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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

RUDRA, SHIVA et le LINGAM (divinités indiennes)

Je suis le présent, je suis la force créatrice absolue.
Je suis l'entière création.
Je suis celui qui s’est sacrifié plusieurs fois, je suis le plus noble exemple à suivre.
Je suis le rayonnement éblouissant, je suis ce qui est le plus important.
Je suis celui qui mange et digère toute chose.
Je suis le guide jusqu'au but ultime.
Je suis la Création, la Terre et toutes les autres planètes.
Je suis le Seigneur, le Grand Maître, le suprême administrateur de l'Univers.

Sri Rudram, 2, 11. Krishna Yajur-Veda

 

Rudra

La nature dans son ensemble, sauvage, dangereuse, mais aussi généreuse, est représentée par des dieux bucoliques, moins étincelants et plus ambivalents que les dieux élémentaires. En Inde védique, il s'agissait de Rudra, le colérique dieu insoumis qui vit en marge des autres divinités.

Plutôt que Rudra, les Védiques vénéraient plus généralement des divinités jupitériennes comme Indra ou Varuna. Quant au principe destructeur et régénérateur, il était incarné par Agni, le dieu du feu. Rudra n'est donc pas une divinité majeure du panthéon védique, mais plutôt une divinité dont le culte prédatait l'arrivée en Inde des premiers Aryens, et perdurera après la fin du brahmanisme.

Ce « maître de la nature » est en effet abondamment présent dans l'iconographie de la civilisation de la vallée de l'Indus, qui prédate l’acculturation aryenne du sous-continent. On retrouve aussi sa trace en pays dravidien : depuis la plus haute Antiquité et jusqu'à nos jours, Shiva, sa parèdre et leur fils Murugan y sont des divinités majeures.

Vers la fin du premier millénaire avant notre ère, la civilisation de l'Indus, l'aryenne et la dravidienne, se mélangèrent pour ne plus faire qu'une. Dès lors, Rudra cessa d'être une divinité de second plan pour devenir Shiva-Sureshwar, « le seigneur des seigneurs », le dieu des dieux.

Le védisme des dévas battu en brèche par des cultes plus populaires et plus accessibles, Shiva et sa famille devinrent les sujets d'innombrables légendes (« puranas »), et Rudra-Shiva remplaça Indra au sommet du panthéon indien. Shiva prit alors le nom de Mahadeva, « le plus grand des dieux ».

Si les divinités élémentaires, les dévas, sont des fils et des petits-fils de Brahma, ce n'est pas le cas de Rudra, qui ne connaît ni la mort ni la naissance et dont la présence précédait la création elle-même. Colérique et violent, il est Rudra, mais calme et méditatif, il est Shiva, un mot qui signifie littéralement « le doux » en sanskrit.

Dans l'un des hymnes rig-védiques qui lui est consacré (1, 8, 2), Rudra apparaît effectivement ambivalent, capable du meilleur comme du pire. Il est donc célébré pour sa générosité, mais aussi pour se prémunir de sa fureur :

« Grâce au sacrifice que Manu, notre ancêtre, lui avait adressé, Rudra put récupérer sa part du sacrifice des dieux. Aujourd'hui, comme il nous redistribue cette part, nous lui adressons de nouveaux rituels.

Nous invoquons Rudra, le meilleur des dieux, car il est notre refuge, et qu'il nous envoie la pluie comme remède à nos problèmes ! Il est le maître des mantras, de la magie, des chants religieux et des sacrifices, et c'est lui qui nous accorde l'extase du véritable bonheur. Avec lui nous invoquons aussi le sanglier céleste, pour qu'il nous donne nourriture, vêtement et maison !

Rudra, nous sommes ton peuple, fais que nous soyons bien portants car c'est ta faveur seule que nous souhaitons. Sois bon pour moi, pour mes enfants et mes petits-enfants. Épargne parmi nous le vieillard et l’enfant, le père et le fils. Épargne celui et celle qui nous ont donné le jour.

Rudra, abstiens-toi de frapper les personnes qui nous sont chères et éloigne de nous ta colère, qui tue les vaches et les enfants. Répands plutôt ta bénédiction sur nos troupeaux de chevaux, de brebis, de béliers, de vaches, sur nos hommes, nos femmes, nos enfants, et sur tous les autres biens qui répondent de toi. »

Le Sri Rudram développe le thème du dieu ambivalent, amoral mais généreux.

« Rudra, nous t'adressons nos salutations respectueuses et nous nous prosternons entre tes bras, devant ta divine colère ainsi que devant ton arc et tes flèches. Puissent tes flèches nous êtres tendres et nous bénir, elles qui depuis ton carquois pourvoient à toutes les douceurs.

