27 Janvier 2022
Le nectar d'immortalité
Une boisson nécessaire au culte, aux rituels, mais aussi à la motivation des hommes et aux offrandes des dieux est omniprésente dans le Livre de Vélès, sous le nom de suriana1, ainsi que dans les Vedas, sous le nom de Soma :
« Nos offrandes consistent en du miel et en la « boisson du soleil », la suriana, dans laquelle neuf fois sont décantées des herbes, qui fermentent trois jours durant sous le soleil. Cette herbe verte est une bénédiction, nous la mettons dans nos pots, afin que le soleil se repose dans nos foyers et afin que nous puissions boire au nom des dieux, qui vivent dans le ciel bleu. Ensuite, ce nectar est filtré à travers un tissu en laine, puis nous buvons la « boisson du Soleil » en signe de bénédiction et d’unité avec les dieux, qui résident dans le Svarog. Nous buvons ainsi pour notre bonheur. Chantons pour la gloire du soleil, et pour le divin cheval solaire qui galope à travers le ciel. Pour notre gloire, nous buvons la boisson du Soleil cinq fois par jour. Pour cela, nous allumons les feux de chênaie, nous l’alimentons avec des gerbes, et effectuons des prières pour eux… Car nous sommes les petits-enfants du Soleil, et nous ne devons pas négliger nos prières et nos offrandes… » Le Livre de Vélès.
Le soma, l’enivrante boisson qui garantit aux dieux l'immortalité, doit toujours remplir ton corps, comme une mer toujours gonflée d’eau, comme une langue toujours humectée de salive. Ces boissons enivrantes, ces holocaustes qui augmentent ta force, ces libations offertes pour la mort de Vritra, ô maître de la vertu, t'ont toujours flatté et l’on t’a vu, facilement vainqueur, détourner des milliers de malheurs loin de l’homme qui t’offre un digne sacrifice et jette pour toi des poignées d'herbes kusha dans le feu sacrificiel.
Dans La Nourriture des dieux (1992), le philosophe spécialiste des enthéogènes, Terence McKenna, propose une étonnante généalogie du soma védique :
« Dans leur patrie d'origine, au nord de la mer Noire, les Indo-Européens auraient bien pu pratiquer une religion chamanique très similaire à celle des Koryaks, des Tchoutchs et des Kamchadals du nord-est de la Sibérie, qui utilisent l'amanite. À cette époque, les Indo-Européens étaient entourés au nord et à l'est par des peuples finno-ougriens pour lesquels l'usage de l'amanite est supposé très ancien. Au 4e millénaire avant J.-C., des populations d'agriculteurs sédentaires peuplaient l'Europe depuis déjà plus de deux mille ans et certaines civilisations urbaines étaient déjà anciennes dans les vallées fertiles du Proche-Orient et dans la plaine anatolienne. Durant ce millénaire débuta la première colonisation massive des zones désertiques et des steppes d'Asie par les Indo-Européens. Dans les steppes d'Eurasie du nord de la mer Noire, dans le Caucase, le Taurus et les monts Zagros, le cheval fut un élément clef. Si la domestication du bétail en Afrique posa les fondations des sociétés partenariales, adorant la Déesse et utilisant le champignon, la domestication du cheval par les Indo-Européens renforça chez eux la mobilité, la domination masculine, ainsi qu'une économie sociale fondée sur le pillage et le viol. Les véhicules à roues, inventés d'abord sur les franges du Caucase, là où la steppe rencontre la forêt, se répandirent bientôt parmi les tribus indo-européennes. Avec le cheval et le chariot, ils entreprirent des déplacements vers l'ouest, dans des zones occupées par des groupes d'agriculteurs sédentaires, vers l'est en Asie centrale et vers le sud, en direction du lac Van, où ils rencontrèrent les cultures urbaines de l'Anatolie et du plateau iranien. Ces cultures occupaient ces territoires depuis longtemps et leur passé remontait tant au sud qu'à l'ouest, vers le berceau de la conscience que sont les prairies tempérées d'Afrique. L'usage de la psilocybine y était une pratique traditionnelle aussi vieille que ces cultures elles-mêmes. […] Comme les conditions climatiques changeaient, et que les Indo-Européens migraient de plus en plus loin vers l'est, il est probable que les conditions tempérées et les pâturages favorables au Stropharia cubensis disparurent. D'autres champignons ont peut-être servi de substitut pour la préparation du soma, et parmi ceux-ci l'Amanita muscaria a pu être préféré, du fait de son abondance dans les climats plus froids, de son aspect frappant et de ses propriétés psychoactives (controversées). »
C'est le Haoma de l'Avesta :
