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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

La RELIGION VÉDIQUE

Là, ils commençaient à cultiver la terre, à se réunir en villages, tandis que leurs frères continuaient la vie de pâtres et de chasseurs dans les forêts du nord et dans les steppes du midi ; là aussi ils avaient atteint ce degré d’organisation politique qui consiste à grouper un certain nombre de familles autour d’un chef : c’est le clan, qui précède la cité ou la royauté ; les autres Aryens, nomades, n’avaient pas encore dépassé cette extension de la famille qui constitue la tribu.

J.-Ch.-F. Hoefer, article Zoroastre, Nouvelle Biographie générale

La RELIGION VÉDIQUE

Jusqu'à la composition canonique du Véda et jusqu'à l'imposition du monothéisme mazdéen comme religion d’État en Bactriane puis dans tout l'Empire perse (deux événements intervenus entre –2000 et -500) le proto-védisme est la religion universelle des steppes eurasiennes.

Si ce n'est dans les pratiques hindoues elles-mêmes, on trouve encore des traces de cette spiritualité simple, bucolique et familiale dans le pseudo-védisme que propose la religion traditionnelle kailasha.

On observe aussi la présence de telles pratiques minimalistes de l'autre côté de l'Eurasie, en Europe druidique comme en Scandinavie ou en Slavie. En Russie, du fait de leur similitude avec les pratiques aryennes, il est même commun de nommer « védiques slaves » les pratiques religieuses locales qui pré-datent (ou refusent) l'influence orthodoxe.

Les peuples proto-indo-européens sont avant tout des guerriers, ils adoptent donc avec ferveur un culte védique qui se contente de rituels simples et de formules magiques. Le clergé n'existe pas encore, les prêtres non plus. Il s'agit pour eux de réciter des mantras et pour cela il leur suffit de les apprendre et d'en respecter la prosodie. Le chef de famille mène donc lui-même le culte.

Apparaissent des dieux secondaires. À la grande énergie unificatrice et apparentée au grand esprit chamanique, succèdent des dieux anthropomorphes, masculins et guerriers1. Leur force est celle du feu, du Soleil, mais aussi de la Lune et de la foudre.

Une société virile adopte alors un panthéon simple et cohérent : à chaque élément (vent, eau, maladies, saisons, astres, ...) correspond un dieu. Les cérémonies sont adressées à chacun des dieux en fonction de leur importance saisonnière ou économique.

Par ailleurs, on ne prie plus le Grand esprit pour chasser les animaux, mais on prie le dieu de la pluie pour que les moissons soient abondantes, ou le dieu de la guerre pour qu'il intervienne lors d'un conflit militaire. Bien souvent, leurs prières ont pour objectif d'avoir une descendance heureuse et nombreuse.

 

Sintashta et Andronovo

Vers -2100, dans la région steppique qui sépare l'actuel Kazakhstan de l'Ukraine et de la Russie, se développe la culture de Sintashta (-2100 à -1800), puis celle d'Andronovo (-2000 à -900). Cette dernière étant souvent proposée par les exégètes comme lieu de composition du Rig-Veda.

Il s'agit d'un réseau de places fortes, en tous points semblables à des oppidums gaulois. Des villages fortifiés sont bâtis sur des promontoires et placés aux carrefours des routes les plus empruntées. Le site d'Arkhaïm et de Sintashta en sont emblématiques.

La culture de Sintashta est considérée comme le foyer d'origine des peuples aryens et védiques. C'est à cette civilisation qu'appartiennent les imposantes cités circulaires dont le site archéologique d'Arkhaïm est le plus célèbre mais non le plus important. Placées au centre de plaines découvertes (à la frontière russo-kazakhe actuelle), entourées de champs cultivés et irrigués, traversées par des routes et défendues par d'épaisses « murailles-maisons », ces cités étaient des places fortes qui permettaient aux caravaniers de faire étape.

Au centre de ces cités circulaires se trouvait une sorte de cour de forme carrée, attribuée aux rituels et sacrifices. Ces formes circulaires périphériques, associées à une forme rectangulaire centrale, ne peuvent manquer de faire penser aux yantras védiques (dessins géométriques magiques).

À peine plus tardive, la culture d'Andronovo est un véritable Empire aryen. Des confins sibériens jusqu'en Perse, un peuple nomade et guerrier sillonne les steppes et rançonne certains villages. Le rapt de vaches est une sorte de passe-temps, mais aussi une manière de vivre.

Certaines tribus des cultures de Sintashta et Andronovo vont migrer vers le sud, pour s’installer aux frontières des empires assyrien, babylonien et égyptien, dans le Caucase (influençant les prémices de la civilisation hourrite), dans les montagnes de Zagros (zone probable d'origine de la tradition mazdéenne), de même que dans les montagnes du Pamir puis de l'Hindu Kush (zone probable de la composition canonique des Vedas, v. -1200 à -800).

 

Le corpus védique

Une partie des corpus avestique et védique remonte à la fin du second millénaire avant notre ère, mais est encore utilisée dans les cérémonies zoroastriennes et hindoues. Grâce à ces textes, nous possédons une connaissance directe et sans filtre de certaines des divinités les plus anciennes de l'humanité, telles que Ahura-Mazda, Mithra, Varuna, Indra ou encore les divinités gémellaires de la fertilité et du matin nommé Dioscures en Occident et Ashvins en Orient. Comme en témoigne l'Avesta, le Rig-Véda et les traités d'alliance du Mitanni (v. -1500 à -1300), ces divinités étaient jadis honorées à travers le monde civilisé, du bassin méditerranéen jusqu'en Inde, en passant par la Mésopotamie.

Selon la tradition védique, le Véda est l’œuvre de Brahma, le dieu créateur. Celui-ci le composa lors de la création de l'Univers, puis le corpus fut divisé en 3 (ou 4) parties par Narada, le premier fils de Brahma. Il fut ensuite traduit en sanskrit, la langue des dieux, par les rishis célestes. Ceux-ci, incarnés sur Terre, composèrent des chants, de sorte que les brahmanes puissent les apprendre, les transmettre et les réciter, afin de mener à bien les rituels nécessaires au maintien de la loi dharmique sur Terre.

 

« Honore par l’holocauste le fils du Soleil, le roi Yama, le Seigneur de la Mort, lui qui traverse les grands abîmes, il est la voie et le rendez-vous des nations. Yama le premier nous indiqua le chemin que depuis nous suivons tous infailliblement. Cette route, nos pères l’ont parcourue avant nous et nous sommes nés pour aussi y marquer nos pas. » Hymne à Yama et aux Piters, Rig-Veda, 7, 6, 9. Trad. Langlois.

 

Les Védas sont parmi les textes les plus difficiles qui soient. Leur langue elle-même n'est pas encore du sanskrit, mais une de ses formes archaïques. Les figures de style, les références, le sens même des mots employés dans ces chants sont, aux Européens comme aux Indiens du 21e siècle, extrêmement difficiles à comprendre. Sans travail d'initiation et de diction, ni mise en contexte, les Védas demeurent pour le vulgaire un charabia de mots, de prières et de symboles dont il a trop de mal à percevoir les nuances tout comme le sens véritable.

Dans le brahmanisme, le verbe est la source de la vie. Ainsi, de l’aveu même des brahmanes, les hymnes védiques valent surtout pour leurs vibrations, et leur place dans la grande cosmologie des Anciens, liée aux éléments et aux planètes.

Le rituel aryen se déroule selon les formules des hymnes védiques ou avestiques, et il ordonne à la fois les cérémonies mais aussi la marche du monde et la course des planètes, garantissant ainsi la stabilité des éléments (de tels concepts se retrouvent en Amérique centrale).

Des castes de brahmanes sont spécialisées dans l'étude de certaines branches des Védas, mais très rares sont ceux qui les maîtrisent toutes. Les trois Védas qui font consensus parmi les traditions védiques sont le Rig-Véda, le Sama-Véda et le Yajur-Véda.

Le Rig-Véda est le plus célèbre de ces recueils, parce qu'il est le plus ancien, le plus étudié, mais aussi et surtout le plus accessible, car le moins ésotérique des quatre. Il est constitué de 1028 hymnes, soit 10 462 stances, partagés en dix recueils. Il s'agit d'une suite de chants plus ou moins longs, qui étaient employés aux temps immémoriaux du néolithique aryen. L'immense majorité des hymnes du Rig-Véda sont des louanges adressées aux dieux, quelques-uns sont des poèmes spéculatifs ou mythologiques. Les auteurs des hymnes des Védas varient ; il peut s'agir de Brahma lui-même, de ses assistants de création les prajapatis, les rishis célestes (les Saptarishis), ou encore de l'écrivain mythique Vyasa (pour les Védas les plus récents).

Le Rig-Véda fut compilé vers -1200, mais ses premières compositions remonteraient vers -1700 à -1800. Les tribus védiques n'habitaient pas encore la péninsule indienne, mais plutôt le nord-ouest de l'Himalaya ou l'Asie centrale (selon les hypothèses). La composition des Védas se stabilisa et se standardisa vers -500, en réponse aux doctrines bouddhiste et jaïne, alors en plein essor. Ce n'est qu'au 19e siècle que les premières œuvres complètes des Védas seront imprimées et enfin traduites en hindi, puis en bengali et en anglais.

