28 Avril 2025
Très souvent envahi, militairement ou culturellement, mais toujours résiliant, le sous-contient indien présente une Histoire religieuse complexe et originale, bien différente de celle que l'on observe, par exemple, en Europe.
En Europe, si ce n'est le folklore basque ou la culture lapone et inuite, on ne trouve plus aucune trace « vivante » d'un passé culturel prédatant l'arrivée des Indo-européens. Vers -2000 à -1000, lorsque les Proto-Celto-Germains s'installent en Europe, la glorieuse et mystérieuse civilisation des monolithes n'existe plus depuis longtemps et les peuples indo-européens balayèrent son souvenir en important des mythologies complexes, d'origine steppique asiatique. Plus tard, la christianisation du continent européen entraînera l’éradication lente mais certaine des paganismes celtes, slaves, baltes et germaniques. De fait, du paysage religieux préhistorique européen, il ne reste de nos jours que des ruines, au sens propre ; chaque nouvelle « mode » culturelle ayant remplacé la précédente jusqu'à la faire disparaître.
Le sous-continent indien propose une tout autre histoire : à chaque nouvel envahisseur, de nouveaux mythes, de nouvelles croyances, de nouveaux rituels furent ajoutés à la mythologie locale mais à aucun moment les traditions supplantées ne disparurent tout à fait. Il y eut des syncrétismes, les doctrines se confrontèrent, alors que les peuples s'acculturaient, des doctrines ancestrales se codifièrent, d'autres s'oublièrent un temps, pour mieux se réformer ensuite. Mais ni l'invasion aryenne du début du premier millénaire avant notre ère et l'imposition du sanskrit dans tous les domaines de la théologie, ni l'islamisation du sous-continent ; rien n'eut raison d'une tradition locale définie par l'ascétisme, la non-violence, l’introspection, l'importance du yoga et des lignées de gourous (maîtres spirituels).
Le chamanisme aborigène
La première vague démographique et donc la première couche culturelle identifiable, est celle des aborigènes australoïdes, entrés en Inde vers -70 000 ans. Des traces de culture préhistorique aborigène, de type ethnique proto-australoïde s'observent chez les ethnies forestières Veddas, à Ceylan et ailleurs (des connexions évidentes sont établies avec les Négritos des îles des mers de Siam et bien sûr les Aborigènes australiens).
« Les Adivasis sont représentés principalement par les tribus que l'on appelle les Proto-Australoïdes. Pour comprendre ce que cette expression signifie, il faut savoir que la plus ancienne implantation humaine en Australie est datée d'environ -40 000 ans. Cette implantation ne peut provenir que d'une migration venue du continent asiatique à la faveur des ponts terrestres qui furent réalisés pendant la glaciation de Würm. C'est pourquoi il est possible de retrouver en Asie des populations dont les ancêtres du Paléolithique moyen furent à l'origine de cette migration. Les plus connus sont les Vedda de Ceylan, qui passèrent de l'Inde à Ceylan pendant l'âge glaciaire. [...] Les Veddas, qui étaient la population la plus primitive de Ceylan, n'existent pratiquement plus depuis quelques années; car ce qui en restait au début du XXe siècle s'est fondu avec les Cinghalais et les Tamouls, à l'exception d'un petit nombre. Les Veddas sont des dolichocéphales de petite stature: ils sont caractérisés avant tout par des « proportions infantiles », dont on retrouve les traces parmi les populations dravidiennes du continent. D'une taille de 1,54 m à 1,56 m, la peau brun foncé, les cheveux longs ondulés, mais avec une pilosité réduite, le front fuyant, une forte saillie des arcades sourcilières, ils n'ont point d'affinités avec les Négroïdes africains. » J. Dupuis, Histoire de l'Inde des origines à la fin du XXe siècle, Ed. Kailash, 2005.
Ces tribus, rares de nos jours, ont toutes adopté des langues aryennes (Ceylan) ou dravidiennes (Deccan). Leur spiritualité ancestrale demeure difficilement appréciable, mais tentons cependant un portrait consensuel et prudent de leur spiritualité.
Tout d'abord, cette culture préhistorique indienne ressemblerait à ce que l'on peut trouver en Australie, en particulier concernant l'art rupestre (Bhimbetka), mais pas seulement. Leur croyance est une sorte de chamanisme structuré autour de mythes fondateurs récurrents, que l'on retrouve presque identique de la Sibérie jusqu'en Australie et bien sûr en Afrique (lire à propos J. D'Huy, Cosmogonie, 2020).
Il s'agit de paléo-mythes, souvent de natures cosmogoniques : l'océan du chaos, le serpent cosmique, les jumeaux fondateurs... Le serpent-monde sera repris dans le vishnouisme classique, avec la figure de Sesha.
Supposons aussi le culte des pierres, dont la fameuse « Pierre Noire » et le quartz, dont on trouve des traces évidentes dans les mythologies krishnaïte et shivaïte (Lingam). Citons aussi le culte de la lance magique, à la fois lié à la chasse et à la fertilité. Ce mythe, qui est par ailleurs largement étudié en Australie, laissera une trace certaine dans le shivaïsme : Vel, la lance de Skanda (le fils de Shiva), est aussi sa sœur et elle est douée d'une âme. Cet animisme des objets et cette symbolique récurrente de ce qui peut potentiellement faire jaillir le sang, remontent à un âge immémorial.
Nous ne pouvons pas non plus manquer de trouver dans les couches mythologiques indiennes les plus anciennes, des échos de l'Alcheringa australien, traduit parfois comme « le temps du rêve » (Dreamtime). Ce concept, qui domine toute la mythologie aborigène, se résume ainsi : la réalité n'est complète que si l'on prend en considération, outre le monde de l'apparence et de l'incarné, un monde-autre. Ce monde-autre, tout à fait typique du chamanisme le plus basique et universel, n'est pas un monde parallèle, ni un paradis, mais une origine, à la fois dans le temps et dans l'espace, à l'humanité, mais aussi à l'ensemble de la vie, minérale comme biologique, divine comme terrestre. L'Alcheringa-Dreamtime est autant une réserve à la matière, qu'une matrice. Le rôle des chamanes est alors de la rejoindre, de l'activer, en y rencontrant les esprits des choses et des animaux. Cette espace, qui n'est ni bon, ni mauvais, deviendra dans l'hindouisme puranique l'océan des possibles, au-dessus duquel n'existe que Vishnou-Narayana, allongé endormi sur le serpent cosmique Sesha. Dans sa posture Narayana, Vishnou est donc un démiurge qui rêve et dont l'onirisme guide la création.
L'importance des rêves et du message onirique est un héritage du chamanisme : un Monde-Autre existe, et lui seul est le véritable « moteur » de l'univers en tant qu'habitacle des esprits agissants et organisateurs. Composante essentielle de la mystique du Paléolithique, cette notion se retrouve partout à travers le monde.
Héritier de ces traditions préhistoriques, les Indiens, Sumériens et anciens Égyptiens considéraient le rêve comme la vision véritable du monde. Dans les épopées qui leur sont consacrées, Enkidu et Rama, avatars respectifs de Enki et Vishnou-Narayana, sont avertis de la fin prochaine de leur incarnation terrestre par un rêve.
Dans la hiérarchie hindoue des incarnations ou plutôt, des états d'existence, le sommeil onirique se place en seconde meilleure position, juste après le sentiment océanique de la moksha (illumination) car le rêve ressort de la vision propre de Vishnou, de l'observation correcte et idéale de l'Univers. L'état onirique permettrait en effet de se libérer de la Maïa, une notion védique signifiant « l'illusion de ce qui semble réel ». Les rêves seraient donc des portes donnant directement accès à l'océan primordial, chaotique ou créatif, mais infinie et insondable. Le rêve agirait comme un révélateur de conscience, sans être assujetti aux sens, ni au temps ni à l’espace.
