Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

INTRODUCTION AU MITHRAÏSME, par Amédée Gasquet

INTRODUCTION AU MITHRAÏSME, par Amédée Gasquet

Mithra transforme les gorges les plus vastes en champs fertiles. » Avesta, yesht […] C'est pourquoi il faut honorer Mithra, à haute voix et par des offrandes purifiées.

Avesta, yesht 10.

N.D.É

Si le désir est si puissant, c'est qu'il est le fruit des passions. Des règles doivent donc pouvoir exister pour les juguler. De telles cérémonies, de tels engagements, se prennent alors sous l'égide d'un dieu tutélaire, qui en est alors le témoin.

Dans la mythologie aryenne il s'agit de Mithra, « l’œil du monde », une divinité solaire, donc omnisciente. Chez les Védiques, Mitra est célébré en même temps que ses frères Varuna et Aryaman. Il est le dieu des promesses, tandis que son frère, le déva Aryaman, est spécifiquement le garant des mariages et le protecteur de la lignée des Aryens.

Les premières mentions de Mithra se trouvent dans les traités diplomatiques entre l'Empire Hittite et le Royaume du Mitanni (v. -1400), deux zones géographiques où les Aryens étaient présents avant même leur entrée en Inde et en Perse. Mais c'est son hymne avestique, bien plus tardif (v. -600) qui nous fournit le plus d'informations sur lui.

À la fin du premier millénaire av. J.-C. le culte de Mithra semble subir de nombreuses variations, pour finalement investir la Méditerranée sous la forme d'un culte à mystères dont on ne sait que très peu de choses. De divinité du contrat, de la justice et de sa vengeance, Mithra devient donc une divinité solaire, mais surtout une divinité guerrière. À la suite des conquêtes romaines en territoire perse (Arménie), des expéditions dans le désert d'Arabie et de l'envoi d'émissaires en Sogdiane, Bactriane et même Chine, ce culte connaîtra une véritable popularité dans les armées romaines. Pour eux, le dieu-soleil, « œil du monde », sacrificateur du Taureau de vie, annonciateur du printemps, mais aussi fils de Dieu sur Terre, est alors le moyen d'atteindre le Dieu du ciel.


***

 

INTRODUCTION AU MITHRAÏSME

Par Amédée Gasquet

Les mystères de Mithra s’introduisirent à Rome, au déclin de la République, vers le même temps où, de tous les points du bassin de la Méditerranée, d’Égypte, de Syrie, de Judée, de Perse et de Chaldée, commençaient à affluer vers la capitale du monde les cultes orientaux et les superstitions étrangères. Rendez-vous de tous les peuples, Rome devient le réceptacle de toutes les religions qu’a connues l’univers, comme si toutes pressentaient, à ce moment précis où s’établit l’empire, la crise religieuse d’où devait sortir une religion universelle.

Les temps étaient propices pour la propagande des dieux nouveaux. La vieille religion se mourait au milieu de l’indifférence générale. A bout de sève, elle avait perdu toute prise sur les âmes, toute action sur les consciences. Il n’en restait que les rites, la liturgie, les gestes extérieurs. Cette mythologie fripée n’imposait plus même aux enfants et aux vieilles femmes. Le peuple, sevré des agitations de la politique et du souci de la patrie, exclu de la religion officielle, qui restait le privilège de l’aristocratie, déshabitué de ses cultes municipaux, n’a plus rien pour satisfaire les besoins supérieurs de sa nature et cette soif obscure d’idéal qui est la noblesse et le tourment des sociétés humaines. Ni la réforme religieuse d’Auguste, — le culte de la Cité-Reine, agrandi à la mesure du monde conquis, — ne pouvait lui donner l’aliment qu’il réclamait ; ni la philosophie grecque, qui prit sous les Antonins quelques-unes des formes et des allures d’une religion, et prétendit à la direction des consciences, n’était capable d’agir sur des imaginations avides de mythes et de symboles, sur des cœurs affamés de consolation et d’espérance.

Le peuple entendait d’autres voix, allait à d’autres maîtres. Jamais le monde n’a vu pareil débordement de superstition, pareille orgie de surnaturel, jamais tant de devins, de charlatans, d’astrologues, de vendeurs de recettes pieuses et d’amulettes. L’espace se peuple de génies et de démons, qui interviennent pour faire de la vie de l’homme un miracle continuel. D’extravagantes chimères hantent les cerveaux les plus robustes et les plus lucides. Mais cette folie même est le signe d’un travail extérieur, d’une fermentation spirituelle, d’une attente. Des préoccupations nouvelles assiègent les esprits ; des mots nouveaux circulent, qu’on entend dans les réunions secrètes, dans les associations des humbles, et qu’on retrouve sur la pierre des inscriptions. L’âme est en proie au tourment de l’inconnu et de l’au-delà ; elle réclame un sauveur, elle aspire au salut ; elle souffre de la tare intime du péché : non de cette amertume que laisse après elle la faute commise, mais de cette souillure radicale et foncière qui vient de l’infirmité originelle de l’homme. Pour la laver et l’effacer, on a recours aux lustrations, aux expiations connues, et l’imagination enfiévrée on invente de nouvelles.

