Né à Istakhar, sur les hauteurs de Persépolis, vers 450 apr. J.-C., et mort exécuté vers 528, Mazdak (ou Mazdek) est un réformateur iconoclaste du mazdéisme.
Appartenant à une caste de prêtres zoroastriens, Mazdak officie d'abord comme grand pontife des mages de la ville de Nishapur (Khorassan, au nord-est de l'Iran), un titre équivalent à celui d’évêque.
Son maître spirituel et initiateur se nommait Zaradust-e Khuragen, aussi nommé Mazdak-l'ancien. Celui-ci professait les bases du zoroastrisme, avec une emphase sur l'hédonisme et la générosité. Mazdak- l'ancien enseignait à ses disciples à jouir de la vie, tout en refusant de se laisser aller à la consommation abusive des plaisirs. Ascétisme et hédonisme, jouissance intellectuelle et contrainte physique empreint d'ascétisme, tels étaient les éléments de cette doctrine étrange et hétérodoxe, dont Mazdak-le-jeune fut le plus célèbre des partisans.
Décrit ne portant qu'une grossière tunique de laine épaisse et vivant seul, à l'écart de tous, plongé dans la méditation et la prière, ce Mazdak incarne sa propre doctrine. Il est l'exemple à suivre pour ceux qui veulent se purifier et attendre la sainteté. Même à la fin de sa vie, Mazdak portera la même simple tenue et rejettera les biens matériels. Se sachant proche de la mort, il redistribuera lui-même ses biens et ses concubines.
Doté d'une personnalité charismatique et d'une véritable verve, Mazdak s'attira les faveurs du prince Kavad (473 - 531), le futur empereur de la Perse sassanide (premier règne de 488 à 496, second règne de 499 à 531). Outre le prince Kavad (ou Kobad), on dit que Mazdak eut un nombre immense de disciples.
Recevoir la protection d'un roi est un destin pour le moins commun aux prophètes de la Perse. Zarathoustra sut intéresser le roi Vistashpa, tout comme Mani sut trouver protection chez Shahpur. Cependant, la relation entre les maîtres spirituels et leur protecteur n'est pas sans difficultés. Zarathoustra perdit la confiance de Vishtaspa et finit en prison. Mani perdit lui aussi sa protection et fut assassiné. Quant à Mazdak, après avoir conseillé le roi Kavad, il tomba de même en disgrâce.
On raconte que le roi Kobad mit une condition à sa conversion à la doctrine de son gourou. Il demanda un miracle à Mazdak. Celui-ci, selon les sources dont nous disposons, aurait alors organisé lui-même cette mise en scène : il demanda à Kobad de le suivre au temple local du feu, afin d'assister, comme il le souhaitait à un miracle. Grâce à un ingénieux système mécanique actionné par un complice, Mazdak s'était en effet assuré que, bien qu’il fût seul avec le roi et éloigné de la flamme sacrée, celle-ci s'éteignait tout de même au son de sa voix.
Les chroniques mentionnant Kobad 1er font état d'un roi faible, inconstant et efféminé. Sa légèreté l'aurait mené à accorder trop d'importance à la moindre doctrine excentrique. Le fréquentant depuis son adolescence et ayant été familier de sa doctrine avant même son couronnement, Kobad tomba en effet sous la totale influence de Mazdak. Ce dernier profita de l'occasion pour acter ses intuitions politiques. Ce sont ses fameuses réformes agraires et religieuses que les universitaires considèrent comme l'une des toutes premières mises en pratique du communisme socialiste.
Réprouvant l'action des puissants, condamnant l’enrichissement des commerçants, considérant comme inutiles à la fois les guerriers et les prêtres, Mazdak se mit à dos les castes les plus puissantes, tout en s'alliant les classes défavorisées et laborieuses, en quête de justice sociale. À la suite de ses réformes révolutionnaires, Mazdak réussit sans peine à focaliser la haine des notables et des prêtres zoroastriens. Ceux-là voyaient leur condition et leur culte menacés par cette doctrine nihiliste et subversive appliquée au plus haut sommet de l’État par un jeune roi sous influence. Ils diabolisèrent à leur tour Mazdak, le considérant dès lors comme un sinistre magicien, un illusionniste manipulateur, un sorcier. Par ailleurs, les grands prêtres du zoroastrisme le déclarèrent hérétique.
Les chroniqueurs qui parlent de Mazdak sont soit des auteurs musulmans, qui comme Tabari (839 - 923) le considèrent comme un sorcier païen et fou, soit des compilateurs zoroastriens qui le considèrent comme subversif. Mazdak fut donc la cible de toutes les accusations habituelles dont on affuble les sectes et leurs gourous.
