne le plus assourdissant des silences.

Foyer éternellement flamboyant, il est ce qui compose les planètes ainsi que l'espace qui les sépare... Mais même pour ceux pour qui la mort est devenue futile, sa gloire ne sera jamais totalement révélée ni comprise.

Au delà du Passé et du Présent, commence donc l'empire de Shiva qui est la toute puissante semence de l'univers. Absolument toute chose est une incarnation de lui-même y compris les déjections et le moindre grain de sable. Éternellement jeune, sans commencement ni fin, il est la mesure du temps, le départ de toute chose, la lumière qui scintille depuis le trône de lotus où siégea Brahma lors de la création du monde.

 

Une légende raconte que tandis que Brahma était à la recherche de la tête de Shiva et que Vishnou était à la recherche de ses pieds, les deux divinités se retrouvèrent sur Terre au même instant. Shiva demeurant introuvable, Vishnou confia alors Brahma: « je n'ai pas même trouvé son empreinte! » Quant à Brahma, il mentit et répondit à Vishnou : « je l'ai entr'aperçu! »

 

L'unité de la Trimurti

Tirumular, Tirumantiram (payiram, prologue).

Tout d'abord il y eut donc l'unité. Puis le 3, le 5, le 9, puis le zénith et la Terre. Ceci établi, le tissu de l'existence s'est alors déployé sur l'univers comme la toile d'une tente. Mais en vérité il n'y a qu'une seule et même entité, dotée de plusieurs noms, dont le plus glorieux est Shankara, « le tout puissant. »

Ainsi, le Grand Créateur est-il un? Est-il multiple ? Est-il seul ? Sont-ils trois ? En vérité, c'est la division qui permet à l'univers de se propager.

Dès les premiers instants de la création, la lumière s'est divisée en trois flammes, puis en cinq. Il est donc tout à fait inutile de perdre son temps à deviser dans quel ordre Shiva, Vishnou et Brahma doivent être ordonnés et honorés.

 

Prajapatis et rishis célestes

Texte inspiré du Gopatha Brahmanas (Atharva-Véda), de l'Hymne à Purusha et de l'Hymne à la Création (Rig-Véda), ainsi que du Harivamsa. Op. cit.

 

Afin de l'aider dans son œuvre créatrice, Brahma créa des êtres célestes dotés d'une parfaite sagesse : les sages Kashyapa, Angiras, Pulastya, Pulaha, Cratou, Vashishte, Atharvan, Bhrigou et Atri.

Ils sont les sages cosmiques, gardiens de la justice et de l'ordre de l'univers. S'ils sont nés de Brahma, ils sont en revanche animés par Vishnou.

Ils sont appelés les Prajapatis, c'est à dire les Grand Créateurs. Ce sont eux qui, à force de travail et d’intelligence, parvinrent à marier ce qui était réel avec ce qui était apparent.

Ces gardiens de l'ordre cosmique résident dans la constellation de la Grande Ours, ainsi que sur Terre, dans de multiples ashrams dont ils sont les solitaires résidents et dont la plupart se situe le long de la vallée du Gange et dans l'Himalaya.

À la fin d'un cycle, alors que l'univers est noyé sous les eaux, c'est depuis la constellation de la Grande Ours qu'ils descendent sur Terre pour sauver les Védas ainsi que l'humanité en la personne de Manou, le premier et le dernier des hommes, qui est aussi leur intermédiaire sur Terre. Au début d'un nouveau cycle, ces sages se réincarnent en d'autres sages puis recommencent leur œuvre créatrice et protectrice.

Ces sages célestes, ces parfaits savants, poètes et théologiens, sont nommés rishis car ce sont les êtres les plus intelligents qui puissent exister. Ils sont les seuls à vraiment comprendre les Védas, dont ils sont les ultimes compositeurs, gardiens et passeurs, car chacun d'entre eux est directement inspiré par Brahma, qui est leur père à tous.

Les Prajapatis se mirent donc à produire des êtres, répandant partout l’inépuisable esprit saint et l'énergie du divin.

De ces patriarches, sortirent les grandes familles aryennes, lesquelles, attachées aux exercices de la piété et fécondes en rejetons, ont pour leur propre bonheur donné au monde de nombreux sages, héros et rois, ainsi que les dieux qui peuplèrent bientôt le ciel.

Cependant, deux d'entre eux, Poulaha et Vashishte, refusèrent de participer à la création des univers et des êtres.

Poulaha ne créa pas car il consacra son existence à vénérer Rudra et pour cela, il érigea plusieurs ashram dans le nord de l'Inde, au long de la vallée du Gange, un fleuve dans lequel il se baignait régulièrement pour se purifier.

Vashishte quant à lui, voyant que la Création n'était qu'une vaste source de tristesse et de souffrance, comprit que les réticences de Rudra à créer étaient justifiées, et voulut se suicider en se jetant dans la rivière Sarasvati, l'incarnation de la déesse de la connaissance. C'est alors que le fleuve se divisa en des milliers de petits torrents puis en quelques flaques d'eau, empêchant ainsi Vashishte de s'y noyer. Le rishi fut dès lors consacré protecteur de l'humanité. Doté du pouvoir d'exaucer n'importe quelle prière, Vashishte est l'ami des hommes ainsi que leur conseiller.

 

Le sacrifice de Purusha

Texte inspiré de l'Hymne à Purusha (Rig-Véda) et du Harivamsa. Op. cit.

Le premier devoir des rishis mis au monde par Brahma fut de célébrer un sacrifice avec leur créateur, grâce à qui ils devaient leur existence. Pour ce faire, ils vinrent de toute part pour se réunir, traversant le ciel avec grandeur.

Afin que se tienne le rituel créatif qui devait être accompli par les Grand Créateurs et afin que le Ciel se peuple d'une multitude de créatures, Brahma sacrifia son corps. Brahma devint dès lors Purusha, l'être initiale et cosmique qui, par son sacrifice, permit à tous les êtres d'exister à leur tour.

Du sacrifice de Purusha, fut créé le brahman, l'âme suprême de l'univers, qui est né de sa bouche et dont les brahmanes sont les gardiens sur la terre. Le pouvoir et la force, incarnés sur Terre par la caste des kshatriyas, sont nés de ses bras. Le commerce et le profit, incarnés sur Terre par la caste vaishyas, sont nés de son ventre. Enfin, le travail et l'effort, dont est capable la caste des shoudras, sont nés de ses pieds.

Ainsi, les quatre professions principales qui occupent les hommes et leur assignent une place dans la société furent créées. Les prêtres (brahmanes) s'occupent du spirituel, les guerriers (kshatriyas) de la défense et de l'organisation des nations, les commerçants (Vaishyas) de leur prospérité et enfin les ouvriers (shoudras) fournissent leur force de travail aux trois plus nobles castes.

Ensuite, des oreilles de Brahma-Purusha fut formé l'espace, de son souffle fut crée Vayou, le dieu-vent et de sa poitrine fut créé le Dharma, la loi juste et mystérieuse qui permet à l'univers de se perpétuer.

D'un pouce de Brahma, sortit le mystérieux rishi Daksha, la plus grand des sorciers. Grâce à l'union des cinq éléments, Daksha donna aussitôt naissance à Danu, la déesse à laquelle Brahma confia les eaux primordiales d'où sortiraient toutes les créations à venir. Daksha prit ensuite Danu pour femme et c'est de cette union que naîtront les Danavas, les titans qui se rebellèrent plus tard contre les dieux.

Des pieds et des parties génitales de Brahma est enfin sortie l'humanité, qui comprend les hommes, mais aussi les yakshas, les esprits gardiens de la nature, ainsi que tous les êtres qui peuplent tous les univers, de quelque nature qu'ils soient, y compris démons et animaux. Du sacrifice du Purusha, c'est à dire de la matière de Brahma, naquirent donc les animaux sauvages et domestiques: les oiseaux, les mammifères, les chevaux, les vaches, les chèvres et les brebis.

Enfin, avec ses pieds, Brahma forma lui-même la Terre, puis il la pétrit de ses doigts pour en former une boule au-dessus de laquelle il domine depuis. Une fois la Terre façonnée, Brahma créa pour elle les saisons et les tempêtes, ainsi que leur cortège de Nuages Gris chargés du tonnerre et des éclairs : les terribles guerriers Maroutes.

De la poitrine de Brahma furent aussi créés les Esprits des Ancêtres, les Pitris. Les Pitris vivent depuis entre la vie et la mort, sur une planète que Brahma leur a allouée, située au plus bas de l'univers, entre le monde souterrain du Patala et le royaume infernal du Naraka où séjournent les morts avant de poursuivre leur transmigration.

Sur cette planète, appelée Piter-Loka, les Ancêtres attendent eux-aussi d'être réincarnés. Sans relâche, avec zèle et amour pour Brahma, ils cueillent les fruits du verger de la vie, afin que nul ne les mange ni ne passe par où ils sont passés. Ceux qui entre tous seront les plus assidus à cueillir ces fruits auront la chance de s'incarner ensuite en yamadutas, qui sont les assistants des enfers chargés de punir et de torturer les pêcheurs de passage.

En effet, qui d'autres que les ancêtres sont mieux placés pour savoir ce que c’est qu’ endurer une éternité de privation, occuper seulement à cueillir des fruits que d'autres ne mangeront pas ? Les ancêtres sont donc les parfaits persécuteurs des vivants qui ne respectent ni le bien, ni le juste, ni le vivant, et qui se sont, par leur mauvaise conduite, assurés d’une vie prochaine dans les mondes infernaux.

 

L’œuvre de Kashyapa : la naissance des dévas

C'est durant le grand sacrifice de Pouroucha, que le savant et visionnaire rishi Kashyapa, de son union et de sa collaboration avec sa première femme la lumineuse Aditi, engendra la grande famille des dieux, nommés les dévas en sanskrit

De l'union de la vision, incarnée par Kashyapa, avec la lumière, incarnée par Aditi, la déesse de la Conscience Initiale, sont donc nés les dieux gardiens des éléments primordiaux. C'est grâce à eux que la vie put commencer puis perdurer. Il s'agit d'Indra, d'Agni, le Feu, de Varouna, le protecteur des eaux, le maître des étendues vastes, mouvantes et chaotiques, de Mitra, le gardien de la lumière, l’œil du monde, le témoin de toute chose, mais aussi du Soleil, Sourya, de la Lune, Chandra, de Tvastar le forgeron et de bien d'autres encore.

Avec les sourcils de Brahma, Kashyapa et Aditi créèrent donc Agni, le Feu, invoqué depuis par tous les hommes. Les Offrandes et les Sacrifices apparurent aussitôt à la suite du Feu, auquel toute chose est destinée et doit être offerte, des oblations aux cadavres humains.

Avec un des yeux de Brahma, Kashyapa et Aditi créèrent Surya, le dieu-soleil et avec ses hanches, ils firent Chandra, le dieu-lune.

Depuis, Surya se déplace sur un char en or, tiré par sept chevaux, représentant les sept jours de la semaine. Son rôle est de protéger la Terre en régnant dessus. De leurs unions avec les nuages, ses rayons donnèrent naissance aux jumeaux à tête de chevaux, les Ashvins , protecteurs de la santé et des récoltes.

Indra

De la bouche de Brahma-Pouroucha et des mots qui en jaillirent, Kashyapa et Aditi créèrent Indra, le dieu du tonnerre, ainsi que tous les autres dieux dont la fratrie fut nommée dévas.

