Cernunnos, dieu celte
Outre Shiva, c'est Cernunnos, divinité celte cornue, qui est très souvent associée au Pashupati de l'Indus.
Le célèbre chaudron de Gundestrup, retrouvé dans une tourbière du Juttland (Danemark, 1er siècle avant notre ère), nous présente Cernunnos dans une position identique à celle de Pashupati. De grande envergure (42 / 69 cm), ce chaudron cérémoniel est composé de plusieurs plaques de bronze illustrant des mythes locaux. Il contient lui-même la représentation d'un chaudron, dans lequel est précipité un homme, devant le regard d'une armée en rang serré (il peut s'agir d'une possible victime sacrificielle).
Le chaudron est un objet typique du culte celte, il symbolise une corne d'abondance inversée. Le chaudron évoque par ailleurs le bol de Shiva (une divinité qui n'hésite pas à s'incarner sur Terre pour mendier la nourriture dont ses disciples sont privés, comme nous le rappelle la fable d'Annapurna).
Rapprochons aussi le chaudron celte de la coupe cérémonielle scandinave, qui servait à recueillir le sang des sacrifices humains ou animales. Cette coupe, dont le Graal est directement inspiré, était un outil indispensable du culte, au même titre que l'autel et le couteau (ou le marteau) cérémoniel.
Revenons au chaudron de Gundestrup : outre des animaux, des troupes armées pour les combats, des arbres et des enluminures décoratives, nous pouvons distinguer nettement des figures humaines que nous interprétons comme des divinités. L'une d'entre elles semble ressembler tout à fait au mystérieux Pashupati de la vallée de l’Indus.
Il s'agit d'un homme coiffé de bois de cerfs, assis en tailleur, tenant dans une main un serpent, dans l'autre un torque. Le torque qui encercle son cou est un collier sacré celtique, qui rappelle les colliers de noix de rudrakash que porte Shiva. La torque, comme les noix de rudrakash, sont deux symboles de virilité.
Des plantes croissent aux pieds du dieu, ainsi que tout autour du chaudron. Tout comme le Pashupati, il est assis en tailleur et entouré d'animaux : une biche, un cerf, un sanglier, un lion, un serpent lui tiennent compagnie. Il est pieds nus, simplement revêtu d'une sorte de pyjama serré, qui lui couvre le corps, le haut des bras et les cuisses.
Cernunnos, mot qui signifie « le cornu », porte des bois de cerf sur sa tête. Quand ils se brisent, les bois de cerf repoussent, en vertu de quoi ils sont considérés comme des symboles du printemps et du renouveau de la vie (donc de l’éternité de l'âme, tout autant que de la mort du corps). Alternativement, les bois de Cernunnos peuvent être remplacés par des cornes, symboles de la lune, donc des moissons et de la fertilité des champs.
Le cerf est un animal sacré, particulièrement chez les Scythes et les Celtes. La très riche artisanerie scythe propose d'innombrables fibules et bijoux à l'effigie de cet animal, souvent en or et en métaux précieux.
Assis en tailleur, entouré d'animaux totems comme le serpent (qu'il tient dans sa main), Cernunnos est le maître des poisons et des remèdes (la divinité de Gundestrup, qui est aussi celle de l'Indus, propose à ses disciples d'évacuer leur poison. La mort ne l'effraie pas). Shiva est également représenté avec un serpent à ses côtés, qui s'enroule autour de son cou en guise de collier (et donc de talisman). Ce serpent s'appelle Vasuki, il est le maître du plus bas des sept enfers souterrains de la tradition védique. L'amitié entre Shiva et Vasuki signifie que Shiva a fait de la mort un allié.
De même, le Cernunnos du chaudron de Gundestrup enserre dans son poing la gueule d'un serpent, comme pour en faire jaillir le venin (le venin est l'ignorance et le serpent symbolise l’homme qui rampe dans les domaines matériels de l'existence, mais qui désire s'élever à tout prix. C'est ce que devrait lui permettre de réaliser l'adoration de la divinité Shiva-Cernunnos.)
En outre, un serpent à tête de bélier est souvent représenté auprès de Cernunnos. Ce bélier mutant est un animal mythologique populaire chez les Celtes, présent sur leurs armes et sur leurs instruments de musique. Cette créature est sans aucun doute une version européenne du naga indien, ce serpent géant et cruel, qui vit dans les marais et terrorise les villageois. Comme exemple, citons le combat de Krishna contre l'hydre Kalya, le naga aux mille têtes.
