24 Décembre 2021
Adi Shankara, aussi appelé Adi Shankaraya, est un poète et philosophe moine errant hindou parmi les plus fascinants. Né dans un petit village du pays tamoul, dans une famille de brahmanes pauvres mais dignes, il vécut dans la ville sacrée de Varanasi et fut à l'origine de nombreux temples et ashrams. Auteur de nombreux chants, poèmes, discours et essais métaphysiques, Shankara est le père d'une école qui composa en son nom, encore de longs siècles encore après sa mort. Lui-même est l'auteur du Viveka Cudamani, « le joyau de la discrimination », de l'Atma Bodha et du Tattva Bodha. Ses disciples le considéraient comme l'avatar de Shiva. Son nom, qui est emprunté à une épithète de Shiva, veut d'ailleurs dire « Père-maître spirituel scintillant ».
La légende de Shankara raconte que Shiva serait apparu à ses parents et leur aurait laissé le choix : avoir une engeance nombreuse mais minable, ou un fils unique mais brillant. Les parents choisirent la seconde option, et Shankara naquit.
Extrêmement vif, le petit Shankara reçut l'initiation des brahmanes à 5 ans (la cérémonie du cordon, rituel sacré des brahmanes se déroule habituellement à la puberté). Dès lors, il commence l'étude des chants sacrés des Védas. Montrant des dispositions miraculeuses, il connaît par cœur les quatre Védas alors qu'il n'a pas même huit ans ! En brahmane, le petit Shankara mendie chaque jour sa nourriture et vit séparé de ses parents.
Alors qu'un crocodile manque de lui arracher la jambe, Shankara accède à l’illumination. Il comprend le caractère subtil et impermanent de l'existence et renonce à la vie familiale. Selon les versions, à 8 ans ou à 16 ans, Shankara prononce les vœux des renonçants et entre dans l'ordre de moines errant et ascétique. Il quitte définitivement sa famille pour se rendre dans la vallée de la Narmada, au nord du plateau du Deccan. Là, il rencontre celui qui sera son gourou, l'illustre Govinda Bhagavatpada, lui-même élève du non moins illustre Gaupada.
Ordonné sadhu par Govinda, Shankara voyage alors à travers l'Inde. Il commente les Védas, les interprète et les enseigne. Doté d'une intelligence hors norme associée à une sagesse et un charisme puissant, il plaît à ses auditeurs et leur apporte le bonheur et la véritable connaissance des Védas.
Bientôt, de très nombreux disciples l'entourent. Shankara se rend en leur compagnie au Cachemire. Là, il mena seul un débat contre chacun des brahmanes de l'université théologique locale. Vainqueur, il eut alors le droit de s’asseoir sur le trône de Sarasvati, un honneur que n'avait encore jamais connu aucun gourou. Shankara n'avait pas vingt ans.
Où qu'il aille, où qu’il se déplace afin de visiter ses congrégations d'adeptes, Shankara était suivi d'une foule importante. Au cours de sa vie, Shankara aurait fait trois fois le tour de la péninsule indienne et fondé dix ordres monastiques et quatre monastères.
Le vœu de Shankara était de réformer l'hindouisme afin de rendre cette tradition ancestrale résistante à l'acculturation musulmane, mais aussi aux diverses sectes qui morcelaient alors la péninsule. Alors que l’islam ravageait le Sindh et le nord de l’inde à la suite de permanente razzia et compagne de déportation d'esclaves hindoue, dans le sud de la péninsule s'affrontait vishnavisme et shivaïsme, les derniers se proposant de renvoyer les premiers à la mer. Par ailleurs, l'arrivée des zoroastriens émigrés de Perse, le pullulement des sectes soufies, poussèrent Shankara à considérer comme plus que nécessaire l’établissent de nouvelles règles rituelles spécifiquement destinées aux hindous, c'est-à-dire aux adeptes des cultes védiques, shivaïtes et vishnavite (Krishna).
Shankara réforma donc le culte hindou, et d'une si sage manière, que les pratiques modernes de l'hindouisme portent encore la trace de son incommensurable influence. Aux divinités rituelles du védisme et du brahmanisme (les dévas élémentaires, Varuna, Indra, Surya), Shankara préféra axer le culte et la prière sur cinq divinités populaires, qui pouvaient être, au choix, Ganesh, Shiva, Krishna, Parvati, Vishnou ou encore Hanuman. Une de ces 5 divinités pouvait être la divinité domestique du foyer et pouvait donc changer d'une famille à une autre.
Ouvert à tous les courants spirituels du sous-continent, Shankara s'inspira du vishnavisme mais aussi de ce plaisait au peuple dans le bouddhisme et le jaïnisme : la simplicité des rituels et l'humilité des offrandes. Shankara œuvra pour rendre L’Ahimsa (non-violence envers le vivant), un concept clé du bouddhisme et du jaïnisme, encore plus important qu'il ne l'était déjà dans l'hindouisme. Les sacrifices de sang, comme ceux des animaux ou des poissons, furent remplacés par des offrandes de laitages, de gâteaux, de riz et de fruits.
Pour toutes ces raisons, et grâce à son immense apport à la philosophie indienne, Shankara est considéré comme le plus grand représentant du védanta, la métaphysique qui s'inspire des grands poncifs du védisme, du brahmanisme et des puranas, et même parfois des agamas (traditions non-védiques). L'école védanta possède trois textes canonisés : les Upanishads majeurs, la Bhagavad Gita, et le Brahma-sutra.
Vu pour la dernière fois dans son pays natal du Tamil Nadu, la légende de Shankara prétend que celui-ci se serait rendu une dernière fois au mont Kailash. Ce serait sur les versants de la montagne sacrée où réside Shiva et Parvati qu'il se serait éteint, âgé seulement de 32 ans.
Plotin et l'Advaita-Vedânta de Shankara
France Culture - Les Vivants Et Les Dieux du 10 juin 2006 par Michel Cazenave. Mise en ligne sur la chaîne "Résonance[s] avec l'amical accord de Michel Cazen...