Les sadhus, saints sauvages
La tradition indépendante des ascètes nus et fanatiques remonte potentiellement à l'âge préhistorique. Identifiable au Yémen, en Anatolie, en Scandinavie (seidr), en Asie du sud-est, elle est marquée par la nudité, l'usage des enthéogènes et une mystique radicale.
L'ascétisme rigoureux et total, tel que présenté par les sadhus, se retrouve dans certaines petites îles à travers le monde, comme s'il s'agissait du vestige d'un âge préhistorique dont la tradition aurait trouvé son dernier refuge sur des îlots reculés et isolés. Mentionnons ainsi les Canaries (les Animeros guanches « bénie de Dieu »), l'île de Sein au large de la Vendée (où officiaient des druidesses qui y vivaient en totale autarcie), Socotra au large du Yémen (où, comme aux Canaries les ascètes vivaient dans des grottes à l’écart de toute société) et la presqu'île d'Athos en Grèce (encore de nos jours interdite aux femmes qui troubleraient la quiétude des moines qui y résident).
Sans aucun doute, peut-on avancer que la tradition ascétique des sadhus est une culture prévédique. Les Indo-européens possèdent une tradition de brahmanes, de druides, de prêtres, mais pas de saints nus et renonçants. Pour un brahmane ou un druide, il y aurait même quelque chose de choquant à constater qu'un individu rejette sa condition pour s'en aller nu et fuir ainsi son devoir et son rôle dans l'existence (Dharma). Il existe bien sûr le célèbre hymne aux chevelus, « l'ascète », présent dans le Rig-Véda, mais cet hymne est trop détonant pour être représentatif du corpus védique, et il correspond plus à un hommage aryen à une pratique aborigène, qu'à une réelle pratique mystique indo-iranienne. Dans la littérature védique plus tardive, comme les brahmanas ou les épopées, les brahmanes vivent dans des cabanes forestières, ils sont détenteurs de vaches et sont mariés. Leur vie est dédiée au Dharma, ils ne sont pas nus et n'ont prononcé aucun vœu. Si les brahmanes s'imposent des supplices pour adresser leur requête à Brahma, ils ne sont pas des moines errants fumant le chilom et plantant la tente à la croisée des chemins.
Une vie entière dédiée à la vie errante et au renoncement n'est véritablement pas une valeur aryenne. Si le Livre de Manu, qui est une sorte de code aryen, considère l'ascétisme comme une pratique louable et même enviable, il la réserve cependant aux brahmanes arrivés en fin de vie et ne la propose pas comme universelle, souhaitable ou même possible à n'importe quel moment de la vie.
En outre, si les sadhus sont abondamment décrits par les voyageurs et les historiens gréco-romains, ils ne sont pas associés à la culture aryenne urbaine, mais plutôt à celle des forêts et des campagnes. C'est dans la jungle que vivent les légendaires Garmanes nudistes ascétiques et ithyphalliques, de même que les Gangines adaptent du jeûne, se nourrissent de parfum et vivent dans la montagne où se trouve la source du Gange.
La vision classique du sadhu, nu, saint et dont la vie n'est que renoncement à l'ego, nous la trouvons mentionnée avec complexité pour la première fois dans le corpus agamique tamoul (donc extra-védique). Les Vies légendaires des Nayanars (les serviteurs de Shiva), compilées par Sekkizhar (v. 1 150), présentent des saints conscients de leurs vies passées et vivant leur vie présente dans l'instant, sans accorder aucune importance à ce qui peut bien leur arriver. Ce nihilisme n'est pas celui des brahmanes, mais celui des ascètes du shivaïsme.
L'héritage munda
La seconde composante ethnique indienne est celle des Mundas. Originaires de l'est de la vallée gangétique, les mundas partagent la famille linguistique des peuples de Siam et d'Indochine. Ils seraient entrés en Inde vers -2000, donc avant l'arrivée des Aryens vers -1500 à -1000, les Mundas peuplaient l'ensemble de la plaine gangétique et se partageant le sous-contient avec les Dravidiens, installés depuis les plaines du Sindh jusqu'à la péninsule tamoule.
« De nos jours, la plupart des populations de langue munda parlent des dialectes d'un seul langage [...] le kherwari (la langue des Kherwar, cultivateurs du Chota Nagpur, qui sont aujourd'hui complètement aryanisés). La plus importante de ces langues est le santali (langue des Santali). [...] Dans leur aspect physique, ils présentent une certaine ressemblance avec les Reddi, population du groupe dravidien ; mais le type plus primitif de "veddide" (ceylanais) semble absent, alors que certains individus révèlent un léger élément mongoloïde. [...] Leur religion et leur folklore sont l'héritage de peuples forestiers. […] La situation des Munda s'éclairera, si l'on rappelle que leur famille linguistique se rattache à la famille austrique, qui est représentée plus à l'est par les dialectes môn-khmers, que parlent les aborigènes de la péninsule malaise et des îles Nicobar. Les Munda ont leurs connexions à l'est. » J. Dupuis, Histoire de l'Inde des origines à la fin du XXe siècle, Ed. Kailash, 2005.
À la suite de la domination militaire et culturelle aryenne, associée à la montée en puissance des Royaumes et Empires dravidiens et khmers, la population munda diminua, pour ne plus se concentrer de nos jours qu'en Orissa et dans la zone du Bengale et du Bangladesh.
La couche ethnique munda, comme l'aborigène, est composée de tribus nomades, peu nombreuses et sans développement technologique. Elles ne se constituèrent jamais en état et n'eurent pas d'âge d'or. Plutôt que d'imposer aux autres Indiens leur emprunte génétique et culturelle, ils en subirent l'acculturation religieuse, linguistique et ethnique. En conséquence, peu de traces génétiques typiquement mundas (haplogroupe Y-C) s'observent dans les populations indiennes modernes et leur espace linguistique et culturel est aujourd'hui très réduit.
La religion indigène munda, portée par plus de deux millions de personnes, est de nature pré-dharmique et dominée par un couple de divinités : Shiva et Parvati, qui incarnent la dualité primordiale genrée et ambivalente, sous la forme du lingam et du yoni (un culte en vogue sur les rives de l'Indus néolithique et antique). Les génies de la nature, les yakshas et yakshinis sont dotés de rôles importants, tout comme les semi-divinités féminines gardiennes des sources et des foyers (grammadevatas), adorées sous la forme de figurines en terre cuite.
L’influence munda est perceptible dans la littérature hindoue, à travers des mythes typiquement extrême-orientaux, donc absents du corpus védique, mais pourtant bien présents dans le corpus puranique. Mentionnons le mythe du lotus cosmogonique, celui du frère et de la sœur sauvés du déluge (deux mythes communs hérités de la tradition paléolithique initiale), celui du sanglier sauveur de la Terre et enfin celui de la tortue porteuse de l'Univers. Les mythes de Kurma la tortue qui porte le monde sur sa carapace et de Varaha le sanglier cosmique, seraient des mythes typiquement mundas, introduits dans l'hindouisme littéraire à la suite de la diffusion puis de la canonisation des légendes liées aux avatars de Vishnou (C'est en tout cas la proposition de J.-L. Le Quellec dans Avant nous le déluge).
La nature des divinités mentionnées indique une tendance au zoomorphisme, que l'on retrouve dans des cultes encore très populaires de nos jours, tels ceux de Ganesh ou Hanuman (le roi-dieu-singe étant par ailleurs une figure extrême-orientale bien identifiée au Tibet et en Chine).
Les aires linguistiques munda en Inde (à gauche) et austro-asiatique en Asie du sud (à droite)
Source : Wikipedia.
La civilisation de l'Indus
Les Proto-Dravidiens, venus du nord dès la plus haute antiquité, depuis le haut plateau iranien, parlent une langue agglutinante mais nostratique, qui présente de perceptibles similitudes avec le sumérien et l'élamite, mais aussi avec le turc.
