Une culture archaïque
On a pu considérer jadis le chamanisme comme relevant des sociétés de chasseurs-cueilleurs (Lot-Falck, Lommel, Hamayon). D'autres chercheurs (Mikhailov) rapprochèrent le chamanisme du nomadisme pastoral, quand d'autres encore étudièrent la persistance du chamanisme dans les sociétés agricoles modernes. Si pour certains (Clottes et Lewis-Williams1), le chamanisme est l'attribut religieux du Paléolithique supérieur, d'autres (Claude Levi-Strauss), s'opposèrent catégoriquement à l'idée, par trop hypothétique pour eux, d'un chamanisme universel préhistorique.
Ce que est certain, c'est que les sociétés humaines les plus archaïques et les plus isolées (Amazonie, Sibérie, Australie) possèdent un système religieux de type chamanique, tandis que les plus anciennes pratiques religieuses et rituelles enregistrées par l'Archéologie et l'Histoire témoignent de pratiques très clairement chamaniques2. Cependant, et la nuance est très importante : s'il existe des ressemblances profondes entre chamanisme sibérien, amérindien et australien, il existe aussi une infinité de différences doctrinales et rituelles, de sorte que si le chamanisme peut être considéré comme la première étape dans le développement mystico-religieux de l'humanité, il n'est jamais vraiment le même où l'on relève sa trace ancestrale ou bien sa présence actuelle persistante.
Pour l'un des pères de l'ethnologie française, Arnold Van Gennep (1873-1957), usé du terme « chamanique » à tout propos est un « étrange abus de langage » :
« Il ne peut pas plus y avoir de croyances chamanistes que de culte chamaniste, donc de religion chamaniste, pour cette simple raison que ce mot ne désigne pas un ensemble de croyances, se manifestant par un ensemble de coutumes, mais affirme seulement l'existence d'une certaine sorte d'hommes jouant un rôle religieux et social. [...] le fait d'avoir des sorciers, de croire en leur puissance supérieure est un fait, socio-religieux sans doute, mais qui ne suffit pas à constituer une religion [...] »3
Définir le chamanisme est donc une chose ardue. Sous l'influence des missionnaires orthodoxes russes, on tenta d'abord de le présenter comme le métier infâme de magiciens qui gagneraient leur vie sur la crédulité des paysans idiots. Ensuite, suivant des arguments psychologiques en vogue au début du 20e siècle, on accusa le chamane d'être atteint de problèmes mentaux ; on fit de lui un épileptique, un idiot du village. On le crut aussi pseudo-prêtre, mais d'un culte si superstitieux qu'il ne méritait pas le nom de religion ni même de tradition.
Parmi les premiers ethnologues à étudier sur le terrain les peuples amazoniens, l'anthropologue suisse Alfred Métraux (1902-1963) définie le chamane comme « tout individu qui, dans l'intérêt de la communauté, entretien par profession un commerce intermittent avec les esprits ou en est possédé. » Ce spécialiste de l'Amazonie propose ainsi une définition qui correspond autant au chamanisme sibérien classique qu'aux nombreux chamanisme amérindiens.
Pour Mircéa Eliade, dont l'ouvrage Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase (1951) constitue encore la pierre angulaire des recherches sur le chamanisme : « Le chamanisme est un ensemble de « techniques de l’extase », un « rite qui a pour fonction de conduire à l’extase, celle-ci étant définie comme une transe susceptible de supprimer les frontières entre veille et sommeil, entre ciel et terre, entre vie et mort, entre maladie et santé. »4 Le poète français Rémy Dumont, dans son essai Chamanisme, spiritualité et modernité trouve les mots pour décrire cet extase, dont Eliade fait l'essence du chamanisme :
« Indépendamment de la voie empruntée, cette prise de conscience du caractère éphémère, fragile et quasiment aléatoire de notre vie, si précieuse, portée par ce sentiment poussé au paroxysme de l'omniprésence du vide constitue assurément et à ce stade abouti le maître mot voire le cœur palpitant de cet édifice qui abrite la clé essentielle de la spiritualité chamanique. »
Dans son ouvrage majeur La Nourriture des dieux, le philosophe américain Terence McKenna (1946-2000) propose une définition proche mais résolument plus prosaïque et moins grandiloquente du chamanisme. Ce que Mircéa appelle « extase », McKenna le nomme « magie naturelle », mais l'idée est la même : le chamane est celui qui possède sur le monde des notions différentes, initiatiques, alternatives. « Le chamanisme, écrit-il, est une pratique issue des traditions curatives, divinatoires et théâtrales du Paléolithique supérieur. Basée sur la magie naturelle, elle s'est développée il y a de cela quinze mille ans. » Selon McKenna, dont nous partageons l'hypothèse, le chamanisme ne serait donc pas la plus ancienne forme de religion humaine, mais un stade intermédiaire entre le nihilisme athéiste primitif (dont témoignent les relativement pauvres mystiques et mythologies pygmée, aborigène ou eskimo) et le panthéisme tribal des sociétés néolithiques (qui est à la base des grandes civilisations antiques).