Rudra, maître des montagnes, que ton aspect ne soit pas à l'image de nos vices et que ton doux regard se pose sur nous et nous tranquillise en nous révélant notre véritable nature. Ton bras féroce, levé au ciel, ne l'abaisse pas sur les êtres vivants, transforme-le plutôt en corne d'abondance, ô toi qui depuis le sommet de la montagne irradie le monde de douceur.

Ô toi qui es notre protecteur, notre porte-parole, notre docteur, notre dieu suprême, réduis en poussière le serpent qui est en nous et qui est la source de nos vices. Comme un soleil, rougeoyant, brûlant, brillant d'un milliard de feux, protège-nous de la colère de tes fils, les Rudras, qui comme des rayons parcourent l'univers pour y semer la haine et la discorde. [...]

Seigneur de la douce colère, détache ton arc aux deux bouts, et lâche les flèches qui devaient l'armer. Ô dieux aux mille yeux, émousse tes flèches, et sois notre bienfaiteur, sois celui qui nous calmera. Ô Seigneur, toi qui portes ta chevelure en chignon tel un rishi, détends la corde de ton arc et vide au sol ton carquois des flèches qui nous étaient destinées. Fais donc de ton arme l’outil de ta générosité, entoure-nous de tes bras et protège-nous des maladies et du vice.

Nous nous prosternons donc devant toi, et devant l'arc que tu brandis et dont tu nous menaces mais que nous savons inoffensif. Que tes flèches lancées de toutes parts nous contournent, que ton carquois rempli gîse à tes pieds… » Sri Rudram, 1,1.

Ou encore :

« Ô Rudra, maître du monde, ne trouble pas nos aïeux, ne trouble pas nos enfants, qu'ils soient à nos côtés ou dans le ventre des femmes, ne les trouble pas non plus, ni nos pères, ni nos mères et tiens ta colère éloignée de ceux qui nous sont chers.

Ô Rudra, Maître du monde, n'afflige pas nos enfants et nos petits-enfants, ne réduis pas la durée de nos vies, n'afflige pas notre bétail, ni nos chevaux. N'afflige pas non plus ceux qui nous aident et travaillent pour nous. Ainsi nous te dédicacerons de nombreuses libations et d’innombrables offrandes.

Ô Rudra, Maître du monde, ne tue pas les êtres, ne tue pas les gens, ne tue pas nos gens, sois bénéfique, apparais à nous sous ton aspect le plus gracieux, sois de notre côté, sois à nos côtés. Ô Rudra, protège-nous, aies pitié de nous, et fais pleuvoir sur nous une pluie de grâce venu d'un autre monde. [...]

Que tes projectiles, ô Rudra, nous contournent mais que ta violente colère brûle la méchanceté dans nos actions et éradique nos mauvaises intentions. Détache la corde de ton arc pour ceux qui sont généreux avec toi et rends nos enfants beaux et forts en échange de nos rituels, offrandes et sacrifices. » Sri Rudram, 1, 10.

 

Divinités de la nature

védique

Pashupati - Rudra (Shiva)

hindoue

Shiva (Rudra)

hittite

Kal

ossète

Æfsati

géorgienne*

Dali - Bochi (Pan)

caucasienne

Apsat (divinité des oiseaux et des animaux)

phrygienne

Sabazios (Jupiter - Dionysos)

thrace

Sabazios (Jupiter - Dionysos)

mycénienne

« Dionysos mycénien »

grecque

Pan et ses satyres - Dionysos

romaine

Faunus et ses Faunes - Priape

corse

Orcu

étrusque*

Fufluns

dace

Bendis (forêts, herbes, saisons et Lune)

gauloise

Sucellos (Sylvain) - Cernunnos - Sirona

picarde

Casseu-d'bo (aulne) – Bokillon (bouleau) –Houppeaux (chêne)

savoyarde

L'Homme vert

celte insulaire

Cocidius - L'homme vert

irlandaise

Dagda (Sucellos) - Annwn (Cernunnos)

scandinave

Odin

slave

Lada - Vélès (Saint Vlassi) - Svyatobor, Svyatibog

Divinités de la chasse (et des forêts)

védique

Pushan - Pashupati (Shiva)

kalasha

Suchi (chasse) - Jach (nymphe des pâturages)

arménienne

Nahit (Artémis, Diane)

ossète

Æfsati

géorgienne*

Dali - Bochi (Pan)

caucasienne

Apsat (divinité des oiseaux et des animaux)

roumaine

La Mère de la forêt (sorcière)

mycénienne

« Artémis mycénienne » - « Dionysos mycénien »

grecque

Pan et ses satyres - Artémis (Iphigénie)

romaine

Faunus et ses Faunes - Diane (Artémis)

