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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Le voyage de TIRUMULAR (récit tamoul)

Je suis le serviteur de ceux qui furent les serviteurs de notre maître à tous, Tirumular.

Sundarar (v. 750 ap. J.-C.), Tiruthondar Thogai.

Les Nayanars

Les Nayanars (VIe au VIIIe siècle apr. J.-C.) sont un groupe de 63 poètes mystiques shivaïtes originaires du sud de l'Inde, qui écrivirent leur dévotion envers Shiva non pas en sanskrit, la langue sacrée des Védas, mais en tamoul. Ils vécurent durant la seconde moitié du premier millénaire et leurs œuvres réunies constituent la majeure partie du Tevaram, qui peut être considéré comme les Védas, ou la Bible, du shivaïsme tamoul. Les Nayanars peuvent être considérés comme la réponse shivaïte aux Alvars du vishnavisme, en ce sens qu'ils possèdent la même Bhakti, c’est-à-dire la même adoration sans borne envers leur unique divinité.

De même que les suiveurs de la tradition des Alvars nous présentent leurs gourous comme ayant vécu environ 3 000 ans av. J.-C.. La tradition des nayanars prétend qu'ils auraient vécu eux aussi en des temps immémoriaux, mais c'est vraisemblablement au cours du premier millénaire de notre ère qu'ils ont vécu et produit leur œuvre, au temps de l'âge d'or de la civilisation tamoule. Alors que le nord de l'Inde était soumis aux envahisseurs islamiques, le sud de la péninsule, libre des razzias, de la conversion de force et de l'esclavage, constituait un foyer de sauvegarde du patrimoine mystique des traditions shivaïte, brahmanique et vishnavite.

Au XIIe siècle, Sekkizhar, poète de cour, brahmane de son état, compile et canonise les poèmes mystiques des Nayanars, dont il donne de courtes biographies hagiographiques versifiées. En croisant les biographies de Sekkizhar avec les poèmes mystiques des poètes qui leur correspondent, nous pouvons jouir d'une vision complète de l'univers intellectuel et artistique des nayanars. Le Periya Puranam, de Shekizzar (XIIe siècle) dont nous reprenons ici la totalité du chapitre consacré à Tirumular, peut être considéré comme la somme définitive de ce courant mystique et littéraire. Il comprend un bref mais très vif résumé de la vie des 63 poètes qui composèrent l'école et la tradition des Nayanars. Les poètes y sont alors décrits comme vivant en perpétuel état de transe, dédiés corps et âme à Shiva.

 

Tirumular

Tirumular est l'un des plus illustres des Nayanars. Son œuvre comporte quatre très longs poèmes initiatiques, et nous présenterons le Tirumantiram, « Les 3 000 vers sacrés ». Écrit en tamoul, le Tirumantiram, surnommé lui aussi le Véda Tamoul, constitue l'un des ouvrages théologiques majeurs du Shivaïsme. Sa rédaction est attribuée à Tirumular, un sage qui aurait appris l'art du yoga transcendantal de Shiva lui-même et qui aurait vécu des milliers d'années au mont Kailash. Il s'agit cependant vraisemblablement d'un texte datant de la fin de premier millénaire.

La vie de Tirumular est tout à fait mystérieuse. Comme il l'avoue lui-même dans le Tirumantiram, Tirumular n'est pas né d'une femme, mais se serait directement incarné sur terre à l'âge adulte, et selon la volonté de Shiva. Son hagiographe Sekkizhar, le présente avant tout comme une créature céleste résidant du Kalaish, ce qui ferait de lui un gana, c’est-à-dire un serviteur de Shiva, un membre de ses légions divines, qui de l'enfer des Patalas au paradis de Brahma, font vibrer la vie à travers la poésie, l'orgie et l'abondance.

Pour que sa parole se fît entendre à jamais, et que l'humanité pût se libérer du joug que l'incarnation lui faisait subir, Tirumular composa le poème sacré du Tirumantiram, qui décrit la convergence des différentes voies qui mènent à Shiva. Il le composa en extase, ne sortant de sa trance qu'une fois par an, et seulement pour prononcer une strophe.

Tirumular, Tirumantiram

Du mont Kailash à l'Himalaya

Récit composé d'extraits du Tirumantiram de Tirumular et du Periya Puranam (Vies légendaires des Saints Nayanars) de Sekkizhar. Le Periya Puranam inclue La Vie légendaire de Saint Tirumular.

*

Au sommet du Mont Kailash, le royaume céleste de Shiva, il existe un temple à sa gloire d'une beauté immaculée. Devant Nandi, le taureau sacré qui en garde l'entrée, Indra, Vishnou, Brahma et tant d'autres dieux, pour y déposer leurs offrandes, faisaient la queue.

Ces créatures célestes, leurs mains jointes, tête baissée, genoux fléchis, s'approchent de celui qui porte en guise de couronne la lune renaissante, puis déposent des offrandes à ses pieds. Aux fond de leur cœur et jusqu'au plus lointain du cosmos, résonnent des hymnes chantés à la gloire de celui qui n'a connu ni la naissance ni la mort.

En leur compagnie vivait un yogi, fin connaisseur des quatre Védas, que Shiva lui-même avait décidé d'initier à ses mystères. En disciple, ce yogi étudia d'abord la manière de réduire son corps à la taille d'un atome, puis il apprit à maîtriser les huit pouvoirs occultes du yoga, qui sont les huit étapes qu'un rishi doit dépasser afin de prendre pleinement conscience de ses actes, de son existence et de la toute-puissance de son âme.

Ces huit pouvoirs sont :

_ l'attention, qui permet de parvenir à son objectif sans songer à la futilité,

_ l'acceptation,

_ la tolérance,

_ le détachement,

_ le choix

_ la décision, qui permet de différencier le bien du mal, le vrai du faux, le courage dans l'adversité,

_ le retrait qui permet d'accepter l'échec,

_ et enfin l'altruisme.

Son initiation accomplie, le yogi entreprit de visiter son vieil ami le très vénérable sage Agastya. Pour ce faire, il traversa le ciel comme un oiseau, quittant Kailash un matin pour rejoindre les beaux rivages vallonnés du verdoyant pays Tamoul, le soir-même.

Après qu'il eut visité Agastya en sa cabane, commença pour lui un grand pèlerinage qui le mena jusque dans l’Himalaya, afin d'y honorer Shiva, le Père protecteur de la Nature. Il visita dans ce dessein le temple de Pashupatinath à Katmandou et celui enneigé de Kedarnath, situé au dessus même du vol des oiseaux.

L'adoration du Gange

La très juste vision idolâtre du Gange est celle proposée par Jean-Antoine Dubois dans son Exposé de quelques-uns des principaux articles de la théogonie des Brahmes.

*

Le yogi voulut alors se rendre à Varanasi, car c'est dans cette ville que réside Shiva, lui qui permet à la mort de ne plus être suivie de naissance. Depuis ses sommets inaccessibles et éternellement enneigés, le yogi descendit alors le fleuve sacré, se baignant à chaque étape parmi lesquelles Gangotri, Devaprayang, Richikesh, Haridwar et Prayang furent les principales.

Où qu'il fût, il priait le Seigneur avec intense dévotion, de même que tout au long de son chemin, il n'avait de cesse de prier la déesse Ganga.