C'est donc sans surprise que Mazdak et Kobad furent accusés de relation interdite. Mazdak fut accusé d'avoir non seulement troublé l'esprit du jeune roi, mais aussi sa sexualité. La famille du roi, concernée par sa santé mentale et sexuelle, fit même enfermer Mazdak afin que celui-ci cesse de pervertir leur souverain. Grâce à l'entremise de la reine, la femme de Kobad qui s'était convertie à sa doctrine, le malin Mazdak réussit cependant à s'enfuir de prison (caché dans un matelas, que la reine avait fait sortir du donjon à dos de porteurs).
Considérant son évasion comme un miracle, ses partisans se firent encore plus nombreux, ce qui fut la cause d'un renouveau du mazdakisme. Dès lors, Mazdak se fit connaître comme « le Signe », « la Preuve » ou encore « le Rédempteur », « le Sauveur de l'Univers » (A. Al-Rihani, The descent of bolshevism), reprenant ainsi à son compte le mythe du Saoshyant, l'héritier de Zarathoustra, le « Sauveur de la fin des temps ».
Ameen Al-Rihani, dans son essai sur le crypto-socialisme et l'origine du communisme The descent of bolshevism, identifie « trois points cardinaux » à la doctrine de Mazdak :
1. La loi engendre la colère et les inégalités. En supprimant la loi, on supprime la transgression. Ameen Al-Rihani trouve dans ce point de doctrine une influence certaine du christianisme de Saint Paul.
2. Tous les hommes naissent égaux et peuvent prétendre à ce droit toute leur vie. La société sassanide était très hiérarchisée et gangrenée par les inégalités, lesquelles reposaient sur un système de castes ethniques et professionnelles. La revendication de l'égalité parfaite et permanente entre les hommes était donc considérée comme une dangereuse doctrine révolutionnaire.
3. Tout appartient à Dieu et ce serait se conduire en mécréant que de s’approprier quelque chose pour soi-même. Dieu est la source directe de toute chose.
Pour Mazdak, Angra-Mainyu, n'est pas un concept ou une divinité, mais il s'incarne dans chacun des dignitaires corrompus de l'élite perse, qu'il juge à juste titre comme responsables des immenses inégalités de l'Empire. Tout en reconnaissant l’opposition classique du mazdéisme entre le bien et le mal, entre la lumière et l'obscurité, Mazda proclame sans équivoque la victoire de la lumière, annoncée par sa propre venue sur Terre en tant que prophète.
En reprenant les bases du monothéisme dualiste mazdéen, Mazdak s'en éloigne complètement car il prétend réconcilier deux tendances contraires. Mazdak prêche la fusion des principes binaires : le bien doit donc s'allier au mal, l'ombre doit disparaître au contact de la lumière. Pour lui, Dieu est la source directe et immaculée de toute chose : aucun esprit mauvais n'est en mesure de vaincre sur terre, ni même de faire obstacle à l’établissement de la lumière. Dieu n'est donc pas seulement un créateur, mais la source directe et permanente de toute existence, de toute créature. L'empreinte d'Ahura-Mazda est si complète sur la terre, qu'Angra-Mainyu n'est même pas mentionné dans les textes rapportant la doctrine de Mazdak.
Selon la doctrine mazdéenne, à la fin des temps, le bien englobera le mal, et fera disparaître en lui. Ahura-Mazda détruira une bonne fois pour toutes Angra-Mainyu. Le ministère de Mazdak est donc celui d'un prophète de la fin des temps. Défenseur des pauvres, protecteur des déshérités, ennemi des puissants, dénonciateur des usurpateurs, Mazdak se considère comme le champion du bien, celui qui est envoyé sur terre pour réaliser la fin des temps, c’est-à-dire pour réaliser la victoire totale du bien sur le mal.
Le mazdakisme n'est pas seulement une métaphysique, ou une sagesse, c'est aussi un programme politique. Devenu le conseiller des puissants, le gourou du roi, Mazdak mettra en œuvre ses idées révolutionnaires. Cependant, il ne subsiste aucun texte de la main de Mazdak ou de ses disciples et comme les chroniqueurs qui le mentionnent semblent tellement le détester qu'ils en perdent toute impartialité, nous ne savons pas en quoi consistaient exactement ses fameuses réformes.
Nous pouvons cependant établir les grandes lignes de la doctrine mazdakiste :
L'objectif d'une existence humaine est d'aider à faire triompher la lumière sur la terre. Pour ce faire, il faut mener une vie ascétique et observer une très haute rigueur morale. Cette rigueur morale consiste à être bon, gentil, généreux et magnanime envers ses ennemis. La conduite comme la morale d'un mazdakiste doit être irréprochable. Le respect est une valeur essentielle.
