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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Traditions germanique et indo-aryenne, par Auguste Geffroy

Ouvrons les Eddas et les recueils de vieilles poésies ou de légendes populaires qui aident à les commenter ; nous rencontrerons à chaque pas des analogies entre les imaginations orientales et la mythologie germanique. Quand ces sortes d’analogies sont confirmées, de l’avis des philologues, par d’exactes transformations grammaticales, il faut bien y voir les incontestables témoignages d’une solidarité intellectuelle et morale. A Thor et Odin se rapportent un grand nombre de traits rappelant la lutte entre Indra et Vritra, c’est-à-dire entre le soleil et le nuage. Thor, dans lequel nous avons reconnu l’Hercule de Tacite, est, suivant les traditions des Germains, un dieu qui préside aux phénomènes du ciel et de l’atmosphère, aussi bien qu’Indra. Adam de Brême dit encore au XIe siècle que ce dieu du nord gouverne les vents et qu’il envoie l’orage. Il est armé, lui aussi, de la foudre, c’est-à-dire de l’arme nommée Miöllnir, dont les coups inévitables s’annoncent par le tonnerre, et qui revient d’elle-même à la main qui l’a lancée. Cette arme de Thor est le plus souvent désignée dans les anciens textes norrènes comme une hache à deux tranchans ou comme un marteau à deux têtes, affectant volontiers la forme de la croix, si bien qu’un roi chrétien de Norvège, faisant à la vue de son peuple le signe de la croix sur la corne à boire, put donner à penser qu’il avait tracé le signe païen du marteau de Thor. Quand les nuages laissaient tomber la pluie sur la terre ou que le sol était inondé d’une rosée bienfaisante, on croyait voir Thor, comme Indra, traire ses vaches avec sa foudre. Ce qui le prouverait, c’est que le mot désignant dans les langues germaniques la rosée est voisin, du moins suivant M. Ad. Kuhn, du mot sanskrit qui signifie le lait. Une foule de dictons ou d’usages encore aujourd’hui populaires supposent d’ailleurs que l’eau tombée des cieux est considérée comme un lait bienfaisant. Il faut, par exemple, à certains jours de fête, ou bien au mois de mai, ou pendant la nuit de la Saint-Jean, recevoir sur soi la rosée ou s’en laver le visage pour obtenir la beauté. Dans beaucoup d’étables, si l’on veut avoir un lait abondant et fort, on frotte le pis de la vache avec un de ces silex que la croyance populaire a si longtemps regardés comme des éclats de la foudre. Les sorcières du moyen âge faisaient mine de traire un manche de hache (allusion évidente au marteau de Thor), et aussitôt, nous dit-on, la pluie ou la grêle tombait des nuages. Enfin l’historien des superstitions en France au XVIIe siècle, le théologien Thiers, se croit encore obligé de proscrire celle qui consiste à enfouir une hache sous le seuil d’une étable, ou bien à y suspendre des briques en croix pour empêcher que les vaches ne soient l’objet de quelque maléfice et que leur lait ne tarisse. — Thor et Indra portent tous deux une ceinture merveilleuse. Indra vole sur un char que traînent deux pâles coursiers : les coursiers sont l’éclair, et le char le nuage. Thor a, lui aussi, un char dont le roulement produit le tonnerre : deux béliers y sont attelés, et l’on démontre que ces béliers sont les symboles du nuage. — La barbe d’Indra est d’or, nouveau symbole peut-être de la foudre ; elle se dresse quand il marche au combat pour reconquérir le trésor caché, et bientôt la pluie tombe sur la terre. Thor a une longue barbe rouge ; elle s’agite quand s’allume sa colère, et le tonnerre retentit. — Indra est le dieu de la vie et du mariage : c’est lui qu’on invoque pour obtenir une nombreuse postérité. Thor aussi bénit ou maudit les unions ; son marteau les consacre. — Indra est protecteur de la famille, non pas seulement comme dieu de la vie, mais aussi comme compagnon d’Agni, qui lui est très souvent adjoint. C’est par Agni qu’a été allumé le feu saint du foyer, d’où rayonne le bonheur domestique. Agni est nommé Sabhya, protecteur de la famille, et Indra est nommé Sadaspati, le maître du foyer, le premier de la famille, deux mots que l’on fait venir de sabhâ, désignation védique de la parenté, de la gens. Thor a le même rôle. C’est lui dont l’éclair a allumé la sainte flamme du foyer, et il en est devenu par là le protecteur. Il n’y a pas lieu de redouter la foudre, disent les traditions populaires, quand le feu brille dans l’âtre. Nul danger surtout si l’on prend soin de ficher au-dessus de la porte une hache, image du marteau de Thor. Les montans du haut siège sur lequel prend place, chez les Scandinaves, le père de famille présentent à leur extrémité supérieure une tête de Thor. Quand la famille émigre et va chercher au loin, sur la terre d’Islande, une nouvelle patrie, on jette ces montans à la mer, afin que Thor lui-même, en les dirigeant sur les flots vers le rivage, indique le lieu de l’établissement futur. La prise de possession du sol jusque-là désert se fait au nom de Thor ; les pierres qui marquent les limites lui sont consacrées.