Son humilité, sa maîtrise parfaite des Védas et du Yoga, partout attiraient à lui une généreuse foule de badauds. La plupart d'entre eux étaient des pèlerins dont le souhait le plus cher était de se parfaire dans leur études de Shiva et Ganga. Marchant en solitaire toute la journée, ils se réunissaient le soir autour d'un feu de camp pour partager une soupe de lentilles. Ensuite, ils s'endormaient les uns contre les autres, pour se réchauffer, sous de mince toile de chanvre en guise de tente.

C'étaient de vieux pèlerins. Parmi eux, certains étaient des criminels qui avaient revêtu la robe rouge des sadhus pour échapper à leur destin et cacher le sang dont ils avaient été éclaboussés. La plupart étaient de pauvres vieillards revêtus de la toge blanche des renonçants et qui avaient atteint l'âge de la vie où l'homme n'est plus qu'un poids pour lui-même et sa famille. Tous avaient laissé derrière eux femmes et enfants pour entreprendre le plus sacré de tous les pèlerinages, celui qui devait les mener à la mort et à l'éveil.

Alors que le feu de camps crépitait, et que des oiseaux de nuit et des chauves-souris volaient au-dessus de la forêt, regardant la lune, ces pèlerins imaginaient le golfe du Bengale et la bouche du Gange, ou se remémoraient le glacier de Gaumukh et le mince torrent qui en coulait, et qui chaque jour ne cesserait de grossir à leur côté pour devenir le Gange : la matrice de la vie, la source de toute prospérité. Au fil de leur randonnée, dont le terme sera leur propre mort, c'était avec le plus grand des ravissements qu'ils voyaient le fleuve irriguer les plaines et permettre à la terre de ne pas être un désert.

C'est alors que le saint yogi descendu du Kailash et de l’Himalaya leur disait doucement :

« Mes amis, fermez les yeux, faites le vide en vous, et laissez-vous submerger par la vision de la déesse Ganga : elle a quatre bras, trois yeux, pour voir le passé, le présent et le futur. Elle est ornée de bijoux et de pierres précieuses, un croissant de lune orne son front qui brille comme un diadème. Dans une de ses mains, un lotus éclot, symbole de pureté, dans une autre, un vase rempli de pierres précieuses. Elle est enroulée dans un sari, quelques jolies demoiselles l'éventent et l'adorent en chantant, agitant leurs éventails en laine de yak au dessus de sa tête, laquelle est couverte d'une ombrelle en plume d'oie blanche... Mes amis, représentez-vous aussi la déesse Ganga conduisant la créature qui lui sert de véhicule et qui est un crocodile-poisson... »

Sa méditation guidée terminée, le yogi ajoutait :

« Maintenant, chers amis, vous pouvez aller libres et le cœur léger, car vous savez que le Gange auquel vous offrez votre vie, est un fleuve céleste, qui fut triplement sanctifié par la Trimurti : Vishnou l'a créé, Brahma l'a recueilli et Shiva l'a maintenu dans sa chevelure pour que sa descente sur Terre ne soit pas dévastatrice. Cependant, n'oubliez pas le Gange est aussi un fleuve temporel, et qu'il est la symbole de la fertilité et du passage dévastateur mais rédempteur du Temps. Bien sûr, c'est un cours d'eau identifiable et accessible dans cette vie terrestre, mais n'oubliez pas que le Gange possède plusieurs dimensions, car ce fleuve possède trois sources ; une pour chacun des trois mondes que sont le Ciel, la Terre et les domaines souterrains et infernaux. »

Shiva et ses ganas

Le Sri Rudram

Les invocations présentent dans ce texte sont extraites du second chamaka du Sri Rudram (Yajur-Véda Noir).

*

Quelque mille kilomètres plus à l'est, et un mois complet de marche à pied, en amont du Gange, les pèlerins arrivèrent finalement en vue de Varanasi, la ville sainte d'entre toutes les villes saintes.

Avant d'entrer dans la ville, dont la clameur des cymbales se percevait à des kilomètres à la ronde, notre yogi errant se mit à l'écart du chemin de pèlerinage, et assis en tailleur sur un lit d'herbes sauvages, il prit le temps d'adresser à Shiva, afin que son âme fût correctement préparée à recevoir en elle toute la brillance et toute l'énergie divine de la ville sans pareil.

Après avoir fait des libations, il fabriqua avec de la boue un lingam, puis prononça le mantra en hommage au Feu et à Vishnou : « Que ces dieux soient satisfaits de mes mantras, qu'ils renforcent encore leur puissance ! » dit-il alors en levant les bras au ciel.

Avec son briquet de silex, il alluma ensuite une petite bougie de saindoux avec laquelle il fit fondre un peu de beurre dans le bol qui lui servait à recevoir les offrandes, puis, en déversant régulièrement le liquide jaunâtre sur le lingam de terre, il prononça la guirlande de mantras qui constitue le Sri Rudram, le plus sacré des chants ésotériques destinés à Shiva.

« Ô Shiva, dit-il alors, ô Shiva je te salue, toi dont l'univers porte le nom. Ô Shiva, puisses-tu m'accorder l'abondance, la créativité, la conscience, l'étude, l'éloquence, le mental, l'effort intense, la rapidité de mes mouvements, de bonnes idées et de bonnes pensées, une bonne ouïe et une vue perspicace !

Ô Shiva, accorde-moi aussi la force intérieure, la vitalité, le pouvoir et la puissance, et une longue vie dont la vieillesse sera empreinte de sagesse. Accorde-moi ensuite la sagesse et le respect qui viennent avec l'âge. Pour cela, donne-moi une bonne circulation sanguine, une nourriture saine et appropriée à chacun de mes organes. Donne-moi aussi la force vitale, la capacité d'expurger mon corps de ses sécrétions néfastes et de ses déchets en tout genre, que ce soit des déchets organiques comme des idées néfastes

Accorde-moi la conscience, le corps et l'abri, la sécurité de mes membres, et le repos de mes os. Fasse enfin que je sois conscient de mes articulations comme du déroulement de ma pensée.

Fais de moi un bienfaiteur ! Donne-moi la possibilité d'offrir des cadeaux ! Laisse-moi la liberté de choisir, de me développer, de prospérer, de voir ma famille s'agrandir ! Donne-moi la souveraineté, la juste colère, donne-moi l’infini, l'insondable, l'eau potable et la victoire, donne-moi la gloire ! Fais-moi connaître la plénitude, l’honnêteté, la confiance comme la foi en soi !

Fais aussi que je puisse devenir la création toute entière, ainsi que toutes les richesses ! Fais que je sois capable de convaincre, capable de rayonner au dehors et en moi-même, capable de jouer, de me réjouir, de jouir des bons mots, de jouir des bonnes actions, de ce qui est justement dit et justement fait, de jouir de ce qui est né et de ce qui va naître...

Que tout ceci soit à moi ! Et que tout ceci me procure la gloire de compter près de moi de nombreux auditeurs et de nombreux disciples renommés, qui deviendront célèbres pour leur écoute et leur maîtrise des Védas, et qui seront dotés d'une illumination intérieure et d'un savoir divin, qui les rendra capables de communiquer avec les divinités !

Donne moi donc une bonne histoire à raconter, un bon passé à me souvenir et un avenir brillant à espérer. Fais-moi progresser, montre-moi la voie vers ma réalisation. Garde mon grenier toujours plein et mon esprit toujours vif et imaginatif. Garde mon esprit en état de raisonner clairement et justement. Donne moi aussi le talent d'enseigner, d'inspirer et d'être inspiré, de rechercher, de découvrir, et de chercher encore les vérités cachées et la véritable connaissance.

