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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Les SACRIFICES HUMAINS (pratique indo-européenne)

L'art et la littérature nous ont beaucoup renseignés sur les habitudes indo-européennes et si nous pouvons avancer que les sacrifices humains n'étaient pas fréquents, ils étaient pourtant communs.

Associé à la culture proto-indo-européenne de Yamna (v. -3000), le site archéologique de Louhansk (Ukraine) allie cette pratique à la sacralité des montagnes, car c'est sur des collines que s'effectuaient les sacrifices. On trouve la même coutume en Grèce, où de nombreux sommets sont associés à des divinités et à leur autel (Zeus et les monts Ida et Olympe).

Les sacrifices humains se pratiquaient encore à travers le monde antique : les annales et chroniques gréco-romaines mentionnent cette coutume à Rome, en Celtie, en Germanie, en Scythie… Et jusqu'au milieu du 19e siècle, les Kalashas sacrifiaient des enfants aux fées (si l'on en croit le témoignage de G. S. Robertson).

À Rome, les femmes abandonnaient les enfants non désirés au sommet de la colline du Capitole, avant qu'elle ne soit urbanisée, dans un acte qui porte la trace de l'ancestrale coutume qui consiste à sacrifier un être vivant au sommet d'un promontoire.

Avant que les offrandes de fruits et de fleurs ne soient préférées à celles de chair et de viande, avant que les libations de beurre, de lait et de miel ne remplacent celles du sang, le sacrifice humain était donc sporadiquement pratiqué, en particulier en cas d'épidémie, de calamité agricole ou encore de défaite militaire (sacrifice des vaincus comme des chefs défaillants).

Le témoignage de Pomponius Mela (v. 43) est sans appel :

La Gaule est habitée par des peuples fiers, superstitieux, et autrefois si barbares, qu’ils regardaient les sacrifices humains, comme le genre d’holocauste le plus efficace et le plus agréable aux dieux. Cette coutume abominable n’existe plus, mais il en reste encore des traces : car, s’ils s’abstiennent d’immoler les hommes qu’ils dévouent, ils les conduisent néanmoins à l’autel, et les y déchirent avec les dents.

Description de la terre, 3, 2.

Pomponius Mela rapporte la pratique du vampirisme en Scythie :

Les régions intérieures de la Scythie sont encore plus sauvages, et les mœurs des habitants plus barbares : ils ne respirent que la guerre et le carnage, et, quand ils se battent, ils ont l’habitude de sucer par la blessure même le sang du premier ennemi qu’ils ont tué. [...] Il n’est pas jusqu’à leurs traités qui ne soient scellés par le sang : les contractants s’en tirent de part et d’autre, le mêlent ensuite et en boivent tour à tour, regardant cette formalité comme le gage le plus certain d’une fidélité durable.

Ibid, 2, 1

César témoigne ainsi des coutumes gauloises :

« Toute la nation gauloise est très superstitieuse ; aussi ceux qui sont attaqués de maladies graves, ceux qui vivent au milieu de la guerre et de ses dangers, ou immolent des victimes humaines, ou font vœu d'en immoler, et ont recours pour ces sacrifices au ministère des druides. Ils pensent que la vie d'un homme est nécessaire pour racheter celle d'un homme, et que les dieux immortels ne peuvent être apaisés qu'à ce prix ; ils ont même institué des sacrifices publics de ce genre. Ils ont quelquefois des mannequins d'une grandeur immense et tressés en osier, dont ils remplissent l'intérieur d'hommes vivants ; ils y mettent le feu et font expirer leurs victimes dans les flammes. Ils pensent que le supplice de ceux qui sont convaincus de vol, de brigandage ou de quelque autre délit, est plus agréable aux dieux immortels ; mais quand ces hommes leur manquent, ils se rabattent sur les innocents. » La guerre des Gaules, 6, 16.

À propos des Gaulois, Strabon mentionne des coutumes d'une violence inouïe. Scalpe, torture, réduction de têtes, fabrication de trophées funestes avec les os des victimes, telles sont quelques-unes des pratiques que Strabon déclare commune en Gaule et dans le reste de l'Europe :

Les Gaulois ont certaines coutumes qui dénotent quelque chose de féroce et de sauvage dans leur caractère, mais qui se retrouvent chez la plupart des nations du Nord. Celle-ci est du nombre : au sortir du combat, ils suspendent au cou de leurs chevaux les têtes des ennemis qu'ils ont tués et les rapportent avec eux pour les clouer, comme autant de trophées, aux portes de leurs maisons. Posidonius dit avoir été souvent témoin de ce spectacle, il avait été long à s'y faire, toutefois l'habitude avait fini par l'y rendre insensible. Les têtes des chefs ou personnages illustres étaient conservées dans de l'huile de cèdre et ils les montraient avec orgueil aux étrangers, refusant de les rendre même quand on voulait les leur racheter au poids de l'or.

Strabon mentionne en outre une méthode de divination d'une cruauté à peine croyable :

Il était d'usage, par exemple, que le malheureux désigné comme victime reçût un coup de sabre à l'endroit des fausses côtes, puis l'on prédisait l'avenir d'après la nature de ses convulsions et cela en présence des Druides, vu que jamais ils n'offraient de sacrifices sans que des Druides y assistassent. On cite encore chez eux d'autres formes de sacrifices humains : tantôt, par exemple, la victime était tuée lentement à coups de flèches, tantôt ils la crucifiaient dans leurs temples, ou bien ils construisaient un mannequin colossal avec du bois et du foin, y faisaient entrer des bestiaux et des animaux de toute sorte, pêle-mêle avec des hommes, puis y mettant le feu, consommaient l'holocauste.

Chaque divinité avait des préférences en matière de supplice : Esus demandait qu'on pende ses victimes des arbres; le dieu de la Foudre, Taran, aimait les bûchers: en l'honneur de Teutatès on asphyxiait les misérables en les renversant dans une cuve pleine d'eau. Un rituel déterminait sans doute les cas qui exigeaient l'emploi de tel ou tel mode de meurtre sacré. C'était un jardin des supplices effroyables et variés, que les abords de la demeure du dieu.

C. Jullian, Histoire de la Gaule.

Les mêmes pratiques sacrificielles se retrouvent chez les Ligures, un peuple assimilé aux Celtes. C'est à eux, ainsi qu'aux bardes et druides gaulois et à une caste de paysans-guerriers daço-thraces (les Comates), que Lucain adresse des vers d'une poésie ténébreuse et inquiétante :

Vous voilà libres, Comates aux longs cheveux errants sur des épaules blanches ; et toi, Ligurien, dont le front est sans chevelure, mais dont la valeur est plus célèbre. Vous qui apaisez par des flots de sang humain Teutatès l’impitoyable, l’autel horrible d’Hésus, et Taranis plus cruelle que Diane taurique ; vous par qui revivent les fortes âmes disparues dans les combats, chantres dont la louange donne l’éternité, bardes ! vous ne craignez plus de répéter vos hymnes ; druides ! vous reprenez vos rites barbares, vos sanglants sacrifices que la guerre avait abolis.