La mythologie grecque fourmille elle aussi de tels monstres reptiliens, comme en témoigne le combat d'Héraclès contre l’hydre de Lerne.
Continuons de lister les analogies entre Shiva et Cernunnos : Cernunnos, est présenté tenant dans sa main un bol. Le bol de Cernunnos n'est autre que le bol de Shiva. Il s'agit à la fois du bol du sanyassim, du moine errant et du renonçant, mais c'est aussi le bol d'abondance. Shiva, en divinité généreuse, jette du riz à ses disciples, de même que ceux-ci lui adressent leurs offrandes. Le bol peut ainsi être compris comme un chaudron miniature qui symbolise l'union entre la divinité et ses disciples : ces derniers l'honorent de leur pensée et de leurs libations de beurre (ou de sang), et en retour le dieu leur envoie, soit la prospérité (niveau inférieur) soit la joie éternelle (niveau supérieur).
Dans la version japonaise du mythe de Shiva, ce n'est plus un chaudron ou un bol, mais un sac en toile que Daikokuten porte sur son dos. Cependant, on retrouve dans ce sac les mêmes choses : du riz, des céréales, des pièces d'or ; de quoi combler ses fidèles.
Mais encore : Cernunnos apparaît fréquemment accompagné d'une parèdre. De même que Shiva est très souvent accompagné de la grande déesse Parvati-Shakti, le Cernunnos celte est fréquemment associé à une déesse qui lui ressemble. Elle est assise à ses côtés, dans une position rappelant sans équivoque Parvati partageant le trône de l'Univers avec Shiva. Les agamas, de même que la poésie de Shankara, mentionnent en effet que « sur le même trône que Shiva, la Grande Déesse partage un corps pour deux. »
« Le groupe [de divinités celtes] le plus caractéristique est peut-être le couple anonyme dont le culte eut pour centre le pays des Éduens. À l’époque gallo-romaine, ce couple est représenté de la façon suivante : le dieu ordinairement barbu, revêtu de la saie gauloise, porte de la main droite un vase et tient de la main gauche un maillet à long manche ; ses traits expriment la gravité, mais aussi la bienveillance ; il est assis, comme sa compagne, sur un banc à dossier. La déesse drapée tient fréquemment une patère chargée de fruits et une corne d'abondance. Les attributs invitent à considérer ces images comme celles de divinités bienfaisantes. Les dimensions réduites des monuments, les lieux de trouvaille prouvent d'autre part que ces divinités étaient l'objet d'un culte privé. Sous les traits humanisés par la plastique gallo-romaine, se cachent de très anciennes divinités. Dans la déesse il est permis de reconnaître la Terre-Mère, c'est-à-dire la vieille divinité des temps préhistoriques, dont les premières images apparaissent dans les grottes de la vallée du Petit-Morin. Son compagnon ne peut être qu'un Dieu-Père, peut-être celui dont les Gaulois, au rapport de César, se disaient issus. » É. Thevenot. Histoire des Gaulois.
Cernunna partage avec son compagnon les symboles cervidés (ou bovins) et le torque ; elle possède les mêmes attributs que lui, tout comme Shiva et Parvati possèdent les mêmes attributs : fertilité, agriculture, mais aussi colère, avec leur némésis Rudra et Kali. Selon la doctrine non dualiste, Shiva est Shakti. C'est là le sens du mythe de Kali foulant du pied Shiva : Kali est Shiva, en heurtant Shiva, elle se blesse elle-même.
À part le chaudron de Gundestrup, il existe une certaine variété dans les représentations de celui que nous nommons Cernunnos. Il en va de même pour Shiva, une entité transformiste, capable d'adopter des formes aussi différentes qu'une pierre (Lingam) qu'un bœuf (Nandi) ou qu'un monstre tout-puissant (Bhairava).
Ainsi, Cernunnos peut être :
- « Cernunnos Pashupati ». Il est assis en tailleur, coiffé de bois de cerfs et entouré d’animaux dont il est le maître. Dans cette position dite « yogique », Cernunnos porte dans ses mains un objet, qui peut être un nouveau-né ou une corne d'abondance (les sculptures sont en trop mauvais état pour avancer avec certitude ce qu'elles représentent).
- « Cernunnos adolescent ». Cette divinité rappelle Skanda, le fils de Shiva, le dieu des combats et de la force virile mais innocente, l'image de la toute-puissance de la justice. Le père et le fils sont deux figures à considérer ensemble comme deux faces d'une même divinité (sur le modèle, par exemple de Ahura-Mazda et Mithra, ou de Shiva et Skanda).