« Le soma fut particulièrement important dans la religion prézoroastrienne de l'Iran, où on le nommait « Haoma ». « Soma » et « Haoma » sont deux formes différentes d'un même mot dérivant d'une racine, signifiant « exprimer un liquide » : « su » en Sanskrit et « hu » en Avestan. Aucun éloge ne semble avoir été trop fort pour être appliqué à ce breuvage magique. On pensait que le soma avait été apporté des cieux les plus hauts par un aigle, ou qu'il provenait des montagnes où l'avait placé Varuna, un membre du panthéon hindou primitif. […] Du fait du pouvoir inspirateur de cette boisson, on en vint même dans la période Indo-iranienne à personnifier cette sève en un dieu Soma, auquel on donna presque tous les attributs des autres dieux, car les forces des dieux eux-mêmes sont augmentées par ce breuvage. Comme Agni, le soma voit son rayonnement briller chaleureusement dans les eaux ; comme Vayu, il mène ses coursiers ; comme les Ashvins, il se hâte de secourir ceux qui l'invoquent ; comme Pushan, il inspire le respect, surveille les troupeaux, et mène par le plus court chemin au succès. Comme Indra, le précieux allié, il surmonte tout ennemi, de près comme de loin, il libère des mauvaises intentions des envieux, du danger et du besoin ; il apporte des cieux, de la terre et de l'air de riches présents. C'est aussi le soma qui fait lever le soleil dans les cieux, restaure ce qui était perdu, détient mille façons d'aider, peut tout guérir, l'aveugle et le boiteux ; met en déroute la peau noire (les aborigènes), et place toute chose en possession des pieux aryens. » McKenna, op. cit.
Nous honorons la plante sacrée du homa, qui écarte la mort et possède des reflets dorés et de larges branches. Poussant en altitude, elle fait prospérer les mondes.
La boisson des dieux est un mythe commun aux Indo-Européens. Grâce à elle, les dieux sont immortels. Les hommes ont la stricte interdiction d'en consommer et ce breuvage d'immortalité inspirera le « sang du christ », la quête du Graal et l’élixir de jeunesse des alchimistes.
Associé à la déesse Koridgwen, les anciens bardes mentionnaient le nain Gwion. Racontée par Th. H. de La Villemarqué dans Barzaz Breiz, la légende bretonne dit à son propos que :
Trois gouttes bouillantes lui étant tombées sur la main, il la porta à sa bouche, et soudain l’avenir et tous les mystères de la science se dévoilèrent à lui. » La Villemarqué ajoute que : « L’eau merveilleuse du vase magique est nommée par les bardes l’eau de Gwion. L’île d’Alwion, ou de Gwion, dont on a fait Albion, et qu’un ancien poète gallois appelle le pays de Mercure, paraît lui devoir son nom.
Les recettes exactes de ces breuvages magiques, connus d'Irlande jusqu'en Perse et en Inde, nous demeurent inconnues. Il s'agissait probablement d'une boisson fermentée à base d'orge et de miel, à laquelle des variations locales ajoutaient de l'opium, du cannabis, du datura ou des champignons gorgés de psilocybine. La présence du miel dans les boissons divines s'explique par le fait que le miel conserve, mais aussi qu'on en extrait les huiles essentielles et autres résines psychotropes.
L'auteur russe Jury Mirolyubov, spécialiste des croyances et des coutumes ancestrales slaves, a proposé une version de la recette détaillée du mystérieux soma, en s'inspirant des données perses, indiennes et slaves dont il disposait. Nous retranscrivons ici sa recette :
« Pour composer cette boisson, prenez quelques centaines de grammes de son, dont les graines auront été cuites dans de l'eau, puis extraites, bouillies, et passées à travers un tamis. Ensuite, faites cuire tout autant d'herbe verte, qui servira de passoire en se déposant au fond de la mixture. Ajoutez ensuite une bonne lampée de miel, des pommes et de la farine. Laissez ensuite tout reposer pendant trois jours, puis ajoutez les raisins, la levure, tout en veillant à chauffer la levure séparément. Mélangez ensuite la mixture dans une cuve en bois. Tous les trois ou quatre jours, touillez-la. Une fois le processus de fermentation commencé, ajoutez une tasse de lait et versez du beurre clarifié. Après deux semaines de fermentation, ajoutez plus de miel (ou de sucre) et ajoutez également une petite quantité de houblon à la crème obtenue. Une fois la seconde étape de fermentation effectuée, fermez-le couvercle du fût et laissez reposer ainsi un mois complet. Ensuite, mélangez le fond, puis laissez-le mélange encore fermenter, puis versez-le dans un baril propre, en bois de chêne, et de préférence fabriqué d'une écorce encore verte. »
Le nectar, enquête sur la nourriture des dieux (L'héritage indo-européen)
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