Le Sama-Véda s'adresse aux chantres brahmanes. Il contient 1810 strophes, elles sont autant de conseils pour une adaptation musicale des hymnes du Rig-Véda.

Inspiré lui aussi du Rig-Véda, Le Yajur-Véda est composé de -1200 à -1000. Il s'agit d'un recueil de gestes, de mantras (paroles), de rites et de magie liés à la bonne tenue des rituels décrits dans le Sama-Véda et durant lesquels sont chantés les hymnes du Rig-Véda. Le Yajur-Véda est proposé en deux versions, une blanche et une noire (appelées Krishna Yajur-Véda). Leur différence repose en partie sur la forme du discours mais non sur le fond. Populaire dans le sud de l'Inde. La compilation Taittiriya Shakta est une version sud indienne du Yajur-Véda Noir. Ce recueil contient moins d'invocations mais plus de commentaires métaphysiques. Le poème mystique du Sri Rudram est inclus dans ce Véda.

Le quatrième Véda est l'Atharva-Véda, composé quelque temps après les trois premiers. L'Arthava-Véda, parfois considéré comme moins sacré que les trois précédents car plus tardif et de nature plus composite. Il fut compilé vers -900 et attribué à des rishis comme Atharva, Vashishte et Kashiapa. Il est constitué de 731 hymnes, consacrés à la médecine, à la magie, à la prière, et à la correcte manière de déployer la puissance des mantras. Il contient cependant des « brahmanas » c’est-à-dire des commentaires, bien plus fournis que ceux du Rig-Véda.

L'hindouisme moderne découle essentiellement du védisme. Il prend forme dans Le Livre de Manu (Lois de Manu, v. -150) qui est le texte de références pour comprendre la société aryenne indienne.

 

La tradition orale

L'oralité des Védas n'est pas un choix par défaut, qui aurait disparu dès l'apparition du papier, de l'encre ou de l'imprimerie, mais plutôt un média indispensable à la correcte conservation des authentiques et ancestraux Védas (de la racine étymologique indo-européenne « vid », que l'on retrouve dans le latin « vidi » et le français « voir »).

La tradition orale des Védas, leur apprentissage par cœur, leur stricte attention quant à la prononciation, au rythme, ainsi qu'à tous les éléments du culte, rendaient leur maîtrise indispensable à tous les brahmanes du sous-continent. Une fois écrits, les brahmanes avaient peur que les textes ne soient plus appris par cœur, et qu’ils ne soient donc plus transmis comme un trésor de génération en génération. À cause de l'imprimerie, pensaient-ils (et le futur leur aura donné raison), le sanskrit deviendrait une langue morte dont on se passerait. Il en serait de même pour les mantras, qui se répéteraient peut-être encore, mais mal prononcés, car on aurait appris à les lire, et non pas à les dire.

En Égypte aussi l'oralité était un choix. Le Maât est la version locale de la justice et de l'ordre supérieur. Ce concept, qui est donc comparable au Rta védique et au Dharma hindou, se transmettait oralement, comme en témoignent les Instructions du vizir et sage Ptah Hotep (v. -2500) :

« Si tu écoutes les propos que je t’ai tenus, chacun de tes desseins sera porté en avant ; les actualisations de la maât qui s’y trouvent, c’est la richesse qu’ils apportent. Leur évocation se transmet oralement par la perfection des vers qu’ils constituent, et chaque mot est rapporté de manière ininterrompue dans ce pays, pour toujours ! » Trad. de B. Mathieu : L'Enseignement de Ptahhotep, CNRS - UMR 5140, Montpellier 3.

 

La révolution de l’imprimerie, puis celle d'internet, éloigna encore un peu plus les modernes et leur « mémoire externe », des Anciens et de leur fameuse tradition orale.

« Nous, Européens d'aujourd'hui, dont le cerveau est obscurci par l'encre d'imprimerie, avons du mal à comprendre la faculté étonnante des Indiens de se transmettre oralement des textes d'une longueur prodigieuse. Ni la moisissure, ni le feu ne peuvent détruire l'héritage des connaissances, le plus précieux que le fils ait reçu de son père dès la plus tendre enfance, en apprenant les textes par cœur. Des bibliothèques entières de textes sacrés très anciens ont été ainsi transmises au long de milliers d'années, par la mémoire humaine qui les a gardés fidèlement, à un mot, à une syllabe, à une voyelle et même à un accent près. Ce moyen de transmission est tellement sûr qu'au 19e siècle après J.-C. des savants européens ont encore pu, grâce à la tradition orale, retrouver tel texte original, là où les manuscrits, comme si souvent, étaient peu sûrs. Ce n'est pas dans la pierre qui s'effrite que les Aryens de l'Inde ont gravé les monuments de leur génie, mais dans une matière bien plus durable : les cerveaux de centaines de générations successives. Seul, le développement de l'imprimerie, tant loué a pu, à la fin du 19e siècle, abolir la force et l'emploi de la mémoire. L'estime et le respect religieux dans lesquels les Indo-Aryens tenaient le Verbe leur ont fait étudier la valeur phonétique et la morphologie des anciens ouvrages poétiques avec tant de soin et de respect que la connaissance du langage, née très tôt, fut en peu de temps poussée si loin qu'elle influença de façon décisive la philologie européenne [...]. » H. Lommel. Les Anciens Aryens.

 

Au milieu du 19e siècle, les prêtres et brahmanes virent d'un mauvais œil la traduction des Védas par les Occidentaux. Les premières traductions en anglais furent catastrophiques, parfois même des blagues ou des pastiches, volontairement ridicules et brouillées par des brahmanes qui refusaient de voir leurs mantras imprimés par des étrangers. Les Britanniques ou les Français les auraient alors interprétés sans initiation, ce qui aurait eu des conséquences néfastes. L'étude des Védas est en effet fortement déconseillée à celui qui n'est pas accompagné d'un gourou spécialiste des Védas. Si les mantras védiques ne sont pas prononcés correctement, leurs forces s'annulent ou deviennent néfastes.

Les femmes brahmanes, seules, n'ont donc pas le droit d'étudier les Védas, c'est-à-dire de les entendre ou de les lire. Elles le peuvent cependant, si elles acceptent l'égide d'un précepteur brahmane (et ceci au même titre qu'un homme ou qu'une femme appartenant aux castes kshatriya et vaishya).

 

Le panthéon védique

Indra, le seigneur du tonnerre et de la guerre, est l'un des plus anciens des dieux de l'humanité. Il est adoré sans discontinuité depuis le début du second millénaire avant J.-C. Mentionné dans les traités de Mitanni et dans les Vedas les plus anciens, il est le roi des dieux, le maître absolu du panthéon védique. Ses légendes sont d'abord celles d'un être belliqueux et foudroyant, qui combat ses consorts divins ainsi que les monstres qui menacent la vie sur Terre.

 

« C’est par Indra que vivent tous les êtres, c'est lui qui a refoulé les démons dans des grottes ténébreuses et s’est emparé de leurs dépouilles comme un chasseur de sa proie. Car Indra est celui qui n’emploie sa puissance qu’à frapper sans cesse le Mal et le Faux. Il est celui qui immole les monstres et qui jamais ne pardonne l’impertinence. » Hymne à Indra, Rig-Veda, 2, 6, 4.

« Il est celui qui met l’ordre dans la confusion et donne la forme au chaos. Accompagné des Maroutes, qui brisent tout obstacle et transportent avec eux les nuées orageuses, Indra est celui qui est allé au plus profond de la caverne pour en délivrer les vaches célestes. […] C'est lui qui règne sur le soleil et l’aurore et c'est à lui qu'obéissent les eaux. Il est le modèle de l’univers, la source qui anime les êtres inanimés. Devant Indra, dont le bras est armé de la foudre, s’inclinent avec vénération le ciel et la terre et frémissent les montagnes ! Pour élargir l’horizon, il a élevé le soleil dans le ciel et pour nous offrir la prospérité, au milieu des vaches célestes, il a lancé sa foudre. C’est à Indra qu'appartiennent les chevaux rapides, les campagnes fertiles, les génisses, les villes, les chars remplis de richesses. [...] Dans les grandes comme dans les petites affaires, c’est Indra que nous invoquons ; Indra, qui s’unit à nous, et frappe nos ennemis de sa foudre. Dans les combats fertiles en butin, c'est Indra qui nous protège ; sois pour nous un allié terrible ! » Hymne à Indra, Rig-Veda, 1, 1, 4.

 

 

L'arme d'Indra est le vajra : une gerbe d'éclairs qu'il fracasse sur les ennemis de la race humaine, dont il est le protecteur. Le vajra est une arme indestructible qui provoque l'illumination parce qu'elle détruit l'ignorance. Dans les rituels tantriques, le vajra est le symbole masculin et la cloche le symbole féminin.

Airavata, son véhicule, est un éléphant blanc aux multiples têtes qui lui sert de char de combat. Indra est aussi armé d'épées, de sabres et de lances.