La Pharsale, 1, 5

De tels témoignages sont communs, ce qui a poussé les modernes à envisager nos ancêtres avec beaucoup de sévérité. C'est ainsi que Ferdinand Lot résumait les coutumes gauloises les plus violentes:

Le druidisme restait plongé dans la barbarie ancestrale. Il approuvait et pratiquait l'antique superstition des sacrifices humains pour complaire aux dieux. Dans la conscience des Gaulois, la colère des dieux contre le meurtre ou le vol ne pouvait être apaisée que par la mise à mort du coupable. [...] Quant au sacrifice des prisonniers de guerre, les Gaulois, comme tous les Barbares, n'ont cessé de le pratiquer.

La Gaule

Émile Thevenot, autre grand spécialiste de la Gaule, partage le même point de vue :

« Les Gaulois ont pratiqué les sacrifices sanglants, sacrifices d'animaux et même sacrifices humains. Les victimes, enfermées dans un colossal mannequin en bois, périssaient par le feu. Plusieurs auteurs anciens ont raconté les détails de ces exécutions qui révoltent une conscience moderne. À vrai dire, tous les peuples antiques les ont connues, sous une forme ou sous une autre ; chez les Romains, elles avaient pris celle de la « dévotion ». Les sacrifices avaient lieu pour le compte d'un particulier ou pour le compte de la nation. Dans le premier cas, on voulait détourner un malheur dont on était personnellement menacé ; dans le deuxième, on sacrifiait pour obtenir la victoire ou la prospérité de la nation. […] Le sacrifice d'un homme, pensait-on, pouvait sauver un malade de la mort, assurer la sauvegarde d'une population. La divinité exigeait des victimes, mais acceptait la rédemption de la victime menacée par une autre équivalente. Dans la pratique, les Gaulois offraient aux dieux les condamnés de droit commun ; le sacrifice des innocents n'intervenait qu'en cas de nécessité. Il dut devenir de plus en plus exceptionnel. » Histoire des Gaulois.

Horrifié par de telles coutumes, on pourrait être tenté de croire, comme certains universitaires le prétendent, qu'il s'agisse de rumeurs inventées par les envahisseurs gréco-romains afin de diaboliser leurs ennemis. Des vestiges archéologiques corroborent pourtant les témoignages des chroniqueurs, géographes et historiens.

« Orose décrit ainsi le sacrifice des Cimbres et des Teutons après leur victoire à Arausio (Orange) en 105 avant J.-C. : « Les vêtements (des morts romains) furent déchirés et jetés par terre, les objets d'or et d'argent jetés dans le fleuve, les armures des hommes brisées, les harnais des chevaux détruits, les chevaux eux-mêmes noyés dans le fleuve et les hommes pendus aux arbres. » Tacite fait allusion à un sacrifice analogue après la victoire des Hermundures sur les Cattes en 58 après J.-C. La description de l'état dans lequel les Romains trouvèrent le champ de bataille où les légions de Varus avaient été anéanties par Arminius indique également que les Germains victorieux y avaient sacrifié leur butin de guerre. [...] Les prisonniers de guerre étaient sans doute sacrifiés à Wotan : le sacrifice par pendaison était typique pour le culte de ce dieu, et Tacite remarque que « Mercure » est le seul dieu qui reçoit des sacrifices humains. » R. Derolez, Les Germains. Et Strabon: « C'est une coutume chez les Cimbres, que leurs femmes qui prenaient part à toutes leurs expéditions, fussent accompagnées elles-mêmes de prêtresses et de prophétesses. Quand on amenait des prisonniers dans le camp, ces prêtresses, le glaive à la main, ayaient au-devant d'eux et, après les avoir couronnés de fleurs, les conduisaient vers un grand bassin de cuivre pouvant contenir vingt amphores et contre lequel était dressée une sorte d'échelle. L'une d'elles y montait et tirait chaque captif jusqu'à la hauteur du bassin qu'elle dominait ainsi et elle l'égorgeait. »

En Europe du nord, sur la pierre tombale de Larbro (Gotland, Suède, période post-romaine), on peut admirer un sacrifice humain représenté en détail. Quant au célèbre Chaudron de Gundestrup (Jutland, Danemark, 1er siècle), il contient une représentation d'un homme qui en pousse un autre dans un chaudron, sous les regards de guerriers en arme.

 

La pierre de Larbro (Danemark)

 

Détail de la pierre de Larbro

 

Détail du chaudron de Gundestrup

 

Lors de son voyage en Europe du nord, Tacite mentionne en effet les sacrifices humains :

Parmi les dieux, le principal objet de leur culte est Mercure, auquel ils croient devoir à certains jours immoler des victimes humaines.

Les Germains, 9

Le même auteur mentionne chez les Germains une méthode de divination par le combat :

Quand les Germains veulent connaître quel sera le succès d’une grande guerre, ils se procurent, de quelque manière que ce soit, un prisonnier de la nation ennemie, et, le mettant aux prises avec un guerrier choisi parmi eux, ils les font battre chacun avec les armes de son pays. La victoire de l’un ou de l’autre est regardée comme un pronostic.

Les Germains, 10.

Le grand voyageur et spécialiste de la civilisation nordique, Xavier Marmier, évoque quant à lui ce que l'on peut appeler des « meurtres rituels ». Ces rituels sanglants donnent l'occasion de rassemblements politiques et commerciaux, annonçant les foires médiévales.

« Il y avait, chaque année, trois grandes fêtes : l’une en automne, l’autre en été, la troisième au milieu de l’hiver ; le peuple y accourait de toute part. Dans ces réunions religieuses, les prêtres immolaient des prisonniers de guerre, des hommes condamnés à mort pour quelque crime, des sangliers et des chevaux, surtout des chevaux blancs, qui, de même qu’en Perse, étaient regardés comme des animaux sacrés. Le sang des victimes était recueilli dans des bassins de pierre ou d’airain : un des pontifes le prenait pour arroser les murailles du temple, et asperger la foule ; puis on partageait au peuple la chair palpitante des chevaux ; les tonnes de bière s’ouvraient, et les cérémonies pieuses se changeaient en orgie. Tous les neuf ans, les Scandinaves célébraient une fête plus solennelle. L’évêque Dithmar rapporte, dans sa Chronique de Mersebourg, que dans ces grandes réunions on égorgeait quatre-vingt-dix-neuf hommes, autant de chevaux, de chiens et de coqs. Ces sacrifices ne servaient pas seulement à rendre hommage aux dieux ; les prêtres y cherchaient un moyen de former des pronostics, de prédire les événements. Ils avaient, comme les Romains, une sorte de science augurale à laquelle le peuple ajoutait foi. » Lettres sur l’Islande.