Les religions orientales profitent seules de ce mouvement. Non seulement elles ont conservé le dépôt des révélations premières ; elles savent les prières, les formules qui agissent sur la divinité et la forcent à répondre ; mais, par leurs pratiques, l’appareil de leurs cérémonies, la mise en scène de leurs initiations, elles s’entendent autrement que les religions officielles à secouer les esprits, à troubler les sens, à faire jaillir du cœur la source fermée de l’émotion religieuse.

De ces religions concurrentes, laquelle allait donner au monde le dieu universel ? Le judaïsme, qui avait médité, un instant, une extraordinaire faveur, par la simplicité grandiose de son dogme et la pureté de ses mœurs, se met de lui-même hors de cause, lorsque, après la dispersion, il se cantonne, tout à ses rêves de revanche messianique, dans la citadelle de son Talmud. Le culte de Cybèle se discrédite par le charlatanisme et l’impudence de ses Galles, et ne dure qu’à l’état de basse superstition populaire. Restent les deux religions d’Isis et de Mithra, qui se maintiennent jusqu’au Ve siècle. Mais la première, tout amollie de tendresse féminine et de maternelle douceur, convient mal pour lutter contre les progrès menaçants du christianisme. Elle cède le pas au culte de Mithra, autrement viril et sévère, religion de combat qui finit par absorber et résumer le paganisme du dernier âge. Il balance un moment la fortune du christianisme. « Le monde, prétend Renan, eût été mithriaste, si le christianisme avait été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle. »

Cet antagonisme explique l’intérêt d’une étude du mithriacisme. Pourtant elle a peu tenté les érudits ; leur curiosité est allée de préférence aux religions qui ont su exprimer l’âme d’un peuple, d’une race, d’une civilisation. Le mithriacisme est au contraire une religion composite, constituée des éléments les plus divers, qui s’est adaptée aux milieux les plus différents. Ajoutons que cette étude est des plus malaisées. Aucun des ouvrages spéciaux qui traitaient du mithriacisme, ceux d’Eubule et de Pallas, n’est venu jusqu’à nous. Nous n’en connaissons que des fragments épars dans les traités de Porphyre. Les monuments mithriaques eux-mêmes ont été fort maltraités, mais leurs débris sont précieux ; ils nous permettent, avec les inscriptions relevées dans toute l’Europe, d’interpréter les symboles familiers aux adeptes de Mithra. [...]

Si nombreuses que soient les greffes qu’ait subies le culte de Mithra, au cours de ses pérégrinations, il tient à l’Orient par toutes ses racines. C’est de l’Orient qu’il a reçu la sève qui a nourri jusqu’à ses derniers rameaux, la forme de ses dogmes, ses symboles, la morale dont il est pénétré. Étudier le mithriacisme, abstraction faite de ses origines, c’est s’exposer à en méconnaître les tendances et la portée. Mais ces origines mêmes sont complexes. Un regard jeté sur les monuments mithriaques suffit pour y découvrir des influences iraniennes et des influences chaldéennes. Le taureau immolé par Mithra, qui occupe le centre de presque toutes ces compositions, est bien le taureau des légendes zoroastriennes ; mais à des signes certains on le reconnaît aussi le taureau astronomique de Babylone. Les animaux figurés auprès de lui, le chien, le corbeau, le serpent, sont ceux de l’Avesta ; mais les douze signes du zodiaque, qui ornent le cintre des monuments, les sept planètes qui en parsèment le champ, manifestent la religion sidérale, qui fut celle de Ninive et de la Chaldée. Les Romains ne s’y sont pas mépris. Ils donnent indifféremment à Mithra l’épithète de Persan et de Chaldéen : Ammien Marcellin qui accompagna Julien dans ses campagnes, assure que Zoroastre emprunta aux mystères de la Chaldée une partie de sa doctrine. [...]

Mithra est l’un des Izeds. Il appartient à la plus vieille mythologie arienne. Dans les Védas, il est déjà un dieu-lumière, l’assesseur et le compagnon de Varuna. « Il fait le bien par son regard et par le jour qu’il apporte, » et déjà s’identifie avec le soleil. Dans l’Iran, sa fortune est plus éclatante. Son rôle est encore effacé dans les parties liturgiques et rituelles de l’Avesta. Mais bientôt sa personnalité se dégage et se précise. Dans le Yescht (acte d’adoration) qui lui est consacré, il apparaît avec les premiers linéamens de la physionomie qu’il gardera jusqu’à la fin. Il a été créé par Ormuzd qui l’a fait aussi digne d’honneur que lui-même. Il s’avance au-dessus de la montagne de Hara, précédant la course du soleil et survivant le soir à la disparition de l’astre. Il est à la fois l’aurore et le crépuscule. Seigneur des vastes pâturages du ciel, il distribue la richesse et la fécondité. Il combat, guerrier infatigable, les ténèbres et les œuvres de ténèbres. Il a dix mille yeux et dix mille oreilles. Rien de ce qui se fait sur la terre ne lui échappe et il sait le chemin des plus secrètes pensées. Il découvre et déteste le mensonge ; il est le dieu de vérité. Il garde les contrats et il est le garant de la parole donnée. Il préside aux relations sociales, aux liens qui unissent les hommes et assure la stabilité du foyer. Il est l’ami et le consolateur. « Le pauvre, pratiquant la doctrine de vérité, privé de ses droits, l’invoque à son secours, lui dont la voix, quand il se plaint, s’élève et atteint les astres. » Il ramène à l’étable la vache emmenée captive, qui l’appelle à grands cris, comme le mâle, chef du troupeau. Il est médiateur entre les hommes et médiateur entre la créature et le créateur. Il préside au sacrifice, comme le prêtre, et offre le premier le hôma dans un mortier émaillé d’étoiles. Après la mort enfin, c’est lui qui aide les âmes à passer le pont fatal et pèse leurs actions dans les plateaux de sa justice. Il est déjà le triple Mithra, dieu du ciel, de la terre et de la mort. [...]