Indra est donc l'aîné des dieux dont il est le chef. C'est le maître de la foudre et il possède comme arme redoutable les Maroutes, qui sont les Nuages Gris annonciateurs des pluies et des tempêtes. Sur l'ordre d'Indra, ces divinités de l'orage, des guerriers belliqueux aux dents de fer et aux armes et armures en or, attaquent les nuages qu'ils tranchent de leur épées. Ceux-là mêmes sont sont responsables des pluies mais aussi des feux de forêt et des tremblement de terre.

Le véhicule d'Indra est un éléphant blanc à mille têtes qui lui sert de char de combat. Lourdement armé d'éclairs, d'épées, de sabres et de lances, Indra est le déva qui est né en premier, celui qui a embelli les autres divinités par ses œuvres et dont la force et la grandeur infinies font trembler le Ciel et la Terre. Indra est plus étendu que le ciel, plus grand que la terre. Terrible et puissant, c'est en faveur des hommes qu'il s’enflamme... Et comme le taureau aiguise ses cornes, il affûte son éclair foudroyant pour les créatures .

Lui-même a consolidé la Terre et le Ciel, a déchiré les nuages orageux et agrandi la plaine des airs. C’est par lui que vivent tous les êtres, car c'est lui qui a refoulé les démons dans de ténébreuses grottes pour s’emparer de leurs dépouilles comme un chasseur de sa proie, car il est celui qui immole les monstres, ne pardonnant jamais l’impertinence. Ni la ruse, ni la violence ne sauraient triompher de lui !

Indra n’emploie sa puissance qu’à frapper sans cesse le Mal et le Faux, pour rétablir l’ordre dans la confusion et donner la forme au chaos. C'est donc Indra qui règne sur le Soleil et l’Aurore et c'est à lui qu'obéissent les eaux. Il est le modèle de l’univers, la source qui anime les êtres inanimés.

Devant Indra, dont le bras est armé de la foudre, s’inclinent donc avec vénération le Ciel et la Terre et frémissent les montagnes! Pour élargir l’horizon, il a élevé le soleil dans le ciel et a lancé sa foudre au milieu des vaches célestes pour nous offrir la prospérité. C’est à lui qu'appartiennent les chevaux rapides, les campagnes fertiles, les génisses, les villes, les chars remplis de richesses.

C’est donc vers lui que se tourne en priant le riche ou le pauvre, c’est à lui que s’adressent les invocations des prêtres et les chants des poètes. C’est lui que prient les peuples victorieux et c'est lui que les guerriers appellent à leur secours lors de combats. Tous d'ailleurs l’appellent à leur secours, comme le fermier appelle sa vache nourricière !

Se rendent vers lui, comme les marchands vers la mer, comme les femmes vers la montagne pour y cueillir des fleurs, les prêtres-chanteurs, qui sont avides de ses faveurs et entourent son autel. Pour prendre part à leurs rituels, Indra accourt avec l’impétuosité du taureau, toujours prêt à prouver sa force dans le combat et montrer qu'il mérite les louanges qui lui sont adressées.

Océan aérien, il est comme la mer et reçoit dans son sein les vastes torrents du ciel.

 

Varuna, Mitra et Aryaman

Textes suivants composés de plusieurs hymnes du Rig-Véda (trad. d' A. Langlois et A. P. Soupé pour Varuna)

Aditi et Kashyapa eurent de nombreux enfants, tous dévas. Parmi eux, Varuna, Mitra et Aryaman furent les plus glorieux.

Toujours suivi de ses frères Mitra, la Lumière de la Justice et Aryaman, la Promesse, Varouna est la fois dieu et démon. Il est le colérique et lunaire maître des océans, des pluies et du cosmos. Ses serviteurs sont les Nagas, les hommes-serpents et son véhicule est un monstre marin. Varouna étant le plus grand des magiciens, c'est lui qui eut la responsabilité de faire de la terre un lieu propice à la vie.

Pour créer la vie sur Terre, comme le sacrificateur étend la peau de l’animal immolé, Varouna a d'abord étendu la Terre devant le Soleil. Puis il a donné l’air aux branches et aux feuilles des forêts, la force aux chevaux et le lait aux vaches. Ensuite, il a mis l’âme dans les cœurs, le Feu au milieu des vagues, le soleil dans le ciel, et les plantes dont sont extrait les nectars sur les versants des montagnes. À sa demande, les nuages étendirent au loin leur masse ténébreuse, que les courageux Maroutes poussèrent avec force. Puis, comme la pluie humecte les champs d'orges, Varouna, roi du monde, arrosa la terre toute entière.

 

Kamadeva, Tvastar et Pushan

Avec le cœur de Brahma, Aditi et Kashyapa créèrent Kamadéva qu'il firent dieu du désir et qu'il armèrent d'un arc en canne à sucre et d'un carquois rempli de flèches enduites d'un élixir d'amour. Depuis, Kamadéva est le maître du désir, X amoureux ou sexuel ainsi que du plaisir, esthétique ou sensuel. Aditi et Kashyapa lui donnèrent un perroquet pour monture ce qui lui permit de voler et de se déplacer rapidement, tout en papillonnant comme le font ces oiseaux en vol, en recherche de quelques graines à manger comme autant de désirs à satisfaire. La femme, attribuée à Kamadeva, fut le Plaisir, Rati, déesse de l'amour, du désir charnel et du plaisir sexuel.

 

Kashyapa et Aditi donnèrent aussi naissance à Tvastar, l'ingénieur et l'artisan qui créa l'univers tel un céleste architecte. Il est aussi appelé Vishnakarman, le seigneur des sciences et de l’ingénierie, le maître absolu des moteurs et des techniques. Doté d'une inspiration créatrice et manuelle sans limite, il est l'architecte et le constructeur d'Indrapura, le palais des dieux situé au sommet du mont Mérou. Il est le gardien des utérus et garantit la fertilité des femmes qui l'honorent pour avoir un enfant.

 

Autre frère, autre déva, autre fils de Kashyapa et Aditi, est Pushan, le protecteur des rencontres et des mariages. C'est lui qui mène les âmes d'une existence à l'autre. À ce titre, il est le protecteur des routes et des voyageurs, veillant à ce que ni les pèlerins, ni les commerçants, ne soient attaqués par les bêtes sauvages, dévalisés ou réduits en esclavage durant leur trajet.

L'année étant un chemin qui va d'une saison à l'autre, Poushan est aussi le garant de la fertilité des champs

 

L'union de Vak et Kashyapa

Par ailleurs, de la bouche de Brahma-Pouroucha sortit Vak, une incarnation de Sarasvati. Vak est la déesse de l'éloquence tout comme Sarasvati est celle de l'intelligence. Vak, le verbe et la sagesse incarnée, est depuis l'amie des musiciens et la source d'inspiration des Védas.

L'apercevant, Kashyapa tomba instantanément sous son charme et la prit pour seconde épouse. De leur union naquit l’Émotion.

 

Les Védas

Tirumular, Tirumantiram (payiram)

Brahma assigna lui-même les dieux protecteurs de ce qui venait d'être créé : Agni protégea la Terre, Vayou l'air et Aditi les domaines inaccessibles du divin. Ainsi, le Feu régna sur Terre, le Vent dans l'air et la Lumière dans les espaces éthérés de la conscience spirituelle.

Généreux, Brahma consacra trois recueils à leur culte : le Rig-Véda pour célébrer Agni, le Yajur-Véda pour célébrer Vayou, et le Sama-Véda pour célébrer Aditi. Uniquement et directement inspirés par Brahma, de nombreux rishis et prajapatis participèrent à leur composition.

Atharvan, le rishi qui fut le père des rituels et du verbe mystique, fut l'un d'eux. Premier à pratiquer le rituel du feu sacré, Atharvan donna aussi naissance à de nombreux chantres et poètes, dont les œuvres réunies constituèrent un quatrième Véda, l’Atharva-Véda. Ce recueil, encore plus obscur que les précédents, est dédié à la magie, aux rituels occultes et s’intéresse à la médecine, à la pratique de la prière et à la puissance des mantras. De nombreux rishis, dont Vashishte et Kashiapa aidèrent à la composition de ses 731 hymnes.

Une fois créés, les Védas furent collectés et compilés par Narada qui les divisa en quatre parties complémentaires. De fait, bien que divisé en plusieurs parties, leur unité ne doit pas être ignorée : séparément, les Védas sont semblables à la brise divine qui souffle sur les flot de l'océan cosmique, mais ensemble, leur puissance s'ajoute et ils se fondent en une œuvre magistrale, à l'échelle de l'univers.

La maîtrise des Védas est nécessaire au bon déroulement des rituels et sacrifices. Sans eux, aucun salut ne serait proposé aux êtres et sans la parole des Védas, l'ordre cosmique ne pourrait exister. Les Védas sont la parole qui apaise les querelles entre sages et après laquelle se taisent les bavards. Sans elle, nul combat ne peut être gagné et nulle liberté ne peut être espérée.

 

Ratri et Ushas

La Piété, prônée par les Védas accouplés au Ciel, donna naissance au Jour, à la Nuit et à l'Aurore. Ratri, devint la déesse de la Nuit et sa sœur Ushas devint celle de l'Aurore. Kashiapa et Aditi choisirent Ratri comme femme pour Surya, le dieu-soleil. Néanmoins c'est vers sa sœur Ushas que Surya fait caracoler son char, faisant de l'aube son amante.

Ushas est en effet la plus désirable de toutes les créatures, car c'est elle qui ramène au Jour la Parole et la Prière ; c'est elle qui répand ses teintes brillantes et illumine le monde en visitant toutes ses créatures. Éclatante interprète des chants sacrés, le corps nu, Ushas étale alors ses parures pour nous ouvrir les portes du jour. En illuminant l’univers, elle nous en montre les trésors. De sa main puissante, elle invite tous les êtres à se réveiller et le monde endormi à se mouvoir. Elle est celle qui incite à goûter la joie, à accomplir les rites sacrés et à travailler à la prospérité.

Ratri et Ushas poursuivent sans fin la même route, mais elles n'y apparaissent qu’alternativement, selon l'ordre dicté par le Soleil. Sans jamais se bousculer, sans jamais s’arrêter, couvertes de la douce rosée, la Nuit et l’Aurore sont unies en pensée mais divisées en couleurs et en apparences. Toutes deux immortelles, elle se suivent, parcourant le ciel qu'elle affublent tour à tour de leurs couleurs.

Le Soleil et sa compagne légitime la Nuit donnèrent pourtant naissance à Reventa, le premier des esprits de la forêt, consacré patron des chasseurs et guerriers, protecteur des chevaux et de ceux qui voyagent à travers les jungles.

 

Kala, le temps

Avant même qu'elle ne rencontre le soleil, Ratri, la déesse de la nuit donna naissance à l'Espace entre les choses, et c'est de cet espace vide mais en mouvement qu'est né Kala, le Temps.

Kala, une incarnation de Rudra, est le maître de toutes les créatures qui perçoivent la réalité à travers son regard. C'est lui qui a établi la distinction entre le Jour et la Nuit. Maître des contrées abyssales et impénétrables de l'espace, il est le grand destructeur, celui à la terrible étreinte duquel personne ne peut échapper et qui dévore tout ce qui l'approche.