Permets-moi enfin de me mélanger aux vérités cachées pour ne plus faire qu'un avec elles, afin que je puisse percevoir nettement les rythmes du cosmos, ainsi que tout ce que mes sens ne peuvent percevoir. »

Ces paroles prononcées d'une parfaite prosodie, notre yogi entra dans la ville sainte.
 

Varanasi et le Gange en crue

Texte composé à partir de deux poèmes extraits de l'Ettutokai, le plus ancien texte de littérature dravidienne, datant de la fin du premier millénaire av. J.-C. Il s'agit du 17ème chant du Peripadal, intitulé Hymne à Murugan et composé par Nallasiyar, ainsi que du Chant du fleuve Vaigai, d'Asiriyar Nallanthuvanar.

 

Le soleil ne s'apercevait pas encore que la cité vibrait déjà de la foule de ses habitants, agités d'une particulière effervescence : le Gange était en crue !

Depuis sa source Himalayenne, la rivière avait bien grandi, et la déesse était maintenant large à perte de vue. Son courant était soutenu, placide et véloce et sa teinte boueuse et verdâtre. Sur la rive, de cyclopéens palaces aux façades de grès jaune, ressemblaient à d’immenses châteaux de sable, de boue et de poussière, que les vagues du Gange chatouillaient sans jamais parvenir à les détruire.

Depuis quelques jours, après avoir bu l'océan, les nuages s'étaient gonflés pour emplir le ciel, puis ils s'étaient débarrassés de leur fardeau en une pluie drue, pour le plus grand bonheur des habitants de la ville, du fleuve et ses champs alentours. Des trombes d'eau étaient tombées du ciel sur les bords sablonneux du fleuve, engendrant des glissements de terrain qui avaient nettoyé ses rives et ses ghâts... Ce qui avait été un promontoire, ne l'était plus...

Les nuits précédentes les animaux eurent peur, les paons hurlèrent car, en tombant, la pluie formait des cascades qui dévalaient les pentes et engorgeaient les ruelles. Sur les ghâts, des lépreux et des mendiants, dans l'espoir d'être attirés par le courant et de mourir dans les flots divins, s'avançaient en rampant, attendant qu'une vague les arrachât enfin à leur misérable existence. Au même instant, en Himalaya, quelques centaines de kilomètres plus au nord, dans un tonnerre de pluie et d'éclairs, des pans entiers des montagnes s’effondraient alors que surgissaient de la roche de blanches et écumantes cascades, qui déferlaient dans les vallons comme des tsunamis.

Pour annoncer à tous que les vagues ne se contenaient plus dans leurs berges, les tambours étaient battus dans la ville enfiévrée. Cette inondation, c'était pour les habitants de la vallée du Gange, l'inspiration des poètes et la prospérité du pays.

Quand elles eurent appris que les inondations avaient déferlé sur la vallée, les femmes sortirent l'encens, les fleurs et les offrandes, puis elles sortirent allumer les feux rituels sur les rives affolées du Gange. Elles se sont même apprêtées pour aller se baigner, pressant leurs amants de revêtir leurs habits de cérémonie pour l'occasion.

Des guirlandes de fleurs dans les cheveux, les hommes et les femmes s'embrassaient, les bijoux s'entrechoquaient et s'emmêlaient sur les poitrines, les bracelets aux poignets tintaient, de lâches parures ornaient les bras et les tailles, le maquillage coulait, et les ceintures se rompaient, révélant des trésors et des dangers... Tout était taché par la pâte de santal, perles et bijoux perdaient leur éclat : sur les ongles, sur les joues, la pâte parfumée coulait comme de la boue.

À présent, un vent léger soufflait sur le fleuve qui s'étalait jusqu'à l'horizon, couronné d'une aube qui levait le voile sur de torrides nuits. Un véritable bonheur animait les êtres, qui avaient dès lors l'assurance de passer une année de plus sur terre sans craindre la famine. Les digues du Gange s'étaient brisées, et avec elles la pudeur des amants le cœur déchiré par la passion débordante.

Ce jour-là, comme des éléphants maquillés pour livrer combat, garçons et filles attendaient avec impatience de pouvoir jouer dans l'eau. Des jeunes hommes, accompagnés de leurs fiancées, habillées de saris étincelants, jouaient à la bataille nautique, perchés sur des barques ! Les équipes s'approchaient pour s'affronter, armés comme des fantassins.

Aimant à se chamailler, dans l'onde fraîche et splendide, ils s'ébattaient dans leurs vêtements mouillés. Les plus téméraires avaient défait leurs parures et plongé dans la tumultueuse rivière. Certains nageaient avec des flotteurs en moelle, d'autre étaient assis sur la nuque d'éléphants, d'autres se promènaient délicatement sur de fiers chevaux, quand d'autres encore déversaient dans le courant des libations d'huiles et de parfums, de sorte que les flots sentaient à présent les plantes aromatiques, les pâtes et les huiles.

Il y avait des gens partout et il était impossible de ne pas être mêlé à la foule qui traversait les ruelles sans crier gare, poussant des chars décorés. Ceux qui allaient à pied, à dos d’éléphant ou à cheval, allaient tous dans la même direction et les rives du fleuve étaient bondées. Tandis que les plus faibles se contentèrent de barboter près de la berge, les plus forts s'avançaient dans les vagues où ils s'amusaient bruyamment, mais la rivière coulait alors trop ardemment et les jeunes venus des villages alentour ne purent s'aventurer bien loin dans ses flots.

Si petits sous les murs cyclopéens des palais-ashram des bords du Gange, et ne s’éloignant pas de la rive à cause des remous vaseux, des pèlerins barbotaient dans une eau polluée mais divine, toxique mais miraculeuse. Là, des femmes drapées de saris multicolores qui collaient à leur peau et des hommes torse nus, montaient et descendaient les escaliers qui menaient vers le fleuve le plus vénéré au monde, comparable seulement au Nil, vénéré jadis par les égyptiens et peut-être aussi à l'Amazone, pilier central de toutes les cultures indigènes d'Amérique du Sud.

Il y avait là des tamouls, à la peau si noire qu'elle en était voilette, des télougous, aux globes oculaires proéminents, rappelant leur lointains cousins les aborigènes d'Australie, des rajasthanis aussi composaient ce cortège permanent, dont les femmes telles des gitanes arboraient des bijoux qui leur pendaient des oreilles au nez, de même que les maharatis, reconnaissables à leur turban chatoyant, les bengalis, les penjabis, les assamais, tels des karatékas, dont les cheveux étaient entourés d'un bandeau blanc et rouge, tous les peuples du sous continent s'étaient donné rendez-vous sur les bord du Gange, chacun de leur côté, en familles, en colonies, dévalant les ruelles, se bousculant à peine, pour s'en aller barboter dans les eaux putrides mais sacrées de la déesse fleuve.

Sous de très grands parasols d’osier dont les armatures en fer forgé faisaient plus de deux mètres de diamètre, des grosses femmes assises sur leurs fesses comme la déesse sur le monde, vendaient des offrandes aux pèlerins : des petites bougies de saindoux qu'ils déposaient ensuite dans le Gange, et qui flottaient comme des guirlandes sur des centaines de mètres, virevoltant entre les bouts de cadavres qui remontaient à la surface.