Ce peuple régna sur l'Indus antique, y développant l’urbanisation et l’agriculture. Leurs croyances, leur mythologie, leurs technologies, leurs cités, leur artisanat, leur suprématie commerciale et maritime, s'imposent alors à des populations indigènes peu développées démographiquement et technologiquement.
L'archéologie nous apprend que cette civilisation, nommée d'après le fleuve qui la traverse en son axe, se développe à partir d'un foyer néolithique situé à l'ouest de l'Indus, au Baloutchistan, possiblement dès -7000 ou peu après.
C'est de cette période pré-harappéenne que date la naissance et l'âge d'or de la cité de Mehrgarh, première à adopter le style architectural des maisons rectangulaires et l'agriculture, deux phénomènes importés du Moyen-Orient. La vallée de l'Indus à proprement parler, commence seulement à se peupler de groupes d'agriculteurs et d'éleveurs sédentaires vers -4000 ans. De -4000 à -2600 ans, c'est la période harappéenne ancienne, marquée par différentes cultures régionales. Les périodes suivantes seront d'abord marquées par l'exode urbain et le repeuplement rural, puis la chute démographique et la migration des populations vers le sud de la péninsule indienne et la vallée du Gange, vers -1000 à la suite des invasions aryennes.
Ce qui fait le plus cruellement défaut à la civilisation de l'Indus, c'est son absence de traces écrites interprétables. Des glyphes et même une forme d'écriture, furent effectivement repérés dans les décombres des villes indusiennes, mais à ce jour (2025), ces traces n'ont pas encore été décodés ou traduites. L'alphabet indusien ne semblerait cependant pas composé de lettres, ni de hiéroglyphes, mais de signes, que l'on nommerait runes ou tamga en d'autres lieux. On relève en effet des signes qui évoquent la rune du piège à loup (wolfsangel), le svastika, ainsi que la roue solaire ; trois des symboles indo-européens les plus utilisés, par ailleurs présents en Égypte, et en Mésopotamie et même en Amérique du Nord.
Savoir à quelle famille de langues ces inscriptions appartiennent, nous aurait beaucoup appris sur les peuples qui les parlaient et surtout sur leur origine ethnique. Si la langue d'Harappa, puis celle de Mohenjo-daro, ressemblent plutôt aux langues dravidiennes, nous serions en droit d'imaginer la civilisation de l'Indus comme une prémisse de ce qui deviendra plus tard la culture tamoule agamique ; laquelle n'est pas marquée par une mythologie particulièrement foisonnante mais plutôt par l'adoration d'un être cosmique accompagné d'une famille nucléaire (un concept théologique qui donna naissance à la Trinité shivaïte composée de Shiva, de Parvati et de leur fils Murugan-Skanda, ou Ganesh).
Après les fondations de ses capitales Harappa et Mohenjo-daro (v.-3000), la civilisation de l'Indus est très florissante. Elle se concentre d'abord sur la partie moyenne et supérieure de l'Indus, puis s'étend vers son embouchure (Gujarat, Sindh, littoral baloutche). De même que les rives de l'Indus, les rivages de la mer d'Arabie s'urbanisent.
Malgré ces réseaux bien établis, les échanges interrégionaux demeuraient limités, se faisant surtout par voies maritimes, un relief escarpé et plein de danger séparant l'Inde de la Perse et du Moyen-Orient. Nombreuses sont les mentions dans les chroniques mésopotamiennes de la cruauté des montagnards ainsi que leur sévère mainmise sur les cols dont ils rendaient le passage très périlleux.
Dans sa phase mature, de -2600 à -1900 environ, la civilisation de l'Indus couvre un territoire bien plus grand que les civilisations contemporaines de Mésopotamie et d’Égypte. Outre la plaine de l'Indus, elle s'étend du Baloutchistan à l'ouest, jusqu'aux prémices de la vallée gangétique à l'est et au Gujarat vers le sud.
Après cette date, les cités sont détruites, des charniers jonchent les rues, sans que l'on en explique la cause. Les conséquences sont immenses : la civilisation est détruite. L'espace indusien et gangétique est laissé sans défense. Cet exode causa dans un premier temps la fin de l'âge d'or indusien urbain, puis la disparition complète de cette civilisation quelques siècles seulement avant l'arrivée des Aryens en Inde du nord. Qu'a-t-il donc bien pu se passer ?
Une hypothèse semble la plus convaincante : de -2500 à -2000, en amont de l'Indus, dans une région voisine de la plaine gangétique, entre l'Himalaya et le golfe du Gujarat, ce que l'on pense être le légendaire fleuve Sarasvati s'assèche à la suite d'un tremblement de terre, et donne naissance au désert du Thar. Cette catastrophe, dont on trouve la trace dans le corpus védique, déstabilise, puis détruit la civilisation de l'Indus (abandonnée par sa propre population). Les tribus aryennes qui peuplent les montagnes du Cachemire et du Pamir depuis le début du second millénaire s'installent alors en Inde, qui n'est défendue par aucun état urbain ni aucun empire, libre de toute autorité.
Entre -1500 à -1000, sous la pression des migrations aryennes venues du nord du Karakoram et sans armée pour les protéger, les communautés artisanes et commerçantes du Cachemire et des contreforts occidentaux de l'Himalaya émigrent donc massivement vers le sud du sous-continent.
Les premiers Aryens entrés en Inde n'iront pas aussi loin et pour quelques siècles encore, les émigrés maintiennent leurs traditions. Pour la première fois, une vague migratoire dravidienne colonise le sud de l'Inde.
Dans le jaïnisme (qui est une spiritualité indienne prévédique), ce moment est marqué par le glissement du centre névralgique de la mythologie depuis le nord-ouest du sous-continent vers le sud-est. Si le premier tirthankaras (Rishabhanatha, aussi nommé Adi Nath, le « Père des Sags ») trouva l'éveil et finit ses jours au sommet du mont Kailash, sur le plateau tibétain, c'est sur le mont Shikharji, dans les collines du Bihar, que la plupart des autres jinas finiront leur vie. Par ailleurs, dans les hagiographies des derniers tirthankaras, apparaissent des lieux qui correspondent sensiblement à l'aire d'expansion indusienne tardive (principalement le Gujarat et le Bihar).
Partageant les valeurs communes qui avaient permis de constituer une société stable et cohérente, la religion indusienne était métaphysiquement assez riche pour ne pas être séduite par le culte aryen. Cette doctrine ne disparut pas car elle était ancestrale, populaire, ancrée dans le territoire. Elle perdure jusqu'à nos jours dans l'hindouisme shivaïte ou vishnouïte ainsi que dans les traditions ascétiques sadhuïques et jaïnes.
On retrouve aussi des brides de la mythologie et de la doctrine de l'Indus dans les littératures jaïnes, puraniques, agamiques, tantriques, ainsi que dans les contes et légendes populaires. Si l'on souhaite se rapprocher au plus près de la théologie de la religion typiquement indusienne, il faut considérer le Sangam tamoul et en particulier les ouvrages agamiques des Alvars (vishnouisme) et des Nayanars (shivaïsme). Pour se faire une idée du paysage culturel séculier indien prévédique, il faut consulter le Pancha-Tantra, recueil indigène de contes, souvent animaliers. Un grand nombre, sinon la plupart de ces fables étaient déjà connues à l'époque indusienne.
Le jaïnisme, reliquat de la spiritualité de l'Indus
Lorsque les Aryens entrèrent en Inde, le jaïnisme était déjà une spiritualité mature et donc probablement très ancienne, comme elle le prétend elle-même. Signe de leur importance, les gourous jaïns sont cités dans le corpus védique : Neminatha-Aristanemi, le 22e tirthankara, est cité quatre fois dans le Rig-Veda et le Sama-Veda. Dans l'Yajur-Véda, trois autres Tirthankaras sont cités dont une nouvelle fois Neminatha, mais aussi Rishabhanatha (le premier tirthankara) et Ajitnath (le second).