La première étape du culte de Mithra, hors de sa patrie d’origine, fut la Phrygie. Il ne nous reste aucun document de ce séjour, et c’est là la principale lacune de son histoire. Il ne semble pas que la doctrine du dieu persan se soit altérée au contact des divinités phrygiennes. Mais déjà se manifeste en lui cette facilité singulière à s’adapter aux divers milieux où il se transporte et à s’apparenter aux dieux étrangers. C’est ainsi qu’il emprunte à Attis le costume sous lequel il figurera désormais sur les monuments, les braies flottantes serrées aux chevilles, la blouse et le bonnet phrygien. Il se confond avec Sabazius, le dieu solaire, « berger du troupeau des étoiles, » qui déjà, sous le patronage de Bacchus, a pénétré dans les mystères d’Eleusis. Son nom gravé se lit sur le taureau mithriaque du Capitole ; et, dans la catacombe de Prétextât, un prêtre de Mithra et un pontife de Sabazius dorment fraternellement unis dans la tombe. Pareille alliance, attestée par les monumens du IVe siècle, se fit avec le dieu Men ou Lunus, qui ressemble de si près au Sin chaldéen, le dieu mâle de la lune : la victime immolée à tous deux est le taureau. Il est possible aussi que, dès lors, le culte de Mithra ait emprunté à celui de Cybèle l’usage du taurobole et du criobole ; bien que l’immolation du taureau et du bélier, qui tous deux symbolisent à deux périodes différentes l’année zodiacale en Chaldée, fût une coutume générale sur les bords de l’Euphrate. Le pin, emblème d’immortalité, qui garde en hiver sa verdure, et qu’on promenait pendant les lamentations d’Attis, devient un des accessoires figurés du sacrifice mithriaque.

De Phrygie, le culte de Mithra gagna les côtes de la Méditerranée. Il était le dieu principal des pirates que Pompée poursuivit dans leurs retraites de Cilicie. Les légions le rapportèrent de Tarse, la colonie assyrienne fondée par Sennachérib, et par elles, il fit son entrée dans Rome.

Il y végéta d’abord obscurément. Le premier monument qui le signale est une inscription de Naples, du temps de Tibère. Néron lui fit accueil et demanda à ses mystères l’expiation de son parricide. Il se lie d’amitié avec les souverains parthes et reçoit leurs ambassadeurs, qui célèbrent à Rome ouvertement leur culte. Ce culte est florissant sous Trajan. Hadrien l’interdit un moment, à cause de la réputation de cruauté qu’avaient ses cérémonies. Commode se fait initier et commet un homicide au cours des épreuves. Mithra profite de la faveur extraordinaire qu’Elagabal, le prêtre syrien couronné, donne au culte du Baal d’Émèse. Mais c’est surtout d’Aurélien que datent l’extension et l’immense popularité de Mithra. Né en Pannonie d’une prêtresse du Soleil, élevé dans le temple, Aurélien est envoyé comme ambassadeur en Perse. Il lit dans le relief d’une coupe consacrée à Mithra la promesse de son élévation future. Plus tard, empereur, vainqueur de Zénobie, il transporte à Rome le dieu solaire de la cité palmyréenne et prélude au syncrétisme auquel aboutira le paganisme, en unissant dans une même adoration tous les cultes du Soleil. Pour la première fois se lit sur les médailles, avec l’emblème de l’invictus « Sol dominus Imperii Romani ; » Sol et Mithra ne sont plus désormais qu’une même divinité. C’est celle de Dioclétien et de Constance Chlore, celle aussi de Constantin, qui longtemps hésita entre Mithra et le Christ. C’est surtout le dieu de Julien, voué dès sa jeunesse à Mithra, dont il fait le conseiller et « le gardien de son âme. » Le monothéisme latent, que porte en lui le paganisme, trouve sa formule dans le traité que l’impérial écrivain intitule « le roi Soleil. »

 

L’initiation mithriaque était donnée dans des grottes naturelles ou artificielles, semblables à celle que Zoroastre, le premier, écrit Porphyre, « consacra en l’honneur de Mithra, créateur et père de toutes choses. » Ses mystères, comme d’ailleurs tous les mystères, avaient pour objet d’expliquer aux hommes le sens de la vie présente, de calmer les appréhensions de la mort, de rassurer l’âme sur ses destinées d’outre-tombe et, par la purification du péché, de l’affranchir de la fatalité de la génération et du cycle des existences expiatoires. Cet enseignement suppose un ensemble de doctrines sur l’origine spirituelle et immortelle de l’âme, sa déchéance, son rachat par les mérites et avec l’aide d’un dieu psychopompe et sauveur. Il serait intéressant d’en rechercher la genèse et de remonter à leur source. Elles sont absolument étrangères à la religion d’Homère ; les Grecs eux-mêmes en reconnaissaient la provenance orientale. Ils en attribuaient l’importation à Pythagore, qui lui-même les tenait, directement ou par l’intermédiaire de son maître Phérécyde, d’Egypte et de Chaldée.

