Les échanges intellectuels et religieux avec entre la Grèce et la Scythie étaient intenses, en particulier avec le temple d'Apollon de Delphes. Deux des grands sages semi-légendaires de la Grèce antique, Aristée et Abaris (v. -600), étaient originaires de la Scythie hyperboréenne, ou bien la visitèrent afin de compléter leur initiation. Pierre Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique, note avec justesse les interactions entre les différents temples du monde antique de tradition apollinienne :
Une grande peste, dit-on ravageant toute la terre, on n’eut point d’autre réponse d’Apollon, si ce n’est que les Athéniens feraient des vœux pour toutes les autres nations. Cela fit que divers peuples envoyèrent des ambassadeurs à Athènes, et que l’Hyperboréen Abaris fut un de ces ambassadeurs. [...] Il renouvela, pendant ce voyage, l’alliance des Hyperboréens et des habitants de l’île de Délos.
C'est à Pomponius Mela que fait référence Pierre Bayle. L'historien romain rapporte en effet :
Qu'autrefois les Hyperboréens envoyaient à Délos les prémices de leurs victimes ; que, dans les premiers temps, ils confiaient à quelques jeunes vierges du pays le soin de les porter, mais qu’ensuite ils se servirent de l’entremise des peuples intermédiaires qui se les passaient de proche en proche, et qu’il en fut ainsi jusqu’au moment où l’infidélité de nations dépravées les força de renoncer à leur pieuse coutume.
Enfin, cédons la plume à l'historien Auguste Geffroy (1820 – 1895), auteur de ces quelques lignes admirables à propos des Hyperboréens :
« La Grèce et Rome eurent un idéal en dehors d’elles-mêmes. Cette antiquité classique, si dédaigneuse de l’étranger, du barbare, fut comme hantée d’une vision qui lui montrait au loin, vers le nord et vers l’est, par-delà ses frontières, les séjours bienheureux, les peuples sages, les sources de toute civilisation en même temps que de toute poésie. N’était-ce pas de chez les Hyperboréens, situés, comme le dit leur nom, au-delà des vents et des glaces, qu’Apollon, dieu de la lumière, venait visiter Délos ou bien y envoyait ses messagers, les cygnes harmonieux ? Le Scythe Abaris, porté à travers les airs sur une flèche rapide, parcourait la Grèce, et, au nom du même dieu, rendait ses oracles. Zalmoxis le Gète avait enseigné à son peuple le dogme de l’immortalité de l’âme. De la Thrace enfin, les Grecs avaient reçu Orphée et les Muses. Rome hérita des mêmes traditions et des mêmes respects : les vertus des Hyperboréens, la sagesse des Scythes et des Gètes, devinrent pour elle aussi des souvenirs consacrés, qu’invoquaient fréquemment ses déclamateurs et ses moralistes1. » Les Origines du germanisme.
Zalmoxis, prophète gète
Intéressons-nous à Zalmoxis, ce sage gète dont on ne sait rien que quelques lignes énigmatiques chez Hérodote (4, 94 et 95) : « Les Gètes se croient immortels, et pensent que celui qui meurt rejoind leur dieu Zalmoxis, que quelques-uns d’entre eux croient semblable à Gébéléizis [dieu de la foudre, du ciel et de la mort]. »
Diodore (1, 94) est tout aussi clair sur la nature semi-divine de Zalmoxis, qui était en relation directe avec la Grande Déesse : « Zalmoxis vantait aux Gètes qui croient à l'immortalité de l'âme, ses communications avec Vesta [déesse du foyer]. »
Enfin, citant Julien, Lactance (v. 240 – 320) évoque une épitaphe sans équivoque de Trajan (53 – 117), le conquérant romain de la Thrace et de la Dacie :
Nous avons même conquis les Gètes, le plus belliqueux de tous les peuples qui aient jamais existé, non seulement à cause de leur force physique, mais aussi grâce aux enseignements de Zalmoxis, qui est un de leur sage les plus appréciés. Celui-ci leur a dit qu'ils ne mourront pas, mais changeront de vie. Pour cette raison, ils meurent plus heureux que jamais.
À la fois compris comme un dieu et un prophète, Zalmoxis serait un maître spirituel gète originaire de Dacie; une sorte de guide initiatique, dont la silhouette mythologique se rapprocherait de celle d'Orphée. Il pratiquait d'ailleurs des méthodes tout à fait semblables à celles de Pythagore ou des yogis indiens : vœux d'abstinence, sévérité alimentaire, ascétisme fanatique, rôle de la tradition orale et de la musique… Autant de pratiques que les Anciens qualifiaient d'hyperboréennes ou de scythes.
« Zalmoxis fit bâtir une salle où il régalait les premiers de la nation. Au milieu du repas, il leur apprenait que ni lui, ni ses conviés, ni leurs descendants à perpétuité, ne mourraient point, mais qu’ils iraient dans un lieu où ils jouiraient éternellement de toutes sortes de biens. Pendant qu’il traitait ainsi ses compatriotes, et qu’il les entretenait de pareils discours, il se faisait faire un logement sous terre. Ce logement achevé, il se déroba aux yeux des Thraces, descendit dans ce souterrain, et y demeura environ trois ans. Il fut regretté et pleuré comme mort. Enfin, la quatrième année, il reparut, et rendit croyables, par cet artifice, tous les discours qu’il avait tenus. » Hérodote, 4, 94.
À la lecture d'Hérodote, on ne peut manquer de songer à la Cène, pourtant postérieure de plus de 500 ans à la rédaction des enquêtes du géographe et mythographe grec. On peut aussi songer au rituel de fin de vie des gourous tibétains, tel que décrit par Alexandra David-Neel dans Mystiques et magiciens du Tibet.
Le lama vieillissant se retire dans une cabane construite spécialement pour l'occasion. Il y vit en réclusion complète, sans même de lumière, avant qu'un pseudo-miracle l'en sorte et lui permette de vivre ses derniers jours respecté de tous en bénéficiant d'une rente.