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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

ANTHOLOGIE des propos tenus sur les ENTHÉOGÈNES et PSYCHOTROPES

Un sadhu fumant le chilom, la pipe de pierre bourrée de poussière de cannabis.

Un sadhu fumant le chilom, la pipe de pierre bourrée de poussière de cannabis.

PETITE ANTHOLOGIE

DES PROPOS TENUS

SUR LES ENTHÉOGÈNES

ET PSYCHOTROPES

 

Afin de mieux comprendre leurs effets

 

 

 

AVERTISSEMENT

Tout abus est nocif ; certaines substances citées peuvent conduire à une addiction avec toutes les conséquences néfastes que cela comporte. L'usage de nombreuses substances enthéogéniques est interdit par l'État français et passible de peine d'amende ou d'emprisonnement.

 

PRINCIPAUX ALCALOÏDES ET PRINCIPES ACTIFS

 

alcaloïdes et associés

enthéogènes correspondants

effets principaux

atropine

belladone, datura

jusquiame, mandragore

hallucination

psychose, coma

éphédrine,

pseudoéphédrine

éphédra

khat

stimulation

euphorie

caféine

café, guarana

stimulation

cocaïne

coca

stimulation

DMT,

buphoténine,

harmaline

amanite, ayahuasca

crapaud bucéphale

harmal*, yopo

hallucination

introspection

transe

hyoscyamine

belladone, datura

jusquiame

mandragore

transe

psychose

thérianthropie

ibogaïne

iboga

hallucination

LSA**

Argyreia nervosa

ipomées, ergot

hallucination

euphorie

mandragorine,

cuscohygrine, pseudohyoscyamine

belladone, coca

datura

mandragore

hallucination

intoxication

psychose, coma

mescaline

cactus peyotl,

cactus San Pedro

euphorie hallucination

nicotine

tabac

transe

opioïdes, morphine,

apomorphine,

papavérine

kratom, lotus

opium

coquelicot

sédation

euphorie

imagination

psilocybine, psilocine

champignons psilocybe

cubensis, truffes

hallucination

euphorie

salvinorines

Salvia divinorum

hallucination

scopolamine

belladone, datura

jusquiame

mandragore

sédation,

hallucination,

psychose

THC

cannabis

euphorie, sédation

yangonine

kava

sédation, transe

yohimbine

yohimbe

stimulation

hallucination

* Dans les feuilles mâchées de harmal, la harmaline est présente en trop petite quantité pour être psychédélique.

** Molécule proche du LSD.

Avant-propos : taxinomie des excitants mystiques

 

Insistons sur le caractère hétéroclite des différents modes de consommation des enthéogènes : qui peuvent être oralement consommés (boisson, fermentation, décoction, philtre, brouet), introduits sous-cutanés (onguent, « onguent volant » intra-vaginal), chiqués (tabac, bétel, coca, kat) ou bien fumés (tabac, datura).

Nous devons la première tentative de taxinomie moderne au pharmacologue allemand Louis Lewin (1850-1929), dont les travaux, associés à ceux du docteur Moreau de Tours, contribuèrent grandement à populariser l'existence de ces plantes à l'immense potentiel. L'objectif de ces savants était d'utiliser le haschich, les champignons hallucinogènes et les plantes provoquant des délires, comme la jusquiame ou le datura, afin de soigner diverses pathologies mentales. Lewin classe de la manière suivante les substances et produits connus à son époque et capables de modifier les perceptions et l’état d'esprit. Son classement fit autorité un siècle durant. Il distinguait donc :

- les euphorisants (par exemple morphine)

- les enivrants (alcool)

- les hypnotiques (somnifères)

- les excitants (amphétamines)

- les fantastiques / hallucinogènes (champignons)

L'anthropologue et ethnopharmacologue Christian Rätsch (1957-2022) propose un classement actualisé après la découverte des alcaloïdes et leur manière d'agir sur le cerveau. Il établit trois groupes :

- les stimulants : stimulent l’esprit, donne du cœur à l'ouvrage, du réconfort quotidien, euphorie notable mais sans modification des perceptions (café, coca, khat).

- les sédatifs (hypnotiques, narcotiques, dépresseurs) : calment, induisent le sommeil, diminuent l’anxiété, anesthésient, mais très faiblement hallucinogènes (opium, cannabis, kratom).

- les hallucinogènes : provoquent des modifications dans les perceptions (espace, temps, son) et dans les émotions.

Cette taxinomie se voit en partie confirmée par l'expérience de l'écrivain hippie Charles Duchaussois qui, dans le récit de son voyage à Katmandou, Flash ou le grand voyage,1  retient deux grandes classes de produits : « Pour le drogué il y a deux sortes de drogues : celles qui font planer » et « celles qui font voyager. » En somme, il y aurait deux types de produits. Le premier type concerne les drogues qui n'empêchent pas celui qui les prend de mener une activité normale et d'entretenir une conversation cohérente, ses sens demeurant peu troublés (sensation d'euphorie, de calme, la drogue parasite son activité sociale mais ne l'empêche pas). Le second type ne permet pas une activité autre que celle de la prise de drogue en elle-même et réclame donc une attention totale de la part de celui qui s'y adonne (voyage astral, expérience psychédélique intense, transe).

Concernant spécialement les drogues, naturelles ou non, aux propriétés hallucinogènes, le consensus moderne prend en compte la découverte des drogues de synthèse comme le LSD, la DMT, la kétamine et la MDMA, et considère trois grandes familles :

- les psychédéliques : LSD, psilocybine, mescaline, DMT.

- les dissociatifs : salvia divinorum, kétamine, PCP.

- les délirants : haschich, datura.

Ce dernier classement ne nous convient guère, car un même produit pourrait très bien se retrouver dans plusieurs des catégories, selon la quantité prise mais aussi son contexte (nuit, jour, solitaire, collectif, …). Par exemple, le cannabis, consommé par voie digestive et en très grande quantité, après un jeûne, provoque de puissantes hallucinations. Par contre, en fumer en petite quantité ne déclenchera aucune vision, mais une possible psychose. Quant au datura, pris dans un contexte raisonné et traditionnel, il permet un voyage psychédélique classique. Mais consommé sans précaution, il entraîne de violents délires dissociatifs, semblables au delirium tremens ou au « trou noir » (black out) provoqué par l'excès d'alcool.