- « Cernunnos dispensateur des bienfaits » porte un chaudron, un sac ou un bol.
- « Cernunnos tricéphale ». La tricéphalie signifie non seulement l’omniscience, mais aussi la toute-puissance du savoir. De nos jours, Shiva n'est plus représenté à trois têtes. C'est plutôt Brahma qui, depuis l’époque brahmanique, porte les trois têtes. Or, dans les représentations les plus anciennes, Rudra est tricéphale et non Brahma. Ce Cernunnos est la preuve la plus éclatante que cette divinité celte est relié d'une manière indéniable au Shiva indien.
- « Cernunnos vieillard ». Il semblerait que les Celtes donnaient une apparence de vieillard à leurs divinités (Lucien), une apparence qu'auraient imité les druides à longues barbes (un point commun avec les dévots de Shiva, qui se laissent pousser barbes et cheveux). Mais cette apparence de vieillard n'implique pas l'incontinence. Ogmios, le Hercule gaulois, est lui aussi un vieillard, mais il n'en demeure pas moins le maître des hommes.
- « Cernunnos aux cornes de bouc » : ce Cernunnos évoque le Dionysos cornu.
En considérant chacune de ces caractéristiques, qui se retrouvent en Inde associées à Rudra-Shiva, aucun doute n'est possible : Cernunnos et Shiva sont bien deux versions d'une seule et même divinité ancestrale.
Les avatars de Cernunnos
On distingue dans la mythologie celte deux univers chronologiques successifs. Il y a d'abord une mythologie polythéiste. Chacune des tribus celtes adorait un dieu tutélaire qui, tout en présentant des variations certaines, désignait toujours la même divinité de la fertilité ou de la foudre. Cette période théologique nous est seulement connue par des statues, des artefacts mystérieux et des récits gréco-romains. La seconde couche mythologique concerne les épopées celtiques rédigées par les moines chrétiens qui en firent les chroniques. De même que les épopées hindoues s'inspiraient largement de la culture jaïne locale, les épopées celtes s’inspireront largement de la symbologie et des mythes chrétiens, lesquels furent importés par la colonisation romaine. Ainsi, dans le cycle du roi Arthur ou le Mabinogion (v. 1100 à 1500), le célèbre corpus d'épopées irlandaises, nous retrouvons à parts égales le celtisme initial et le décorum abrahamique (Graal, Christ, ...)
Dieu-cerf, Cernunnos est associé à de nombreux personnages sombres et chthoniens. En tant que dieu de la fertilité, Cernunnos est aussi le dieu des mondes souterrains. Et en tant que dieu du renouveau, il est donc aussi celui de la mort.
Dans le Mabinogion , il apparaît sous la forme d'un chevalier noir vivant à côté d'une fontaine et entouré de nombreux animaux. Cette retraite forestière évoque le paradis originel tout autant que les rishis indiens qui vivaient en ascètes dans leur ashram isolé et qui vouaient le restant de leur vie à Shiva (par ailleurs, Shiva, divinité liée aux sources, porte le Gange dans sa chevelure).
Dans un récit du Mabinogion, le héros Kynon se rend auprès du chevalier noir pour consulter un oracle. Afin que celui-ci soit rendu, le chevalier noir sacrifie un cerf qui passait non loin de là. En tombant au sol, la tête du cerf indique la direction vers laquelle Kynon doit se rendre pour continuer sa quête.
Le chevalier noir correspond en tout point au canon shivaïte : il est une sorte de devin qui vit loin des hommes et qui possède le pouvoir d’interpréter les signes occultes, étant lui-même le seigneur des animaux, celui qui décide de leur survie ou de leur sacrifice. Kynon le consulte de la même manière que dans le Mahabharata et le Ramayana, les guerriers ascètes se rendent au Kailash pour consulter Shiva et apprendre de lui le maniement de l'arme cosmique.
En Irlande, dans le Livre de Lebor Gabala (v. 700), on retrouve un personnage à bois de cerf. Il s'agit de Némed, dont le nom signifie « le Saint ». Il est le roi du peuple des hommes à bois de cerf. Sa compagne est la déesse-mère dont l'avatar est la terre d’Irlande. Némed est à la tête du troisième peuple à avoir conquis l'île irlandaise, mais il perdra sa souveraineté face aux titans formoires venus de la mer, qui lui raviront sa femme, donc son royaume.
