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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

La SPIRITUALITÉ GRECQUE

La généalogie des religions indo-européennes

La généalogie des religions indo-européennes

La SPIRITUALITÉ GRECQUE

Extrait de Maurice Croiset, La Civilisation hellénique, aperçu historique, 1926.

 

Tout le monde sait quelle action constante et profonde la religion a exercée chez les Grecs. Nous la trouvons associée à presque tous les actes de leur vie publique ou privée. Beaucoup d'événements importants de leur histoire ont été inspirés ou sanctionnés par elle; beaucoup de leurs créations artistiques furent religieuses par leur origine ou leur destination. Et les grands mouvements même de la pensée hellénique ont été en étroite relation avec la religion nationale, soit qu'elle les ait provoqués, soit, au contraire, qu'elle les ait contrariés ou ralentis.

L'étude analytique des religions historiques de la Grèce, ainsi que les connaissances aujourd'hui acquises au sujet de celles qui les ont précédées, permettent de reconnaître comme fond primitif de ses croyances, la divinisation des phénomènes de la nature ou des puissances inconnues qui étaient censées les produire. La vie de l'homme étant essentiellement liée à ces phénomènes, il s'agissait pour lui soit de les conjurer lorsqu'il les redoutait, soit de les favoriser ou même de les contraindre à se produire s'ils lui étaient nécessaires. De là des rite: plus ou moins magiques, destinés à détourner le mal, à multiplier les biens. Ces puissances, l'imagination populaire se les représenta sous des formes longtemps mal définies, comme autant d'esprits qu'on localisait soit dans les astres, dans les phénomènes de l'air, dans certains animaux, dans des arbres ou des plantes, soit même dans des objets animés, cours d'eau, lacs, cavernes, rochers. Et lorsqu'on cherchait à les concevoir sous une forme plus concrète, on en faisait le plus souvent des êtres fantastiques, moins humains que monstrueux.

Mais, dès les débuts de la période historique, ces conceptions barbares n'étaient déjà plus que des survivances éparses. Ce qui dominait dès lors en Grèce, ce qui s'imposait aux esprits quelque peu cultivés, c'était la forme de croyance religieuse qu'on appelle l'anthropomorphisme. Elle consistait à prêter aux dieux les caractères essentiels de l'humanité.

Gardons-nous toutefois d'attribuer à cette définition plus de précision qu'elle n'en comporte. C'est par poésie surtout que l'anthropomorphisme grec nous est connu et par les arts plastiques qui en dépendent plus ou moins. Or, la poésie, par sa nature, ne peut être considérée comme une interprète tout à fait sûre des conceptions du grand nombre. De même que les arts plastiques, bien qu'à un moindre degré, elle est obligée de prêter aux êtres qu'elle met en scène une réalité bien plus arrêtée dans ses formes que ne le fait la pensée souvent vague des simples croyants. Nous voyons dans l'épopée homérique des dieux immortels, doués d'une beauté, d'une force, d'une rapidité incomparables. Chacun d'eux a un nom et des traits qui lui sont propres. II y a entre eux des différences de sexe, d'âge, de caractère, d'attributs. Ensemble, ils forment une famille, ou plutôt une cité, si l'on tient compte des divinités secondaires, véritable peuple qui ne figure qu'à l'arrière-plan. Ce peuple a un roi suprême, et il se divise en tribus réparties entre le ciel, la terre, la mer, le monde souterrain, autant de domaines qui ont aussi chacun leur maître distinct. Dans ce monde divin, qu'on devine issu d'origines diverses, la poésie s'applique à mettre de l'ordre et elle y réussit. Autant que cela est possible, elle classe ces dieux en lignées, qu'elle rattache ingénieusement les unes aux autres. C'est ce que nous voyons particulièrement dans la Théogonie d'Hésiode. Une succession de générations relie les anciens dieux aux dieux nouveaux qui possèdent désormais l'empire du monde. Au milieu de l'Olympe ainsi constitué, se détache la figure majestueuse de Zeus, le souverain des dieux et des hommes, le maître de la foudre, arme qui le rend invincible et qui lui a permis de terrasser tous ses ennemis. Un peu au-dessous de lui sont ses deux frères, Poséidon, le roi des mers, et Hadès, qui règne sur les morts, possesseur redouté d'un empire ténébreux et souterrain. Près de Zeus, trône Héra, sa sœur et son épouse. Le groupe familial se complète par les enfants de Zeus: Héphaïstos, le forgeron divin, Apollon et Artémis, tous deux enfants de Léto, Perséphone, fille de Déméter, Arès, le dur guerrier, enfin le jeune et agile Hermès, messager des dieux. Cette mythologie est en elle-même un chef-d'œuvre d'organisation et de beauté. Elle révèle un don caractéristique d'idéalisation, qu'on ne trouve au même degré chez aucun autre peuple. Mais, par sa perfection même, elle laisse deviner qu'elle a été sinon créée, du moins élaborée et achevée par des poètes. Il faudrait donc pouvoir interroger la conscience des hommes de ce temps pour savoir jusqu'à quel point elle correspondait à la croyance commune. Quelle part faisaient-ils dans ces descriptions et constructions aux combinaisons personnelles de leurs poètes, à leurs libres inventions ? C'est ce qu'il est difficile de dire. N'oublions pas toutefois que les poètes eux-mêmes étaient loin de s'accorder entre eux que les légendes locales variaient à l'infini.

