Les principales sources
Par Raymond Schmittlein
La Chronique de Thietmar, évêque de Mersebourg, écrite entre 1010 et 1020, est contemporaine des luttes des Saxons contre les Slaves à une époque où ceux-ci n’étaient pas entamés par la christianisation et où leur paganisme, solidement implanté, n’avait pas encore subi d’atteinte sérieuse. Le témoignage de Thietmar a d’autant plus de valeur que son évêché était situé au milieu même d’une région de peuplement slave, de sorte que l’on peut considérer son information comme de première main.
Adam de Brême, qui écrivait vers 1075, nous a laissé avec ses Gesta Hammaburgensis Ecclesiae une source moins importante que la Chronique, mais également précieuse.
La troisième source importante de l’histoire des Slaves de la Baltique est la Chronica Slavorum de Helmold, pasteur de la paroisse de Bozova (Bosau), près du lac de Plön, entre Kiel et Lubeck. La Chronica Slavorum est terminée avant 1070 ; son importance vient non seulement de ce que son auteur connaît parfaitement le pays entre Kiel et Lubeck, mais aussi de ce qu’il a été témoin oculaire de la chute d’Arkona, citadelle principale et centre religieux des Slaves de la Baltique.1
La tradition slave
Par Boris Unbegaun
Les Slaves de la Pannonie ont été sans doute les premiers à recevoir le baptême vers le VIII" siècle. Les Slaves du Sud (Bulgares, Serbes, Croates et Slovènes), ainsi que les Tchèques et les Slovaques, les ont suivis au IXe siècle. Les Polonais ont été convertis dans la deuxième moitié, les Russes vers la fin du Xe siècle. Enfin, les Slaves de l'Allemagne orientale, et plus particulièrement ceux de la Baltique, n'ont adopté définitivement la foi chrétienne qu'au XIIe siècle seulement.
Ce décalage est d'importance pour l'historien des religions. Nous ne pouvons, en effet, nous faire une idée sommaire de l'ancienne religion des Slaves que grâce, presque uniquement, à la disparition tardive du paganisme chez les Russes et les Slaves de la Baltique, paganisme dont le culte a pu être décrit par des contemporains ou, chez les Russes, par des descendants plus ou moins proches des ancêtres encore païens. Mais, en fin de compte, nous ne possédons sur l'ancienne religion des Slaves que des connaissances fragmentaires et fragiles. […]
Il n'y a aucun témoignage écrit émanant des Slaves païens eux-mêmes, étant donné que, dans le monde slave, l'écriture n'a fait son apparition qu'avec le christianisme. Toutes nos sources viennent donc de chrétiens, adversaires du paganisme. Aussi faut-il toujours y envisager la possibilité d'une inter¬ prétatif) romana (ou, tout simplement, Christiana ). Pour les moines du moyen âge, tous les paganismes étaient identiques, les noms des dieux n'ayant aucune importance. C'est pourquoi ils usaient souvent de la terminologie classique qui leur était la plus familière, et ils peuplaient ainsi l'Olympe slave de Dianes et de Mars. Le paganisme, à leurs yeux, n'était invariablement que l'adoration de la création au lieu du Créateur, où les dieux faisaient fonction de diables de l’Église chrétienne.
Les données plus objectives que nous fournit l'archéologie sont, en revanche, fort maigres. Nous lui devons, cependant, dans le domaine des Slaves de la Baltique, quelques renseignements sur certains sanctuaires slaves. Les fouilles effectuées dans des tombeaux ne nous renseignent que sur les rites funéraires. Et encore ne peut-on pas affirmer toujours avec certitude qu'il s'agisse de tombeaux vraiment slaves et non pas germaniques : c'est dire que les rites funéraires slaves offrent peu d'originalité. Quant aux idoles et objets du culte, ce qu'on a cru en découvrir s'est révélé soit comme faux, soit comme au moins suspect, soit comme n'ayant aucun rapport avec les Slaves. Les données archéologiques ne peuvent donc être utilisées tout au plus que pour confirmer celles des autres sources. […]
Dans l'ancienne religion des Slaves, telle que nous la connaissons à la veille de sa disparition, on peut distinguer, d'une part, un culte de la nature, d'autre part, celui des mânes et des ancêtres. En principe, ces deux compartiments restent séparés l'un de l'autre ; toutefois, le culte manistique montre une tendance à empiéter sur le culte de la nature. Les dieux individualisés, pour autant qu'on puisse entrevoir leurs fonctions, s'insèrent dans ce dernier, et non dans le culte manistique.
On n'oubliera pas que nous ne sommes renseignés que sur les manifestations extérieures du culte : faute de mythes slaves et de tradition cosmologique ancienne, le contenu éthique de la religion slave nous échappe à peu près complètement.
Tout ce que nous connaissons des dieux supérieurs slaves est limité aux seuls domaines des Russes et des Slaves de la Baltique. Nous ne trouvons aucune indication concernant ces dieux chez les Slaves du Sud, et ce qu'on a cru savoir de l'Olympe païen des Tchèques et des Polonais s'est révélé entièrement fantaisiste et fabriqué aux XVe et XVIe siècles à l'imitation de l'Olympe gréco-latin.
Il n'est pas exclu que les Slaves aient connu quelques divinités supérieures avant de se diviser, c'est-à-dire, en gros, avant le VIe siècle. Mais nous n'en avons aucune preuve. Les deux panthéons, celui des Slaves de la Baltique et celui des Russes, restent entièrement séparés ; on n'y voit comme éléments communs que le nom d'une seule divinité. Nous n'apercevons non plus aucun lien entre les dieux slaves et ceux des autres peuples indo-européens, le cas d'emprunts manifestes mis à part.