Le chamanisme aurait donc émergé lors de la Préhistoire pour se maintenir jusqu'à la fin du Mésolithique en Eurasie et jusqu'à la fin du 20e siècle pour les tribus les plus isolées de l'Amazonie, de Bornéo ou de la Sibérie. La pensée chamanique, qui allie usage des enthéogènes, dérèglement des sens et expériences extatiques salvatrices pour l'individu ou pour la tribu, serait donc un phénomène religieux hétérogène, mais diffus, organisé, pérenne et typique du Paléolithique supérieur (v. -40 000 à -10 000), et par conséquent contemporain des peintures rupestres et pariétales en Europe ou ailleurs. Si l'hypothèse d'un universalisme du chamanisme psychédélique se révèlait juste, son influence sur les systèmes religieux panthéistes, polythéistes et gnostiques de l'Antiquité se révélerait immense.
Le chamane
Le chamane, autrefois nommé dans la littérature « sorcier »5, est un personnage indispensable de la tribu. Responsable du lien entre les ancêtres, les vivants et le démiurge ou le maître des animaux, il est aussi guérisseur, artiste et enseignant. Le chamane est le membre de la tribu le plus doué pour « voyager dans les autres mondes », pour dialoguer avec les Esprits et pour retranscrire ce voyage sous la forme de danse, de musique et de conseils métaphysiques. Car si le chamane soigne, charme ou conseille, c'est uniquement à travers le média de son « voyage ».
En charge de l'initiation des adolescents, la règle veut qu'il consomme et fasse consommer des psychotropes afin de favoriser l'état de transe, mais des exceptions existent à cette règle. Ici, il consomme et voyage seul - là, seuls ses patients consomment tandis qu'ils voyagent ensemble. Ailleurs encore, personne ne consomme de psychotropes, le jeûne, la musique et la danse, la douleur même, provoquant la transe.
À travers une iconographie rare mais relativement homogène, on trouve la présence du chamane depuis le Paléolithique jusqu'à l'Antiquité : il porte une toque, un masque et des cornes (de bison, de cerf ou de bouc), des bois (de cerf) et des postiches. Il joue de la flûte, de la scie musicale et il danse. Sa danse est à la fois un discours, une prière ou un remède, et sa dimension politique accompagne toujours son rôle mystique initial, sans jamais le dominer ni le remplacer.
Les chamanes des îles Andaman sont les oko-jumu (« homme-médecine »). Selon l'anthropologue Alfred Radcliffe-Brown (1881-1955), les oko-jumu ne constituaient pas une classe à part du reste de la société villageoise, car tout le monde était théoriquement capable de communiquer avec les esprits. De même, chez les Inuits, le chamane (l'angakuit), n'est pas non plus le chef de sa communauté, mais plutôt son guérisseur attitré ; une sorte de sorcier6. Aussi, pour les Évenks de Sibérie, au Canada, dans le Golfe du Bengale, mais aussi en Amérique ; le chamane n'est pas un chef, mais un simple chasseur, simple père de famille, juste plus enclin que les autres à accepter la terrible responsabilité d'être le sorcier de la tribu.7 « Lorsqu'il n'exerce pas sa fonction, le chamane est, en principe, une personne ordinaire. Il se met en position de chamane à la demande de ceux qui sollicitent son aide. »8
Le chamane incarne donc les forces éternelles et immuables, tandis que le chef incarne les forces temporelles du commandement militaire.9 S'il existe, dans les chroniques chinoises et japonaises les plus archaïques, des rois chamanes (ou rois-sorciers, rois-magiciens10), le phénomène demeure marginal et la règle veut que les pouvoirs spirituels et militaires demeurent séparés. En Eurasie, les héritiers des chamanes que furent les druides et les brahmanes, conservèrent leur rôle de guérisseurs, de maîtres spirituels et d'enseignants, mais perpétuèrent aussi ce devoir de ne pas interférer dans le pouvoir exécutif de la tribu (lequel étant par principe assuré par la caste des cavaliers en Gaule et des kshatriyas en Inde).