Concernant les principaux enthéogènes (et non l'ensemble des drogues psychédéliques et narcotiques, naturelles ou de synthèse), il nous semble qu'il existe simplement deux grandes catégories de produits, elles-mêmes constituées de deux principales sous-classes :

- les toniques bénins : valériane, romarin, thé, café, ...

Il sont sans risque immédiat pour la santé, leur prise est à la fois curative et préventive, les effets ressentis (propriété hallucinogène) sont négligeables. Ils constituent les « remèdes de grand-mères » en Europe, l'ayurveda en Inde et la pharmacopée de base des indigènes du monde entier. L'usage de ces enthéogènes n'est pas encadré par un système chamanique. Nous rangerons dans cette catégorie les aphrodisiaques, dont les effets, pour la plupart, n'ont jamais été démontrés. Cette catégorie relève donc aussi de l'effet placebo tout comme de la superstition.

- les adjuvants quotidiens : cannabis, opium, khat, coca, alcool, bétel...

Ils aident à supporter parfois un dur labeur ou à calmer des chimères intellectuelles et sentimentales. Ils engendrent une accoutumance et de rares mais potentielles pathologies psychotiques. À forte dose, leurs propriétés psychédéliques se font sentir. Leurs effets, s'ils ne sont alimentés par de nouvelles prises, ne durent jamais plus de quelques heures. Ces plantes ne sont que peu utilisées lors des rituels chamaniques. L'usage de ces enthéogènes n'est généralement pas encadré par un système chamanique.

Ces deux catégories sont issues de la même classe des enthéogènes que nous qualifierons de « peu sacrés, bénins à peu puissants ». Les deux catégories suivantes relèvent d'une classe d'enthéogènes que nous qualifierons de « sacrés, puissants à vénéneux ».

- les psychédéliques classiques : champignons à psilocybine, cactus à mescaline, liane à DMT (ayahuasca), flore contenant du LSA (rose des bois hawaïenne, graines d'ipomées).

Ce sont des produits puissants utilisés lors de la plupart des rituels initiatiques. Ce sont les hallucinogènes classiques dont les effets sont saisissants et durent longtemps (12 à 24 heures). Ils n'engendrent aucune accoutumance. Les risques de psychose sont potentiels mais très limités. Les accidents de voyage, les « mauvais voyages » (bad trip) sont extrêmement rares. L'usage de ces enthéogènes est strictement encadré par un système chamanique.

- les psychédéliques violents : amanite, datura, belladone, tabac, ...

Ce sont des enthéogènes rituels purgatifs puissants, violents et vénéneux, parfois psychédéliques mais pas nécessairement. Ils sont souvent pris en complément des psychédéliques classiques, afin de provoquer une purge, un état léthargique, une dissociation ou même une violente psychose artificielle. Leur utilisation peut être aussi chirurgicale afin de créer un état dissociatif entre l'esprit et le corps, qui permettrait que se déroule dans de meilleures conditions un acte chirurgical périlleux (avortement, opération des yeux ou du cerveau). L'usage de ces plantes s'est complètement perdu en Europe, ce qui est très dommage étant donné que de nombreux enthéogènes2 appartenant à cette catégorie y sont présents et furent largement utilisés par le passé (sorcellerie, récits homériques, ...). Cette catégorie d'enthéogènes est très proche de la suivante :

Ajoutons à cela une classe subsidiaire à la précédente et constituée des purgatifs, poisons et vomitifs, tels l'aconit, la bryone, la strychnine, … Mentionnons donc quelques principes actifs vénéneux. L'atropine est un alcaloïde tropanique présent dans diverses plantes de la famille des solanacées, comme la belladone, le datura, la jusquiame et la mandragore. Les effets de l'atropine et de la hyoscyamine sont similaires et marqués par un ralentissement du rythme cardiaque et la paralysie. La strychnine, extraite de la noix vomique (vomiquier) est un stimulant du système nerveux central. Psychotrope, elle procure une sensation accrue des sens. À dose moyenne, elle augmente l'amplitude respiratoire. À dose létale, elle entraîne des spasmes musculaires, des convulsions, l'arrêt cardiaque et l'asphyxie. Occasionnellement la strychnine fut utilisée comme produit dopant. Enfin, l'émétine est le principal alcaloïde de l'ipéca (Brésil, Bolivie, Amérique centrale). Très toxique, il est utilisé comme vomitif.

 

1Fayard, 1971.

2Particulièrement la belladone, la jusquiame, le datura, la bryone et la mandragore.

ANTHOLOGIE des propos tenus sur les ENTHÉOGÈNES et PSYCHOTROPES
Une fumerie d'opium, selon le cliché du 19e siècle.

Une fumerie d'opium, selon le cliché du 19e siècle.

PETITE ANTHOLOGIE DES PROPOS TENUS

SUR LES ENTHÉOGÈNES ET AUTRES PSYCHOTROPES

Afin de mieux comprendre leurs effets

 

 

Qu'est-ce donc que l'expérience incroyable et indescriptible offerte par les enthéogènes ? Avec l'aide des plus grands auteurs, tentons de décrire cette fameuse « expérience psychédélique. »

C'est avec la pertinence et le point de vue décalé qu'on lui connaît qu'Aldous Huxley exprime son immense enthousiasme envers la mescaline.

"L'expérience de la mescaline est ce que les théologiens catholiques appellent une grâce gratuite non nécessaire au salut, mais utile en puissance, et qu'il faut accepter avec gratitude, si elle devient disponible. Être secoué hors des ornières de la perception ordinaire, avoir l'occasion de voir pendant quelques heures intemporelles le monde extérieur et l'intérieur, non pas tels qu'ils apparaissent à un animal obsédé par la survie ou à un être humain obsédé par les mots et les idées, mais tels qu'ils sont appréhendés, directement et inconditionnellement, par l'Esprit en général — c'est là une expérience d'une valeur inestimable pour chacun, et tout particulièrement pour l'intellectuel.1 "

L'ethnologue et écrivain Carlos Castaneda, dans L'herbe du diable et la petite fumée, décrit sa perte absolue de repères lors d'une séance de prise de cactus associé à des champignons et à du datura :

"La bouche me brûlait et cependant je n'avais pas soif. J'ai ressenti dans toute la tête une chaleur anormale qui produisait le même effet qu'un froid intense."