Le monde des démons et des esprits inférieurs est plus riche et plus général ; mais il est peu original, car il se confond avec celui des peuples européens. Il en est de même des fêtes et des cérémonies saisonnières slaves.1
Le panthéon slave
Par Boris Unbegaun
L' « Olympe » slave forme donc la partie essentielle et la plus originale de la religion slave, et plus spécialement encore chez les Slaves de la Baltique, où le folklore contemporain fait complètement défaut. C'est à cet Olympe donc que sera consacré le gros de notre étude.
D'emblée nous constatons une différence capitale entre les deux panthéons slaves que la tradition nous a conservés : chez les Russes — des dieux rudimentaires, à peine figurés en idoles primitives, sans temples ni prêtres ; chez les Slaves de la Baltique — un paganisme actif et conscient de sa force : plusieurs sanctuaires hébergent d'impressionnantes statues de dieux, souvent polycéphales, entourées d'un culte minutieusement réglé par une puissante caste sacerdotale. […]
Les historiens allemands et danois nous ont transmis les noms des dieux vénérés dans les différents centres slaves. Or ces noms varient d'un sanctuaire à l'autre, et, dans certains cas, le dieu lui-même semble changer de nom en l'espace de quelques dizaines d'années. |...]
Parmi ces dieux, le plus curieux est celui que Thietmar appelle Zuarasici. [...] Lorsque, quelque soixante années plus tard, Adam de Brème donnera la description du même temple, il appellera le site Rethra et le dieu principal Redigast. [...] Un frag¬ment du XIVe siècle cite également un dieu Radegast. Il se peut que Redigast ou Radigast ne soit qu'une épithète de Zuarasici. […]
Un autre dieu notoire a été Triglov, vénéré en Poméranie, à Stettin et à Wollin (sur l'île du même nom qui barre l'estuaire de l'Oder, ville connue également sous les noms de Julin et de Vineta), et peut-être aussi à Brandebourg, si l'on en croit une chronique tardive du XIIIe siècle. Son culte en Poméranie est attesté par le témoignage concordant des trois biographes d'Otto de Bamberg, Monachus Prieflingensis (Triglous ), Ebo (Trige -lawus ) et Herbord (Triglaus ).
Triglov veut dire «tricéphale » , et c'est en effet une statue à trois têtes que nous décrivent les sources. Ce n'est là, de toute évidence, qu'une simple épithète et non le nom primitif de la divinité. […]
Avec Svantevit, nous changeons encore une fois de région et d'époque : le culte de Svantevit a été célébré à Arkona, la capitale de l'île de Rügen. Les témoignages que nous en possédons nous reportent aux alentours de 1169, l'année de la destruction du sanctuaire de ce dieu, la dernière citadelle du paganisme slave. Svantevit est mentionné par Helmold, Saxo, la Knytlingasaga et un diplôme de l'empereur Frédéric, mais c'est surtout grâce à Saxo que nous avons une description détaillée du temple et de la statue de ce dieu dont Helmold précise la puissance […] Le nom même de Svantevit (Sve"tovitû ) est un composé dont la première partie est sve"tü, primitivement «fort », alors que la deuxième, vitu, est fréquente dans des noms de personnes.
Outre les trois dieux, Zuarasici-Redigast, Triglov et Svantevit, on relève des noms d'autres divinités de moindre rayonne¬ ment ou peut-être tout simplement sur lesquelles nous n'avons que des renseignements insuffisants.
Sans quitter l'île de Rügen, on trouve, toujours d'après Saxo, dans la ville de Carentia (Korenica en slave, aujourd'hui Garz), trois temples dédiés respectivement aux dieux Rujevit (Rugievithus), Porevit (Porevithus) et Porenutius. Le premier de ces noms est composé du nom de l'île de Rügen et de la finale déjà connue -vitii (encore une épithète) que l'on retrouve égale¬ ment dans Porevit, sans qu'il soit possible d'en identifier le pre¬ mier élément. Quant au troisième nom, il demeure obscur, bien que parfois on y ait voulu voir un diminutif de Perun, dieu russe de la foudre.
La Knytlingasaga, qui relate les mêmes événements que Saxo, donne aux dieux de Carentia les noms de Rinvit, Turupit et Puruvit. Ces noms sont certainement estropiés. Si Puruvit est sans doute Porevit de Saxo, si Rinvit pourrait être soit Rujevit, soit (Po)renutius, on ne voit guère ce qui peut se cacher derrière Turupit. Le même texte mentionne, pour la ville d'Asund (Jasmund ?), une idole du dieu Pizamar dont la finale -mar est aussi fréquente que -vit dans les noms de personnes (le germanique -mar a pour correspondant slave : -mer). […]
Le culte du dieu Gerouitus est signalé à Havelsberg (sur la Havel, près de son confluent avec l'Elbe) et à Wolgast (lat. Hologasta, sur le littoral, en face de l'île de Usedom, entre l'île de Rügen et Stettin). Herbord le mentionne également, mais ne fait là que suivre Ebo. Le nom, sans doute, est à lire Jarovit (comme Rugievithus est Rujevit), dont le premier élément jaru. signifie «fort si bien que le nom entier apparaît comme une sorte de synonyme de Svantevit et, comme ce dernier, serait une épithète.
Helmold est le seul à nous parler pour sa Wagrie d'un dieu Prove et d'une idole du nom de Podaga, ainsi que d'une Siwa «dea Pelaborum » (c'est-à-dire des Polabes, riverains de l'Elbe), qui serait donc la seule déesse du panthéon des Slaves de la Baltique. Il est vrai que Thietmar parle de «deorum dearumque imagines » (VI, 23), mais le contexte ne permet pas de voir de quoi il s'agit. Prove et Podaga restent obscurs, alors que Siwa semble être Ziva « vivante, vie », nom qui conviendrait plutôt à un démon inférieur.
Un manifeste pathétique, appelant à la croisade contre les païens slaves et rédigé en 1108 par Adelgot, évêque de Magde-bourg, mentionne à quatre reprises un dieu Pripegala, particu¬ lièrement friand du sang des chrétiens. [...]