Le chamane n'est donc pas un prêtre et il même s'il maîtrise l’illusionnisme comme média théâtral, il est bien plus qu'un magicien. Capable de combattre les mauvais esprits et les sortilèges des chamanes des tribus ennemis, il est un guerrier, mais de type spirituel, et dont la magie est une arme11. La responsabilité des chamanes est donc multiple : guérisseur et sorcier, il est aussi un pseudo-chasseur, car il lui revient la responsabilité de mener à bien les rituels pré-saisonniers qui ont pour objectif de garantir l'abondance de la chasse et de la pêche. « Veiller à la santé et à la bonne reproduction des troupeaux lorsqu'il s'agit d'un société pastorale, telle est aussi l'une des tâche du chamane » écrit Michel Perrin (1941-2015), le spécialiste français du chamanisme, dont le Que sais-je sur le chamanisme constitue une référence universitaire :
« La tâche du chamane était de s'accorder avec les esprits animaux afin de pouvoir capturer du gibier, et d'assurer ainsi l'équilibre et la perpétuité d'un cycle d'échanges entre les espèces animales consommées et la communauté humaine, cycle dans lequel circule la force vitale des animaux chassés et celle des hommes que consomment les esprits animaux. Dans cet échange entre monde animal et monde humain, conçu sur le modèle de l'échange matrimonial, chacun est " à la fois partenaire et gibier de l'autre ". Le rôle du chamane est de veiller à la perpétuation de ce cycle et à l'équilibre des échanges tout en s'efforçant de favoriser les humains. »12
Le spécialiste québécois des Abénakis, Arthur Guindon (1864-1923), ne s'y trompait pas lorsqu'il remarquait chez les tribus du Nord du Canada, que « la moitié de l’art de chasser, consiste en nécromancie et en invocations de génies tutélaires auxquels on attribue les songes. »13
Prenant la suite d'une vaste littérature « chamanique préhistorique », dans sa thèse en pharmacologie présentée en 201714, Auréliane Soubrouillard (de l'Université d'Aix-Marseille) poursuit l'idée d'un chamane gestionnaire de la chasse, en relation exclusive avec le dieu et/ou esprit du gibier :
« Il a aussi une fonction régulatrice : après négociation auprès du Maître du gibier, c’est lui qui indique aux chasseurs le nombre d’animaux qui pourront être tués pendant la chasse, de sorte que cela ne menace pas la pérennité de l’espèce et n’attise pas la colère des esprits du Monde-autre. Il s’avère donc être aussi le ¨gestionnaire des ressources naturelles¨. »
En somme, le chamane est le gardien, ou plutôt le connaisseur, de ce qui est invisible et qui pourtant agit sur la réalité : il est le détenteur d'un savoir que lui seul maîtrise. S'il guérit, ce n'est pas seulement grâce à sa connaissance des herbes médicinales, mais surtout grâce aux liens qu'il a su entretenir avec le monde des esprits, dont certains sont pour lui des amis et des alliés, tandis que d'autres sont des adversaires et des monstres. De même, si le chamane est capable de donner des conseils métaphysiques et s'il peut être un maître spirituel, ce n'est pas seulement grâce à son logos, mais aussi grâce à sa connaissance intime des plantes et de l'univers psychédélique, qui n'est autre que le « monde-autre » de Michel Perrin. Le chamane est donc un visionnaire, parfois nécromancien, souvent devin, dont la parole prophétique anime et organise la société primitive et tribale.
Enfin, si ce n'est la traditionnelle et obligatoire initiation post-adolescente, les chamanes ne suivent pourtant aucune formation ni aucun entraînement particulier. Plutôt, la vocation chamanique naît avec un enclin particulier pour le voyage psychédélique, mais aussi avec un certain sens artistique, qui s'observera dans leur pratique et leur maîtrise du rythme et de la danse.15
Ajoutons à cette rapide présentation, que le chamane est souvent considéré comme la réincarnation d'un précédent chamane. Cette nouvelle incarnation ne prend cependant pas nécessairement forme avant la naissance, mais peut se révéler au cour d'une vie. C'est le cas chez les Amérindiens de la rivière Yocum (Arkansas), dont le futur chamane se retire lors de son épreuve d'initiation, afin que « son prédécesseur le visite et lui donne les puissances surnaturelles. »16 On observe la même pratique chez les Tarahumaras17 du nord du Mexique, ainsi que chez les Aborigènes d'Australie : « C’est par révélation que la vertu magique s’acquiert dans la plupart des tribus australiennes. Normalement, c’est au cours d’un rêve ou dans un état extatique ou semi-extatique que cette révélation se produit. En principe, elle est le fait d’esprits, esprits des morts ou esprits purs. »18
Soignant les blessures de l'âme comme celles du corps, le chamane est un guide spirituel, capable de mener un individu tout au long de son cheminement spirituel ; de la naissance à la mort, en officiant lors des quelques principaux rituels d'initiation.19
L'extase
Par delà les époques et les lieux, ce qui unit le chamanisme et, par exemple, le brahmanisme, c'est un désir de transcendance, d'extase ; pour ces systèmes religieux, l'expérience est l’essence même de la croyance. C'est à travers l'expérience et non la raison ou la pratique du rituel20, que le chamane, le druide ou le brahmane accède à la « véritable réalité », laquelle est normalement brouillée par le voile de l'Illusion (Maya en sanskrit). Le pouvoir du chamane, du druide ou du brahmane est de « démasquer » la réalité afin d'apercevoir les choses telles qu'elles sont véritablement. Si le brahmane assume au quotidien une fonction de prêtre ritualiste, son ambition ultime est tout autre : le vœu des brahmanes, dont témoigne toute la littérature des brahmanas (v. -600), est de devenir rishi : c'est-à-dire un être illuminé, libéré de toute contingence, vivant en permanence l'extase, malgré sa présence physique sur terre (notion de Para-nirvana).