À propos des Gètes de Thrace, Hérodote (4, 95) rapporte lui aussi un rituel supposé permettre la consultation mais aussi l'envoie de requêtes au dieu principal en lui offrant une vie humaine :

Tous les cinq ans ils tirent au sort quelqu’un de leur nation, et l’envoient porter de leurs nouvelles à Zalmoxis, avec ordre de lui représenter leurs besoins : trois d’entre eux sont chargés de tenir chacun une javeline la pointe en haut, tandis que d’autres prennent, par les pieds et par les mains, celui qu’on envoie à Zalmoxis. Ils le mettent en branle, et le lancent en l’air, de façon qu’il retombe sur la pointe des javelines. S’il meurt de ses blessures, ils croient que le dieu leur est propice.

Pomponius Mela dans la Description de la terre (2, 1), évoque en Scythie des coutumes semblables à celles des Germains et des Celtes que nous venons de passer en revue :

Les Taures, dont Iphigénie et Oreste ont rendu le nom célèbre, ont des mœurs barbares et la réputation affreuse d’immoler les étrangers sur leurs autels. [...] Mars est le dieu commun des Scythes ; ils lui consacrent des cimeterres et des baudriers en guise de simulacres, et lui sacrifient des victimes humaines.

Summum du barbarisme, le cannibalisme est aussi pratiqué, bien que plus rarement que le sacrifice humain. Pomponius Mela évoque les Anthropophages, ainsi les Issédons, qui vivaient entre la Caspienne et le bassin du Tarim.

Les Anthropophages se nourrissent de chair humaine comme d’un aliment naturel. Les Gélons se font des vêtements de la peau des têtes de leurs ennemis, et fabriquent avec celle du reste des corps, des housses pour leurs chevaux.

Les peuples de la Scythie se distinguent entre eux par des mœurs et des coutumes différentes. Les Issédons célèbrent les funérailles de leurs parents par des transports de joie, par des sacrifices et une réunion solennelle de la famille du défunt. Ils coupent le cadavre par morceaux, coupent de même les entrailles des victimes, mêlent toutes ces chairs ensemble et en font un festin. Quant à la tête, après l’avoir dépouillée et proprement nettoyée, ils en font une coupe qu’ils entourent d’un cercle d’or. Tels sont chez eux les derniers devoirs que la piété rend aux morts.

Plus à l'est encore, on trouve mention du sacrifice humain dans les Vedas : c'est le purushameda, le « sacrifice de l'homme. » Nous n'en possédons cependant aucune autre trace littéraire ni architecturale, de sorte que nous pensons qu'il ne fût plus pratiqué dès la période brahmanique, vers 500 avant notre ère.

À propos des Indiens, Pomponius Mela évoque des coutumes qu'il n'a pas constatées directement, mais qu'il a dû lire souvent en se renseignant sur l'Inde et ses coutumes.

Là c’est un devoir de ne tuer aucun animal et de s’abstenir de chair ; ici on ne se nourrit que de poissons ; un peu plus loin on tue ses parents, comme on tue des victimes, avant que la vieillesse ou la maladie les ait fait maigrir, et c’est ensuite un grand acte de piété que de manger leur chair dans un festin. Aussi ceux qui sentent les approches de la vieillesse ou de la maladie, prennent-ils le parti de s’enfuir dans la solitude pour y attendre tranquillement la mort naturelle. Les savants et les sages ne l’attendent pas, et se font autant de plaisir que d’honneur de la prévenir en se brûlant tout vifs.

3, 7

On retrouve dans ces témoignages la coutume pour le moins étonnante du meurtre rituel des personnes âgées, déjà observé chez les peuplades scythes et issédones. Cette pratique est décrite par Hellanicus (v. -450), que cite Clément d'Alexandrie :

Les Hyperboréens conduisent les sexagénaires hors des portes de la ville, et les retranchent du milieu d’eux.

Sromates, 1, 15

On sait par ailleurs que le suicide était pratiqué par les anciens habitants de la Sibérie et de la Scandinavie : arrivés en fin de vie et refusant d'être un poids pour leurs semblables, refusant d'incarner la faiblesse et la décrépitude, les vieillards sautaient dans des précipices depuis le haut des falaises. L'entrée dans les ordres ou le pèlerinage entrepris par les seniors Indiens serait donc une version raffinée et pacifique, de l'ancestral besoin qu'éprouvaient les peuples primitifs de choisir le moment exact de leur mort.

On trouve cette notion dans le jaïnisme. Le jina est doté d'une vie exemplaire, donc aussi d'une mort du même type. À propos de la fin de vie d'un tirthankara :

Lorsqu’il comprit que tous ses karmas restants approchaient de leur fin, il se rendit à la montagne Ashtapad [Kailash]. Le treizième jour de la moitié sombre du mois de « magh » (janvier / février), un peu avant midi, avec dix mille autres ascètes, il observa un jeûne de six jours, sans eau, assis en méditation dans la posture « paryanka ». Lorsque la lune entra dans la maison lunaire Abhijit, il parvint au nirvana et fut libéré de toute les douleurs de l’existence.

Up. Shri Amar Muni, Les Vies authentiques des vingt-quatre Tirthankars (jainworld.com).

Selon le Mahabharata et le Ramayana, choisir le moment de sa propre mort est un des traits distinctifs des véritables rishis. Le rishi Vashishte, les saintes Sati et Sita, innombrables sont les suicidés de la littérature védique... Dans une certaine mesure, Rama et ses frères se suicident aussi, car après s'être entretenus avec la Mort elle-même, ils entrent vivant dans un fleuve dont ils ne ressortiront plus.

Durant sa période d'errance et d'exil dans la forêt, Rama rencontra un vieillard ascète qui s'immola devant lui :

Rama sauva Sita, puis tous ensemble ils rendirent visite aux illustres rishis Sarabhanga, Sutikshna, et Agastya. Sarabhanga, ayant reconnu Vishnou en Rama, et ayant fait jadis le vœu d'apercevoir Vishnou le jour de sa mort, s'immola aussitôt devant Rama. Une fois libéré de son enveloppe charnelle et périssable, le rishi monta aussitôt vers le Brahmane, rejoignant ainsi l'âme universelle et indivisible de l'univers pour s'y dissoudre complètement.

Adapté de l'introduction du Ramayana de Valmiki (trad. Roussel).

Strabon évoque une coutume similaire lorsqu'il raconte la mort de Kalanos (-398 à -323), le gymnosophiste qui avait rencontré Alexandre en Inde et l'avait suivi vers la Perse :

Il serait tombé malade, pour la première fois de sa vie, à Pasargades [Perse] quand il était dans sa 73e année, et, sans avoir égard aux prières, aux instances d'Alexandre, il aurait aussitôt pris la résolution d'en finir avec la vie. On lui aurait alors élevé un bûcher, surmonté d'un lit en or massif ; il s'y serait couché, et, s'enveloppant la tête, se serait laissé brûler. Mais, suivant d'autres, c'est une maison en bois qu'on lui avait bâtie ; cette maison avait été ensuite emplie de ramée, on y avait dressé un bûcher sur le toit ; puis on avait amené Kalanos en grande pompe. Kalanos avait donné l'ordre lui-même que la maison fût fermée, et l'on n'avait pas tardé à le voir, semblable à une poutre qui s'écroule dans un brasier ardent, se précipiter du haut du bûcher dans les flammes.

