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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Taxinomie des excitants mystiques

Les boucles d'oreilles en or et en forme de bouton de pavot, de la reine Tausret (Egypte)

Les boucles d'oreilles en or et en forme de bouton de pavot, de la reine Tausret (Egypte)

Avant tout, insistons sur le caractère hétéroclite des différents modes de consommation des enthéogènes : qui peuvent être oralement consommés (boisson, fermentation, décoction, philtre, brouet), introduits sous-cutanés (onguent, « onguent volant » intra-vaginal), chiqués (tabac, bétel, coca, kat) ou bien fumés (tabac, datura).

Nous devons la première tentative de taxinomie moderne au pharmacologue allemand Louis Lewin (1850-1929), dont les travaux, associés à ceux du docteur Moreau de Tours, contribuèrent grandement à populariser l'existence de ces plantes à l'immense potentiel. L'objectif de ces savants était d'utiliser le haschich, les champignons hallucinogènes et les plantes provoquant des délires, comme la jusquiame ou le datura, afin de soigner diverses pathologies mentales. Lewin classe de la manière suivante les substances et produits connus à son époque et capables de modifier les perceptions et l’état d'esprit. Son classement fit autorité un siècle durant. Il distinguait donc :

- les euphorisants (par exemple morphine)

- les enivrants (alcool)

- les hypnotiques (somnifères)

- les excitants (amphétamines)

- les fantastiques / hallucinogènes (champignons)

L'anthropologue et ethnopharmacologue Christian Rätsch (1957-2022) propose un classement actualisé après la découverte des alcaloïdes et leur manière d'agir sur le cerveau. Il établit trois groupes :

- les stimulants : stimulent l’esprit, donne du cœur à l'ouvrage, du réconfort quotidien, euphorie notable mais sans modification des perceptions (café, coca, khat).

- les sédatifs (hypnotiques, narcotiques, dépresseurs) : calment, induisent le sommeil, diminuent l’anxiété, anesthésient, mais très faiblement hallucinogènes (opium, cannabis, kratom).

- les hallucinogènes : provoquent des modifications dans les perceptions (espace, temps, son) et dans les émotions.

Cette taxinomie se voit en partie confirmée par l'expérience de l'écrivain hippie Charles Duchaussois qui, dans le récit de son voyage à Katmandou, Flash ou le grand voyage,1  retient deux grandes classes de produits : « Pour le drogué il y a deux sortes de drogues : celles qui font planer » et « celles qui font voyager. » En somme, il y aurait deux types de produits. Le premier type concerne les drogues qui n'empêchent pas celui qui les prend de mener une activité normale et d'entretenir une conversation cohérente, ses sens demeurant peu troublés (sensation d'euphorie, de calme, la drogue parasite son activité sociale mais ne l'empêche pas). Le second type ne permet pas une activité autre que celle de la prise de drogue en elle-même et réclame donc une attention totale de la part de celui qui s'y adonne (voyage astral, expérience psychédélique intense, transe).

Concernant spécialement les drogues, naturelles ou non, aux propriétés hallucinogènes, le consensus moderne prend en compte la découverte des drogues de synthèse comme le LSD, la DMT, la kétamine et la MDMA, et considère trois grandes familles :

- les psychédéliques : LSD, psilocybine, mescaline, DMT.

- les dissociatifs : salvia divinorum, kétamine, PCP.

- les délirants : haschich, datura.

Ce dernier classement ne nous convient guère, car un même produit pourrait très bien se retrouver dans plusieurs des catégories, selon la quantité prise mais aussi son contexte (nuit, jour, solitaire, collectif, …). Par exemple, le cannabis, consommé par voie digestive et en très grande quantité, après un jeûne, provoque de puissantes hallucinations. Par contre, en fumer en petite quantité ne déclenchera aucune vision, mais une possible psychose. Quant au datura, pris dans un contexte raisonné et traditionnel, il permet un voyage psychédélique classique. Mais consommé sans précaution, il entraîne de violents délires dissociatifs, semblables au delirium tremens ou au « trou noir » (black out) provoqué par l'excès d'alcool.

Concernant les principaux enthéogènes (et non l'ensemble des drogues psychédéliques et narcotiques, naturelles ou de synthèse), il nous semble qu'il existe simplement deux grandes catégories de produits, elles-mêmes constituées de deux principales sous-classes :

- les toniques bénins : valériane, romarin, thé, café, ...

Il sont sans risque immédiat pour la santé, leur prise est à la fois curative et préventive, les effets ressentis (propriété hallucinogène) sont négligeables. Ils constituent les « remèdes de grand-mères » en Europe, l'ayurveda en Inde et la pharmacopée de base des indigènes du monde entier. L'usage de ces enthéogènes n'est pas encadré par un système chamanique. Nous rangerons dans cette catégorie les aphrodisiaques, dont les effets, pour la plupart, n'ont jamais été démontrés. Cette catégorie relève donc aussi de l'effet placebo tout comme de la superstition.

- les adjuvants quotidiens : cannabis, opium, khat, coca, alcool, bétel...