Les volontés divines étant conçues partout à l'image des volontés humaines, on admettait naturellement qu'inspirées, comme celles-ci, par des motifs et des sentiments individuels, elles pouvaient, comme celles-ci, être en désaccord. Le principe même du polythéisme le voulait ainsi. Si tous les dieux n'avaient eu qu'une même volonté, ils n'auraient été qu'un même dieu. Leur attribuer à chacun une personnalité distincte, c'était reconnaître implicitement qu'ils pouvaient vouloir des choses diverses et même contraires. En fait, chacune des tribus grecques eut, dans le monde divin, ses protecteurs attitrés. Lorsqu'elles se groupèrent en cités, en confédérations, en nation même, cette diversité subsista. Sans doute, certains dieux étaient reconnus et même adorés dans presque toutes les cités grecques, mais il s'en fallait de beaucoup qu'ils jouissent partout du même crédit. Chaque ville, ou peu s'en faut, avait sa divinité préférée, qu'elle considérait comme sa protectrice, ayant charge de la défendre, soit contre ses ennemis, soit contre les dieux de ses ennemis. Déjà dans les poèmes homériques, les dieux nous apparaissent comme divisés entre les nations en lutte. Cette division se perpétue dans toute l'histoire grecque. Athènes a partie liée avec Athéna. Argos compte sur sa déesse Héra, Sparte se recommande particulièrement à Apollon. Et comme il y a des dieux spéciaux pour les cités, il y en a aussi pour les tribus, pour les familles, il y en a même pour les individus. Un Grec n'hésitait pas invoquer la protection de tel dieu plutôt que de tel autre pour une entreprise, pour un projet quelconque, s'il avait quelque raison personnelle de compter sur sa faveur.

Cela pourtant n'empêchait pas que quelques dieux principaux n'eussent pris de bonne heure un caractère national; et ce caractère devint de plus en plus sensible avec les progrès de la civilisation. C'est ce qui advint particulièrement à Zeus, en raison de son rang suprême. Il y eut tendance générale à faire de lui le dieu par excellence, et ce sentiment fut naturellement favorisé par la réflexion. Jamais cependant il ne devint assez fort pour abolir les dévotions particularistes des cités et des individus. D'ailleurs, Zeus lui-même n'était pas pour un Grec une volonté immuable. Supérieur aux autres dieux, il ne différait pas d'eux en nature. L'idée des lois de la nature, telles que nous les concevons, était profondément étrangère à la foule. À peine, dans cette première période, apparaissait-elle, un peu vaguement, à quelques esprits supérieurs. Selon la croyance commune, chaque événement, chaque phénomène, résultait d'une détermination particulière, qui pouvait toujours être suspendue ou modifiée.

Ce particularisme religieux eut ses avantages et ses inconvénients. La foi aux dieux de la cité accrut le patriotisme. La piété, loin de détacher le croyant des intérêts terrestres, l'attacha plus fortement à ceux de la cité; elle exalta le dévouement à chose publique. Mais, d'autre part, elle fut parfois une cause d'intolérance; refuser ses hommages aux dieux de son pays, c'était le renier ; la foule ne pouvait manquer de considérer le libre-penseur comme un mauvais citoyen, ennemi de la cité; elle devait trouver juste de le proscrire ou de le mettre à mort.

