Les Dravidiens, peuple-racine
La littérature védique est la première à mentionner l'existence des Dravidiens. Elle les nomme Dravidas et les considère comme les maîtres du sud de l'Inde. Une légende védique les considère comme nés de l'agression de la vache sacrée Kamadenyu par le sage Vishvamitra, alors qu'elle avait été confiée par Brahma au sage Vashishte. De nombreuses armées sortirent alors de la vache pour la défendre, dont la nation dravidienne.
D'abord considérés comme des barbares qui ne suivaient pas leurs coutumes, les Aryens estimèrent ensuite les Dravidiens comme un peuple frère (ils sont d'ailleurs leurs alliés dans le Mahabharata). Les deux cultures se mêlèrent pour donner naissance, au milieu du premier millénaire avant J.-C., à l’hindouisme. L'hindouisme est donc le fruit du syncrétisme entre la culture symbolique et mythologique aryenne et le pseudo-monothéisme dravidien, qui reposait alors sur Shiva ou sur Mayon (une forme dravidienne de Vishnou.) Il est donc inutile de séparer, voire d'opposer la culture dravidienne et aryenne-védique, car elles se sont complétées, pour donner naissance au syncrétisme hindou.
Si les Aryens qui entrèrent en Inde au cours du second millénaire apportèrent les Védas, les Dravidiens étaient déjà détenteurs des agamas. Les agamas sont les traditions religieuses hindoues qui ne se sont pas construites sur les bases du védisme et qui rapportent les innombrables traditions ayant comme divinités centrales des versions locales de Vishnou et de Shiva.
Les dieux védiques (Brahma, Rudra, Indra, et plus d'une trentaine d'autres) associés à ceux des agamas donnèrent naissance à la Trimurti (Brahma, Vishnou, Shiva), dont l'assemblage est relativement récent (début du premier millénaire après J.-C.)
Les langues dravidiennes
Les Dravidiens constituaient la majorité des habitants du sous-continent jusqu'à l'arrivée des peuples aryens. De nos jours, cette population est concentrée dans le sud de l'Inde, mais jadis, ils étaient présents de l’Himalaya, et probablement du golfe persique, jusqu'à l'île de Lanka.
Certains linguistes, sans preuves définitives, rapprochent la langue proto-dravidienne du langage encore indéchiffré des Élamites (3000 à 200 av. J.-C.), présents eux aussi aux alentours du golfe persique, tandis que d'autres chercheurs rapprocheraient leur alphabet de celui des Phéniciens, dont ils auraient emprunté des lettres.
Ce qui est certain, c'est qu'au troisième millénaire avant notre ère, les Dravidiens parlaient une langue commune que les chercheurs ont baptisée proto-dravidien. Au fil de l'Histoire, ces peuples se sont ensuite séparés, jusqu'à former aujourd'hui un ensemble de peuples frères plutôt qu'un seul et même peuple nation.
Les principaux peuples d'origine dravidienne du sud de la péninsule indienne sont aujourd'hui quelque 250 millions, répartis de la manière suivante :
Sur le plateau du Deccan, vivent les Télougous, constitués de 80 millions de locuteurs installés principalement sur la côte orientale. Installés principalement sur la côte occidentale du Deccan, ce sont les Kannadigas, constitués de 38 millions de locuteurs kannadas. S'ajoutent à ces deux peuples onze millions de locuteurs du déccani.
Sur la côte occidentale du Kerala vivent les Kéralais, constitués de 38 millions de locuteurs parlant le malayam.
Au bout de la presqu’île indienne, au centre et sur la côte orientale vivent les Tamouls, constitués de près de 70 millions de locuteurs, auxquels s’ajoutent les trois millions de locuteurs tamouls du Sri Lanka. Aux Tamouls s'ajoutent encore quelque onze millions de locuteurs du Madourai, la langue vernaculaire de la région entourant la ville sainte de Madurai.
Peuple de commerçants et de navigateurs, les Tamouls représentent la plus grosse diaspora indienne à l'étranger, en particulier en Malaisie (1,8 million), au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis (200 000). En France, les Tamouls, qu'ils soient de nationalité indienne ou française seraient 130 000. Ils sont la principale, si ce n'est l'unique diaspora indienne présente dans notre pays, DOM-TOM compris.