15.1

On retrouve dans la mort de Kalanos des éléments purement indo-européens, dont le grand bûcher public et surtout l'érection d'une « maison » du feu, qui une fois incinérée, représentera les fondations du monument commémoratif que l'on pourra éventuellement construire dessus.

Lors d'un échange de cadeaux entre Rome et l'Inde, des Indiens font le voyage jusqu'en Europe. Strabon commente leur visite avec beaucoup de circonspection.

Que nous a envoyé l'Inde ? en tout et pour tout, une ambassade chargée pour César Auguste des présents et hommages d'une seule de ses provinces [le Gandhara] et d'un seul de ses rois Porus III, et un de ses sophistes qui est venu mourir sur un bûcher dans Athènes et renouveler ainsi le spectacle donné jadis par Kalanos à Alexandre. […] Nicolas de Damas ajoute que le gymnosophiste, vêtu d'un simple caleçon, et le corps bien frotté d'huile, avait escaladé en riant son bûcher. L'inscription que l'on grava sur son tombeau était ainsi conçue : ci-git Zarmanochegas, Indien natif de Bargosa [Bharuch ou Broach, embouchure de la Narmada, Gujarat], mort de mort volontaire, fidèle à la coutume de ses pères.

Géographie, 15, 1.

Un des mythes les plus universels, celui du combat contre le dragon (ou contre le minotaure, le cyclope...) évoque lui aussi la coutume ancestrale du sacrifice humain. Dans Les manuscrits tokhariens et la littérature bouddhique en Asie centrale, Georges-Jean Pinault rapporte une croyance koutchéenne originaire de la région de Khotan :

Si les nagas voient des passions perverses et abandonnent le pays, les eaux se tarissent. Cette croyance fait intervenir le terme sanskrit naga, qui désigne les génies des eaux de l'Inde, des créatures mi-hommes mi-serpents. [...] C'étaient ces génies qui faisaient couler les rivières et qui permettaient aux agriculteurs d'exercer leur activité. On conçoit aisément que le culte des dragons ait joué, dans le bassin du Tarim, un rôle fondamental. En fait, la légende khotanaise semble être un souvenir des sacrifices humains que l'on offre aux dragons : on noyait un homme dans une rivière afin qu'elle continuât à couler.

G.-J. Pinault fait ici référence au témoignage du pèlerin bouddhiste chinois Xuanzang (602 - 664), lequel rapporte une légende du Tarim :

Une rivière s'était subitement arrêtée de couler. Les champs n'étaient donc plus irrigués, or dans cette contrée désertique, l'irrigation était absolument nécessaire. Le royaume était donc en danger. Le roi obtint le conseil de faire des sacrifices et des prières au dragon qui habitait ce fleuve. L'ayant mis en application, il vit une femme surgir des eaux. Elle lui expliqua que, son mari étant mort, il n'y avait plus de maître pour donner des ordres, et que le fleuve ne coulait plus pour cette raison. Elle demanda au roi de choisir un de ses ministres, qui deviendrait son nouvel époux. De retour chez lui, le roi trouva un volontaire. Celui-ci partit pour le palais du dragon, sous les eaux, vêtu de blanc sur un cheval blanc.

Mémoires sur les contrées occidentales.

Cette coutume du sacrifice et des offrandes faites aux points d'eau (sources, rivières ou marécages), nous la retrouvons de l'autre côté de l'Eurasie :

Pour ce qui est de l'eau, nous savons, d'après les textes anciens, qu'au temps des païens de jeunes coqs et peut-être même des nourrissons étaient sacrifiés à certains cours d'eau dans lesquels vivaient, pensait-on, des dieux ou des esprits. Ces pratiques ne disparurent pas totalement avec le paganisme : on les retrouve dans les pèlerinages aux sources ou aux puits miraculeux aux eaux desquels on attribuait des vertus curatives. Les pèlerins se lavaient les yeux avec cette eau et y jetaient une pièce de monnaie en paiement.

E. Warner, Les plus belles légendes de la mythologie russe.

« À juger d'après le grand nombre d'objets retrouvés, des marais semblent avoir été les endroits préférés pour les sacrifices, et cela depuis l'Âge de la Pierre. [...] Des trompettes de bronze [...] ont été découvertes dans de pareils endroits. Certains marécages ont dû servir de lieux de sacrifice pendant des centaines d'années, car ils offrent une gamme d'objets d'âges différents. Des traces de sacrifices humains et de sacrifices d'animaux se trouvent aux mêmes endroits. Ainsi, dans le marais de Vemmelôv (Suède), on a découvert les restes de quatre hommes, de chevaux, bœufs, moutons, sangliers, cerfs, renards et même d'une vingtaine de chiens, le tout datant de l'Âge du Bronze. Ailleurs, un puits pouvait servir au même but, comme l'a montré l'excavation à Budsene, dans l'île danoise de Môen. Dans un tronc d'arbre évidé, qui avait servi d'encerclage d'un puits, on découvrit des objets de bronze (deux bols, une plaque de ceinture et plusieurs bracelets) ainsi que des os de chevaux, de bœufs, de porcs et de chiens. Faute d'indications précises, on ne saurait dire à quelles divinités étaient destinées ces offrandes. […] Le choix de marais comme lieux de sacrifice nous a valu la conservation remarquable de quelques victimes, dont le corps avait été en quelque sorte momifié dans ce milieu acide. Une des découvertes les plus spectaculaires date d'il y a quinze ans à peine : dans le marais de Tollund, près de Silkeborg (Jutland, Danemark), des tourbiers trouvèrent le corps d'un homme d'une quarantaine d'années dans un état de conservation tout à fait exceptionnel. La victime portait encore autour du cou la corde avec laquelle elle avait été pendue ou étranglée avant d'être engloutie par le marais. Elle avait reçu son dernier repas au moins 12 heures avant sa mort, et ce repas avait consisté en une bouillie de céréales et de graines de toute une série de plantes sauvages (chénopode blanc, spergule, etc.). Ce n'est certainement pas là un exemple du régime journalier des Germains — excepté peut-être en temps de famine. [...] À une jeune femme, on avait coupé les cheveux avant l'exécution. » R. Derolez, Les Germains.

Pour compléter notre panorama, relevons quelques coutumes sacrificielles de Scythie et de Perse, telles que décrites par les auteurs grecs de l'Antiquité.