étrusque*

Fufluns - Arthume, Aritimi (Artémis, Diane)

dace

Bendis (forêts, herbes, saisons et lune)

celte

Artio

gauloise

Sucellos (Sylvain) - Cernunnos - Sirona

vendéenne

Roi Artus (chasseur nocturne)

savoyarde

L'Homme vert – Chasse sauvage

celte insulaire

Cocidius - L'Homme Vert

irlandaise

Annwn (Cernunnos) - Le chevalier noir

germanique

Cherserquine – Diane de Trèves

scandinave

Odin

slave

Lada - Vélès (Saint Vlassi) - Liéchi, Letchi (Sylvain) – Dziewona, Diewana

balte

Zvoruna

lituanienne

Medeina

 

Divinités de la fertilité, des récoltes et de la fécondité

 

védiques

Prithvi Mater, Kamadenyu (la vache céleste)

hindoues

Parvati, Sita, Dévi - Shiva Lingam (Dionysos, Priape) -

Kamadenyu

mazdéennes

Spenta Armaiti (Terre)

mithriaques

Homa (Bacchus)

nuristanis

Nirmali

kalashas

Munjem Malék - Dezalik, Disini, Kotsomaiush (déesse de la santé, accouchement, vie, défense des femmes)

hittites

Telibinu, Telipinu - Kubaba

louvites

Kubaba

hourrites*

Shaushka – Kumarbi

arméniennes

Astlik (Vénus, Inana)

ossètes

Watsilla - Satana (Satanaya, Setenej)

géorgiennes*

Adgilis Deda - Beri-Bera - Lamara - Zaden

scythes

Tabiti (Grande déesse)

thraces

Cotys

phrygiennes

Agdistis (Cybèle, Magna Mater, Damia) - Cotys

philistines

Dagon

mycéniennes

Diwia (déesse-Mère) - « Déméter mycénienne » – « Héra mycénienne »

grecques

Ilithyie (enfantement) - Déméter - Perséphone – Dionysos –

Damia (Cybèle)

gréco-égyptiennes

Euthénia

romaines

Lucine, Mater Lucina (Ilithyie, enfantement) - Cérès (Déméter) - Cybèle (Vénus), Magna Mater – Junon - Bona Dea –

Priape, Mutunus Tutunus - Sylvanus - Bacchus (Dionysos, Homa)

étrusques*

Selvans - Vertumnus

latines

Maïa - Proserpine

sabines

Ops

daces

Cotys (Cottyto)

gauloises

Sucellos (Tantagou ou Sylvain) - Cernounos - Rosmerta -

Belisama – Damona – Epona Rigani

galloises

Don – Anna – Modron - Rhiannon

irlandaises

Dagda (Sucellos)

lusitaniennes

Ataegina - Epona

germaniques

Freyr (Freé, Ing, masc.) - Nerthus (fém.)

franques

Nerthus (fém.) - Ynvi (Freyr, masc.)

scandinaves

Frigg - Freyr, Freé, Ing (masc.) - Fulla (fém.) - Gefjon (fém.)

- Sif, Jarnsaxa - Thor

slaves

Svetovid (Péroun) - Lada (fém.) et Yarillo (masc.) - Jiva (fém.)

- Simargi - Mokoch

chrétiennes slaves

Saint Pierre (vigne, blé) - Pantaléon de Nicomédie, saint Pantaléon, Pantéléimon (« la chaleur qui mûrit », D. d'Istria)

baltes

Usins

estoniennes*

Peko

estoniennes catholiques*

Juri (St George) dieu de l'agriculture - Mart (St Martin) dieu de la

fertilité - Tonn (St Antoine) dieu des récoltes et des cochons.

lituaniennes

Laukosargas – Zemepatis - Zemininkas

 

Shiva

D'abord Shiva fut, puis fut sa grâce. Gardien des quatre directions et des sept mondes, créateur du huitième, il est celui qui règne sur l'univers qu'il a conquis, puis façonné, et qui depuis demeure. Priez-le sans cesse, le généreux, l'incomparable, le premier témoin des Temps : Shiva, le divin Père, doux comme le nectar. Priez-le même quand vous priez, et vous récolterez la récompense de votre fidélité. 

Tirumantiram.

Dieu des ascètes et des yogis, Shiva est représenté sous les traits d'un sadhu athlétique, aux muscles fermes et saillants. Ses longs cheveux noirs sont noués en chignon au-dessus de sa tête, à la manière des yogis. Son seul vêtement est une peau de tigre, qui symbolise son emprise sur le monde animal. Bien souvent, il est présenté nu comme un moine errant, recouvert seulement d'une couche de cendres représentant la vanité de ce monde, la vacuité du passage sur Terre et le retour à la poussière des corps.

