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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

La RELIGION JAÏNE, reliquat de la spiritualité de l'Indus

Sculpture de Jina Rishabhanatha en position du lotus, 1612, L.A Museum

Sculpture de Jina Rishabhanatha en position du lotus, 1612, L.A Museum

Le jaïnisme, reliquat de la spiritualité de l'Indus

Lorsque les Aryens entrèrent en Inde, le jaïnisme était déjà une spiritualité mature et donc probablement très ancienne, comme elle le prétend elle-même. Signe de leur importance, les gourous jaïns sont cités dans le corpus védique : Neminatha-Aristanemi, le 22e tirthankara, est cité quatre fois dans le Rig-Veda et le Sama-Veda. Dans l'Yajur-Véda, trois autres Tirthankaras sont cités dont une nouvelle fois Neminatha, mais aussi Rishabhanatha (le premier tirthankara) et Ajitnath (le second).

Le jaïnisme, dont la généalogie remonte à la civilisation de l'Indus (voir les travaux de Vilas Adinath Sangave, dans Le Jaïnisme, Philosophie et religion de l'Inde, G. Trédaniel, 1999.), ne présente aucun signe de l'influence védique ou aryenne. L'opposition jaïne au polythéisme védique est de nature doctrinale, et de très nombreux points essentiels de la doctrine jaïne ne trouvent pas leur correspondance dans le védisme, comme la réincarnation, l'ascétisme, le refus de la sexualité, la non-violence envers le vivant ou encore le régime alimentaire à base de végétarisme ou le jeûne...

Plus encore : quand on se penche sur les influences entre l'hindouisme et le jaïnisme, on observe que si le védisme, le brahmanisme et l'hindouisme n'ont pas influencé la doctrine jaïne, à l'inverse le jaïnisme n'a cessé d'influencer avec puissance ces courants religieux. Par exemple, Rama et Krishna sont des personnages mythologiques empruntés tardivement par les vishnouïtes à la mythologie et à la généalogie royale des jaïns.

À l'inverse de l'hindouisme, le jaïnisme n'est pas créationniste et n'admet pas de déluge. Deux phases du temps cyclique, l'une ascendante, l'autre descendante, s’enchaînent à jamais, sans commencement ni rupture (tandis que les hindous acceptent quatre âges entrecoupés de ruptures franches). Les dieux, s'ils sont présents dans la doctrine jaïne, n'ont aucun pouvoir pour infléchir le cycle du temps, ni pour sauver les hommes de leur destin. Ils ne sont donc pas priés et à peine honorés. Seule l'application de la doctrine du non-attachement prônée par les jinas (tirthankaras) permet de trouver le salut.

Les jaïns croient à la réincarnation et pensent que s'ils enchaînent plusieurs vies vertueuses (sur terre comme dans d'autres dimensions), ils connaîtront la libération du cycle de la vie et de la mort (Samsara), sinon la purification de l'âme. Idéalement, les cinq piliers du jaïnisme sont la chasteté, la non-violence, le refus des possessions et des acquisitions et l’interdiction du mensonge. Pour connaître l'éveil, il convient aux jaïns de respecter les « trois joyaux », que sont la foi juste, la connaissance véritable et la conduite correcte.

La doctrine jaïne repose essentiellement sur la non-violence à l'égard du vivant (ahimsa). Selon cette notion, chaque existence se vaut et toutes doivent coopérer pour vivre en harmonie. Les dieux sont des gestionnaires de l'Univers, mais ils ne possèdent pas le pouvoir de l'influencer. En revanche, chaque existence possède en elle-même les moyens de sa propre libération.

Le jaïnisme est un enseignement transcendantal et rigoureusement ascétique. Libre de sa destinée, l'homme doit vivre affranchi des divinités pour n'observer que sa propre élévation morale et spirituelle. Les idoles, les divinités, mais aussi les castes, sont alors considérées comme des obstacles à la juste compréhension du vivant. Un paradoxe pourtant, si le respect du système des castes est observé par les jaïns, le dépassement de la condition humaine, quelle qu'elle soit, demeure un objectif mystique essentiel.

Notre hypothèse est donc la suivante : le jaïnisme est un reliquat, si ce n'est l'authentique doctrine de la spiritualité de la civilisation de la vallée de l'Indus. Ainsi, en étudiant dans l'hindouisme ce qui relève du védisme, de ce qui est typique du jaïnisme, nous pourrions retrouver des brides de la doctrine sacrée indusienne.