 

Yama, Yami et Manou, les fils du soleil

Texte inspiré de l'hymne à Ushas et aux Ashvins du Rishi Kutsa (Rig-Véda, trad. Langlois)

 

Afin de peupler la Terre, le Soleil s'accoupla lui-même aux Nuages, en la personne de Saranyu, la déesse des libations, pour donner naissance à Yama, Yami et Manou, les premiers humains à peupler la Terre.

Premier homme à mourir, trois jours après son trépas, Yama ressuscita et devint le premier homme à entrer en enfer. Yama en prit donc possession pour en devenir le maître absolu. Le Naraka, le royaume infernal créé par Brahma pour le Seigneur de la Mort, devint alors sa demeure.

L'épouse illégitime de Yama est sa sœur jumelle Yami, la rivière de vie. Yami était l'enfant favori du Soleil, mais elle nourrissait un amour incestueux pour son frère et fut tant attristée par sa mort qu'elle en mourut elle-même de chagrin. Pour consoler Yami de la mort de Yama, son soleil de père avait séparé la nuit du jour, afin que sa douleur s'estompe et qu'elle puisse prendre conscience que le Temps passe en dévorant tout sur son passage et que rien, même les pires souffrances, ne peuvent lui être soustraites.

Après sa mort, Yami s'incarna en la rivière Yamouna, dont l'eau efface les pêchés et purifie des vices ceux qui la boivent ou s'y baignent.

Quant à Manou le plus jeune frère, il devint le premier roi des hommes.

 

La vie sur Terre

Cependant, les êtres créés par Brahma, prajapatis comme dévas, ne se multipliaient toujours pas. Alors Vishnou, complétant en cela l’œuvre de Brahma, embrassant tout de sa grandeur, pénétrant tout ce qui existe depuis le plus lointain du cosmos jusqu'à la Terre, se partagea en deux moitiés dont l’une fut mâle et l’autre femelle. Dans cette seconde moitié de lui-même, il créa l’immense variété des êtres qui peuplent les trois mondes et les 14 univers.

Manou, celui des trois premiers êtres humains sur Terre qui était encore vivant, trouva alors sa femme, Shraddha, avec laquelle il conçu Akuti, Devahuti et Prasuti qui furent les premières filles à peupler la Terre en s'unissant à des rishis célestes.

Cependant, à peine créées, les créatures affamées se précipitèrent sur les prajapatis pour les dévorer. Voyant qu’ils allaient être mangé, ceux-ci coururent implorer la protection de Brahma :

« Ô Dieu Suprême, protège-nous contre nos créatures, et accorde leur la subsistance! »

Brahma assigna alors aux créatures, les végétaux et les plantes pour nourriture et il donna les animaux faibles à manger aux plus forts. Les créatures, apaisées et joyeuses qu’on leur eût accordé leur nourriture, peuplèrent dès lors la Terre et se multiplièrent.

 

La sagesse cachée en l'homme

Au moment de placer la sagesse dans l'univers, un doute saisit les trois divinités de la Trimurti qui se consultèrent alors pour savoir dans quel lieu assez reculé et protégé elles devaient choisir d'implanter la sagesse, afin qu'elle ne soit jamais corrompue par la faible nature des êtres incarnés.

Aussi, la sagesse devait-elle être cachée à l'humanité à venir car si l'homme la trouvait, il cesserait alors de suivre le cycle des réincarnations, appelé Samsara, et deviendrait un dieu lui-même.

Brahma proposa de placer la sagesse aux sommets des montagnes, mais Vishnou remarqua qu'un jour l'homme escaladerait les plus hauts sommets. Vishnou voulut alors enfouir la sagesse au plus profond des océans, mais Brahma remarqua à son tour qu'un jour l'homme, grâce aux progrès technologiques, découvrirait les plus profonds abysses de sa planète.

Shiva proposa alors de placer la sagesse à l'intérieur des êtres vivants, au plus profond d'eux-mêmes, de telle sorte que les hommes puissent passer leur vie à la chercher sans la trouver, car jamais ils ne penseraient à la rechercher en eux.

 

Satisfait, Brahma se retira alors à jamais des affaires des mondes.


La naissance du Soma (la Lune)

Extrait du Harivamsa (trad. Langlois)

De tous les prajapatis, Atri était peut-être le plus zélé à créer. Tant et si bien qu'il se trouva bientôt entouré d’une foule d’êtres de toute espèce auxquels il avait donné naissance. Cependant, grand par ses œuvres, ses pensées, ses paroles, bon envers toutes les créatures, animé par la dévotion, parfait dans ses actions, il était devenu, insensible comme le bois et la pierre pour les choses du monde.

Par exemple, il pouvait tenir constamment son bras élevé pour se mortifier. Ainsi, les feux de sa pénitence l’avaient entouré d’une éclatante aura et pendant trois mille ans, il avait demeuré les yeux fixes et immobiles, subissant toutes les privations en se contenant. À force de privation, son corps produisit la substance de Soma, le nectar mystérieux qui donne l'immortalité aux hommes et la force aux dieux.

Cette substance animée de son esprit s’éleva vers sa tête, et sous la forme de l’eau, coula de ses yeux, illuminant les déesses qui peuplaient alors l'univers et qui en étaient les gardiennes des directions, telles Yami, la Vie, Sarasvati, la Sagesse, ou encore Indrani, la Vengeance.

Celles-ci recueillirent le germe de Soma, et toutes réunies le conçurent en leur sein : mais elles ne purent l’y garder longtemps. Il tomba promptement, entouré de lumière, éclairant le monde de ses froids rayons, embryon destiné à féconder un jour la nature.

Ainsi comme les déesses ne pouvaient porter ce fruit, elles l’emmenèrent avec elles pour le partager avec la Terre.

À cette vue, le père du monde, Brahma, sortit de sa retraite pour retenir Soma dans sa chute, puis le fît monter sur un char. Considéré comme l’essence même des Védas, animé par un zèle pieux et riche en vertus, Soma s’avança sur le monde sur ce char traîné par mille chevaux blancs.

En voyant Soma, les prajapatis fils de Brahma, qui étaient tous issus de la pensée de leur père, se mirent à chanter ses louanges. Soma, célébré par eux, brilla alors de tout son éclat, et son char illumina la Terre tandis les trois mondes furent soudain transcendés par la beauté et la grâce.

A mesure qu’il éclairait le monde de ses rayons, les plantes naissaient et brillaient de l’éclat qu'elles lui empruntaient. Ces plantes reçurent alors pour responsabilité de servir de nourriture aux trois mondes et d'être ainsi le soutien indispensable aux quatre castes qui régissent les société humaines.

Soma est le protecteur des mondes. Chaque jour il acquit plus de force par les éloges qu’on lui adresse et par ses propres œuvres, s'étant lui-même soumis aux rigueurs de la pénitence pendant des milliards de milliards d’années.

Il est le trésor où puisent les déesses dont les ondes dorées sont le salut de la Terre. Brahma, dans sa sagesse suprême, le fit roi des semences et des plantes, des brahmanes et des eaux.

Soma solennellement consacré souverain d’un si puissant domaine, les trois mondes furent remplis de sa lumière incomparable. Alors, Soma, le plus illustre des distributeurs du nectar, à peine monté sur le trône, se disposa à faire la cérémonie du Sacrifice Suprême, pour laquelle cent mille présents avaient été préparés.

Pour ce rituel, Brahma remplit l’office de directeur suprême et il récita des prières auxquelles répondaient Vishnou accompagné des quatre Kumaras et des Prajapatis. Brahma, chef de cérémonie, fut alors assisté de nombreuses déesses, dont Aditi, la mère des dieux. Durant le rituel, qui se déroula la veille de la nouvelle lune, celui qui chantait le Rig-Véda fut le père de Soma lui-même, le divin rishi Atri. Le vénérable prajapatis Bhrigou, lut quant à lui le Yajur-Véda.

Le rituel védique

Texte composé de l'hymne à la création (Rig-Véda) et d'un extrait du Mahabharata.

L’œuvre de création sur le point de se terminer, sous la direction du Soma et présidé par Brahma, les dieux se disposaient donc à faire un sacrifice selon les règles établies par les Védas. Ils réunirent pour cela les offrandes, les produits et les objets propres au rituel, et désignèrent les divinités dignes d’y prendre part.

Cependant, Rudra ne fut pas invité car , n'étant pas un fils de Brahma, il n'était pas brahmane et donc ne pouvait pas prétendre y assister, les cérémonies védiques étant en principe réservées aux « deux fois nés », c'est à dire aux brahmanes initiés et capables de ne pas faire mauvais usage de leurs pouvoirs. 

La toile du Sacrifice s’est alors à nouveau étendue sur l'univers, tirée par les fils de Brahma. Les Ancêtres, indispensables au bon déroulement des saintes cérémonies, se sont ensuite assis près de cette toile pour la tisser, la monter et la démonter.

Brahma développa, découpa, étendu cette toile dans le ciel, comme un boulanger divise la pâte qui vient de gonfler. Sur elle, et près de lui, furent placés les prajapatis dont les mélodies des chants védiques s'enroulèrent autour des dévas et de Brahma.

Se présenta alors Agni, le dieu du feu, venu à la cérémonie en amenant avec lui Gayatri, le divin mantra miraculeux de 24 syllabes, composé de trois vers contenant huit pieds chacun, dont la récitation est aussi douce à l'âme que le miel sur la langue.

Saviter, le fils de la Lumière, le soleil de la nuit, le dieu des saisons et des récoltes est venu à cette cérémonie avec Ushni, le vers de 28 syllabes, composé de 3 vers dont le dernier est le plus long. Quant à Soma, dont la voix et le souffle excellaient aux chants, il chanta en choisissant Anouchtoubh, le vers de 32 syllabes composé de quatre vers de huit pieds.

Brihaspati, le dieu des incantations religieuses et de la magie, né de l'union de Brahma avec Sarasvati, officia en tant que prêtre et il accompagna ses psalmodies en suivant le rythme Brihati, composé de 36 syllabes, divisé en quatre vers inégaux.

Pour la libation de mi-journée, les dévas Mitra et Varouna, accompagnées de leur roi Indra, entonnèrent le Tristubh, composé de 44 syllabes divisé en quatre vers contenant le même nombre de pieds.

Enfin, les Dévas à l'unisson reprirent en fin de journée le chant Djagati, composé de 48 syllabes divisé en quatre vers contenant le même nombre de pieds.

C'est donc en chantant, que nos ancêtres les rishis ont montré avec fermeté les rayons qui éclairent les voies qui mènent à Brahma et c’est ainsi que prièrent jadis les premiers rishis qui marchaient sur la Terre. Depuis, les ancêtres n'ont eu de cesse de faire de même, gardant précieusement dans les Védas les règles traditionnelles et la juste prosodie qui permettent de mener à bien les sacrifices sans lesquels jamais rien n'aurait X été, ni ne serait .

 

La colère de Rudra

Extrait du Mahabharata

Ne participant pas au rituel, Rudra, le dieu de la fertilité n'en perçut pas les bénéfices, ce qui le mit en colère. Connaissant mal Rudra, le collège des dieux n’avait pas invité ce dieu mystérieux et secret dont le seul habit est un pagne en peau de bête.