Enfin, il existe une population dravidophone au Baloutchistan (Pakistan, Afghanistan, Iran), comprenant 4,2 millions de locuteurs du brahui.
La mythologie dravidienne
Dans la mythologie dravidienne, Shiva et Mayon (Vishnou) sont des dieux tout-puissants et omniscients dont les cultes distincts sont semblables à des monothéismes, car où Shiva est adoré, nulle autre divinité ne rivalise d'importance avec lui, et inversement, quand Vishnou est central, aucune autre divinité ne lui dispute sa puissance. Il existe trois traditions d'agamas, celle de Shiva, celle de Vishnou et celle de Dévi-Amman, la Déesse mère.
Outre Shiva et Mayon-Vishnou, les Dravidiens adorent les fils de Shiva, Ayapan et Murugan, le dieu de la guerre nommé Skanda par les védiques, ainsi qu'Amman, la Déesse mère. Ayainar est aussi largement vénéré, il est le gardien des villages, mais son culte est absent du nord de l'Inde. De même, la figure féminine d’Amman est également absente de la mythologie védique originaire du nord de l'Inde et dont la principale déesse est Ushas, l'aube, une divinité non pas secondaire, mais dotée d'attributs moins grandioses que ceux de la Déesse mère dravidienne.
La culture dravidienne a donc donné naissance aux deux tiers de la Trimurti, mais aussi au couple divin Shiva-Parvati, qui serait une adaptation védique du couple mère-fils, que composent Amman et Murugan. Cette union des divinités, l’une féminine et l’autre masculine servit donc de modèle au couple Shiva-Parvati, qui donnera lui-même naissance à la tradition de Shiva-Shakti.
À part pour la parèdre Brahma-Sarasvati, qui est une pure création védique, ce sont donc les couples de divinités dravidiennes qui serviront de modèles aux nombreuses parèdres de la mythologie hindoue comme Vishnou-Lakshmi, Ganesh-Ganeshi, Krishna-Radha, ou encore Rama-Sita.
Plus on cherche à opposer les cultures dravidiennes et aryennes, plus on se trouve dans l'incapacité de les différencier sans difficulté. Ainsi, si le Murugan dravidien semble apparenté au Skanda védique, car tous les deux sont les fils de Shiva et des dieux de la guerre, ils ne sont pas adorés de la même manière au nord ou au sud du pays. En pays dravidiens, Murugan est une divinité centrale, dont le culte est ancestral et dépasse parfois en popularité celui de Shiva ; tandis que Skanda, son correspondant nordique, est une divinité mineure et plutôt récente, son nom n’apparaissant pas une seule fois dans le Rig-Véda, le recueil de prière védique consacré aux divinités du peuple indo-aryen.
De même, si Amman, déesse suprême des Indiens du sud, semble s'apparenter à Parvati, la compagne de Shiva dans le nord, et bien qu'elles soient toutes les deux si proches que les mystiques hindous aient souvent voulu les associer, elles n'en sont pas moins fondamentalement différentes. Parvati, confondue parfois avec Sati, fait souvent figure de faire-valoir et non de figure centrale dans le culte des Aryens. Comme nous l'avons déjà mentionné, le Rig-Véda ne mentionne que peu de déesses et à part Ushas, déesse de l'aube, et Sarasvati, déesse de la sagesse, aucune divinité féminine védique ne semble aussi essentielle que la Déesse mère dravidienne Amman.
Enfin, Valmiki, l'auteur du Ramayana, et Vyasa, l'auteur présumé du Mahabarata, sont deux personnalités dont l’origine dravidienne ne fait aucun doute pour les savants : Vyasa était un fils de pêcheur à la peau noire et Valmiki était un homme des bois, décrit comme un indigène, ce qui les présente tout à fait comme des Dravidiens. Pour autant, la tradition nous montre aussi Vyasa comme un brahmane, c’est-à-dire appartenant à la plus haute caste aryenne et Valmiki comme l'avatar du dieu védique de la création, Brahma.
Ainsi, Aryens et Dravidiens ne doivent pas être opposés, mais reliés, afin de comprendre ce qu'est l'hindouisme : un creuset, un sillon (« sita » en sanskrit), où se sont mêlées toutes les tendances du sous-continent depuis plus de 4 000 ans.