Tel est l'inventaire du panthéon des Slaves de la Baltique. Toutes les autres divinités que l'on trouve dans des oeuvres et documents postérieurs, tous ces Flins, Crodo, Vitelubbe , Suente-bueck, Gutdracco, etc., sont soit des pures inventions des auteurs, soit des malentendus. Parfois des dieux slaves sont indiqués uniquement sous des noms latins de Saturne, de Mars, etc. : on ne peut rien tirer de telles mentions. […]
Notre ignorance de la nature même des dieux de la Baltique est mise en relief, par exemple, par les conceptions très diffé¬ rentes que les savants s'étaient faites de Svantevit. Rien ne s'oppose dans nos sources (mais rien ne l'exige non plus) à ce qu'on voie en Svantevit un dieu du soleil, ou un dieu du ciel, ou un dieu des vents, ou un dieu de la guerre, même une « théo-morphose de l'air pur », à ce qu'on l'identifie tantôt avec Zuarasici, Jarovit et Pripegala, tantôt avec Triglov, tantôt avec Perun, le dieu russe de la foudre, ou encore qu'on le considère comme le dieu suprême des Slaves. Toutes ces théories, en effet, ont été proposées.
On n'entrevoit aucune hiérarchie entre les dieux slaves, bien que nos sources mentionnent parfois tel dieu comme « princeps » ou « primus » ou « summus deus » ou « deus deorum ». Chaque tribu ou, plutôt, chaque sanctuaire semble avoir vénéré ses dieux propres ou son dieu (plus fréquemment), sans lien avec le reste du pays. A l'occasion, la renommée de tel dieu pouvait franchir les limites de son aire habituelle, comme c'était le cas pour Svantevit ; le dieu n'en est resté pas moins une divinité locale.
Il est vrai que Helmold, dans un passage, dote les Slaves d'un dieu suprême dans les cieux, lié par des liens de parenté aux autres divinités [...]. Il faut voir là une forte influence chrétienne. Toute conception d'un dieu suprême, de même que toute idée de parenté entre les dieux, était étrangère à la véritable religion des Slaves. […]
Il y a encore une autre conception fausse qui revient de temps en temps dans des travaux sur l'ancienne religion des Slaves : celle d'un prétendu dualisme. Les défenseurs de cette thèse se basent principalement sur un passage du même Helmold. […] Ce serait le seul témoignage authentique du dualisme dans les conceptions religieuses des Slaves. Plusieurs savants ont suivi Helmold et ont construit de téméraires hypothèses pour relier la religion slave au mazdéisme iranien. On n'a même pas hésité, en dépit du silence absolu des sources et en ne se fondant que sur de fragiles et équivoques données toponymiques, à inventer un Bèlobogu « dieu blanc », c'est-à-dire bienfaisant, comme contrepartie de Cirnobogu. «dieu noir » de Helmold. Faut-il dire que cette voie ne mène nulle part, tout dualisme religieux étant complètement étranger aux Slaves ? Le passage de Helmold s'explique encore par l'influence chrétienne, et Zcerneboch n'est autre que le diable chrétien, comme le texte lui-même le précise. N'oublions pas que Helmold nous décrit un paganisme qui, miné par deux siècles de propagande chrétienne, se trouve à la veille de son effondrement.
Nous sommes infiniment mieux renseignés sur les manifestations extérieures de la religion slave que sur les dieux eux-mêmes : nos sources sont riches en descriptions détaillées des idoles, des sanctuaires et du culte.
Les textes nous permettent de localiser environ une dou¬zaine de temples ; tous se trouvaient sur une bande assez étroite qui, de Stettin à Plön (à l'est du Kiel actuel), longe le littoral, ainsi que sur les îles qui lui font face. Mais il y en avait encore d'autres de moindre importance. […] Sauf pour les temples de Rügen, à Arkona et ä Garz, où une description détaillée de Saxo se combine heureusement avec les données des fouilles récentes, nous ne savons que fort peu de choses sur la structure même des temples slaves.
On peut affirmer cependant que, dans la plupart des cas, les temples étaient placés à l'intérieur d'un bourg fortifié qui était désert en temps de paix, mais donnait asile à la population voisine pendant la guerre. Il en était nettement ainsi pour les temples de Rügen, comme pour celui de Rethra. Tous ces temples étaient en bois (pour ceux de Garz, voir plus loin).
Nous possédons des données assez sûres sur le temple d'Arkona. C'était une construction carrée de 20 m. de côté, avec des parois en bois sculpté et peint et un toit rouge. A l'intérieur, des rideaux suspendus à quatre poteaux formaient un compartiment spécial, avec la statue de Svantevit. La distance entre les poteaux était de 6 m. La desèription de Saxo est confirmée par les fouilles de C. Schuchhardt à qui nous devons les dimensions indiquées.
Les temples de Garz étaient du même type carré (on a retrouvé les fondations des deux plus petits d'entre eux), avec cette différence que non seulement le sanctuaire intérieur, renfermant la statue, était formé de rideaux de pourpre, mais que des rideaux remplaçaient également les parois extérieures.
Rien, dans nos sources, ne nous autorise à nous imaginer les autres temples slaves semblables à celui d'Arkona, mais rien ne s'y oppose non plus. On notera seulement que le temple de Stettin ainsi que celui de Rethra étaient ornés , de bois sculptés.
On notera également que les petits temples de Stettin semblent avoir servi en même temps de salle de réunion, ce qui nous rappelle certaines traditions nordiques.
Il nous est difficile de dater les temples ; mais le peu que nous en connaissons nous invite à leur assigner une origine relativement récente. La forme carrée du temple d'Arkona, ainsi que le genre même de la construction, dont il est impossible de donner ici les détails techniques, assimilent ce temple à un type de construction en vogue dans les pays Scandinaves dans la deuxième moitié du XIIe siècle.
A l'intérieur des temples se trouvaient des statues des dieux. Elles étaient en bois, parfois richement ornées de métal ou d'étoffes et munies de différents attributs (cuirasses, casques, glaives, coupes, etc.). Leurs dimensions pouvaient être imposantes : le Svantevit d'Arkona mesurait au moins 8 mètres, le Rujevit de Garz 3 mètres.