Son pendant féminin est la matrika Indrani, la déesse de la jalousie qui est aussi sa femme. Il vit en compagnie d'une foule de jolies jeunes femmes, dont les nymphes Ramba, Tilothama et Urvashi, la plus séduisante de toutes.

Le pendant grec d'Indra est Zeus, son pendant scandinave est Thor. La culture perse, connaît Indra sous le nom de Verethragna, le dieu garant des victoires militaires, le destructeur des obstacles. Le démon de la sécheresse Vitra est nommé « Apaosha » par les Perses.

Avec Agni (200 hymnes) et Soma (123), Indra est la divinité la plus célébrée des Vedas : 250 hymnes lui sont consacrés. Mais au fil des millénaires, les dieux védiques perdant de leur importance en faveur de Shiva, Brahma et Vishnou, Indra est devenu un faire-valoir, un dieu pitoyable, présomptueux et grégaire, dont la prétention est punie par Vishnou. Indra, d'abord tout puissant, n'est plus aujourd'hui qu'un personnage secondaire des récits légendaires, incarnant souvent un dieu dont l'agacement et l'action irréfléchie entraînent des conséquences funestes. Les lieux de culte qui célèbrent Indra en divinité principale sont donc rares depuis la fin de l'âge védique, mais il subsiste le temple de Nashik, sur les rives du lac Indra, au centre de l'Inde.

 

De nombreuses cosmogonies indo-européennes ont pour point de départ la séparation entre la terre et le ciel, entre la matière et l'espace. Il s'agit d'un des mythes les plus universels. En Inde védique, Dyaus Pitar, « le père du ciel », émerge de Prithvi, la Terre, avec laquelle il s'unira en des pluies qui donneront la vie. Ce couple, naît du vide initial, Garbhodaka (nommé Ginnungagap en Scandinavie, Éther à Rome, Khulapye dans l'Adriatique, Chaos à Athènes).

Ces divinités du ciel vont être reléguées au second plan alors que s’instaureront les panthéons classiques, lors des âges d'or de leur civilisation respective. Ainsi, le Dyaus Pitar des Védiques, une fois que ceux-ci se sédentariseront en Inde, perdra de son importance par rapport à Indra. Chez les Hittites, le dieu en retrait s'appelle Kumarpi, il est le père des autres divinités. Dans la mythologie grecque, Ouranos est relégué par son fils Cronos, puis par son petit-fils Zeus. De même, le Dies Pater des premiers Latins sera oublié au profit de Mars et Jupiter.

Dans le védisme, la déesse Prithvi, compagne du dieu du ciel, Dyaus Pitar, symbolise d'abord la matérialité (Aditi), née du chaos initial. Lors de la période puranique (1er millénaire apr. J.-C.), la planète Terre revêt l'incarnation de la déesse Bhumi. Bhumi est présentée comme une divinité vénérée par les dévas eux-mêmes, ils la considèrent comme la plus belle création de Brahma. C'est à la demande de la Terre, à l'écoute de ses pleurs, que les dévas interviendront pour la sauver des griffes des asuras et autres rakshasas, tels les frères Hirankashyapu et Hiranyaksha, ou encore Ravana.

Si Prithvi et Bhumi sont la même déesse (la planète étant elle-même un avatar de la Déesse-Mère Dévi-Parvati), leurs deux mythes sont bien différents. Le mythe de Prithvi fait de la Terre la proie récalcitrante de Prithou, le roi des hommes : elle sera chassée, puis soumise. Le mythe de Prithvi évoque le combat des premiers Aryens pour soumettre la nature, pour comprendre l'agriculture et se sédentariser après plusieurs millénaires de migrations perpétuelles.

Le mythe de Bhumi raconte au contraire comment Vishnou, incarné en sanglier, la sauva du fond des mers où elle avait été noyée par un démon. Une fois la Terre sauvée, Vishnou la prendra comme seconde épouse afin d'y ensemencer à nouveau la vie. Le mythe de Bhumi est une réponse au mythe premier de Prithvi : une fois subjuguée, la Terre donna ses fruits aux hommes et permit aux créatures de prospérer. Mais l'âge d'argent succédant à l'âge d'or, puis l'âge de la destruction (Kali Yuga) à l'âge de bronze, et la Terre fut de plus en plus martyrisée par ceux qui la peuplaient, qu'ils soient hommes ou démons. Aux terribles et cosmiques asuras qui terrorisaient le ciel et les dévas, succédèrent les nuisibles rakshasas, qui brûlaient les forêts et dérangeaient la méditation des brahmanes. La Terre ne connut plus de repos, et c'est donc tout naturellement qu'un déluge de feux puis d'eau, mit fin au cycle des Temps.

La Terre se retrouve ainsi, de Prithvi à Bhumi, à l'origine comme à la fin du grand récit mythologique indien. Mère du ciel, sa première incarnation est la Matière, puis sous la forme de la terre nourricière, elle accepte le joug des hommes, dont elle assure ainsi la survie. Abusée, maltraitée, elle est celle qui périra au fond des abysses pour être ressuscitée par le dieu des dieux, le suprême bhagavan, l'être cosmique lui-même (un avatar de Vishnou : Rama, Krishna, Varaha, Matsya, etc.)

Les Aryens vénéraient Mitra, qui incarnait le soleil et Varuna, le démiurge céleste incarnant la nuit. Le soleil est aussi Surya (« Soleil » en sanskrit), dont la compagne est la Nuit (Ratri), et sa maîtresse l'Aube, (Ushas). Si Ratri est l'épouse du dieu-soleil,, c'est néanmoins vers sa sœur que Surya fait caracoler son char, faisant de l'aube son amante.

Ratri et Ushas poursuivent sans fin la même route, mais elles n'y apparaissent qu’alternativement, selon l'ordre dicté par le Soleil. Sans jamais se bousculer, sans jamais s’arrêter, couvertes de la douce rosée, la Nuit et l’Aurore sont unies en pensée mais divisées en couleurs et en apparences. Toutes deux immortelles, elles se suivent, parcourant le ciel qu'elles affublent tour à tour de leurs couleurs.

Le Soleil et sa compagne légitime la Nuit donnèrent naissance à Reventa, le premier des esprits de la forêt, consacré patron des chasseurs et guerriers, protecteur des chevaux et de ceux qui voyagent à travers les jungles.

Considérée comme une planète, et non comme un satellite, la Lune est le pendant du Soleil. Dans le védisme, Chandra, le dieu-lune, est très présent dans les hymnes du Rig-Veda, mais il ne sera plus qu'une divinité secondaire alors que se développera l'hindouisme classique.

L'autre divinité védique associée à la Lune est Soma, un dieu mystérieux qui symbolise les offrandes des hommes mais aussi la nourriture des dieux qui garantit l'immortalité. Dans la légende de Soma, racontée dans le Harivamsa, l’appendice au Mahabharata, la Lune apparut tardivement dans la Création. Elle est alors présentée comme un cadeau à la Terre, synonyme d'abondance.

Les védiques considèrent le feu comme étant une des divinités les plus importantes, car il s'agit d'un des cinq éléments de la vie. Les anciens Védiques distinguaient le feu du ciel, le feu immortel et divin, tout puissant, incarné par le dieu-soleil Surya, et le feu temporel, le feu consommateur de tout ce qui vit et meurt, le feu du foyer, de la famille et des oblations, incarné par Agni. Le feu cosmique, éternel, infini, insondable, semblable au Soleil, est distinct du feu du foyer, prométhéen, qui s'incarne sur Terre et qui est le maître faustien des passions, de la destruction, de la mort mais aussi de la régénération des champs. Dans les Vedas, Agni est souvent qualifié de « Rudra » (« rude, violent » en sanskrit). Agni-Rudra, c'est alors le feu destructeur de la fin des temps, le responsable du Déluge (rôle qu'assurera Shiva dans l'hindouisme).

Dans le Devi Mahatmatya (400 à 600), texte de la tradition shaktiste, Agni est ouvertement assimilé à Rudra. Agni est alors considéré comme le père de Skanda, tandis que son animal véhicule est un bélier (le même animal totem que Shiva, Cernunnos et Pan).

Agni est invoqué à chaque fois qu'il est fait mention du temps qui passe, de la mort, de ce qui se transforme et disparaît, le feu étant le suprême élément destructeur. Agni et le feu sont donc associés à la salive et à tout ce qui corrompt ou consume les offrandes. Un fidèle mangeant une galette de riz auparavant offerte à une divinité, fait donc l’œuvre du feu en la mastiquant. Un Indien considère en effet son corps comme un temple, c'est-à-dire comme un lieu sacré capable d'assurer la transformation du matériel en spirituel (la pratique du yoga et de la méditation repose sur de tels principes).

Agni est le lien ultime entre l'humanité et les divinités du ciel, car c'est grâce à la fumée que les offrandes sont amenées aux dieux, de même que c'est grâce aux flammes si elles peuvent être consommées, donc véritablement offertes.