L'art aristocratique et plus abstrait du Nord, bien qu’on y puisse retrouver les traces des civilisations méditerranéennes, de la Chaldée et de l’Égypte à l’Europe féodale et néo-païenne, reste au fond aussi foncièrement indien que l’art des Dravidiens méridionaux.
Le Sangam
Au début de notre ère, si l'influence bouddhiste fut importante dans le nord de l'Inde, dans le sud du pays, l'aire culturelle tamoule demeura shivaïte. Son âge d'or poétique, le courant du Sangam, fit du tamoul une langue qui deviendra, aux yeux des Tamouls tout du moins, une langue aussi sacrée et précieuse que le sanskrit.
L'âge du Sangam s'étend de -500 à 600. Il est composé de 2 381 poèmes, de 473 poètes et poétesses et 102 anonymes. Si la rédaction des poèmes semble récente, la composition orale et la source d'inspiration culturelle peuvent remonter au début du premier millénaire avant J.-C.
Selon la tradition tamoule, il ne s'agit cependant pas du seul Sangam, mais du troisième, les deux précédents ayant marqués des civilisations bien plus anciennes, mais aussi bien plus avancées que le Pays Tamoul du début du premier millénaire.
Ce qui nous fut transmis de ce dernier Sangam est connu sous le nom de Patinenmekanakku (Les 18 anthologies), désignant, comme son nom l'indique, une collection des poètes du Sangam regroupant des compositions pouvant être de natures théologiques, bucoliques, philosophiques ou purement descriptives. Une anthologie appelée Ettuttokai (Les Huit recueils) fut compilée avec des commentaires vers l'an 1000. L'Ettutokai est un texte composite comprenant de nombreux poèmes séculiers, dont le recueil du Peripadal, célébrant le dieu Murugan et les fleuves et rivières du Pays Tamoul. Mentionnons aussi une compilation d'aphorisme surnommée le Véda tamoul: le Tirukkural (2 660 vers), composée par le poète Tiruvalluvar (v. 400).
La poésie mystique tamoule est aussi incarnée par les siddhars, des maîtres spirituels et gourous. Science, technologie, astronomie, littérature, beaux-arts, musique, théâtre, danse, médecine et voyance, ces rishis aux pouvoirs magiques les maîtrisent tous. Les traditions les font varier de 9 à 18 ou 36. Leurs noms aussi varient mais reprennent souvent les noms des poètes du Sangam.
Les Alvars
Pourquoi est-ce si compliqué de comprendre ne serait-ce que la plus petite partie de son corps ? Pourquoi est-ce si difficile de ressentir de l'amour pour soi-même ?
La tradition témoigne que Krishna, au moment de quitter sa dépouille terrestre pour retrouver sa forme infinie, prophétisa que s'il ne reviendrait plus sur terre avant la fin des temps, des chanteurs et des poètes inspirés seraient envoyés sur terre pour chanter ses louanges, et que ceux-ci seraient inspirés par Vishnou, qui vivrait en eux : ce sont les Alvars.
Leurs œuvres poétiques, qualifiées de « Védas dravidiens », sont composées de chants d'extase et de dévotion, qui permirent de populariser le vishnavisme. À la fin du premier millénaire, ils vont composer un très grand nombre de traités, de poésies et de chants dont les thèmes seront les plus communs de l’hindouisme : le sens de la vie, le renoncement à la vie, l'attente d'un signe divin, la vénération et la dévotion totale à une divinité suprême, déification de la vie elle-même.
Les Alvars furent des sages et des contemplateurs qui dédièrent leur vie à Vishnou et à son avatar Krishna. Leurs œuvres poétiques, qualifiées de « Védas dravidiens » sont composées de chants d'extase, de dévotion et ont permis de populariser le vishnavisme. Le Naalayira Divya Prabhandham, compilé par Nathamun vers l'an 1000 est une anthologie de leurs œuvres. Autre chef-d’œuvre tamoul, le Periya Thiruvandhadhi. il fut composé durant le premier millénaire de notre ère, selon la légende par l'enfant ermite et muet Nammalvar, « le premier des Alvars ».