Rudra sortit alors de sa retraite sous-marine pour se précipiter au sommet du Mérou où se tenait la cérémonie. Tout juste sortit de l’eau sous laquelle il méditait depuis si longtemps, Rudra vit des créatures arpenter la Terre. Réalisant que ces êtres se débattraient à jamais dans l'océan des incarnations, Rudra s’irrita et agita son phallus puis le planta dans la terre. Voulant l’apaiser par des paroles, Brahma lui dit :

« C’est par ton ascétisme, ô Rudra, que la nourriture a été obtenue pour les êtres vivants. C'est grâce à toi que croissent les plantes et que vivent les créatures en se développant continuellement. C'est grâce à tes chakras et à tes tantras que l'univers a pu émerger du chaos et subir la lois éternelle du Dharma.»

Sur ces paroles, toujours en colère, le grand ascète Rudra se retira au sommet du mont Kailash. Afin de perturber la réunion des dieux, il se construisit un arc magique doté d'un flèche si puissante qu'elle était un missile que craindrait les dieux eux-mêmes. Rudra construisit cette arme avec l'ensemble des sacrifices que les mortels lui avait adressés depuis la nuit des temps.

Alors Rudra ainsi armé, irrité d'avoir été mis à l’écart d'un si précieux rituel,se dirigea vers l’endroit même où les dieux offraient leur sacrifice. En voyant ce guerrier inarrêtable qui tenait un tel arc en main, la déesse Terre chancela et les montagnes tremblèrent. Le vent cessa de souffler, le feu allumé cessa de briller et les étoiles épouvantées se mirent à errer dans le ciel. Le Soleil lui aussi cessa de briller, tout comme le disque magnifique de la Lune , et le ciel entier fut plongé dans l’obscurité.

Le feu du sacrifice cessa alors de brûler et les divinités se mirent à trembler.

Alors Rudra atteignit le Rituel d’une flèche au cœur, lequel se transforma aussitôt en gazelle et s’enfuit avec les dernières flammes.

Le rituel parti, l’intelligence n’éclaira plus les dieux qui ne reconnurent plus rien. C'est alors que Rudra sauta auprès d'eux et leur asséna de sévères coups, utilisant son arc comme une massue. Des fils de la Lumière furent blessés par sa colère ; par exemple, Tvastar, l'artisan céleste, eut deux de ses bras coupés, le Soleil les yeux crevés et Poushan le protecteur les dents brisées.

Les dieux s’enfuirent alors de toute part. Quelques-uns chancelaient, comme s’ils avaient été sur le point de perdre leur souffle vital dont Rudra était la véritable condition primordiale.

C'est alors que Rudra rit violemment tandis qu'il retenait les dieux autour de lui, à l’aide de l’extrémité recourbée de son arc. Magnanime, il rendit ses deux yeux au Soleil, ses deux bras à Savitar et ses dents à Poushan. Puis, après avoir jeté sa colère dans l’Océan , il rendit aussi le Rituel aux dieux qui imploraient sa pitié et lui témoignaient le regret de ne pas l'avoir convié. Enfin, il accorda à tous sa protection.

Tout rentra alors dans l’ordre ; les dieux reconnaissants lui assignèrent en remerciement la totalité du sacrifice.

Voici donc qui est Rudra-Shiva: quand il est irrité, le monde est en désordre ; c'est alors qu'il est Rudra, la Colère. Cependant, quand il est apaisé, le miséricordieux Shiva est doux, et c'est grâce à lui que l’ordre renaît du chaos.

 

Kubéra

Texte inspiré des Védas et des puranas. Les premières mentions de Kubéra font état d'un démon voleur de grand chemin, sans foi ni loi. Près de deux millénaires plus tard, les légendes puraniques le lient à Shiva et en font un des huit dieux gardiens des directions célestes. Il possède alors sa propre ville au sommet du Mérou et devient le dieux des richesses matérielles.

 

De retour de la cérémonie qu'il avait interrompue, Rudra était content d'avoir infligé une leçon aux dévas qui lui avaient manqué de respect et avaient oublié de lui donner son tribu des offrandes que les créatures de l'univers leur avaient envoyées. Alors que le dieu sauvage s'en revenait vers le mont Kailash, au sommet duquel il avait fait sa demeure, il rencontra une créature sans commune laideur, occupée à faire le mal et à pleurer.

« Comment t'appelles-tu ? » lui demanda Rudra.

_ Je suis Kubéra, lui répondit l'immonde créature. Je suis le roi des voleurs, écrasé sous le poids de mon triste karma. Voila pourquoi je pleure, et voilà pourquoi je continue à échafauder des plans pour rançonner ceux qui s'en vont visiter les êtres qu'ils aiment. Je n'ai pas toujours été ainsi, continua-t-il, sentant en Rudra une oreille attentive. Comme tu me vois, ô Grand Dieu, je n'en suis pas moins le fils du prajapati Poulastya, mais celui-ci m'ayant aperçu à ma naissance, m’a laissé à ma destiné et m'a refusé ce qu'il avait offert à tant d'autres créatures. J'ai donc grandi seul, livré à moi-même et sous la risée de tous. Mon corps difforme, mes manière rudes, mes terribles désirs qui jamais ne furent assouvis, tout cela et bien plus fit naître de la peur puis de la gêne et enfin du mépris de la part de ceux qui auraient dû être mes frères et qui me considéraient comme un monstre. Dès lors, je voulus leur ressembler, avec leurs beaux vêtements, leurs belles femmes et moi aussi j'ai voulu posséder leur caverne remplie de pierres précieuses. Cependant, ce que je voulais, je l'ai toujours su, ce n'était pas les richesses, ni même le confort de leur lit et la chaleur de leurs femmes, mais seulement qu'on me regarde sans que mon allure n'inspirât le dégoût. Bien sûr, je n’étais pas toujours malheureux dans ma besogne à rendre les autres malheureux. Dans ma carrière de renégat, grâce aux métaux précieux que j'amassais, j'eus enfin droit, si ce n'est à leur regard, au moins à l’intérêt des femmes et même à leur compagnie. Cependant, après avoir mené cette vie un millier d'années sans discontinuer, et après avoir connu plus d'opprobres et de larmes que de joie, n'ayant toujours pas obtenu la reconnaissance de mes pairs, ni l'amour d'une femme, il me vint à l'idée de mettre un terme à la vie de monstre que je menais, pour me comporter en créature du Ciel, c'est à dire en fils de Shiva, le dieu qui n'ignore rien et saura me guider vers une vie moins triste en remplaçant mes fugaces plaisirs par un bonheur sans fin. Et voici que tu apparais, ô Shiva-Mahadéva ! Voici que tu me trouves après que j'ai passé ces milles dernières années à te vénérer en pleurant ma triste condition !

L'écoutant ainsi parler, Rudra compris que Kubéra ne fut jamais mauvais et même, qu'il n'avait cessé d'être un de ses fervents disciples. Touché par le démon, Rudra lui promit alors de réaliser un de ces vœux. Kubéra, sans hésiter, lui répondit alors :

« Comme tu peux le voir, je suis tel que l'on m'a fait, c'est à dire monstrueux d'apparence. Pourrais-tu donc corriger la nature et faire de moi l'égal en beauté d'un autre ? »

Le voyant enthousiasmé pour de telles raisons, Rudra lui dit alors :

« Que t'importe donc ton apparence physique si ton cœur est pur ? Ces milliers d'années de pénitences ne t'ont-elles pas appris cette noble et pourtant simple vérité ? Sache que tu dois mépriser ton corps car seule compte la pureté de tes intentions !

_ Dans ce cas, répondit Kubéra, je veux être célèbre, adoré et riche ! Toutes les créatures de l'univers sont esclaves de leur propre prospérité, je veux donc être si riche et si puissant que ce soit moi qui décide de leur propre prospérité ! Alors, enfin, je serai respecté. »

Dès lors, Rudra-Shiva fit de Kubéra le dieu des richesses matérielles, celles qui s'amassent durant une vie mais qui n'ont jamais possédé une quelconque valeur. Les Dévas lui firent alors une place au sommet du mont Mérou et Tvastar construisit même pour lui une cité céleste, au nord d'Indrapura, afin de garder cette direction contre les incursions possibles de créatures non désirées à Brahmaloka, le paradis des immortels.

 

Les Ribbhus

La mythologie grecque se retrouve bien sûr en Inde, comme par exemple avec le mythe des Ribhus, ces demi-dieux forgerons qui descendirent sur terre pour offrir leur techniques aux hommes, mais qui ne manquèrent pas de fâcher les dévas, qui leur refusèrent l'entrée de retour à la divine cité. Ne s’agit-il pas là du célèbre mythe de Prométhée, lequel fut importé en Grèce depuis le Caucase ? Vishnou insufflant sa présence dans chacune de ses créatures, puis se divisant entre le féminin et le masculin, n'est-il pas aussi un mythe qui trouve un profond écho en Grèce ? En particulier chez Platon et son mythe de l'être primordial contenant en lui les deux sexes, avant qu'il ne soit tranché en deux par la foudre de Zeus.

 

Ayant crée le support de la Création, les Prajapatis, inspirés par la Trimurti, Brahma, Vishnou et Roudra peuplèrent donc l'univers d'une infinité de créatures. Celles-ci pouvaient être de nature spirituelle, au contraire matérielle, ou bien encore les deux à la fois. Cependant, jusqu'à la première cérémonie rituelle menée par Soma et inspirée par Brahma, seules les forces du bien avaient pu s'exprimer et façonner les mondes. D'ailleurs, en ces temps immémoriaux, ni le bien ni le mal ne n'étaient encore distingués.

Si, finalement, le mal entra dans la vie, ce fut paradoxalement la conséquence d'une action qui s'était voulue noble. Voici comment cela arriva :

Le prajapati Angiras, le premier de tous les sorciers, le maître absolu de la magie noire, eut un fils, qu'il appela Sudhanvan. Sudhanvan eut lui-même trois fils, qu'il nomma les ribbhus, ce qui veut dire en sanskrit « la langue sacrée des anciens aryens », « les habiles. » Les ribbhus héritèrent de leur grand-père la maîtrise de la science occulte et grâce à leur intelligence, à leur maîtrise des techniques et à leur créativité, ces trois artisans gagnèrent bientôt un statut divin. Résidant alors à Indrapura, la cité céleste, ils créèrent sans relâche des outils et des armes pour les dévas afin que ceux-ci forçassent les éléments à respecter la loi de Brahma, le Dharma.

Cependant, un jour, alors qu'ils étaient de passage sur Terre, les Ribbhus furent saisis de pitié en voyant l'humanité vivre nue, sans habit, sans foyer, sans maison. S’intéressant de plus près à la race humaine, les Ribbhus remarquèrent que celle-ci ne possédait que ses mains pour gratter le sol en quête des racines dont elle se nourrissait. Plus encore, les Ribbhus pleurèrent en constatant que les hommes, les femmes et les enfants grelottaient dans la nuit de la terre, sans le secours des braises et du feu... Alors, sans plus réfléchir aux conséquence de leurs actes, les Ribbhus s'’incarnèrent sous une forme humaine et délivrèrent à l'humanité leurs nombreux savoir-faire, dont la maîtrise du feu n'était pas des moindres.