Mais le trait le plus frappant de ces idoles demeure leur polycéphalie. La première mention en a été faite par les biographes d'Otto à propos de Triglov de Stettin et de Wollin, donc vers le milieu du xn* siècle. Ensuite la polycéphalie est notée par Saxo pour tous les dieux de Rügen : Svantevit avait quatre têtes, deux regardant devant et deux derrière, dont l'une à gauche et l'autre à droite. A Garz, Porenutius avait quatre visages (non quatre têtes !) et un cinquième sur la poitrine ; Porevit avait cinq têtes et Rujevit sept visages. […]
En Europe, la polycéphalie est une chose rare ; on trouve, il est vrai, une divinité tricéphale chez les Celtes, mais les Slaves n'ont pas eu avec eux de relations suivies. On pourrait penser plutôt à 1'Ερμ.ής τρικέφαλος des Grecs ou encore à ce qu'on est convenu d'appeler 1'Ήρως thrace dont on a trouvé des images à trois têtes. C'est en tout cas moins aventureux que d'envisager l'influence des cultes orientaux, comme le fait C. Schuchhardt. La polycéphalie demeure toujours un des points les plus énigmatiques de la religion des Slaves.
Il y avait aussi des idoles qui n'étaient pas placées dans des temples, et ce culte à ciel ouvert semble avoir été plus ancien. Ce type de culte était le seul qu'eût connu la Russie. Helmold nous rapporte notamment que le dieu Prove n'avait ni temple ni idole. Dans le bois sacré qui lui était dédié, la justice était rendue tous les lundis par le prince et le prêtre. […]
En dehors des dieux jouissant d'un culte public, il y en avait d'autres pour l'usage privé […]
Nous ne savons que fort peu de choses sur la caste sacerdotale mais assez pourtant pour entrevoir sa grande puissance et son autonomie à l'égard des princes. Helmold place, sans hésiter, les prêtres au-dessus des princes, lesquels, dit-il, dépendent, ainsi que le peuple tout entier, de l'interprétation des oracles par le prêtre. Certaines allusions des textes nous autorisent à supposer un antagonisme entre les prêtres et les princes. Le sacerdoce pouvait imprimer aux prêtres quelques particularités extérieures : ainsi le prêtre de Svantevit portait, à la différence de ses concitoyens, une barbe et des cheveux longs.
Le culte que ces prêtres avaient la mission d'assurer semble avoir été très développé : « multiplex religionis cultus », dit Helmold. Tout d'abord il comportait des sacrifices et offrandes pratiqués suivant un rituel varié. Les chroniqueurs insistent sur¬ tout sur les sacrifices humains : même si l'on fait abstraction de lieux communs appelés par Yinterpretatio romana, il demeure indiscutable que l'immolation des chrétiens avait lieu fréquemment ; même un évêque, Jean de Mecklembourg, subit ce sort (Adam de Brème, III, 51). Les sacrifices particulièrement solen¬ nels donnaient lieu à de .véritables pèlerinages : «conveniuntque viri et mulieres cum parvulis mactantque diis suis hostias de bobus et ovibus, plerique etiam de hominibus Christianis quorum sanguine deos suos oblectari iactitant » (Helmold, I, 52). De tels sacrifices sont normalement suivis de festins où les offrandes sont consommées.
Une cérémonie annuelle à Arkona, en l'honneur de Svantevit et à l'occasion de la fin de la moisson, nous est décrite par Saxo. Cette description unique vaut d'être reproduite ici :
« Voici comment on célébrait la grande fête de son culte. Une fois par an, après la récolte, une foule nombreuse se réunissait devant le temple, sacrifiait des têtes de bétail et prenait part à un grand festin religieux. Le prêtre, qui, contrairement à la mode du pays, portait la barbe et les cheveux fort longs, avait seul le droit d'entrer dans le sanctuaire. Le jour qui précédait la fonction sacrée, il nettoyait soigneusement avec un balai le temple où seul il avait le droit d'entrer, en faisant bien attention de retenir son haleine. Chaque fois qu'il avait besoin de respirer, il courait à la porte afin que la divinité ne fût pas souillée par le contact d'un souille humain.
Le lendemain, le peuple étant rassemblé devant les portes, il enlevait le vase de la main de l'idole et examinait si la quantité de liquide 41 avait diminué par rapport à une marque faite d'avance ; dans ce cas, il prédisait de la disette pour l'année sui¬ vante. Dans le cas contraire, il prédisait l'abondance. Suivant ces pronostics, il prévenait d'avoir à user d'une façon plus ou moins large des biens de la terre. Ensuite il répandait aux pieds de l'idole, en guise de libation, le breuvage de l'année précédente et remplissait la corne d'une nouvelle liqueur. Et, après avoir vénéré la statue en faisant semblant de lui offrir à boire, il lui demandait par une invocation solennelle toutes sortes de< biens pour lui-même et pour la patrie, la richesse et la gloire pour les citoyens. Puis il avalait d'un seul trait le contenu du vase, le remplissait à nouveau et le remettait dans la main droite de la statue.
Ensuite on plaçait devant la statue un gâteau assaisonné de miel, rond et presque aussi haut que la taille d'un homme. Le prêtre se mettait derrière ce gâteau et demandait au peuple s'il le voyait. Si le peuple répondait affirmativement, il exprimait le vœu de ne pas être vu l'année suivante. Ce vœu avait pour objet, non pas la destinée du prêtre ou du peuple, mais l'abondance de la moisson future. Puis il saluait la foule au nom de l'idole, l'engageait à persévérer dans sa dévotion et dans ses sacrifices et lui promettait comme récompense très certaine des victoires sur terre et sur mer ».
