5 Août 2024
Extrait de Jacques-Antoine Dulaure, Les Divinités génératrices, 1805.
Les anciens, pour représenter, par un objet physique, la force régénératrice du soleil au printemps, et l’action de cette force sur tous les êtres de la nature, adoptèrent le simulacre de la masculinité, que les Grecs nommaient Phallus.
Ce simulacre, quoiqu’il paraisse indécent à la plupart des modernes, ne l’était point dans l’antiquité ; sa vue ne réveillait aucune idée obscène : on la vénérait, au contraire, comme un des objets les plus sacrés du culte. Il faut l’avouer : malgré nos préventions, il serait difficile d’imaginer une signe qui fût plus simple, plus énergique, et qui exprimât mieux la chose signifiée. Cette convenance parfaite assura son succès, et lui obtint un assentiment presque général.
Le culte du simulacre de la masculinité se répandit sur une grande partie du globe. Il a fleuri longtemps en Egypte, en Syrie, en Perse, dans l’Asie Mineure, en Grèce, en Italie, etc. Il était et il est encore en vigueur dans l’Inde et dans quelques parties de l’Afrique. Il s’est même propagé jusqu’en Amérique. Lorsque les Espagnols firent la découverte de cette partie du monde, ils trouvèrent ce culte établi chez les Mexicains. Ce qui surprendra davantage, il s’est conservé presque jusqu’à nos jours chez les chrétiens de l’Europe. Au seizième siècle, il existait en France on en retrouve encore aujourd’hui des traces dans quelques parties de l’Italie.
Un culte qui nous paraît si étrange, un culte si universellement répandu malgré l’indécence actuelle de son objet, mérite bien qu’on s’en occupe, qu’on recherche son origine, ses causes, son état chez différents peuples, les variations qu’il y a éprouvées, son influence sur les mœurs, ses abus. L’histoire de l’homme se compose en grande partie de ses erreurs, de sa folie, de ses crimes ; et c’est même du tableau exact qu’elle en offre, que ressortent ses plus efficaces leçons. Si les écrivains anciens et modernes ont peint sans rougir la fureur des passions qui divisent, désolent, anéantissent les sociétés, pourquoi la raison s’opposerait-elle à ce qu’on parlât d’une institution qui, ayant un objet tout contraire, devait produire des résultats moins funestes, dont la connaissance peut fournir de nouvelles lumières à l’histoire de l’esprit humain, et dont l’exposition fidèle, mais présentée avec les ménagements qu’exige la délicatesse de notre langue pudibonde, doit faire ressortir aussi sa leçon morale ? On peut donc, sans rougir, rechercher l’origine, faire l’histoire et blâmer les abus d’un culte dont l’objet primitif tendait, non à rompre, mais à fortifier le lien des sociétés, à les conserver, à les accroître.
Des écrivains anciens et modernes ont parlé du Phallus, sans rien dire de l’origine de son culte. Quelques-uns de ces derniers, plus zélés moralistes qu’habiles dans l’art de scruter l’antiquité, en s’épargnant beaucoup de recherches et de méditations, ont tout simplement attribué cette origine à la corruption et au libertinage de certains peuples.
Quand même je n’aurais pas réuni des preuves contraires à cette opinion, la raison me la ferait rejeter. Jamais les institutions religieuses n’ont eu, dans leur commencement, la dépravation des mœurs pour motif. II faut donc chercher ailleurs cette origine.
Je crois l’avoir trouvée dans le culte des astres, ou la religion du sabéisme : ainsi, on peut dire que le Phallus est d’origine céleste.
Pour établir cette origine, je dois remonter aux époques où la religion astronomique commença à faire de grands progrès.
Il y a environ quatre mille cinq cents ans que le soleil, par l’effet d’un troisième mouvement de la terre, d’où résulte la précession des équinoxes, aborda à l’équinoxe du printemps, dans le signe du zodiaque appelé le Taureau.
Le signe de la constellation céleste qui portait ce nom, représenté sur les zodiaques artificiels, fut considéré comme le symbole du soleil printanier, du soleil régénérateur de la nature.
L’équinoxe du printemps est l’époque la plus aimable, la plus attrayante de l’année ; nulle autre ne procure des émotions plus vives et plus douces : triomphant des frimas et des longues nuits, le soleil, plus élevé sur l’horizon, prolonge la durée des jours, répand sur la terre sa chaleur fécondante, en pénètre les végétaux, les animaux, ressuscite la nature, et sème partout la vie, la verdure, l’espérance, les fleurs et les amours.
Cette époque si intéressante, et les bienfaits nombreux du soleil printanier, furent vivement sentis par tous les peuples admirateurs de cet astre. Aussi la célébrèrent-ils par des fêtes joyeuses, renouvelées à chaque retour du printemps. Les prêtres de ce culte instituèrent cette solennité, et la revêtirent du prestige imposant de la religion ; et, malgré la différence des climats, des peuples, malgré les altérations nombreuses qu’a éprouvé le culte antique des astres, malgré les ravages des siècles, les fêtes printanières se sont maintenues jusqu’à nos jours.
La reconnaissance populaire, et les hommages rendus au dieu du jour, au soleil ramenant le printemps, se dirigèrent naturellement vers un objet plus à la portée des sens, vers le signe du zodiaque qui en était le symbole, vers le signe du Taureau qui, participant en quelque sorte à l’action du soleil régénérateur, fut à cet égard identifié à cet astre : on lui en attribua les vertus, la puissance, les bienfaits ; on lui en décerna les honneurs. Ce signe balança l’objet signifié, devint un dieu, et des représentations du taureau céleste furent adorées.
L’enthousiasme religieux pour ce signe de l’équinoxe du printemps se porta plus loin encore ; on adora non seulement les représentations du taureau zodiacal, mais un taureau vivant obtint ensuite les honneurs divins. Telle est la marche de l’esprit humain ; une fois engagé dans la carrière de l’erreur et des superstitions, il s’y avance et ne rétrograde jamais : une erreur admise appelle alors une autre erreur à son secours.
C’est ainsi que le taureau, signe tracé, peint ou sculpté sur les zodiaques artificiels, fut identifié au soleil du printemps, devint taureau-soleil, et, métamorphosé én taureau vivant, fut adoré comme un dieu. Je dirai sous quels noms il fut adoré, l’espèce de culte qu’on lui rendait, et je rapporterai les témoignages des écrivains de l’antiquité, qui constatent que du signe zodiacal du taureau, sont dérivés les taureaux, vaches ou bœufs adorés par les partisans du culte des astres, et notamment par les Egyptiens. Dans la même division du zodiaque où se trouve le taureau, est, tout près de ce dernier,
une autre constellation appelée le Cocher céleste ou le Chevrier. Elle est aujourd’hui représentée par un homme à pieds de bouc, portant la chèvre et les chevreaux. Ce signe n’était à son origine qu’une figure de bouc.
Les mêmes causes qui élevèrent le signe du Taureau au rang des dieux, procurèrent un pareil honneur au signe du Bouc. Ces deux signes indiquaient également le retour du printemps : ils eurent le même sort, portèrent le même nom ; mais ils furent adorés dans des villes différentes. Ainsi, le soleil printanier eut pour emblème deux animaux vivants. Le bouc sacré était adoré sous le nom de Pan à Mendès, ville qui, ainsi que le Nome mendésien, doit son nom à cette divinité animale ; car Mendès signifie bouc. « Le bouc ou le dieu Pan, dit Hérodote, s’appelle Mendès en égyptien[2]. » Il en est de même de la ville de Thmuis ou Chemnis, où le culte du bouc fut en vigueur. Saint Jérôme nous apprend que ce mot signifie bouc. L’Arcadie, et même l’Italie, mirent ce bouc au rang des grands dieux, et le nommèrent Pan. Le taureau et le bouc sacrés portaient souvent le même nom : cette conformité nouvelle est attestée par Plutarque, qui dit formellement que les Egyptiens donnaient au bouc de Mendès le nom d’Apis.