Dès lors, l'humanité se redressa, captura le feu, l'emprisonna dans un foyer puis le nourrit de bois. Les hommes se fabriquèrent des armes redoutables avec lesquels ils chassèrent tandis que les femmes inventèrent la couture puis le métier à tisser. Occuper à leur nouvelle tâche, les hommes délaissèrent les dieux, et ce n'était plus que rarement qu'ils leurs envoyaient leurs prières et hommages. Satisfaits d'avoir porté secours à l'humanité et de l'avoir aidée à dépasser sa condition animale, les Ribbhus demeurent sur terre afin de compléter leur existence humaine. Étonnés de recevoir moins de prière, encore plus étonnés de constater l'absence des Ribbhus qui préféraient vivre sur terre que de rejoindre au plus vite Indrapura, les dévas commencèrent à maugréer contre les triplés artisans. Sur terre, les ribbhus menèrent une vie pleine d'humilité et jamais ne demandèrent le salaire de leur invention. Leur exemple sema encore plus la discorde chez les dévas qui voyaient là une leçon d’humilité qui leur était envoyée, à eux qui vivaient dans le luxe d'Indrapura et dans le confort des offrandes de l'univers.

Arrivés au terme de leur vie sur terre, les Ribbhus reprirent leur forme originelle et divine puis retournèrent simplement à Indrapura. Cependant, des dévas leur en refusèrent l'accès, leur reprochant leur complicité avec les humains. On voulut même envoyer les triplés dans l'enfer du Naraka où, impatient, Yama le seigneur des enfers attendait ses premières victimes.

Pour les sauver d'une éternité de souffrance passée à expier le crime qu'ils avaient commis et qui avait consisté à déstabiliser l'ordre cosmique, d'autres dévas intercédèrent en leur faveur. Après avoir écouté chacun des dieux, leur chef Indra demanda à Brahma de rendre les Ribbhus immortels en reconnaissance de leur immense pouvoir et de leur tout aussi grande humilité. Brahma accepta et Surya leur fit une place au cœur du soleil où ils résident depuis et résideront encore jusqu'à la fin des mondes.

 

Dévas contre asura : la gigantomachie indienne

Il y a deux natures parmi les vivants, celle qui est divine, et celle des Asuras. [...] L’hypocrisie, l’orgueil, la vanité, la colère, la dureté de langage, l’ignorance, tels sont les signes de celui qui est né dans la condition des asuras.

Bhagavad Gita, 16

L'origine des asuras

« Au plus haut des cieux, dans le paradis de Vishnou appelé le Vaikunta, les quadruplés Kumaras passaient rendre hommage à leur gourou, l'être cosmique qui résidait en ce lieu. Cependant, les deux gardiens du Vaikunta, Jaya, la Victoire et Vijaya, le Succès, leur refusèrent l'entrée. Ces monstres infaillibles, chargés par Vishnou de défendre son domaine de toute incursion étrangère à sa propre nature, arguèrent que ces enfants n'étaient pas assez matures pour être conscients de la véritable nature de Vishnou, ni assez âgés pour prétendre jouir des plaisirs accessibles dans le Vaikunta.

Les Kumaras leur répondirent en chœur qu'ils n'étaient là que pour saluer Vishnou sous la forme de Krishna et lui rendre visite dans les prairies de Goloka, la planète des vaches. Aussi, dirent-ils à Jaya et Vijaya qu'ils étaient fils de Brahma et qu'ils n'étaient donc animés d'aucune hostile intention. Mais les deux monstres ne fléchirent pas, et c'est avec la plus grande fermeté qu'ils leur barrèrent le passage.

C'est alors que les Kumaras, qui possédaient de leur père le pouvoir de créer la vie et d'influencer le destin par le verbe, maudirent les deux monstres du Paradis en leur garantissant que dans une prochaine vie, ils connaîtraient les tourments de la vie sur Terre et des affres de la matérialité, pour avoir osé mépriser ce qui est jeune, innocent et plein d'espoir.

Enfin, après avoir fait la démonstration de leur sagesse à travers l'univers, les Kumaras furent accueillis lors de leur prochain passage à Vaikunta par Vishnou lui-même, qui leur permit dès lors de le visiter comme bon leur semblait ainsi que d'habiter en lui et en Vaikunta aussi souvent qu'ils le souhaiteraient.

Cependant, la malédiction avait été jetée et devait donc se réaliser. Vishnou, qui possédait bien sûr le don de clairvoyance, n'eut donc aucune objection à ce que ses deux gardiens Jaya et Vijaya, une fois leur existence arrivée à son terme, ne soient pas réincarnés en Vaikunta mais sur Terre afin de purger leur peine.

Alors qu'au ciel Vishnou et les Kumaras échafaudaient ensemble le plan divin qui donnerait une leçon à Jaya et Vijaya, et à travers eux à l'humanité tout entière ainsi qu'au dévas, sur Terre, l'infatigable pénitent Kashyapa, en être vertueux, se retirait tous les soirs dans un lieu solitaire pour se livrer à la prière et à la contemplation.

Outre Aditi, et Vak, le prajapati Kashyapa avait eu aussi Viniata pour femme. Viniata était la mère de tous les oiseaux qui peuplaient le ciel de toutes les planètes de l'univers. De son union avec Kashyapa étaient nés Garouda et Arouna.

Garouda, l'homme-oiseau, fut offert à Vishnou qui s'en servit dès lors comme monture pour parcourir les univers. Satisfait de ses services, Vishnou chargea Garouda de chasser les serpents nagas qui peuplent les dimensions les plus basses de l'existence et dont le royaume se trouve à Mahatala, le cinquième monde souterrain. Craint de tout ce qui rampe, espéré de tous ceux qui respectent le Dharma, Garouda est depuis l'oiseau de vérité dont le vol indique la direction que doivent prendre les prières des sages.

Quant à Arouna, Kashyapa le confia à son demi-frère Surya afin qu'il soit pour lui l'aurige de son char céleste.

Cependant, Kashyapa, qui aimait beaucoup les femmes, ne fut pas toujours aussi heureux avec sa descendance. C'est ainsi que pour le malheur de l'humanité, il rencontra un jour Diti, la déesse de la Matière. Malgré ses airs tristes, Diti sut séduire Kashyapa, et elle prit sa place dans le cœur du rishi à la suite d'Aditi, la déesse de la Lumière et de Viniata. Ceci dit, Kashyapa menait une vie d'ascétisme le plus fanatique ; ses trois femmes se partageaient la couche d'une simple cabane en bois.

Satisfaites car le prajapati leur avait donné de beaux enfants, Aditi et Viniata ne se plaignaient point, mais ce n'était pas le cas de Diti dont les espoirs d'être mère s'amenuisaient de jour en jour.

Un jour, Diti le suivit dans cette solitude pour lui faire part du chagrin qu’elle ressentait de se voir sans postérité. Lorsqu’ils se trouvèrent tous les deux sans témoins, elle lui tint ce langage :

« Voilà déjà longtemps que je vous ai pour époux mais j’ai la douleur de n’avoir pas encore mis d'enfants au monde. Vous savez bien qu’une femme stérile est partout regardée avec mépris ; délivrez-moi donc de cet opprobre en me donnant des enfants. »

Pour se délivrer des sollicitations importunes de sa femme, Kashyapa lui répondit qu’il tâcherait de satisfaire ses désirs mais que pour cela, il n'était pas bon qu'il choisisse un temps et un lieu destinés à la contemplation. Il la renvoya donc à leur foyer en lui promettant de s’occuper plus tard de ses ardents désirs.

Cependant Kashyapa ne parvint pas à éluder la demande de sa femme ni même à fuir en quelque lieu plus reculé encore pour se soustraire à ses poursuites. Enfin, elle le saisit par la toge et exigea qu'à l’instant même il satisfît ses désirs et mît un terme à sa douleur.

Kashyapa, Rishi Céleste, savait bien des choses grâce à son don de clairvoyance, mais aussi parce qu'il était lui-même l'un des créateurs de la vie dans l'univers ; ce n'était pas sans raison qu'il avait souhaité se défiler de ses devoirs envers Diti. Kashyapa savait en effet qu’elles devaient être leurs suites funestes puisque sa femme était condamnée à ne mettre au monde que des Assura, des fils de la Matière, des géants brutaux, parfois démoniaques, toujours orgueilleux et à jamais dépourvus de ce qui rendaient les dieux, leurs demi-frères, doux et magnanimes.

Kashyapa, la divinité céleste qui incarne la Conscience Créatrice, s'adressa alors à sa femme Diti, la Mère de la Matière et lui dit :

« Malgré tout ce que je t'ai enseigné jusqu’à présent sur le contrôle de soi, tu n'es toujours pas capable de te restreindre. Peut-être que si je t'avoue que tu es condamnée à ne mettre au monde que des monstres, serais-tu plus touchée ? Renonce donc à ta postérité car des malheurs en dépendent ! »

Diti n’écouta cependant pas son mari mais seulement sa passion. Elle ne varia pas sa demande et exigea qu’elle fût satisfaite à l'instant même. Kashyapa dut alors se résoudre à satisfaire ses désirs. Diti conçut et mit au monde deux jumeaux qui furent bien entendu des monstres. Il s'agissait de Hiranyaksha, l’Avarice et de Hiranyakashipu, la Cupidité, deux démons qui n'étaient autres que les réincarnations de Jaya, la Victoire et Vijaya, le Succès, les deux gardiens du Vaikuntha auxquels les fils rebelles de Brahma, les quatre jumeaux Kumaras, avaient infligé une malédiction. » Récit inspiré du Bhagavata Purana (trad Burnouf).

 

Narasimha contre Hiranyakashipu

« À peine furent-ils nés que l'Avarice et le Luxe jetèrent partout l’épouvante. Ennemis des dieux comme des hommes, les garnements firent la guerre à chacun. En vérité, ils n'étaient nés et ne vivaient que pour faire du mal à l'humanité, persécuter et blasphémer les dieux.

L’aîné de ces deux monstres était Hiranyaksha, « Œil d'or », le démon de l'Avarice. De lui naquirent tous les autres démons asuras qui infestèrent bientôt l'univers. Le plus jeune s'appelait Hiranyakashipu, ce qui veut dire « coussin d'or » : il devint le démon du Luxe et de la Vanité.

Peu de temps après leur naissance, l'Avarice et la Cupidité s'en allèrent trouver Brahma, lui rendirent leurs hommages, et après lui avoir prodigué toute sorte de louanges douces comme le nectar, ils lui annoncèrent qu’ils étaient venus le voir pour solliciter de lui une grâce. Brahma, charmé des éloges qu’il venait d'entendre leur répondit qu’il était prêt à leur accorder tout ce qu’ils pouvaient souhaiter. « Rendez-nous immortels, lui demandèrent alors les asuras, puisque rien n’est au-dessus de ton pouvoir, ô Brahma !

_ Cela très exactement, je ne peux pas vous le donner, leur avoua le Père des créatures célestes, mais vous aurez au moins en partie ce que vous désirez, continua-t-il, car je vous bénis d'un sort divin : ni les dieux ni les hommes ne pourront vous mettre à mort... Plus encore, vous ne mourrez ni sur terre, ni de jour, ni de nuit ! »

Les frères, fiers de la grâce qu’ils venaient d’obtenir, ne firent qu’augmenter leur tyrannie. Ils inondèrent la terre de sang et de carnage, ils n’épargnèrent ni les dieux ni les sages les plus saints qui, même à l’abri dans des grottes reculées des montagnes, ne connaissaient plus la sérénité.