William Burroughs, dans ses Lettres du Yage2 évoque une expérience similaire, cette fois liée à l'ingestion d'une décoction d'ayahuasca :

"J'entendis les haut-le-cœurs et les borborygmes, comme si j'étais quelqu'un d'autre."

Dans Flash ou le grand voyage, Charles Duchaussois évoque ses visites dans les fumeries à opium de Bombay et déclare avoir « atteint de telles doses » qu'il lui est arrivé « d'accéder au voyage véritable, avec décollement total, perte de conscience de la réalité, etc. »

Dans leur Que sais-je?3, consacré à la drogue, les austères Yves Pélicier (Faculté de médecine de Paris) et Guy Thuillier (conseiller à la cour des comptes), énoncent en des termes très justes, une expérience qui est effectivement très difficilement descriptible et qui peut varier immensément en fonction des individus et des sociétés qui les pratiquent.

"Ce sont surtout des visions toxiques, parfois de simples formes géométriques, des entrelacs de lignes en mouvement, parfois des tableaux plus complets avec des plages très colorées, déformées par le mouvement. « Les murs respirent. » Les contours des objets sont entourés d'un halo lumineux. Aux illusions optiques répondent des hallucinations auditives ; inversement, un son peut évoquer une couleur : c'est le phénomène des synesthésies. Tout ce kaléidoscope entraîne une adhésion admirative de la part de l'intoxiqué qui se complaît à les décrire."

Le poète Rémy Dumont illustre ces propos :

"Le sujet assiste le plus souvent à une succession de constructions géométriques et de structures fractales en naissance permanente vouées à une agonie soudaine préludant elle-même dans la foulée immédiate à une renaissance sous des aspects différents sertis de contextes transmués eu égard à ceux initiaux ... et ainsi de suite !4"

Théophile Gautier, dans sa nouvelle Le Club des Haschischins5, décrit sa prise de haschich comme une vaste blague hallucinatoire :

"Mes voisins commençaient à me paraître un peu originaux ; ils ouvraient de grandes prunelles de chat-huant ; leur nez s’allongeait en proboscide ; leur bouche s’étendait en ouverture de grelot. Leurs figures se nuançaient de teintes surnaturelles."

Prenons garde cependant, sur un tel sujet, de trop généraliser. Au contraire, pour le mycologue R. G. Wasson :

"Les visions n'étaient ni floues ni incertaines. Au contraire, elles étaient toutes extrêmement nettes, leurs lignes et leurs couleurs étaient si vives qu'elles me semblaient plus réelles que tout ce que j'avais jamais vu de mes propres yeux. J'avais l'impression que je voyais vraiment, alors que la vision ordinaire ne nous donne qu'une vue approximative ; je voyais les archétypes, les idées platoniciennes, qui sous-tendent les images imparfaites de la vie quotidienne.6"

La notion de temps est impactée par une expérience psychédélique. Dans son Journal d'une désintoxication7, Jean Cocteau observe qu'

"Un des prodiges de l'opium est de changer instantanément une chambre inconnue en une chambre si familière, si pleine de souvenirs, qu'on pense l'avoir occupée toujours. [...] Il est onze heures du soir. On fume depuis cinq minutes ; on consulte sa montre : il est cinq heures du matin."

Gérard de Nerval, dans son Histoire du calife Hakem8, exprime la même idée sur le haschich :

"Quoiqu'ils eussent à peine passé une demi-heure l'un près de l'autre, écrit-il à propos des deux protagonistes de sa nouvelle, il leur semblait se connaître depuis mille ans."

Huxley constate aussi le même phénomène à propos de la mescaline, qui lui fit ressentir une « indifférence en ce qui concerne l'espace, accompagnée d'une indifférence vraiment complète en ce qui concerne le temps. » « L'intérêt porté à l'espace est diminué, et l’intérêt porté au temps tombe presque à zéro.  »9 remarque-t-il encore.Au sujet de la psilocybine, le poète Rémy Dumont indique qu'il est « loisible », pour  un consommateur de cet enthéogène, « de demeurer un temps infini face à un massif de fleur totalement ébahi, comme au premier jour de sa vie. »10 À propos du LSD, le poète s'étonne qu' « une seconde équivalait à une éternité » et que « le temps s'était arrêté ou presque ! »

De même pour l'ayahuasca : « la perception de l'espace et du temps est déformée. »11

Le ressentiment d'un temps infini, qui ne s'écoule pas, influença le mythe d'un monde-autre permanent s'opposant à un monde réel impermanent, ainsi qu'à l'idée d'un paradis de l'immanence situé dans un monde parallèle accessible seulement post-mortem ou à travers un voyage chamanique. Chez les Aborigènes, le Dreamtime est à la fois un lieu, un temps et une époque, mais figé à jamais dans le temps supra-terrestre : le temps ne s'y déroule pas et le passé des êtres ne se distingue pas de leur présent ni de leur futur.

La perception de l'espace est elle aussi fortement déréglée. « Mon champ de vision s'était réduit à un cercle devant mes yeux » rapporte Castaneda. Chez Dumont :

"La perception de l'espace subit une expansion démesurée et il est possible de se perdre dans une gigantesque forêt là où ne se trouve qu'un îlot composé de quelques arbres, de voir des abîmes vertigineux qui ne dépasseront pas la hauteur du genou."

Le vol du sorcier, qui est un mythe classique du chamanisme et de la sorcellerie, trouve sans difficulté une explication si l'on prend en considération les puissants effets de certains enthéogènes, capables d'induire un sentiment de légèreté mais aussi un voyage intérieur reprenant les apparences exactes du paysage extérieur.