Des mains courantes de cordes avaient été installées sur les ghâts pour aider les plus infirmes à descendre se baigner. Aveugles, vieillards et handicapés, tous attendaient donc leur tour pour tremper leurs chevilles dans le fleuve rédempteur. Tout autour d'eux, se purifiant au propre comme au figuré, des femmes et des hommes dont les couleurs de peau possédaient toutes les nuances possibles du noir au blanc, se lavaient les cheveux et s’astiquaient les corps avec vigueur, en utilisant un savon noir qui sentait le patchouli jusque sur la rive. Une fois leur toilette divine effectuée, demeurant dans la vase, ils se brossaient les dents et pissaient, sans pudeur, ni honte, en union totale avec leur déesse et les singes et poissons alentour.

Quelques mètres plus loin, passaient devant eux des barques et des radeaux, qui transportaient des familles entières de pèlerins qui n’en finissaient plus de déposer dans les flots les offrandes qu’ils avaient emportées avec eux depuis leur province: chiffons bénis, lampions, fruits, encens: toute chose était bonne à jeter en offrande, tandis que des rats suivaient les cortèges en nageant, espérant prendre leur part du festin avant qu'il ne sombrassent dans les profondeurs putrescentes de Ganga. 

En marge d'un rituel qui n'avait pas besoin de leur approbation ni de leur service, à l'écart d'une liesse qu'ils désapprouvaient, des brahmanes étaient pourtant courroucés en voyant le fleuve ainsi parfumé. Ils pensaient pitoyable que des eaux qui charriaient des guirlandes de fleurs et des huiles aromatiques, transportassent aussi les déjections des gens modestes, composés d'alcool, de fruits récoltés trop tôt et de légumes tuberculeux... Pour eux, cette pollution ruinait la grâce et la beauté du fleuve tumultueux. Pourtant, le Gange ne faisait là qu'accomplir sa destinée, qui est de ne jamais cesser de charrier l'eau trouble.

Des milliers d'ascètes entrèrent dans Varanasi ce jour-là, quittant pour une fois leurs mystérieuses cabanes forestières dans lesquelles ils vivaient en solitaire. Tous avaient les bras remplis de fleurs ruisselantes de miel. Ils accouraient, vêtus de draps délicats, portant la clochette dans une main et le bâton dans l'autre, au bout duquel ils avaient noué avec l'aide d'une corde de chanvre leur bouquets parfumés, leur tambour et une bourse contenant poudres sacrées et maquillages.

Sur les ghâts, en face des temples, de la pâte de santal avaient été étalée sur le sol par un boucher de la caste des prêtres Velan, puis avait été amenée pour y être sacrifiée, une chèvre qui avait été l'année précédente attachée à un figuier sacré et qui n'avait été nourrie que des bourgeons gorgés de sève des haut pâturages humides de l'Himalaya.

À la tombée du jour, alors que les pujas du soir résonnaient aux quatre coins de la ville, des torches de tissus parfumés furent enflammées, des instruments de musique furent joués sur des terrasses, des fumées de senteurs s'échappèrent des cuisines, et des drapeaux se levèrent, tandis que ne cessaient d'affluer toujours plus de dévots qui venaient se prosterner et se baigner dans le Gange.

« Si nous t'implorons, Ganga, disaient-ils avant d'entrer dans les flots, ce n'est pas pour obtenir la prospérité, l'argent ou tel autre de nos désirs, mais seulement la grâce, l'amour et la vertu ! »

Dans la nuit, depuis les faubourgs entourant la ville, s'échappèrent alors des bruis étranges, dont le tumulte était tel qu'il résonna jusqu'aux oreilles de Shiva. Ici, des bardes jouaient une douce mélodie, là, bourdonnaient les abeilles, plus loin, c'était la flûte que l'on entendait et ailleurs encore c'était les tambours qui rugissaient. Au même moment, de grandes chutes d'eau tombaient du ciel et rugissaient en se fracassant au sol, avant de s'en aller déferler vers le Gange. Ailleurs encore, c'était des musiciens qui dansaient en trance, se balançant en cadence tandis qu'une chanteuse entonnait un air populaire, et que des paons bleus étaient venus se joindre au spectacle en accompagner ses rythmes par une danse...

 

Les sadhus

Où que notre yogi errât dans les dédales de la vielle ville de Kashi, les psalmodies des Védas montaient à ses oreilles pour leur procurer la plus douce des délectations. Véritablement, à chaque coin de rue, l'amour de Shiva résonnait jusque dans le cœur et l'esprit des pèlerins qui en tout lieu étaient de passage en courbant le dos et la tête, en signe d'admiration, faisaient pour certains d'entre eux le tour de la ville les genoux au sol, absorbés en d'intenses et infinies génuflexions. La ville fourmillait aussi de mages qui, en échange de quelques offrandes, lisaient la destinée des pèlerins dans les étoiles et le reflet des pierres précieuses.

Toutes les religions de la Terre se pratiquaient alors à Varanasi, et de chacune des sectes et congrégations y était représenté par un palais, un temple ou un ashram, qui, sur la rive du Gange, avait été élevé à leur gloire. Y logeaient ceux qui étaient venus de toutes les provinces indiennes pour jouir à leur tour de l'insondable énergie du Gange. Cette énergie est celle de Shiva, la divinité tutélaire de la ville, celle qui y séjourne depuis la création du monde.

Alors que l’air se rafraîchissait, les sâdhus sortaient des tentes qu’ils avaient installées sur les ghâts et donnaient des cours de yoga à une foule venue de partout pour s’aguerrir dans la pratique de la prière sportive et méditative.

En se contorsionnant pour imiter les animaux sauvages dans leur stature symbolique, dans un état second, ils entortillaient dans tous les sens leurs membres maigres et saillant, mettant pieds par dessus tête, pour demeurer des heures entières immobiles face à leurs disciples d’un après-midi. Figés dans de telles positions, ils avaient tout à fait l’air de fous, mais tout le monde dans l’assistance aurait voulu être comme eux, capables de faire une telle abstraction de la douleur et de l’effort et chacun vénérait ces vieillards aux nattes enroulées sur la tête comme de véritables demi-dieux.

Ailleurs, des hommes nus, le muscle du pénis entaillé, pour ne plus jamais bander, les couilles cerclées d’une bague de fer, pour ne plus jamais jouir, empoignaient à pleine main le bout de leur sexe pour porter des rochers avec, devant les regards médusés et admiratifs des pèlerins, attroupés en masse devant ce spectacle d'haltérophilie mystique et burlesque.

D’autres sages, plus rares, enseignaient le yoga dans sa forme la plus fanatique et la plus puissante : ayant un jour fait la promesse de ne jamais baisser le bras, ou de ne jamais plus ouvrir la main du reste de leur vie, ils allaient ainsi, vitrine humaine de l’abstraction et de l’abnégation, le bras éternellement levé avec au bout une main pour toujours refermée. Au fil du temps, caillouteux et tranchants comme des griffes, leurs ongles étaient entrés dans leur paume pour ressortir de l’autre côté de leur main, pour s’entortiller ensuite sur eux-mêmes en montant vers le ciel sur des dizaines de centimètres.

Pour tous ces moines errants et magiciens, il s’agissait de faire la démonstration de leurs efforts passionnels pour s’oublier, eux-mêmes et tout ce qui les attachait au Samsara et à Maya, l'illusion gardienne de la réalité. Dans un effort sublime pour contrôler leurs émotions, leurs pensées, ils essayaient d’attendre le détachement absolu, c'est à dire le para-nirvana : l'absolu Graal métaphysique des peuples asiatiques.

Toutes ces choses, Siddhartha en aurait douté si on les lui avait racontées, mais il les avait à présent sous les yeux et c'était avec une curiosité sans limite qu'il se promenait le long des ghâts en observant les étranges pratiques des sâdhus.