Sur Terre, Agni corrompt et détruit, renouvelant ainsi la vie à travers l'étape obligatoire de la mort. Tel que nous l'enseignent les Vedas, c'est bien au Feu que Brahma confia la souveraineté et la défense du monde :

« Brahma assigna lui-même les dieux protecteurs de ce qui venait d'être créé : Agni protégea la Terre, Vayu l'air et Aditi les domaines inaccessibles du divin. Ainsi, le Feu régna sur Terre, le Vent dans l'air et la Lumière dans les espaces éthérés de la conscience spirituelle. »

La justice ne peut être que cosmique et divine, car elle est la force qui fait subsister l'Univers. Respecter cette force est l’enjeu d'une vie spirituelle. Dans le védisme, cet ordre universel est appelé le Rta, dans l'hindouisme, il s'agit du Dharma, personnifié sous la forme du dieu Dharmadeva.

Si le désir est si puissant, c'est qu'il est le fruit des passions. Des règles doivent donc pouvoir exister pour les juguler. À l'instinct reproductif et prédateur, succède alors le contrat et le mariage. De telles cérémonies, de tels engagements, se prennent alors sous l'égide d'un dieu tutélaire, qui en est alors le témoin. Dans la mythologie aryenne il s'agit de Mithra, « l’œil du monde », une divinité solaire, donc omnisciente. Mitra est célébré en même temps que ses frères Varuna et Aryaman. Il est le dieu des promesses, tandis que son frère, le déva Aryaman, est spécifiquement le garant des mariages et le protecteur de la lignée des Aryens.

Associé à Ahura-Mazda en Perse, c'est naturellement à Varuna qu'est associé Mitra en Inde :

« Le déva Mitra et l'asura Varuna sont couramment accouplés comme les deux faces antithétiques et complémentaires de la Souveraineté. Mitra en incarne l'aspect juridico-sacerdotal, bienveillant, conciliant, lumineux, proche de la terre et des hommes ; Varuna incarne l'aspect magique, violent, terrible, ténébreux, invisible et lointain. Mitra et Varuna garantissent tous deux, comme dieux souverains, le Rta, c'est-à-dire l'ordre cosmique, sacré et moral. Mais Mitra, dieu « ami », règle, les problèmes à l'amiable par des contrats entre les parties et par leur bonne volonté réciproque. Il harmonise, tandis que Varuna, dieu « lieur » est le gardien statique et redoutable du Rta. Mitra incarne donc quelque chose de la négociation réfléchie, de l'équité. Il est « force délibérante » tandis que Varuna est « force agissante ». » L. Ch. Prat, Mithra et le mithriacisme.

Les premières mentions de Mithra se trouvent dans les traités diplomatiques entre l'Empire Hittite et le Royaume du Mitanni (v. -1400), deux zones géographiques où les Aryens étaient présents avant même leur entrée en Inde et en Perse. Mais c'est son hymne avestique, bien plus tardif (v. -600) qui nous fournit le plus d'informations sur lui1.

À la fin du premier millénaire av. J.-C. le culte de Mithra semble subir de nombreuses variations, pour finalement investir la Méditerranée sous la forme d'un culte à mystères dont on ne sait que très peu de choses. De divinité du contrat, de la justice et de sa vengeance, Mithra devient donc une divinité solaire, mais surtout une divinité guerrière. À la suite des conquêtes en territoire perse (Arménie, expédition dans le désert d'Arabie, émissaires en Sogdiane, Bactriane et même Chine), ce culte connaîtra une véritable popularité dans les armées romaines. Pour eux, le dieu-soleil, « œil du monde », sacrificateur du Taureau de vie, annonciateur du printemps, mais aussi fils de Dieu sur Terre, est alors le moyen d'atteindre le Dieu du ciel.

« Ahura-Mazda assigna à Mithra comme demeure l'étendue de la Terre et du monde physique. Pour lui, il construit un immense et lumineux palais au sommet de la montagne sacrée du Hara, où il n'y a ni nuage, ni jour ni nuit, ni vent glacé ni chaleur ardente, ni maladie, ni cause de mort, ni souillure démoniaque. Les Amesha-Spenta vivent aussi dans ce palais, tous unis au soleil et dévoué à Mithra. Depuis le sommet du Hara, le regard de Mithra s'étend donc sur le monde physique tout entier. Au plus haut du ciel, depuis son vaste observatoire, Mithra ne dort pas mais veille sans cesse. Et lorsque le coupable ou le méchant s'apprêtent à commettre leur méfait, il attelle son char et accompagné de l'archange Sraosha et de l'ange du Feu, il lui assène de violents coups et le frappe de ses rayons. Par ailleurs, vivant dans des grottes aux sommets des montagnes de la Terre, les ministres de Mithra observent les traîtres, enregistrent les fraudes et ne manquent pas de les lui rapporter. Personne ne peut tromper Mithra, ni le chef de maison, ni le chef de quartier, ni le chef d'un village, ni le chef d'une province. Si un chef de maison, un chef de quartier, un chef d'un village ou un chef d'une province cherche à le tromper, alors Mithra sera offensé et il détruira la maison et le quartier, le village et la province. Mithra irrité et offensé, s'en ira de ces régions et ne leur offrira plus sa protection céleste. Ceux qui trahissent Mithra, même en courant ne peuvent atteindre leur but et même en chevauchant, ils n'avancent pas, de même qu'ils ne peuvent diriger leur char. La flèche que lance l'ennemi de Mithra revient en arrière, portée par le vent et même si elle touchait sa cible, elle ne la blessera pas. Implacable, Mithra, fait pénétrer la terreur dans le corps même de ceux qui veulent le tromper. » Mihr yasht, yesht 10.

Le vent est personnifié en Inde et en Perse par Vayu. Dans le monde gréco-romain, ce sont entre autres Zéphyr, Borée et Éole, qui chacun personnifie une direction et une particularité (vent du nord, vent de printemps, tempête, etc.) Chez les Slaves, le dieu du tonnerre Stribog, le « dispensateur des bienfaits », est aussi le dieu du vent. Chez les Sogdiens, il s'agit de Weshparkar, le maître des interstices de l'espace.

Présent dans l'Avesta et le Rig-Veda, tout comme dans les récits mythologiques européens, le Vent est célébré comme un dieu majeur, car il représente un des éléments de la vie, mais il demeure un personnage très secondaire des divers mythes et légendes plus tardives.

 

Varuna est la divinité des « vastes espaces mouvants ». Il est maître de l'océan, de toutes les profondeurs et tous les espaces insondables (d'où ses surnoms de roi des illusionnistes, de maître de la magie et de grand asura). À la fois dieu et démon, il est le colérique et lunaire maître des océans, des pluies et du cosmos. Ses serviteurs sont les Nagas, les hommes-serpents et son véhicule est un monstre marin (crocodile). Varuna étant le plus grand des magiciens, c'est lui qui eut la responsabilité de faire de la Terre un lieu propice à la vie.

 

« Pour créer la vie sur Terre, comme le sacrificateur étend la peau de l’animal immolé, Varuna a d'abord étendu la Terre devant le Soleil. Puis il a donné l’air aux branches et aux feuilles des forêts, la force aux chevaux et le lait aux vaches. Ensuite, il a mis l’âme dans les cœurs, le Feu au milieu des vagues, le soleil dans le ciel, et les plantes dont sont extrait les nectars sur les versants des montagnes. À sa demande, les nuages étendirent au loin leur masse ténébreuse, que les courageux Maroutes poussèrent avec force. Puis, comme la pluie humecte les champs d'orges, Varuna, roi du monde, arrosa la terre toute entière. » Rig-Veda.

 

Son arme est un lasso, avec laquelle il punit les hommes qui lui sont infidèles (car tout comme son frère Mitra, Varuna est aussi un dieu de la promesse et de la justice). C'est lui que défia Rama lorsque celui-ci tenta d'ouvrir les eaux de l'océan Indien pour faire passer ses troupes vers l'île de Lanka. Un autre de ses frères, Indra, le chef des dévas, est quant à lui le maître de la pluie.

Danu est la déesse aryenne qui règne sur l'océan primordial d'où découle toute la Création. L'étymologie de Danu renvoie aux fleuves Danube, Don et Dniepr, qui partagent le même phonème indo-européen « dan », signifiant « eau ».

 

Les apsaras (ou péris en perse) sont les nymphes indiennes. Dans de très nombreuses légendes indiennes, elles sont en effet envoyées sur Terre pour divertir un sage dans ses méditations, afin que sa sagesse ne le place pas au-dessus de sa condition d'humain, ce qui le mettrait en concurrence avec les dieux. Dans les traditions tantriques et bouddhistes, les apsaras sont appelées daikinis, ce sont des magiciennes et des incarnations de la déesse-mère. Elles sont en tous points semblables aux nymphes : ce sont des créatures qui incarnent la luxure, le dynamisme et la beauté juvénile. Elles vivent à Indrapura, la ville céleste dont Indra est le maître. Bien qu'elles soient les compagnes des gandharvas, les musiciens célestes, elles composent aussi le harem d'Indra. Célébrées pour leur charme, les apsaras sont un thème pictural, sculptural et littéraire très présent en Inde, en particulier sur les reliefs érotiques des temples.