Ils aident à supporter parfois un dur labeur ou à calmer des chimères intellectuelles et sentimentales. Ils engendrent une accoutumance et de rares mais potentielles pathologies psychotiques. À forte dose, leurs propriétés psychédéliques se font sentir. Leurs effets, s'ils ne sont alimentés par de nouvelles prises, ne durent jamais plus de quelques heures. Ces plantes ne sont que peu utilisées lors des rituels chamaniques. L'usage de ces enthéogènes n'est généralement pas encadré par un système chamanique.

Ces deux catégories sont issues de la même classe des enthéogènes que nous qualifierons de « peu sacrés, bénins à peu puissants ». Les deux catégories suivantes relèvent d'une classe d'enthéogènes que nous qualifierons de « sacrés, puissants à vénéneux ».

- les psychédéliques classiques : champignons à psilocybine, cactus à mescaline, liane à DMT (ayahuasca), flore contenant du LSA (rose des bois hawaïenne, graines d'ipomées).

Ce sont des produits puissants utilisés lors de la plupart des rituels initiatiques. Ce sont les hallucinogènes classiques dont les effets sont saisissants et durent longtemps (12 à 24 heures). Ils n'engendrent aucune accoutumance. Les risques de psychose sont potentiels mais très limités. Les accidents de voyage, les « mauvais voyages » (bad trip) sont extrêmement rares. L'usage de ces enthéogènes est strictement encadré par un système chamanique.

- les psychédéliques violents : amanite, datura, belladone, tabac, ...

Ce sont des enthéogènes rituels purgatifs puissants, violents et vénéneux, parfois psychédéliques mais pas nécessairement. Ils sont souvent pris en complément des psychédéliques classiques, afin de provoquer une purge, un état léthargique, une dissociation ou même une violente psychose artificielle. Leur utilisation peut être aussi chirurgicale afin de créer un état dissociatif entre l'esprit et le corps, qui permettrait que se déroule dans de meilleures conditions un acte chirurgical périlleux (avortement, opération des yeux ou du cerveau). L'usage de ces plantes s'est complètement perdu en Europe, ce qui est très dommage étant donné que de nombreux enthéogènes2 appartenant à cette catégorie y sont présents et furent largement utilisés par le passé (sorcellerie, récits homériques, ...). Cette catégorie d'enthéogènes est très proche de la suivante :

Ajoutons à cela une classe subsidiaire à la précédente et constituée des purgatifs, poisons et vomitifs, tels l'aconit, la bryone, la strychnine, … Mentionnons donc quelques principes actifs vénéneux. L'atropine est un alcaloïde tropanique présent dans diverses plantes de la famille des solanacées, comme la belladone, le datura, la jusquiame et la mandragore. Les effets de l'atropine et de la hyoscyamine sont similaires et marqués par un ralentissement du rythme cardiaque et la paralysie. La strychnine, extraite de la noix vomique (vomiquier) est un stimulant du système nerveux central. Psychotrope, elle procure une sensation accrue des sens. À dose moyenne, elle augmente l'amplitude respiratoire. À dose létale, elle entraîne des spasmes musculaires, des convulsions, l'arrêt cardiaque et l'asphyxie. Occasionnellement la strychnine fut utilisée comme produit dopant. Enfin, l'émétine est le principal alcaloïde de l'ipéca (Brésil, Bolivie, Amérique centrale). Très toxique, il est utilisé comme vomitif.

 

 

1Fayard, 1971.

2Particulièrement la belladone, la jusquiame, le datura, la bryone et la mandragore.

PRINCIPAUX ALCALOÏDES ET PRINCIPES ACTIFS

 

alcaloïdes et associés

enthéogènes correspondants

effets principaux

atropine

belladone, datura

jusquiame, mandragore

hallucination

psychose, coma

éphédrine,

pseudoéphédrine

éphédra

khat

stimulation

euphorie

caféine

café, guarana

stimulation

cocaïne

coca

stimulation

DMT,

buphoténine,

harmaline

amanite, ayahuasca

crapaud bucéphale

harmal*, yopo

hallucination

introspection

transe

hyoscyamine

belladone, datura

jusquiame

mandragore

transe

psychose

thérianthropie

ibogaïne

iboga

hallucination

LSA**

Argyreia nervosa

ipomées, ergot

hallucination

euphorie

mandragorine,

cuscohygrine, pseudohyoscyamine

belladone, coca

datura

mandragore

hallucination

intoxication

psychose, coma

mescaline

cactus peyotl,

cactus San Pedro

euphorie hallucination

nicotine

tabac

transe

opioïdes, morphine,

apomorphine,

papavérine

kratom, lotus

opium

coquelicot

sédation

euphorie

imagination

psilocybine, psilocine

champignons psilocybe

cubensis, truffes

hallucination

euphorie

salvinorines

Salvia divinorum

hallucination

scopolamine

belladone, datura

jusquiame

mandragore

sédation,

hallucination,

psychose

THC

cannabis

euphorie, sédation

yangonine

kava

sédation, transe

yohimbine

yohimbe

stimulation

hallucination

* Dans les feuilles mâchées de harmal, la harmaline est présente en trop petite quantité pour être psychédélique.

** Molécule proche du LSD.

Taxinomie des excitants mystiques
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