Au bout de tous les chemins, objectif de tous les voyageurs, c'était le Gange, et ses eaux grises et boueuses. Au contact de l’eau sacrée, les pèlerins hurlaient de joie, et jouaient dans l’eau comme des enfants, jetant des éclaboussures à tout va, barbotant dans toutes les directions. Certains se noyaient, d'autres chantaient : « ho ! Ho! Maha Ganga ! Oh! Ganga maha! »

De toute part s'élevaient des prières d'amour et d'espoir adressées par les brahmanes à Shiva et toute la journée résonnaient inlassablement dans l’air les prières des hymnes sacrés ; repris en chœur par des dizaines de fidèles

Sur les ghâts, ces escaliers monumentaux qui s'enfoncent dans le fleuve ou s'élèvent vers le ciel, et à toute heure, l'air était embaumé des fumées bleues du charas, tandis que des biscuits d'opium étaient distribués aux pèlerins.

Ceux qui avaient survécu à la baignade demeuraient donc ainsi allongés sous le soleil, à méditer, se demandant bien ce qu'ils auraient le courage de faire, ou de ne pas faire, pour enfin s'extraire de cette réalité. Devant eux, accompagnant des rajas venus d'outre-Himalaya, passaient des défilés de dromadaires, de vaches, d’éléphants, avec perchés sur leurs balcons, des gourous immobiles, assis en tailleur comme des statues, noyés sous des colliers de fleurs... Ces cortèges étaient suivis par des foules en délire qui dansaient et des femmes qui se pressaient en tendant leurs enfants à bout de bras afin que les gourous les bénissent.

« Hare, hare! criaient-elles !

_ Om namaye shivaya » répondaient-ils, tandis qu'ils passaient sur leur palanquin, lestes et majestueux comme des princes, détachés comme des philosophes et beaux comme des prophètes.

Méditant auprès du Seigneur, incapable de s'en détacher ne serait-ce qu'un instant, notre yogi demeura à Varanasi quelques temps, transi de dévotion et en complète osmose. Délivré du monde matériel, la joie déferlant dans son cœur, il fut alors témoin de la danse cosmique qui se déroulait à l'intérieur même de sa conscience.

Ses nuits, il les passait dans un campement de dévots shivaïtes, dont le gourou avait le pénis coupé, les testicules cerclés de fer, et le corps recouvert de cendre. Cette couche de cendre, c'était le feu initial, c'était Shiva, mais aussi sa seule défense la nuit contre le vent glacial, car depuis qu'il avait quitté femmes et enfants, pour entrer en sacerdoce et prendre la route, ce gourou n'avait rien possédé d'autre que ses jambes. Son ego lui-même, il l'avait abandonné au fil du chemin, en vivant ainsi nu, le sexe atrophié offert à la vue de tous, comme preuve imparable de son saint détachement envers les futiles tentations de Maya, le démon de l'illusion qui contrôle les sens. Il ne craignait donc ni le froid, ni la neige, ni le vent, et vivait tel le parfait ascète qu'il était et qui avait su dompter sa souffrance physique pour devenir un immortel, un être sans souffrance, une entité libérée (Moksha) du cycle des incarnations (Samsara).

À la fin d'un séjour qui fut donc riche en expériences mystiques, et qui lui firent encore franchir de nouvelles étapes dans son élévation spirituelle, notre yogi quitta enfin Varanasi, la ville habitée par Shiva sur terre, pour rejoindre le sud de la péninsule indienne, où le menait la suite de son pèlerinage des lieux saints du shivaïsme.

 

Les vaches de Moulane

Depuis le début du Puranam consacré à Tirumular, le biographe n'avait pas encore nommé son personnage. Ce n'est qu'à la suite de l'épisode des vaches en pleurs, que celui-ci devient Tirumular, dont l'étymologie signifie « Saint Mulan ».

Extrait du Periya Puranam de Sekkizhar.

*

Ainsi, après avoir pratiqué intensément le yoga, et avoir séjourné toute une saison à Varanasi, le yogi prit la direction des collines embrumées qui dominent le plateau du Deccan.

Il fit alors le pèlerinage des temples qui témoignent de la danse cosmique qu'avait effectuée Shiva en créant les mondes et ceux qui les habitent. À Tirukkaalatthi il déposa des offrandes, de même qu'à Thiruvalangadu et Tiruvekaamparam. Un temps il demeura à Kanchi, une ville prospère protégée par d'impressionnantes murailles.

Sous le charme de cette ville prospère et dévote, il y vécut en compagnie d'autres sâdhus qui pratiquaient le yoga de Shiva, puis il reprit la route pour la ville de Tiruvatikai, dont les remparts sont des rochers.

Là encore il fréquenta les ashrams et adora le Seigneur, puis il arriva à Chidambaram, la ville étincelante, où se trouve le temple de Perumpatra. Là, Shiva et ses disciples en extase dansaient dans des rues ornées de guirlandes de fleurs.

Il suivit ensuite la vallée tracée par le cours du Kaveri, un fleuve qui pourvoit à la fertilité de toute la région et qui s'étend jusqu'à l'océan. Cependant, si le Kaveri s'étend jusqu'à l'océan, il ne s'y jette pas, car ce divin fleuve, craignant de le salir avec ses flots, ne s'y mêle pas.

Se déplaçant à pied, dormant chaque nuit à la belle étoile, le yogi découvrait à chaque instant la vie dans un état de joie et de curiosité permanente, libre de toute les contingences liées à la vanité.

Après s'être baigné dans les eaux du Kaveri, il poursuivit sa route en suivant ses rives, jusqu'à ce qu'il arrive à Tiruvaavaduthurai, la ville où la déesse Parvati pratiqua un jour le yoga de la flamme intérieure.

Longtemps il demeura en ce lieu, ce qui lui permit de pratiquer de nombreuses fois les dévotions et circonvolutions autour du grandiose temple du maître de la nature, Shiva-Pashupati.

Cependant, sans qu'il sût quoi, quelque chose le retenait et éloignait de lui la date du départ, alors, avec la plus grande joie, il demeura encore dans cette ville. Enfin, il repartit.

Or, bien lui a en prit de demeurer quelques temps de plus dans le temple de Pashupatinath, car bientôt il en vint à vivre un événement des plus étonnants :

Croisant de nouveau le cour du Kaveri, sur ses berges bordées de verdoyants pâturages, il assista à un bien triste spectacle : des troupeaux de bovins pleuraient à l'unisson la mort de leur vacher, un certain Moulane, le fils d'une famille de gardiens de troupeaux originaire de Sattanur, un village prospère où les brahmanes vivaient entourés de mille splendeurs.

En solitaire, Mulan faisait paître ses troupeaux, quand la mort, comme c'est la règle dans ce monde-ci, le frappa par surprise et sans pitié, sous la forme d'une morsure de serpent.

Son cadavre déjà attirait les mouches. Perdues, en détresse, beuglant de peur et de tristesse mêlées, les vaches le reniflaient, le poussaient de leur museau. Affligé à la vue d'une telle misère, le yogi se dit aussitôt : « je vais effacer la tristesse de ces braves bêtes. »

 

Après une profonde réflexion, le sage conclut : « je ne pourrai guérir ce bétail de la tristesse qu'en ramenant leur maître à la vie. » Et ceci dit, il pris soin de se cacher en lieu sûr, puis il entra en méditation et invoqua le feu intérieur. Une foi libre de son corps, grâce à sa maîtrise des énergies vitales, il insuffla son âme dans le corps gisant de Moulane.