Il est certain que ces deux animaux vivants, le bouc-dieu et le taureau-dieu, avaient une même extraction et descendaient de la même division zodiacale où leurs signes étaient réunis.
Jamblique dit que le système des anciens était de représenter le soleil sous les formes des animaux qui occupent les signes du zodiaque.
Lucien, dans son traité sur l’astrologie, s’explique avec plus de précision : il dit, en parlant du taureau Apis, objet de la vénération des Egyptiens, que s’ils adorent cet animal, c’est pour honorer le taureau céleste ou le taureau du zodiaque ; et il ajoute que le culte d’Ammon, dieu à tête de bélier, doit son origine au bélier céleste et à la connaissance de ce signe du zodiaques.
Ainsi, les animaux adorés en Egypte étaient les emblèmes vivants des animaux figurés dans le zodiaque.
C’est de ces deux animaux adorés qui ont tant de rapports, de ces deux divinités de la même fabrique : c’est du taureau sacré appelé Apis, et du bouc sacré appelé également Apis, qu’est dérivé le culte du Phallus, qu’on a aussi appelé Priape. C’est le simulacre de leurs parties génitales, et non de celles de l’homme, comme on l’a cru généralement, qui est devenu un objet de culte.
Je trouve de grands rapports entre le nom Apis, donné à ces deux animaux sacrés, et le nom de Priape ou Priapis, qu’a porté le Phallus isolé ou adhérent à un hermès.
Apis, suivant les plus habiles étymologistes, signifie haut, élevé, puissant, ou ce mot est le même qu’ab, apis, dont on a fait ap, apis qui, dans les langues orientales, exprime père, chef, maître. Dans l’un et l’autre cas, Αpis serait une qualification honorable donnée au soleil.
Quant à la syllabe pri ou pré, elle signifie dans les mêmes langues, principe, production, source première ; ainsi le mot Prίape, Priapis, pourrait être traduit par principe de reproduction ou de fécondation d’Apis.
Cette étymologie, que me fournit le savant Court de Gebelin, quoiqu’elle soit très vraisemblable et conforme au génie des langues orientales, serait une faible preuve, si elle n’était fortifiée par plusieurs autres plus décisives.
Il est prouvé, par un grand nombre de monuments antiques, que c’était un usage adopté de rendre un culte aux parties séparées d’un animal sacré, d’en former des simulacres, de les adorer isolément, ou de les appliquer à des troncs d’arbres, à des colonnes ou pierres de bornes, appelés chez les Grecs hermès, ou bien, lorsque les figures humaines furent introduites dans la religion, de leur adjoindre différentes parties de ces animaux sacrés.
C’est ainsi que le Jupiter Ammon eut les cornes du bélier, que Pan eut les jambes et les pieds du bouc, et quelquefois ses oreilles et ses cornes ; c’est ainsi que Bacchus, dieu-soleil, fut souvent représenté avec la tête du taureau céleste, ou seulement avec ses cornes, et quelquefois avec ses pieds. C’est pourquoi ce dieu était souvent nommé, par les Grecs et par les Romains, Bacchus Tauricorne ou Tauriforme. Ces figures étaient monstrueuses ; mais cette monstruosité avait un motif mystérieux, et sans elle, l’idole n’aurait signifié qu’un homme.
Les anciens étaient persuadés que ces parties, ajoutées à un tronc d’arbre, à une pierre limitante, à un hermès, à une figure humaine, non seulement donnaient un caractère divin à ces différents objets, mais encore leur communiquaient une vertu sublime, une influence semblable à celle que l’on attribuait à l’animal sacré dont elles étaient un extrait, et à la constellation et à l’astre dont elles étaient l’emblème.
Les cornes furent prises pour le symbole de la force active du soleil ; aussi les dieux-soleil, tels que Bacchus, Harpocrates, et Achéloüs, son fils, étaient-ils représentés avec le front décoré des cornes du taureau ; ou bien on se bornait à mettre dans la main de ce dernier une corne de cet animal qui indiquait son extraction du taureau céleste ; corne dont les poètes et les sculpteurs, se conformant à l’idée de fécondité et de force attachée à cet attribut du soleil régénérateur, firent la corne d’abondance. Par suite de ce principe, et pour donner un caractère de force et de domination aux objets qu’ils représentaient, ils placèrent des cornes sur le front de plusieurs divinités, sur celui des fleuves, des demi-dieux, et même des héros de l’antiquité.
D’après ces exemples, il ne doit pas sembler étrange de voir les parties sexuelles du taureau et du bouc sacrés obtenir les mêmes honneurs que leurs pieds, leur tête ou leurs cornes, puisque ces parties exprimaient d’une manière particulière et très énergique, à l’esprit et aux yeux, la force régénératrice, la source de fécondité attribuée au soleil du printemps et à ces animaux qui en étaient les emblèmes.
Un autre fait ajoute un nouveau degré de vraisemblance à mon opinion ; c’est l’importance qu’attachaient les prêtres égyptiens à la partie génitale du taureau Apis.
Lorsque cet animal-dieu était mort, les prêtres lui choisissaient, avec beaucoup de soins et de cérémonies, un digne successeur. Parmi les caractères qui devaient, aux yeux du peuple, signaler sa divinité, le volume de la partie sexuelle du nouvel élu était très recommandé. Porphyre dit que le taureau choisi pour remplir le rôle de dieu à Héliopolis, avait les parties de la génération d’un volume extraordinaire, afin de mieux désigner la force générative que le soleil exerce sur la nature par sa chaleur, dont le propre est de développer la faculté fécondante. Ammien Marcellin dit aussi que le taureau adoré à Memphis avait des signes évidents de sa faculté générative.
Le Phallus, dans son origine, était isolé et n’adhérait point à un corps humain. Cette adhésion n’eut lieu que longtemps après, lorsque le culte des figures humaines eut fait des progrès. Il paraît même qu’à l’époque où les Grecs reçurent des Egyptiens le Phallus, il n’adhérait à aucun corps, et que les Grecs, même du temps d’Hérodote, n’avaient point encore adopté cette réunion. Cet historien, en décrivant les cérémonies de ce culte, qu’on célébrait en Egypte, semble s’étonner de ce qu’on avait réuni au Phallus une petite figure humaine. « Ils ont inventé, dit-il, des figures humaines d’une coudée de haut, auxquelles est adjointe la partie génitale, presque aussi grande que le reste du corps. »
Je tire de ce fait une nouvelle preuve de mon opinion. Si le Phallus avait appartenu au corps humain, il y aurait adhéré dès l’origine de cette institution, et l’on voit qu’il y eut un temps en Egypte où il était absolument isolé, et que les Grecs, qui tenaient ce culte des Egyptiens, avaient maintenu son isolement.
Le récit d’Hérodote prouve que le Phallus réuni à une figure humaine, était d’une grandeur disproportionnée à cette figure. Il connaît la cause mystérieuse de cette disproportion ; mais, par un motif de religion, il ne veut pas la publier. Après avoir dit que cette figure humaine d’une coudée de haut était munie d’un Phallus presque aussi grand que le reste du corps, et que des femmes en procession portaient plusieurs de ces figures dans les bourgs et villages, en faisant mouvoir le Phallus par le moyen d’une corde, il ajoute : « Mais pourquoi ces figures ont-elles le membre génital d’une grandeur si peu proportionnée ? et pourquoi ces femmes ne remuent-elles que cette partie ? On en donne une raison sainte ; mais je ne dois pas la rapporter. »
Cette réserve d’Hérodote annonce qu’il était initié aux mystères du Phallus ; qu’il en connaissait l’origine, mais qu’il ne pouvait la divulguer. Il paraît que la figure humaine à laquelle on adjoignait le Phallus était un accessoire fort indifférent, que les prêtres avaient imaginé pour donner le change et cacher aux yeux du vulgaire la véritable origine de ce culte.
La grandeur disproportionnée du Phallus annonce assez qu’il n’appartenait pas à la figure humaine à laquelle il adhérait. D’ailleurs, cette disproportion était un mystère ; et si le Phallus avait appartenu à la figure humaine, la chose eût été simple ; Héródote n’aurait pu y trouver rien de mystérieux.