Pour le chamanisme comme pour le brahmanisme, l'établissement d'une communication directe entre le domaine terrestre et le domaine divin est souhaitable et même tout à fait réalisable. Le passage depuis le monde illusoire de la réalité, vers ce « monde-autre », « monde parallèle », mais permanent et sacré, contenant en lui les âmes des êtres vivants, le passé et le devenir de la faune et de la flore confondues21, est même un rite des plus fondamentaux. Ainsi, selon la doctrine tengriste, originaire de Sibérie :
« Nous savons que le voyage au ciel est un des exercices particuliers du sorcier : cette ascension cosmique finit, de nos jours encore, par le conduire au plus près du sommet des cieux, au plus près du grand dieu. Rien ne nous autorise à croire qu'il n'en était pas de même jadis. Nous aurions alors pour chaque homme la possibilité concrète d'être en rapport avec Tângri22, puisque, en principe, tout le monde peut devenir chaman. […] Le chaman a la nostalgie du voyage au ciel : passer de la terre au ciel et vice versa est une de ses fonctions primordiales : " La croyance chamanique implique la croyance dans la possibilité concrète de l'ascension au ciel. "23 Ce passage d'un niveau à l'autre se ferait réellement en souvenir d'une époque heureuse où tous les humains pouvaient passer à leur volonté de l'un à l'autre. »24
Avant l'importation du bouddhisme (v. 300 à 600) et du Bön (v. 1000) sur le haut plateau himalayen, le chamanisme de type mongole était présent sur le haut plateau tibétain. On retrouve donc dans le bouddhisme tibétain, et notamment dans le tantrisme, des concepts tout à fait typiques du « salut chamanique ». Dans ses commentaires au Bardo Thödol25, le lama sikkimais Kasi Dawa Samdup26 expose que « le but de toutes les écoles de Yoga indienne ou tibétaine, ainsi que le Bardo Thödol, est de dépasser ce lent procédé d'évolution normale et gagner la libération dès maintenant. »
L'expression « dès maintenant » signifie pour les Indiens le Samadi, qui est l'instant d'illumination qui saisit l'ascète. Chez les bouddhistes japonais existe un concept similaire, celui du Satori, qui est un court moment d'extase et de compréhension totale de l'univers, malgré la persistance du corps et de l'incarnation physique.
Cette transcendance immédiate et soudaine, propre au chamanisme, s'oppose à la sagesse obtenue par l'étude des Écritures (monothéismes abrahamiques) et à la pratique assidue des rituels (polythéismes classiques et antiques).
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les premières religions du salut, au sens qu'en donne les ethno-historiens (tels que le mithriacisme, l'orphisme et le christianisme) furent, à leur commencement tout du moins, des cultes pratiquant l'expérience psychédélique27 rituelle. Le dionysisme et le christianisme des premiers temps étaient des mystères qualifiés par les chroniqueurs d'orgiaques, dans le sens ou la danse rythmée et l'ingestion d'excitants mystiques (en particulier le vin, le cannabis et l'opium) étaient favorisés en vue de se rapprocher du divin. La présence du vin dans les rassemblements n'était d'ailleurs pas étranger au sentiment d'agapé28 ressenti par les premiers initiés chrétiens.
Si les religions du salut29 sont habituellement citées comme les premières à proposer le salut universel, c'est avant tout parce qu'elles tranchent avec le ritualisme de caste excessif des polythéismes classiques. Mais ce caractère inédit n'est donc en rien justifié : des millénaires avant l'avènement des cultes à mystères et à prophètes, le chamanisme, qu'elle que soit sa forme, proposait déjà un salut immédiat, quasiment instantané, sous la forme d'une extase, d'une transe, bien souvent provoquée par la consommation d'un enthéogène puissant :
« L'avantage du champignon est qu'il permet à tout un chacun (ou presque) d'atteindre les états de conscience d'un Blake ou d'un saint Jean à Patmos, sans avoir à passer par les mêmes austérités. Le champignon, comme toutes les substances psychédéliques naturelles, nous permet de voir, plus fortement et plus lumineusement qu'avec notre œil mortel, bien au delà des horizons de cette vie passagère; il nous permet de voyager dans le temps, de traverser d'autres niveaux de réalité, de connaître d'autres plans d'existence, comme disent les Indiens, il permet de voir dieu. »30
Le chamanisme, dont les universitaires trouvent la notion si volubile et dont nous peinons à donner une définition universelle, ne proposerait donc pas une gnose métaphysique, ni une philosophie de vie, mais simplement une expérience. Cette expérience ne reposerait pas sur une réflexion, sur un cheminement intellectuel ou même spirituel, mais plutôt sur une expérience totale qui se rapprocherait beaucoup du théâtre de la cruauté théorisée par Antonin Artaud31 : l'expérience de la nuit, du rythme et de la danse, galvanisée par la consommation massive d'excitants mystiques32 propose une initiation brutale qui « force » le monde « réel », celui des apparences, à se révéler dépouillé, comme purifié de la couche illusoire qui le salit habituellement.
Ce qui semble à l'origine une pratique individuelle devient le sujet d'un expérience collective hystérique. Ainsi, chez les Étrusques comme chez la plupart des peuples antiques, « les danseurs étaient amenés à la transe et à un état d’extase et de communion collective par le biais du vin, de la musique et de la danse. […] Les contrastes chromatiques et les formes géométriques engendrées par le mouvement et les virevoltes des étoffes superposées créaient des illusions d'optique qui participaient à l'extase ressentie. »33
Le chamane est un voyageur, et comme tout voyageur, il a besoin d'un moyen de locomotion pour réaliser son transfert. Pour atteindre l'extase, les chamanes disposent en effet de nombreux moyens, qu'ils utilisent conjointement afin de favoriser leur « voyage » vers le monde des esprits34. Il s'agit particulièrement des enthéogènes, de la musique, de la danse, du jeûne et de la solitude35.