Shiva incarne la violence destructrice mais aussi créatrice de l'Univers. Son arme est un trident (Trishuli), représentant la Trimurti (Brahma, Shiva et Vishnou). Shiva n'est cependant jamais menaçant. Au contraire, il apparaît bienveillant, assis en position du lotus, méditant les yeux mi-clos sur un monde qu'il couve d'un regard paternel. Quand il ouvre les yeux, il détruit les mondes, quand il les ferme, les mondes reposent dans le chaos initial. Les yeux entrouverts, Shiva veille donc à la perpétuation de l'Univers.

Rudra est le dieu du yoga méditatif et de la transcendance. C'est le dieu des ascètes :

Ô Rudra, Seigneur du monde, toi dont la chevelure est mêlée en chignon, toi le sage qui médite sur la destruction de tous les obstacles, absorbe en toi ma pensée, fais que je ne sois plus qu'une partie de toi. Fais donc que j'oublie ma volonté de conquête et que je me calme en m'asseyant en tailleur. Calme donc les bipèdes et tiens les quadrupèdes à l'écart des maladies et nous serons heureux, le monde sera en paix. L'Univers aussi.

Sri Rudram, 1, 10.

Les autres principaux attributs de Shiva sont le tambourin, qui lui permet de rythmer la danse endiablée du cosmos, et les graines de rudraksha. La graine de rudraksha est une sorte de petite noix qui pousse sur le cerisier bleu, un arbuste sacré aux propriétés médicinales, qui est lui aussi un symbole de virilité. De ces graines, Shiva se fait des colliers, dont il enroule ses muscles saillants.

Au sommet de son crâne, prisonnière dans sa chevelure hirsute, la Lune est prise au piège. Ainsi prisonnière, elle indique le caractère nocturne du démiurge, qui est aussi le maître de la nuit, de la tristesse et du chaos. Maître des éléments, sa chevelure accueille aussi le Gange à son entrée sur Terre, après sa chute vertigineuse depuis le plus haut des cieux.

La déesse Ganga étant une de ses compagnes, Shiva est célébré tout le long du fleuve. Mais c'est aux étapes de Gangotri (la source), Haridwar (l'arrivée dans la plaine), Prayang (le lieu du festival de la Kumba Mela) et Varanasi qu'il est célébré avec le plus de ferveur (tout du moins dans le nord du pays).

 

 

Les flammes, les cendres, tout ce qui a trait à la crémation, au squelette et à la poussière, est l'attribut de Shiva. Quand il est Adinath ou Bairhav ou Rudra, ce sont les couleurs funestes grise et noire qui lui correspondent. La couleur rouge, celle du sang et du feu, donc de la passion, est dévouée à la compagne de Shiva, Parvati. C'est dans des toges de cette couleur que depuis 3000 ans, les sadhus s'enroulent le corps avant de partir errer dans les plaines gangétiques.

Si les disciples vishnavites s'apposent un « U » sur le front en référence aux cornes de la vache sacrée, les shivaïtes arborent quant à eux trois traits horizontaux, tracés avec leurs doigts et la cendre à l'endroit du supposé troisième œil. Ces trois bandes sont dotées de très nombreuses significations : une d'elles fait référence à la destruction par Shiva des trois cités volantes, à l'aide d'une seule flèche réunissant toutes les énergies de la Terre.

La monture de Shiva est son meilleur ami le bœuf Nandi. Shiva se sert souvent de lui pour tromper ses adversaires, car Nandi possède le pouvoir de se transformer en n'importe quel animal. Il peut donc apparaître sous la forme d'un requin, d'un dauphin ou même d'un serpent. Il représente le lien intime qui unit Shiva aux puissances de la nature, dont il est le maître. Nandi vit à Kailash, auprès de Shiva et Parvati. Dans les traditions shivaïtes les plus anciennes, il est présenté comme un avatar de Shiva lui-même.

Le serpent, et le cobra tout particulièrement, est aussi un attribut de Shiva. En Inde comme en Europe, le serpent est un animal dangereux qui évoque la médecine, les mystères initiatiques et les transmigrations des âmes. Sur les épaules de Shiva s'enroule donc Vasuki, le roi des serpents géants (naga). Sur ordre de Shiva, Vasuki règne sur une dimension souterraine de l'Univers, que l'on pourrait rapprocher, sans l'identifier totalement, à un monde infernal.

Le Barattage de la mer de lait, le récit cosmogonique du Kurma Purana, évoque la connexion entre Shiva et le serpent :

« Où fuyez-vous donc ? s’écria Kurma la tortue. Cette quantité de venin qui vous épouvante ne nuira à personne si vous invoquez Shiva. Il répondra à vos prières et boira tout ce venin ! » C'est donc ce que firent les dévas.