Cette disproportion dont la cause était cachée, la convenance de la longueur de ce Phallus avec la partie sexuelle du taureau, sont de nouveaux traits de lumière qui, réunis aux lumières déjà produites, éclairent l’origine ténébreuse du Phallus et concourent à prouver que cet objet de culte était le simulacre de la partie génitale du taureau Apis.
Mais des preuves plus positives vont éloigner les moindres doutes qui pourraient s’élever contre cette vérité.
J’ai parlé de l’affinité qui se trouve entre la divinité taureau et la divinité bouc ; j’ai dit que l’une et l’autre ont la même origine, ont porté le même nom, et doivent leur extraction à la même division zodiacale qui marquait l’équinoxe du printemps ; que tous les deux sont les emblèmes adorés du soleil régénérateur et fécondant la nature. De l’identité des motifs de leur culte, il doit résulter des conséquences communes. Je pourrais donc conclure que l’origine bien constatée du Phallus-bouc fait établir suffisamment celle du Phallus-taureau. L’origine du premier est attestée par un historien grave et profondément instruit en mythologie, qui déclare, d’une manière précise, que le simulacre de la partie génitale du bouc a été adoré comme l’emblème de la nature qui donne naissance à tous les êtres. Voici le passage : « Le bouc, dit-il, à cause de son membre génital, mérita, chez les Egyptiens, d’être placé au rang des dieux, par la même raison que les Grecs rendent à Priape les honneurs divins. Cet animal étant fort enclin aux actes de Vénus, on jugea que le membre de son corps qui est l’instrument de la génération, méritait d’être adoré, parce que c’est par lui que la nature donne naissance à tous les êtres. »
Le même auteur ajoute immédiatement : « Enfin, ce n’est pas seulement les Egyptiens, mais un grand nombre d’autres peuples, qui rendent un culte au signe du sexe masculin, et l’emploient comme un objet sacré dans les cérémonies des mystères, parce que c’est d’eux que provient la génération des animaux. »
Ce membre adoré, cet instrument de la génération du bouc, ce signe du sexe masculin qui figurait dans les cérémonies des mystères d’un grand nombre de peuples, ne pouvaient pas être la partie vivante du bouc sacré, mais son simulacre oυ son image, et ces simulacres ou images étaient des Phallus ; donc, il y eut des Phallus qui furent les images de la partie génitale du bouc sacré, adoré à Mendès et à Chemnis.
Il est donc reconnu que ce ne sont point des hommes, mais deux animaux adorés qui ont fourni le modèle du Phallus et le type de son culte.
Cette vérité, jusqu’ici inconnue, acquerra dans la suite de cet ouvrage de nouveaux degrés d’évidence.
On attribua à ce simulacre isolé la même vertu qu’on attribuait au soleil printanier ; on attribua au signe la même influence sur toute la nature qu’avait l’objet signifié.
On crut, et cette opinion est émise par le philosophe Jamblique, que partout où se trouvaient placés des Phallus, ils amenaient l’abondance et la fécondité, et détournaient les accidents qui leur sont contraires. Cet emblème sacré reçut différents noms, suivant le langage des peuples où il fut adoré, suivant l’usage auquel on le destinait, et suivant l’objet auquel il fut appliqué et réuni. Appelé Phallus, Priape ou Priapis chez les Égyptiens, les Phéniciens, les Grecs, il porta aussi le nom de Tutunus, de Mutinus, de Fascinum chez les Romains ; il est nommé Lingam chez les Indiens. Mais quelles que soient sa dénomination et la différence. de son culte chez diverses nations, toujours les motifs de ce culte se rapportent à l’action fécondante du soleil du printemps ; le plus souvent, il se trouve réuni et même quelquefois confondu avec le culte de cet astre.
On verra que le Phallus a joué un rôle important dans l’histoire religieuse de l’antiquité, qu’il a donné naissance à différentes divinités, et qu’il a servi à caractériser plusieurs autres. De nombreux emplois de cet objet du culte ont fort embarrassé les mythographes qui, s’attachant toujours aux fables mythologiques, et cherchant la vérité dans le mensonge, n’ont donné à cet égard aucune explication satisfaisante et n’ont point dissipé le nuage qui cachait son origine.
Les fables mythologiques ne sont pas toutes des allégories, comme on le pense. Elles ne furent composées que longtemps après la naissance de l’idolâtrie, c’est-à-dire dans un temps où le motif originel des différents cultes était effacé de la mémoire des hommes. La forme des idoles des dieux, les emblèmes et les attributs qui les accompagnaient, servirent de texte à ces récits fabuleux. L’usage s’était établi de composer des légendes pour les hommes divinisés ; à cet exemple, les prêtres en composèrent pour les dieux du ciel. Dans ces légendes, ils s’attachèrent à rendre raison de la forme des idoles, de leurs emblèmes et de leurs attributs. Chaque peuple fit sa fable sur la même divinité. On verra que les différentes légendes composées pour donner au vulgaire le motif de l’adoration du Phallus et du Priape, ne renferment absolument aucun sens allégorique, si ce n’est celui qui exprime la naissance de son culte à Lampsaque.
Les Cimbres, les Teutons avaient leur bœuf sacré, sur lequel ils prononçaient leur serment ; les Scandinaves adoraient le thor ou taureau, dont l’idole existait à Upsal dans le temple du Soleil. Le taureau est adoré au Japon, à Méaco. Les rabbins parlent d’un bœuf gigantesque appelé Béhémoth, réservé pour le festin du Messie, etc.
Les vaches furent presque autant honorées que les taureaux. Io fut changée en vache par Jupiter, qui en devint amoureux. lphianasse fut également métamorphosée en vache par l’effet de la jalousie de ses sœurs. Les Hébreux sacrifiaient et faisaient brûler la vache rousse, dont les cendres, mélées avec de l’eau, servaient aux expiations. Chez les Indiens, les cendres de la bouse de vache sont également employées pour les expiations. Ces peuples ont pour précepte d’aimer les vaches et les brahmanes.
CHAPITRE II.
Du Culte des Taureaux et Boucs sacrés
[La vache sacrée en Inde :]
Les taureaux, adorés en Égypte sous différents noms, étaient, comme on l’a dit, l’image vivante du taureau céleste, figuré dans la division zodiacale où se trouvait l’équinoxe du printemps, et, par cette circonstance, ce signe du zodiaque était le symbole du soleil, qui, à cette époque de l’année, féconde la nature. On attribuait au taureau sacré, non seulement la faculté fécondante, mais le pouvoir de communiquer à l’espèce humaine cette même faculté.
Aussitôt qu’un des taureaux Apis était mort, les prêtres de Égypte s’empressaient de lui donner un successeur, qui devait, suivant l’opinion populaire, être né d’une vache fécondée par un rayon du soleil. Certaines taches de sa peau déterminaient son élection. Sa découverte changeait en allégresse le deuil où la mort de son prédécesseur avait plongé le peuple égyptien. Au lieu même où l’on avait trouvé le nouveau dieu, on lui construisait une étable magnifique, tournée du côté du soleil levant. Là, pendant quatre mois, il était abreuvé de lait ; ensuite, une troupe de prêtres le conduisait processionnellement au bord du Nil, l’embarquait sur un vaisseau richement décoré, et l’amenait à Nicopolis.
C’était dans cette dernière ville que les femmes avaient le droit de venir, pendant quarante jours, visiter le nouveau dieu. Suivant Diodore de Sicile, elles relevaient leurs vêtements, mettaient en évidence et semblaient offrir au taureau divin ce que la pudeur ordonne de cacher. Le but de ces femmes, dans cette ridicule cérémonie, était évidemment d’obtenir du taureau-dieu la fécondité.