Un autre trait qu'il faut retenir dans ce culte, est le rôle considérable qu'y jouait la divination. Tous les moyens étaient bons pour arracher son secret à l'avenir, et les oracles se faisaient à l'aide de coupes de vins, de baguettes, de lignes tracées dans la cendre, etc. Cependant, parmi les formes multiples de la divination, il y en avait une qui a visiblement frappé l'imagination des historiens : c'est celle du cheval. Plusieurs divinités, en effet, possédaient un cheval sacré dont les prêtres prenaient le plus grand soin. [...] La divination se faisait partout suivant le même principe : on disposait par terre un certain nombre de lances dans un ordre déterminé, et le cheval devait les enjamber. On considérait comme un mauvais présage que le cheval heurtât les lances (Stettin) ou bien les enjambât d'abord du pied gauche (Arkona). Les Annales Augustani (1135) nous apprennent, sous l'année 1068, le sort qu'a eu le cheval de Zuarasici-Redigast à Rethra : l'évêque Burchard de Halberstadt, après avoir dévasté la province, s'en alla monté sur le cheval sacré. {…]
Le troisième trait du culte dont parlent les historiens est l'abondance et la variété des fétiches qui remplissaient les temples : des selles et harnachements (en connexion avec le culte du cheval), des armes (par exemple, un énorme bouclier de Jarovit à Wolgast, d'après Herbord), et une profusion d'étendards sacrés qui étaient sortis et portés en pompe dans des expéditions militaires. […]
Que trouvons-nous dans la religion des Slaves en dehors de l'Olympe que nous venons de décrire sommairement ? Rien d'original : le culte manistique mis à part, on est en face de croyances étroitement liées à la nature, ce qui n'est guère surprenant chez un peuple à civilisation éminemment rustique. En gros, ces croyances slaves ne se distinguent presque pas de celles des peuples voisins. […]
Ce culte ne comportait ni temples, ni idoles, privilège des divinités supérieures, mais il se pratiquait à ciel ouvert ; il avait pour objet principalement des bois et des arbres sacrés, ainsi que des sources. Ceux-ci étaient adorés, selon toute probabilité, non pas pour eux-mêmes, en tant que divinités, mais en raison des esprits qui y habitaient. […]
Helmold nous donne, à l'année 1156, la description d'un bois près d'Oldenburg (Stargard) comprenant plusieurs chênes sacrés voués au dieu Prove et entourés d'une palissade avec deux portes richement ornées. Une fois par semaine le peuple s'y réunissait avec le prêtre et le prince pour rendre la justice. […]
Plusieurs textes sont d'accord pour souligner que les Slaves tenaient infiniment plus aux arbres, bois et sources sacrés qu'aux temples et idoles : ceux-ci étaient détruits ostensiblement et sans danger, voire parfois avec le concours des indigènes, ceux-là l'étaient soit clandestinement, soit en face d'une forte opposition des païens. Pour conserver leurs arbres sacrés, les païens ne dédaignaient pas de ruser avec les missionnaires chrétiens. […]
Ce qui vient d'être dit des arbres et des sources s'applique aussi au culte des collines : elles étaient vénérées non pas pour elles-mêmes, mais comme l'emplacement naturel des sanctuaires (tous les temples de Stettin, par exemple, étaient édifiés sur des collines) ou comme la demeure de divinités.
Les croyances des anciens Slaves, relatives à la vie d'outre-tombe et aux rapports existant entre les vivants et les morts, n'offrent rien d'original. Ce que l'archéologie, les textes anciens et le folklore moderne nous révèlent dans ce domaine semble avoir été monnaie courante dans toute l'Europe païenne. [...] D'ailleurs, les données archéologiques, les seules dont nous disposons pour ces Slaves, le confirment pleinement.
Il ne fait pas de doute que les Slaves, comme presque tous les peuples, croyaient à l'existence après la mort […]
Dans cette croyance on peut distinguer deux conceptions du mort, assez proches, d'ailleurs, l'une de l'autre. Selon l'une, qui semble être la plus ancienne, le mort est représenté comme une sorte de «cadavre vivant » qui inspire horreur aux hommes et dont il faut se protéger par tous les moyens. L'autre conception n'envisage que « l'âme » du défunt. Les deux conceptions aboutissent le plus souvent à un mélange dont il n'est pas facile de discerner les éléments constitutifs. On se trouve généralement en présence d'une âme pour ainsi dire « corporelle » et liée plus ou moins à la dépouille mortelle. Sur le plan rituel, cela se traduit par une association du culte de l'âme et de la défense contre le mort, telle qu'on la retrouve chez de nombreux peuples.1
Le panthéon russe
Par Raymond Schmittlein
Les premières mentions des dieux russes se trouvent dans la Chronique dite de Nestor, ouvrage historique et religieux de la première moitié du xne siècle. Perun, tout d’abord, apparaît à l’occasion d’un traité conclu entre les Grecs et les Russes en 945. D’après la Chronique, le traité de 945 aurait été ratifié par le Prince Igor, qui aurait prêté serment devant une idole du dieu Perun érigée sur une colline. Dans le traité de 971, le serment fait mention non seulement de Perun, mais aussi de Volos , qualifié de skotij Bog, dieu du bétail (ou de la richesse ?).
Pour l’année 980, la Chronique nous donne une série de noms plus complète :
«Vladimir commença à régner seul à Kiev et il érigea des idoles sur la colline en dehors du vieux palais. Perun en bois avec une tête d’argent et une moustache en or, et Chors et Dazbog et Stribog et Semargl et Mokos. Le peuple leur offrait des sacrifices en leur donnant le nom de dieux ; il leur amenait ses fils et ses filles et les sacrifiait à ses démons et souillait la terre de ses sacrifices. Et la terre russe et la colline se souillèrent par le sang. »
Dans certaines copies de la Chronique, on trouve pour l’an¬ née 1114 un passage interpolé tiré de la Chronique grecque de Jean Malalas, lui-même assez arrangé. Il y est fait mention d’un dieu Svarog que le chroniqueur identifie avec Feosta, c’est-à-dire probablement Hephaistos, dont il fait un roi des Égyptiens, et il donne comme fils à Svarog le soleil qu’il appelle Dazbog.