En effet, la quantité de venin que vomit alors le serpent fut si grande qu’il eût inondé tout l'Univers, et fait périr tous ses habitants, si Shiva n’était promptement accouru pour le boire. C'est d'ailleurs depuis cet événement que Shiva porte à son cou la marque d'un poison que nul autre que lui n'aurait pu boire sans danger. Les séquelles de ce poison lui rendirent aussi la peau bleue.

C’est depuis cette époque que le venin se trouve dans les dents des serpents, parce que lorsque le venin du roi Vasuki se répandit, il en tomba quelques gouttes sur ses fils, les princes serpenteaux qui les léchèrent, les gardèrent au font de leur gorge et les transmirent à leur postérité.

 

Les avatars de Shiva

Shiva possède de très nombreuses appellations, chacune représentant un adjectif qualifiant une des facettes de sa puissance. En tant que seigneur de la Lune, Shiva est nommé Somnath ; c'est lui que l'on invoque à chaque passage des saisons, afin qu'il pleuve, ou pas, sur les récoltes. Comme maître yogi de la méditation transcendantale, il est Bolenath, et c'est ainsi que les sadhus le saluent avant de fumer un chillom bourré de poussière de cannabis (bhang). Maître de la nature, il est Pashupatinath « le père des animaux ». Selon les dizaines de légendes qui le mettent en scène, Shiva est alternativement Veerabhadra, Piplaad, Ashwatthama, Ardhnaarishwa, Neel Kanth, Brishabh, Vaishyanath, Khandoba, Malesh, Sharabha, Grihapati, Rishabh, Yatinath, Bhikshuvarya, Keerat, Brahmachari, Yaksheshwar, Avadhut, Tatpurush ou Naamdeva (Namadeva), Suntantarka, etc.

Quant aux avatars les plus épouvantables de Shiva, nous mentionnerons les furieuses figures de Bhairava et Rudra, dont les sombres silhouettes nous les présentent nus, noirs et grimaçants, dansant frénétiquement, levant vers le ciel leurs six bras vengeurs, au bout desquels des mains crochues déchirent le chaos.

En tant que Mahakala, Rudra-Shiva est le maître du temps, l'implacable destructeur des mondes. Cette dernière forme est beaucoup reprise dans la tradition bouddhiste tibétaine. Rien n'est plus destructeur que le temps, « Kala » en sanskrit ; tous les êtres, terrestres comme célestes et divins, lui sont soumis. Kala, dieu du temps, est donc un avatar de Shiva-Bhairava, le Grand Destructeur, mais aussi de Yama, le souverain des enfers. Dans les récits bouddhistes, il est le déva qui s'oppose à Bouddha et tente de mettre fin à sa méditation.

Outre Rudra et Yama, Kala peut encore être Maya, le Grand Illusionniste, le Grand Magicien, celui qui maintient les existences sous le charme de l'illusion. Quand Shiva lui-même ne respecte plus aucune règle mais concentre son énergie sur la découverte de lui-même et de la puissance magique et amorale de son existence, il est Aghoresh, « celui qui est sans peur » ou « celui qui ne connaît pas de limites, ni d'obstacles ». Sous cette forme effrayante, il troque son pot en cuivre servant à recueillir les offrandes de ses disciples et de sa femme, pour un crâne humain, qu'il traîne derrière lui comme un cadavre. Plutôt que d'un trident, , il est armé d'une épée, avec laquelle il tranche la chair des hommes et des animaux, qu'il consomme sans distinction ni interdit. Dieu ultime de la jouissance, Aghoresh est entouré de ses yoginis, avec lesquelles il s'adonne au tantrisme. Pour favoriser sa transe il n’hésite pas à utiliser le cannabis (bhang), l'opium ou le datura.

Aghoresh est le dieu tutélaire des aghoreshis, une secte shivaïte à qui l'on prêterait des rituels anthropophages. Les sectateurs d'Aghoresh, qui seraient selon les sources une cinquantaine à une centaine de sadhus, s'adonnent encore de nos jours à leurs fanatiques dévotions. On peut les rencontrer à Varanasi, sur le ghat de Hari-Chandra ainsi que de l'autre côté du Gange, sur les plages désertes parsemées des ossements que rejette le fleuve.

Dans la tradition des dévots de Kali, Shiva apparaît sous les traits du démon Raktabija, le père des onze rudras, qui lui sont autant d'avatars. Il s'agit de Kapali, Pingal, Bheem, Virupaksha, Vilohit, Shastra, Ajapaad, Ahirbudhnya, Shambhu, Chand et Bhav. La signification et le rôle des onze rudras ne sont pas toujours clairs, ni identiques d'une tradition à l'autre. Pour Alain Daniélou, éminent indianiste et hindou converti, les fils rudras sont autant de maladies et de plaies traversant l'espace pour frapper les hommes qui se trouvent sur leur chemin.