Le dogme mithriaque de la catabase et de l’anabase des âmes s’explique en combinant les renseignemens que nous tenons de Celse, de Porphyre et de Macrobe. Les symboles astronomiques de la grotte représentaient la voûte du ciel et la double révolution céleste, celle des étoiles fixes et celle des planètes ; les premières, séjours de lumière et de splendeur ; les secondes, réservées à l’évolution des âmes. Aux deux extrémités du ciel sont placés les deux Tropiques, celui du Cancer et celui du Capricorne. Ce sont les deux portes, l’une des dieux, l’autre des hommes, ainsi nommées, parce que de l’une descendent les âmes éprises des corps mortels, et que par l’autre elles remontent à leur lieu d’origine. Le Cancer est affecté à la Lune, source de génération et conservatoire de vie pour tous les théologiens de l’antiquité ; le Capricorne à Saturne, la plus éloignée et la plus lointaine des planètes. Du Cancer au Capricorne, et du Capricorne au Cancer, se répartissent et s’échelonnent les douze signes ou constellations. Quant à Mithra, il siège entre les deux équinoxes. « Il porte le glaive du Bélier, signe de Mars, et il est porté par le Taureau, signe de Vénus. »

L’âme, essence divine, libre de toute contagion matérielle, descend ou tombe d’elle-même, par l’appétence des corps, par un désir latent de volupté, et par le poids seul de sa pensée terrestre, enivrée d’un miel, qui lui verse l’oubli de la lumière éternelle. Mais ce n’est pas d’un coup et brusquement que, de son incorporabilité parfaite, elle arrive à revêtir un corps de boue périssable. La chute est graduée. Celse la figurait par une échelle ou un escalier, avec sept points d’arrêt, où s’ouvrent autant de portes. Ces portes sont celles des planètes. A mesure que l’âme descend de l’une à l’autre, elle perd de sa pureté première et ressent des altérations successives de sa perfection. Elle se gonfle et se sature de la substance sidérale ; chaque sphère la revêt d’une enveloppe éthérée, de plus en plus sensible ; elle éprouve autant de morts qu’elle traverse de mondes, jusqu’à ce qu’enfin, de chute en chute, elle parvienne à celui qu’on appelle « le monde de la vie. » En même temps chaque planète la dote des facultés nécessaires à son existence terrestre : Saturne lui donne le raisonnement et le calcul ; Jupiter l’énergie active ; Mars l’ardeur passionnée ; le Soleil l’imagination et le sentiment ; Vénus le désir ; Mercure l’herméneutique ou la faculté de s’exprimer ; lu Lune celle de croître et de grandir. « Car la dernière des qualités divines est la première des nôtres. »

Dans l’anabase, l’âme suit une route inverse, et de planète en planète, s’allégeant de la substance prêtée par chacune d’elles, se dépouille successivement de tous les éléments de sa corporalité, jusqu’à redevenir semblable à ce qu’elle était dans sa condition première et spirituelle.

Ce symbole astronomique, cette septuple vêture et ce dépouillement correspondant, nous ramènent directement aux rites de la Chaldée.

Là, sous l’influence de la religion, qui domine toutes les manifestations de la vie, le nombre sept et quelquefois le nombre douze, règnent en souverains. Sept est le chiffre sacré. Le temple, qui reproduit l’ordre du monde et spécialement celui du ciel, est la haute tour à sept étages, en retrait l’un sur l’autre, reliés par de larges rampes d’escaliers extérieurs, où se déroule à l’aise la pompe des processions. Au sommet s’élève le sanctuaire du dieu, magnifique avec ses revêtemens de bois précieux et de lames d’or. Chacun de ces étages est consacré à une planète et peint de la couleur qui lui est propre ; elle y possède une chapelle particulière. C’est exactement l’échelle mithriaque, décrite par Celse. Les cérémonies religieuses obéissent au même rythme numérique. On connaît le poème d’Istar, veuve du « fils de la vie, » descendant pour le sauver « dans le pays immuable de la mort. » Ce pays est divisé en sept cercles, sur le modèle des sphères célestes. Elle franchit les sept enceintes ; à chacune, le serviteur d’Allat, la déesse des ombres, la dépouille d’un de ses vêtemens, depuis la tiare jusqu’au voile de sa pudeur, pour qu’elle paraisse nue devant la sombre divinité. Au retour, dans le même ordre, ses vêtemens lui sont rendus. Dans une autre tablette de la collection ninivite, est décrite la fête de la purification d’une déesse-terre. Elle monte les longues rampes des escaliers de la ziggurat. A chacune des sept portes, un prêtre la fait entrer, qui la dépouille d’une pièce de son costume, jusqu’à ce qu’elle pénètre nue dans le sanctuaire supérieur, qui est l’Empyrée. Là, d’autres déesses s’empressent autour d’elle, la purifient par des lustrations et des exorcismes ; puis, leur office terminé, elles la laissent redescendre et compléter d’étage en étage rajustement qu’elle a quitté. C’est évidemment du souvenir de ces cérémonies symboliques que s’est inspiré le dogme mithriaque. [...]