Les vaches, folles de joie, lui témoignèrent leur reconnaissance en le portant sur leur dos, en lui léchant les mains, en le caressant de leur queue levée. Puis, libre de leur souffrance, elles retournèrent paisiblement paître. Depuis ce jour, il devint celui que l'on appelle Moulane-le-Saint, « Tiru-Mular ».

Voyant son bétail heureux, la grâce et la miséricorde emplirent le cœur de celui qui se nommait à présent Tirumular. Il se mit alors à leur tête et les mena paître de l'autre coté du Cauvari, dans un endroit où l'herbage était parsemé de fleurs.

 

Le soleil flamboyant disparaissant derrière les montagnes, le troupeau prit lentement le chemin du retour vers leurs étables. Aux abords du glorieux village de Sattanur, Tirumular s'assit en position du lotus, retenant son corps d'entrer dans la ville et d'y connaître la femme de Moulane.

Elle n'avait ni enfant, ni parent, celle qui l'avait attendu dans l'anxiété et qui maintenant venait à sa rencontre. « qu'est-ce donc que cette attitude ? » lui demanda-t-elle simplement. Ce à quoi Tirumular répondit « je n'ai plus aucun lien avec toi ! » Puis il s'éloigna d'elle pour s'en aller méditer en quelque lieu isolé.

Ayant trouvé son mari complètement transformé, elle s'en retourna mais ne ferma pas l’œil de la nuit et ne dit mot à personne de ce qui était arrivé la veille. Le lendemain, son mari n'étant toujours pas rentré, elle convoqua l'assemblée des patriarches et leur exposa la situation.

Les sages allèrent donc à la rencontre du vacher et le trouvant absorbé en médiation. Ils l'observèrent longuement, l'auscultèrent, puis déclarèrent miséricordieux:

« Il ne s'agit là ni d'une passade, ni d'une démence, pas plus que de la conséquence d'une cause extérieure. Il faut donc en conclure qu'il est profondément lucide mais qu'il s'adonne à la pratique du yoga de Shiva : son instabilité psychologique a été déracinée, son esprit n'oscille ni ne vacille plus, et pour l’éternité il demeurera en béatitude... De son vivant, il a donc atteint les pieds de Shiva et en a fait sa demeure, ayant écarté de lui tous les désirs, il est devenu un mage doué d'omniscience. Ainsi, il ne pourra plus être lié à la vie qu'il menait jadis avec toi. »

À ces mots, la femme entra en fureur et ceux qui l'entourèrent durent la ramener de force chez elle.

 

Quittant la friche où il avait établi son campement, Tirumular reprit le chemin qu'il avait suivi avec le bétail, souhaitant retrouver son corps.

Mais une fois arrivé là où il l'avait caché, il ne le trouva pas, ce qui le rendit tout à fait perplexe, alors il médita.

Comme il avait pleinement conscience des dessins du Seigneur, il pensa : « C'est Shiva lui-même qui a dérobé mon enveloppe charnelle, afin que je puisse écrire sur un parchemin et en tamoul, les paroles qu'il me dictera. Qu'il en soit donc ainsi, par la grâce de Shiva. »

À l'aube, il renvoya les villageois qui depuis la veille l'avaient suivi, leur disant qu'aucun lien ne l'unissait à eux. Puis, seul à nouveau, il médita en pensant à Shiva, puis, après avoir déraciné de sa conscience le désir et la colère comme des mauvaises herbes, il entra à nouveau dans la douce ville de Tiruvaavaduthurai.

Là, il vénéra Shiva dans tous les temples qui lui étaient consacrés et pratiqua le yoga de longues heures, assis sous un figuier sacré, situé dans le coin occidental de la cour du temple. Maîtrisant le Shiva-yoga, il devint alors un seul avec celui qui trône sur un lotus : Brahma, l'âme universelle et immortelle de l'univers : le Brahmane.

 

Le Tirumantiram, Véda tamoul

Alors que Tirumular se remémore ses vies passées, les paroles que nous lui prêtons sont les siennes, car elles sont composées d'extraits du prologue de son Tirumantiram.

 

Dans cette ville, à nouveau se réunit autour de lui une petite foule d'auditeurs qui bientôt devinrent ses disciples. Quand ceux-là lui demandaient d'où il venait et quelle était sa caste, Tirumular répondait :

« Je me souviens encore, à peine glisser des pieds du Seigneur dans ce monde, que je fus le témoin ébahi de la danse de Shiva ! En extase j'ai vécu ainsi 70 millions de yuga (302,4 millions d'années). Perdu dans des dévotions fanatiques, c'est Shakti que j'adorais alors... C'est d'elle qu'avec une ardeur sans cesse augmentée, je recherchais les faveurs.

En extase, je suis resté cependant ignorant de l'enseignement de Shiva, des Sages et des Védas. Ne les portant pas dans le cœur, bientôt mon esprit me joua des tours et c'est alors que je dus m'y intéresser et que je les ai étudiés.

C'est alors que Shiva m'a déplacé par ici : là où je suis, enfin libre des mystères et des bracelets scintillants de celle qui ne trouble plus la vision jadis précise que j'avais de mon Créateur.

Bijou brillant dans ma vie, éternelle brise marine, elle fut pourtant mon sauveur, celle qui m'a délivré de toutes les attaches dont j'avais hérité depuis ma naissance. Je n'avais alors pas de mal à la rejoindre, Shakti, et c'est à ses pieds qu'en extase je demeurai...

Puis, de dévotion en dévotion, je me suis alors accroché à Shiva. Dans un ascétisme total, j'ai cherché le repos à l'ombre de son figuier sacré. En complète extase, j'ai chanté des paroles composées de ses innombrables noms.

Cette spirale de vies suivies de morts, suivies de renaissances, je l'ai vécue un nombre incalculable de fois. J'ai vécu là où n'existe ni le jour ni la nuit... J'ai même vécu en des lieux où je fus honoré par les dieux mêmes, mais toujours je suis demeuré attaché à Shiva et à son enseignement.

L'inarrêtable roue du temps traversait les yugas, quand le fleuve Sarasvati passa sur les versants du Kailash, où je résidais alors. Assis en tailleur à l'ombre de l'arbre de la connaissance, je fus témoin de son passage et de Shiva qui se baignait dans ses flots...

Cette existence, je l'ai menée 400 millions d'années. »

Un tel discours faisait naître bien de l'intérêt parmi son auditoire. On lui demandait alors pour quelle raison il s'en venait à présent dans le pays tamoul. Tirumular leur répondait d'une langue toute aussi mystérieuse :

« Sachez mes amis, qu'en vivant en reclus, absorbé dans l'ascétisme, je dépérissais en adorant fanatiquement Shiva, quand une nuée de créatures célestes m'entoura en chantant des prières. C'est alors que le Seigneur me dit : « Ce sera toi qui ira par le monde porter ma parole, mais n'oublie pas que je suis l'égal de Vishnou et Brahma ! »

J'ai alors suivi les chemins qu'empruntaient les dieux, les démons et les humains, pour dominer les forces et maîtriser les sagesses. En disciple de Shiva j'ai grandi, pour devenir un vénérable sage. Jusqu'au jour où je me suis incarné ici, sous le ciel bleu.

Ainsi, toujours j'ai porté sa parole, et depuis le Mont Kailash jusqu'aux confins du monde, il fut comme un vent léger qui souffla sur moi en effaçant mes péchés. Tous les jours je me prosternais et je chantais les noms sacrés Shiva et dans le feu que j'allumais pour lui, je l'apercevais, lumineux comme une lune dans la nuit. Sans cesse, je marmonnais son nom, nuit et jour je lui adressais mes pensées et chaque jour j’espérais voir me visiter la flamme éternelle qui n'a pas été créée mais qui est.