"Je sentais mes genoux fléchir comme une perche de saut en hauteur : ils tremblaient et semblaient avoir une consistance élastique. Je me suis avancé, les mouvements de mon corps étaient lents et hésitants, une sorte de frémissement me parcourait. J'ai baissé les yeux et j'ai vu soudain Don Juan assis par terre, là, très loin en-dessous de moi. J'ai fait un autre pas, qui m'a semblé encore plus long et plus élastique que le précédent. Et là, j'ai pris mon essor. Je me rappelle être redescendu une fois ; j'ai poussé des deux pieds et je suis parti en arrière, en vol sur le dos. Je voyais le ciel sombre au-dessus de moi, je passais à côté des nuages. J'ai fait une contorsion pour pouvoir regarder vers le bas, et j'ai vu la masse sombre des montagnes. J'allais à une vitesse extraordinaire, les bras le long du corps. La tête me servait à me diriger : rejetée en arrière, je décrivais des cercles verticaux. Et je pouvais changer de direction en l'inclinant sur le côté. Jamais je n'avais éprouvé un tel sentiment de liberté et de vitesse. […] Je ne distinguais plus ni les formes ni la lumière. Puis je me suis senti soulevé. J'étais libre, je me déplaçais avec une extraordinaire légèreté, à la vitesse de l'eau ou de l'air. Je nageais comme une anguille, j'ai fait des tours sur moi-même, je pouvais monter ou descendre comme je le voulais. Un vent glacial soufflait tout autour de moi, et je me suis mis à flotter comme une plume, avant de m'enfoncer de plus en plus profondément.12"

Rabelais, dans le chapitre 61 de son Tiers Livre, se fait l'apologue d'un enthéogène mystérieux. Grâce à cette plante, qui est vraisemblablement inspirée du chanvre et de la belladone, mais qu'il nomme Pantagruelion pour ne pas être trop explicite :

"Ceylan a vu la Laponie : Java a vu les monts Riphées ; Phebol verra Thélème ; les Islandais et Groenlandais verront l'Euphrate. Par elle Borée a le manoir d'Auster ; Eurus a visité Zéphyr."

Le dérèglement des sens entraîne une modification du potentiel intellectuel. L'humour, l'ironie, le jeu de mots, sont grandement facilités. Pour Baudelaire, dès les premiers instants d'une prise de haschich, c'est une « hilarité, saugrenue, irrésistible, qui s'empare de vous. » Ce sont des « folâtreries », des « éclats de rire », les « dernières limites de l'ironie. »13 Chez Nerval, le haschich pousse ses consommateurs « à rire, s'agiter et à parler avec une volubilité extrême. »14 Chez Gautier, ce sont...

"des plaisanteries dont je ne peux me rappeler une seule, mais qui, sur le moment, me paraissaient prodigieusement spirituelles, et m'inspiraient la gaieté la plus folle [...] À chaque nouvelle apparition, un rire homérique, olympien, immense, étourdissant, et qui semblait résonner dans l’infini, éclatait autour de moi avec des mugissements de tonnerre.15"

Pour Dumont, héritier de Baudelaire dans l'attitude anticonformiste, le haschich...

"joue sur la fine corde de l'humour critique, dévoile de nouveaux degrés plus approfondis et plus subtils de ce dernier. En cela, il bouscule les concepts du politiquement correct inhérents aux relations sociales normées."

L'imagination dans son ensemble se voit largement augmentée. Théophile Gautier16 rapporte en effet :

"Je regardai alors au plafond, et j’aperçus une foule de têtes sans corps comme celles des chérubins, qui avaient des expressions si comiques, des physionomies si joviales et si profondément heureuses, que je ne pouvais m’empêcher de partager leur hilarité. Leurs yeux se plissaient, leurs bouches s’élargissaient, et leurs narines se dilataient : c’étaient des grimaces à réjouir le spleen en personne. Ces masques bouffons se mouvaient dans des zones tournant en sens inverse, ce qui produisait un effet éblouissant et vertigineux. Peu à peu le salon s’était rempli de figures extraordinaires, comme on n’en trouve que dans les eaux-fortes de Callot et dans les aqua-tintes de Goya : un pêle-mêle d’oripeaux et de haillons caractéristiques, de formes humaines et bestiales ; en toute autre occasion, j’eusse été peut-être inquiet d’une pareille compagnie, mais il n’y avait rien de menaçant dans ces monstruosités. C’était la malice, et non la férocité, qui faisait pétiller ces prunelles. La bonne humeur seule découvrait ces crocs désordonnés et ces incisives pointues."

Le psychiatre Moreau de Tours, qui encadrait les séances de haschich du club parisien dont Gautier était la figure de proue, résume les effets de la résine de cannabis dans son Traité du hachisch et de l'aliénation mentale, études psychologiques17 :

"Perdant insensiblement la conscience de nous-même, ou mieux, cette conscience venant à subir une sorte de transformation, nous donnons de la réalité aux produits de nos imaginations."

En effet, les membres du club haschischin rapportent :

"Si on veut jouir pleinement des magies du haschich, il faut les préparer à l'avance et fournir en quelque sorte les motifs à ses variations extravagantes.18"

"Êtes-vous un homme d'imagination, êtes-vous poète, goûtez encore à ceci, et les barrières du possible disparaîtront ; les champs de l'infini vont s'ouvrir, vous vous promènerez, libre de cœur, libre d'esprit, dans le domaine sans borne de la rêverie.19"

"Ce qu'on voit c'est soi-même agrandi, sensibilisé, excité démesurément, hors du temps et de l’espace, dont la notion disparaît, dans un milieu d'abord réel, mais qui bientôt se déforme, s'accentue, s'exagère et où chaque détail, d'une intensité extrême, prend une importance surnaturelle , mais aisément compréhensible pour le mangeur de haschich, qui devine des correspondances entre ces images souvent disparates.20"

"Il paraissait en proie à une exaltation extraordinaire ; des essaims de pensées nouvelles, inouïes, inconcevables, traversaient son âme en tourbillons de feu ; ses yeux étincelaient comme éclairés intérieurement par le reflet d'un monde inconnu, une dignité surhumaine relevait son maintien, puis la vision s'éteignait, et il se laissait aller mollement sur les carreaux à toutes les béatitudes du kief.21"