Dans tous les mystères, l’initiation était précédée d’épreuves, qui avaient pour objet de s’assurer de la foi du candidat et de la solidité de sa vocation. On lui imposait une attente de quelques jours ou de quelques mois, qui était occupée par la prière, le jeûne et diverses abstinences. Les épreuves des mystères de Mithra passaient pour les plus longues et les plus rudes. La secte ne voulait admettre que des hommes trempés par la souffrance, et parvenus à cet état d’insensibilité qu’on appelait l’apathie. On disait que ces épreuves pouvaient aller dans certains cas jusqu’au sacrifice de la vie ; mais Lampride nous assure que, de son temps du moins, l’homicide se bornait à une simulation, et qu’on regarda comme un crime le meurtre dont se souilla Commode, au cours de son initiation. Par leurs rigueurs peu communes, les mithriastes ne craignaient pas de décourager l’empressement et le dévouement des fidèles ; ils savaient qu’il est dans la nature de l’homme de n’attacher de prix qu’à ce qui lui a coûté peine et douleur.

Les épreuves étaient au nombre de douze et duraient parfois quatre-vingts jours. Ce chiffre se rapportait aux signes du Zodiaque et aux travaux de l’Hercule assyrien. Ses douze victoires sur les monstres gardiens des stations célestes lui avaient mérité la tunique astrale et valu l’immortalité. Aussi, dans tous les mystères, Hercule était donné comme modèle aux initiés : il était le myste parfait.

De ces épreuves graduées, d’abord légères, puis de plus en plus pénibles, — Grégoire de Nazianze les appelle des supplices, — on ne connaît pas le détail exact. Elles comportaient des jeûnes prolongés, quelquefois de cinquante jours, l’abandon dans la solitude, l’épreuve du feu, de l’eau, du fouet ; le patient était enfoui dans la neige, d’autres fois traîné par les cheveux dans un cloaque. Les injures et les dérisions s’ajoutaient à ces souffrances physiques.

Les épreuves de l’initié sont représentées sur un grand nombre de monuments mithriaques, malheureusement effacés presque tous ou mutilés. Celui d’Heddernhain nous montre, en trois médaillons séparés par des pins, le myste vainqueur du taureau ; le myste ceint de la couronne héliaque, c’est-à-dire d’une auréole radiée ; le myste introduit par la main de Mithra dans le ciel du bienheureux. C’est là comme la synthèse de l’épreuve, avec la récompense qui la couronne. Le monument de Mauls (Tyrol) nous présente, des deux côtés de l’image du tauroctone, douze compartiments superposés, où sont figurées distinctement l’épreuve du feu, celle de l’eau (un homme luttant à la nage contre le courant d’un fleuve) ; celle du jeûne ou de la solitude (un homme couché nu dans un désert semé de rochers) ; celle du fouet, à moins que ce ne soit un poignard que brandisse la main du tortionnaire. Les compartiments de droite semblent consacrés à l’anabase. Ils nous font voir le myste reçu en grâce et pardonné, puis couronné par la main de Mithra du diadème héliaque, monté enfin sur le char du Soleil et accueilli dans le ciel. A la base de la colonne de gauche, est figuré le taureau seul et debout, représentant le principe matériel dont l’initié doit se libérer pour mériter le salut ; dans le compartiment qui lui répond, à droite, le taureau est vaincu, traîné par les pattes de derrière, dans l’attitude familière qui symbolise la défaite sur les cylindres chaldéens. Du monument de Zollfeld, il ne reste que les scènes de l’apothéose.

Les épreuves surmontées permettaient l’accès aux grades. Il existait en effet parmi les initiés une hiérarchie rigoureuse, calculée d’après le degré d’instruction ou d’intelligence de chacun, les services rendus, ou le dévouement à la communauté, et qui avait pour but d’inculquer l’obéissance et de susciter l’émulation. On n’est d’accord ni sur le nombre de ces grades, ni sur leur ordre, ni même sur leurs noms. Le passage de saint Jérôme, où ils sont énumérés, est un des plus mutilés des manuscrits. Une saine critique commande de n’admettre que ceux que mentionnent expressément les textes et les inscriptions. Il se trouve qu’ils sont au nombre de sept, répondant à celui des planètes et aux degrés de l’échelle mystérieuse de Celse. Ce sont le Miles, le Léo, le Corax, le Gryphius, le Persès, l’Helius, le Pater. Les anciens ignoraient eux-mêmes le sens symbolique et secret de ces dénominations. Si nous nous référons au texte de Pallas, rapporté par Porphyre, elles désigneraient ces enveloppes successives, dont doit se dépouiller le myste pour atteindre l’état de pureté, et les personnages divers par lesquels il doit passer, avant d’arriver à la perfection. L’initiation à chacun de ces grades était l’occasion d’autant de fêtes, dont les inscriptions gardaient le souvenir, les léontiques, les coraciques, les héliaques, etc.