Dans les rangs des Alvars se comptait une femme, Andal, dont la poésie érotico-mystique est encore chantée de nos jours dans les fêtes populaires du sud de l'Inde.
Les Nayanars
Les Nayanars (VIe au VIIIe siècle apr. J.-C.) sont un groupe de 63 poètes mystiques shivaïtes originaires du sud de l'Inde, qui écrivirent leur dévotion envers Shiva non pas en sanskrit, la langue sacrée des Védas, mais en tamoul. Ils vécurent durant la seconde moitié du premier millénaire et leurs œuvres réunies constituent la majeure partie du Tevaram, qui peut être considéré comme les Védas, ou la Bible, du shivaïsme tamoul. Les Nayanars peuvent être considérés comme la réponse shivaïte aux Alvars du vishnavisme, en ce sens qu'ils possèdent la même Bhakti, c’est-à-dire la même adoration sans borne envers leur unique divinité.
De même que les suiveurs de la tradition des Alvars nous présentent leurs gourous comme ayant vécu environ 3 000 ans av. J.-C.. La tradition des nayanars prétend qu'ils auraient vécu eux aussi en des temps immémoriaux, mais c'est vraisemblablement au cours du premier millénaire de notre ère qu'ils ont vécu et produit leur œuvre, au temps de l'âge d'or de la civilisation tamoule. Alors que le nord de l'Inde était soumis aux envahisseurs islamiques, le sud de la péninsule, libre des razzias, de la conversion de force et de l'esclavage, constituait un foyer de sauvegarde du patrimoine mystique des traditions shivaïte, brahmanique et vishnavite.
Au XIIe siècle, Sekkizhar, poète de cour, brahmane de son état, compile et canonise les poèmes mystiques des Nayanars, dont il donne de courtes biographies hagiographiques versifiées. En croisant les biographies de Sekkizhar avec les poèmes mystiques des poètes qui leur correspondent, nous pouvons jouir d'une vision complète de l'univers intellectuel et artistique des nayanars. Le Periya Puranam, de Shekizzar (XIIe siècle) dont nous reprenons ici la totalité du chapitre consacré à Tirumular, peut être considéré comme la somme définitive de ce courant mystique et littéraire. Il comprend un bref mais très vif résumé de la vie des 63 poètes qui composèrent l'école et la tradition des Nayanars. Les poètes y sont alors décrits comme vivant en perpétuel état de transe, dédiés corps et âme à Shiva.
Tirumular
Tirumular est l'un des plus illustres des Nayanars. Son œuvre comporte quatre très longs poèmes initiatiques, et nous présenterons le Tirumantiram, « Les 3 000 vers sacrés ». Écrit en tamoul, le Tirumantiram, surnommé lui aussi le Véda Tamoul, constitue l'un des ouvrages théologiques majeurs du Shivaïsme. Sa rédaction est attribuée à Tirumular, un sage qui aurait appris l'art du yoga transcendantal de Shiva lui-même et qui aurait vécu des milliers d'années au mont Kailash. Il s'agit cependant vraisemblablement d'un texte datant de la fin de premier millénaire.
La vie de Tirumular est tout à fait mystérieuse. Comme il l'avoue lui-même dans le Tirumantiram, Tirumular n'est pas né d'une femme, mais se serait directement incarné sur terre à l'âge adulte, et selon la volonté de Shiva. Son hagiographe Sekkizhar, le présente avant tout comme une créature céleste résidant du Kalaish, ce qui ferait de lui un gana, c’est-à-dire un serviteur de Shiva, un membre de ses légions divines, qui de l'enfer des Patalas au paradis de Brahma, font vibrer la vie à travers la poésie, l'orgie et l'abondance.
« Pour que sa parole se fît entendre à jamais, et que l'humanité pût se libérer du joug que l'incarnation lui faisait subir, Tirumular composa le poème sacré du Tirumantiram, qui décrit la convergence des différentes voies qui mènent à Shiva. Il le composa en extase, ne sortant de sa trance qu'une fois par an, et seulement pour prononcer une strophe. » Tirumular, Tirumantiram.
L'âge d'or tamoul
À la fin du premier millénaire avant notre ère, l'influence tamoule est composée principalement de son commerce et des vastes espaces maritimes couverts par les navigateurs et marchands.