Le souvenir du phénomène de l’orage primitivement représenté par la lutte entre Indra et Vritra s’est perpétué avec une énergie particulière dans une des plus vivaces traditions germaniques. On connaît la légende du chasseur infernal, que reproduisent sous tant de formes diverses le Freyschütz, Robin Hood, la Mesnie Hellequin, le grand Veneur de Fontainebleau, etc. À minuit, l’air retentit des aboiemens d’une meute lointaine ; à mesure qu’elle approche, les hennissemens des chevaux s’y mêlent avec les cris des cavaliers et les gémissemens de la bête aux abois. On aperçoit des ombres qui passent en courant et font frémir les branches des arbres. C’est l’armée ou bien c’est la chasse d’Odin ou de Wuotan, wütendes Heer, wütende Jagd. Il semble que Tacite ait cette légende en souvenir quand il décrit lui-même, chez une tribu barbare, une armée infernale, feralis exercitus, qui ne combat que la nuit, ou bien encore lorsqu’il raconte la chasse invisible d’un Hercule oriental. Dans une apparition nocturne, le dieu indique les forêts qu’il a parcourues, et l’on y retrouve étendus à terre les animaux victimes de ses coups inévitables. De même qu’Indra est assisté dans sa lutte par les Maruts et les Ribhûs, de même Odin, monté sur son cheval blanc, a pour cortège pendant le combat les Valkiries et les Einheriar ou héros, et pendant la chasse les Elfes, c’est-à-dire les âmes des morts, à qui il a ouvert son Valhalla comme Indra leur ouvre son svarga. Des Elfes aussi, il est dit très souvent qu’ils s’en vont traire les vaches, qu’ils sont très friands de lait, qu’ils s’introduisent dans les étables. Suivant certaines traditions, l’armée infernale, qui apparaît surtout dans la nuit de Noël et pendant les nuits suivantes jusqu’à la fête des Rois, exige chaque année une vache en sacrifice ; elle bénit à ce prix le reste du bétail, et la récolte du lait devient abondante. Toutes légendes qui ne font que varier à l’infini le thème primitif, fourni par les hymnes védiques, des nuages comparés aux vaches et cessant, grâce à Indra vainqueur, d’intercepter les rayons du soleil ou de retenir la pluie. Une fois, les Elfes ont mangé, séance tenante, la vache qui leur était due, mais les os de l’animal avaient été soigneusement recueillis par leur ordre, et rangés dans la peau ; ils le ressuscitèrent avant leur départ. Comparez à cette légende germanique certains textes des Védas, et les analogies se montreront évidentes : « Vous avez par vos chants, ô Ribhûs, ô fils de Sudhanvân, ressuscité de sa peau la vache sacrifiée. — Vous avez, ô Ribhûs, avec la peau rhabillé la vache. » Un autre hymne s’exprime ainsi : « Parce que les Ribhûs ont formé la vache chaque année, parce que chaque année ils ont communiqué leur éclat, ils ont obtenu l’immortalité. » M. Mannhardt a conjecturé que ces paroles faisaient allusion à l’ensemble des nuages que la saison pluvieuse épuise annuellement, et qui se refont toujours. Il est impossible en tout cas de méconnaître une réelle analogie entre ces expressions mythiques et les traditions de l’Allemagne ou du Nord. Ces primitifs souvenirs du langage et des croyances védiques abondent à toutes les époques de l’antiquité. M. Ad. Kuhn les a montrés subsistant dans la légende de Prométhée, et M. Bréal dans celle de Cacus telle qu’elle est rapportée par Virgile. On pourrait de même en retrouver les traces dans les fables de l’Edda et dans les épopées héroïques du moyen âge allemand. L’ingénieux et savant Adolphe Holtzmann a démontré dans ses Recherches sur les Nibelungen, 1854, et M. Léo vers la même date (V. la Zeitschrift de Wolf, 1853) que l’histoire de Sigurd et de Sigfrit, ennemis des Niflungen et des Nibelungen, est identique avec celle du héros Karna, racontée dans le Mahabharata. [...]

On trouvera dans les livres des érudits qui ont institué ces parallèles entre les légendes germaniques et orientales les preuves de détail philologique qui viennent à l’appui des traits généraux, comment, par exemple, l’identité entre le mot sanscrit yudh et le mot germanique gunt, signifiant tous deux combat, rapproche l’un de l’autre les deux noms Yudhishtira et Gunther, et comment une pareille analogie de sens prochain permettrait aussi d’assimiler les deux noms Ardshuna et Hagen. — Un semblable travail de comparaison a été tenté entre la légende du Chevalier au cygne et celle du héros indien Bhishma, ainsi que sur beaucoup de points plus particuliers.

Traditions germanique et indo-aryenne, par Auguste Geffroy
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