Il n’y a rien à retenir de l’évhémérisme de ce récit, mais la mention de Svarog, qui apparaît ici pour la première fois, force à reconnaître à l’interpolateur une sérieuse connaissance des choses slaves. En effet, si Svarog n’apparaît que dans les gloses de Malalas, il en est fait mention sous une forme un peu différente dans une série d’homélies anciennes où il est reproché aux nouveaux chrétiens de persévérer dans leurs traditions païennes en « adressant des prières au feu en l’appelant Svarozic ».
Il n’y a pas de doute à avoir sur l’identité de Svarog avec Svarozic. Ce dernier nom ne doit pas sans doute être interprété «fils de Svarog », mais plutôt comme un hypocoristique de type affectif. Par ailleurs, Svarog est considéré comme le père du soleil, identifié avec Hephaistos, c’est-à-dire le dieu grec du feu.
Enfin, dans un ouvrage littéraire de la fin du xne siècle, Slovo Igor, les Russes sont apostrophés comme les descendants de Dazbog et de Stribog, tandis qu’un poète est qualifié de petit-fils de Vêles. Le texte mentionne de même Chors et y ajoute Trajan.1
Le folklore russe
Par Nicolas Nikitine
Tout peuple possède ses légendes dans lesquelles on peut voir, en quelque sorte, un reflet de son passé et de son état de culture intellectuelle.
Les légendes russes doivent être divisées en trois catégories : païennes, religieuses et expérimentales, c’est-à-dire basées sur l’observation de certains phénomènes de la nature. |...]
Le peuple considère les légendes comme des traditions sacrées et un grand nombre d’entre elles sont basées sur la réciprocité qu’il a cru remarquer entre lui, la nature et notamment les animaux. Il a cherché une explication à tout ce qu’il voyait autour de lui et c’est ainsi qu’il a cru devoir créer une histoire à tous les animaux.
Dans sa foi religieuse le peuple russe croit à Dieu ainsi qu’à Satan. À son idée, ces deux principes éternellement ennemis ont toujours agi concurremment. Souvent Satan se montre plus rusé que Dieu, et, en dehors des quelques livres qu’il a pu consulter sur le sujet et de la genèse telle qu’elle lui est expliquée par ses prêtres, il possède au sujet de la création du monde son histoire tout à fait originale.
D’après lui, au commencement, seules la lumière et l’eau existaient. Pour créer la terre, Dieu appela Satan. Il lui ordonna de plonger au fond de l’eau et de rapporter ce qu’il y trouverait. Satan obéit et revint en tenant dans sa main une poignée de limon. Dieu l’ayant également semée partout, la terre ainsi créée présentait une surface unie. Pourtant Dieu, ayant remarqué que Satan semblait cacher quelque chose dans la bouche, lui demanda ce que c’était. Ce dernier, ne voulant pas avouer qu’il avait dérobé un peu du limon trouvé au fond de l’eau, s’enfuit sans répondre. Aussitôt, sur l’ordre de Dieu, l’Éclair et le Tonnerre se mirent à sa poursuite, et, en se sauvant, le « pauvre diable » tombait souvent. À chaque chute il perdait plus ou moins de son limon. C’est ce qui a créé les montagnes.
Tous les indo-européens ont conservé la tradition que Dieu apprit la construction au premier homme et dans la petite Russie subsiste la croyance que Dieu a donné au premier homme une charrue et à la première femme une quenouille. Comme Satan est synonyme d’ombre, dans différents endroits de la Russie les paysans croient qu’il fut l’architecte désigné pour construire la première maison, mais qu’ayant négligé, par malice, d’y ménager des fenêtres, Dieu dut envoyer un ange pour en percer.
Comme en Russie non seulement les moujiks mais la plupart des gens des autres classes n’ont aucunes notions de l’électricité, ils ne peuvent s’expliquer la force qui produit l’éclair et le tonnerre. Le peuple russe attribue à chacun de ses nombreux saints une fonction spéciale. C’est ainsi que pour lui l’éclair et le tonnerre sont personnifiés par Saint Ilia1. De grossières images très répandues dans les villages, le représentent traversant les nues sur un char aux roues de feu attelé de quatre chevaux ailés. Le char est conduit par un ange et le Prophète Ilia, tenant à la main un glaive flamboyant occupe la place d’honneur. De son siège il lance des flèches sur les humains possédés du Démon pour les punir. Le jour de la fête de Saint Ilia, que le calendrier orthodoxe a fixé au 20 juillet, le peuple s’attend nécessairement à la pluie.
La tradition du combat de Saint-Georges avec le Dragon a existé dans tous les pays européens. Le peuple russe regarde ce Saint comme le patron des loups, ces ennemis acharnés des paysans puisque le plus souvent ils ne vivent qu’en dévorant leur volaille et leurs bestiaux. Depuis longtemps le Gouvernement a pris des mesures pour la destruction de ces animaux nuisibles, en accordant par un ukase une prime de 10 roubles (30 francs) à quiconque apporterait au magistrat local la queue d’un loup. Cette plaie de loups en Russie est considérée comme une punition de Saint-Georges. La légende la plus répandue en Russie sur les exploits de ce saint est la suivante :
« Un jour, deux bergers étaient en train de faire paître leurs troupeaux, et l’un deux ayant très soif quitta son camarade pour se mettre à la recherche d’un ruisseau. Chemin faisant, il remarqua un arbre autour duquel l’herbe semblait avoir été récemment foulée. Il s’approcha, et, poussé par la curiosité, il grimpa sur l’arbre pour observer ce qui se passerait autour de lui. Tout à coup il aperçut Saint-Georges dans une calèche escortée par une meute de loups. Georges semblait donner des ordres à chacun d’eux et tous partirent dans différentes directions. Seul un vieux loup boiteux resta près de lui. Au bout de quelques instants Saint-Georges lui commanda de s’approcher de l’arbre et de dévorer l’infortuné berger qui périt ainsi victime du caprice cruel de ce Saint redouté ».