Les fées peuvent être porteuses de mauvais sorts. Elles sont à l'origine des sorcières que nous retrouvons dans les contes folkloriques. Ces mythes reposent avant tout sur la misogynie : la femme est une tentatrice, ses charmes n'ont pas de limites et ne connaissent pas d'obstacle.

Si trois jeunes villageoises redonnèrent l'appétit à Bouddha, ce sont aussi trois sorcières qui vinrent le déranger lors de son ultime nuit de méditation, alors qu'il s'apprêtait à connaître l'éveil. Ce sont les trois filles de Yama, dont l'origine du mythe ne se trouve pas dans le védisme et semblerait donc typiquement bouddhiste.

Dans le Nikaya Samyutta et le Mara Samyutta, deux textes inclus dans le Canon Pali (v. 100) du bouddhisme Theravada, Tanh (la soif) Arati (le mécontentement) et Raga (l'attachement né du désir, de l'avarice et de la passion), descendirent sur Terre pour s'approcher de Siddhartha et tenter de le corrompre. Elles déployèrent devant lui tous les charmes des poisons qu'elles incarnaient et qui étaient l'Attraction, l'Aversion et l'Illusion. Se joignirent à elles les nymphes Fierté et Peur. Ces créatures divines, déesses de la féminité, étaient scintillantes de beauté, mais celui qui allait devenir l'un des plus grands maîtres spirituels qui jamais ne fut, d'un simple revers de la main, les envoya voler dans le vent, telles des fleurs de coton tombées d'une branche.

Les fées néfastes et espiègles sont les yakshinis, les fées des traditions tantriques et jaïnes. Les véritables démons femelles sont les rakshasis. Putana en est une des plus célèbres, elle est la personnification des maladies infantiles. Alors bébé, Krishna la terrassera : feignant de boire à sa mamelle, il lui injecta son propre venin.

Tout comme il est utile d'honorer de beurre, de fruits et de fleurs les nymphes des sources, il convient de sacrifier aux fées néfastes, afin de calmer leur colère.

Dans son ouvrage compilant les récits folkloriques des anciens Croates de la Dalmatie (Gan-Veyan), l'historien Mitjel Yoshamya nous raconte la malédiction d'une nymphe dont les ordres ne furent pas respectés des hommes, bien qu'elle eût œuvré pour eux. Il s'agit de la 3e légende de Vaeya (île de Kirk en croate), telle qu'interprétée par feu le barde Fabian Tomashic-Velnic : « Quand les premiers marins découvrirent Vaeya, l'île n'était pas aussi sèche et pierreuse qu'aujourd'hui, mais elle était au contraire couverte de verts pâturages, où paissaient des moutons à la laine d'or. Une sublime nymphe vêtue d'une toge blanche était leur bergère. Comme les gens de Mitanni voulaient construire un village, la nymphe leur trouva un lieu parfait, à proximité d'une fontaine, sur le promontoire du Faucon, l'endroit le plus à l'orient de l'île de Vaeya. En échange, la nymphe leur fit promettre de ne plus jamais revenir la déranger ni d'observer ses moutons d'or. Malheureusement, les marins ne respectèrent pas leur promesse et quand ils revinrent sur leur pas pour observer la nymphe et ses moutons, ceux-ci se transformèrent aussitôt en pierre. Cependant, c'est grâce aux moutons changés en pierre que les marins bâtirent leur ville, qu’ils nommèrent Corynthia. »

Dans La vie et la mort des fées, Lucie Faure-Goyau nous éclaire sur la relation particulière qui unit un héros à son épée. Des similitudes évidentes rapprochent effectivement les fées des shaktis, qui sont l'énergie féminine propre à chaque créature. « Les vraies fées ouvrières de prodiges, ce sont les belles et brillantes épées des paladins : Durandal, Hauteclaire, Joyeuse. Elles ont des noms, et presque des âmes ; ou les aime comme d’éblouissantes et virginales fiancées. Il semble qu’on voie en elles les sœurs des Aude, des Ermenjart et des Guibourc, qui sont aussi de graves et belles héroïnes à l’âme pure et droite, dignes d’être aimées par des preux. Roland, avant chacune de ses actions, se demandait : « Que dirait Aude ? » Et celle-ci tomba morte, en apprenant la fin de son fiancé, car elle ne pouvait survivre à son amour. »

 

Le dieu de l'amour n'est pas tant le dieu de l'amour que celui du désir. Il forme un couple avec la déesse du plaisir. Il s'agit de Kamadeva (« Dieu-Désir ») et de Rati.

Dans une version de son mythe, Kamadéva est apparu alors que Brahma venait de casser la coquille de son œuf. L'émotion et l'extase de Brahma étaient si grandes, que de la sueur ruisselait le long de son front ainsi que par tous les pores de sa peau. Ces ruisseaux de sueur se convertirent en eau puis s’agglutinèrent en flaques à ses pieds. C'est alors que Brahma aperçut sa propre image et en devint épris ; ce qui marqua la naissance du désir (dans un mythe qui évoque aussi celui de Narcisse).

Dans une autre version du mythe de Kamadeva, la déesse primordiale Aditi et le rishi Kashyapa créèrent l'Amour avec le cœur de Brahma. Ils firent de Kamadeva le dieu du désir et ils l'armèrent d'un arc en canne à sucre et d'un carquois rempli de flèches enduites d'un élixir d'amour. Depuis, Kamadéva est le maître du désir, amoureux ou sexuel ainsi que du plaisir, esthétique ou sensuel. Aditi et Kashyapa lui donnèrent un perroquet pour monture ce qui lui permit de voler et de se déplacer rapidement, tout en papillonnant comme le font ces oiseaux, en recherche de quelques graines à manger comme autant de désirs à satisfaire. La femme, attribuée à Kamadeva, fut le Plaisir, Rati, déesse de l'amour, du désir charnel et du plaisir sexuel.

Kama est représenté comme un éternel adolescent, armé d'un arc en canne à sucre. De ses flèches végétales, il transperce les cœurs et pousse les hommes à céder à leurs instincts, à leurs passions et à leurs désirs. Kama est souvent mandaté par les dévas pour perturber la méditation d'un sage ou de Shiva lui-même.

De toutes les similitudes entre les mythologies indo-européennes, celle qui met en relation Kama avec ses cousins gréco-romains Éros et Cupidon sont parmi les plus évidentes. Dans la mythologie chrétienne, qui malgré son dénigrement des coutumes païennes leur emprunta beaucoup, le dieu de l'amour est incarné par l'ange Chérubin, éternel poupon qui lance avec nonchalance ses flèches pour frapper les amoureux d'un « coup de foudre ».

 

Dans la mythologie védique, Ushas, la déesse de l'aube et du matin est aussi celle de la beauté. Comme l'aube qui illumine à nouveau la Terre, elle dévoile son sein à l'Univers, qui connaît alors l'illumination.

 

Lee dieu forgeron, celui qui réalise les armes des autres dieux est Tvastar. Né de Kashyapa et d'Aditi et doté d'une inspiration créatrice et manuelle sans limite, il est l'architecte et le constructeur d'Indrapura, le palais des dieux situé au sommet du mont Méru. Il est le gardien des utérus et garantit la fertilité des femmes qui l'honorent pour avoir un enfant.

Un autre dieu hindou qui peut être considéré comme le dieu des ingénieurs, c'est Vishnakarman, que les hindous aiment à surnommer « le premier inventeur du moteur ». C'est lui qui créa les navettes spatiales appelées vimanas, qui sont utilisées par les rakshasas. Chez les Romains c'est Vulcain, chez les Grecs c'est Héphaïstos.

Outre ces divinités, on ajoutera à cette liste des demi-dieux, voir des démons dont les pouvoirs magiques permettent de construire des machines volantes ou encore des palais somptueux. C'est le cas de l'asura Mayasura, crédité de la construction des trois cités volantes, du palais forestier des Pandavas et du palais de Lanka, où vécut Ravana, le roi des rakshasas.

 

Comme il n'existe aucun domaine individuel ou social qui ne possède sa divinité propre, il est normal que les richesses matérielles et le luxe aient la leur. Si les champs sont abondants et que le commerce est fleurissant, les richesses s'espèrent puis s'accumulent. Une divinité leur est donc consacrée.

En Inde, le dieu des richesses est aussi celui des voleurs, c'est le rakshasa Kubéra, le frère du roi des démons Ravana. Les premières mentions de Kubéra remontent à l'Atharva-Veda (v. -700 à -800). Il s'agit d'une des figures mythologiques, avec Yama et Bouddha, qui s'est le plus exportée à travers l'Asie tout entière. On retrouve le culte du dieu des richesses particulièrement au Tibet, en Chine et au Japon.

La légende de Kubéra le présente comme ayant d'abord fait carrière dans le crime, afin de se faire respecter des hommes et des autres démons. Comme il était laid et difforme, il amassait les biens mal acquis pour provoquer l’intérêt de ceux qui se moquaient de lui. Touché par son mal-être et persuadé de son bon fond, Shiva fit de lui le grand dispensateur des richesses de ce monde. Par ailleurs, Kubéra est un des huit gardiens des directions cardinales et possède sa propre ville au sommet du mont Méru.