Dans un autre mabinogi, se trouve Pwyll, le chasseur devenu maître des enfers le temps d'une saison. Pwyll, une nuit de chasse, alors qu'il est perdu dans les bois, va rencontrer un chevalier vêtu de gris à la tête d'une meute de chiens : Arawen. C'est alors que les deux chasseurs se disputent un cerf tout juste tué d'une flèche, le mystérieux Arawen revendiquant la proie du sacrifice. Arawen se révèle être le seigneur de la mort, le roi du monde céleste de l'Arawen, aussi appelé le Sindh, le domaine paradisiaque du printemps éternel, qui est la destination des sages après leur mort.
Nous retrouvons là une situation classiquement indienne. Innombrables sont les contes et les fables indiennes qui mettent en scène un roi qui, en chassant, dérange la méditation d'un rishi. En Inde, les fils de Sagara furent réduits en cendre, Harishchandra fut maudit jusqu’à sa mort, et Krishna lui-même trouve la mort alors qu'un chasseur l'avait transpercé d'une flèche réservée à un cerf.
Le roi de la mort à la tête d'une meute de chiens est un thème fréquent du folklore gallois. Au solstice d'hiver, on célébrait l'arrivée depuis les enfers d'une meute de chiens menée par un cavalier noir. Ce cavalier s'unissait à la déesse du printemps, puis mourait au cœur de l'été.
Citons encore le chasseur de l'Herne, qui donnera naissance au mythe de la chasse sauvage. Le chasseur de l'Herne est associé à la forêt de Windsor. Portant des bois de cerf, il tourmente le bétail la nuit en secouant ses chaînes. La première mention du mythe du cavalier de l'Herne se trouve dans l’œuvre de William Shakespeare, dans sa pièce de 1597, Les Joyeuses Commères de Windsor. « Herne », « horn » en anglais, est une variation locale du « cernu » gaulois, signifiant « corne » en français.
Présente à travers le monde celte, la légende du cavalier nocturne et de la chasse sauvage est connue en Savoie, sous le nom de « Cavalerie de Pilate », « armée du roi Hérode » ou encore « Haute Chasse » (cf. J. Ph. Buord, Les Mystères de la Haute-Savoie).
Dans Le Folklore wallon, Eugène Monseur rapporte une légende populaire que nous pouvons sans aucun doute rapprocher de celle du chasseur de l'Herne et des autres avatars de Cernunnos. Le chasseur sauvage (li sâvatch tchèsseu) est un récit collecté dans la commune de Vresse-sur-Semois, dans la région de Namur.
« À Bohan (Semois), on parlait, il y a vingt ans, d’un seigneur du siècle dernier qui fut en procès avec les habitants pour des bois communaux et l’on racontait qu’en expiation de ses rapines, il revint chasser dans la forêt de la Fargne jusqu’au jour où celle-ci fut abattue. On citait même des gens qui l’avaient vu. Un jour, un habitant de Sugny s’attarda au cabaret, à Bohan, disant qu’il n’avait pas peur du revenant et que, s’il le rencontrait, il le ramènerait chez lui boire le petit verre. Lorsque, vers onze heures, il entra dans la forêt de la Fargne, il entendit le son d’un cor, puis des aboiements de chiens qui s’approchaient. Il prit peur et se jeta la face contre terre. Il vit alors des centaines de chiens arriver sur lui, suivis de chasseurs montés sur des chevaux, dont les naseaux lançaient des flammes, et au milieu du groupe était le seigneur de Bohan, la figure comme celle d’un cadavre et du feu sortant de ses orbites. Pendant une heure, cette partie de la forêt fut parcourue dans tous les sens et le malheureux, que la terreur clouait à terre, dut attendre que la chasse se fût éloignée. Il arriva chez lui meurtri et malade de frayeur et y resta plusieurs semaines entre la vie et la mort. Quand il put enfin se lever, ses cheveux étaient devenus blancs comme neige. (J. Pimpurniaux Guide du voyageur en Ardenne, dont nous résumons et élaguons le récit). À Grivegnée, on croyait, il y a environ quarante ans, qu’il apparaissait un chasseur fantastique dans des bois qui sont aujourd’hui la propriété de M. de la Rousselière. Il passait, emporté dans un furieux galop, accompagné de deux chiens qu’il appelait d’une voix bien distincte Tah et Pouha. »
Deux saints bretons : Théleau et Édern
Durant la première moitié du premier millénaire de notre ère, Cernunnos incarna les dernières résistances culturelles des Celtes, devenant le dieu tutélaire de ceux qui ne voulaient pas adopter la doctrine des envahisseurs germains ou romains.