Le jaïnisme, dont la généalogie remonte à la civilisation de l'Indus (voir les travaux de Vilas Adinath Sangave, Le Jaïnisme, Philosophie et religion de l'Inde, G.Trédaniel, 1999), ne présente aucun signe de l'influence védique ou aryenne. L'opposition jaïne au polythéisme védique est de nature doctrinale, et de très nombreux points essentiels de la doctrine jaïne ne trouvent pas leur correspondance dans le védisme, comme la réincarnation, l'ascétisme, le refus de la sexualité, la non-violence envers le vivant ou encore le régime alimentaire à base de végétarisme ou le jeûne...
Plus encore : quand on se penche sur les influences entre l'hindouisme et le jaïnisme, on observe que si le védisme, le brahmanisme et l'hindouisme n'ont pas influencé la doctrine jaïne, à l'inverse le jaïnisme n'a cessé d'influencer avec puissance ces courants religieux. Par exemple, Rama et Krishna sont des personnages mythologiques empruntés tardivement par les vishnouïtes à la mythologie et à la généalogie royale des jaïns.
À l'inverse de l'hindouisme, le jaïnisme n'est pas créationniste et n'admet pas de déluge. Deux phases du temps cyclique, l'une ascendante, l'autre descendante, s’enchaînent à jamais, sans commencement ni rupture (tandis que les hindous acceptent quatre âges entrecoupés de ruptures franches). Les dieux, s'ils sont présents dans la doctrine jaïne, n'ont aucun pouvoir pour infléchir le cycle du temps, ni pour sauver les hommes de leur destin. Ils ne sont donc pas priés et à peine honorés. Seule l'application de la doctrine du non-attachement prônée par les jinas (tirthankaras) permet de trouver le salut.
Les jaïns croient à la réincarnation et pensent que s'ils enchaînent plusieurs vies vertueuses (sur terre comme dans d'autres dimensions), ils connaîtront la libération du cycle de la vie et de la mort (Samsara), sinon la purification de l'âme. Idéalement, les cinq piliers du jaïnisme sont la chasteté, la non-violence, le refus des possessions et des acquisitions et l’interdiction du mensonge. Pour connaître l'éveil, il convient aux jaïns de respecter les « trois joyaux », que sont la foi juste, la connaissance véritable et la conduite correcte.
La doctrine jaïne repose essentiellement sur la non-violence à l'égard du vivant (ahimsa). Selon cette notion, chaque existence se vaut et toutes doivent coopérer pour vivre en harmonie. Les dieux sont des gestionnaires de l'Univers, mais ils ne possèdent pas le pouvoir de l'influencer. En revanche, chaque existence possède en elle-même les moyens de sa propre libération.
Le jaïnisme est un enseignement transcendantal et rigoureusement ascétique. Libre de sa destinée, l'homme doit vivre affranchi des divinités pour n'observer que sa propre élévation morale et spirituelle. Les idoles, les divinités, mais aussi les castes, sont alors considérées comme des obstacles à la juste compréhension du vivant. Un paradoxe pourtant, si le respect du système des castes est observé par les jaïns, le dépassement de la condition humaine, quelle qu'elle soit, demeure un objectif mystique essentiel.
Notre hypothèse est donc la suivante : le jaïnisme est un reliquat, si ce n'est l'authentique doctrine de la spiritualité de la civilisation de la vallée de l'Indus. Ainsi, en étudiant dans l'hindouisme ce qui relève du védisme, de ce qui est typique du jaïnisme, nous pourrions retrouver des brides de la doctrine sacrée indusienne.
Par exemple, les recueils puraniques et les épopées classiques de l'hindouisme sont des versions aryennes de
mythes et de légendes indigènes, absentes du corpus védique originel, mais bien présentes dans le corpus jaïne. Le Chakravartin, le « roi des rois », le roi du monde, le « tourneur de roue », mais aussi le Vasudeva, le protecteur de l'Univers armé d'une massue, ou encore le Tirthankar, le saint illuminé, sont autant de figures mythologiques et théologiques inspirées du jaïnisme et présentes dans toute la littérature épique indienne. Ainsi, Rama et Krishna doivent être envisagés comme des personnages empruntés tardivement par les vishnouïtes à la mythologie jaïne (qui comprend aussi Manu, Vasudeva le père de Krishna, Balarama son frère, Ravana le roi de Lanka ennemi de Rama). Ces personnalités semi-mythologiques furent probablement inspirées par des princes indusiens, gujaratis ou gangétiques prévédiques.
Un autre mythe en commun est celui du serpent protecteur, gardien de la sagesse et des sages : Parshvanatha, vingt-troisième tirthankara aurait sauvé deux serpents du feu, qui seraient ensuite devenus ses serviteurs. L'animal symbolique de Parshvanatha est donc un cobra. Les icônes hindoues représenteront à leur tour, Shiva invariablement accompagné du cobra Vasuki, enroulé autour de son cou. L'iconographie et le mythe du serpent protecteur seront repris dans le bouddhisme, dont un mythe raconte comment Bouddha échappa à une tempête apocalyptique grâce à la protection d'un cobra géant. La statuaire bouddhique représente donc Siddhartha Shakyamuni protégé par un cobra qui déploie sa collerette au dessus de sa tête. Le serpent protecteur est aussi omniprésent dans l'iconographie liée à Vishnou-Vasudeva et à Vishnou-Narayana, deux formes cosmiques présentant Vishnou allongé sur un serpent géant ou protégé par un groupe de cobras formant une capuche au-dessus de sa tête.
Le saint protégé par les serpents
En haut : idoles de Parshvanatha, 23e tirthankara du jaïnisme (v. 7e siècle).
En bas : idole de Bouddha, au milieu du lac du temple de la Bodhi (Bodhgaya, Inde). Photographie de l'auteur.
Les indices et les concordances laissant à penser que le jaïnisme peut raisonnablement être associé à la spiritualité de l'Indus sont nombreux. Citons encore :
- Le culte des gourous pseudo-chamanes, que la statuaire représente assis en tailleur (comme le Pashupati des sceaux de l'Indus ou les tirthankaras).
- l'athéisme-aniconisme doctrinal, qui expliquerait le manque d'idole et de totem (pilier) dans les décombres des cités de l'Indus.
Ce refus du polythéisme, typique de la doctrine jaïne, expliquerait l'absence de références typiquement religieuses dans les cités de l'Indus ; si ce n'est les sceaux de Pashupatinath et les statuettes assimilées au grammadevatas, peu d'indices laissent à penser que leurs habitants adoraient de nombreux dieux et que leur religion ait été de type polythéiste ou panthéiste.
- L’apologie de l'ascétisme ;
La tradition des sadhus tout comme la tradition ascétique jaïne prédatent l'arrivée des Aryens en Inde, de sorte que l'on puisse associer ces deux traditions. Les sadhus révèrent particulièrement Shiva, nommé Adi Nath « le père des ascètes de la tradition nath ». Le courant nath est une tradition ancestrale renouvelée par Gorakhnath vers 1000-1300 apr. J.-C. Gorakhnath est un yogi et un maître spirituel hindou de la tradition des sadhus. Il est considéré comme celui qui donna de l'envergure à la tradition ascétique des Naths. Sous sa guidance, elle connut un certain succès, en particulier dans les campagnes. Un temple lui est consacré à Gorakhpur, ville nommée en son hommage. Dans la mythologie jaïne, le premier des tirthankaras est Rishabanatha, nommé lui aussi Adi Nath. Cette double tradition jaïne-nath était à l'origine un seul et même courant ascétique hétérogène : celui de la civilisation de l'Indus.
- L’importance de la pureté, de la nudité et la prépondérance de l'eau dans les rituels.
- La pratique du jeûne.
- La non-violence absolue envers le vivant (Ahimsa). Le végétarisme et le respect de la vache sacrée en découlent.