Ce récit, conforme à l’histoire, m’offre des rapports nouveaux entre le taureau sacré et le Phallus ou Priape, et ajoute, aux preuves que j’ai déjà produites dans le chapitre précédent, une preuve nouvelle qui confirme l’origine du Phallus, et constate qu’il est le simulacre de la partie génitale du taureau divinisé. Si l’on abreuvait de lait cet animal, on offrait aussi du lait à Priape, et les libations qu’on faisait en son honneur étaient ordinairement de cette substance. Si les Égyptiennes, pour devenir fécondes, se montraient à nu devant le taureau, des femmes, pour le même motif, observaient cet usage devant l’idole de Priape, et faisaient quelquefois pis encore, comme on le verra dans la suite de cet ouvrage.
Le taureau Apis partait de Nicopolis sur un vaisseau dans lequel une chambre dorée lui était destinée ; on le débarquait à Memphis, où un temple magnifiquement bâti par le roi Psamnitichus lui servait d’étable. On célébrait sa naissance avec pompe, et on le promenait par la ville, accompagné d’une escorte de magistrats et précédé d’enfants qui chantaient des hymnes en son honneur.
Cette dernière cérémonie fut sans doute adoptée par plusieurs peuples l’usage de promener un veau gras orné de fleurs et de rubans, accompagné de musique, qui se pratiquait dans plusieurs villes de France, paraît en être une imitation.
Passons au culte du bouc, image vivante du bouc céleste ou du chevrier, qui se trouve dans la division zodiacale du taureau, et qui, comme lui, était le symbole du soleil printanier et de la vertu fécondante et régénératrice de cet astre. Les cultes de ces deux animaux sacrés ont tous les rapports qu’on doit attendre de leur origine commune.
« Les Mendésiens, dit Hérodote, ont beaucoup de vénération pour les boucs et les chèvres, et plus encore pour ceux-là que pour celles-ci, et c’est à cause de ces animaux qu’ils honorent ceux qui en prennent soin. Ils ont surtout en grande vénération un bouc qu’ils considèrent plus que tous les autres. Quand il vient à mourir, tout le Nome mendésien est en deuil.
Il ajoute qu’en langue égyptienne, mendès signifiait bouc et Pan, et prouve par conséquent l’identité de cet animal et de ce dieu.
Le deuil que causait la mort du bouc rappelle celui que manifestaient les Égyptiens à la mort de leur taureau Apis.
On offrait du lait à ce taureau ; on offrait de même au bouc ou à Pan, qui était son idole, ainsi qu’à Priape, qui était de la même famille, du lait et du miel.
Pan, dit la fable, accompagnait les dieux-soleil Osiris et Bacchus dans leur expédition de l’Inde. Priape suivit aussi Bacchus dans son voyage de l’Inde, et se prit de querelle en voyage avec l’âne de Silène, que montait ce dieu.
Le bouc sacré avait avec Priape d’autres conformités. Les Grecs, sous les noms de Pan, de Faune, de Sylvain, de Satyre, etc., adoraient des divinités champêtres dont les figures représentaient à la fois les formes du bouc et l’attribut le plus caractéristique de Priape. Elles avaient les cornes, quelquefois les oreilles et toujours les cuisses, les jambes et les pieds de cet animal, et en même temps le Phallus, dans un état d’énergie. « On leur a érigé des temples, dit Diodore de Sicile, en parlant de ces divinités à cornes et à pieds de bouc ; elles y sont représentées dans un état d’énergie et de lubricité, afin qu’elles parussent imiter le naturel lascif du bouc. » Voilà pourquoi Priape a souvent les formes du bouc ; voilà pourquoi on le confond souvent avec les dieux Pan, Sylvain et Satyre, qui ont la même origine que lui.
Les femmes se découvraient fort indécemment devant le taureau Apis ; elles faisaient la même chose devant le bouc de Mendès ou de Chemnis, et poussaient beaucoup plus loin leur étrange dévotion.
Dans l’intention, sans doute, de détruire le charme prétendu qui les maintenait dans un état de stérilité, elles s’offraient au bouc sacré, et se livraient à son ardeur brutale.
« Rien de si certain, dit le traducteur d’Hérodote, que l’infâme coutume d’enfermer des femmes avec le bouc de Mendès. La même chose se pratiquait à Chemnis (ville du Delta). Mille auteurs en ont parlé. »
Des vers du poète Pindare, cités par Strabon, un passage de Clément d’Alexandrie, et plusieurs autres écrivains de l’antiquité attestent l’existence de cette pratique religieuse et révoltante[6] .
« Il arriva, pendant que j’étais en Égypte, dit Hérodote, une chose étonnante dans le Nome mendésien : un bouc eut publiquement commerce avec une femme, et cette aventure fut connue de tout le monde. »
Cette union monstrueuse n’avait pas lieu toutes les fois qu’elle était sollicitée ; et ici, l’instinct grossier d’un animal se montrait supérieur à l’esprit humain dégradé par la religion.
« Il ne faut pas s’étonner, fait dire Plutarque à un interlocuteur, si le bouc de Mendès en Égypte, enfermé avec plusieurs belles femmes, ne témoigne aucun désir pour elles, et ne s’enflamme que pour des chèvres. »
Il existe encore à Chemnis quelques traces de cette dégoûtante prostitution. « On y voit, dit Vivant Denon, un édifice enfoui jusqu’au comble. C’est sans doute le temple dédié au dieu Pan, autrefois consacré à la prostitution. On y rencontre aujourd’hui, comme à Métabis, nombre d’almès et de femmes publiques, sinon protégées, au moins reconnues et tolérées par le gouvernement. On m’a assuré que, toutes les semaines, elles se rassemblaient à un jour fixe dans une mosquée près du tombeau du cheikh Haridi, et que, mêlant le sacré au profane, elles y commettaient entre elles toutes sortes de lascivités. »
Les Juifs, dont le législateur s’était attaché à former des institutions toutes contraires à celles des Égyptiens, bien loin d’adorer les boucs, en présentaient chaque année deux devant le tabernacle. L’un était sacrifié au Seigneur ; et l’autre, chargé des imprécations du grand prêtre et des iniquités du peuple, était envoyé dans le désert.
Il n’en était pas ainsi des sectaires samaritains. Le premier verset de leur Pentateuque prouve qu’ils adoraient le bouc comme le créateur de l’univers : « Au commencement, y est-il dit, le bouc Azima créa le ciel et la terre. »
Ce culte passa dans l’Inde. Dans les monuments des grottes d’Iloura, qui remontent à la plus haute antiquité, on retrouve le culte du bouc, auquel les Indiens donnent le nom de Mendès, qu’il portait en Égypte.
Le bouc fut adoré en Grèce et en Étrurie. Les Romains modifièrent son culte, et diminuèrent de beaucoup ce qu’il avait de brutal. Voici ce qu’à cet égard nous apprend Ovide :
Les Romains, fâchés de voir les Sabines qu’ils avaient enlevées rester stériles, furent invoquer Junon dans la forêt sacrée du mont Esquilin. À peine eurent-ils achevé leurs prières, qu’ils virent la cime des arbres s’agiter, et qu’ils entendirent cet oracle : « Que les femmes d’Italie soient fécondées par un bouc. » C’était prescrire aux Romains les pratiques révoltantes du culte de Mendès. Ils ne parurent pas disposés à obéir à l’oracle. Alors, un devin d’Étrurie l’interpréta et en adoucit la rigueur :
Il proposa aux femmes stériles de se faire frapper le dos ou le ventre avec des lanières formées de peau de bouc. C’est ce qui se pratiqua dans les fêtes des Lupercales.
Le 13 février, jour destiné à cette solennité, des jeunes gens, nus ou presque nus, parcouraient la ville, armés du couteau dont ils avaient immolé des boucs, et d’un fouet composé de courroies tirées de la peau de ces animaux, en frappaient ceux qu’ils rencontraient. Les femmes, loin de fuir, accouraient au-devant d’eux et offraient leur ventre nu aux coups de ces jeunes fouetteurs, dans l’espoir de devenir fécondes et de produire de beaux enfants.