En 300 avant J.-C., la péninsule tamoule commerce intensément avec l'Indonésie. Au premier siècle de notre ère, l’Indochine tout entière a été hindouiste. Le royaume cambodgien en a fait sa religion d'État, et de très nombreux commerçants et émissaires tamouls sont présents dans le royaume brahmanique et vietnamien de Fou-nan (200). Ce sont toujours ces mêmes commerçants tamouls qui introduiront au IIe siècle l'hindouisme en Malaisie, ils installeront des colonies bouddhistes et hindoues à Bali (200). Au IIIe siècle, ils seront en contact avec des tribus aborigènes en commerçant avec elles sur les côtes australiennes.
En 483, un prince aryen introduit le brahmanisme au Sri Lanka, il ne cessera de rester dans l'aire d’influence tamoule tout au long des millénaires.
Si l'hindouisme se propagea très vite en Indochine, ce n'est qu'au IV siècle de notre ère que la culture indienne est devenue vraiment notable en Indonésie, preuve qu'il ne s'agissait avant tout que d'une culture aristocratique, adaptée par les commerçants et les lettrés locaux. Elle ne fut jamais imposée par la force et la conversion, mais plutôt par le temps, l’usage et l’évolution des mœurs. De même, ce n'est qu’avec l'Empire de Gangganara (400 à 1000), en Malaisie, soit presque un millénaire après les premiers contacts avec les commerçants tamouls, que la péninsule malaise deviendra officiellement et largement hindoue.
Avant que l'islam ne représente une pression permanente pendant près de 800 ans, de 500 à 900, le pays tamoul est marqué par un âge d'or flamboyant, marqué par les courants littéraires et mystiques des Nayanars et des Alvars, qui vont produire un nombre incalculable de chefs-d’œuvre poétiques et religieux et dont chacun des auteurs sera divinisé par leur secte respective. Les grandes épopées hindoues furent aussi adaptées en khmer, ainsi qu'en toutes langues dont les danses et les pièces de théâtre furent traduites du sanskrit pour les nouveaux empires hindous et bouddhistes qui se déployaient au-dessus des mers, des Moluques à la Réunion.
Ainsi, l'Histoire nous enseigne que l'hindouisme peut être accusé de bien des choses, mais pas de s’être imposé par la force à des peuplades opprimées, ni d'avoir jamais été impérialiste ou évangéliste. Nulle part nous ne trouvons trace d'une quelconque violente expansion, d'une campagne destructrice de patrimoine. Il semble que l'hindouisme ait pris le pas sur des cultures locales pas assez structurées ou complexes pour satisfaire les élites nées de l'enrichissement du commerce.
L'hindouisme, à l’échelle de l'Asie tout entière, n'est donc pas tant une religion qu'une culture et une tradition, permettant la diffusion et la perpétuation d'un savoir, qui n'est autre que celui hérité de la tradition initiale. Si des castes brahmanes se formèrent alors à Bali, et elles ne le furent pas par des émigrés tamouls ou aryens, mais par des locaux, qui synthétisèrent à leur manière la sagesse védique, les Agamas et les Upanishads.
En 800, alors que s'établit au Cambodge le royaume d'Angkor (800 à 1300), et que les razzias musulmanes n'ont pas encore déstabilisé le pouvoir des rajas, la culture indienne connaît son apogée avant sa chute. À cette date, les aires d'influence de l'hindouisme brahmanique, vishnavite et shivaïte, mêlées à celle du bouddhisme, s'étendent à travers l'Asie tout entière, de l'Himalaya aux Moluques. Aussi incroyable que cela puisse paraître, depuis l’Empire chinois jusqu'en Inde, aucune guerre d'envergure, ni aucune campagne de conquêtes ne furent menées au nom de la culture ou de la religion hindoue. Quels que furent ses empires, l'Inde ne déborda jamais de son aire pour vouloir s'imposer en Perse ni en Indochine, où sa culture, nous l'avons dit, s'était installée pacifiquement et culturellement.
La résistance hindoue dans le sud de l'Inde
Suite aux invasions musulmanes dans le nord de l'Inde, la péninsule tamoule devint une terre de refuge pour le sanskrit, ainsi que pour la pratique des rituels védiques et brahmaniques. L'Empire chola assurant ce rôle de défenseur.