Assimilé au diable des traditions abrahamiques, le Cornu fut pourfendu par le clergé. De divinité généreuse et chthonienne, Cernunnos devint en quelques générations le diable cornu que l'on connaît aujourd’hui. La référence au cerf, donc à l'immortalité de ses bois, fut remplacée par une tête de bouc, un animal sacrificiel voué à l'immolation. Ceux qui s’adonnaient encore à son culte furent qualifiés de sorciers et sorcières.
Suite à la christianisation de la Gaule, des divinités celtes furent incorporées à la mythologie judéo-catholique, comme si les Bretons avaient souhaité introduire dans leur nouveau culte des références autochtones. Il existe ainsi de très nombreuses légendes de saints non reconnues par l'Église romaine, ni documentées, et dont l'origine pourrait être païenne.
Mentionnons à propos Saint Théleau et Saint Édern. Leurs lgendes les présentent comme originaires des îles britanniques, mais rien ne nous le certifie. Rien ne nous prouve non plus que ces personnages soient historiques et pas simplement mythologiques.
Saint Théleau (485 - 560) est né gallois. Fuyant la peste qui dévastait son pays, il s'installe de l'autre côté de la Manche, près de Dol. Il demeura sept ans en Bretagne, fonda un monastère, puis repartit au Pays de Galles pour y fonder un autre monastère. Dans ce dernier lieu, reposent ses restes, devenus reliques. Le crâne de Saint Théleau est encore utilisé de nos jours lors des cérémonies qui le lient à une fontaine de guérison. L'utilisation d'un crâne pour recevoir les offrandes et boire est une pratique courante des sadhus indiens shivaïtes, en particulier ceux des traditions nagas, naths et aghoris.
« Un souffle nouveau a passé sur la société chrétienne quand les pratiques de l'ascétisme solitaire ou en commun ont commencé à être connues et à se répandre. La vie solitaire, à l'écart de ses semblables, a été pratiquée par d'autres doctrines religieuses que le christianisme. Elle a même été préconisée par plus d'un philosophe. Elle répond à un besoin de certaines natures qui sentent qu'on ne peut arriver à une pleine connaissance de soi-même qu'en s'isolant. Elle satisfait aussi chez d'autres des instincts de misanthropie, au sens pathologique du terme. Le goût, le besoin de la solitude conduit nécessairement à l'ascèse, le solitaire se trouvant obligé de réduire ses besoins vitaux au minimum. L'ascèse peut aussi avoir sa source dans la richesse même. Les sujétions qu'elle entraîne peuvent être ressenties soudain comme un fardeau pesant qu'on rejette d'un coup. L'ascèse ne peut, en pratique, se produire que dans la solitude. Ascétisme et monachisme sont donc, en fait, inséparables. » F. Lot, La Gaule.
Saint Édern est un autre saint gallois, que certaines légendes présentent comme un membre de la cour du roi Arthur. Comme Saint Théleau, il est aussi représenté chevauchant un cerf.
Comme Arawen, c'est un homme des bois qui vit et chevauche durant la nuit. D'origine guerrière (kshatriya en sanskrit), il entre dans les ordres à la suite d'une révélation (Moksha en sanskrit). Après avoir déjà fondé deux ermitages (terme que l'on traduirait par ashram en sanskrit), il se serait installé en Bretagne vers 894. Il y aurait bâti la paroisse de Plouédern, près de Quimper, ainsi que l'ermitage de Lannédern (Édern).
Il y recueillit un cerf traqué par des chasseurs, qui devint son meilleur ami. L’animal s'était réfugié sous sa robe, à la manière des animaux attirés par une force irrésistible vers le Pashupati de la vallée de l'Indus ou vers le Cernunnos du Chaudron de Gundestrup.
C'est donc vers Saint Édern que les vaches, les cerfs mais aussi les hommes se tournent pour échapper à la mort du corps, dans un espoir de connaître l'immortalité de l'âme, le bonheur « sans commencement ni fin. »
En bon ascète, Saint Édern vivait donc seul et ne possédait qu'une cabane et une vache. Sa légende le montre très inspiré par Dieu, et sa seule présence suffit à évangéliser la population alentour. Une légende raconte que la vache de Saint Édern s'en était allée paître sur les terres du châtelain voisin. Celui-ci, jaloux et méchant, avait ordonné que soient lâchés les chiens sur la pauvre bête égarée. Saint Édern aurait alors rendu la vie à la bête. Depuis, là où la vache de Saint Édern paissait, l'herbe était plus verte et la terre plus fertile.