On voit que, chez les Romains, la cérémonie était différente : le bouc n’y jouait pas, comme à Mendès, le principal rôle, mais il y avait part, et le motif était le même.
Si l’on pouvait donner croyance à ces récits, mêlés de tant de contes ridicules que faisaient nos crédules aïeux sur les assemblées nocturnes appelées sabbat, on serait tenté de croire que le culte du bouc s’est continué longtemps chez les nations modernes. Dans ces assemblées, c’est toujours un bouc qui préside, c’est un bouc qu’on y adore, c’est un bouc qui s’unit aux femmes assistantes. Si l’on pouvait séparer la vérité du chaos de mensonges qui la font méconnaître, la dépouiller des exagérations et du merveilleux dont sont chargées les relations de ces assemblées mystérieuses, on y retrouverait peutêtre les pratiques du culte de Mendès ; on fixerait les opinions encore incertaines sur ce point de l’histoire des hommes ; on délivrerait les esprits du scepticisme pénible où ils sont encore sur l’existence des assemblées du sabbat, attestées par tant d’autorités, par tant de procédures juridiques, et si fortement contestées par tant d’écrivains illustres.
Une bonne histoire des sociétés mystérieuses de toutes les nations dissiperait bien des incertitudes, formerait un faisceau de lumières qui éclairerait l’origine obscure des institutions humaines, leur filiation, et serait plus utile et plus curieuse que le tableau toujours uniforme des désastres causés par l’ambition de quelques souverains.
CHAPITRE VII.
Du Culte du Phallus chez les Grecs.
Des colonies égyptiennes vinrent, à différentes époques, s’établir dans certaines parties de la Grèce, y apportèrent leurs mœurs, leur religion, et les firent insensiblement adopter par les habitants incivilisés de ce pays, qui étaient alors connus sous le nom de Pélasges. Un des chefs de ces colonies fonda, en Béotie, une ville à laquelle il donna le nom de Thèbes, que portait une autre ville très fameuse de la haute Égypte, où l’on adorait particulièrement le soleil sous le nom de Bacchus, et par suite le Phallus, un de ses principaux symboles.
Hérodote et Diodore de Sicile s’accordent à dire que le culte de Bacchus fut porté en Grèce par un nommé Mélampus, qui vivait cent soixante-dix ans avant la guerre de Troie. « Mélampus, fils d’Amythaon, avait, dit Hérodote, une grande connaissance de la cérémonie sacrée du Phallus. C’est lui en effet qui a instruit les Grecs du nom de Bacchus, des cérémonies de son culte, et qui a introduit parmi eux la procession du Phallus. Il est vrai qu’il ne leur a pas découvert le fond de ces mystères ; mais les sages qui sont venus après lui en ont donné une plus ample explication.
« C’est donc Mélampus, ajoute-t-il, qui a institué la procession du Phallus que l’on porte en l’honneur de Bacchus, et c’est lui qui a instruit les Grecs des cérémonies qu’ils pratiquent encore aujourd’hui. »
Le même historien nous apprend que Mélampus, instruit par les Égyptiens d’un grand nombre de cérémonies, entre autres de celles qui concernent le culte de Bacchus, les introduisit dans la Grèce avec de légers changements. Il convient que les cérémonies pratiquées par les Grecs ont beaucoup de ressemblances avec celles des Égyptiens. Plutarque dit de même que les pamylies des Égyptiens, fêtes célébrées en l’honneur du dieu-soleil Osiris et dans lesquelles on portait le Phallus, ne différaient point des phallophories des Grecs, célébrées en l’honneur du dieu-soleil Bacchus, où l’on portait aussi des Phallus. La différence qu’y trouve Hérodote consiste en ce que les Grecs, dans leur fête, ne sacrifiaient point un porc, comme les Égyptiens, et que le Phallus qu’ils portaient dans les processions n’adhérait point à une figure humaine, mais qu’il était isolé.
Hérodote pense que les connaissances acquises par Mélampous sur le culte de Bacchus provenaient de ses liaisons avec les descendants de Cadmus de Tyr, et avec ceux des Tyriens de sa suite qui vinrent de Phénicie dans cette partie de la Grèce qu’on appelle aujourd’hui Béotie.
Les Grecs ne composèrent pas seulement leur théologie de celle de la haute et basse Égypte, mais encore ils y amalgamèrent le culte grossier des Pélasges, anciens habitants de la Grèce. Hérodote nous apprend que l’Hermès à Phallus ou Mercure au membre droit, ne vient point d’Égypte, que les Athéniens le tiennent des Pélasges qui habitaient le même canton. « Les Pélasges, ajoute-t-il, en donnent une raison sacrée que l’on trouve expliquée dans les mystères de Samothrace. »
Au culte transmis par les Égyptiens, à celui qu’ils trouvèrent établi chez les Pélasges, les Grecs ajoutèrent les cultes en vigueur chez les Syriens, les Babyloniens, les Phéniciens, les Phrygiens, et d’autres peuples qui fondèrent des colonies chez eux ou avec lesquels ils étaient en commerce. Ce mélange confus devint la matière que l’imagination féconde et déréglée des Grecs mit en œuvre pour enfanter le dédale inextricable de la mythologie, cet océan d’aventures ridicules ou merveilleuses, souvent contradictoires, qui ont fait le désespoir des commentateurs.
Au milieu de ce chaos, il subsiste cependant des points de reconnaissance qui établissent la conformité des cérémonies et des fables des Grecs, avec celles qui étaient en usage chez les étrangers. Le Phallus, par exemple, fut constamment chez eux, comme il était chez les Égyptiens et autres peuples, uni au culte du dieu-soleil.
Bacchus était nommé en Grèce Dionysos et ses fêtes Dionysiaques. II y avait plusieurs fêtes de ce nom ; celles qui se célébraient à la ville étaient appelées les grandes Dionysiaques ou les Dionysiaques urbaines ; elles avaient lieu à Limna, dans l’Attique, où Bacchus avait un temple, le 12 du mois élaphébolion, qui répond au 12 du mois de mars, et huit jours avant l’époque où la même fête se célébrait en Égypte sous le nom de Pamylies.
Les grandes Dionysiaques duraient pendant trois jours. Quatorze prêtresses, choisies par l’archonte-roi et présidées par son épouse, figuraient dans cette solennité.
Ces fêtes, dans leur origine, se célébraient sans luxe et sans beaucoup d’appareil. Voici ce qu’en dit Plutarque :
« Rien n’était plus simple et en même temps plus gai, que la manière dont on célébrait autrefois, dans ma patrie, les Dionysiaques. Deux hommes marchaient à la tête du cortège, dont l’un portait une cruche de vin et l’autre un cep de vigne ; un troisième traînait un bouc ; un quatrième était chargé d’un panier de figues ; une figure du Phallus fermait la marche. On néglige aujourd’hui, continue-t-il, cette heureuse simplicité ; on la fait même disparaître sous un vain appareil de vases d’or et d’argent, d’habits superbes, de chevaux attelés à des chars et de déguisements bizarres. »
Voici quelle était ordinairement l’ordonnance de cette pompe religieuse :
La marche s’ouvrait par des bacchantes qui portaient des vases pleins d’eau ; ensuite s’avançaient de jeunes vierges recommandables par la pureté de leurs mœurs et par leur naissance, appelées canéphores, parce qu’elles portaient des corbeilles d’or remplies des prémices de tous les fruits, où se trouvaient des serpents apprivoisés, différentes fleurs, quelques objets mystiques, comme le sésame, le sel, la férule, le lierre, des pavots, des gâteaux de forme ombilicale, des placenta, et notamment le Phallus couronné de fleurs.
À la suite de cette troupe de vierges, paraissaient les phallophores : c’étaient des hommes qui ne portaient point de masque sur leur visage, mais qui le couvraient avec un tissu formé par des feuilles de lierre, de serpolet et d’acanthe. Une épaisse couronne de lierre et de violette ceignait leur tête. Ils portaient l’amict et la robe augurale ; ils tenaient en main de longs bâtons de la cime desquels pendaient des Phallus.