À propos des tribus scythes et cimmériennes du Pont-Euxin, les Ariques, les Sinques et les Napéens, « toutes également redoutables par la barbarie invétérée de leurs mœurs », Ammien Marcellin observe que :

Ces peuples immolent des victimes humaines. Ils sacrifient les étrangers à Diane, qu’ils appellent Orsilochè, et suspendent les crânes de leurs victimes aux parois des temples, comme le plus glorieux des trophées.

Histoire de Rome, 22, 8, 34.

Lucien de Samosate confirme la prépondérance de la déesse de la chasse, dont Iphigénie est un avatar :

Le Scythe, dédaignant toute autre victime comme trop vile, immole des hommes à Diane, et par là croit se rendre agréable à la déesse.

Sur les sacrifices, 13.

À propos des Scythes, Hérodote rapporte :

« Les Scythes sacrifient de la même manière dans tous leurs lieux sacrés. Ces sacrifices se font ainsi : la victime est debout, les deux pieds devant attachés avec une corde. Celui qui doit l'immoler se tient derrière, tire à lui le bout de la corde, et la fait tomber. Tandis qu'elle tombe, il invoque le dieu auquel il va la sacrifier. Il lui met ensuite une corde au cou, et serre la corde avec un bâton qu'il tourne. C'est ainsi qu'il l'étrangle, sans allumer de feu, sans faire de libations, et sans aucune autre cérémonie préparatoire. La victime étranglée, le sacrificateur la dépouille, et se dispose à la faire cuire. Comme il n'y a point du tout de bois en Scythie, voici comment ils ont imaginé de faire cuire la victime. Quand ils l'ont dépouillée, ils enlèvent toute la chair qui est sur les os, et la mettent dans des chaudières, s'il se trouve qu'ils en aient. Les chaudières de ce pays ressemblent beaucoup aux cratères de Lesbos, excepté qu'elles sont beaucoup plus grandes. On allume dessous du feu avec les os de la victime. Mais, s'ils n'ont point de chaudières, ils mettent toutes les chairs avec de l'eau dans le ventre de l'animal, et allument les os dessous. Ces os font un très bon feu, et le ventre tient aisément les chairs désossées. Ainsi le bœuf se fait cuire lui-même, et, les autres victimes se font cuire aussi chacune elle-même. Quand le tout est cuit, le sacrificateur offre les prémices de la chair et des entrailles, en les jetant devant lui. Ils immolent aussi d'autres animaux, et principalement des chevaux. » 4, 60.

Et :

« Voici les rites que les Scythes observent à l'égard du dieu Mars : dans chaque pays on lui élève un temple de la manière suivante, dans un champ destiné aux assemblées de la nation. On entasse des fagots de menu bois, et on en fait une pile de trois stades en longueur et en largeur, et moins en hauteur. Sur cette pile, on pratique une espèce de plate-forme carrée, dont trois côtés sont, inaccessibles ; le quatrième va en pente, de manière qu'on puisse y monter. On y entasse tous les ans cent cinquante charretées de menu bois pour relever cette pile, qui s'affaisse par les injures des saisons. Au haut de cette pile, chaque nation scythe plante un vieux cimeterre de fer, qui leur tient lieu de simulacre de Mars. Ils offrent tous les ans à ce cimeterre des sacrifices de chevaux et d'autres animaux, et lui immolent plus de victimes qu'au reste des dieux. Ils lui sacrifient aussi le centième de tous les prisonniers qu'ils font sur leurs ennemis, mais non de la même manière que les animaux ; la cérémonie en est bien différente. Ils font d'abord des libations avec du vin sur la tête de ces victimes humaines, les égorgent ensuite sur un vase, portent ce vase au haut de la pile, et en répandent le sang sur le cimeterre. Pendant qu'on porte ce sang au haut de la pile, ceux qui sont au bas coupent le bras droit avec l'épaule à tous ceux qu'ils ont immolés, et les jettent en l'air. Après avoir achevé le sacrifice de toutes les autres victimes, ils se retirent ; le bras reste où il tombe, et le corps demeure étendu dans un autre endroit. » 4, 61 et 62.

Hérodote nous apprend aussi que les voleurs de grands chemins et les pirates de la Tauride (Crimée) pratiquent le sacrifice humain à Iphigénie-Artémis, protectrice des navires. C'est à Artémis qu'Orphée adresse ses prières afin que la traversée des Argonautes se fasse sans encombre jusqu'en Colchide (rive orientale de la mer Noire).

« Ceux d'entre ces peuples qu'on appelle Taures ont des coutumes particulières. Ils immolent à Iphigénie de la manière que je vais dire les étrangers qui échouent sur leurs côtes, et tous les Grecs qui y abordent et qui tombent entre leurs mains. Après les cérémonies accoutumées, ils les assomment d'un coup de massue sur la tête : quelques-uns disent qu'ils leur coupent ensuite la tête et l'attachent à une croix, et qu'ils précipitent le corps du haut du rocher où le temple est bâti ; quelques autres conviennent du traitement fait à la tête, mais ils assurent qu'on enterre le corps, au lieu de le précipiter du haut du rocher. Les Taures eux-mêmes disent que la déesse à laquelle ils font ces sacrifices est Iphigénie, fille d'Agamemnon. Quant à leurs ennemis, si un Taure fait dans les combats un prisonnier, il lui coupe la tête et l'emporte chez lui. Il la met ensuite au bout d'une perche qu'il place sur sa maison, et surtout au-dessus de la cheminée. Ils élèvent de la sorte la tête de leurs prisonniers, afin, disent-ils, qu'elle garde et protège toute la maison. Ils subsistent du butin qu'ils font à la guerre. » 4, 103.

À propos de la Bactriane et des rivages de la mer Caspienne, Strabon cite Onésicrite (v. -300) et mentionne des coutumes barbares qui dépassent le cadre du rituel sacrificiel. S'agit-il de coutumes zoroastriennes mal comprises ou diabolisées par un auteur étranger aux rites de la Perse ? Ou s'agit-il d'une véritable coutume ? Comment savoir ? La simple mention d'une telle pratique indique que son existence pouvait en tout cas se concevoir.

« Ceux d'entre les Bactriens qui, pour vieillesse ou pour maladie, étaient déclarés incurables, étaient jetés vivants en proie à des chiens dressés et entretenus exprès et qu'on appelait dans la langue du pays « fossoyeurs » ou « croque-morts ». Les alentours de Bactres, leur capitale, n'offraient aux yeux que des objets impurs : presque tous les quartiers de la ville n'étaient remplis que d'ossements humains. [...] Les historiens, à la vérité, signalent un usage à peu près semblable chez les Caspiens, lorsqu'ils nous montrent ce peuple jetant en prison et y laissant mourir de faim tous les grands parents passé l'âge de soixante-dix ans. […] Les Derbices adorent la Terre et ne sacrifient ni ne mangent les animaux femelles ; mais chez eux, tous les vieillards qui ont passé l'âge de soixante-dix ans sont égorgés. Leurs plus proches parents dévorent leur chair. Quant aux vieilles femmes, elles sont étranglées, puis enterrées. Les hommes morts avant d'avoir atteint l'âge de soixante-dix ans ne sont pas mangés non plus, mais enterrés comme les femmes. » 11, 11.