C'est alors que l'éternel prit possession de mon corps de mortel : ma respiration devint la sienne et les battements de mon cœur suivirent le rythme du tambourin qu'il agite au bout de son trident depuis la création du monde. »

Admiratif de si belles et justes paroles, qui sans douter ne pouvaient être qu'inspirées du Dharma, on lui posait alors des questions concernant le sens de la vie et celui des Védas... Alors, Tirumular répondait simplement :

« N'importe qui pourrait connaître le bonheur qui fut le mien à travers les âges. Pour cela il faut étudier les secrets des livres sacrés et chanter les Védas, d'une telle manière que l'auditoire en soit bouleversé. Car de tous, celui qui fait frémir en parlant de Dieu, celui-là est le plus vénérable des sages et de tous les livres qui inspirent l'esprit et font resplendir le cœur, les Védas sont ceux qui présentent le plus fidèlement possible la véritable nature.

Vous qui m'entourez, sachez qu'au dessus de ma tête inclinée, il y a les pieds de Shiva que je vénère et que même si je chante de tout mon cœur et à tue-tête son nom, je suis pourtant à l'écoute du moindre de ses conseils. »

Assis en tailleur, on prenait alors place à ses côtés, on déposait aussi maintes offrandes dans son bol, ainsi que dans celui de ceux qui étaient ses plus proches et fidèles disciples.

Régulièrement, maître Tirumular fumait la grosse et grasse fumée d'un chillom que lui tendait ses disciples, puis il levait ses mains au ciel et prononçait ces paroles :

« Ô Shiva, mon taureau, mon chevreuil, mon épée toujours prête à dégainer, ô Shiva, mon maître, la cause sans cause, tu m'as demandé de révéler les mystères de la pensée sans obstacle, et pour cela tes pieds seront toujours posés sur mon front. »

Puis il s'adressait à ses disciples :

« Pour avoir tant voyagé là où campent rishis et dévas, eux qui tous sont si désireux de capter la brise qui les libérera du Samsara, je vous l'assure, aussi dévoués soient-ils aux rituels, ils ne sont pas au fait de tous les mystères auxquels je vais vous initier... »

Et alors commençait les sermons de Tirumular.

Pour que sa parole se fît entendre à jamais, et que l'humanité pût se libérer du joug que l'incarnation lui faisait subir, Tirumular composa le poème sacré du Tirumantiram, qui décrivait la convergence des différentes voies qui menaient à Shiva.

Il le composa en extase, ne sortant de sa trance qu'une fois par an, et seulement pour prononcer une strophe.

Cette œuvre magistrale commença ainsi :

« L'objet de ma quête, l'adresse de mes prières, le sujet de mes méditations, est celui devant lequel nous sommes tous égaux. Il est le joyau, il est l'immortel que les dieux vénèrent, devant lequel, chaque jour, ils se prosternent. »

L'année suivante, Tirumular sortit de sa torpeur pour ajouter les mots suivants à son manuscrit :

« D'abord Shiva fut, puis fut sa grâce. Gardien des quatre directions et des sept mondes, créateur du huitième, il est celui qui règne sur l'univers qu'il a conquis, puis façonné, et qui depuis demeure. Priez-le sans cesse, le généreux, l'incomparable, le premier témoin des Temps : Shiva, le divin Père, doux comme le nectar. Priez-le même quand vous priez, et vous récolterez la récompense de votre fidélité. »

L'année d'après, assailli tout l'année durant de questions métaphysiques et théologiques, Tirumular répondit à sa secte de la manière suivante :

« Qui peut se faire une idée juste de la grandeur du Seigneur ? Qui peut apprécier sa profondeur et sa force ? Il est la mystérieuse flamme sans nom, dont l'origine est inconnue et dont il est aventureux d'entreprendre la description. »

L'année d'après, il dicta au scribe les vers suivants :

« Pauvre en talent : Je ne sais ni chanter comme un chanteur, ni danser comme un danseur, je ne sais pas non plus comment on cherche, ni comment on trouve... Pourtant mes paroles de vérité, chantées sous ces lumineux auspices, forment la plus douces et la plus pure des mélodies. Brahma, qui créa le monde après Shiva, ainsi que tous les autres dieux, les reprennent en chœur, à la recherche eux aussi de la lumière éternelle. »

L'année suivante, une dispute intervint dans la congrégation concernant la manière de célébrer les rituels. Le jour où il se mit à parler, Tirumular adressa donc ses paroles à ceux qui avaient le cœur assombri :

« S'il y a bien une chose que je sais, c'est que l’on accède au Seigneur en chantant et en dansant : je l’accueillerai donc avec des guirlandes, je l'embrasserai, je le serrerai contre mon cœur, celui dont je chante le nom et auquel j'adresse ma danse et mes offrandes de fleurs. N'oubliez pas que les démons, comme les dieux, chantent la gloire de Shiva, alors nous aussi glorifions celui qui brille dans notre cœur. »

«  Gloire à Shiva ! Hare Om ! » chantèrent ses disciples en écho, rallumant pour lui un chillom dont la fumée bleue les rapprochait de leur maître à tous, l’omniscient et tout puissant Shiva. Pour qu'il entre au plus profond de leur cœur, les disciples de celui qui fut au commencement de l'infini, chantèrent alors en cœur :

« Ô Shiva, bleu comme l'aube, tu es ma lumière, ma douce lumière ! Je chante la gloire de celui dont toute vie se nourrit. Régnant sur la nature, adoré par tous les univers, il est celui qui jeta Yama en enfer ! »

La sagesse et l'abstinence de Tirumular agrandit sa renommée dans la région. Une nouvelle année se passa, puis on rapporta encore de lui les paroles suivantes :

« Avec l'aide de Shiva, il faut chercher la cause première. Par amour pour lui, il faut devenir son disciple et grâce à sa générosité, nous accédons à la vérité et demeurons dans l'extase. Gardien des eaux sacrées du Gange, dans lesquelles il se baigne, Shiva est la lumière qui descend dans le cœur de ses disciples. C'est à lui que nous devons adresser nos prières, c'est de lui que nous devons obtenir les grâces. Jamais nous ne devons cesser de prier celui qui n'est pas né. D'une voix qui ne fatigue jamais, d'un cœur sincère, il nous faut le chanter et le prier, jusqu'à ce qu'il apparaisse devant nous dans toute sa splendeur. »

Au terme de sa septième année de méditation, Tirumular dit encore :

« Ceux qui le chérissent au plus profond de leur cœur, Shiva les considère en amis, et c'est ensemble, comme disciples et gourou, qu'au paradis ils gambadent dans la même prairie. Ceux qui atteignent ce près magnifique seront ceux qui lui ont dédié leur vie et qui n'ont jamais cessé de l'adorer. À ceux-là, le royaume de Brahma sera offert, et pour eux, l'empire de Maya ne sera plus. Soyez-en certains, pour ceux qui se prosternent quotidiennement aux pieds de Shiva, et qui, malgré la trance, sont à l'écoute du moindre de ses conseils, ceux-là, l'Illumination sera leur récompense, et telle une fontaine, elle les emplira jusqu'à déborder... »

Au fil des ans, il composa ainsi une guirlande de mots longue de trois mille strophes. Pour la composer, il vécut, dit-on, trois mille joyeuses années sur terre, suite à quoi, et toujours selon la volonté de Shiva, il rejoignit le Kailash pour y passer l'éternité et ne plus faire qu'un avec celui qui porte la lune en couronne.