Cette partie de la solennité était nommée Phallophorie, Phallogogie, Périphallie.
Venait ensuite un chœur de musiciens qui chantaient ou accompagnaient, au son des instruments, des chansons analogues au simulacre que les phallophores étalaient, et criaient par intervalles evohé Bacché, io Bacché, io Bacché !
À ce chœur de musiciens, succédaient les ithyphalles. Ils étaient, suivant Hésichius, vêtus d’une robe de femme. Athénée les présente la tête couronnée, les mains couvertes de gants sur lesquels des fleurs étaient peintes, portant une tunique blanche et l’amict tarentin, à demi vêtus, et, par leurs gestes et leur contenance, contrefaisant les ivrognes. C’étaient surtout les ithyphales qui chantaient les chants phalliques et qui poussaient ces exclamations, eithé me ityphallé !
Suivaient le van mystique et autres objets sacrés.
Des groupes de satyres et de bacchantes figuraient souvent dans ces processions. Ces dernières, à demi nues ou couvertes seulement d’une peau de tigre passée en écharpe, les cheveux épars, tenant en main des torches allumées ou des thyrses, s’abandonnaient aux mouvements les plus impétueux, en hurlant des évohé, et menaçaient ou frappaient même les spectateurs. Elles exécutaient quelquefois des danses appelées phalliques, dont le principal caractère consistait en mouvements lascifs.
Les satyres traînaient des boucs ornés de guirlandes et destinés au sacrifice ; puis on voyait arriver, monté sur un âne, le personnage qui jouait le rôle de Silène, et représentait ce nourricier de Bacchus chancelant et à demi ivre.
On doit juger que de telles scènes religieuses devaient facilement dégénérer en abus : Aussi, tout ce que l’ivresse et la débauche ont de plus dégoûtant était audacieusement offert aux yeux du public. Un médecin de l’antiquité, Areteus, dit en parlant des satyres qui accompagnaient les pompes de Bacchus, qu’ils s’y présentaient d’une manière fort indécente, dans un état apparent de désir dont la continuité étonnante était regardée comme une grâce du ciel, une marque de l’assistance divine.
Il est possible que ce déclamateur ait pris la fiction pour la réalité et le postiche pour la nature. Divers monuments antiques qui nous retracent les scènes des groupes de satyres, nous représentent des hommes dont la tête était couverte d’un masque entier ou têtière, et le corps et les jambes enveloppés de peaux de bouc. On peut croire que le travestissement était complet, et qu’un Phallus artificiel était substitué au naturel ; car sans cela, la durée de l’état en question, un éréthisme si soutenu, pendant une course longue et fatigante, serait vraiment un miracle.
Que les jeux obscènes des groupes de satyres fussent figurés ou réels, ils n’en étaient pas moins des attentats à la pudeur publique ; et un père de l’Église grecque, révolté de ces scènes scandaleuses, s’exprime de la sorte :
« L’homme le plus débauché n’oserait jamais, dans le lieu le plus secret de son appartement, se livrer aux infamies que commet effrontément le chœur des satyres, dans une procession publique. »
Cette marche religieuse était suivie de jeux qui avaient un caractère analogue. La jeunesse s’exerçait à sauter sur des outres enflées de vent et à courir, les yeux bandés, parmi des Phallus ornés de fleurs et suspendus à des pins ou à des colonnes. On regardait comme un présage de bonheur lorsqu’en courant, la tête venait à se heurter contre ces simulacres.
Les prêtres d’Osiris, d’Adonis, d’Atis, de Chiven et d’autres dieux-soleil, avaient composé pour chacune de ces divinités une ou plusieurs fables ou légendes que l’on récitait lors de leurs fêtes, qui servaient aussi de matière à leurs hymnes et dans lesquels on rendait raison de leur association avec le Phallus. Les prêtres de Bacchus suivirent cet exemple et composèrent une fable dont voici le sommaire :
Bacchus a perdu sa mère Sémélé, tuée par la foudre ou morte dans un incendie : il la cherche dans plusieurs pays, et va jusqu’aux enfers pour la trouver. Pendant le cours de ses recherches, il rencontre un jeune homme appelé Polymnus ou Prosumus qui promet de le conduire auprès de sa mère et de lui montrer le chemin des enfers s’il en avait besoin ; mais Polymnus, devenu amoureux de Bacchus, exigea, pour prix de ce service, une complaisance honteuse. Le dieu consentit sans difficulté. On va voir de quelle manière il tint sa promesse.
Polymnus mourut en chemin. Bacchus lui éleva un tombeau et, en mémoire du défunt, il fabriqua, avec une branche de figuier, un Phallus qu’il plaça sur ce monument.
Deux Pères de Église, qui me fournissent ces détails, Arnobe et Clément d’Alexandrie, en ajoutent de fort scandaleux. Leurs expressions sont si peu ménagées qu’à cause de la sévérité de notre langue et de la délicatesse de nos oreilles, je ne puis les traduire. Je me bornerai à dire que Bacchus, jaloux de remplir ses engagements, planta le Phallus de bois sur le tombeau du défunt, s’assit à nu sur sa pointe, et que, dans cette attitude, il s’acquitta complètement, envers ce simulacre, de la promesse qu’il avait faite au jeune Polymnus.
C’était par ces contes obscènes qui décèlent l’immoralité du temps auquel ils ont été inventés, que les prêtres amusaient le peuple et le trompaient sur le véritable motif de l’institution du Phallus ; comme si des mensonges orduriers devaient être plus profitables à la religion que des vérités simples, dont la connaissance était réservée aux seuls initiés des hautes classes.
Le scoliaste d’Aristophane attribue à une autre cause l’institution du Phallus en Grèce. Il raconte qu’un nommé Pégaze, ayant introduit le culte de Bacchus et de ses symboles dans l’Attique, les habitants de ce pays refusèrent de l’adopter. Ils en furent punis par ce dieu, qui les frappa de maladie dans les parties de la génération, maladie incurable qui résistait à tous les remèdes, et dont ils ne purent se débarrasser qu’en rendant de grands honneurs à Bacchus. Ils fabriquèrent alors des Phallus, comme un hommage particulier qu’ils faisaient à cette divinité, et comme un monument de leur reconnaissance et de leur attachement pour elle.
Les Grecs, très affectionnés au culte du Phallus, l’introduisirent dans les cérémonies consacrées à plusieurs autres divinités. « On a conservé la coutume, dit Diodore de Sicile, de rendre quelques honneurs à Priape, non seulement dans les sacrés mystères de Bacchus, mais aussi dans ceux des autres dieux, et l’on porte sa figure aux sacrifices, en riant et en folâtrant. »
Vénus et Cérès, la première présidant à la fécondité de l’espèce humaine, la seconde à celle des champs, devaient avoir droit au Phallus, symbole général de la fécondité.
La consécration du Phallus par Isis, en Égypte, la réunion à Biblos, dans un même temple, du culte du Soleil, de Vénus Astarté et du Phallus, cette même réunion du simulacre des deux sexes dans l’Inde, prouvent que les Grecs ne manquaient pas d’exemples pour associer le Phallus au culte de Vénus ; aussi l’unissaient-ils souvent au Mullos, c’est-à-dire au simulacre de la partie du sexe féminin, et cette réunion complétait l’allégorie. Aussi voyait-on, dans l’île de Chypre, dans les mystères de la mère des amours, figurer l’emblème de la virilité. Les initiés aux mystères de la Vénus cyprienne, recevaient ordinairement une poignée de sel et un Phallus.
Une secte particulière et peu connue, appelée la secte des Baptes, célébrait à Athènes, à Corinthe, dans l’île de Chio, en Thrace et ailleurs, les mystères nocturnes de Cotitto, espèce de Vénus populaire. Les initiés qui se livraient à tous les excès de la débauche, y employaient les Phallus d’une manière particulière ; ils étaient de verre, et servaient de vase à boire.