 

En Inde brahmanique, Brahma est le dieu de la connaissance, car il est le père de tout ce qui est. Il possède le don de connaître le passé, le présent et l'avenir (d'où ses trois têtes). Cette qualité fait de lui le premier des poètes et le premier des philosophes. Brahma est donc l'unique source d'inspiration des Vedas. Sarasvati, fille et femme de Brahma, est la déesse de l'intelligence, des rivières et des arts. Tout comme Orphée est détenteur de la harpe, Sarasvati est détentrice de la vina, une sorte de longue harpe qu'elle arbore comme principal attribut.

 

Dans la mythologie védique, si Varuna est le dieu de la médecine, car il est le dieu des espaces impénétrables et donc de la mort, c'est la déesse Dhatri, une incarnation de la déesse-mère Parvati, qui incarne la santé.

Né durant l'épisode mythologique puranique du barattage de la mer de lait, Dhanvantari est quant à lui le gourou et le médecin des dévas. Il est l'auteur légendaire de l'Ayurvéda, le livre de médecine douce des hindous.

 

Pour relier les hommes aux divinités, il existe des dieux messagers. Dans l'hindouisme il s'agit de Narada, le fils de Brahma. Il est le plus grand des sophistes et le maître du logos. Il possède le pouvoir de rendre tout compréhensible et de tout synthétiser. Il est le légendaire compilateur des Védas.

 

La guerre étant l'acte social ultime, un dieu lui est consacré. Il s'agit bien souvent du chef des dieux, dieu-tonnerre et dieu tutélaire d'un peuple tout entier, comme Indra dans la région du Sindh ou Thor en Scandinavie. Dans la grande majorité des cas, la divinité de la guerre est masculine. Occasionnellement, il peut s'agir d'une déesse, comme Athéna, gardienne de la cité et du peuple athénien, ou Anahita Sura Devi, protectrice des Aryens perses.

Skanda, le fils de Shiva, et Thor, le fils d'Odin, sont des dieux de la guerre qui tiennent leur pouvoir de leur arme. Le javelot de Skanda comme le marteau de Thor sont dotés du pouvoir de ne jamais rater leur cible. Vel, la lance de Skanda est aussi sa sœur et sa shakti (énergie motrice féminine), de même que Thor ne tient sa puissance que de son marteau.

Skanda est connu dans le nord de l'Inde sous plusieurs noms (dont Kumara et Kartikeya sont les plus communs). Dans l'aire d'influence tamoule, Skanda s'appelle Subramaniya ou Murugan. Comme arme, son père Shiva lui offrit le Vel, une lance dont les trois parties (tige, partie large du fer et pointe) sont la puissance, l’intelligence et la victoire. Son animal véhicule est un paon, dont la beauté, l'aristocratie et la couleur pourpre sont les symboles de sa puissance. Tout comme le faucon, le paon est le prédateur des serpents. D'allure juvénile, ne portant qu'un pagne, Skanda possède comme couronne un bandeau en plume de paon.

D'étranges traditions, sans fondement historique, feraient état d'une relation entre Skanda et Alexandre le Grand, qui devint en Asie une divinité connue sous le nom d'Iskander, dont les nombreuses aventures inspirèrent les peuples turcs et perses.

 

Remarquons aussi la présence d'une divinité gémellaire. Elle est la gardienne de la santé du bétail comme des hommes, et est invoquée pour de très nombreuses raisons. Il s'agit des Ashvins védiques (tout comme les Ashvieniais baltes et les Dioscures grecs, ce sont des divinités identifiées avec l'étoile du matin et celle du soir).

Un couple gémellaire, deux frères ou un couple fondateur est par ailleurs souvent considéré comme l'ancêtre commun de la race humaine. Dans la mythologie védique, il s'agit du fils et de la fille du soleil : Yama et Yami. Yama fut le premier homme à mourir, donc à prendre en premier possession des enfers. À sa mort, Yami s'incarnera en Yamuna, le fleuve de vie.

Dans un hymne du Rig-Veda (7, 5, class. Langlois), Yama refuse les avances de sa sœur Yami. Ce genre de composition est très rare dans le Rig-Veda. Ce recueil contient surtout des hymnes de louanges à des divinités relativement interchangeables. L'hymne de Yama et Yami est tout autre. Tout comme le dialogue entre le roi pleureur Pururavas et la nymphe Urvashi, lui aussi dénotant dans le Rig-Veda, le dialogue de Yama et Yami possède une dimension à la fois romantique et tragique, littéraire et philosophique. La vie, incarnée par Yami aime la mort, incarnée par Yama, mais une règle céleste interdit leur union ; il s'agit du Rta védique, devenu le Dharma hindou : la Loi.

Le dialogue de Yama et Yami est le grand poème du secret qui ne doit pas être dit, et qui ne peut pas être compris. La vie, c'est-à-dire l'âme placée dans un corps mortel, est insatisfaite car inaboutie. La mort seule lui semble la véritable réalité, elle est l'ultime mystère de la vie elle-même, celui dont la connaissance résoudrait toute problématique, tout doute, toute quête métaphysique. Loin de partager les pulsions de sa sœur, Yama est conscient qu'il ne doit plus jamais revoir son père, qui n'est autre que le Soleil. Yama ne peut plus se permettre de revenir sur Terre et d'aimer sa sœur Yami, sous peine de voir l'équilibre cosmique renversé. La mort doit rester la destination, tandis que la vie doit rester le voyage.

Yama, avant de mourir, a vécu avec Yami. Il s'est uni à sa sœur. Cependant, une fois mort, Yama (la Mort) cesse tout rapport avec Yami (la Vie). C'est un pacte, sans lequel la vie ne pourrait pas demeurer sur terre et continuer à être. Yama est celui qui accueille les morts en enfer, celui qui juge les âmes au tribunal infernal, mais il n'est pas celui qui décide de la mort des êtres. Ce rôle est dévoué à Shiva ou Vishnou.

Yama et Yami, tout comme Urvashi et Pururavas, sont deux mythes qui influencèrent le théâtre indien quelques siècles après l'arrivée des Aryens en Inde (Kalidasa, v. -450).

 

(Les lignes qui suivent sont une version adaptée de la traduction d'Alexandre Langlois :)

Yami : Que celui qui est attendu rejoigne celle qui l'attend... Traverse l'océan de la mort et viens près de moi ! Que le vénérable Soleil, notre père, en récompense de ses méditations, t'aperçoive marcher sur la Terre !

Yama : Ma sœur, je ne peux pas être ton ami. Nous avons la même origine que les autres dieux, le Soleil et les Nuages tempétueux sont nos parents, mais notre forme est différente. Les dévas sont des héros qui soutiennent le ciel ; le théâtre de leur infinie puissance...

Yami : Mais tous ces immortels désirent quelque chose, ne serait-ce que l’offrande d’un mortel ! Tandis que moi, ma pensée est tout unie à la tienne. Sans tarder, incarne-toi donc dans un corps et viens t’asseoir à mes côtés !

Yama : Je ne veux pas être injuste, je ne condamnerai pas ce que nous avons déjà fait ensemble... mais je ne peux oublier que le Soleil est notre père et que la déesse des libations fut son épouse.

Yami : Notre ancêtre le Feu, qui donne aux êtres leur forme, a voulu qu’au sein même de notre mère nous fussions déjà mari et femme. C'est ainsi, et personne ne peut détruire ses œuvres ! La Terre et le Ciel nous connaissent, ils savent qui est notre père !

Yama : De quoi parles-tu ? Qui peut se targuer de savoir ce qu'il était avant sa naissance ? Qui se souvient de son premier jour ? Qui ose parler de ces secrets ? La demeure de Mitra et de Varuna est grande, et les dieux ne ferment jamais les yeux, alors pourquoi me serrer à ce point ? Toi qui veux le mal des hommes, que cherches-tu à me dire ?

Yami : Je te dis que je te désire, comme une femme désire son homme. Pour toi, je veux parer mon corps et dormir dans un même lit avec toi. Roulons ensemble, je t'en prie, ainsi que les deux roues d’un char...

Yama : Impossible. Ce que les dieux ont décidé doit s'accomplir. Leurs divines œuvres ne peuvent être perturbées. Ma sœur, en parlant ainsi tu attires sur les hommes le malheur. Cherche vite un autre mari que moi et roule donc avec lui comme les deux roues d’un char.

Yami : Je vais tout faire pour te séduire, afin que tu sois mon époux légitime ! Je te présenterai des offrandes matin et soir. Je ferai que l’œil du Soleil se rouvre enfin pour toi. Et même si nous nous unissons, le Ciel et la Terre resteront ensemble, je te le promets !

Yama : Femme, nous vivons une époque où les femmes doivent supporter le refus des hommes. Prends donc un autre homme dans tes bras et désire un autre amant que moi.

Yami : Qu’est-ce qu’un frère qui ne protège pas ? Qu’est-ce qu’une sœur livrée aux tourments de Nirti, la déesse des regrets, du manque et de l’absence ? Regarde-moi bien, tu verras que mon amour parle pour moi, alors, je t'en supplie, rapproche ton corps du mien.