Tout comme Vishnou, Shiva peut lui aussi s'incarner dans des avatars tout à fait humains. Les fondateurs de la tradition des sadhus Nath, Matsyendranath (v. 1000), Gaurakhnath (v. 1100), et leur maître légendaire Adinath auraient été directement inspirés par Shiva. Dans une certaine mesure nous pourrions aussi mentionner Shankara, le plus grand de tous les philosophes et théologiens hindous, qui fut considéré par ses disciples comme directement inspiré par Shiva et Shakti. Récemment, un gourou extrêmement populaire s'autoproclama comme la nouvelle réincarnation de Shiva, ce fut Satya Sai Baba (1926 - 2011). Un siècle plus tôt, Sai Baba de Shirdi (1838 - 1918) avait fait de même.

Enfin, dans les traditions japonaises indianisantes, nées de la diffusion en extrême Orient au milieu du premier millénaire d'une traduction en chinois des Vedas, Shiva est connu sous le nom de Daikokuten.

 

Une divinité peut être qualifiée de shivaïte si elle possède ces trois attributs principaux :

- Être le maître de la nature. La divinité shivaïte est avant tout une divinité de la fertilité, donc du renouvellement des cultures et des familles.

- Pour assurer l'attribut précédent, ce dieu est associé à une divinité féminine qui n'est ni secondaire ni en retrait : il s'agit de la grande déesse de la fertilité (Isis, Parvati, Cernunna). Agents passifs et actifs de l'Univers, ces deux énergies ne sont pas antagonistes mais complémentaires. Ainsi, le culte de Dionysos est lié à celui de Déméter ou d'Aphrodite, celui d'Osiris à celui d'Isis, tout comme celui de Shiva ne peut se dérouler sans celui de Parvati (Shakti).

- Une divinité de type shivaïte possède une nature ambivalente. Maîtresse de la fertilité, elle est aussi la grande destructrice.

Ce dieu céleste, éthéré, possède un avatar terrestre. En Grèce, il s'agit du mythe de Dionysos, le « deux fois né » ou le « trois fois né », c’est-à-dire le dieu qui est mort au ciel, descendu sur Terre, mort sur Terre, puis remonté au ciel après un bref passage en enfer. À la divinité céleste, correspond un avatar lié à la Terre. Au Dionysos céleste, le primordial Bromios, semblable à Shiva, correspond des Dionysos terrestres, dont les campagnes en Égypte et en Inde composent les mythes.

 

Lingam et Mégalithisme

 

Rudra

 

Salutations à la source de toute sérénité et de tout plaisir. Salutations à celui qui procure les plaisirs dans ce monde et dans les autres.

Sri Rudram, 1, 8

Shiva est associé au lingam, ce phallus de glace, de terre glaise ou de pierre, que l'on trouve dans les lieux de culte hindous et qui symbolise le pouvoir d'ensemencement. Shiva est en effet la divinité de la virilité et de l'exercice sexuel (yoga tantrique).

Ce monument vulgaire [...] ne saurait être comparée aux splendeurs complexes des pagodes du sud ni aux opulentes simplicités marmoréennes des mosquées du nord. Il est trivial, ce kiosque populaire, de pierre grise, sans art, sans mystère ; mais ainsi, il n’est que plus extraordinaire et poignant. […] Il témoigne de la survivance tenace du culte ancestral qu’aucune civilisation, aucune invasion de barbares, aucun cataclysme moral ou cosmique n’ont pu déraciner. L’âme mystique de ces adorateurs et de ces adoratrices du Shiva-Lingam, que je vois circuler autour de moi, est bien identique à l’âme mystique des premiers idolâtres qui, à l’origine de la période humaine, crurent rendre hommage au Dieu créateur en lui donnant la forme du principe mâle qui féconde.

J. Bois, Visions de l’Inde.

La grande déesse est quant à elle associée au yoni, qui se trouve invariablement autour du lingam, et qui symbolise la puissance de vie féminine sous la forme d'un réceptacle semblable au vagin. Le yoni accueille les libations que l'on dépose sur le sommet du lingam. Si le lingam est l'agent actif masculin de l'Univers, le yoni est son principe féminin.

 

Il vient à l'aube, celui que les bergères et les servantes voient se lever en se réjouissant. À sa vue, toutes les créatures, et surtout celles qui ont la garde du bétail et de la Terre, c’est-à-dire les jeunes filles, les brahmanes et les dévas, tous font jaillir de joyeuses louanges à son égard : « ô maître du soleil, charme-nous et fais-nous jouir ! » s'écrient-ils.