Ceux qui ne voient, dans ce symbole de la reproduction, que le caractère du libertinage, doivent s’étonner de ce qu’il faisait partie intégrante des cérémonies consacrées à Cérès, divinité si recommandée par sa pureté, et surnommée la Vierge sainte ; de ce qu’il figurait dans les mystères de cette déesse à Éleusis, appelés mystères par excellence, auxquels tous les hommes de l’antiquité, distingués par leurs talents, par leurs vertus, s’honoraient d’être initiés, d’où les scélérats, fussent-ils sur le trône, étaient rigoureusement exclus, dont la moralité des dogmes, ainsi que la sagesse des principes, sont garanties par le témoignage des écrivains grecs ou romains, connus par leur véracité et leurs belles actions. C’est Tertullien qui nous apprend que le Phallus faisait, à Éleusis, partie des objets mystérieux. Aucun autre écrivain de l’antiquité n’avait fait connaître cette particularité, nul initié n’avait avant lui révélé ce secret. « Tout ce que ces mystères ont de plus saint, dit-il, ce qui est caché avec tant de soin, ce qu’on est admis à ne connaître que fort tard, ce que les ministres du culte, appelés Epoptes, font si ardemment désirer, c’est le simulacre du membre viril. »
Théodoret dit que l’on vénérait aussi, dans les orgies secrètes Éleusis, l’image du sexe féminin.
Pour justifier la présence de ces figures obscènes dans des mystères aussi saints, pour donner un prétexte à cette association du culte de Cérès et de celui du Phallus, voici la fable extravagante que les prêtres imaginèrent :
Cérès cherchait sa fille Proserpine que Pluton avait enlevée. Dans cette intention, elle parcourait le monde, tenant deux flambeaux qu’elle avait allumés aux feux du mont Etna. Elle arrive fatiguée à Éleusis, bourg de l’Attique. Une femme, nommée Baubo, lui offre l’hospitalité, lui fait un accueil gracieux, cherche par ses caresses à adoucir le chagrin dans lequel la déesse est plongée, et lui présente, pour la rafraîchir, cette liqueur fameuse dans les mystères, et que les Grecs appelaient Cycéon. Cérès, en proie à sa douleur, refuse avec dédain ce breuvage, et repousse la main de celle qui l’invite à se désaltérer.
Voyant que ses instances, plusieurs fois renouvelées, étaient vaines, Baubo, pour vaincre l’obstination de la déesse, a recours à d’autres moyens. Elle pense qu’une plaisanterie, en l’égayant, pourra la disposer à prendre la nourriture dont elle a besoin. Dans ce dessein, elle sort, fait ses dispositions, puis reparaît devant la déesse, se découvre à ses yeux, et de la main secoue et caresse une petite figure qu’elle a formée en certain lieu. À ce spectacle aussi étrange qu’inattendu, Cérès éclate de rire, oublie son chagrin, et consent avec joie à boire le Cycéon.
Dans les fêtes Éleusis, on chantait un hymne dont une strophe contenait la conclusion de cette aventure. Clément d’Alexandrie et Arnobe ont tous les deux publié cette fable ; ils nous ont de plus transmis cette strophe, monument authentique de la grossièreté et de l’indécence des fables que débitaient les prêtres de l’antiquité.
Dans les fêtes appelées Targilies, qui se célébraient le 6 du mois de targélion ou de mai, on voyait aussi figurer le Phallus. Sa présence, dans cette solennité, ne doit point étonner, puisqu’elle était consacrée à Apollon, dieu-soleil, et à Diane, divinité de la lune, ou, suivant le scoliaste d’Aristophane, au soleil et aux saisons. II ajoute que des jeunes gens portaient, dans cette fête, des branches d’olivier, d’où pendaient des pains, des légumes, des glands, des figues et des Phallus.
On a remarqué que le Phallus était constamment lié aux dieux-soleil, quels que fussent les noms qu’ils portassent ; qu’il en était dépendant, et qu’il ne figurait, dans les mystères consacrés à cet astre, que comme un symbole, un objet secondaire de la cérémonie, mais non comme une divinité particulière. Les habitants de Lampsaque, ville située sur les bords de l’Hellespont, s’avisèrent, les premiers, de tirer ce symbole de la dépendance des dieux-soleil, de l’ériger en divinité, et de lui rendre un culte particulier sous le nom antique de Priape. Ce dieu naquit dans cette ville, dit la fable, ce qui, en langage allégorique, signifie que son culte y prit naissance.
Priape était représenté comme un Hermès, un Terme, dont la tête, et quelquefois la moitié du corps, appartenait à l’espèce humaine. Sa figure était la copie de ces Hermès, ou Mercure, munis d’un Phallus colossal, qui étaient si nombreux en Grèce, dans les champs, sur les chemins et dans les jardins. Ils étaient évidemment une imitation des figures à Phallus disproportionné que les femmes d’Égypte portaient en procession, pendant les fêtes d’Osiris, et que l’on conservait dans le temple d’Hiérapolis, en Syrie.
C’étaient de tels Hermès à Phallus qui, placés dans les carrefours d’Athènes, furent mutilés dans une débauche nocturne par Alcibiade et ses compagnons, profanation qui eut pour lui des suites très fâcheuses.
C’était aussi à ces Hermès à tête humaine et à Phallus, que Philippe, roi de Macédoine, comparait les Athéniens. Ils n’ont, disait-il, comme les Hermès, que la bouche et les parties de la génération, pour exprimer qu’ils n’étaient que babillards et libertins.
Les habitants de Lampsaque, ignorant l’origine de cette divinité, et n’ayant d’autres données que sa figure pour lui composer une légende ou une fable, et trouvant entre certaine partie de l’âne et le trait qui caractérisait Priape, des rapports frappants, lui sacrifièrent un âne, et introduisirent cet animal comme acteur, dans les aventures qu’ils supposèrent à ce dieu. Voici en substance quelle fut cette fable.
Sa naissance est fort incertaine. Il était, suivant les uns, fils de Bacchus et d’une nymphe appelée Nayade. D’autres lui donnent pour mère la nymphe Chionée ; Hygin le dit fils de Mercure, et Apollonius, d’Adonis et de Vénus. Il naquit, suivant l’opinion la plus généralement adoptée, de Bacchus et de Vénus. Les mythologues, qui le font fils d’Hermès ou de Mercure, annonçaient par-là que ce dieu devait sa naissance aux pierres ou aux troncs d’arbres appelés Hermès par les Grecs, et qui avaient servi à composer sa figure. Ceux qui le disent fils de Bacchus ou d’Adonis, dieux-soleil, exprimaient son origine par une allégorie plus savante et plus conforme à la vérité.
La jalouse Junon, apprenant que sa fille Vénus était enceinte, la visita et, sous le prétexte de la secourir, elle employa, en lui touchant le ventre, un charme secret qui la fit accoucher d’un enfant difforme, et dont le signe de la virilité était d’une proportion gigantesque. Vénus, fâchée d’avoir donné le jour à un enfant monstrueux, l’abandonna, et le fit élever, loin d’elle, à Lampsaque. Devenu grand, le dieu courtisa les dames de cette ville, et sa difformité ne leur déplut pas : mais les maris, jaloux, le chassèrent honteusement. Ils furent bientôt punis de cette violence ; une maladie cruelle les attaqua à l’endroit même où le dieu préside. Dans cette fâcheuse extrémité, on consulta l’oracle de Dodone et, d’après son avis, Priape fut honorablement rappelé, et les pauvres maris se virent contraints de lui dresser des autels et de lui rendre un culte.
Telles sont les fables fabriquées sur l’origine de Priape. Voici celles qui expliquent l’association de l’âne à son culte.
Un jour, Priape rencontra Vesta couchée sur l’herbe et plongée dans un profond sommeil. Il allait profiter d’une occasion aussi favorable à ses goûts lascifs, lorsqu’un âne vint fort à propos réveiller par ses braiments la déesse endormie, qui échappa heureusement aux poursuites du dieu libertin.