Les Cholas, de tradition shivaïte, s'opposeront à la progression du vishnavisme, menant parfois des persécutions à leur égard, afin de garder une certaine forme d'unité shivaïte face à la menace islamiste. « Vishnou retourne d'où tu viens » devient alors un slogan que crient ceux qui souhaitent repousser Vishnou à la mer, afin qu'aucun dieu ne dispute l'hégémonie de Shiva et de sa famille, composée de Ganesh, Murugan et Dévi. Il s'agit d'un des rares exemples historiques ne témoignant pas de la paix qui régissait les rapports entre les différentes sectes de l'hindouisme.
Durant tout le second millénaire, les Tamouls se déchirent également entre partisans de la main gauche ou de la main droite, c'est-à-dire partisans de l'influence brahmanique et du système des castes et partisans de ceux qui la refusent. L’extrémisme des deux partis divisa la société tamoule à l'aune de la menace existentielle que faisait peser l'islam sur elle.
Aux Cholas succédèrent les Pandyas (1076 à 1380), dont la capitale était située tout au sud de la péninsule, à Madurai, dont la fondation légendaire remonterait au troisième millénaire avant J.-C. Les Pandyas seront durant de longs siècles la seule puissance hindoue à lutter encore pour son indépendance face à l'hégémonie musulmane qui se sera étendue sur l'ensemble du sous-continent.
Dans les îles de l’Indonésie, jusqu'en Chine et tout autour du rivage de l'Indochine, s'étend l'influence tamoule, qui repose entièrement sur le commerce.
En 1150, les Khmers hindous construisent Angkor Wat.
En 1281, c'est le temple de Shiva qui est inauguré par la diaspora des commerçants tamouls à Quanzhou, en Chine. D'autres temples hindo-bouddhistes sont érigés dans la région.
De 1293 à 1500, le puissant royaume hindou et bouddhiste de Majapahit, depuis la Malaisie, règne sur l'Indonésie et Bornéo.
L'Inde du Sud dévastée à son tour
En 1305, la région centrale du Malava est conquise par Aladin, et c'est l'Inde tout entière qui tombe sous la domination du sultanat de Delhi. Dès 1307, des raids et des razzias sont lancés depuis le nord du pays vers le sud et le Pays Tamoul.
De 1309 à 1311, des violentes campagnes sont dirigées par Malik Kafur contre les royaumes hindous de Deogiri, dans le Maharashtra, de Warangal dans le pays Telangana et enfin à Madurai. Des dizaines de milliers de cadavres jonchent les routes empruntées par les troupes de Kafur.
Le temple de Shiva et Parvati à Halebidu est détruit, les villes et les villages incendiés. Les chroniqueurs de l'époque notent qu'il fallut plus d'un millier de chameaux pour rapatrier à Delhi tous les trésors dérobés durant ces trois campagnes.
Lors de la campagne du sac de la ville de Madurai, le temple de Srirangam de Tiruchirapalli est saccagé, ses sadhus et ses prêtres y sont trucidés sans ménagement. Trois jours durant, le temple et la ville sont les lieux d'un immense déferlement de violence : la nuit brille comme le jour à cause des bûchers et des autodafés où brûlaient les agamas, les tantras et les icônes des dieux tamouls.
De retour à Delhi, Aladin finit sa vie, fou et trahi, entouré de ses richesses et d'une cour décadente et corrompue. Lui succède la dynastie des Tughlaqs. Sous leur règne, la taxe des dhimmis est rétablie et les droits des minorités religieuses sont encore plus contrôlés.