Il s'agit de coutumes typiquement jaïnes mais adoptées tardivement par les Aryens. En effet, l’interdiction de manger la chair bovine n'est pas exprimée dans le Rig-Véda, composé avant l'entrée des Aryens en Inde, tandis qu'elle l'est clairement dans les védas plus tardifs, qui furent composés après l'arrivée des Aryens et donc après qu'ils ont furent soumis à l'influence jaïne et indusienne. C'est donc sans surprise que l'on constate que si les védas font l'impasse sur la consommation de la viande bovine, elle est par contre très sévèrement condamnée dans les agamas tamouls et la littérature jaïne. De nos jours, selon les sondages effectués sur l'ensemble de la population et des communautés indiennes, ce sont les jaïnes qui respectent le plus l'interdiction de la consommation de la viande bovine et qui pratique le plus le végétarisme.
Les Aryens : influence et acculturation
Depuis l'arrivée des Aryens (aussi nommés Védiques, Aryas ou Indo-Aryens) et leur domination religieuse et culturelle, aucune tradition, pas même l'islam, n'a réussi à ébranler l'hégémonie, la prépondérance et la prégnance de l'hindouisme de tradition védique.
Cette ethnie indo-européenne, issue de la branche indo-iranienne, entre en Inde depuis le Cachemire après la chute de la civilisation de l'Indus, vers -1000 à -1500 au plus tôt, et seulement au nord du Penjab (Aryana, Arya-Varta). Il s'agit d'une ethnie à la peau blanche et aux cheveux clairs. L'installation au nord de l'Inde des Aryens pousse vers le sud bon nombre de résidents des rives de l'Indus, de la Yamuna et du Gange. Les Mundas sont repoussés vers l'est, les Proto-Dravidiens vers la péninsule et le Deccan.
Vers l'an -1000, les nations aryennes se battent pour la suprématie du nord du sous-continent ; c'est la semi-légendaire bataille des dix rois, qui voit s'affronter les tribus aryennes les plus puissantes, quelque part entre l'Indus et la Yamuna (probablement au Penjab ou en Haryana). Cette bataille inspirera le contexte du Mahabharata.
Vers -500, les Aryens sont maîtres des villes du Gange, dont ils reprennent les mythes et les rites. Kashi-Varanasi, site sacré munda, devient une de leur cité sainte. La sanskritisation du pays est totale : chaque mythe, chaque conte, chaque pensée religieuse et chaque philosophie sont alors compilés et rédigés en sanscrit.
Si l'Inde urbaine adopte très vite les références védiques, les zones rurales demeurèrent encore de longs millénaires fidèles au chamanisme superstitieux originel, ainsi qu'au sadhuisme populaire.
Dotée d'un panthéisme prégnant, la civilisation aryenne est de type polythéiste, sur un modèle que l'on retrouve aussi en Europe et au Moyen-Orient. Les dieux incarnent des forces élémentaires, que l'on invoque de manière propitiatoire ou expiatoire, mais aussi sous forme de serments et de prières. Portés par une caste de guerriers cavaliers (kshatriyas), et plus tardivement par une caste de prêtres, (brahmanes), les Aryens apportent en Inde des références mythologiques inspirées du foyer proto indo-européen ancestral : le nord de l'Eurasie et en particulier la Sibérie méridionale et centrale.
Ainsi, en hindouisme, ce qui ne provient pas du védisme ou de ses sectes héritières ou dissidentes, provient donc nécessairement d'une culture prévédique, qu'elle soit de type indusienne, dravidienne ou munda.
Nota bene: L'influence abrahamique est mineure mais certaine sur les penseurs indiens récents, comme Nanak, fondateur du sikhisme, Kabir, Ramakrishna, Gandhi ou encore Osho. Mais si on remarque dans l'hindouisme moderne des influences islamiques et chrétiennes, celles-ci demeurent très largement marginales, superficielles, sans influence profonde en termes de rites, de théologie ou de cosmogonie et n'ont pas changé la structure des croyances hindoues (dont la réincarnation, le polythéisme, le végétarisme et la non-violence sont ses principes les plus fédérateurs mais aussi parmi les plus rejetés par le monothéisme abrahamique).
Forte d'une civilisation millénaire, la tradition indusienne resta donc prégnante malgré l'invasion aryenne et se devine en transparence par rapport à la spiritualité aryenne. C'est cette doctrine, devenue marginale mais toujours agissante, qui fera évoluer le védisme aryen vers le brahmanisme syncrétique.
Même mystérieuse et insaisissable, la spiritualité indusienne demeure donc à la base de l'hindouisme moderne, dominé par le vishnouisme, le krishnaïsme et le shivaïsme ; autant de traditions prévédiques dont les racines culturelles se retrouvent dans les spiritualités dravidiennes et le jaïnisme.
Aire linguistique indo-iranienne actuelle (en haut)
Hypothétiques aires linguistiques antiques pseudo-dravidiennes (en bas à gauche)
Aire dravidienne actuelle (à droite,
in Krishnamurti, Bhadriraju, The Dravidian Languages, Cambridge Uni. Press, 2003.)
Le védisme
Le védisme est la religion dispensée par les védas et surtout par les hymnes du Rig-Véda, qui est le plus ancien recueil de prières de l'humanité. Si sa mise à l'écrit ne date que du début de notre ère, sa composition orale remonterait vers -2000 à -1500 ans, alors que les Aryens résidaient en Asie centrale et plus particulièrement entre l'actuelle Ukraine et l'actuelle Mongolie (cultures d'Andronovo et de Sintashta). En Inde antique, le védisme est donc une religion étrangère.
La religion aryenne étant un culte très ritualisé et codifié, certains commentateurs ont pu qualifier le védisme de religion superstitieuse et rudimentaire. Il s'agit en effet d'un panthéisme qui propose, tout du moins dans le Rig-Veda, peu de réflexions métaphysiques : c'est une religion où le rituel est plus essentiel que la spéculation. Culte simple, sans clergé, assuré par les pères de famille et particulièrement adapté à des sociétés nomades proto-agraires, le védisme détonne par rapport aux monothéismes ou plutôt aux monolâtries shivaïte et vishnouïte. Le culte aryen de l'ordre établi (Rta, Dharma) tranche en effet avec les doctrines ascétiques prévédiques de type munda, sadhuïque ou jaïns.
Comme elle est très bien documentée, en particulier grâce aux corpus védique et indo-européen, l'influence aryenne et le védisme sont fréquemment surestimés quand il s'agit d'évaluer leur influence sur l'élaboration de l'hindouisme comme système religieux homogène. À tort, cette couche religieuse est souvent considérée par les indianistes et les encyclopédistes comme la base de l’hindouisme moderne, si ce n'est comme l'origine de l'hindouisme lui-même.
Pourtant, le védisme est une croyance d'origine nord eurasiatique, qui connut en Inde une très forte altération, pour devenir en quelques siècles le « brahmanisme », qui est une doctrine certes aryenne de mythologie, mais dont la mystique est inspirée par l'ascétisme et la mystique indienne locale. Dans le corpus védique, on observera donc le passage d'une cosmogonie végétative, voire absente du corpus initial, à un créationnisme unifié et démiurge.
Tout juste importé des steppes, le culte aryen était simpliste ; c’était une sorte de ritualisme ou les formules magiques et les offrandes étaient adressées à des forces élémentaires. Ce n'est que plus tard, après avoir très fortement subi l'influence des maîtres spirituels jaïns (sannyasins) et de leur redoutable métaphysique nihiliste, que le védisme se complexifia pour devenir le brahmanisme (qui devint une véritable philosophie de l'éveil, sur le modèle du jaïnisme et du bouddhisme). C'est alors la naissance de la philosophie du vedanta, qui est littéralement « la fin du véda », c'est-à-dire la fin du culte rituel aryen et la naissance d'une philosophie non dualiste (et depuis Shankara, le vedanta est le courant principal de l’hindouisme classique).