"Le morceau achevé, je continuai par des improvisations intérieures [...] qui me causaient des ravissements ineffables ; quel dommage qu’une sténographie magique n’ait pu recueillir ces mélodies inspirées, entendues de moi seul, et que je n’hésite pas, c’est bien modeste de ma part, à mettre au-dessus des chefs-d’œuvre de Rossini, de Meyerbeer, de Félicien David. Ô Pillet ! ô Vatel ! un des trente opéras que je fis en dix minutes vous enrichirait en six mois.22"

De telles aventures psychédéliques, coupées de toute référence mystico-religieuse, de tout cadre traditionnel, peuvent mener vers la psychose, comme cela se voit malheureusement trop souvent en Occident, où l'emploi strictement récréatif de drogues puissantes réserve bien des déboires à celui qui s'y adonne. À en croire le récit qu'il fit de ses visites au club qu'il présidait avec Moreau de Tours, Théophile Gautier semble avoir frôlé la psychose :

"Je m’étais transformé en nymphe syrinx, parce que la fresque représentait en effet la fille du Ladon poursuivie par Pan. J’éprouvais toutes les terreurs de la pauvre fugitive, et je cherchais à me cacher derrière des roseaux fantastiques pour éviter le monstre à pieds de bouc."

La frontière entre l'extase et la psychose est parfois ténue, comme en témoigne Castaneda, qui fut quant à lui encadré et guidé par un chaman :

"Quand j'ai essayé de dire quelque chose, je me suis aperçu que je n'y parvenais pas. Les mots défilaient au hasard dans mon esprit. […] Tout semblait très clair dans ma tête et j'étais cependant incapable de prononcer une parole. […] J'éprouvais la sensation agréable d'un flot de mots liquides.23"

Rejoignons Artaud, dont le peyotl lui « donnait de l'imagination », ce qui est un comble pour un poète aussi inventif et libre que le Momo. Il évoque à propos de la mescaline « une force, une illumination dans toute l'ampleur de [son] paysage interne. »

Charles Duchaussois, dont le roman générationnel Flash révéla au grand public la beauté tragique des chemins de Katmandou, évoque la prise récréative de haschich comme une séance ludique dédiée à la célébration de l'imagination :

"Quand on en fume, on s'identifie aux choses que l'on regarde. On devient la fenêtre en face de soi, la branche d'arbre qui se balance dehors."

Outre l'imagination, l'intelligence en tant que telle est augmentée. Tout du moins, c'est ce que ressentent ceux qui se livrent à l'expérience psychédélique. Pour Baudelaire, il « se manifeste une finesse nouvelle, une acuité supérieure dans tous les sens. » « Cette acuité de la pensée, cet enthousiasme des sens et de l'esprit, écrit-il dans Les paradis artificiels, ont dû, en tout temps, apparaître à l'homme comme le premier des biens. » [...] « violer les lois de sa constitution » […] « fuir, ne fut-ce que pour quelques heures, son habitacle de fange. » semble pour Baudelaire le plus grand bienfait du haschich, de l'opium et du vin. « Parmi les drogues les plus propres à créer ce que je nomme l'idéal artificiel […] tout en rendant l'imagination de l'homme plus subtile, […] sont le haschich et l'opium. » déclare-t-il sans ombrage.

Chez d'autres :

"Son corps semblait acquérir une légèreté immatérielle, son esprit s'éclaircissait d'une façon inouïe, ses sens semblaient doubler leurs facultés ; l'horizon allait toujours s'élargissant, mais non plus cet horizon sombre sur lequel planait une vague terreur et qu'il avait vu avant son sommeil, mais un horizon bleu, transparent, vaste avec tout ce que la mer a d'azur, avec tout ce que le soleil a de paillettes, avec tout ce que la brise a de parfums [...]24"

"Ça n'avait été, lorsque je l'avais lu, qu'une absurdité vaguement grosse de quelque sens caché. Maintenant, c'était clair comme le jour, aussi évident qu'un théorème d'Euclide.25"

Sur ce point, l'opinion du médecin psychiatre Barthe Nhi...

"L'ingestion de drogues psychédéliques (L.S.D, psilocybine, mescaline, DMT) rend accessible à chacun un niveau élevé de conscience.26"

… rejoint celle du journaliste punk Patrick Eudeline...

"Les drogues vous rendent intelligents : peyotl, haschisch, opiacés ou cocaïne vous apporteront la clairvoyance d'un Michaux, l'intuition d'un Sigmund Freud, le lyrisme d'un Baudelaire, ou le talent d'un Charlie Parker.27"

… et du poète post-surréaliste Rémy Dumont :

"Les substances psychédéliques, et ceci est un fait établi, approfondissent la réflexion, privilégient la méditation [...]28"

Rendu possible par un intellect serein et en pleine possession de ses moyens, le sentiment mystique ouvre la voie à l'extase. Le père de la pharmaco-botanique Louis Lewin note que le patient à qui l'on administre l'enthéogène « éprouve le besoin de faire de l'introspection. » Il écrit dans ses rapports pour les revues scientifiques :

"En fin de psychose, le patient voyait, les yeux ouverts, des oiseaux verts et rouges, et quand il les fermait, des jeunes filles vêtues de blanc, des anges, la sainte vierge, Jésus-Christ en bleu ciel."

William Burroughs, dans ses Lettres du Yage, rédigées au cœur même de la jungle péruvienne, témoigne que les peuples indigènes consommateurs d'ayahuasca ont un sens mystique plus développé qu’ailleurs : « Tout le monde ici était en connexion télépathique avec [l'Être Suprême]. » écrit-il à Allen Ginsberg. En prenant à son tour la liane des morts, l'écrivain américain rencontre « Lui L'Ange Gardien Logique et Omniscient » et s'assoit « près de Lui. » « Le hachisch rend pareil à Dieu » écrit Nerval dans son Histoire du calife Hakem, et Artaud, grâce au peyotl, « sembla revoir dans l'infini et comme en rêve la manière dont Dieu créa la vie. »29

Le sentiment océanique est facilité, si ce n'est provoqué directement :

"Le fondateur [prophète] a toujours un pied dans 1' « autre réalité », il est possédé par un Esprit, il entre dans une transe, il connaît l'extase, il voit Dieu en face, il est « semblable à du bois mort », il traverse la nuit obscure, il connaît sa nature originelle, etc. […] à chaque fois qu'un amérindien consomme un enthéogène, il s'incorpore le pouvoir de l'Esprit.30"