Un tel mythe rappelle les vertus que les Aryens attribuent à l'urine de vache. De nos jours encore, l'urine de vache est considérée par certains hindous comme contenant d'infimes particules d'or. Produite par le plus sacré des animaux, l'urine de vache est préconisée pour de nombreux remèdes ayurvédiques.
La légende de Saint Édern nous le présente en conflit avec sa sœur Jenovefa (forme archaïque de Geneviève ou Jennifer). Édern et Jenovefa voulaient bâtir pour chacun d'eux une église et former autour d'elle une paroisse. Pour décider du territoire qui délimiterait les paroisses de chacune des églises, il fut convenu qu'il reviendrait à Saint Édern tout le domaine qu'il pourrait parcourir en une nuit.
Par chance, Saint Édern rencontra cette nuit-là un cerf, qui lui permit de monter sur son dos et ensemble ils parcoururent une grande distance jusqu’au lever du jour. Sa sœur, voyant qu'il avait déjà parcouru tant de distance et que la nuit était encore loin d'être terminée, empoigna un coq par le cou et plongea la volaille dans l'eau. Celle-ci commença alors à chanter, et mis donc fin à la course nocturne de son frère.
Saint Édern fut mauvais perdant. Constatant que sa sœur avait triché, il la maudit. Celle-ci le maudit en retour. C'est ainsi que l'église d'Édern n'eut jamais de haut clocher, tandis que celle de Loqueffret aurait des cloches fêlées. La brouille entre les deux fut en tout cas définitive, ce qui permit à Saint Édern de s'éloigner de sa sœur et de ne pas rompre son vœu d'ermite. Saint Édern serait alors retourné au Pays de Galles et y aurait fondé un dernier ermitage en Cumbrie.
Une telle coutume rappelle l'ashvaméda des Aryens, « le grand sacrifice royal du cheval ». Il permettait à un roi de délimiter son royaume en y laissant un cheval s'y promener. Ce sacrifice durait une année complète.
Mentionnons aussi la méthode de divination par l'errance du cheval royal, pratique que Tacite rencontra en Germanie :
Un usage qui est particulier aux Germains, c’est de demander même aux chevaux des présages et des révélations. L’État nourrit, dans les bocages et les forêts, des chevaux blancs que n’avilit jamais aucun travail profane. On les attelle au char sacré, et le prêtre, avec le roi ou le chef de la cité, les accompagne en observant leurs hennissements et le bruit de leurs naseaux. Il n’est pas d’augure plus décisif, non seulement pour le peuple, mais pour les grands, mais pour les prêtres, qui croient que ces animaux sont les confidents des dieux, dont eux ne sont que les ministres.
Consacrée à Saint Édern, l'église de Lannédern est dotée d'un ossuaire comportant des masques macabres. Ces masques sont rares dans l'art chrétien, pour qui la représentation du diable est taboue. Ils relient sans équivoque le mythe de Saint Édern à celui d'Arawen, le chevalier des enfers, maître des mondes souterrains, lui aussi avatar de Cernunnos. Dans l'imagerie païenne, les figures effrayantes ou violentes ne sont pas malines ou méchantes, mais symbolisent plutôt des concepts violents, comme la mort, la vie, la copulation et la violence des éléments (pluie, eau, source, étoiles, soleil, feu, etc.). Il n'est donc pas étonnant de trouver Saint Édern, figure généreuse et douce, entouré de symboles macabres.
Sucellos, le dieu au marteau
Sucellos, le dieu au maillet, au bol et au chaudron, est une divinité gauloise associée à Cernunnos. Sucellos est le dieu au maillet, de même que Shiva est le dieu au trident et Vishnou le dieu à la massue. Ces armes détruisent les idées néfastes, les sortilèges ou l'illusion. Avec Nantosuelta, ils composent un couple divin similaire à celui de Cernunnos-Cernunna.
Sucellos est accompagné d'un chien, animal sacré des civilisations indo-européennes, comme en témoigne le grand respect que les Perses avaient à son égard. Alors qu'il met à mort le taureau de vie, Mithra est accompagné d'un chien qui jappe de joie à ses côtés. Yama, le seigneur de la mort védique est accompagné d'un chien, qu'il lance sur terre afin qu'il lui ramène ceux dont l’heure de la mort a sonné. Quant à l'Hadès grec, il est gardé par Cerbère, un chien tricéphale.
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