En passant au sud des versants du Pamir et du Cachemire, les Aryens abandonnèrent des divinités : Varuna, sous le nom d'Ahura-Mazda, continua à focaliser le culte iranien, tandis que chez les Aryens indiens, il partagea la primauté avec Indra et Agni. Quant à Mit(h)ra, seigneur du ciel et divinité solaire chez les Perses, il n'est l'objet que de quelques hymnes védiques.
La prépondérance de ces divinités ne sera pas renouvelée par les épopées hindoues, plus tardives. Dans les commentaires du Rig-Véda (Brahmanas) ; les divinités classiques du védisme sont encore mentionnées, mais elles ne sont plus que des protagonistes de contes moralisateurs. Dans la tradition orale post-védique, les avatars de Vishnou, Durga-Kali ou Shiva lui-même, n'ont de cesse de donner des leçons de sagesse aux vieux dévas aryens. Les dévas, jadis prépondérants, dotés de pouvoirs innombrables et tout-puissants, sont alors relégués au rang de divinités mineures, maléfiques de suffisance et d'arrogance.
À la suite de l'acculturation complète des Aryens en Inde et de la créolisation de leur religion par l'incorporation des principales divinités du panthéon indusien (Pashupati, Rama, Krishna), munda (Varaha, Matsya, Garuda, Hanuman, Ganesh) et dravidien (Shiva, Vishnou), un être divin émerge au dessus de toute autre divinité : il s'agit de la résurgence du dieu monolâtre indusien, le Proto-Shiva des sceaux de Harappa et Mohenjo-daro ainsi que l'Adinath des jaïns et des sadhus. Sur plus d'un millénaire de temps, la mythologie aryenne évolua pour laisser place à un grand dieu magnanime et protecteur, troquant les douze dévas et leur révérence ultime envers Indra et Varuna, pour un culte pseudo-monothéiste, centré sur Brahma d'abord, puis sur Vishnou et Shiva ensuite.
Autre évolution importante de la mythologie aryenne : d'un panthéon originel n'admettant que très peu de déesses, les Aryens associèrent en Inde, et de manière systématique, des parèdres à leurs dieux principaux. Seules les présences de Ushas « Aube » et Uma « Univers matériel » sont notables dans le Rig-Véda, et seule Anahita est présente dans le panthéon avestique. Si la présence de parèdre est typique des Indo-européens occidentaux (Celtes, Germains), elle est donc par contre plus anecdotique chez les Aryens : si ce n'est Dyaus, le dieu du ciel et sa compagne Prithvi la Terre, les duos célestes sont plutôt rares dans le corpus rig-védique et avestique. Après la période brahmanique, ils sont par contre légion : citons par exemple le couple Brahma / Sarasvati (déjà présent dans le Véda), mais aussi Shiva / Parvati, Vishnou / Lakshmi, Indra / Indrani, Ganesh /Ganeshi, Rama / Sita, Krishna /Radha...
Sous sa forme originelle, ritualiste et panthéiste, le védisme est donc délaissé en quelques siècles, tandis qu'il ne sera jamais imposé aux indigènes. À l'inverse, les corpus mythologiques proposés par les épopées du Ramayana par Valmiki (v. -300) et du Mahabharata par Vyasa (v. -500), nous apportent la preuve que les Aryens adoptèrent la mythologie locale, dont Rama et Krishna étaient les personnages les plus importants.
Au contact des religions indiennes, le panthéon védique évolua beaucoup, en particulier en se simplifiant. De même, les rituels et les modalités d'offrandes évoluèrent de sanglants et animaliers à végétaliens et symboliques.
Ainsi, si la philosophie proposée dans la Bhagavad Gita est d'influence aryenne, ce n'est qu'en partie seulement. On y décèle en effet une influence indusienne conséquente, notamment en ce qui concerne le concept de bhakti (vénération du divin), le refus de combattre (même si ce point est contre-argumenté), ou encore la réincarnation.
Les épopées sacrées indiennes sont d'ailleurs tiraillées entre ces deux pôles : guerroyer et assumer le dharma, ou pratiquer l'ascétisme et agir en nihiliste.
Mais que devient un royaume si son roi cesse de sacrifier pour poursuivre son salut personnel ? En un mot, le choix entre la vie dans le monde et le renoncement ne peut être laissé libre de toute contrainte. Il faut concilier la pérennité de ce monde que personne ne veut voir finir et la découverte de la possibilité d'un salut personnel définitif.
On peut donc en déduire que ce sont les ancêtres des hauts dignitaires de l'Indus qui ont, par leurs coutumes religieuses et leur philosophie de vie abouties, influencé les brahmanes védiques ; car une telle influence ne peut être imputée à des indigènes forestiers ou montagnards. Ce qui influence le védisme en corrompant la doctrine ritualiste et simpliste des védas originaux, ce sont les séduisants concepts de la civilisation de l'Indus, dont l'ascétisme moralisateur, le pacifisme fanatique, la non-violence absolue, le végétarisme, la monolâtrie si ce n'est le monothéisme, la dévotion envers la famille divine composée du Père, de la Mère mais aussi du Fils... Autant de concepts absents du corpus védique originel.
Mentionnons aussi le mythe du jugement des morts, que l'on retrouve en Égypte, en Chine et dans la littérature puranique, mais qui est une nouvelle fois absolument absent des corpus védique ou avestique. De même, ignorée des steppes eurasiennes mais prégnante dans chacune des doctrines du sous-continent, la notion de karma est elle aussi absente du corpus rig-védique.
Résumons-nous. Durant le Paléolithique supérieur, en Eurasie du nord, se développe un chamanisme de type sub-arctique. Porté par les Proto-Aryens, ce culte ritualiste et élémentaire se diffuse en Eurasie du sud, du Mésolithique jusqu'à l'Antiquité. Vers -2000, les Aryens iraniens, sous l'influence mésopotamienne, cristallisent leur culte autour de Varuna, qui devient Ahura-Mazda, le Grand Juste et Sage. Vers -1500, les Aryens indiens sont aux portes du sous-continent indien, qu'ils soumettent de l'Indus au Gange dès -1000. Ils suivent une religion polythéiste panthéiste, directement héritée des steppes eurasiatiques.
Vers -600, le védisme est devenu le brahmanisme. Après seulement quelques siècles de présence en Inde, les Aryens délaissent donc leur panthéon composé de plusieurs dizaines de dieux auxquels on sacrifie parfois des troupeaux entiers, pour que seul demeure un concept : le Brahman (qui n'est pas tant un dieu qu'un domaine divin seulement accessible aux sages).
Les dévas ne focalisent plus la pratique du culte : les brahmanes préfèrent célébrer le domaine divin des rishis, et sa divinité tutélaire, le démiurge Brahma, plutôt que le belliqueux Indra et Indrapura sa cité céleste réservée aux héros morts à la guerre. Le pouvoir religieux passe des guerriers aux prêtres, tandis que l'influence de l'ascétisme indusien et des religions de salut (jaïnisme, sadhuïsme) contribuent à transformer le védisme en brahmanisme.
Le brahmanisme correspond à un changement fondamental dans la spiritualité des Aryens, qui se sédentarisent et aspirent à une spiritualité plus élaborée, qui donnerait moins d'importance à l'observation stricte des rituels, mais beaucoup plus à la spéculation métaphysique et au salut de l'âme. Si les Upanishads (v. -600 à -400) et leur philosophie sont d'une teneur si différente du corpus des quatre védas canoniques (v. -2000 à -800), c'est parce qu'ils sont l'expression parfaite de la synthèse théologique et métaphysique qui s'opéra entre la tradition ritualiste et panthéiste aryenne et l'ascétisme indusien et son culte pseudo-monothéiste, porteur d'un bagage mythologique plutôt paléo-afro-asiatique que paléo-sibérien.