Touché des maux qu’avaient à endurer les dieux et les hommes, Vishnou voulut y remédier. Mais comme il savait que les frères démoniaques ne pouvaient être mis à mort ni par les dieux ni par les hommes, il décida, afin d'en venir à bout, de s'incarner en Narasima, une créature hybride et monstrueuse, mi-homme mi-lion dont la gueule vomirait des flammes ainsi que d’horribles rugissements et dont l'allure inspirerait la terreur.

Hiranyakashipu avait un fils nommé Pohilada, qui était aussi vertueux que son père était méchant. Pohilada était un fervent dévot de Vishnou ; il chantait sans cesse le nom de Krishna, son glorieux avatar. Un soir, indigné de la dévotion de son fils, le père se mit en colère. Alors que la lune se levait tout juste, il lui dit : « Qu’est-ce donc que ce Krishna dont tu ne cesses de dire du bien ? Sais-tu seulement où il habite et quelles sont sa famille et sa profession ?

_ Ce Krishna dont vous parlez avec mépris, répondit Pohilada, c'est l’Être-Suprême ; il est partout et vit en toute chose ! 

_ Balivernes ! répartit l’assura, Krishna, n’est qu’un pêcheur et un menteur ! Tout le monde sait bien qu'il fut élevé dans la maison du vacher Nanda Baba ! » Puis il ajouta d'un ton sarcastique : « Mais dis-moi, puisque tu es un de ses admirateurs, tu dois savoir où il réside à présent ce Krishna ! Montre-le-moi donc, que je l’immole sur-le-champ ! 

_ Père, Cesse de blasphémer le divin nom de Krishna ! Je te le redis, Krishna est le maître du monde, c'est l’Être-Suprême, et même si nous ne le voyons pas, il est en vérité partout autour de nous !

_ Puisqu’il est partout, il sera sans doute aussi dans cette branche ! », hurla de fureur Hiranyakashipu qui s'était saisi d'une bûche qu'il fracassa entre ses mains.

Les dernier rayons du soleil chatouillaient la Lune, ce n'était ni le jour, ni encore la nuit. C'est alors que sortit du bout de bois brisé Vishnou, sous la forme de Narasimha, « l'homme-lion ». Sachant que le géant ne pouvait être mis à mort sur la terre, la créature mi-féline mi-humaine le saisit et le jeta en l’air puis le récupéra en l'écrasant sur sa cuisse pour le déchirer en plusieurs pièces et délivrer par là même la Terre de la calamité du luxe et du confort superflu. » Récit inspiré du Bhagavata Purana.

 

Le nain Vamana et Bali

Le sage Prahlada, le fils d'Hiranyakashipu devint à son tour roi des assuras. Il eut un fils qui lui-même eut un fils, nommé Bali. Il fut élevé dans la vertu et la dévotion jusqu'au jour où il succéda à son grand-père. D'abord, son règne fut caractérisé par la paix et la prospérité et il étendit son royaume, prenant le monde entier sous sa main bienveillante. Il conquit même l'enfer du Naraka et arriva aux portes du Svarga, la demeure d'Indra et des autres dieux.

Afin d'agrandir encore son royaume, Bali effectua le sacrifice du cheval (ashvameda), qui consiste à laisser un cheval errer à sa guise et ainsi, par ses mouvements, délimiter le royaume. À la fin du rituel, le cheval était sacrifié par le Feu considéré comme le plus sacré des sacrifices. Cependant, Indra, au nom des dieux et de leur sauvegarde, fit de même, et les deux personnages renchérirent l'un sur l'autre des milliers d'années durant sans que l'un d'eux ne pût prétendre avoir fait un sacrifice de plus que l'autre ni donc prétendre à la souveraineté sur le domaine du Svarga.

Cependant, dans un souci de maintenir la balance entre le bien et le mal alors absents de l'univers, durant le sacrifice de Pouroucha, du pouce de la main droite de Brahma, surgit un mystérieux rishi nommé Daksha. Celui-ci eut de nombreux fils avant d'avoir de nombreuses filles.

Ses fils furent nommés les Danavas car ils avaient été engendrés de son union avec Danu, la déesse de l'océan du chaos. Aussi puissants que les Dévas, aussi honnêtes que leurs cousins célestes, les Danavas furent d'abord la gloire de la Création. Mais alors que Bali gagnait en pouvoir, ils trahirent les dévas et s'unirent au roi des assouras pour causer leur perte.

Kashiapa, attristé de voir sa descendance les assouras se comporter aussi mal, retourna visiter sa première femme Aditi, espérant voir de leur union émerger un nouvel espoir pour les dévas, qui étaient de tous ses fils ceux qu'ils chérissaient le plus car leur rôle à chacun était essentiel à la subsistance de l'univers. C'est alors que Vishnou, qui avait favorisé la puissance de Bali dans le simple dessin de donner une leçon d'humilité au roi des dieux, s'incarna sous la forme du nain Vamana, le dernier fils d'Aditi et Kashiapa. Puis il s'en alla trouver le roi Bali afin de ne lui adresser qu'une seule requête : que le roi lui donnât autant de terres qu'il pouvait parcourir en trois pas afin qu'il puisse travailler à sa subsistance et vivre en ascète

Malgré les mises en garde de ses conseillers qui auguraient là une mauvaise affaire, Bali, jusqu'alors maître des deux mondes inférieurs, le Patala souterrain et la Terre, fut amusé par le nain dont il accepta le marché car il avait bon cœur et considérait en très haute estime ceux qui dédiaient leur vie à Vishnou.

À la stupéfaction générale, Vamana grandit soudainement dans d'immenses proportions. De son premier pas il traversa toute la Terre et l'Enfer, et de son deuxième pas il traversa le domaine céleste du Svarga, prenant ainsi possession de l'univers.

La Terre sous ses pieds et le ciel en guise de couronne, le nain souriait alors de toutes ses dents, heureux de pouvoir mesurer la terre, le ciel et les enfers en seulement trois pas.

C'est alors que les dieux, un par un, selon l'importance du rite védique qui leur était attribué, jetèrent au pied du maître de l'univers, les étoiles qui scintillaient dans le vaste ciel, semblables à des fleurs au pollen évanescent.

Acceptant sa défaite et voyant que Vamana n'avait plus de place pour son dernier pas, Bali proposa humblement d'offrir sa propre tête comme dernière étape au nain qu'il savait être Vishnou, car seul Vishnou pouvait montrer une puissance supérieure à celle d'Indra associée à une intelligence sans faille.

Cependant, Indra, furieux de se voir sans cesse disputer son autorité sur le Svarga, profita de l’inattention de son adversaire et le foudroya de son vajra, le forçant ainsi à rejoindre l'enfer du Naraka et à en faire sa dernière demeure. Impressionné par sa foi et sa fidélité à toute épreuve, Vishnou bénit tout de même Bali et lui confia les clés du Sutala, le troisième monde inférieur et souterrain, qui compose le premier des enfers.

Ainsi, grâce à son amour de Vishnou, Bali connut la Moksha après sa mort, c'est à dire la libération de son âme. Depuis, libre d'un corps qui n'est plus, Bali rend visite en ami et aussi souvent qu'il le désire à Vishnou, en son domaine céleste du Vaikunta. De son corps transpercé des éclairs lancés par Indra, naquirent les pierres précieuses : ses yeux devinrent des saphirs, son sang des rubis, sa chair du cristal, ses os des émeraudes, sa langue du corail et ses dents des perles de nacre.

Quant aux Danavas, les fils rebelles de Daksha et Danu, ancêtres des créatures fourbes et maléfiques qui peuplent depuis l'univers, les dévas les rejetèrent au plus profond de la Terre, dans des cavernes où le soleil lui-même ne leur rend jamais visite. Là, ils attendent dans la peur la fin du monde et le déluge qui les feront retourner à l'océan initial dont ils sont originaires.

Manou le premier homme

L'hindouisme propose des connexions avec les mythes sémites et sumériens les plus importants, comme par exemple le mythe de Manou, que nous connaissons sous nos latitudes comme celui de l'arche de Noé. Ce mythe, loin de se limiter à sa version judaïque, trouve en vérité son origine dans les plus ancienne tablettes d'argile jamais gravées par les scribes. Le Manou indien, le Noé juif est en effet l'Athrahasis acadien et le Uta-Napishtim sumérien, dont la légende remonte pour ses première traces au troisième millénaire avant notre erre.
 

*

Le déluge provoqué par les asuras avait détruit toutes les créatures vivantes... Toutes exceptées Manou, le premier homme qui fut donc aussi le dernier.

Seul au monde, celui-ci passa dès lors sa vie à prier et à jeûner, dans l’espoir d’obtenir des enfants. De très longues années, il fut solitaire des sacrifices en honorant la mer par de continuelles offrandes de lait, de fromage et de beurre clarifié, quand enfin, suite à l'intervention du divin sanglier, les eaux refluèrent.

Manou s'installa alors dans une grotte qui surplombait une vallée de très haute montagne. En vue des pics enneigés de l'Himalaya qui lui fournissaient la plus belle matière à réflexion et à contemplation, Manou recommença alors à prier, à méditer et à honorer les dieux, les prajapatis et la sainte Trimurti afin qu'il puisse connaître une femme qui lui donnerait un enfant pouvant assurer la pérennité du genre humain.

Au bout d’un an, une femme sortit des eaux qui n'avaient pas encore totalement refluées, . Les dévas Mitra et Varouna s’approchèrent d’elle et lui demandèrent:

«  Qui es-tu ?

_ La fille de Manou.

_ Veux-tu nous appartenir ?

_ Nullement car je suis à celui qui m’a mise au monde. »

Les deux dieux eurent beau la presser, elle résista à leurs avances et s’en vint trouver Manou qui lui demanda à son tour :

«  Qui es-tu ?

_ Ta fille.

_ Et comment serait-ce donc possible ?

_ Les offrandes de lait, de fromage et de beurre clarifié que tu faisais à la mer m’ont donné la naissance ; je suis la personnification d’un vœu formé jadis par toi. Unissons-nous ensemble pendant le sacrifice et, si tu y consens, tu auras de riches troupeaux et une grande postérité. Je te l'assure, les souhaits que nous exprimerons en commun ne manqueront pas de se réaliser. »

Manou s’unit donc à elle, dans sa grotte, sur l'emplacement même où il avait l'habitude d'allumer le feu sacrificiel et d'effectuer ses rituels. Longtemps ils vécurent ensemble, priant, jeûnant, désirant de nombreux descendants. Grâce à elle, Manou donna naissance à cette race dont nous faisons tous partie et qui encore de nos jours est appelé la race de Manou.

Grâce aux graines, plantes et diverses espèces animales domestiques et sauvages que Manou avait eu la présence d'esprit d'entreposer dans son navire, le couple n'eut pas de mal à continuer la Vie sur Terre.

Impressionné par sa piété dont la renommée franchissait les barrière du temps et de l'espace, le prajapati Brigou se rendit sur Terre pour rendre visite à Manou. Émerveillé par la sagesse du roi des hommes, qui avait su attirer à lui la confiance de Vishnou lors du déluge, Brigou le nomma gardien de l'univers pour la période qui s'étend d'un déluge à l'autre, fondant ainsi sur Terre une dynastie qui donnerait naissance, entre autres héros légendaires, aux pieux rois Dhruva, Harishandra, Bharata et Rama.