La charité doit être pratiquée. Chacun doit aider les nécessiteux. Mazdak ouvrira des hospices. Un mazdakiste ne doit pas chercher à s'enrichir. En particulier aux dépens des siens. La cupidité est un péché majeur. Le désir des biens matériels est un péché majeur.
Un mazdakiste doit être tolérant envers les croyances étrangères. Un mazdakiste ne doit pas entrer en conflit. Le pacifisme est une valeur essentielle.
Un homme ne tue pas, ni ne mange de la chair. Cela inclut un strict régime végétarien. La vie animale est sacrée et elle doit être l'objet de sincères méditations. Ni pour s'en nourrir, ni pour pratiquer la chasse sportive, jamais un animal ne doit être tué. « Un mazdakiste pouvait tuer un homme qui avait reçu de la vie plus que sa part, aux yeux de Mazdak, il s'agissait là d'une vertu. Mais si un homme tuait ne serait-ce qu'un insecte, il s'agissait là d'un crime. » (A. Al-Rihani, op. cit.)
L'homosexualité ne semble pas interdite par la doctrine mazdakiste. Des allégations d’homosexualité planent même sur Mazdak et Kobad. Dans la doctrine mazdakiste, les pratiques sexuelles ne semblent pas souffrir de tabou ni d'interdiction particulière. Les femmes ne semblent pas dotées d'un statut inférieur à celui des hommes et une des réformes les plus iconoclastes de Mazdak se proposait même de libérer la femme du joug du mari et de faire sortir les courtisanes des harems où elles étaient retenues.
D'autres points de la doctrine mazdakiste ressemblent en tous points à un programme politique que nous pourrions qualifier de communiste :
- Encouragement de la fraternité et suppression des causes de la jalousie et de l'envie : instauration de la communauté des biens et des femmes.
- Transformation des règles du mariage ; si une femme le souhaite, elle peut coucher avec le partenaire de son choix.
- Démantèlement des harems et redistribution publique des concubines et compagnes des puissants.
- Égalité entre les hommes (et les femmes). Abolition des castes, de la hiérarchie sociale.
- Refus des inégalités de richesse, confiscation des biens des puissants. Les riches et les possédants sont spoliés, les terres des propriétaires terriens redistribuées à la communauté et aux paysans sans-terre.
À la fin de l'expérience mazdakiste, qui fut catastrophique à en croire les annales de l'époque, les biens, les femmes et les terres furent rendus à leur premier possédant. À cause de ces réformes, la famine, l'anarchie et la maladie dévastèrent l'Empire perse.
Tout devait être mis en commun : « les biens, les femmes, les enfants et le reste. » Et pour plus de 50 ans, il n'y eut aucun relâche dans l'instauration de telles pratiques. Celles-ci furent accompagnées de pillages et de bains de sang. En vérité, tout ce qui est engendré par l'anarchie et le non-respect des lois, frappa le pays. Partout, ses disciples enlevaient les femmes, les filles et volaient les biens des autres. Le roi ne pouvait pas punir ces crimes, car il était lui-même un de ces mazdakistes.
Comme nous l'avons déjà suggéré, la ruine de l'empire perse et la décadence de son aristocratie, seront les causes certaines, les plus évidentes de l'islamisation rapide du pays. Fatigué d'une administration injuste, effrayé par les réformes communistes, qui eurent comme principales conséquences la peste et la famine, le peuple perse vit dans l'islam un moyen inespéré de connaître la paix, la stabilité, la justice sociale et surtout de renforcer la famille mise à mal par les réformes mazdakistes.
- Dénonciation permanente des élites corrompues du pays et dénonciation particulière de la vénalité des magistrats et des ministres de l'empire. Le zoroastrisme étant alors religion d’État, les attaques de Mazdak contre les notables étaient donc aussi dirigées à l'encontre des prêtres du mazdéisme. Mazdak considérait d'ailleurs les prêtres comme inutiles. Selon Mazdak, un homme bon qui pratique le bien remplace aisément un prêtre. Des temples du feu furent fermés et blasphème ultime pour les zoroastriens, la flamme du feu sacré fut éteinte.