Nous devons à Tertullien quelques renseignements sur la réception du Miles. Le myste, vainqueur des épreuves, doit refuser la couronne qui lui est tendue au bout d’une épée, la faire glisser sur son épaule, et répondre : « Mithra est ma seule couronne. » Il est alors marqué d’un signe au front et fait partie de la milice sacrée. Le Lion n’est plus un simple initié, il participe déjà au culte ; c’est le grade auquel la plupart se tenaient. Les femmes elles-mêmes y étaient admises et recevaient le nom de Lionnes. La réception donnait lieu à d’étranges cérémonies, dont le sens nous échappe. Le récipiendaire revêtait successivement les formes de divers animaux, dont il imitait les cris et les mouvemens. On l’enveloppait du manteau bariolé des figures des constellations, semblable au voile olympique des Eleusinies et des Isiaques, à l’astrochiton d’Hercule. On lui purifiait avec du miel les mains, la bouche et la langue. Le Corbeau était déjà un ministre inférieur du culte ; son nom venait de la constellation dont le lever héliaque annonce le solstice d’été. Le Griffon est, dans toutes les religions antiques, consacré aux dieux solaires. Il sert de monture à Apollon, quand le dieu revient des pays hyperboréens. Il est le gardien des trésors cachés. Plus mystérieuse est l’origine du Perses. Hésiode fait du Persée grec le fils d’Hypérion. Phérécyde rattache son mythe à la Phénicie, et l’on connaît un temple qui lui était consacré à Joppé. Il paraît avoir été, en Grèce, le premier exemplaire du dieu solaire persan, vainqueur du dragon et du serpent, comme le prototype de Mithra. Saint Justin semble voir en lui le Sauveur des derniers jours de la légende avestéenne. Le grade d’Hélius s’explique de lui-même. Quant aux Patres, ils constituaient le clergé proprement dit ; on leur donnait les noms d’Éperviers et d’Aigles. Porphyre distingue parmi eux trois degrés de prêtrise, que les inscriptions reconnaissent également ; les Pères, les Pères du culte (patres sacrorum) et le Père des pères (pater patrum), qui était le chef suprême de la religion. Il est curieux que les mêmes degrés se retrouvent encore de nos jours chez les Parsis ; le Hobed, qui a la connaissance des écritures sacrées, le Mobed, l’ancien mage et le ministre du culte, le Mobeddestour, le maître des coutumes, chargé d’interpréter la loi et dont les décisions sont souveraines.

 

ANNEXE

 

LE SACRIFICE DU TAUREAU PRIMORDIAL


Par Grégoire de Visme

La première des créatures d'Ahura-Mazda, c’est-à-dire la première matière organisée et animée, fut donc le taureau primordial. Il devait errer sur la Terre et copuler, semer la vie en frappant la Terre de ses sabots, mais Ahriman ne l'entendait pas ainsi. Il essaya de le tuer, envoyant sur lui la maladie, le besoin, la souffrance ; ce qui ne manquait pas de blesser l'animal, qui dépérissait dangereusement.

C'est alors qu'Ahura-Mazda créa un être divin aussi glorieux que lui, aussi lumineux, aussi puissant, aussi juste et aussi digne d'éloges : Mithra, l'archange gardien des promesses, l'incarnation céleste du contrat. Ahura-Mazda lui confia son arme, la foudre, puis il lui donna pour mission de descendre sur Terre pour disputer à Ahriman le destin du taureau primordial.

Soudain, quelque part sur Terre, près d'un cours d'eau, à l'ombre d'un arbre sacré, un rocher reçu la foudre : Mithra en sortit, sous la forme d'un magnifique adolescent portant dans une main une torche enflammée et dans l'autre un poignard. À sa ceinture était noué un baudrier auquel étaient accrochés un arc et son carquois rempli de flèches. Un chien était déjà attaché à ses pas et prêt à la seconder en toutes occasions.

Le Soleil et la Lune bénirent la naissance de Mithra, à laquelle avaient assisté des bergers. Comme ces braves gens avaient soif, Mithra se saisit de son arc et décocha une flèche sur un rocher, qui se fendit pour laisser couler une source d'eau pure. Comme ces bergers avaient faim, Mithra cueillit pour eux un fruit de l'arbre sacré, afin qu'ils puissent satisfaire à la fois l'appétit du ventre comme ceux de la tête et du cœur. Il coupa aussi des feuilles de cet arbre et les leur fit boire en infusion. Ce fut la première boisson du homa, le nectar divin.

Mithra se mit en quête du taureau de vie, mais à son approche, l'animal agonisant s'enfuyait. Après bien des efforts et en particulier grâce au flair de son chien, Mithra le retrouva et le suivit jusque dans la grotte dans laquelle il s'était réfugié. Enfin, il l'immobilisa en saisissant ses cornes et en grimpant sur son dos.