"La mixture de Banisteriopsis aidant, la sensation d'avoir un contact de première main avec le surnaturel semble presque chose courante.31"

L'extase :

"C’est ce que l’on nomme l’expérience de type mystique ou transcendantale. Elle correspond à un stade très avancé d’état modifié de conscience. La personne est transportée dans une autre époque, un autre lieu, une autre dimension ou un autre plan de l’existence semblant parfaitement réel. Ce type d’expérience a été rapproché des expériences de mort imminente. C’est précisément le stade que le chaman cherche à atteindre lors de la transe, qu’elle soit induite par un psychédélique ou par une autre technique (privation de sommeil, méditation, danse…). C’est le plan de l’existence qu’il qualifie de « monde-autre » et qu’il considère comme la véritable réalité. Cette expérience a été nommée « mystique » car elle autorise la personne qui l’expérimente à développer des sentiments spirituels profondément transformateurs, « à faire naître un sentiment divin à l’intérieur de soi » pour reprendre l’étymologie d’enthéogène. Les personnes qui l’ont vécu racontent par exemple avoir compris où leurs choix de vie les mèneraient, avoir vu les origines du monde ou pour les cas les plus poussés, avoir rencontré de manière plus ou moins matérialisée une force, une entité supérieure bienveillante.32"

"Je voyais ce qu'Adam avait vu le matin de sa création – le miracle, d'instant en instant, de l'existence dans sa nudité.33"

"Le champignon divin vous introduit dans l’extase. Votre propre esprit est soudain saisi et secoué (comme une cloche) jusqu’à ce qu’il rende un son.34"

"L’enveloppe humaine, qui a si peu de force pour le plaisir, et qui en a tant pour la douleur, n’aurait pu supporter une plus haute pression de bonheur. [...] À la gaieté un peu convulsive du commencement avait succédé un bien-être indéfinissable, un calme sans bornes. J’étais dans cette période bienheureuse du haschisch que les Orientaux appellent le kief. Je ne sentais plus mon corps ; les liens de la matière et de l’esprit étaient déliés ; je me mouvais par ma seule volonté dans un milieu qui n’offrait pas de résistance. C’est ainsi, je l’imagine, que doivent agir les âmes dans le monde aromal où nous irons après notre mort. [...] Je compris alors le plaisir qu’éprouvent, suivant leur degré de perfection, les esprits et les anges en traversant les éthers et les cieux, et à quoi l’éternité voulait s’occuper dans les paradis. Rien de matériel ne se mêlait à cette extase ; aucun désir terrestre n’en altérait la pureté. [...] Par un prodige bizarre, au bout de quelques minutes de contemplation, je me fondais dans l’objet fixé et je devenais moi-même cet objet.35"

"On ne sent plus le corps que l'on vient de quitter et qui vous assurait dans ses limites, en revanche on se sent beaucoup plus heureux d'appartenir à l'illimité qu'à soi-même car on comprend que ce qui était soi-même est venu de la tête de cet illuminé, l'Infini, et qu'on va le voir.36"

"Il y a, dit-il, dans tout homme un vieux reflet de Dieu où nous pouvons encore contempler l'image de cette force d'infini qui un jour nous a lancé dans une âme et cette âme dans un corps, et c'est à l'image de cette Force que le Peyotl nous a conduit parce que Ciguri nous rappelle à lui. […] Ciguri c'est l'infini.37"

"Il y a une connaissance obscure que Tout est dans tout. Que Tout est effectivement chacun. C'est là, me semble-t-il, le point le plus proche où un esprit fini puisse parvenir de l'état où il « perçoit tout ce qui se produit partout dans l'univers. »38"

La joie et le bonheur :

"Mon Dieu, que je suis heureux, quelle félicité ! Je nage dans l'extase ! Je suis en paradis ! Je plonge dans les abîmes de délices !39"

"Il me semblait que pour la première fois, je me tenais à distance et en dehors du tumulte de la vie ; que le vacarme, la fièvre et la lutte étaient suspendus ; qu'un répit était accordé aux secrètes oppositions de mon cœur ; un repos férié ; une délivrance de tout travail humain. L'espérance qui fleurit dans les chemins de la vie ne contredisait plus la paix qui habite dans les tombes ; les évolutions de mon intelligence me semblaient aussi infatigables que les cieux, et cependant toutes les inquiétudes étaient aplanies par un calme alcyonien ; c'était une tranquillité qui semblait le résultat, non pas de l'inertie, mais de l'antagonisme majestueux de forces égales et puissantes ; activités infinies, infini repos !40"

"L'horizon allait toujours s'élargissant, mais non plus cet horizon sombre sur lequel planait une vague terreur et qu'il avait vu avant son sommeil, mais un horizon bleu, transparent, vaste avec tout ce que la mer a d'azur, avec tout ce que le soleil a de paillettes, avec tout ce que la brise a de parfums [...]41"

"Fumer l'opium, c'est […] s'occuper d'autre chose que de la vie, de la mort.42"

"Les alcaloïdes provoqueraient une ivresse de quatre à huit heures d'ivresse à la fois calmante et relaxante, allant de pair avec un état de perception exacerbée du système neurovégétatif. Le fumeur évoluait dans un monde intérieur intemporel, fonctionnant profondément par associations, où la réalité et le rêve se fondaient dans une expérience tout à la fois lucide et très intérieure. […] le fumeur découvrait cette sensation d'être « libéré » du fardeau de l'existence humaine [...]43"

"Après avoir fumé, le corps pense. Il ne s'agit pas de la pensée confuse de Descartes. Le corps pense, le corps songe, le corps floconne, le corps vole.44"

"J'avais cessé de m'ennuyer, de chercher à ma vie une raison et j'avais cessé d'avoir à porter mon corps.45"

À propos du haschich plus particulièrement, on remarque...