À son tour Saint-Pierre devient le patron des pêcheurs et c’est à lui seul qu’ils attribuent le succès ou l’insuccès de leurs entreprises. Bref, l’imagination du peuple russe s’est ingéniée à trouver un protecteur contre chacun de ses maux.
Il est curieux de noter que la Russie est le seul pays au monde où dans la campagne on ne ferme jamais les portes des habitations. Chez ces pauvres paysans le vol est chose à peu près inconnue, et quand par exception il s’en commet un, il a toujours pour auteur un individu étranger à la commune, appartenant la plupart du temps à la tribu des Tziganes, espèces de bohémiens qui rôdent à travers la campagne en faisant de la musique et en mendiant. Comme en pareils cas la police est toujours impuissante, — quand elle n’est pas complice, — les moujiks ont inventé un saint courageux, Ivan le Militaire, dont la fonction consiste à châtier les voleurs.
Dès les temps les plus reculés les peuples ont attribué à leurs Divinités de bonnes et de mauvaises qualités. Au ciel comme sur la terre, des fêtes leur étaient consacrées et souvent elles dégénéraient en orgies. La mythologie nous apprend qu’Appollon amusait les Dieux par ses chants en s’accompagnant sur la lyre et la Muse Terpsychore étalait toute sa beauté en dansant. Les Grecs dans leur génie artistique ont créé des demi-dieux, des nymphes, etc. Le peuple slave avait un culte de prédilection pour l’eau. Il adorait les fleuves Bougue, Dnieper, Dounaï, Divina, etc., et il était convaincu que l’eau était souveraine pour la guérison des maladies des yeux, à la condition qu’avant de se laver le patient eût jeté un objet en argent dans l’eau. Les Slaves croyaient aussi à l’existence de nymphes qui vivaient dans l’eau où habitaient les forêts. D’après les anciens chroniqueurs, ils adressaient des prières aux arbres dont le plus vénéré était le chêne. L’esprit grossier des Slaves primitifs avait imaginé des Dieux à plusieurs têtes dont quelques-unes étaient tellement énormes que pour les déplacer il fallait employer un attelage de deux bœufs.
Le peuple avait aussi la croyance que les fleurs et les arbres parfumés avaient la propriété d’expulser les petits diables et qu’en présence de ces plantes les nymphes perdaient leur pouvoir de martyriser les hommes. L’imagination des Slaves représentait ces nymphes comme les plus belles filles du monde ayant une superbe chevelure blonde qui retombait en désordre sur leurs épaules blanches comme la neige et sur leurs seins rebondis. La plupart des peuples ont cru à ces nymphes en leur donnant des noms différents ; les Grecs et les Latins les nommaient Naïades et Amadrïades, les Gaulois, les femmes du Fleuve Salla, les Germains, les filles du Dounaï, les Anglais, les filles du Lac, les Français, les Ondines et enfin, les Slaves, les Roussalki.
L’imagination du peuple Serbe a créé les nymphes des montagnes et des forêts, belles filles innocentes que l’on appelait Vilas. Ces nymphes qui descendent des nuages ne consentent — d’après la tradition, — à danser le kolo qu’avec les chevaliers dont elles admettent la visite. Si par malheur d’autres mortels commettaient l’imprudence de s’approcher d’elles, ils tombaient aussitôt en proie à d’affreux chatouillements qui amenaient la mort. S’il faut en croire certains documents, cette croyance aux nymphes se serait maintenue en Europe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Ainsi le baron Volvasor assure avoir vu une nymphe voler un enfant pour le faire disparaître dans l’eau avec elle. D’autre part, le docteur Tourell et le professeur Monro affirment avoir vu à deux reprises dans le nord de l’Écosse une nymphe nue occupée à tresser ses cheveux.
Le peuple russe croit à la vie future. Selon lui, après la mort les gens vicieux et les riches doivent aller en enfer, tandis qu’à l’Éden, on attend les pauvres et les honnêtes gens. La croyance populaire fait représenter la mort par un squelette toujours affamé qui dévore les gens vivants.
Il n’est pas sans intérêt d’observer que les peintures que l’on a faites au peuple de l’enfer sont beaucoup plus détaillées que celles relatives à l’Éden. Cela tient à ce que pour des esprits peu cultivés les souffrances physiques sont beaucoup plus sensibles que les souffrances morales. D’après la croyance des paysans, ceux qui ont commis de gros péchés sont jetés dans une chaudière remplie de goudron en ébullition. Quant aux menteurs, ils sont condamnés à lécher une poêle rougie au feu. Ils croient aussi à l’existence d’une âme résidant dans chaque individu. Pendant le sommeil léthargique cette âme voyage avec saint Nicolas, soit dans l’Éden, soit dans l’enfer, d’où l’on peut voir les amis et les parents et contempler les joies et les douleurs des humains sur la terre. Les Serbes ont également une légende sur l’existence après la mort et sur ce voyage des hommes… « — Raconte donc ce que tu as vu là-bas, » demande-t-on à un ancien léthargique. « — J’ai vu, » répond-il, un pont d’argent, au-dessous duquel se trouvaient une immense chaudière remplie de têtes bouillies et des aigles qui volaient au-dessus de ces têtes. »
En dehors des enseignements du clergé orthodoxe et des nombreuses légendes sur l’immortalité de l’âme, le peuple slave a cherché à trouver l’explication de certains phénomènes physiques par l’âme. Aussi disent-ils que les feux-follets qu’ils croient apercevoir quelquefois la nuit sur les tombes sont les âmes immortelles des pécheurs morts impénitents. [...]