 

L'ascension de Tirumular vers Shiva-Loka

Ce récit correspond aux cosmogonies puraniques de traditions shivaïtes et shaktistes, en vogue à l'époque où vécurent les saint nayanars (700 à 1100 ap. J.-C.)

 

L'âme de Tirumular, après avoir dépassé les sphères supérieures du ciel, l'espace et les régions les plus éloignées du cosmos où vivent les fantômes et les dévas, rejoignit après sa mort le Satya-Loka, le domaine de Brahma, qui est le plus haut point accessible aux hommes, et où seuls les plus doués des sages accèdent de leur vivant comme après leur mort. Brahmaloka est un paradis, pour la simple raison que ce domaine-ci de l'existence était libéré du désir sensuel.

Bien que situé au sommet du Mont Mérou, l'axe de l'univers, Tirumular l'avait pourtant rejoint en quelques instants. Là, il se délecta quelques millénaires, qui furent pour lui quelques secondes.

Au-delà de Satya-Loka, Tirumular dépassa ensuite la limite de la destruction de l'univers, située bien au-delà de l'étoile la plus périphérique du cosmos. Au-delà de cette zone, que chaque déluge détruit pour faire renaître, prenait fin le domaine de la Déesse-Mère, dont la puissance s'impose à tout ce qui vit comme à tout ce qui meurt.

Tirumular franchit alors cette frontière pour rejoindre Kumar-Loka, la planète où vivent les plus glorieuses projénitures divines, comme les quatre jumeaux Kumaras ou Skanda, le fils de Shiva et Parvati.

 

Puis, c'est en suivant le Divyaloka, un chemin astral, que Tirumular parvint à Swananda-Loka, le monde de Ganesh.

Les quatre portes de Swananda Loka étaient alors ouvertes sur les quatre directions, et chacune était gardée par deux gardes qui, chacun d'eux, possédaient 4 bras et une force collossale. Cette planète, qui était celle des richesses et des plaisirs sans fin, n'était pas simplement accessible aux plus sages des sages, mais seulement à ceux d'entre ces sages qui avaient largement exercé sur terre la pratique de l'offrande et du yoga, et qui avaient ainsi fait preuve de leur générosité.

Devant Tirumular se dressa alors le palais de Ganesh, haut de 13 000 kilomètres (1 000 yoganas.) Des monstres gigantesques en gardaient l'entrée, les Bramarambika, qui en empêchaient le passage. Les Bramarambikas étaient revêtus d'armures dorées, leur peau semblait de l'or et ils brillaient comme des soleils. Derrière eux, on apercevait le palais et la ville de Ganesh : là, tout n'était qu'oppulence et ne s’y serait trouvé aucune trace de pauvreté, les chemins étant pavés de pierres précieuses et d'or.

Au coeur de Swananda-Loka, Tirumular put aussi apercevoir Tejovati et Jwalini, les shaktis gardiennes de tout ce qui se passe entre les murs de la cité céleste, qui faisaient la ronde entre des ruelles dont les pavés étaient de pures pépites d'or.

En volant au-dessus du royaume de Ganesh, Tirumular put constater que Swananda Loka était habité de milliers d'âmes, qui toutes avaient reçu la grâce de Ganesh, et composaient sa cour, en s'agglutinant autour de lui comme des moustiques dès qu'il apparaissait.

Ce n'est pourtant pas dans sa capitale que Tirumular rencontra Ganesh, mais alors qu'il s'apprêtait à quitter Swananda-Loka par le nord du domaine, au-dessus d'un océan de jus de canne à sucre : c'est là que le dieu de la chance, de l'intelligence et de la prospérité demeurait en tailleur, au sommet d'un lotus rose géant qui fleurissait éternellement, assis sur un trône de pierres précieuses. Tirumular put alors constater que Ganesh avait l'apparence d'un enfant de neuf ans, couronné et parfumé, arborant un ventre rond comme la terre et trois yeux, dont l’un possédait le pouvoir de détruire l'illusion.

Ganesh avait les étoiles et les planètes comme chevelure, et de sa transpiration s'écoulaient des océans et des rivières. Près de Ganesh, se tenait une souris qui, à l'occasion, pouvait se faufiler dans tous les recoins de l'existence et rapporter à son maître ce dont elle était témoin.

 

Après avoir honoré Ganesh, Tirumular continua son ascension pour enfin rejoindre Shiva-Loka, où il retrouva avec une joie immense la princesse des montagnes Parvati, le boeuf Nandi, et l'ensemble des Ganas, qui, pour saluer son retour, avaient allumé des feux sur les versants du Kailash, au sommet duquel il trouva son maître et ami Shiva qui, comme à son habitude, méditait assis sur une peau de tigre.

D'un côté du Kailash et du dieu s'étendait un monde glacé et enneigé, tandis que de l'autre côté s'étendait un monde lumineux et luxuriant. Au sommet de l'axe de l'univers, demeurait donc le couple divin Shiva-Shakti, qui depuis la nuit des temps, incarnait le couple idéal, l'exemple à suivre pour tous les couples de créatures qui arpentaient les 14 domaines de l'existence.

Depuis le trône de pierre qu'ils partageaient, Shiva et Shakti étaient donc le centre de toute existence. Shiva, le corps de l'univers, méditait sur sa création, tandis que sa femme, à la fois mère, femme et maîtresse, s'efforçait de maintenir pour lui les conditions nécessaires au bon déroulement de sa trance. Ainsi, tandis que Shiva méditait sans relâche, Shakti, sous la forme de Parvati, la fille des montagnes, comme le ferait un disciple pour son gourou, lui lavait les pieds et veillait à ce que sa cruche fût remplie d'eau de source tous les matins du monde. Mais plus encore, Shakti inspirait chacune des pensée de Shiva et motivait ses moindres actions, de sorte que l'entité maîtresse du cosmos n'était pas tant le sauvage et taciturne Shiva mais la douce et généreuse Parvati.

 

À l'approche de Tirumular, les yeux mi-clos, le Mahadéva leva le bras droit et ouvrit sa main, qu'il referma ensuite pour ne garder que son index levé, pointé vers le ciel. Tirumular suivit alors son geste et continua son ascension, s'envolant au dessus même de la montagne Kailash. Là-haut, il découvrit Uma-Loka, la planète de la déesse Parvati, où vivaient tous ses avatars, tels Uma, Durga, Prakriti, Mahadevi ou encore Kali.

Apercevant une étoile qui brillait encore plus haut dans l'espace, Tirumular continua vers elle son ascension, sachant qu'elle serait pour lui son ultime destination, car c'était Siddha-Shiva-Loka, « le domaine des disciples de Shiva. »

Là, Shiva et ses fidèles siddhas et yogis vivaient dans un bonheur qui n'avait pas connu de naissance et qui ne connaîtrait pas de fin... pas même quand Shiva détruirait les mondes, car lorsqu'il les reconstruirait, ces saints seraient encore à ses côtés pour jouir du spectacle de l'ordonnance des composants de l'existence, que leur maître ferait surgir à nouveau de l'océan du chaos.

 

Tirumular se trouva à alors un tapis d'herbe fraîche et s'installa en tailleur pour honorer son maître d'une méditation.

Et ainsi prit fin la vie légendaire de ce serviteur de Shiva.

 

L'Univers védique et puranique

 

Le voyage de TIRUMULAR (récit tamoul)
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