Yama : Je ne me rapprocherai pas de toi. On a déclaré pécheur celui qui épouse sa sœur. Cherche le plaisir avec un autre que moi. Ô femme, ton frère ne veut point de toi !

Yami : Yama, comme tu es cruel. Je ne reconnais plus ni ton cœur, ni ton âme. Qu’une autre que moi t’enlace donc de son ceinturon, et t’embrasse comme la liane s'enroule autour de l’arbre !

Yama : Adieu Yami, qu’un autre t’embrasse comme la liane s'enroule autour de l’arbre. Désirez l'un et l'autre votre amour ! Que votre union soit heureuse ! »

Le soleil et la lune (« Soarele si Luna ») est une chanson roumaine qui présente d'évidente similitude avec le dialogue de Yama et Yami. On y trouve les mêmes thématiques : l'inceste, la présence inquisitrice de divinités célestes, l'interdiction bravée mais restaurée, etc. Particulièrement populaire chez les Slaves, la métaphore solaire des « cheveux d'or » est elle aussi présente. Ce chant se trouve dans V. Alexandri, dans Ballades et Chants populaires de la Roumanie.

 

Yama est le dieu védique de la mort. Fils du soleil, frère de Yamuna, la rivière de vie et de Manu, le roi des hommes, il fut le premier homme à mourir. Il est donc considéré comme l'ancêtre de l'humanité. Trois jours après sa mort, il ressuscita et devint le maître des mondes souterrains et de Yamaloka, le royaume infernal. Son arme favorite est le lasso, avec lequel il capture la vie des mourants.

Dans un hymne du Rig-Veda, sa sœur Yami, incarnant la vie, est amoureuse de lui et se languit de son absence du monde des vivants. Yama lui refuse pourtant l'accès de l'outre-monde, tout comme il refuse de la rencontrer sur Terre, jugeant son amour illégitime et immoral. Car Yama est Mara, littéralement « la Mort ». Il est le terrible gardien de la réalité, mais aussi celui qui juge les âmes des morts. Avec Bouddha, Ganesh et le Roi Singe (Sun Wukong en Chine, San Goku au Japon et Hanouman en Inde), Yama est une des divinités les plus largement représentées en Asie.

Yama n'est pas une divinité diabolique. C'est un souverain qui règne sur un purgatoire. C'est un déva à part entière que de nombreuses légendes présentent sous les traits d'un gourou, capable d'enseigner aux hommes la sagesse.

Ses serviteurs sont des démons yamadutas, qui se saisissent des âmes et les emmènent au naraka, le purgatoire hindou. Ces monstres anthropomorphes à têtes d'animaux accompagnent les âmes d'une vie à l'autre. Figures proches des diablotins ou des orques, ils sont les auxiliaires des enfers et torturent les âmes de ceux que Yama leur envoie. Ils sont choisis par Yama parmi les âmes des ancêtres qui ont fait preuve de repentance et de honte par rapport à leurs actes passés. Zélés, car ayant eux-mêmes souffert une éternité de leurs erreurs passées, les yamadutas sont donc assidus à faire souffrir les âmes des damnés dont ils ont la responsabilité, afin que leurs victimes regrettent à jamais tout le mal qu'ils ont infligé ou se sont infligé.

 

Les fantômes, très présents dans les cultures indo-européennes, s’appellent en Inde les « bhoots ». De même qu'en Europe, les bhoots sont des âmes qui n'ont pas voulu ou qui n'ont pas réussi à compléter le cycle de la transmigration. Ces âmes errantes restent dans notre réalité tout en n'étant plus incarnées. Elles hantent alors les lieux de crémation. Si l'on veut éviter leur courroux, il faut accomplir les rites funéraires dans les meilleures conditions et de la plus juste des façons, c’est-à-dire en brûlant le corps accompagné d'un brahmane, tout en récitant des mantras contre le mauvais œil et pour le repos des âmes.

Dans le monde gréco-romain, les démons émergeant de la nature sont les faunes, dont Pan et Faunus sont les chefs. Habitués au viol et au brigandage, ils sont les ancêtres des diablotins de la mythologie catholique. Les faunes sont en Inde connus sous le nom de yaksha quand ils sont mâles et yakshi quand elles sont femelles.

Les titans magiciens des Vedas sont les asuras. Leur puissance est sans égal et sans l'intervention salvatrice des dieux, l'Univers tout entier leur serait soumis. « Le terme Asura, écrit Alain Daniélou dans Mythes et Dieux de l'Inde, qui représente l'Être suprême dans les parties les plus anciennes du Rig-Veda est équivalent de l'Ahura zoroastrien. Dans le sens de Dieu, le terme Asura s'appliquait à plusieurs des divinités principales, à Indra, à Agni, à Varuna. Plus tard il prit un sens contraire et arriva à signifier un Anti-dieu, un démon, un ennemi des Dieux. »

Les démons hindous ne sont donc pas les créations d'un diable qui serait un anti-dieu, mais sont plutôt engendrés par des forces divines. C'est ainsi que la terrible lignée des asuras fût mise au monde, à la suite de l'union du rishi visionnaire Kashiapa avec Diti, la déesse de la matière. De la même manière, c'est Rudra qui est le père des terribles Rudras ; ces forces démoniaques et imprévisibles. Vritra, le dragon défait par Indra est lui aussi une création divine, celle du déva Tvastar. Enfin, le rishi Pulastya est l’ancêtre des rakshasas.

Les rakshasas sont des démons semblables aux gobelins ou aux djinns. Les incarnations féminines des rakshasas sont les rakshasis, dont la sorcière Putana est la personnification des maladies infantiles. Si les asuras appartiennent à la tradition védique et puranique, le terme rakshasa apparaît plus souvent dans les grandes épopées. Un rakshasa, contrairement à un asura, n'est pas un titan, ni un être céleste, mais simplement une race terrestre coexistant avec l'homme. En fonction des sources, les rakshasas sont des monstres, ou simplement des peuples étrangers aux règles védiques, donc souvent qualifiés de carnivores. Dans la littérature indienne, le rakshasa est l'ennemi récurrent des héros brahmanes et kshatriyas, tels Parashurama, Rama et Krishna. Dans la littérature européenne, les rakshasas se retrouvent sous les traits de l'ogre, de l'orque ou du gnome.

 

Le souvenir des ancêtres et leur adoration étaient essentiels. Fondateurs des lignées familiales et des castes. En Inde védique, « les grands anciens » (Piters) étaient perçus comme des esprits vivant sans corps, sur une planète située aux confins de l'Univers, nommée la planète des ancêtres (Piter-loka).

 

Les matrikas expriment le véritable pouvoir des dieux ; elles représentent l'origine tout comme le moteur, de toute action, qu'elle soit divine ou humaine. Elles sont donc les pendants féminins des dieux masculins principaux du védisme tardif. Leur nombre exact et leur appellation variant en fonction des traditions, il peut s'agir de :

- Brahmani, shakti de Brahma.

- Vishnavi, shakti de Vishnou.

- Varahi-la-laie, shakti de Vishnou en tant que sanglier (Varaha). Varahi est la Terre modelée par le divin sanglier pour y accueillir la vie. Au Népal, Varahi est la gardienne de la vallée de Katmandou, qu'elle protège du choléra.

- Nara-simhika, la femme-lion, shakti de Vishnou en tant qu'homme-lion (Narasima).

- Shivani, shakti de Shiva.

- Ambika, shakti de Skanda.

- Indrani, shakti d'Indra : la colère et la jalousie.

- Kali (ou Chamunda), la face sombre et ésotérique de la Grande Déesse elle-même. Dans le contexte des matrikas, Putana, la déesse des maladies infantiles, des infections et des virus, est assimilée à Kali. Kali est alors considérée comme la véritable nature de Parvati (Shakti).

- Ganeshi (ou Vinayaki dans le sud du pays), surnommée « le cœur de Ganesh ». Dans la tradition tantrique, Ganeshi occupe une place importante dans le rite du Kundalini.

 

La symbologie associe au principe féminin l'élément liquide, donc le mouvement, la passion et la transformation. Le sang (menstruation) et la mort lui sont associés, mais aussi l’enfantement, le renouveau de la vie (fertilité). Les divinités garantissant la prospérité et l'abondance des récoltes sont souvent des déesses-mères symbolisant le printemps et la vie, comme les déesses slaves Lada et Jiva. Que ce soit Dévi-Parvati, Déméter, ou Tierra-Gaïa, il s'agit d'une même divinité maternelle, à la fois terre nourricière et mère universelle.

 

« Qu'est-ce donc que la Mère des dieux ? La source d'où naissent les divinités intelligentes et organisatrices qui gouvernent les dieux visibles ; la déesse qui enfante et qui a commercé avec le grand Jupiter ; la grande déesse existant par elle-même, après et avec le grand organisateur ; la maîtresse de toute vie, la cause de toute génération ; celle qui perfectionne promptement. Tout ce qu'elle fait ; qui engendre et organise les êtres avec le père de tous ; cette vierge sans mère, qui s'assied à côté de Jupiter, comme étant réellement la mère de tous les dieux. Car, avant reçu en elle les causes de tous les dieux hypercosmiques, elle devient la source des dieux intelligents. » Julien l’Apostolat, Sur la mère des dieux, 4. Trad. Talbot.