À travers le média du dérèglement des sens, le chamanisme propose une illumination accessible, possible et, si nécessaire, renouvelable. Le chamanisme est donc une possibilité de salut accessible à tous, qui participe à la sérénité et à l'accomplissement de la spiritualité au sein de la communauté.
La mystique des peuples dotés d'une croyance de type chamanique est donc marquée par une expérience directe de la mystique et du sacré, plutôt qu'à travers l'action d'un clergé ou la lecture studieuse d'un recueil de textes sacrés. C'est ainsi que le savant et explorateur Hartley Burr Alexander (1873-1939) évoque en termes mélioratifs le sentiment religieux des Amérindiens, dont les ancêtres ne connurent que le chamanisme depuis la découverte de leur continent au Paléolithique supérieur jusqu'à la colonisation européenne :
« Le Peau-Rouge est un mystique à un degré que l'on ne trouve ailleurs que chez les ascètes orientaux ou chrétiens, et je ne crois pas qu'il y ait eu au monde un autre peuple autant voué à la vision intérieure [...]. Dans toutes les détresses de la vie, l'Indien, homme ou femme, peut solliciter cette communion mystique entre lui-même et les puissances du monde (qu'il nomme du nom générique d'origine sioux, Wakonda). Le chercheur se retire, seul, et s'il est homme, porte avec lui sa pipe de cérémonie et un peu de tabac. Au désert, il entonne une chanson ou il profère une prière, ou parfois un seul cri : « Ho-oh! Wakonda ! » Il attend, en jeûnant, la révélation que, peut-être, lui apporteront les puissances. Parfois, comme preuve de l'intensité de sa détresse et de son besoin, il peut donner une offrande de son sang, afin que les ministres du Grand Mystère lui répondent sans hésiter. C'est ainsi que les prophètes des Peaux-Rouges achèvent leurs révélations, non seulement pour le soulagement de leur détresse individuelle, mais aussi pour le bien-être de leur peuple. »36
Ce qui est particulièrement intéressant dans ce témoignage de première main, c'est de constater que l'expérience chamanique est réalisable même sans l'intervention du chamane. Si elle est traditionnellement balisée par un chamane, la voie chamanique peut donc tout aussi bien s'entreprendre seul. De même, si elle est traditionnellement empruntée avec l'aide d'un adjuvant psychédélique, la voie chamanique peut aussi s'entreprendre dans la plus parfaite sobriété. Dès lors, ce concept de salut individuel accessible à tous et à chaque instant ne peut qu'évoquer la pratique du yoga en générale et de la méditation en particulier. Guidée par un maître, la pratique du yoga est plus salvatrice que simplement pratiquée par un individu solitaire sans initiation dans ce domaine. Ceci étant, la présence et l'action d'un maître ne sont pas indispensables à la pratique du yoga, et rien n'empêche un individu motivé et talentueux de profiter seul de ses bienfaits. C'est ainsi que le Bouddha vécut son illumination : absolument seul sous un arbre.
Plutôt qu'en des rites ou des références mythologiques particulières, le chamanisme consiste donc simplement à présenter des méthodes permettant de relier le monde « par défaut » au « monde-autre ».
Son importance dans l'histoire des religions, le chamanisme ne le doit pas seulement à son ancestralité, mais aussi à son influence.
Les témoignages des influences conjointes du chamanisme et de la consommation rituelle des enthéogènes sur les grands civilisations sont légions, mais ce qui est moins connu, c'est l'influence du chamanisme locale sur des mouvements religieux de première importance, comme le zoroastrisme, le védisme, le druidisme, le christianisme nestorien37, le soufisme, le spiritisme, le rastafarisme ou encore les diverses obédiences du New-Age et du néo-féminisme (néo-sorcellerie).
En Mésopotamie et dans le bassin méditerranéen, des confréries de mystiques sauvages et parfois auto-mutilés, consommaient des enthéogènes tels que l'opium, le datura, le cannabis, le lotus, la jusquiame ou encore la belladone ; ces fanatiques formaient des sectes, que l'on qualifia plus tard d'orphiques, de dionysiaques et de mithriaques, mais qui n'ont jamais été unies par une quelconque doctrine, si ce n'est le goût de l’expérience directe de l'extase. Les orphiques consommaient l'opium collégialement. Les pythies delphiques divinisaient assises au dessus d'un brasier d'enthéogènes. Les prêtres sacrificateurs mayas officiaient sous l'influence du psilocybe, tandis que les sacrifiés aztèques l'étaient sous l’emprise du datura. Les premiers chrétiens buvaient du vin lors d'orgies secrètes. Les Scandinaves se réunissaient pour boire un mélange de bière et de jusquiame, puis consulter le « seidr », la magie pratiquée par une sorte de sorcier polymorphe et vagabond. En Asie centrale, le chamanisme est à la base du tengrisme, du bönpo, du lamaïsme et du soufisme. En Inde, le sadhuïsme local présente toutes les caractéristiques classiques du chamanisme. En Amérique, le chamanisme amazonien influença le polythéisme andin, tandis que le chamanisme mexicain est inextricablement mêlé aux polythéismes mayas, aztèques et toltèques.