Il existe chez les peuples slaves de nombreuses légendes sur la vie d’outre-tombe et elles varient avec les localités. L’une d’elles raconte qu’après la mort d’un soldat, Dieu charge un ange d’aller recueillir son âme. Sa commission faite, l’ange vient demander à Dieu s’il doit porter cette âme militaire à l’Eden ou en Enfer. Si le soldat est condamné à l’enfer, des diablotins qui l’attendent le précipitent dans une chaudière d’eau bouillante. Pourtant le soldat « ficeleur », trouve pour se sauver un moyen ingénieux : il propose aux diablotins une partie de cartes qu’il gagne le plus souvent et d’après les conventions de la partie, les diablotins le retirent de la chaudière et trouvent le moyen de le faire entrer en fraude dans l’Eden. D’après une variante c’est à saint Pierre que le soldat propose la partie de cartes dont l’enjeu est cette fois une clef du paradis. Dans toutes les légendes où le soldat joue un rôle on le représente toujours aussi intrépide que roublard. [...]
Le peuple devait conclure de ces récits que les méchants doivent être punis après leur mort, tandis que ceux qui ont souffert sur cette terre seront récompensés dans l’autre monde. La théorie de la souffrance volontaire ici-bas dans l’espoir de trouver le bonheur après la mort est inadmissible. C’est elle qui, prêchée partout par les prêtres de la religion orthodoxe, maintient le peuple russe dans un état si arriéré et qui a engendré cette secte de vagabonds, les « asketes », lesquels s’en vont à travers le pays, à peine vêtus, couverts de branchages de chêne et marchant pieds nus. Ne travaillant jamais, ils vivent aux dépens des pauvres paysans qui leur donnent asile et les nourrissent parce qu’ils les considèrent comme des Saints-Idiots ou des Sorciers.
Dans toutes les légendes où Satan joue le principal rôle, cet être imaginaire, dont la mission est de faire autant de mal que possible aux hommes, est battu par sa femme ; le soldat le rembarre à coups de crosse de fusil et souvent il est écrasé sous le marteau du forgeron, car après Jésus-Christ, Satan et le soldat, les grands rôles dans les légendes sont tenus par le forgeron et le meunier.
De tout temps les peuples ont adoré l’eau et le feu et de nos jours encore le paysan russe regarde ces deux éléments comme mystérieux et au-dessus de sa compréhension. Aussi les gens qui sont en contact direct avec eux passent-ils chez les peuples slaves pour des sorciers.
Suivant les traditions religieuses la divinité a souvent opéré des métamorphoses. Certaines nous content l’histoire d’un homme changé en ours ou d’une femme changée en oiseau. Chez un peuple voisin de la Russie, en Norvège, une légende veut qu’une femme coupable ait été, comme punition, métamorphosée en pie, « oiseau qui a toujours soif. » [...]
Le paysan doit encore s’attendre à un malheur si sur sa route il fait la rencontre d’un lapin ! Chose curieuse, bien des paysans en Russie se refusent à manger les oiseaux sauvages et ils expliquent cette répugnance avec une honnête simplicité : « Cet oiseau est libre, » disent-ils, « tu ne l’as pas nourri, tu ne l’as pas élevé, donc tu n’as pas le droit de le manger. » Une comète, une aurore boréale, etc., sont encore pour le moujik des pronostics de malheur…
Toute anomalie de la nature a fourni à l’esprit observateur du paysan russe le prétexte d’une légende. Ainsi ayant remarqué que, seul parmi les oiseaux, le moineau ne marche pas, mais saute, les moujiks le considèrent comme un oiseau maudit par Dieu, parce que, dans leur croyance, il guidait par son cri les Juifs à la recherche du Christ nouveau-né. L’hirondelle est au contraire regardée comme un oiseau sacré pour avoir dépisté ces mêmes Juifs par son vol. Pour rien au monde un moujik ne voudrait manger de la chair de moineau. Une autre légende nous dit que le rénovateur du monde, Jésus, est né dans une étable entre un cheval et un bœuf. En mangeant, le cheval éparpillait un peu de son foin de tous côtés tandis que le bœuf le ramassait pour le mettre dans le berceau de l’enfant afin de le cacher. Dieu punit le cheval en lui infligeant une faim insatiable. Le paysan russe a pour la chair du cheval la même aversion que pour celle du moineau.
Un grand nombre de légendes païennes se sont modifiées sous l’influence du Christianisme. On sait que la sole a un côté fermé et ne possède qu’un œil. Une légende païenne expliquait ainsi la bizarre apparence de ce poisson en racontant qu’un jour Urta Izarevna de la mer Baltique, après en avoir mangé une moitié avait rejeté l’autre dans la mer. Nous retrouvons cette même légende en Russie avec de légères variantes. On raconte par exemple que lorsque l’ange Gabriel vint annoncer à Marie qu’elle devait donner naissance à un enfant qui serait le rédempteur du monde, il dut pour convaincre Marie qui paraissait douter de la véracité de sa prédiction, accomplir un miraclen en rendant la vie a une sole dont on avait mangé la moitié.
Les marins russes expliquent d’une façon fort drôle les taches noires qui se trouvent sur les bronchées de la morue. Cela tient, suivant une tradition, à ce qu’un jour Saint-Pierre aurait pris ce poisson avec deux doigts seulement et en aurait retiré une pièce de monnaie pour payer les impôts !1
1Extrait de Raymond Schmittlein, Les noms des dieux des Slaves de la Baltique, Revue internationale d'onomastique, 1960.
1Extrait de B.-O. Unbegaun, L'Ancienne religion des Slaves de la Baltique, Revue d'Histoire et de Philosophie religieuses Année 1946
1B.-O. Unbegaun, op. cit.
1R. Schmittlein, op. cit.
1Élie.
1Extrait de N. Nikitine, Les Légendes russes, L’Humanité nouvelle, année 2, tome 1, 1898.
Introduction à la spiritualité des anciens Slaves
Introduction à la spiritualité des anciens Slaves : Schmittlein, Raymond, Unbegaun, Boris, Nikitine, Nikolas: Amazon.fr: Livres
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