Au long de l'Histoire, il exista donc plusieurs Manous, qui furent tous l'incarnation du même Manou initial, apparaissant de manière récurrente pour annoncer le début ou la fin d'un cycle. Chaque Manou règne alors pendant une période de temps appelée Manwantara, longue de plus de 306 millions d'années et durant laquelle la civilisation humaine naît, prospère puis périclite. Lors du Déluge cyclique, la Grande Ours descendra alors sur Terre en amenant les prajapatis, afin que ceux-ci sauvent Manou et les Védas en les emportant avec eux au plus haut de l'univers, dans les domaines de Vishnou, Brahma et Shiva, qui ne connaissent ni début ni fin et donc qui ne sont pas sujets au déluge et au chaos régénérateur qui le suit.

 

Après l'avoir intronisé gardien des Védas, Brigou se mit ensuite en devoir d'enseigner à Manou tous les secrets du Dharma, la loi cosmique censée régir les existences. Pour ce faire, le prajapati s’assit un soir près de Manou puis lui dit simplement :

« Manou, celui qui t'a sauvé n'est autre que Vishnou. Grâce à lui le monde t'est à nouveau offert, chante donc sa grâce pour l’éternité. »

 

Puis le prajapati dicta les sentences suivantes au roi des hommes:

 

« Manou, il faut que tu saches que chaque existence doit chérir l'existence et non la combattre. Enseigne donc à tes congénères que l'Ahimsa doit être pratiqué. Il s'agit du refus de violenter et de nuire aux créatures que les dévas ont jugé bon de faire vivre et se reproduire. L' Ahimsa induit la pratique de la véracité, l'abstinence du vol, ainsi que la pureté et le contrôle des sens. Quant à ceux qui permettent que soient tuer des animaux, ceux qui amènent ces animaux à l’ abattoir, ceux qui les massacrent, ceux qui vendent leur viande, ceux qui l'achètent, ceux qui la cuisinent, ceux qui la servent, ainsi que ceux qui la mangent, tous sont des meurtriers et tu devras les considérer comme tels. »

 

Après ces dures paroles qui avaient pour dessein de sauvegarder la vie des centaines de milliards d'êtres vivants à venir, Brigou s'assura que Manou avait bien tout mémorisé en lui demandant de répéter ce qu'il venait de dire. Manou ayant récité sans faute les divins mots du rishi, celui-ci continua son sermon en abordant le thème central des castes et du respect que devaient avoir les hommes envers elles.

 

« Manou, sois en certain, le rôle qui a été assigné aux quatre castes universelles que sont les varnas doit être respecté par chacun des membres de la société. Un brahmane se doit donc d’exceller dans la pratiques des rites mystiques, un soldat doit savoir défendre sa nation en cas de guerre et l'administrer avec justice en cas de paix, un commerçant ou un propriétaire terrien, doit savoir faire prospérer sa société et non pas seulement s'enrichir individuellement. Enfin, un travailleur doit travailler dur et avec zèle pour que les trois autres catégories sociales puissent s'épanouir correctement. C'est ceci, et exactement ceci que tu enseigneras à tes sujets. En cas de litige, sache enfin qu'une femme, issue d'un brahmane et d'une shoudra, et qui porte l'enfant d'un membre d'une plus haute caste, cette nouvelle lignée n'attendra la plus haute caste qu'au sein de la la septième génération issue de cette union. Durant sept générations, la descendance d'une telle union devra être considérée comme appartenant à la caste inférieure. Quant à celui qui a été engendré par un noble avec une femme non-noble, il peut devenir noble par ses vertus. Cependant, celui qui a été porté par une mère de sang noble, mais qui a pour père un homme du commun, celui-là restera pour toujours l'opposé d'un aryen.

Selon cette règle, continua le prajapati, si un homme d'origine impure n'appartient à aucune caste, et que son caractère n'est pas connu, qu'il n'est pas aryen mais en a l'apparence, alors tu pourras découvrir ce qu'il est véritablement en observant ses actes. S'il a le sang pur, il s'abstiendra par exemple de certains comportements tout à fait indignes d'un aristocrate, telles la grossièreté, la dureté, la cruauté, et la négligence des devoirs prescrits, qui sont autant de faiblesse trahissant un homme d'origine impure.

Enfin, s'il est difficile mais possible à un shoudra d'attendre le rang d'un brahmane, il est beaucoup plus facile pour un brahmane de choir au niveau d'un shoudra, et il en va de même pour la progéniture d'un guerrier kshatriya ou d'un commerçant vaishyas. »

 

Ces derniers mots prononcés, Brigou laissa Manou libre de veiller au maintien de la vie sur Terre, à travers le respect des règles fondamentales du Dharma. Grâce à ses précieuses recommandations, Manou put donner naissance à une civilisation glorieuse et accomplie en tous les domaines.

 

Manou, qui eut des dizaines d'enfants, est donc notre le père de l'humanité car c'est de lui que descendent les castes brahmane, kshatriya, vaishya et shoudra, qui composent, depuis, toute société humaine. Cependant, au temps du premier Manou, brahmanes et kshatriyas étaient élevés dans le même amour, le même respect et la même connaissance des Védas. Ce n'est que plus tard, alors que l'humanité s'éloignait du passage de Brigou sur Terre, que les castes et leurs membres se tinrent à distance les unes de autres. Quant à ses nombreuses filles, Manou les éleva comme de véritables kshatriyas, tenant à ce qu'elles soient elles-mêmes des championnes dans la maîtrise des arts guerriers.

Manou offrit d'ailleurs une de ses filles, Prasuti, la Maternité, au rishi Daksha, qui s'accoupla alors à elle et obtenu de nombreuses autres filles. Dans leur ordre de naissance, il s'est agit de la Foi, de Bhakti, l'Adoration, de la Rigueur, de la Résignation, de l’Épanouissement, du Sacrifice, de la Dévotion, de l'Intelligence, de la Modestie, du Charnel, de l'Expiation, de la Perfection, de la Gloire, de la Célébrité, de Sati, la Vérité, de la Forme, de la Mémoire, de la Compassion, du Pardon, de l'Humilité, de l’Indifférence, de l’Énergie, de l'Offrande rituelle et enfin de la Libation.

Les treize premières filles de Daksha se consacrèrent au Dharma, l'Ordre Suprême de l'univers. Les femmes du Dharma sont donc Piété, Adoration (Bhakti), Rigueur, Résignation, Épanouissement, Sacrifice, Dévotion, Intelligence, Modestie, Charnel, Expiation, Perfection et Gloire.

Daksha maria ses autres filles avec les rishis célestes de sorte que la Célébrité se maria avec Bhrigou, la Forme avec Mariatchi, la Mémoire avec Angiras, la Compassion avec Pulastya, le Pardon avec Pulaha, l'Humilité, avec Cratou, l'Indiférence, avec Atri et l'Énergie, avec Vashishte. De ces unions, le plus productif des rishis, fut Cratou, car avec Humilité il eut 60 000 enfants, qui dès lors peuplèrent les trois mondes.

Daksha maria enfin deux de ses filles avec des dévas : l'Offrande se maria avec Agni, le dieu du feu, et la Libation fut associée aux services des Ancêtres, les Pitris. Quant à la Vérité, Sati, contre l'avis de son père, se consacra à Roudra.

Enfin, Manou fut aussi le père de cinquante autres enfants, qui n'appartenaient à aucune des quatre castes, mais de cette engeance, tous moururent en se disputant et en s’entre-tuant.

 

Dhruva, l'homme élevé au rang de roi des planètes

Récit inspiré du Vishnou Purana et du Bhagavata Purana

Un des nombreux fils de Manou fut Uttanapada, et Uttanapada eut un fils appelé Dhruva issu de la caste des guerriers et futur héritier de la couronne. Bien qu'il ne fît pas partie de la caste des brahmanes, Dhruva, dont le nom en sanskrit veut dire Abnégation, avait dédicacé sa vie à Vishnou qu'il adorait sans cesse, chantant ses noms ou prenant ses avatars comme objet de ses méditations. Encore adolescent, Dhruva avait ainsi quitté le palais royal pour errer dans la campagne et chanter les louanges du nain Vamana, de l'homme-lion Narasima ou encore du glorieux poisson Matsia.

Le temps passant, Vishnou fut heureux de ses dévotions et lui proposa de réaliser un de ses souhaits car ce n'était plus à Brahma, leur créateur, que les hommes adressaient à présent leurs prières mais à Vishnou qui les avait si souvent sauvés.

N'importe qui, à la place de Dhruva, aurait demandé toutes les richesses de la Terre, une vie éternelle ou au contraire la Moksha, autrement dit la fuite en dehors du cycle de la naissance et de la mort... Or, ce ne fut pas ce que demanda le prince de la Terre, qui était si sage, qu'il ne possédait plus aucun désir.

Cependant, l'éducation que Dhruva avait reçu et qui était propre à un futur roi et non à un prêtre, ne lui avait pas permis d'apprendre la correcte diction des Védas. Dhruva demanda alors simplement et humblement à Vishnou de le doter du talent de chanter correctement ses louanges, c'est à dire d'être initié aux Védas.

Vishnou lui ayant assurément accorder son vœu, après des années d'errance ascétique, Dhruva retourna chez lui et fut accueilli chaleureusement par sa famille qui organisa des festivités en son honneur durant toute une année. Ensuite, Dhruva fut couronné roi des rois et régna justement et dans le respect des lois énoncées par Manou quelques décennies plus tôt.

L'humilité de Dhruva et son absence totale de désirs personnels émurent et impressionnèrent tellement les dieux que tous, d'un commun accord, l'élevèrent à sa mort jusqu'à l'Étoile Polaire, au sommet de l'univers, là où se situe le trône du roi des étoiles, ce qu'il devint aussitôt. Vishnou fit alors de lui un corps céleste qui existe dans l’éther mais ne s'incarne pas dans un corps. Dhruva devint donc immortel, grâce à quoi, à la fin des temps, quand l'univers serait inondé, il survivrait au déluge car il saurait trouver refuge dans le Vaikuntha, le paradis de Vishnou. En attendant, avec les Prajapatis, Dhruva fait partie de la congrégation des gardiens de l'ordre cosmique, dont les résidences sont situées dans de multiples dimensions.

 

Pritou et la Terre

Extrait du Harivamsa (trad. Langlois)

Sous la direction de Manou puis de Dhruva, la Terre et ses habitants avaient quitté l'âge d'or pour entrer dans celui d'argent, et le déluge provoqué par les assuras n'était plus qu'un souvenir dont on se transmettait le récit de pères en fils.

Sur la Terre que les hommes avaient peuplée, le moment du baptême royal de Pritou, un kshatriya descendant de Manou, était arrivé. De tous côtés arrivèrent auprès de lui les dieux des mers, des fleuves et des eaux, chargés de pierres précieuses pour les lui présenter.

Brahma lui-même, les dieux, les Prajapatis et leur créatures, ainsi que tous les êtres animés et inanimés, s’assemblèrent pour assister au sacre d’un prince vertueux, environné de gloire et de puissance, et élevé au rang suprême pour le bonheur de la Terre. Les cérémonies solennelles furent accomplies par de savants Brahmanes et suivant le rite sacré, et Pritou fut reconnu roi des rois.