Lactance et Hygin attribuent à une autre cause l’usage d’immoler un âne à ce dieu, et cette cause est encore moins décente. Priape eut, disent-ils, une dispute avec l’âne de Silène que montait Bacchus lors de son voyage dans l’Inde. Priape prétendait être, à certain égard, mieux que l’âne, avantagé de la nature. La question, dit Lactance, fut décidée en faveur de l’animal, et Priape, furieux d’une telle humiliation, tua son concurrent. Hygin raconte au contraire que Priape fut vainqueur, et que l’âne, vaincu, fut mis au rang des astres.
Le peuple de Lampsaque, dit Pausanias, est plus dévot à Priape qu’à toute autre divinité. Il était le dieu tutélaire de cette ville, dont les médailles, conservées jusqu’à nos jours, offrent sa figure bien caractérisée et attestent encore la considération dont il jouissait parmi ses habitants. Ces médailles, qui se voient dans les cabinets des curieux, le présentent le plus ordinairement sous la forme d’un Hermès où le monstrueux Phallus est ajusté.
Des empereurs romains, non pas de ceux qui se sont distingués par leur extrême débauche, ont voulu éterniser leur dévotion au dieu de Lampsaque, et faire frapper des médailles où leurs noms sont associés au signe indécent de cette divinité. On en trouve une de Septime Sévère, et une autre que la ville même de Lampsaque fit frapper en l’honneur de l’empereur Maximin.
La ville de Priapis ou de Priape, bâtie sur les bords de la mer Propontide, dans la Troade, doit son nom au culte de cette divinité. Ce fut dans ce lieu, dit la fable, que Priape, chassé par les maris de Lampsaque, vint chercher un asile. On y voyait un temple où le dieu-soleil Apollon était adoré sous le nom de Priapesaeus. Ainsi, les habitants avaient conservé, dans leur culte, les rapports existant entre l’astre du jour et l’emblème de la fécondité.
Pline fait mention de plusieurs autres lieux qui portaient le nom de Priape, et où, sans doute, il était vénéré comme la divinité principale. En parlant des îles de la mer d’Éphèse, il en nomme une appelée Priapos. Il dit ailleurs qu’au golfe Céramique est l’île Priaponèse.
Priape était honoré d’un culte particulier dans différentes villes de la Grèce ; telles étaient Ornée, située près de Corinthe, qui donna à ce dieu le surnom d’Ornéates et à ses fêtes celui d’Ornéennes ; Colophon, ville de l’Ionie, fameuse par son oracle d’Apollon. On y célébrait avec beaucoup d’éclat les fêtes de Priape, et ce dieu n’y avait, pour ministres, que des femmes mariées.
Les Cylléniens rendaient aussi à Priape un culte particulier, ou plutôt ils confondaient cette divinité avec celle d’Hermès ou de Mercure ; car, comme je l’ai dit, les Hermès à Phallus ne différaient en rien des Priapes pour la figure : la matière de pierre ou de bois, le lieu où ils étaient placés, et les honneurs qu’on leur rendait, faisaient les seules différences. Une de ces figures ; que Pausanias qualifie d’Hermès, recevait les honneurs divins à Cylenne. Elle était élevée sur un piédestal et présentait un Phallus remarquable.
Le même auteur a vu sur le mont Hélicon une autre figure de Priape qui, dit-il, mérite l’attention des curieux. Ce dieu est, continue-t-il, surtout honoré par ceux qui nourrissent des troupeaux de chèvres ou de brebis ou des mouches à miel.
Tous les auteurs qui parlent de Priape s’accordent avec les monuments numismatiques et lapidaires à donner à son signe caractéristique des proportions plus grandes que nature. Les Grecs avaient conservé l’antique tradition sur cette forme colossale qui rend le signe étranger à la figure humaine auquel il adhère.
Ils conservèrent aussi au Phallus et à Priape même ses rapports originels avec le soleil, et leur culte ne fut presque jamais séparé de celui de cet astre, sous quelque nom qu’il fût adoré. Déterminés par ces principes, ils accordèrent à Priape le titre auguste de sauveur du monde, qu’on a souvent donné aux dieux-soleil et surtout aux différents signes qui ont successivement marqué l’équinoxe du printemps, tels que les Gémeaux, le Taureau, le Bouc, enfin le Bélier ou l’Agneau. Cette qualification divine se trouve en une inscription grecque placée sur le Priape antique du musée du cardinal Albani.
On sacrifiait un âne à Priape ; on lui offrait des fleurs, des fruits, du lait et du miel ; on lui faisait des libations en versant du lait ou du vin sur la partie saillante qui distingue cette divinité ; on y appendait des couronnes et même de petits Phallus en ex-voto ; enfin, les dévots venaient baiser religieusement le Phallus consacré.
L’introduction et les progrès du christianisme en Grèce devinrent funestes au culte du Phallus et de Priape, mais ne l’anéantirent pas. Lors même que plusieurs écrivains chrétiens s’attachaient à déclamer contre lui, se récriaient contre ses indécences, en décrivaient, et peut-être même en exagéraient les abus, une secte favorable au Phallus s’établissait sous une forme nouvelle. C’était celle qui célébrait les fêtes appelées orphiques, espèce de Dionysiaques régénérées sous des noms différents. La divinité qui en était l’objet se nommait Phanès, surnom du soleil ; elle était figurée avec un Phallus très apparent qui, suivant quelques auteurs, était placé en sens inverse.
La secte des orphiques se distingua d’abord par ses principes austères, par ses mœurs pures, qui dégénérèrent dans la suite en débauche.
Aux déclamations violentes et répétées des Pères de Église contre le Phallus, les partisans de ce culte répondaient qu’il était un emblème du soleil, de l’action régénératrice de cet astre sur toute la nature.
Un philosophe platonicien, Jamblique, qui vivait sous le règne de Constantin, disait que l’institution des Phallus était le symbole de la force générative ; que ce symbole provoquait la génération des êtres. « C’est véritablement, ajoutait-il, parce qu’un grand nombre de Phallus sont consacrés, que les dieux répandent la fécondité sur la terre. »
Malgré les atteintes du christianisme, le culte du Phallus se soutint encore longtemps chez les Grecs. Les femmes de cette nation continuèrent de porter à leur cou, comme un préservatif puissant, des amulettes ithyphalliques de diverses formes, comme les indiennes portent le taly ; elles le plaçaient même quelquefois plus bas que le sein. Arnobe et son disciple Lactance, qui vivaient sous l’empire de Dioclétien, c’est-à-dire vers le commencement du IIIe siècle de l’ère chrétienne, prouvent, par leurs déclamations, que ce culte était alors dans toute sa vigueur en Grèce. « J’ai honte, dit Arnobe, de parler des mystères où le Phallus est consacré, et de dire qu’il n’est point de canton dans la Grèce où l’on ne trouve des simulacres de la partie caractéristique de la virilité. »
Lactance tourne en ridicule la figure et la fable de Priape, et plusieurs Pères de l’Église qui ont vécu après eux, tiennent le même langage et attestent la continuité de ce culte.
L’historien Évagrius, qui écrivait vers la fin du VIe siècle, témoigne que toutes les cérémonies du culte du Phallus existaient encore de son temps ; il se moque des ithyphalles, des Phallogonies, du Priape, remarquable par les dimensions gigantesques de son signe caractéristique, et de la corbeille sacrée qui contenait le Phallus.
Nicéphore Calixte, autre historien ecclésiastique plus récent et qui n’est mort qu’au VIIe siècle, parle aussi des Phallus, des ithyphalles, ainsi que du culte de Pan et de Priape, comme des objets ridicules qui cependant recevaient encore les hommages religieux des Grecs].
Les exemples que je rapporterai dans la suite, de quelques peuples qui, ayant embrassé le christianisme, ont conservé plusieurs pratiques de l’idolâtrie et du culte du Phallus, me portent à croire que les Grecs, devenus chrétiens et néanmoins restant attachés à une infinité de superstitions païennes, se sont difficilement déshabitués de ce culte, et qu’il doit en rester encore des traces parmi eux.
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