De même que les dieux, les cultes en Grèce étaient essentiellement locaux. Donc, point de corps sacerdotal unifié. La plupart des cultes grecs avaient été originairement des cultes domestiques. C'était le chef de famille qui offrait le sacrifice au nom des siens. Il en était de même dans les phratries et les tribus; partout où existait un groupe social, le chef de ce groupe était de droit son représentant naturel auprès des dieux. Quand les bourgades, les cités s'organisèrent, ce furent souvent d'anciens cultes domestiques qui devinrent les cultes des collectivités nouvelles. Ceux qui ne restèrent pas héréditaires dans une famille, suivant une loi de succession déterminée, furent attribués à quelque fonction publique. D'ailleurs, toute association se donnait un sacerdoce propre. Il y eut ainsi autant de prêtres ou de collèges de prêtres qu'il y avait de cultes, sans que jamais se soit manifestée la moindre tendance à la formation d'une hiérarchie nationale. Remarquons de plus que ces prêtres, quels qu'ils fussent, n'avaient rien à enseigner, puisque la religion ne comportait ni dogmes ni théologie ; ce n'étaient à aucun degré des docteurs ; leur unique fonction se réduisait à l'accomplissement des cérémonies religieuses, selon des rites consacrés.

A ces rites, les Grecs attachaient une importance extrême. Le culte consistait en sacrifices, en prières, en fêtes diverses, dont tous les détails étaient réglés minutieusement. Chaque dieu avait ses offrandes préférées, et celles-ci devaient lui être présentées dans une forme traditionnelle Un oubli, une négligence risquaient de l'offenser gravement. Grande était donc la diversité de ces offrandes, qui variaient encore selon l'importance de la grâce sollicitée et selon les moyens des solliciteurs tantôt des victimes., bœufs, moutons, chèvres, porcs, tantôt des gâteaux, des grains de la farine, ou encore des libations de vin. de miel ou d'eau Les sacrifices humains mentionnés encore dans l'Iliade semblent avoir disparu presque entièrement dans la période historique, par l'effet de l'adoucissement des mœurs En général, prévalait l'idée d'une équivalence entre la chose offerte et la grâce à obtenir. On ne trouve guère en Grèce de cérémonie religieuse qui puisse être considérée comme un acte de dévotion pure, entièrement désintéressé.

Toutes les fêtes grecques relevaient de la religion ainsi d'ailleurs que tous les actes solennels de la vie publique ou privée. Quelques-unes commémoraient des événements légendaires d'autres étaient issues de rites primitifs dont le caractère originel s'était plus ou moins effacé; un certain nombre perpétuaient des célébrations funèbres, autrefois instituées en l'honneur de quelque héros. Quelle qu'en fût l'origine leur rôle dans la vie nationale et dans celle des cités était considérable Non seulement elles excitaient des émotions vives, occasionnaient des réjouissances publiques évoquaient d'antiques traditions communes, rapprochaient les uns des autres tous ceux qui y prenaient part, mais, de plus, elles donnaient lieu à des spectacles qui contribuaient au développement physique, intellectuel et moral des divers peuples grecs et de la nation tout entière. [...]

À la religion se rattachaient également les formes nombreuses de la divination, considérée unanimement par les Grecs comme une des manifestations les plus précieuses de la bienveillance divine. C'était en effet chez eux une croyance générale que certaines révélations concernant l'avenir pouvaient être obtenues soit l'observation et par l'interprétation de pronostics, soit par les réponses que certains dieux daignaient faire à qui les interrogeait. Grâce à ces avertissements célestes, on espérait échapper aux incertitudes qui troublent sans cesse les volontés, dans la vie privée comme dans la vie publique.

L'interprétation des pronostics était surtout l'office propre des devins, c'est-à-dire d'hommes ou de femmes spécialement doués. On recourait donc à eux quotidiennement pour savoir ce que signifiaient tels menus incidents érigés en signes divins, le vol d'un oiseau, un coup de tonnerre, une rencontre imprévue, une simple parole même, prononcée sans intention ou entendue par hasard. Et, à défaut de devins accrédités, chacun tirait de tels signes des conjectures personnelles. L'état intellectuel de Grèce serait mal apprécié, si l'on ne tenait compte de ces superstitions universelles et de leur force.