Sri Rudram, 1, 1

RUDRA, SHIVA et le LINGAM (divinités indiennes)

Des pierres phalliques furent retrouvées dans les décombres de Mohenjo-daro et Harappa, ce qui fait remonter à plus de 2300 av. J.-C. le culte du phallus en Inde. Par contre, les Vedas ne le mentionnent pas.

Le phallus se retrouve par contre abondamment en Europe méditerranéenne, ce qui nous indiquerait que son culte ne soit ni aryen ni nomade, mais lié à la culture de la terre et donc propre aux civilisations sédentaires. Dans L'Amour à Rome, Pierre Grimal associe d'ailleurs les Vestales, gardiennes du feu sacré du foyer, au culte du phallus : « Les Vestales, ces prêtresses vierges qui avaient en dépôt les pénates du peuple romain, de mystérieux fétiches qu'il était criminel de regarder, entouraient aussi de vénération l'image d'un sexe masculin placée dans le sanctuaire dont elles avaient la charge. » C'est donc sans surprise que les plus anciens lingams se retrouvent à Çyatal Huyuk, cité comptant parmi les premières communautés agricoles de l'humanité (v. -7000).

Alain Daniélou propose quant à lui de relier les monolithes au culte du lingam. Si cette théorie peut sembler surprenante, après un temps de réflexion, elle nous paraît comme évidente. Shiva porte en lui les stigmates du paléolithique, avec son côté chamane, maître de la nature et des esprits, capable de se métamorphoser comme bon lui semble pour mener à bien ses interventions.

Shiva est le dieu de la fertilité, à la fois masculine et agricole. Passés de nomades à sédentaires, les hommes se rendirent esclaves des saisons, du climat, mais se tournaient toujours vers lui, le maître de la nature et des esprits. Ils lui attribuèrent de nouvelles qualités, bien que semblables aux précédentes. De cerf, d'ours, de panthère, de cheval, Shiva devint le taureau, c’est-à-dire le moteur de la charrue, tandis que sa compagne la Grande Déesse, le principe chthonien et maternel, devint la gardienne des champs, la maîtresse des céréales, la reine des moussons et la déesse de la beauté, c'est-à-dire du renouveau printanier.

Des mégalithes et autres tumulus furent retrouvés dans le plateau du Deccan, dans une aire géographique que l'on pensait être trop éloignée des côtes atlantiques pour y trouver ce genre de monuments typiques de l'Europe occidentale. Étonnamment, ces mégalithes indiens se concentrent dans le sud de la péninsule, et non au nord. Cela laisse à penser que cette mode des mégalithes en Inde, qui est plus tardive qu'en Europe (de 2000 à 500 av. J.-C., plutôt que de 4500 à 1500 av. J.-C.), n'est pas arrivée dans le sous-continent par les voies terrestres, mais par voie maritime (la péninsule du Deccan étant située juste en face des côtes éthiopiennes et arabes).

 

Shiva et ses ganas

 

Les Ganas, légions de Shiva

Les dieux de la nature, quels que soient leur nom ou leur culture, sont accompagnés d'esprits naturels espiègles et parfois démoniaques, comme les faunes, les satyres ou les ganas.

À Kailash, aux côtés de Rudra-Shiva, vivent les ganas, qui sont des guerriers démoniaques et fantômes qui résident dans les lieux funéraires, comme les cimetières et les bûchers. Ils sont les serviteurs de Shiva et Ganesh est leur chef. Ces légions, innombrables, sont composées de troupes d'élites rakshasas (une race de démons particulièrement nocive qui compta dans sa lignée le terrible Ravana, le disciple de Shiva dont la mise à mort par Rama, l'avatar de Vishnou, est contée dans l'épopée du Ramayana).

Les Munis ou Muniandis en tamoul, sont les sages et chefs de guerre réincarnés en soldats de Shiva, ce sont aussi des Ganas.

Cependant, les ganas ne sont pas de vulgaires esprits maléfiques, car ils ont tous atteint la libération (Moksha) qui leur permet d'être à la fois immortels et libres de toute incarnation physique. Ainsi, à l'image de leur maître Shiva, ils ne subissent pas le cycle de la vie et de la mort (Samsara) et sont capables de franchir de très vastes espaces en quelques instants, tout comme de se déplacer dans le passé comme dans le futur1.

 

Des prières contenues dans le Sri Rudram leur sont adressées :

« Salutations aux soldats de Rudra, qui peuplent la Terre, le ciel et les mondes qui se situent encore au-dessus. Pour eux, je lève mes mains au ciel, je me tourne vers l'est, puis vers le sud, puis vers l'ouest, puis vers le nord. Face à chacun d'entre eux je me tiens, respectueux et heureux. Que ceux qui ne partagent pas nos rites, que ceux qui nous considèrent comme leurs ennemis, soient livrés à leurs mâchoires acérées ! […] Quant à nous, Ô Rudra, nous t'invoquons afin que tes légions prennent un autre chemin que le nôtre et qu'elles dévient de nous leur trajectoire de dizaines de milliers de kilomètres (yoganas). [...]