Un corbeau, messager du Soleil, entra dans la grotte et lui ordonna de sacrifier l'animal. De son corps, devaient jaillir les composants essentiels afin que la vie se propage sur Terre. Une fois son message délivré, les plumes du corbeau perdirent leur couleur et devinrent aussi blanches que celle d'une colombe.

Mithra mit donc un genou à terre et sacrifia le taureau en lui plantant son couteau dans la gorge. Un crabe, envoyé par l'Esprit du Mal, avait beau pincer les testicules du taureau, celui-ci ne se débattait pas, ne réagissait déjà plus. Bientôt, Mithra pu desserrer son étreinte mortelle. Le chien de Mithra, accompagné d'un lion, deux animaux nobles et saints, se précipitèrent sur la plaie béante du taureau pour en boire le sang qui s'échappait. Se précipita aussi un serpent, envoyé par Ahriman, mais le lion et le chien le chassèrent aussitôt.

Le sang du taureau se changea alors en vin et pour la première fois sur Terre coula ce doux nectar. Mais encore, des épis dorés sortirent de la queue et de la blessure de l'animal, tandis que les flaques formées par son sang donnaient naissance à des arbres qui croissaient en s'enroulant autour du cadavre. La semence du taureau répandue au sol fut purifiée par la Lune, ce qui eut pour conséquence de donner vie aux différents animaux qui depuis peuplent la Terre.

Les premières créatures qui jaillirent furent une vache et un taureau, puis une paire de tous les animaux qui existent. Chaque couple, Ahura-Mazda le confiait à la Terre. Mille jours et mille nuits durant, ces animaux eurent faim et soif, puis ils se décidèrent à avaler de l'eau, puis de l'herbe.

Après avoir immolé le taureau primordial, Mithra monta au ciel sur le char du Soleil et partagea avec celui-ci un repas. Puis il s'installa au sommet du mont Hara, l'axe de l'Univers, d'où il peut sans difficulté observer la vie dans l'Univers et se tenir prêt à intervenir si une créature manque à un serment. Sa divine compagne devint la déesse des eaux et de la fertilité : la glorieuse et toute-puissante Anahita Sura Devi.

Quant à l'âme du taureau, guidé par le chien qui avait bu de son sang, elle s'éleva au plus haut des cieux et rencontra Ahura-Mazda. Celui-ci, satisfait de son sacrifice, lui offrit l'immortalité en faisant d'elle l'ange gardien du bétail. Mais cela ne suffisait pas à calmer la tristesse du taureau, qui interrogea l'être suprême :

« À qui as-tu confié l’empire des créatures, pour que le mal ravage la terre et que les plantes aient soif ? Où est l’homme dont tu avais dit que sa parole garantirait la paix ? »

Sensible à la tristesse du taureau, Ahura-Mazda mena l'âme du bovin devant l'ange gardien qui aurait pour tâche de rétablir la justice mazdéenne sur Terre, de concert avec Mithra. Le désignant, Ahura-Mazda eut ces paroles :

« Vois-tu, ce maître de sagesse, c'est Zarathoustra et c'est lui que j'enverrai bientôt sur Terre pour sauver les hommes et témoigner à l'humanité de la juste et bénéfique doctrine. C'est lui que je donnerai au monde pour lui apprendre à se préserver du mal. À la fin des temps, ce sera de sa semence, que purifiera la Lune, que naîtra Saoshyant, le Sauveur, celui qui consommera la ruine d’Ahriman et sacrifiera le second sacrifice du taureau. C'est par ce sacrifice que le Sauveur donnera à tout jamais l’immortalité aux justes. Ensuite, Mithra embrasera les mondes et purgera la création de la matière, qui retournera au néant. »

Satisfaite des paroles d'Ahura-Mazda, l'âme du taureau initial consentit à nourrir les créatures de la Terre et à permettre que s'y répandent la richesse, la prospérité et la vie.

 

 

HYMNE À MITHRA

 

Avesta, Mihr yasht, yesht 10

Selon la traduction de Charles de Harlez

 

 

Mithra, création d'Ahura-Mazda

Lorsque Ahura-Mazda créa Mithra, l'incarnation divine de la Promesse, il le fit aussi vénérable et aussi digne de louange que lui-même. Pour lui, il célébra un rituel au plus haut du ciel, dans son domaine divin du Garonmana. Il fit de lui le soutien et le gérant de la prospérité de tous les êtres terrestres. C'est pour cela qu'il le créa avec mille oreilles et dix mille yeux, afin qu'il garde avec vigilance mes créatures.

Ahura-Mazda demanda ensuite à Rashnu, l'ange de la justice, de créer sur Terre la famille et les foyers, afin d'établir les liens d'une société durable. Puis il fit de Mithra le gardien de ces maisons, le protecteur des hommes honnêtes et le soutien des hommes qui ne fautent point. C'est grâce à Mithra que Rashnu fonda la société parfaite, et c'est sur ce fondement que les premiers hommes qui ont cherché à tromper Mithra se sont brisé.