"Une activité plus ou moins grande de la pensée intérieure ; un grand sentiment de joie. »46"

Nerval sur le haschich :

"Il me venait des paroles d'une signification immense, des expressions qui renfermaient des univers de pensées, des phrases mystérieuses où vibrait l'écho des mondes disparus. Mon âme se grandissait dans le passé et dans l'avenir ; l'amour que j'exprimais, j'avais la conviction de l'avoir ressenti de toute éternité.47"

À propos de l'opium, De Quincey remarque non sans ironie :

"On pouvait acheter le bonheur pour un penny et l'emporter dans la poche de son gilet ; l'extase se laissait enfermer dans une bouteille, et la paix de l'esprit pouvait s'expédier par la diligence."

Baudelaire, dans ses Paradis artificiels, appose les termes « gaieté immodérée et irrésistible », « sensation de bien-être et de plénitude de vie » au haschich.

À l'opium comme au haschich, s'attache un orientalisme certain et une nostalgie du passé, proche elle aussi du sentiment océanique :

"Les drogués sont si bien dans les pays arabes, aux Indes et au Nepal. Là-bas, vivre au ralenti est naturel. Les gens, de nature, sont calmes, lents. C'est exactement ce qu'il faut. Et on ne peut vraiment comprendre l'Orient et son charme si on ne sait pas cela : l'Orient est la région du monde où drogue, mysticisme, mènent le rythme. Tout ceci est vrai également pour l'opium, drogue douce, lente, balancée, molle.48"

Une étrange « nostalgie des origines » semble saisir celui qui se laisse aller à l'expérience mystique psychédélique... Pour le poète Edmond Gojon, l'opium est une...

"musique obscure et profonde

qui, dans ses enchantements,
enveloppe infiniment la tristesse du vieux monde.
49"

 

Le parnassien Armand Renaud, fait un « Songe d'opium » et d'Orient :

"Parmi les lys à tige fière,
Les jasmins, les rosiers moussus,
Serpente une large rivière ;
Une barque ondule dessus.
Barque à courbure égyptienne
Avec figures aux deux bouts [...]
50"

 

Dans ses Lettres du Yage, W. S. Burroughs témoigne d'une expérience semblable grâce à l'ayahuasca :

"La hutte se transforma en une chose archaïque du Pacifique. Des têtes de l'île de Pâques sculptées dans les piliers."

Ce sentiment du passé, cette conscience d'un monde ancestral soudain accessible, se retrouve dans la drogue de synthèse LSD. Selon son apologue Timothy Leary, grâce à l'acide lysergique présent de manière naturelle dans les plantes à LSA :

"Vous refaites l'expérience de vos ancêtres, vous parcourez tout au long de la chaîne mémorisante de l'ADN. Tout est là dans votre programme cellulaire.51"

De Quincey52 relève la même sensation. L'opium est :

"cette chaleur vivifiante qu’approuve la raison, et qui devrait probablement accompagner une santé éternelle et antédiluvienne.

La nuit, lorsque j’étais éveillé dans mon lit, de longues processions passaient avec une pompe lugubre autour de moi ; je m’entendais raconter d’interminables histoires, plus tristes et plus solennelles que celles d’avant Œdipe ou Priam, avant Tyr, avant Memphis, et, dans le même temps, un changement s’opéra dans mes rêves ; un théâtre semblait tout à coup s’ouvrir et s’éclairer dans mon cerveau, et me présenter des spectacles de nuit d’une splendeur plus qu’humaine [...]

Dès qu’une chose pouvait se présenter aux yeux, je n’avais qu’à y penser dans l’obscurité, et je la voyais paraître comme un fantôme [...] Le sentiment de l’espace, et plus tard le sentiment de la durée, étaient tous deux excessivement augmentés. Les édifices, les montagnes s’élevaient dans des proportions trop vastes pour être mesurées par le regard. La plaine s’étendait et se perdait dans l’immensité. Ceci pourtant m’effrayait moins que le prolongement du temps ; je croyais quelquefois avoir vécu soixante-dix ans ou cent ans en une nuit ; j’ai même eu un rêve de milliers d’années ; et d’autres qui passaient les bornes de tout ce dont les hommes peuvent se souvenir.[...]

De tout cela, du moins, je tirai cette conclusion, que : oublier est impossible à l’homme. Mille événements peuvent et doivent tirer un voile entre la conscience présente et les secrètes inscriptions de l’âme ; des accidents de même nature peuvent aussi le déchirer ; mais voilée ou découverte, l’inscription reste toujours ; comme les étoiles paraissent s’enfuir devant la lumière du soleil, tandis que la lumière se place entre elles et nous comme un grand voile. Elles attendent, pour se révéler, que l’obscurité succède au jour. [...]

Chaque nuit me transportait au milieu des scènes de l’Asie. [...]

Sous le soleil ardent du tropique, je rassemblais toutes les créatures hideuses, les oiseaux, les animaux, les reptiles, les arbres et les plantes de toutes les régions inconnues, dans la Chine et l’Hindoustan ; l’Égypte même et ses dieux y venaient aussi. J’étais arrêté, heurté, mordu par des perroquets, des singes ; je me frappais sur des pagodes ; j’étais fixé pour des siècles à leur sommet, ou dans leurs chambres secrètes ; j’étais l’idole, j’étais le prêtre, j’étais la victime ; on me sacrifiait. Je fuyais la colère de Brahma à travers toutes les forêts de l’Asie : Vishnu me haïssait  ; Shiva m’attendait. Je tombais dans les mains d’Isis et d’Osiris ; j’entendais dire à tout le monde que j’avais commis une action dont le récit faisait trembler l’ibis et le crocodile. On m’ensevelissait, pour des milliers d’années, dans des cachots de pierre, avec des mines et des sphinx, dans des chambres sombres et tristes, au cœur des pyramides éternelles. Je sentais les baisers froids et hideux des crocodiles, et je tombais au milieu des serpents et des monstres, dans les sables et les herbes du Nil."

Chez le rédacteur de la Revue psychonaute le Grand Jeu, R. Gilbert-Lecomte53 :

"Des lointains du passé le plus immémorial remontent les souvenirs-fantômes qui auguraient l'heure présente des temps nouveaux.

Souvenez-vous, hommes, du fond caverneux de vous-mêmes : votre peau n'a pas toujours été votre limite. Il fut un temps où la conscience n'était pas emprisonnée dans cette outre puante, un temps où le cercle magique des horizons lui-même ne suffisait pas à emprisonner l'homme."