Si l'influence aryenne en Inde demeure immense, c'est en particulier grâce à l'usage extensif du sanscrit, à la fois comme langue sacrée, mais aussi profane et administrative de l'ensemble des populations de l'Asie méridionale et centrale, utilisée plus de mille années durant depuis le bassin du Tarim (en Chine intérieure) jusqu'à Bali (en Indonésie). Cette langue, sous des versions plus ou moins vernaculaires, archaïques ou classiques, posa les bases de la poétique épique et religieuse en Asie, avec la diffusion du modèle des stances longues et rythmées, qui trouvent leur origine dans le corpus védique. Plus encore, la complexe mythologie indo-européenne constitua en Inde un support pédagogique et mnémotechnique qui permit le développement du théâtre, de la philosophie, de l'étymologie, de l'astrologie, de l'astronomie, de la botanique, de la médecine (ayurvédique) et de toutes les sciences en général.4
Le bouddhisme
Entre -600 ou -400, la doctrine portée par Siddhartha Gautama Shakyamuni, le Bouddha (« l’Éveillé »), se diffuse parmi les classes de la population indienne les moins réceptives au ritualisme védique (car elles en étaient les moins bénéficiaires). Cette doctrine concurrence alors le brahmanisme, en offrant un salut « plus simple » et surtout, plus universel et plus accessible.
L'insistance excessive mise sur l'activité rituelle devint en fin de compte improductive, et l'action, particulièrement l'action rituelle, finit par être ressentie comme condamnant l'homme à une suite sans fin de morts et de renaissances. Le seul moyen d'échapper à ce flux perpétuel était de s'écarter du mécanisme du karma, et de ce fait, de la société humaine, par un acte explicite de renonciation complète de sa vie.
Les chefs politiques et les guerriers (caste des kshatriyas « soldats »), rivaux du clergé brahmane dans la quête du pouvoir, ainsi que les membres des castes inférieures, lésés par leur éviction du culte par les brahmanes, se convertissent en masse au bouddhisme. Porté par le règne du roi converti Ashoka (v. -304 à -232), le bouddhisme connaîtra un développement exponentiel en se diffusant à travers le sous-continent jusqu'au Sri Lanka, mais aussi plus tard, jusqu'en Chine (à travers la vallée du Tarim) et au Japon.
Au début de notre ère, grâce aux commerçants tamouls, le bouddhisme s'installe en Indochine et plus tard en Indonésie, deux régions où régnait l'hégémonie brahmanique parmi les élites politiques et commerçantes indigènes. Après avoir beaucoup prospéré dans le Gandhara sous la protection des rois gréco-macédoniens (gréco-bouddhisme), le bouddhisme disparaîtra cependant du nord du sous-continent à la suite des invasions hunniques, vers 515, puis de l'ensemble du sous-continent vers 1100, pour ne plus représenter que 0,7 % de la population indienne selon le Census 2011 (malgré le revival bouddhiste mené par le docteur Ambedkar dans les années 1940 et 1950).
En Inde, la vague bouddhiste n'a donc pas fait long feu et le brahmanisme redevint bien vite le support universel des croyances du sous-continent, tandis que le succès des épopées d'inspiration aryenne dravidienne favorisa l'adoption, à travers l'ensemble du sous-continent, du modèle mythologique et théologique hindou classique. Les dévas et les mahadévas, comme les héros avataresques, devinrent les supports de toutes les mythologies régionales et marginales, depuis le cosmopolite bassin du Tarim jusqu'en Indochine et en Indonésie. La sanskritisation des littératures vernaculaires et sacrées nord asiatiques, la brahmanisation des structures sociales indigènes sud asiatiques, ainsi que le commerce florissant des Tamouls, aidèrent la diffusion d'un hindouisme post-védique unifié sous la figure à présent tutélaire de Vishnou. Shiva demeura quant à lui très populaire en Inde du sud et parmi les sectes tantriques tibétaines, himalayenne, cachemire et tamoules.
L'héritage dravidien
À la période brahmanique, succède un moment dravidien (note 1) qui s'épanouit avec la glorieuse civilisation des commerçants tamouls shivaïtes.
Vers 500 à 1000 de notre ère, en conséquence de l'âge d'or tamoul et de l'islamisation de l'Inde du nord, les agamas (note 2) et les puranas prennent plus d'importance théologique que les védas. Cette époque est marquée par la rédaction des agamas de type shivaïte, vishnouite ou shaktiste. Cependant, ces traités reflètent une inspiration doctrinale bien plus ancestrale que leur date de rédaction ; et leur composition par des anachorètes de cour est un effort pour revenir à la monolâtrie de Shiva ou Vishnou, en réaction au polythéisme védique importé par les brahmanes aryens émigrés dans le sud de la péninsule pour fuir l'islamisation du nord du pays.
Parties des hauts plateaux iraniens lors du Néolithique (comme le suggèrent les dernières études génétiques et archéologiques), et après avoir migré vers le sud du sous-continent à la suite de la désurbanisation de l'Indus, puis de la désertification du Thar et enfin des invasions aryennes, des ethnies dravidiennes fondèrent de nombreuses dynasties méridionales qui perdurèrent jusqu'au Moyen-Âge.
Mentionnons les dynasties Panda (-600 à 1400), Chute (125-345), Pal lava (275-897), Chaluta (543-757, puis 975-1189), Rashtrakuta (755-975), Chola (v. 800-1200), Hoysala (1006-1346), et surtout l'Empire du Vijayanagara (1336-1646) et enfin le royaume de Mysore (fondé en 1399 et tombé sous la dépendance anglaise vers 1700). De nos jours, les populations dravidiennes, composées principalement des ethnies tamoules, malayalis, telugus et kannadas, représentent 20 % de la population indienne.
La signature génétique des Dravidiens est hétérogène et reflète la composition ethnique de la civilisation de l'Indus. On relève la présence marginale de l'haplogroupe Y-C (majoritaire chez les Mundas et typique des chasseurs-cueilleurs sud et nord-est asiatiques), des haplogroupes Y-H et Y-L (majoritaires chez les Tamouls et les populations sud-indiennes modernes) et de l'haplogroupe Y-J (majoritaire chez les peuples sémitiques et méditerranéens, et présent en proportion non négligeable chez les Dravidiens. On suppose que ce sont les commerçants et agriculteurs du Moyen-Orient et du Zagros qui ont importés cet haplotype en Inde, durant la période néolithique puis antique). On observe aussi parmi les Dravidiens la présence de l'haplotype Y-R1a, ce qui indique de très nombreux mélanges avec les Aryens. Le proto dravidien est la langue qui unifia ces populations et donc potentiellement la langue qui unifiait la civilisation de l'Indus elle-même.
Nota bene : Notre argumentaire explique pourquoi certaines populations dravidiennes peuvent avoir la peau blanche (témoin des morphologie associées aux haplotypes Y-J, Y-H et Y-R) tandis que d'autres peuvent l'avoir très noire (morphologie associée à l'haplotype Y-L) ou cuivrée (morphologie associée aux populations indigènes adivasis sud et nord-indienne, typique de l'ethnie munda).
Le Mahabharata fait remonter la naissance du peuple dravidien au conflit entre les sages Vashishte et Vishvamitra pour le contrôle de Kamadenyu, la vache céleste. Selon ce mythe, le peuple dravidien serait alors né de la vache céleste pour prendre part aux combats aux côtés de Vashishte. Or, Vashishte est le rishi attitré de la dynastie du soleil, le gourou personnel des rois d'Ayodhya dont Rama est un des plus illustres. De fait, le Mahabharata (né dans le même contexte culturel que le Ramayana), présente Dravidiens et Aryens comme alliés et non ennemis.
Dans la mythologie dravidienne, Shiva et Mayon (Vishnou) sont des dieux tout-puissants et omniscients dont les cultes distincts sont semblables à des monothéismes. Où Shiva est adoré, nulle autre divinité ne rivalise d'importance avec lui, et inversement, quand Vishnou est central, aucune autre divinité ne lui dispute sa puissance. Il existe ainsi trois traditions pseudo-monothéistes, celle de Shiva, celle de Vishnou et celle de Dévi-Amman (la Déesse mère est pourtant absente de la mythologie védique, dont la principale déesse est Ushas (Aube), une divinité non pas secondaire, mais dotée d'attributs moins grandioses que ceux de la Déesse mère dravidienne).