Entre tous les genres de divination, aucun n'a eu l'importance des oracles. L'oracle, quelle qu'en fût la forme, était proprement la révélation faite par un dieu dans son sanctuaire. Tous les dieux ne rendaient pas des oracles et tous les sanctuaires ne revendiquaient pas le privilège prophétique. Parmi ceux qui avaient cette spécialité, quelques-uns jouissaient d'une autorité supérieure. On vantait l'oracle de Zeus à Dodone, celui d'Apollon à Delphes et à Claros, celui de Trophonios à Lébadée en Béotie. Chacun d'eux avait sa clientèle. Mais celui de Delphes était déjà devenu, au VIe siècle l'oracle national par excellence. Cela tint à sa position centrale, aux fêtes amphictyoniques dont il était le théâtre, à l'habileté des prêtres qui l'administraient, à ses relations avec Sparte, peut- être aussi à la forme même de ses révélations C'était d'Apollon lui-même, interprète infaillible des pensées de Zeus, son père, qu'elles étaient censées émaner. Apollon parlait là par la bouche d'une femme inspirée, la Pythie, qui, dans une sorte de délire, prononçait des paroles confuses. Celles-ci étaient traduites aussitôt en une forme plus ou moins énigmatique et ambiguë par les prophètes chargés de ce soin. Les consultants qui emportaient ces sentences mystérieuses, cherchaient à en pénétrer le sens, heureux et troublés tout à la fois de cette confidence divine, dépositaires inquiets d'un secret d'où dépendaient souvent leurs plus chers espoirs Un oracle si considéré n'intervenait pas seulement dans les affaires privées. Les cités grecques s'adressaient à lui officiellement pour leurs plus sérieux intérêts. Elles ne manquaient pas de le consulter sur l'envoi de leurs colonies, sur leurs entreprises militaires, elles lui demandaient conseil sur leurs législations, elles tenaient surtout à prendre son avis sur toutes les choses religieuses et aussi sur les prodiges, sur les maladies épidémiques, sur les fléaux de toute nature. Plusieurs d'entre elles avaient des fonctionnaires spéciaux, chargés de ces consultations ainsi que de faire application d'oracles anciens aux cas nouveaux qui pouvaient surgir.

N'allons pas croire toutefois que, par là, les États aient accepté le principe d'une sorte de gouvernement théocratique. En fait, leur liberté d'action n'en fut jamais sérieusement diminuée. Outre que ces consultations ne dépendaient de leur que volonté, il y avait toujours propre manière d'interpréter un oracle. L'ambiguïté prudente de la parole divine, qui fuyait les responsabilités, était cause qu'elle ne commandait qu'en apparence. Les hommes politiques savaient faire accepter du peuple, entre plusieurs interprétations possibles, celle qui répondait à leurs vues personnelles; et, en définitive, c'était toujours, ou peu s'en faut, par des motifs rationnels que se décidaient les affaires.

 

Si maintenant nous nous demandons ce qu'était au fond le sentiment religieux, il ne paraît pas douteux que la crainte n'en fût l'élément primitif et fondamental. Le Grec ne considérait la bonté ni même la justice comme des attributs essentiels de la divinité. Il lui semblait au contraire naturel, comme on l'a vu, qu'un dieu fût jaloux, irritable, implacable dans ses haines, et qu'il employât sa puissance à les satisfaire. Son premier souci était donc de n'en offenser aucun. Or, il y avait toujours grand danger d'offenser quelque dieu sans le vouloir. Une ambition excessive, un effort pour s'élever trop haut, un bonheur trop éclatant étaient considérés par ces maîtres soupçonneux comme autant d'attentats à leur supériorité. Le premier devoir de l'homme consistait donc à se rappeler qu'il était homme. Une parole orgueilleuse, aussi bien que l'omission d'un hommage traditionnel. pouvait attirer sur un individu ou sur une cité la colère d'une des puissances divines. Et l'on devait s'attendre, en ce cas, à ce que le dieu irrité se vengeât par quelque malheur privé ou public, catastrophe ou fléau. Sans doute les formes du culte étaient tenues pour des moyens d'éviter ces terribles surprises ; mais aucun ne paraissait absolument sûr; et c'est pourquoi, dès qu'on avait lieu de soupçonner quelque défaveur divine, on consultait les oracles et les exégètes dépositaires de la science divine, auxquels il appartenait de recommander alors divers modes d'apaisement et de réconciliation. À cet égard, nulle différence entre les peuples les plus éclairés de la Grèce et les moins cultivés. Procédant des mêmes croyances, leurs sentiments étaient les mêmes