Lors de la cérémonie, les prajapatis chargèrent les brahmanes de la Terre de célébrer les louanges de Pritou:

«  Chantez le noble Pritou pour les actions qui doivent le distinguer un jour, leur dirent-ils. Dites-lui ce qu’un roi doit être! Apprenez lui qu'il doit être l'ami de la vérité, toujours équilibré, équitable, honorable, affable, patient, fort, puissant contre les méchants, instruit dans les lois, reconnaissant, clément, aimable en ses discours, respectable, religieux, savant dans la science sacrée, doux, calme, agréable et habile à déterminer la justice issue des procès! Voilà ce que vous pouvez lui chanter! »

Depuis cette époque la poésie, par l'intermédiaire des poètes, élève par ses éloges, la gloire et le bonheur des Grands.

Dès lors, les mortels éprouvèrent la bienveillance du nouveau roi dont les vertus semblaient accroître une population heureuse de naître sous lui. Quand il devait aller sur la mer, les flots s’arrêtaient calmes et tranquilles ; quand il devait gravir les chemins les plus escarpés, les montagnes s’ouvraient pour lui faire un passage. Son drapeau était partout respecté. La terre, d’elle-même et sans travail, produisait à volonté des fruits toujours mûrs ; les vaches donnaient sans cesse leur lait à qui voulait les traire, et le miel se formait dans le calice du lotus. En cela, rien ne distinguait ce nouvel âge de l'ancien.

Cependant, Hirankashyapou, le démon du luxe, du confort et de la vanité, avait laissé sur Terre des traces de son passage que le déluge lui-même n'était pas parvenu à effacer. Ainsi, les hommes bientôt ne se satisfirent plus des fruits qui tombaient des arbres pour eux. Ils commencèrent alors à prier Brahma et les Rishis Célestes afin de connaître un régime alimentaire plus varié.

Les Vénérables Rishis, heureux de voir les mortels aimer ce roi qui leur était destiné, dirent aux hommes : « Pritou vous donnera des moyens de subsister ! »

Alors ceux-ci vinrent aussitôt trouver Pritou : « Les Vénérables Sages, s’écrièrent-ils, nous l’ont promis, c’est grâce à toi que nous obtiendrons notre subsistance. »

Pritou, ainsi pressé par les mortels qui l’entouraient, tâcha de condescendre à leurs désirs. Il prit son arc et ses flèches et violenta la Terre pour qu'elle ouvrît ses mannes. Celle-ci, effrayée s'enfuit devant le valeureux roi et se changea aussitôt en vache, révélant par là même que Shakti, la déesse-mère, et Kamadenyu, la vache céleste, étaient une seule et même divinité.

Pritou, l’arc à la main, poursuivit la fugitive qui, poussée par sa crainte, parcourut à la hâte tous les mondes, allant même là où régnaient Brahma et les autres dieux. Mais toujours elle apercevait Pritou à ses trousses, qui tenait son arc tendu, et la menaçait de ses flèches tranchantes et brillantes. Rien ne semblait impossible à celui que les Rishis avaient choisi comme roi de la Terre et puissant par sa foi. Pritou était alors redouté des dieux eux-mêmes qui refusèrent cette fois-ci de porter secours à la Terre.

Ne trouvant aucun protecteur, la Terre s’approcha enfin de Pritou. Celle que les trois mondes révéraient fut respectueuse devant le roi des rois et lui dit ceci :

« Pritou ! Non, tu ne voudras point te déshonorer par la mort d’une femme… Sans moi, comment pourrais-tu faire vivre les mortels ? C’est moi qui soutient tous les hommes, de moi que dépend la vie du monde. Ô roi, sans moi mourraient tous les êtres. Si tu veux le bien de tes sujets, tu ne dois pas vouloir ma mort. Ô toi, qui es mon protecteur, daigne écouter ma voix. Sache que l'on prépare par la réflexion le succès d’un projet. Réfléchis donc plutôt aux moyens d’assurer la subsistance des mortels car ce n’est pas en me détruisant, ô roi, que tu pourras remplir ce dessein. Ne t'a-t-on pas dit qu’il faut respecter la vie des femmes, ô prince ? Alors n'oublie pas les règles du devoir ! »

Entendant ce discours, le sage monarque, que l’amour du devoir animait, sentit fléchir son courroux et lui dit :

"Celui qui, pour l’intérêt d’une seule personne, de lui-même ou d’un autre, donne la mort à plusieurs êtres animés ou même à un seul, commet un péché. Mais quand cette mort a pour motif l’intérêt du grand nombre, alors, ô ma chère, il n’y a point de faute ! Il n’y a a pas même l’apparence d'une faute ! Mais surtout, si la mort d’un méchant doit faire le bonheur de la multitude, alors dans ce cas, l’homicide est une action pieuse !

Oui, je te frapperai, ô Terre, pour le bien des mortels, si tu refuses de m’écouter et de suivre mes ordres ! Je veux le bonheur des hommes et c’est en vain que tu détournes la tête et que tu t’obstines à me désobéir. Quoi qu'il en soit, je saurai fournir la nourriture aux mortels, quand bien même je devrais employer le fer contre toi. Ce sera même pour moi un sujet de gloire ! Soumets-toi donc à ce que je demande, ô toi qui connais les règles du devoir. Fournis la subsistance de tous les êtres car non seulement tu le dois, mais tu le peux ! Il n'y a que si tu deviens ma fille, que je retiendrai cette flèche redoutable qui est prête à te percer. »

À ce vigoureux discours, la Terre répondit :

« Ô prince, je respecterai toutes tes volontés, je le promets. C’est par la réflexion qu’on prépare le succès d’un projet. Réfléchis donc au moyen d’assurer la subsistance des mortels et je t'obéirai. Vois-tu ce veau que je nourris ? il faut m’en séparer, et niveler partout le sol terrestre, de sorte que mon lait, ô sage monarque, s’épanche également de tous côtés. »

Durant les Manvantaras précédents, la surface de la Terre avait été inégale et hérissée d’immenses aspérités. Tel ne fut donc pas son état sous le règne de Pritou qui, de la pointe de son arc, aplanit en un instant des milliers de montagnes. La Terre se découvrit alors de toutes parts. La chaîne de l'Himalaya se forma et Brahma nomma Himavat roi des montagnes et chef d'un empire montagneux qui commence dans les steppes sibériennes pour finir dans le golfe du Bengale. Himavat fut le père de Parvati, la princesse des montagnes qui devint plus tard la compagne de Shiva.

À cette époque, la Terre raboteuse et rude n’était point partagée en villes ou en villages. Point de moisson, point de soin des troupeau, point de labourage, point de commerce ; mais aussi point de fourberie, de cupidité, d’envie. C’est Pritou qui opéra ce changement radical que l'on nomme néolithique et qui correspond à la sédentarisation des hommes et au début de l’agriculture.

Partout où la Terre s’aplanissait, les hommes y établissaient leurs demeures. Quand ils ne se nourrissaient que de fruits et de racines, leur vie était extrêmement malheureuse. Mais dès l’instant où Pritou, de ses propres mains, se mit à traire Prithvi, parurent des moissons de toute espèce. C'est donc grâce à la prévoyance de Pritou que les mortels d’aujourd’hui doivent leur nourriture.

Les Rishis Célestes accoururent alors pour boire le lait de la Terre. Les divers dieux se présentèrent eux aussi, avec Indra à leur tête. Le Soleil pressa pour eux la mamelle de la vache, d’où sortit un lait qui multiplia encore leur puissance. Leurs vases se remplirent alors des chants sacrés, de la pénitence et de la science éternelle de Brahma.

Le flamboyant Yama, seigneur du royaume infernal, ainsi que Kala, le gardien du temps et de la mort, ces deux juges qui connaissent si bien la vie des hommes, ont eux aussi trait la Vache Prithvi-Kamadenyu devenant dès ce jour la nourrice des Ancêtres, qui avant de s'en aller arpenter l’au-delà, passent leur enfance avec elle.

Les serpents, tirèrent aussi le lait de la Terre, mais ce lait fut pour eux du poison. Les assouras, dans un vase de fer, reçurent également le lait de la Terre, qui pour eux fut de la magie, funeste à leurs ennemis. La magie étant ce qui assure aux assouras leur puissance, elle est pour eux une science dans laquelle ils excellent.

Puis, dans un vase de terre non cuite, les bienveillants et pieux esprits de la nature, les Yakshas, prirent le lait de la Terre et ce lait pour eux, fut le pouvoir d’être invisibles et immortels.

Les Rakshasas et les Boots, qui sont les démons et les fantômes, s’approchèrent ensuite pour traire la Terre, se servant de crânes en tant que vase, qui étaient les débris de cadavres dont ils s’étaient nourris. C’est donc de ce lait que se nourrissent les rakshassas, les Yakshas, les monstres, les fantômes, et les esprits de la nature.

Arrivèrent ensuite les musiciens célestes, les Gandharvas, qui peuplent le Vaikunta, le paradis de Vishnou, et Indrapura, la ville des dévas. Les Gandharvas furent suivis de près par les Apsaras, ces nymphes qui peuplèrent bientôt le palais d'Indra. Toutes firent couler le lait de la Terre dans une coupe composée de pétales de lotus dont s’exhalaient de suaves parfums.

Les montagnes, avec Himavat et l'Himalaya à leur tête, prirent aussi le lait de la Terre. C’est le Mont Mérou lui-même qui a trait le lait et le vase dont il se servit fut la roche dont les reliefs sont formés ; dans ce vase grandirent les plus belles plantes et où se cachèrent les pierres les plus précieuses.

Enfin, la Terre donna son lait aux arbres et aux plantes, grâce à quoi ils furent bénits du grandiose pouvoir de repousser après avoir été coupés ou brûlés.

Ainsi, la Terre qui contient et produit tout, la Terre, source de toute pureté, devint le siège et la matrice de tous les êtres animés et inanimés. De tous côtés, bornée par la mer, elle donne à chacun, selon ses besoins, un lait nourricier ; elle se nourrit aussi elle-même de ce lait, et produit de son sein toute espèce de moisson.

Ainsi, on peut dire que c'est grâce au roi Prithvi qui la frappa, qu’elle fut purifiée et qu’elle se couvrit de fruits de toute sorte. C’est de lui qu’elle reçut sa couronne de villes et de cités. Depuis, les Brahmanes, instruits dans les Védas et les philosophies qui s'en inspirent, doivent honorer Pritou, source éternelle de la science divine.

De même, les princes de la terre, élevés au-dessus des autres mortels et avides de domination, les guerriers invincibles, qui désirent la victoire dans les combats, doivent honorer Pritou, le roi des rois qui fut à la fois chef et guerrier. Celui qui marche au combat en célébrant le nom du roi Pritou, traversera heureusement les champs de bataille les plus terribles et s’y couvrira de gloire.

Les Commerçants riches et opulents, occupés par leurs affaires, doivent également honorer l’illustre Pritou, qui assura jadis la subsistance de l'humanité.

Les Travailleurs eux-mêmes, purifiés par la dévotion, ceux que l'on appelle les Shoudras, les serviteurs des trois autres castes, doivent honorer le noble Prithou, qui a établi jadis l’ordre sur Terre.

Quelque temps après ses exploits, Pritou, qui s'était révélé être un avatar de Vishnou, se maria avec la princesse Archi, un avatar sur terre de la déesse Lakshmi.

 

C'est donc suite aux travaux de Pritou que la Terre prit la forme qu'elle a encore de nos jours.

La COSMOGONIE indienne

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