La doctrine mazdakiste ne concentra pas sa persécution sur les seuls zoroastriens. L'historien juif Heinrich Graetz décrit les persécutions à l'encontre des israélites et chrétiens :
« Les Juifs furent assaillis en Perse, sous le règne de Kobad, par de nouveaux malheurs. Kobad, qui ne manquait pas de qualités, était très faible de caractère ; sous l’influence de quelques fanatiques, il persécuta tous les hérétiques. [...] Le roi Kobad protégea Mazdak et préconisa ses réformes, il décréta que tous les habitants de la Perse étaient tenus d’adopter les nouvelles doctrines et d’y conformer leur conduite. Les basses classes de la population, sans fortune, sans éducation et sans moralité, suivirent avec empressement la nouvelle religion de Mazdak ; elles s’approprièrent les biens des riches et s’emparèrent des femmes qui leur plaisaient. Il en résulta qu’à cette époque on ne savait plus distinguer entre le vice et la vertu, la propriété et le vol. Les grands du royaume détrônèrent Kobad et le jetèrent en prison, mais il fut délivré et replacé sur le trône avec l’aide des Huns, et, de nouveau, il fit mettre en pratique les doctrines de Mazdak. Juifs et chrétiens eurent à souffrir de ces folies ; on les dépouilla de leurs biens et on leur prit leurs femmes. » Histoire des Juifs (Tome 3).
Coupable de la gestion calamiteuse de l’Empire, en particulier à cause des réformes agraires ayant mené à la famine, le roi Kobad dû quitter le trône une première fois. Il fut remplacé brièvement par son frère. Kobad se réfugie et s’exile chez les Huns, alors ennemis des Perses. Mazdak s'était quant à lui exilé en Inde (vraisemblablement dans le Sindh, dans la vallée de l'Indus). Les chroniques racontent à ce sujet que Mazdak avait été accueilli en Inde en maître spirituel de première importance.
Kobad sera vite remis sur le trône par les Huns, qui avaient profité de l'affaiblissement de l'Empire perse pour l’envahir. Mais ceux-ci ne voyaient pas pour autant d'un bon œil le retour au palais de Mazdak, qui entra alors en dissidence, avant de revenir en force auprès de Kobad une fois les Huns retirés des affaires perses. Son retour à la tête de l’État perse, après un exil glorieux en Inde, augmenta encore le nombre de ses partisans.
Des décennies passèrent, la révolution mazdakiste se poursuivit, ne cessant de ruiner l'empire, de favoriser les disciples de Mazdak au détriment des anciens seigneurs et prêtres. Le peuple avait très faim et très peur. Enfin, le roi Kobad décéda.
Son fils, le prince Khosrow, délivra en son honneur une élégie funèbre, durant laquelle il vanta aussi les mérites de son plus fidèle gourou, Mazdak. Mais ce discours était un piège tendu : Khosrow avait réuni Mazdak et ses disciples, il leur avait offert un banquet, et lorsque la fête battait son plein, on ferma les portes et l'on mit le feu aux convives.
Une autre version de la chute de Mazdak :
Lorsque Khosrow succéda à son père Kobad, il fit examiner, dans une assemblée de ministres d’État et de la religion, la doctrine de Mazdak, qui avait eu pour résultat de faire de la Perse un pays où tous les liens naturels étaient brisés, toutes les ressources épuisées, les rangs sociaux renversés, et où la moitié des terres, faute de bras, était en friche. D’après le récit de Ferdowsi, Mazdak, convaincu d’imposture, fut livré à Khosrow, qui le fit attacher à un arbre, tuer à coups de flèches et livra au supplice de cent mille de ses sectateurs.
Suivirent de longues années de purge. Dorénavant sans la protection du roi Kobad, les mazdakistes avaient à craindre les pires répressions. Certains émigrèrent à Byzance, d'autres créèrent des ordres en Syrie. Beaucoup retournèrent à une pratique plus classique du zoroastrisme. La plupart furent tout simplement massacrés.
De nouveaux édits royaux amendèrent les sinistres lois promulguées par Kobad sous l'influence de Mazdak et tous les biens des mazdakistes furent alors redistribués à ceux qu'ils avaient volés. La famille fut rétablie dans son droit, ainsi que les propriétaires dans les leurs. L'autorité des castes guerrières et religieuses fut réaffirmée. Les femmes qui avaient été volées à leur famille pour entrer au service des partisans de Mazdak, furent libérées. On leur donna alors le choix de se remarier, de retourner dans leur ancienne famille ou de vivre seule.
Malgré la grande persécution contre les mazdakistes qui dura cinq ans (probablement de 524 à 529) l'étrange tradition survivra. Nous en trouvons des traces jusqu'au 8e siècle et nous retrouvons l’influence de Mazdak jusqu'en Europe médiévale et gnostique. En Perse, éradiqué des villes, le mazdakisme survivra dans les campagnes isolées et sa doctrine inspirera les révoltes nationalistes mazdéennes contre les envahisseurs arabo-musulmans.
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