Si cette disposition d'esprit n'a pas paralysé l'activité des Grecs, c'est, sans doute, parce que leur énergie naturelle leur permettait de trouver dans ces mêmes croyances, à côté des sujets d'appréhension, des motifs de confiance qui l'emportaient en valeur. En général, le Grec s'obstinait à consulter ses dieux jusqu'à ce qu'il eût obtenu des présages favorables; une fois qu'il les possédait il se croyait assuré du succès. Ses dieux devenaient alors pour lui des alliés incomparables et, précisément parce qu'il les imaginait très redoutables, il ne doutait pas qu'ils ne fissent sentir à ses ennemis leur puissance invincible. Grâce à l'anthropomorphisme spirituel, ainsi interprété, la notion même du destin se trouvait heureusement allégée. Entre l'homme et cette puissance lointaine, s'interposaient fort opportunément ces dieux à demi humains, ces dieux qu'on pouvait fléchir et dont on savait même se faire des amis. Cette confiance allait-elle jusqu'à l'amour ? Si l'on entend par là une sorte de transport de l'âme s'élevant avec joie vers un idéal de perfection auquel elle voudrait s'unir, il paraît évident que rien de tel n'était possible en Grèce, du moins avant qu'il y eût une philosophie pénétrée de mysticisme. Toutefois, à considérer un dieu comme le protecteur et l'ami de la cité dont on était membre, on finissait par l'aimer, comme on aimait cette cité elle-même. Sa légende s'incorporait à l'histoire locale et sa religion s'identifiait au patriotisme. Nul doute que les Athéniens ne fussent fiers des exploits légendaires d'Athéna autant que des leurs ; et l'on admettra volontiers que leur dévotion envers la vierge guerrière, qui, de tout temps, avait eu sur l'Acropole son domicile préféré, n'était pas essentiellement différente d'un amour respectueux. [...]

Si la cité grecque avait ses dieux préférés, elle reconnaissait cependant tous les dieux helléniques et leur rendait hommage. Elle excluait seulement en principe les dieux des peuples barbares, sans nier toutefois leur existence. La force des choses l'amena même à les admettre peu à peu. La cité, intolérante à l'égard de ses membres, ne pouvait l'être au même degré à l'égard des étrangers. Du moment qu'elle leur laissait prendre domicile chez elle, il lui devenait difficile de proscrire longtemps leurs cultes et d'ignorer leurs croyances. Et ces croyances devaient nécessairement conquérir à la longue des adeptes dans le peuple qui leur accordait l'hospitalité. Dans la période antérieure aux guerres médiques, un fait de ce genre est particulièrement à signaler l'influence du culte thrace de Dionysos. [...]

D'autre part et peut-être sous les mêmes influences, on vit les religions primitives prendre alors un essor tout nouveau. Ce fut le cas des célébrations religieuses appelées « mystères » ». Ce qui les distinguait, c'était leur caractère secret. On a lieu de penser qu'ils avaient été, à l'origine, des cultes locaux, propres à certaines familles. Celles-ci, peu à peu, y donnèrent accès à d'autres qu'à leurs membres, sous condition d'une initiation préalable et d'un engagement de n'en rien divulguer. Il arriva enfin que quelques- uns de ces cultes furent adoptés et patronnés par certains États. Aucun n'eut plus de célébrité que celui d'Éleusis, qui avait pour siège le sanctuaire de Déméter et de Coré. Les mystères de ces deux déesses provenaient presque certainement d'un ancien culte agraire. Ils durent une faveur toujours croissante aux révélations qu'ils apportaient sur le sort des initiés après la mort. La religion officielle connaissait, il est vrai, un dieu des Enfers ; et la poésie avait répandu quelques vagues notions sur un séjour des morts; mais ce qu'elle en disait ne pouvait inspirer qu'un sentiment d'effroi. Beaucoup d'esprits inquiets cherchaient donc quelque part des raisons d'espérance, que la tradition ne leur procurait pas. Ces espérances, les mystères les offraient justement aux initiés sous forme de visions. Des représentations empruntées à la légende de Coré, ravie par Hadès, puis rendue à la lumière, ou encore la contemplation de symboles relatifs au grain de blé longtemps enfoui sous la terre, puis reparaissant au jour avec la tige et l'épi, et, avec cela, des formules mystérieuses, de radieuses apparitions, succédant aux ténèbres, devenaient, pour des croyants bien préparés et avides de promesses rassurantes, autant de garanties d'un bonheur privilégié. Nul besoin pour eux d'enseignements positifs et précis : il leur suffisait de voir et d'entendre. C'était en quelque sorte la réalité même de la survivance espérée que le mystère leur mettait sous les yeux; la garantie leur en était donnée par l'initiation.

Ainsi se complète l'idée qu'on peut se faire de la religion grecque, avant qu'elle eût été pénétrée par la philosophie. Religion peu cohérente, en somme, dénuée de doctrine, très complaisante aux inventions des poètes et très favorable au libre jeu de leur imagination, ralliée peu à peu à la morale dont elle était primitivement indépendante, puissante par son ingérence dans tous les actes de la vie privée et publique, par son union intime avec les sentiments domestiques et nationaux, capable d'un certain mysticisme, mais surtout féconde en manifestations extérieures, créatrice de cultes variés et nombreux, de fêtes multiples, inspiratrice de quelques-unes des plus belles productions littéraires et artistiques qu'aient produites le génie humain.

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