Par exemple, les recueils puraniques et les épopées classiques de l'hindouisme sont des versions aryennes de mythes et de légendes indigènes, absentes du corpus védique originel, mais bien présentes dans le corpus jaïne. Le Chakravartin, le « roi des rois », le roi du monde, le « tourneur de roue », mais aussi le Vasudeva, le protecteur de l'Univers armé d'une massue, ou encore le Tirthankar, le saint illuminé, sont autant de figures mythologiques et théologiques inspirées du jaïnisme et présentes dans toute la littérature épique indienne. Ainsi, Rama et Krishna doivent être envisagés comme des personnages empruntés tardivement par les vishnouïtes à la mythologie jaïne (qui comprend aussi Manu, Vasudeva le père de Krishna, Balarama son frère, Ravana le roi de Lanka ennemi de Rama). Ces personnalités semi-mythologiques furent probablement inspirées par des princes indusiens, gujaratis ou gangétiques prévédiques.

Un autre mythe en commun est celui du serpent protecteur, gardien de la sagesse et des sages : Parshvanatha, vingt-troisième tirthankara aurait sauvé deux serpents du feu, qui seraient ensuite devenus ses serviteurs. L'animal symbolique de Parshvanatha est donc un cobra. Les icônes hindoues représenteront à leur tour, Shiva invariablement accompagné du cobra Vasuki, enroulé autour de son cou. L'iconographie et le mythe du serpent protecteur seront repris dans le bouddhisme, dont un mythe raconte comment Bouddha échappa à une tempête apocalyptique grâce à la protection d'un cobra géant. La statuaire bouddhique représente donc Siddhartha Shakyamuni protégé par un cobra qui déploie sa collerette au dessus de sa tête. Le serpent protecteur est aussi omniprésent dans l'iconographie liée à Vishnou-Vasudeva et à Vishnou-Narayana, deux formes cosmiques présentant Vishnou allongé sur un serpent géant ou protégé par un groupe de cobras formant une capuche au-dessus de sa tête.

Les indices et les concordances laissant à penser que le jaïnisme peut raisonnablement être associé à la spiritualité de l'Indus sont nombreux. Citons encore :

- Le culte des gourous pseudo-chamanes, que la statuaire représente assis en tailleur (comme le Pashupati des sceaux de l'Indus ou les tirthankaras).

- l'athéisme-anicônisme doctrinal, qui expliquerait le manque d'idole et de totem (pilier) dans les décombres des cités de l'Indus.

Ce refus du polythéisme, typique de la doctrine jaïne, expliquerait l'absence de références typiquement religieuses dans les cités de l'Indus ; si ce n'est les sceaux de Pashupatinath et les statuettes assimilées au grammadevatas, peu d'indices laissent à penser que leurs habitants adoraient de nombreux dieux et que leur religion ait été de type polythéiste ou panthéiste.

- L’apologie de l'ascétisme ;

La tradition des sadhus tout comme la tradition ascétique jaïne prédatent l'arrivée des Aryens en Inde, de sorte que l'on puisse associer ces deux traditions. Les sadhus révèrent particulièrement Shiva, nommé Adi Nath « le père des ascètes de la tradition nath ». Le courant nath est une tradition ancestrale renouvelée par Gorakhnath vers 1000-1300 apr. J.-C. Gorakhnath est un yogi et un maître spirituel hindou de la tradition des sadhus. Il est considéré comme celui qui donna de l'envergure à la tradition ascétique des Naths. Sous sa guidance, elle connut un certain succès, en particulier dans les campagnes. Un temple lui est consacré à Gorakhpur, ville nommée en son hommage.

De même, dans la mythologie jaïne, le premier des tirthankaras est Rishabanatha, nommé lui aussi Adi Nath. Cette double tradition jaïne-nath était à l'origine un seul et même courant ascétique hétérogène : celui de la civilisation de l'Indus.

- L’importance de la pureté, de la nudité et la prépondérance de l'eau dans les rituels.

- La pratique du jeûne.

- La non-violence absolue envers le vivant (Ahimsa). Le végétarisme et le respect de la vache sacrée en découlent.

Il s'agit de coutumes typiquement jaïnes mais adoptées tardivement par les Aryens. En effet, l’interdiction de manger la chair bovine n'est pas exprimée dans le Rig-Véda, composé avant l'entrée des Aryens en Inde, tandis qu'elle l'est clairement dans les védas plus tardifs, qui furent composés après l'arrivée des Aryens et donc après qu'ils ont furent soumis à l'influence jaïne et indusienne. C'est donc sans surprise que l'on constate que si les védas font l'impasse sur la consommation de la viande bovine, elle est par contre très sévèrement condamnée dans les agamas tamouls et la littérature jaïne. De nos jours, selon les sondages effectués sur l'ensemble de la population et des communautés indiennes, ce sont les jaïnes qui respectent le plus l'interdiction de la consommation de la viande bovine et qui pratique le plus le végétarisme.

 

Le saint protégé par les serpents

En haut : idoles de Parshvanatha, 23e tirthankara du jaïnisme (v. 7e siècle).

En bas : idole de Bouddha, au milieu du lac du temple de la Bodhi (Bodhgaya, Inde). Photographie de l'auteur.

 La RELIGION JAÏNE, reliquat de la spiritualité de l'Indus
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