Heureusement, Strabon nous rassure sur les autres populations de la région :

Chez les autres, la peine de mort n'est jamais appliquée ; elle ne l'est pas même aux plus grands criminels qu'on se borne à bannir en compagnie de leurs enfants, ce qui est juste l'inverse de ce que pratiquent les Derbices, chez qui les fautes les plus légères sont punies de mort.

L'enterrement vivant des sacrifiés est une coutume que l'on retrouve dans le Ramayana de Valmiki. En exil dans une forêt infestée de démons, Rama a recours à cette technique pour en éradiquer le chef :

Au matin du deuxième jour, le héros aux yeux de lotus constata que sa femme lui avait été ravie par Viradha, un démon qui terrorisait les hôtes des bois. Rama et Lakshman le cherchèrent et très vite le trouvèrent. Sans perdre un instant ils engagèrent le combat, et percèrent de nombreuses flèches le démon. Pourtant, les flèches lui passaient à travers, sans le blesser. Le démon leur annonça alors qu'il s'agissait là d'un vœu que Brahma avait réalisé pour eux et qui le rendait invincible aux armes. Sans être intimidé le moins du monde, les deux frères se jetèrent sur lui à main nue, lui cassèrent les membres, puis l’enterrèrent vivant, de sorte que, le corps brisé, le monstre demanda grâce à Rama.

Récit adapté de la trad. Roussel.

Si les rites et les coutumes indo-européennes peuvent sembler barbares, ces pratiques évoluèrent, pour témoigner de l'importance du principe de non-violence envers le vivant. Gaulois comme Aryens considéraient d'ailleurs le végétarisme comme une pratique bénéfique. Les offrandes de viandes furent remplacées par des offrandes de fruits, de miel et de beurre.

 

Le meurtre rituel

Le caractère fier et belliqueux des Kailashas est une des raisons qui explique la conservation de leurs traditions, lesquelles trouvent pourtant leur origine au Néolithique. Selon les pèlerins chinois et indiens, ce pays était parmi les plus dangereux. Les voisins musulmans des Kailashas les décrivaient comme des meurtriers, capables non seulement de tuer quiconque s'aventurerait sur leurs terres, mais encore étaient-ils capables de se réunir en groupe, puis de pratiquer le meurtre rituel. Ils descendaient alors dans les villages des vallées plus basses pour y capturer des villageois. Cette pratique nous est certifiée par l'ethnologie, qui nous rapporte que les adolescents kailashas n’accédaient au statut respecté de guerrier que s'ils avaient effectivement tué un certain nombre d’ennemis et dans des conditions de bravoure bien particulières.

Nous observons une pratique similaire à Sparte, une cité guerrière bâtie sur une colline ; le principal rituel d'entrée dans la vie adulte consistait alors en quelques nuits de massacres dans les campagnes environnantes peuplées d'esclaves (les Hilotes).

Dans L'Épopée des Celtes, J. A. Mauduit évoque des pratiques similaires en Irlande et ailleurs :

« Cette chasse aux trophées pouvait être obligatoire et rituelle. Cela se produisait quand les jeunes gens arrivaient à l'âge adulte. Ainsi chaque fois qu'un jeune homme d'Ulster partait pour la première fois en guerre, il devait passer la frontière du Connaught et ramener la tète d'un homme. C'est ce que fit le héros Cuchulainn. Quand il revint de son expédition, il tenait neuf têtes coupées dans une main et dix de l'autre. Il jonglait avec elles, s'offrant, à l'admiration des peuples et plus précisément des femmes qui étaient toutes amoureuses de lui. À la fin, Cuchulainn eut aussi la tête tranchée. Il fut enterré à Tara où était consacré le roi suprême. Cette coutume était encore, il y a peu de temps, en Asie (Assam) et en Océanie chez les Papous, pratique courante. C'est ainsi qu'à Bornéo, comme en Irlande, la chasse aux têtes marquait la consécration des jeunes gens qui, ayant fait leurs preuve. »

Jusqu'à la fin du 19e siècle, ces coutumes peu accueillantes étaient partagées par la plupart des peuples montagneux, dont les Tibétains.

Ces expéditions dangereuses pouvaient se décliner de plusieurs manières. La plus commune, mais aussi la plus ancestrale, consistait à voler le bétail des tribus voisines. Les récits racontant le vol organisé du bétail portent en Irlande le nom de « tana ». En Inde, de nombreux hymnes védiques adressent des louanges à Indra afin que celui-ci permette aux Aryens de capturer des vaches.

Mentionnons enfin le mythe de l'enlèvement des Sabines par les premiers habitants de Rome. Il ne s'agit plus de voler des vaches, mais des jeunes filles en fleur, afin de peupler la nouvelle cité romaine.

 

Le suicide rituel

Outre le sacrifice humain, on observe aussi la pratique du suicide de masse, intervenant souvent après des défaites militaires. Les guerriers ayant pour espoir et devoir de mourir au combat, le suicide était le plus souvent pratiqué par des femmes, qui cherchaient à échapper à leur nouvelle condition d'esclave. Il s'agit de l'incarnation la plus claire de la devise « vivre libre ou mourir ». Les exemples sont légion.

Justin, dans son Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée, évoque le suicide des Galates défaits par les armées romaines. Leur suicide est alors rigoureusement encadré par un contexte religieux et divinatoire :

Les Gaulois sacrifient des victimes pour les présages de la bataille. Mais comme les entrailles prédisent le massacre et la mort de tous, ils sombrent non dans la crainte, mais dans la démence et, espérant détourner les menaces des dieux par le massacre des leurs, ils mettent à mort leurs épouses et leurs enfants, inaugurant par le meurtre les présages de la guerre.

Trad. M.-P. Arnaud-Lindet

Sans bien la comprendre et en la décrivant avec des termes vagues, Pomponius Mela observe cette pratique suicidaire chez les Gaulois. « Il y a des Gaulois, écrit-il, qui se précipitaient gaîment sur les bûchers de leurs parents, comme pour continuer de vivre avec eux » (Description de la terre, 3, 2).

Au sujet des Gètes, peuple de la Scythie européenne, l'historien romain est plus loquace. Son témoignage est précieux car malgré l'évidente méconnaissance des coutumes scythes, il est un des seuls que nous possédions sur l'ancestral rituel de l’ensevelissement des chefs et de leurs pages, femmes et trésors sous un tumulus (kourgane).