Pour le poète lyonnais Rémy Dumont, l'expérience de la psilocybine évoque la présence des ancêtres à celui qui s'y soumet :

"Alors qu'il se leva, il sentit revivre en lui son lointain ancêtre, le premier homme des origines les plus reculées.54"

Enfin, les enthéogènes sont aussi des remèdes communs :

Pour Cocteau, l'opium est « un antidote, un plaisir, une sieste extrême. »

L'épitaphe d'un médecin égyptien est claire : l'opium est une « plante aux portes de la nuit et du deuil, qui efface la douleur et la connaissance, qui effraie les rêves, le sommeil et la mort. »55 De même, « le peyotl est un remède contre toutes les maladies. »56

"Le Peyotl ramène le moi à ses sources vraies. […] On a vu d'où l'on vient et qui l'on est, et on ne doute plus de ce que l'on est. Il n'est plus d'émotion ni d'influence extérieure qui puisse vous en détourner. […] La conscience atavique et personnelle entière est alertée et étayée.57"

"Les drogues sont des béquilles parce que le monde ne sait pas marcher droit.58"

"Chaque drogue engendre un état spécifique : ivresse de l'alcool, kief de l'opium, plus généralement euphorie des alcaloïdes, etc. Et s'il est impossible pour le moment d'envisager la valeur morale de ces états, par contre il faut bien admettre qu'ils permettent, à qui se réfugie en eux, de fuir des états plus douloureux, sinon inférieurs ou supérieurs. C'est ainsi que les drogues ont certainement sauvé bien des vies.59"

"Jusqu'à récemment, les champignons étaient le seul médicament auquel les Indiens avaient recours en cas de maladie. […] selon les Indiens, les champignons ont soulagé des cas de syphilis, de cancer et d'épilepsie ; des tumeurs ont guéri.60"

 

1Les portes de la perception.

2Éditions de l'Herne, 1996.

3La drogue, PUF, 1981.

4Chamanisme spiritualité et modernité (Trois essais critiques).

5Romans et Contes, A. Lemerre, 1897.

6R. G. Wasson, « Seeking the Magic Mushroom », Life, 13 mai 1957.

7Opium, journal d'une désintoxication.

8Voyage en Orient, 1851.

9Huxley, Les Portes de la perception.

10R. Dumont, Chamanisme spiritualité et modernité (Trois essais critiques).

11K. M. Kensinger, « De l'usage du Banisteriopsis chez les Cachinahua du Pérou », dans M. J. Harner, Hallucinogènes et chamanisme.

12C. Castaneda, L'herbe du diable et la petite fumée.

13Ch. Baudelaire, Les paradis artificiels.

14Histoire du calife Hakem.

15Le club des Haschischins.

16Le club des Haschischins.

17Fortin, Passon et Compagnie, 1845.

18Gautier, Étude sur Baudelaire, 1868.

19Dumas,Le Comte de Monte-Cristo,1845

20Gautier, Étude sur Baudelaire, 1868.

21Nerval, Histoire du calife Hakem.

22Gautier, Le club des Haschischins.

23L'herbe du diable et la petite fumée.

24Dumas, Le Comte de Monte-Cristo.

25Huxley, Les Portes de la perception.

26B. Nhi, Les chemins de la libération.

27P. Eudeline, « Couvre-feu », Hara-Kiri Hebdo, numéro 99, 1992.

28Chamanisme spiritualité et modernité (Trois essais critiques).

29Les Tarahumaras, 1948.

30La Barre, Les Plantes psychédéliques et les origines de la religion.

31Harner, Hallucinogènes et chamanisme.

32A. Soubrouillard, Le chamanisme et les plantes hallucinogènes.

33Huxley, Les Portes de la perception.

34R. G. Wasson, Le champignon divin de l’immortalité, 1972.

35Gautier.

36Artaud, Les Tarahumaras, 1948.

37Artaud.

38Huxley, Les Portes de la perception.

39Gautier.

40Th. de Quincey, Confession d'un mangeur d'Opium, trad. Baudelaire.

41Dumas, Le Comte de Monte-Cristo.

42Cocteau, Opium.

43F. M. Bertholet, Opium, Art et histoire d'un rituel perdu, Citadelles et Mazenod 2007

44Cocteau.

45Artaud.

46P. Janet, De l'angoisse à l'extase, tome 2, « Les sentiments fondamentaux », éd. Félix Alcan, Paris, 1928.

47Nerval, Histoire du calife Hakem.

48Duchaussois, Flash.

49« Opium », Le Jardin des dieux, 1920.

50Le Parnasse contemporain, 1866.

51La politique de l'extase, Fayard, 1973.

52Confession d'un mangeur d'Opium, trad. Musset.

53L'horrible révélation... la seule.

54Chamanisme spiritualité et modernité (Trois essais critiques).

55Cité par Bertholet, Opium, Art et histoire d'un rituel perdu, op. cit.

56M. Benzi, ‎ ‎Les derniers adorateurs du Peyotl. Croyances, coutumes et mythes des Indiens Huichol, Gallimard 1972.

57Artaud, op. cit.

58P. Eudeline, « Drougs », dans Ogoun !, numéro 3, mars 1996.

59R. Gilbert-Lecomte, Monsieur Morphée empoisonneur public.

60Henry Munn, «Les champignons du langage», in Harner, Hallucinogènes et chamanisme.

LES ENTHÉOGÈNES DU VIEUX CONTINENTS

 

1. Éphédra (Eurasie, Caspienne, Asie centrale, Chine)

2. Pavot à opium (Méditerranée, Anatolie, Pamir, Himalaya, Indochine)

3. Datura (Europe, Inde)

4. Lotus (Égypte, Inde)

5. Cannabis (Méditerranée, Eurasie, Himalaya, Inde)

6. Belladone (Europe de l'ouest)

7. Mandragore (Méditerranée)

8. Jusquiame noire (Méditerranée)

9. Psilocybe (Eurasie, Inde, Mexique)

10. Amanite muscaria « tue-mouche »

(Europe du nord, Eurasie, Sibérie, Kamtchatka)

ANTHOLOGIE des propos tenus sur les ENTHÉOGÈNES et PSYCHOTROPES
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