Firuz Shah Tughlaq raconte dans son autobiographie :
« Les hindous qui pratiquent leur culte trop près d'une fontaine ou d'un point d'eau sont alors arrêtés et exécutés sur le champ sur la place publique. [...] Des hindous avaient érigé un temple et une nouvelle idole dans le village de Kohana et les idolâtres s'y assemblaient pour y mener leurs rituels. Ces gens furent arrêtés, et furent amenés devant moi. J'ordonnais alors leur mise à mort pour s'être conduit de manière perverse et j'ordonnais la publication de ce jugement. J’ordonnais aussi que les livres, les idoles et les objets du culte des infidèles fussent saisis et brûlés en public. Quant à ceux qui n'avaient pas péri ce jour-là, qu'ils se tiennent dans la crainte et le respect des punitions islamiques, que ce jugement soit un avertissement pour eux et qu'ils sachent qu'on ne peut pas suivre de telles pratiques dans un pays musulman. »
Face à la grave crise économique que le sultanat n'arrive pas à endiguer, une nouvelle monnaie est créée, mais elle précipite encore l'inflation. La corruption, les divisions, et les intrigues affaiblissent encore le sultanat, qui pourtant trouve le moyen de lever une armée de 370 000 hommes qu'il loge, nourrit et paie sans pouvoir parfois les utiliser de l'année. Quand ils ne touchent pas leurs soldes, les mercenaires deviennent des bandes de détrousseurs, qui pullulent dans les campagnes indiennes depuis l'arrivée des musulmans.
En, 1323 dans le pays tamoul, le temple de Srirangam est à nouveau pillé et dévasté, cette fois par les troupes de Muhammad bin Tughlaq. 12 000 sadhus sont alors massacrés à l'occasion en une seule nuit.
De 1335 à 1378, est instauré le sultanat de Madurai, que traversera le grand voyageur arabe Ibn Batuta. Celui-ci notera alors dans ses mémoires, le cruel comportement de son sultan Ghiyas-ud-Din Muhammad Damghani. Ibn Batura raconte que quotidiennement les troupes du sultan allaient en campagne pour capturer des jeunes femmes qu'ils amenaient tout de suite au palais pour être violées puis réduites en esclavage et envoyées dans les harems du despote.
L'Empire de Vijayanagar
La résistance hindoue annihilée dans l'extrême sud de la péninsule, va renaître autour de la ville nouvelle de Vijayanagar, dans le Deccan. Durant trois siècles des guerres les plus sanglantes de l'Histoire du sous-continent, vont s'acharner à repousser plus au nord les invasions musulmanes.
L'armée de Vijayanagar est alors la plus grande que jamais ne connut le sous-continent. Elle est composée d'un million d'hommes salariés et entraînés, maîtrisant tous les arts de la guerre, de la navigation à la cavalerie. Entraînés dans des écoles et vivant avec leur famille, ces soldats d'élite étaient dotés d'une puissante cavalerie, dont certains généraux étaient des mercenaires turcs et arabes. Les jungles du centre de l'Inde fournissaient aussi à cette armée de nombreux éléphants de guerre, qui malheureusement furent bien vite dépassés par les nouvelles techniques de guerre incluant les armes à feu et les obus.
Chose assez intrigante pour être remarquée, malgré les incursions meurtrières du sultanat de Delhi, l'Empire de Vijayanagar ne persécuta pas les musulmans qui vivaient sous son contrôle dans le Kérala et le Pays Tamoul. Ceci prouve encore une fois la tolérance et les compromis dont firent preuve les hindous à l'égard de l'islam et de ses adeptes.
Malgré tout, de 1347 à 1528, l'Inde centrale est dévastée par le sultanat de Bahmani, dont D. Ferishtha nous apprend « qu'en de très nombreuses occasions, le sultan tua une centaine de milliers d’hindous, ce qui semblait alors comme une sorte de barème punitif minimum et symbolique. »
En 1353, suite à la victoire hindoue à la bataille de Mudgal dans le Karnataka, Bukka Raya passe la garnison, qui s'était pourtant rendue, au fil de l'épée. Pourtant Vijayanagar tombe entre 1365 et 1367 aux mains du sultan de Bahmani, et les populations de ses villes et villages environnants sont massacrées sans vergogne. 500 000 victimes sont à déplorer parmi les populations indigènes hindoues. Rien qu'à Raichur Doab, 70 000 hindous sont massacrés sur l'ordre du sultan de Bahmani, comme vengeance des massacres de la bataille de Mugdal. Le sultan décrète aussi l'incendie des temples et des bibliothèques, ainsi que la destruction de toutes les idoles rencontrées sur son chemin.