 

La Grande déesse est aussi la grande punisseuse, la grande vengeresse et la gardienne de l'Univers. En Inde, Uma est la gardienne de la Terre et des six domaines divins au-dessus d'elle ; elle règne sur tout ce qu’existe et s'incarne dans la matérialité.

« Pour ceux qui savent voir Elle est la Mère universelle. Ma Sainte Mère se révèle à ses enfants par les formes variées de ses Incarnations divines. Elle est le Dieu visible qui conduit ses Élus au Dieu invisible, et s'il lui plaît elle enlève de tout être créé la dernière trace de l'ego pour l'immerger dans laconscience de l'Absolu, le Dieu indifférencié. Grâce à elle, l'ego limité, le « je » se perd dans l'Ego sans limites : Atman-Brahman » Ramakrishna, cité par R. Rolland dans Vie de Ramakrishna.

Si les divinités à éclairs, sur le modèle de Zeus ou Indra, sont de type héroïque et combattent de redoutables démons, se sont bien des figures féminines telles Athéna, Sarasvati ou Anahita, qui incarnent la puissance d'une armée. Si les dieux du tonnerre sont les champions des combats individuels, les déesses tutélaires sont les championnes des combats collectifs. Tout comme les eaux des torrents se rejoignent en une rivière qui devient un fleuve tumultueux, les volontés de chaque citoyen s'unissent dans un effort collectif pour prendre la forme d'une armée en campagne.

Les déesses-mères peuvent donc avoir deux visages : l'un clément, l'autre féroce. Il n'est pas rare que la divinité la plus violente d'un panthéon soit une furie, souvent une femme-lionne enragée ou une femme chevauchant un lion, telle la Durga indienne. Sa rage n'est cependant pas dirigée contre la vie ou contre la création divine, mais contre le mal et les démons. Et même si le poignard et le sang font partie des attributs de Kali, la furie indienne n'est pas une déesse sanguinaire ni même violente, car elle n'effraie que ceux qui ont le cœur impur. Elle combat le mal, elle ne l'incarne pas.

Elle est cependant parée d'attributs guerriers symbolisés par la violence de l'eau et de ses crues. De nombreux hymnes du Rig-Veda rendent honneur à Sarasvati en tant que déesse protectrice des guerriers aryens et de leur bétail : car c'est elle qui donne la victoire contre les peuples barbares. En Europe, Athéna et Junon sont représentées armées, prêtes à défendre la cité (ou l'Empire) et leurs fidèles.

De même que les Védiques invoquaient Sarasvati avant un combat, afin de s'assurer de la victoire en honorant une divinité qu'ils savaient acquise à leur cause, les Aryens de Perse invoquaient Anahita afin de montrer leur attachement à une divinité qu'ils savaient tutélaire et clanique. Et tout comme Sarasvati assure la victoire aux guerriers védiques, Anahita consacre la victoire des armées aryennes.

L'hymne acathyste, chanté lors des sièges de Constantinople en 626, 678 et 718, fait partie de la tradition chrétienne, mais il reprend aussi à son compte le mythe d'une déesse magnanime et amie des guerriers, garante de la victoire :

« Protectrice, général de mon armée, à toi la victoire ! En action de grâces pour ma délivrance, Je te dédie ce chant, moi, ta ville à toi, Mère de Dieu. Et puisque tu possèdes une puissance invincible, délivre-moi de tout péril, afin que je t’acclame : Salut, épouse inviolée ! »

 

Aussi éternelle que le soleil lui-même, la déesse de l'Aube annonce l'arrivée de l'astre solaire, c'est-à-dire le retour du jour qui dissipe la nuit.

Elle offre à l'Univers une nouvelle journée et symbolise le savoir qui dissipe les ténèbres de l'ignorance. Dotée d'une beauté incommensurable et indescriptible, l'Aube séduit le cœur le plus sec et redonne espoir à ceux qui en manquent.

En témoigne cette prière sanskrite, citée dans S. Reff et A. Stern dans Soleil de prières, anthologie de prières du monde entier (Albin Michel, 1989).

 

« Comme un nouveau-né, regarde cette journée : c'est la vie.

La vraie vie de la vie. Dans son bref déroulement,

il y a toute la vérité et la réalité de ton existence :

l'épanouissement de la croissance, la splendeur de la beauté, la gloire de l'action.

Hier est déjà un rêve et demain n'est encore qu'une vision.

Bien vivre le jour présent transforme chaque jour d'hier en rêve de bonheur

et chaque lendemain en vision d'espérance.

Regarde donc bien ce jour : tel est le salut de l'aube. »

 

L'Aube est la déesse de la beauté, de la lumière, de l'intelligence et de l'initiation mystique. Elle est affiliée à la planète Vénus, surnommée l'étoile du matin et du soir. Elle est donc vénérée très tôt le matin, alors que le soleil ne s'est pas encore levé mais que la nature fait déjà entendre le chant des oiseaux.

La védique Ushas est présentée comme une jeune fille nue, offrant la vision de son corps au monde entier. Elle est la maîtresse du Soleil et la sœur de Ratri, la déesse de la nuit, par ailleurs compagne légitime de l'astre de lumière. Plutôt que le plaisir charnel, Ushas incarne la puissance séductrice de la sagesse, dont le sage tombe amoureux alors qu'il progresse dans son initiation.

Ushas est en effet la plus désirable de toutes les créatures, car c'est elle qui ramène au Jour la Parole et la Prière ; c'est elle qui répand ses teintes brillantes et illumine le monde en visitant toutes ses créatures. Éclatante interprète des chants sacrés, le corps nu, Ushas étale alors ses parures pour ouvrir les portes du jour. En illuminant l’univers, elle en montre les trésors. De sa main puissante, elle invite tous les êtres à se réveiller et le monde endormi à se mouvoir. Elle est celle qui incite à goûter la joie, à accomplir les rites sacrés et à travailler à la prospérité.

La déesse de l'aube inspira le russe du Caucase Mikhaïl Lermontov (1814 - 1841), et son poème épique romantique et païen : Le Chant du tsar Ivan Vassiljevitch :

« Au-dessus de Moscou à la tête d’or, au-dessus des blanches pierres du Kremlin, derrière les forêts lointaines et les cimes bleues des montagnes, dorant déjà les toits blancs des maisons et divisant les nuages humides et sombres, flamboie la lumière de l’Aurore. Elle peigne en souriant sa chevelure d’or, elle lave son visage dans la blanche neige, et pareille à une belle jeune fille qui se contemple dans un miroir, elle jette à la terre du haut des cieux un regard de complaisance. Dis, ô belle Aurore, quel désir t’a éveillée ce matin ? Â quelle scène joyeuse es-tu venue assister ? »

Tout comme Lermontov, l’Écossais James Macpherson (1736 - 1796) est un auteur qui a puisé son inspiration dans l'héritage païen de l'Europe pré-médiévale. Même si ses Chants d'Ossian ne comportent que très peu de références religieuses, ils mentionnent tout de même la déesse de l'aube :

« Étoile de la nuit qui descend, belle est ta lumière dans l’Occident ! Tu lèves ta tête à la chevelure vierge sur ta nuée, et tes pas sont majestueux sur ta colline ! Que regardes tu dans la plaine ? Les vents orageux se sont apaisés, et de loin arrive le murmure du torrent. Les vagues rugissantes escaladent les rochers éloignés. Les insectes du soir voltigent sur leurs faibles ailes et remplissent de leurs bourdonnements le silence de la plaine. Que regardes-tu, belle lumière ? Mais tu souris et tu t’en vas ! Les vagues avec joie viennent autour de toi ; elles baignent ta belle chevelure. Adieu, rayon silencieux ! » Les Chants de Selma.

« [Les Aryens] rendaient un culte à la nature divinisée. Telle fut aussi la religion des Chaldéens, des Perses et de la plupart des peuples anciens. [...] Partagés en familles ou tribus qui devaient bientôt devenir des peuples, les Aryens, à l’époque reculée où nous nous plaçons, n’avaient point encore rempli leur olympe d’une myriade de divinités étranges et bizarres. La Terre, qui produit et alimente les objets propres aux sacrifices, fleurs et fruits, troupeaux et céréales ; l’Eau, qui rend la Terre féconde ; les Vents, qui règlent les saisons en exerçant leur influence sur la température ; le Feu, emblème de la force, qui dévore l’offrande et nourrit les dieux ; les Crépuscules du soir et du matin (les Ashvins, jumeaux), qui servent à marquer l’heure de la prière ; la Lune, que les poètes remercient de ce qu’elle éclaire sans chaleur ; l’Aurore, symbole du réveil de la nature ; enfin les mânes des ancêtres (pitrs) qui réclament leur part du sacrifice, — tels furent les premiers objets de la vénération de ces tribus émigrantes. Le culte qu’elles rendaient à ces divinités consistait en sacrifices, en prières et en hymnes chantés durant les cérémonies. L’ensemble de ces cérémonies fut réglé par les Vedas. » T. Pavie, Le Rig-Veda et les livres sacrés des Hindous.

La RELIGION VÉDIQUE
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