Par puritanisme judéo-chrétien, lui-même inspiré du rejet existentiel de l'héritage païen par le monothéisme abrahamique, le monde universitaire a longtemps refusé d'admettre l'importance et l'influence que ces plantes ont pu avoir sur l'évolution des civilisations humaines. La situation évolue pourtant : nous avons cité dans notre étude des Français qui ont récemment fait des enthéogènes le sujet de leur thèse de doctorat en pharmacie. Mentionnons aussi la diffusion par Radio France en novembre 2023 d'une série d'émissions sur la Préhistoire, dont une évoquait le rôle des enthéogènes. Cependant, si, indéniablement, les mentalités évoluent, notre société n'est toujours pas prête à apprécier et à accepter le rôle fondamental du chamanisme en général et des enthéogènes en particulier.
Même si la forme champignonnesque est omniprésente à travers l'Histoire, même si le chanvre fut la première plante cultivée au début du Néolithique, et même si des religions actuelles, suivies par des centaines de millions d'adeptes, tel l'hindouisme shivaïte, prônent l'usage mystique des enthéogènes, le sujet reste malgré tout sensible. L'interdit, ce ne sont pas seulement le chamanisme, l'enthéogène, la danse sensuelle ou amorale, c'est surtout l'expérience directe du sentiment religieux fanatique, extatique et véritable. L'interdit, ce sont la sensation « autre » et l'accès au « monde-autre. » C'est l'extase en elle-même.
Depuis 2000 ans et plus, la vérité se trouve dans le mot. Qu'il soit consigné dans un livre ou sur des tables de lois, il fait autorité. On s'y réfère. Certains livres, qualifiés de saints, sont idolâtrés. D'autres, brûlés, témoignent de leur supposée dangerosité. Or, il n'en a pas toujours été ainsi.
Avant que ne commence l'Histoire, le mot n'avait de pouvoir qu'oral. On ne savait pas le coucher sur papier, tout juste gravait-on sur des roches et rochers des symboles, des glyphes et des runes, mais qui n'étaient en rien des lettres ni des mots. Les prophètes, ou plutôt les chamanes ancestraux, existaient probablement déjà dans la mythologie et la conscience collective du Paléolithique, mais leurs paroles n'étaient pas sanctifiées, ni leurs discours standardisés pour perdurer dans le temps. Leurs hagiographies étaient composées de fables populaires, d'apologues, mais aussi de rapports astraux, climatiques et cynégétiques.
Cependant, contrairement aux traditions antiques, la tradition orale préhistorique ne reposait pas sur un canon littéraire, mais plutôt sur une expérience directe avec le surnaturel. La figure du chamane ancestral, de la proto-divinité, protégeait la tribu, montrait le chemin astral au psychonaute, mais disparaissait alors que débutait l'expérience enthéogénique. Celle-ci laissait alors place, dans le corps, le cœur et l'esprit du psychonaute, à un sentiment océanique total, parfois démentiel, irraisonné si ce n'est irraisonnable. Un « autre-monde » devenait alors perceptible. De même, une « pensée-autre » jaillissait de ces expériences brutales et salvatrices.
Les esprits existaient, car chacun pouvait faire l'expérience de leur existence. Les « mondes autres », bizarres, souterrains ou célestes, paraissent inconcevables à l'esprit sobre, alors qu'ils deviennent non seulement plausibles, mais aussi visitables pour celui qui s'est enivré d'enthéogènes.
« Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? » sont les problématiques sur lesquelles a toujours reposé le sentiment religieux. C'est en tout cas à de telles problématiques que tentent de répondre les religions et croyances diverses. Or, c'est exactement à cela que répond l’expérience psychédélique.
Notes
1Les chamanes de la préhistoire.
2M. Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase.
3« Or, dès qu'on a quelques connaissances des croyances et coutumes, non plus seulement des Sibériens, mais des demi-civilisés de toutes les régions du globe, on sait qu'elles sont à peu près partout les mêmes, que les Sibériens ne constituent nullement une exception et que par suite il est inutile de leur emprunter un mot, de le détourner de son sens étymologique […] Le chamane, on le sait, est un sorcier qui ne se distingue en rien, essentiellement, des hommes-médecine amérindiens, nègres, malais, etc. » " De l'emploi du mot chamanisme " Revue de l'Histoire des religions vol. 48 n1, 1903.