Les femmes même ont une grande force de caractère : quand leurs maris meurent, leur vœu le plus cher est d’être immolées sur leurs cadavres et ensevelies dans le même tombeau ; et, comme souvent un homme a plusieurs femmes, celles-ci se disputent vivement cet honneur devant les juges établis pour prononcer sur le différend. La préférence est le prix de la vertu, et l’épouse qui en est jugée digne est au comble de la joie, tandis que les autres se lamentent et se livrent aux excès du plus affreux désespoir. Ceux qui veulent les consoler se rendent auprès du bûcher avec des armes et de l’argent, déclarant qu’ils sont prêts, s’il y a lieu, à traiter ou à se battre avec le génie du défunt ; et comme la provocation reste sans effet, les veuves passent de la douleur à de nouvelles amours.

Ibid, 2.2

Complétons notre panorama du suicide de masse par la Germanie : lors de la guerre des Cimbres (-102), alors que les troupes romaines de Caïus Marius sortaient vainqueurs de la bataille d'Aix en ayant fait prisonnier le roi Teutobod, les femmes teutonnes se suicidèrent en masse.

Strabon, qui cite Aristobule de Cassandréa (-380 - v. -290), mentionne cette même pratique en Inde (où elle fut pratiquée jusqu'au début du 20e siècle) :

Dans quelques parties de l'Inde, les femmes se laissent brûler vives sur le bûcher de leurs maris. Celles qui n'ont pas ce courage sont déshonorées pour toujours. Cela nous est confirmé par différents témoignages encore.

15.1

Cette pratique ne se limite pas à l'Antiquité : lors de la colonisation des Canaries (v. 1500), les Guanches (non indo-européens) de l'île de La Gomera sautèrent eux aussi de leur plus haute colline afin d'échapper aux milices espagnoles. Récemment, à la suite du siège de Sinjar (2014 - 2015), les femmes yézidies firent de même pour échapper à leur capture par les soldats de Daesh.

 

En Inde, on distingue la pratique de la pativrata, de la sativrata et du jauhar.

La pratique de la pativrata admet comme principe que la mort du mari sous-entend une défaillance de la part de sa femme, censée le protéger. En le suivant dans la mort, sa femme peut donc continuer son œuvre de protection. La femme se suicide alors en entrant dans un bûcher, dans un contexte religieux et en public. Son immolation la purifie de ses péchés et la prépare à une nouvelle incarnation plus éthérée.

Une telle coutume se pratiquait jadis à travers toute l'Eurasie. Sous des kourganes et des tumulus, où était enterré le chef héroïque du clan, on retrouve les armes les plus précieuses, mais aussi les concubines et les chevaux.

Cette pratique se retrouve chez les Celtes :

La doctrine [druidique] s'alliait aux concepts protohistoriques qui voulaient qu'on ensevelît avec le disparu ses armes, y compris, pour les princes, le char de guerre, ses bijoux, les ustensiles indispensables à sa vie. Ses femmes et ses ambactes [compagnons], dans une période archaïque, se suicident pour lui tenir compagnie dans l'au-delà.

F. Lot, La Gaule

La sativrata, « la pratique de la sati », fait référence à un épisode mythologique mettant en scène Sati, la compagne terrestre de Rudra-Shiva. Fille du rishi Daksha, Sati souhaitait dédier sa vie à Rudra, le dieu des ascètes et du yoga. Cependant, son père lui refusa cette faveur au prétexte que Rudra n'était pas un brahmane. Souhaitant marier sa fille à un déva, Daksha organisa alors une rencontre avec des possibles prétendants. Sati, pour demeurer fidèle à Rudra, s'immola volontairement, afin de renaître auprès du dieu en tant que Parvati, la grande déesse qui partage le trône de Shiva au sommet du mont Kailash.

Une fois qu'elle a prononcé le vœu de provoquer sa propre mort, la femme indienne se voit attribuée de nombreux dons magiques et mystiques. Elle devient alors une voyante et une sainte. Elle entre ensuite en méditation et l'on allume autour d'elle un immense brasier.

En Inde moderne, interdits par les lois britanniques puis républicaines, les rituels suicidaires ne se pratiquent plus que très rarement : une ou deux fois seulement par décennie. Les brahmanes qui patronneraient ou se rendraient complices d'une telle pratique seraient en effet sévèrement punis par la loi laïque indienne. Le suicide par l'immolation, hors contexte religieux, est par contre une pratique plus courante dans l'Inde moderne, mais qui diffère grandement de la sati. Il s'agit d'un simple suicide et non d'une mise en scène mystique réunissant des spectateurs autour d'un bûcher.

Enfin, le jauhar est le suicide d'une femme qui refuse de se voir déshonorée. Il peut être pratiqué en solitaire ou en groupe (toutes les femmes d'une caste, d'un village, etc.) Il peut être décidé volontairement où être imposé par le conseil d'un village, juste avant que ne se déroule un massacre jugé inévitable.

Cette tradition fanatique fut donc pratiquée en période de guerre, et plus particulièrement lors des conquêtes musulmanes. Les femmes hindoues étaient alors systématiquement violées, déportées et réduites en esclavage. En pratiquant l'immolation volontaire, elles faisaient un acte de résistance semblable à celui des martyrs chrétiens du premier siècle qui préféraient mourir dans les arènes avec les lions que de renier leur foi. En soustrayant leur corps à l'ennemi, elles sauvaient leur âme d'une pollution certaine, tout en sauvegardant l'honneur de leurs héritiers, de leur caste ou de leur famille.

Comme exemple évocateur, évoquons la cruelle campagne d'Alaul-Din Khalji. Celui qui allait devenir sultan de Delhi sema le chaos sur son passage, d'Afghanistan jusqu'au sud de la péninsule indienne. L’historien Persan Wassaf (1265 - 1328) écrit dans Tazjiyat-ul-Amsar wa Tajriyat ul Asa :

Lorsque Alaul-Din Khalji captura la ville de Kambayat dans le golfe de Cambay, il tua tous les adultes hindous mâles pour la gloire de l’islam, déversa des rivières de sang, déporta toutes les femmes du pays avec leur or, leur argent et leurs bijoux vers sa ville natale et fit de 20 000 filles indiennes ses esclaves privées.

Le conseiller d'Alaul-Din, Kazi Mughisuddin de Bayanah, suggère au sultan de

Sans cesse maintenir les hindous dans une situation de soumission et d'abjection, car il s'agit là d'un devoir religieux envers ceux qui ne sont que les éternels ennemis du prophète, qui lui-même nous [les musulmans] a intimé l'ordre de les supplicier et de les maintenir sous notre joug dans la captivité, ou bien de les convertir à l’islam, ou bien encore de les tuer, après avoir ravi leurs biens.

Le soufi Amir Khusrau commente dans ses chroniques :

Les Turcs quand il leur plaisait, pouvaient s’emparer d’un hindou, le vendre ou l’acheter.

Face à cette pratique de la terreur systématique, la mise à mort des femmes pouvait être décidée par le conseil du village vaincu. Ainsi, lors du siège de Chittorgarh, alors qu'Alaul-Din Khalji avait ordonné le massacre des 30 000 habitants, les assiégés eurent juste le temps de brûler leurs filles et leurs femmes avant que l’ennemi ne les réduise en esclavage.