Avec la chute des derniers royaumes indépendants hindous, c'est la chute culturelle des cultures tamoules, sanskrites et hindouistes dans leur ensemble. Les prêtres sont massacrés, les gourous déportés, les disciples et étudiants éparpillés. La capitale de l'Empire de Vijayanagar fut occupée six mois durant, puis rasée une fois ses environs totalement pillés et dévastés.
L'Empire de Vijayanagar renaîtra, redevenant une nouvelle fois le pendant impérial du sultanat de Delhi. Vijayanagar, sa capitale, sera bien défendue et fera obstacle au déferlement de razzias venues du nord de la péninsule.
En 1520, la bataille de la rivière Krishna est, selon Jacques Dupuis « le chant du cygne des armées médiévales ». Un million d'hommes et 5 000 éléphants sont mis en échec par la mitraille du sultan de Bijapur, dont les troupes sont constituées de 500 000 hommes et d'une forte artillerie. La bataille est finalement gagnée par les hindous, mais la catastrophe fut frôlée. Suite à cette bataille, des arbalétriers portugais seront embauchés par les hindous pour combattre le sultan de Bijapur et enfin prendre la ville de Bijapur.
Plus tard, sous la conduite du dernier des empereurs de Vijayanagar, Ram Jaya, les actes de guerres hindous prendront la forme des razzias musulmanes et d'une guérilla rapide et ciblée. Les sultanats du Deccan feront souvent appel à lui pour arbitrer des conflits intérieurs. En 1559 et 1560, une vaste campagne de dévastation est menée par Ram Raya dans le centre de l'Inde et la vallée du Gange. Selon Mohammed Qacim Firishta, historien persan contemporain des faits, « sur des centaines de kilomètres carrés, il n'y a plus trace de population. Ils ont massacré les musulmans et pillés leurs maisons. » Ultimement, le fort de Ahmednagar fut pris par Raja Ram Jaya.
En 1565, une alliance de royaumes musulmans du Deccan attaque l'Empire de Vijayanagar pour ce qui peut être considéré comme l'une des plus grandes batailles de tous les temps : la bataille de Talikota, près du fleuve Krishna. Un million d'hindous font face à 500 000 musulmans dotés d'une nombreuse artillerie.
Il s'agit en quelque sorte d'une redite de la bataille du fleuve Krishna qui s'était déroulée cinquante ans plus tôt, mais cette fois ce sont les musulmans qui emportent la victoire. Deux généraux musulmans aux ordres de Ram Jaya le trahissent d'ailleurs ce jour-là, observant le précepte islamique qui interdit de se battre aux côtés des infidèles contre un belligérant musulman. Par vengeance et en punition des campagnes de dévastation menées par Ram Jaya, la cruauté des vainqueurs est incommensurable : 100 000 soldats sont massacrés sur place, le Raja Ram Jaya est capturé et sa tête finit au bout d'une lance.
Vijayanagar est pillée, puis rasée par l'alliance du Deccan. À travers le pays les vastes complexes de temples hindous sont détruits, ainsi que les bâtiments impériaux et administratifs. L'Empire Vijayanagar ne survivra pas à la défaite de Talikota, car il est entièrement détruit par les musulmans : ses principaux monuments sont détruits, sa population massacrée, ses femmes violées. Pour simple exemple, de centre théologique et politique de première importance, Hampi, était redevenu un village de paysans à la suite de la chute de l'Empire Vijayanagar (jusqu'à la redécouverte au milieu du XXe siècle de son potentiel archéologique et touristique.)
Une nouvelle capitale hindoue s'installe encore plus au sud et des royaumes indépendants naissent dans les montagnes et poursuivent la lutte contre les royaumes musulmans du Deccan. En 1578 est créé le royaume hindou de Mysore.
En 1649, le sultan de Bijapur éradique les royaumes indépendants et rebelles des montagnes autour d'Hampi. Mais six ans plus tard, la lutte hindoue reprend sous la direction de Shivaji, le chef du clan des Marathes, une caste originellement paysanne mais qui devint celle aussi de guerriers, de pirates et de talentueux administrateurs de vastes territoires.
Florilège de la sagesse DRAVIDIENNE - Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières
Aphorismes extraits du saint Kural v. -300 L'anthologie qui va suivre est extrait du Tirukkural, " le Saint Condensé ", surnommé le Livre de la sagesse ou encore le Véda dravidien (tamoul). Il ...
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