4« Le chamanisme est une technique archaïque de l’extase. Le chaman est un psychopompe, spécialiste de la maîtrise du feu, du vol magique et d’une transe pendant laquelle son âme est censée quitter son corps pour entreprendre des ascensions célestes ou des descentes infernales. Il entretient des rapports avec des « esprits » qu’il maîtrise […], il communique avec les morts, les « démons » et les esprits de la nature sans pour autant se transformer en leurs instruments. »
5« Le « sorcier des Trois Frères » serait hypothétiquement le chamane originel, le responsable des rites magiques visant à assurer l’abondance du gibier pour la communauté humaine. [...] C’est un système basé sur une alliance mystique entre le monde des humains et le monde des « dieux » et « esprits » de la Nature. Et c’est le chamane qui personnifie cette alliance avec l’Univers. » A. Soubrouillard, Le chamanisme et les plantes hallucinogènes. Aix-Marseille Université - Faculté de pharmacie (thèse), 2017.
6« En général, le chamane n'a pas la responsabilité directe de sa communauté. Cette charge est tenue par un autre personne, autorité clanique, chef de chasse ou chef de guerre, qui conseille ou commande. Il arrive que le chamane cumule ces rôles, mais ils sont en théorie, séparés. » M. Perrin, op. cit.
7Plus tardivement, le rôle du chamane devint héréditaire, mais il ne l'était pas à l'origine.
8M. Perrin, Le chamanisme, Presses Universitaires de France, 1995.
9« La spiritualité chamanique n'avait pas d'influence tacite ou directe dans l'organisation sociale et politique. » R. Dumont, Chamanisme, spiritualité et modernité.
10Au Japon, mentionnons la reine chamane Himiko, qui possède l'esprit des gens et jette des sortilèges sur ses adversaires (Kojiki). En Chine, mentionnons le légendaire Empereur Jaune, qui vola au secours de l'Empereur Flamboyant en livrant une guerre « magique » et tout à fait chamanique contre le mauvais sorcier Chiyou, : « Au moment critique du combat, l'Empereur Flamboyant sollicita le secours de l'Empereur Jaune, qui lui expédia en renfort une bande d'ours, de tigres et autres fauves. Chiyou, qui avait pris son temps pour forger un grand nombre d'armes, lança alors ses hommes contre l'Empereur Jaune. Celui-ci convoqua Ying-le-dragon, capable d'amonceler des nuages pour soulever des tempêtes, et lui enjoignit d'aller combattre Chiyou sur la plaine du Hebei. Chiyou, de son côté, convoqua Oncle le Vent et Maître la Pluie, dont les pouvoirs magiques eurent raison de Ying-le-dragon. L'Empereur Jaune fit alors appel à la déesse de la sécheresse, qui sema si largement son mal, que Maître la Pluie dut s'avouer vaincu. La tempête s'apaisa. [...] L'Empereur Jaune remporta alors la victoire. » Li Shengheng, « Mythologie et légendes chinoises », dans le Dictionnaire des mythes littéraires.
11Le symbole associé au chamanisme sibérien-arctique est d'ailleurs la flèche, dont la symbolique est triple : tout d'abord, elle symbolise la possibilité pour le chamane de se rendre dans le monde supérieur des esprits, ensuite, la flèche peut être comprise pour ce qu'elle est : une arme de jet qui tue l'adversaire ou le gibier. Enfin, la flèche est une métaphore phallique dont la signification confère à la fertilité.
12M. Perrin, op. cit. Inclus des citations de l'anthropologue Roberte Hamayon.
13En Mocassins.
14Le chamanisme et les plantes hallucinogènes. Sciences pharmaceutiques. 2017.
15« Ce qu'il faut apprendre, c'est comment découvrir la fissure entre les deux mondes, celui des diableros et celui des hommes vivants. Il existe un point où ces deux mondes se chevauchent. La fissure est là, elle s'ouvre et se ferme comme une porte qui bat au vent. Pour arriver là, un homme doit exercer sa volonté. Il doit, à mon avis, développer un désir insatiable d'y parvenir, y consacrer toutes ses pensées. Mais il faudra qu'il le fasse sans l'aide de qui que ce soit. L'homme solitaire devra ainsi réfléchir et attendre le moment où son corps sera prêt pour entreprendre ce voyage. Cela s'annonce par de violents tremblements des membres et des vomissements. On ne peut alors ni manger ni dormir, l'homme S'affaiblit. Au sommet de ces convulsions, voilà l'homme prêt à partir, la fêlure entre les deux mondes s'ouvre devant ses yeux, comme une gigantesque porte. Il doit alors y pénétrer, mais il ne distinguera pas grand chose, il y souffle un vent violent, on dirait une tempête de sable, le vent tourbillonne. On avance alors dans une direction quelconque, et le voyage sera long ou bref, en fonction de la volonté du voyageur. Un homme à la volonté forte n'aura qu'un bref voyage, l'homme faible et hésitant marchera longtemps au milieu des dangers. On atteint ainsi une sorte de plateau, dont on peut distinguer clairement certains aspects. On le reconnaît aussi au vent violent qui y règne, et qui se transforme en tourbillon qui vous fouette en rugissant. C'est là que se trouve la porte de l'autre monde. Une membrane sépare les deux mondes. les morts la traversent sans bruit [...] » C. Castaneda, L'herbe du diable et la petite fumée,
16J.-W. Small, in Science of Man, Australasian Anthr. Journ., 1, p. 46, cité dans H. Hubert, M. Mauss, Mélanges d’histoire des religions, 1909.