Outre Shiva et Mayon-Vishnou, les Dravidiens adorent le fils de Shiva Murugan, le dieu de la guerre renommé Skanda, Kartikeya ou Kumara par les védiques. Or, si le Murugan dravidien semble apparenté au Skanda védique, car tous les deux sont les fils de Shiva et des dieux de la guerre, ils ne sont pas adorés de la même manière. En pays dravidiens, Murugan est une divinité centrale, dont le culte est ancestral et dépasse parfois en popularité celui de Shiva ; tandis que Skanda est une divinité mineure et plutôt récente, son nom n’apparaissant pas une seule fois dans le Rig-Veda.
La mystique dravidienne a donc largement influencé les deux tiers de la Trimurti, tout en favorisant la diffusion du culte de la déesse-mère. Les trois principaux dieux de l'hindouisme moderne (Shiva, Vishnou et Dévi) sont donc indubitablement d'origine dravidienne, tout comme le couple divin Shiva-Parvati, qui serait alors une adaptation védique du couple mère-fils, que composent Amman et Murugan. Cette union des divinités, l’une féminine et l’autre masculine servit en outre de modèle au couple himalayen Shiva-Parvati, qui inspira la tradition tantrique, qui est basée sur la relation métaphysique entre le couple Shiva-Shakti..
Notes :
1) Du nom de la famille linguistique qui regroupe la plupart des langues indiennes non-indo-européennes, comme la malayam, le tamoul et le telugu.
2) Le terme « agama » se traduit par « tradition », dans le sens où les croyances agamiques sont considérées comme les croyances indigènes de l'Inde. Elles ne trouvent donc pas leur origine dans la mythologie allogène indo-européenne.
Un brahmane tamoul en prière devant un temple à l'architecture évocant les temples sud-indiens. Illustration réalisée avec le concours de l'IA.
Les apports religieux récents
Afin de dresser un portrait complet de la mystique indienne, il faut encore mentionner, toujours dans un même ordre chronologique, quelques mouvements religieux plus récents.
Évoquons d'abord la réminiscence du culte solaire, qui marque le renouveau hindou et aryen en Inde du
nord, en réaction aux victoires islamiques qui s'intensifient après l'an 1000. Ce culte cristallise les espoirs hindous autour d'un dieu désuet mais consensuel (on observe à Rome et à Alexandrie le même phénomène, avec les divinités artificielles Sol Invictus et Sérapis). Le zénith de cette mouvance consiste en l'érection du temple de Konarak (13e siècle), sur la côte bengalaise.
Citons aussi le temple solaire de Martanda, au Cachemire, dont la construction du monument central débuta vers 750, sur les fondations d'un lieu ou se déroulaient déjà des rituels en l’honneur du soleil. Lors de l'islamisation de la région, le site fut entièrement dévasté par Sikandar Butshikan, qui règna de 1389 à 1413, le sixième sultan de la dynastie des Sha Mir, surnommé en son temps « Sikandar l’iconoclaste ».
Dans chacun de ces temples, la Roue cosmique est centrale, gravée sur des reliefs ou des sculptures monumentales. Le dieu védique Surya est y adoré, associé à divers dévas de moindre importance.
Mentionnons à nouveau quelques doctrines et sectes marginales dont le succès traversa les âges. Il s'agit du jaïnisme et du bouddhisme, mais aussi de l'athéisme nihiliste de Charvaka (v. -600). La réponse védique à ces critiques donna naissance au vedanta (« la fin des védas »).
Le vedanta marque le véritable renouveau de l'hindouisme classique, de tradition védique et brahmanique.
Citons les deux tamouls sanskritistes Shankara (v. 800) de tradition shivaïte œcuménique et Ramanuja (v. 1100) de tradition vishnouite bakhtiste. Le vedanta reprend l'héritage polythéiste (les cinq idoles, le sanscrit, la mythologie aryenne), mais en rejette le ritualisme exacerbé et le polythéisme. Le vedanta prône la quête de soi, de la sagesse et de la compréhension du monde, à travers une métaphysique complexe, plutôt que la répétition stricte de rituels magiques. C'est un culte moderne, qui s'adresse aux élites intellectuelles, aux prêtres et aux savants.
Le renouveau de l'hindouisme se remarque aussi à travers une nouvelle diffusion des épopées et des pièces de théâtre inspirées des vies de Rama et Krishna. La relecture du Ramayana de Valmiki, à travers sa réécriture en langue vernaculaire nord indienne (Tulsidas, v. 1532-1623), participe grandement au renouveau de la culture populaire hindoue. La Bhagavad-Gîtâ, mais aussi la Rama Gita sont réécrites, et le Mahabharata et le Ramayana sont adapté en langues extra-indiennes (thaï, balinais, etc.)
La doctrine de la Bhakti apparaît dans la littérature avec les Alvars tamouls vishnouites et les Nayanars shivaïtes et tantriques. Il s'agit d'une technique de connexion au divin qui prône l’adoration fanatique d'une seule divinité, afin d'accéder à la connaissance intime de celle-ci. De nos jours, en Occident, l'association pour la conscience de Krishna (Hare Krishna) est le principal représentant de cette pratique. Inspiré des pratiques ascétiques indiennes, de la Bhagavad-Gita et du concept d'Amour de dieu cher au monothéisme abrahamique et au soufisme, le bhaktisme est porté par l'enseignement d'un grand nombre de maîtres spirituels, dont la plupart font partie de la tradition krishnaïte, mais le shivaïsme (sadhuïsme) et le shaktisme (Ramakrishna) possèdent aussi leurs courants mystiques bhaktistes. La bhakti est donc plus un concept mystique qui permet d'accéder à l'illumination (Moksha), qu'un corpus de rituels et de mythes associé à une divinité déterminée. Le sikhisme de Nanak (1469-1539), certains soufismes, le poète et mystique Kabir (v. 1500), ainsi que le courant San Mat (v. 1250), sont aussi associés à cette doctrine.
Dès les premiers temps du christianisme, et grâce à l'influence de l'apôtre Saint Thomas, mort à Madras, l’Église syriaque a érigé la Croix en terre indienne, de même que l'église nestorienne est installée dans les régions indiennes des routes de la soie et des épices. Ce furent ensuite les protestants britanniques, au 19e siècle, et enfin les évangéliste américains, au 21e siècle, qui continuèrent à diffuser la doctrine du Christ, en particulier dans les zones rurales et indigènes. Le christianisme fut une influence prépondérante sur bon nombre de gourous de l'hindouisme moderne, tels Ramakrishna ou Krishnamurti.
Mentionnons l'islam, apparu en Inde du sud dès la mort du prophète Mohammed et imposé dans le nord à la suite des conquêtes arabes, turques et perses.
Relevons enfin la présence anecdotique du manichéisme. Ce culte originaire de Perse et diffus jusqu'en Chine, était jadis pratiqué à Bombay. Il est peut-être entré en Inde avec les commerçants d'Asie centrale, ou en suivant les émigrés Babyloniens et Nipouriens qui fuyaient la menace islamique en Mésopotamie, entre 700 et 1000, dans un mouvement de fuite commun avec les Zoroastriens (Parsis), qui s'établirent eux aussi sur la cote du Maharashtra.
Aucune de ces religions entrées récemment en Inde, n'y a laissé de trace doctrinale notable, l’hindouisme demeurant hermétique à toute influence occidentale.
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ADIVASI
Dupuis, J. Histoire de l'Inde des origines à la fin du XXe siècle, Ed. Kailash, 2005.
Grimal, P. Mythologies classiques. Larousse, 1963.
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