« Le nombre d’esclaves capturés par Alaul-Din Khalji était prodigieux ; il enchaîna et humilia les esclaves. Durant le seul sac de Somnath, Alaul-Din Khalji prit un grand nombre de captifs et de très belles et élégantes jeunes filles d’un nombre approchant les 20 000 et des enfants des deux sexes plus que la plume ne peut les compter. Les armées mahométanes amenèrent le pays à sa ruine totale, détruisirent la vie de ses habitants et mirent à sac les villes capturant les enfants. La cour d' Alaul-Din Khalji était dit-on composée de 50 000 garçons esclaves à son service personnel et de 70 000 esclaves qui travaillaient en permanence dans son palais. Si le sultan Alaul-Din Khalji eut 50 000 garçons à son service personnel, le Sultan Muhammad Tughlaq, qui régna de 1325 à 1351, en aurait eu lui 20 000, et le Sultan Firoz Tughlaq (règne 1351 à 1388), qui aimait collectionner les garçons, en aurait eu un total improbable de 180 000 esclaves » A. Bostom, The Legacy of Jihad : Islamic holy war and the fate of the non-Muslims.

 

Le sacrifice de Purusha (mythe indien)

Purusha est l'être cosmique, incarnation de Brahma, qui se sacrifie pour que son corps serve de matière à la création de l'Univers et des créatures qui la composent. En Perse, c'est Yima, qui finit massacré par Ahriman, après avoir longtemps régné avec justice et sauvé l'humanité du Déluge. En Scandinavie, c'est Ymir, le premier être, dont le démembrement donnera naissance aux premiers hommes :

Les dieux tinrent une nouvelle fois conseil, afin de savoir ce que devaient façonner les nains avec le sang d'Ymir. » Avec la matière de ce premier sacrifice, les dieux collaborent dans le processus de création : « Odin leur donna le souffle vital, Haenir les sens, Lothur le sang et les couleurs de la vie. »

Voluspa, Codex Regius, trad. Boyer.

Il en va de même pour la trinité hindoue : Brahma créa le souffle, le point de départ, la toile de la vie. Rudra créa les énergies, les sens et les sentiments. Et enfin Vishnou divisa les sexes, permettant ainsi le processus de création. En osant une comparaison exotique, Brahma est le circuit, Rudra le courant et Vishnou l'électricien.

Si la création est possible, c'est donc grâce au sacrifice d'un être primordial. Celui-ci se livre alors à d'autres divinités pour que soient créés l'Univers ainsi que chaque existence qui le compose. C'est le Purusha des védiques.

Purusha est l'être cosmique qui fut sacrifié par les dieux pour créer la vie. Chaque partie de son corps incarne une différente partie de l'Univers. Tout ce qui compose la vie fait donc partie de Purusha : la Terre, l'humanité, les animaux, les corps célestes, l'air, le ciel, les différents domaines divins (lokas) et les quatre directions.

Dans la 10e et dernière partie du Rig-Veda, Purusha est présenté comme étant à l'origine des castes, les varnas, qui s'incarnent dans ses différentes parties du corps : les prêtres (brahmanes) sont la tête, qui pense et s'élève spirituellement, les guerriers (kshatriyas) sont les bras, qui défendent le corps, les commerçants (vaishyas) sont le ventre, qui ingère la nourriture permettant d'être en vie, et les travailleurs (shudras) sont les jambes, dont les efforts soutiennent le corps tout entier. Ce Veda est cependant apocryphe aux Vedas originaux et il semblerait qu'il s'agisse d'un ajout tardif, probablement composé plus de 1000 ans après la rédaction des Vedas originaux, afin de justifier le système rigoureux des castes en vogue au Moyen-Âge indien. Car à part dans cet hymne à Purusha, il n'y a aucune mention des castes dans le Rig-Veda.

Dans la tradition des Upanishads, les commentaires postérieurs aux Vedas, Purusha n'est plus un être cosmique mais un concept, celui de la conscience et de l'impermanence, qui s'oppose au principe féminin de Prakriti, la stabilité et la permanence. Dans l'Univers, ce qui évolue et se transforme est donc Purusha, ce qui demeure invariable est donc Prakriti.

 

Pangu, l'être cosmique initial de la mythologie chinoise, est une figure très similaire à celle de Purusha. Première créature à s'incarner dans l'Univers, il est aussi le premier à mourir. À sa mort il se transforma : son souffle devint le vent et les nuages, sa voix donna naissance au rugissement du tonnerre et de ses yeux naquirent les éclairs, puis son œil gauche devint le soleil et le droit la lune. De même, ses quatre membres devinrent les extrémités de l’univers, ses coudes, ses genoux et sa tête devinrent les cinq montagnes sacrées, de sorte que sa tête devint le Mont de l’est [Tai Shan], son ventre celui du centre [Song Shan], son bras gauche le Mont du sud [Heng Shan, Hunan], le droit le Mont du nord [Heng Shan, Shaanxi] et ses pieds le Mont de l’ouest [Hua]. Quant à son sang, il forma les rivières qui abreuvèrent la Terre, ses larmes formèrent les fleuves, sa graisse les mers et océans et sa transpiration la pluie et la rosée.

Par ailleurs, son corps devint la terre, ses os devinrent des rochers, ses tendons le relief, sa chair les terres arables, ses cheveux les astres, les poils de son corps la végétation, ses dents les métaux et les roches, sa moelle les pierres précieuses et le jade. Enfin, la vermine et les mouches qui pullulaient sur son corps, disséminées par le vent, devinrent les animaux et les hommes.

La légende de Pangu raconte encore que le temps est clément lorsqu'il est content, mais qu’il fait mauvais temps lorsqu'il est en colère et que ce sont ses battements d’œil qui forment le jour et la nuit.

 

Mentionnons enfin la mythologie scandinave, toujours si proche de celle des Indiens. Odin et ses deux frères ont assassiné Ymir, le géant hermaphrodite initial. Son sacrifice permet à la création de commencer :

[Les fils de Bœrr] portèrent d’abord le corps d’Ymir au milieu de l’abîme de Ginnung, et en firent la terre : son sang devint la mer et les lacs ; la terre fut faite avec sa chair ; les montagnes furent faites avec ses os, les pierres avec ses dents et ceux de ses os qui avaient été brisés. [...] L’océan a été fait avec le sang de ses blessures ; la plupart des hommes pensent qu’on ne peut franchir cette limite. [...] Les fils de Bœrr ayant pris le crâne d’Ymir, en firent le ciel, et l’élevèrent au-dessus de la terre sur quatre angles saillants, supportés chacun par un nain.

Le Voyage de Gylfe, 8.

La forteresse de Midgard, « qui environne l’Univers et protège les hommes contre les attaques des géants » (X. Marmier, Les Chants Danois) fut construite avec les sourcils d'Ymir.

Les SACRIFICES HUMAINS (pratique indo-européenne)
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