17« Quand un indien Tarahumara se croit appelé à manier la râpe et à distribuer la guérison, il vient faire, pendant trois ans, au temps de un séjour d'une semaine dans la forêt. » A. Artaud, Les Tarahumaras, v. 1936.
18H. Hubert, M. Mauss, Mélanges d’histoire des religions, op. cit.
19« En aménageant des espaces rituels, en imposant certaines conduites lors de cérémonies, le chamane redit et renforce les symboliques, celles des couleurs, des nombres, des espaces, des éléments... » M. Perrin, Le chamanisme.
20Si le védisme est un culte ritualiste, ce n'est plus le cas du brahmanisme, qui propose une véritable théologie du salut par la dissolution psychique et physique dans l'Âme du monde (le Brahman).
21Un tel concept est proposé par le Dreamtime aborigène.
22Tengri (ou Tângri), littéralement « La Hauteur », « la Montagne », « le Céleste » est la divinité masculine centrale des peuples nomades turciques pré-islamiques.
23M. Eliade, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l'extase.
24J.-P. Roux, Tängri. Essai sur le Ciel-Dieu des peuples altaïques.
25Souvent surnommé « Le Livre tibétain des morts. »
261868–1922, professeur d'Alexandra David-Neel.
27Est psychédélique, ce qui est provoqué par la consommation d'un psychotrope.
28« Amour divin, inconditionnel ».
29Les plus prépondérantes sont le mithriacisme, l'orphisme, le christianisme, l'islam, le bouddhisme, le jaïnisme, le tantrisme shivaïte, le vishnouïsme bakhtiste et krishnaïte.
30R. G. Wasson, Le Champignon divin de l'immortalité.
31Artaud raconte ses expériences spirituelles et psychédéliques dans Voyage chez les Tarahumaras, tandis qu'il expose ses concepts intellectuels dans Le Théâtre et son double.
32le plus souvent une plante enthéogène contenant une substance proche de la DMT (Diméthyltryptamine).
33Audrey Gouy (archéologue, Université de Lille), « Arts, Musique et danse au diapason de la vie », magasine Historia numéro spécial Étrusques, 2023.
34« Selon les sociétés chamaniques qui y font appel, « la drogue » ouvre à l'invisible, elle enclenche la communication avec les esprits, elle induit une grande mobilité de l'âme. En effet, en disloquant la perception ordinaire, en provoquant des impressions de discontinuité, de décentrement ou de voyage, elle dénote un changement d'état. Elle rend possible l'expérience directe d'un ailleurs qui, dans le cas des sociétés traditionnelles, est fortement balisé par la mythologie. Stimulé par la drogue, et aussi par le biais d'un apprentissage, le chamane peut avoir la certitude de rencontrer les êtres de l'invisible, de vivre leurs aventures. Sous l'effet du produit, les éléments du mythe deviennent réalité. Le chamane, comme il le dit parfois, perçoit ce monde-ci avec les yeux du monde-autre. D'ailleurs, les deux ne font plus qu'un. Le chamane éprouve leur complémentarité. Maintenant « il sait », « il voit », « il entend »...» M. Perrin, Le chamanisme.
35« Jeûne, purification, « squelettisation », mort symbolique et résurrection à l'issue d'une transe, démembrement, scarifications, arbres chamaniques, montées au ciel par l'arc-en-ciel, remplacement d'organes internes et introduction du pouvoir magique dans le corps du chaman sous la forme de galets, cristaux de roche, meurtre du néophyte par les démons initiatiques, voyages sur des animaux volants, abstinence sexuelle, magie des flèches de maladie, aptitude à chasser le mal en le suçant, et à envoyer les forces en soufflant la fumée, Esprits tutélaires, tests d'anthropophagie, « maux » animés, source de puissance et cause de la douleur. Toutes ces pratiques d'initiation chamanique et de recherche de la puissance magique se retrouvent dans le prisme miroitant que constituent les sociétés indigènes sur la surface de la planète : des aborigènes australiens à l'Indonésie, le Japon, la Chine, la Sibérie, puis, passant le détroit de Behring, le Grand Nord américain, et tout le continent, du nord au sud en passant par le Mexique. » J. Wilbert, Le Tabac et l'extase chamanique chez les Indiens warao du Venezuela (trad. V. Bardet), dans P. T. Furst (sous la dir.), La Chair des dieux, L'Usage rituel des plantes psychédéliques, Seuil, 1974.
36L'Art et la philosophie des Indiens de l’Amérique du nord, 1926.
37Lors de sa visite à la cour du grand mongol, le moine chrétien Rubroek rencontre un prêtre nestorien indigène. Il ne retrouve pas en lui un frère en religion. L'envoyé du pape reproche au nestorien sa crédulité en ses rêves, sa croyance et la réincarnation, ainsi que sa prétention à agresser des adversaires en utilisant la prière. Il s'agit là de pratique tout à fait chamanique centrale asiatique, que l'on retrouve par ailleurs dans le bouddhisme tibétain et dans l'hindouisme.
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