Dans le vaste océan de l’éther, l'océan du chaos initial et des eaux primordiales, il se trouve des soldats de Rudra. De même, au plus profond de la Terre, dans l'enfer du Patala, il existe aussi des soldats de celui qui a un côté homme un côté femme et qui a la gorge marquée par le poison. Ces soldats ont tous atteint la libération.

Ces soldats qui, c'est certain, existent, ont le corps rouge et vivent sous des arbres éternellement bourgeonnants, ils ont tous la gorge bleutée. Certains de ces soldats ont le crâne rasé, d'autres portent des coiffures étranges. Il est certain que ces soldats existent, ce sont eux qui rançonnent les navires en déperdition et qui prennent l'eau et le vivre à ceux qui voyagent vers le lointain.

Ce sont pourtant eux qui protègent celui qui marche seul sur le bord du chemin, tout en prenant soin de tous ceux qui n’ont pas pris le même chemin. Il est celui qui prend la forme de celui qui donne à celui qui a faim, mais aussi de celui qui combat ses ennemis.

Ces soldats qui, c'est certain, existent, protègent aussi ceux qui voyagent avec une épée bien entretenue et bien tranchante, et avec ceux qui voyagent en gardant précieusement contre leur cœur de l’eau sacrée. » Sri Rudram, 1, 11.

 

Pan

Les équivalents européens des ganas pourraient être les satyres, dont Pan est le chef et le père. Tout comme Rudra, Pan (ou Faunus en latin), est un être hors cadre qui interrompt les cérémonies et trouble les autres divinités par sa présence. Punissant les vanités par son insolence, c'est un empêcheur de tourner en rond, qui ne respecte ni les règles de bienséance, ni la politesse. C'est un voyeur, un violeur, un musicien qui charme et ensorcelle. En pleine décadence médiévale, Pan inspirera la figure du nain et du bouffon de cour.

« Pan était général de l'armée de Bacchus. [...] Pan fut aussi le premier qui s'avisa d'inspirer de la terreur aux ennemis par artifice. Bacchus était campé dans un lieu reculé et ombrageux, et ses batteurs d'estrade lui avaient annoncé que l'ennemi était campé au-delà, avec des forces supérieures aux siennes. Bacchus eut peur : mais Pan ne se laissa point étonner par ces nouvelles. Il ordonna à l'armée de Bacchus de pousser de grands cris la nuit. Il fut obéi par les troupes, et le bruit qu'elles firent retentissant dans les hauteurs et des gorges voisines, par des échos redoublés, fit juger aux ennemis que les troupes de Bacchus étaient beaucoup plus nombreuses qu'ils ne s’étaient imaginés. La frayeur les saisit, ils prirent la fuite. C'est pour faire honneur à cette ruse de Pan, qu'on a imaginé ses amours avec la nymphe Écho ; et d'ailleurs cette rencontre a été la cause qu'on a nommé Paniques les terreurs nocturnes et sans sujet connu, qui surviennent dans les armées. » Polyen. Ruses de guerre, 2.

Pan est aussi un messager, un protecteur des chemins, maîtrisant la médecine et la magie. Son rôle fut important dans les pratiques ésotériques méditerranéennes, étant souvent associé avec le dieu égyptien Thot ou Hermès, deux psychopompes. Sans surprise, l'Hermès grec possède comme animal emblème le bélier. Il en va de même en Inde avec le rishi Daksha, père de milliers de filles et qui vit sa tête remplacée par celle d'un bélier à la suite de sa décapitation par Rudra. Symbole de fertilité chez les Indo-Européens, le bélier deviendra plus tard un des attributs de Belzébuth, le diable cornu du catholicisme.

Concordance intéressante, Pan est le fils bâtard de Dionysos, mi-homme mi-chèvre, tout comme Ganesh est le fils adoptif de Shiva, mi-homme mi-éléphant. La comparaison continue : Pan est le général en chef des armées de Dionysos, de même que Ganesh est le Ganapati, le chef des légions. Tout comme Pan, Ganesh est une divinité irrévérencieuse, équivoque, tendancieuse, roublarde.

Mais encore, Skanda est un éternel enfant, tandis que Priape est un monstre handicapé dont on se moque. Comme si le maître de la nature à l’énergie débordante, qu'il soit Shiva ou Dionysos, ne pouvait donner naissance qu'à des êtres hors norme et à des monstres.

Les visages de Rudra-Shiva
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Le panthéon hindou
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RUDRA, SHIVA et le LINGAM (divinités indiennes)
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