Pour célébrer sa naissance, Homa, le divin sacrificateur, chanta et sa voix s'éleva jusqu'aux astres, parcourut la terre et se répandit sur les sept continents. Pour le remercier de l'avoir si bien honoré, Mithra prit Homa et le travailla dans un mortier émaillé d'étoiles, d'où est sorti le tout premier jus du nectar d'immortalité. Puis le soleil honora Mithra.

Ahura-Mazda assigna à Mithra comme demeure l'étendue de la Terre et du monde physique. Pour lui, il construit un immense et lumineux palais au sommet de la montagne sacré du Hara, où il n'y a ni nuage, ni jour ni nuit, ni vent glacé ni chaleur ardente, ni maladie, ni cause de mort, ni souillure démoniaque. Les Amesha-Spenta vivent aussi dans ce palais, tous unis au soleil et dévoué à Mithra. Depuis le sommet du Hara, le regard de Mithra s'étend donc sur le monde physique tout entier. Au plus haut du ciel, depuis son vaste observatoire, Mithra ne dort pas mais veille sans cesse. Et lorsque le coupable ou le méchant s'apprêtent à commettre leur méfait, il attelle son char et accompagné de l'archange Sraosha et de l'ange du Feu, il lui assène de violents coups et le frappe de ses rayons. Par ailleurs, vivant dans des grottes aux sommets des montagnes de la Terre, les ministres de Mithra observent les traîtres, enregistrent les fraudes et ne manquent pas de les lui rapporter.

Personne ne peut tromper Mithra, ni le chef de maison, ni le chef de quartier, ni le chef d'un village, ni le chef d'une province. Si un chef de maison, un chef de quartier, un chef d'un village ou un chef d'une province cherche à le tromper, alors Mithra sera offensé et il détruira la maison et le quartier, le village et la province. Mithra irrité et offensé, s'en ira de ces régions et ne leur offrira plus avec sa protection céleste. Ceux qui trahissent Mithra, même en courant ne peuvent atteindre leur but et même en chevauchant, ils n'avancent pas, de même qu'ils ne peuvent diriger leur char. La flèche que lance l'ennemi de Mithra revient en arrière, portée par le vent et même si elle touchait sa cible, elle ne la blessera pas. Implacable, Mithra, fait pénétrer la terreur dans le corps même de ceux qui veulent le tromper.

 

Le cortège solaire

Marchant devant le soleil immortel et ses chevaux rapides, les bras levés, glorieux, Mithra s'avance depuis le Garonmana vers le pays des Aryens. Il dépasse alors la cime de la montagne sacrée du Hara, porté par un char éclatant de beauté et tiré par quatre chevaux blancs nourris de célestes aliments, ce qui les rend immortels. Leurs sabots avant sont recouverts d'or, ceux de leurs pattes arrière sont en argent. Ces quatre chevaux sont attelés au timon par une solide cheville de métal. Sur la droite de Mithra, marche le juge céleste Rashnu et l'archange Sraosha, l'ange du soir, celui qui écoute les prières et bénit les champs et le bétail. Sur sa gauche s'avance la Sagesse, vêtue de blanc et portant des offrandes. Après eux vient la puissante Malédiction de l'esprit, sous la forme d'un sanglier gras et fort aux dents aiguisées et aux défenses acérées, aux jambes de fer, aux pieds de fer, aux défenses de fer, à la queue de fer et aux mâchoires de fer. Ce sanglier en colère, capable de fondre sur son adversaire pour le tuer d'un seul coup et qui ne lâche pas sa victime avant de lui avoir tout à fait broyé les os de la colonne vertébrale, n'est autre qu'un avatar du héros Verethraghna, la plus puissante des créatures célestes. Cet enragé cochon céleste, après avoir triomphé de ses ennemis, répand sur Terre leurs os, leurs cheveux, leurs têtes et le sang des mortels qui se rebellaient contre Mithra, ouvrant ainsi la voie à sa procession.

 

L'armée de Mithra

À la suite du sanglier céleste, s'avancent le Feu, la sainte Puissance, puis les eaux, les plantes et tout un cortège de saints devenus anges gardiens après leur mort. La grande et noble Ashi-Vanuhi, déesse pourvoyeuse des récompenses, tient les rênes du char de Mithra et c'est la loi mazdéenne qui lui ouvre la route. Des chevaux célestes d'un fauve éclatant le tirent.

Ce cortège céleste est suivi par la Majesté et la Victoire, deux autres des créations d'Ahura-Mazda qui l'entourent en formant une auréole. Devant un tel cortège, tremblent les démons du monde invisible et les hommes corrompus.

Pour la garde du char de Mithra se dressent un millier de flèches en os, lesquelles sont armées sur des arcs dont les cordes sont des nerfs de bœuf. Autour de Mithra, se dressent mille autres flèches à la pointe en or, au fût en fer, à l'encoche en ivoire et dotés de plumes d'aigle, mais aussi mille lances acérées comme des couteaux, mille poignards de bronze, aux deux côtés élimés, mille épées à double tranchant, mille gourdins en fer. Toutes ces armes, c'est par la force de la pensée que Mithra les envoie sur la tête des démons et il n'existe aucune cible qui soit assez lointaine pour que les flèches de Mithra ne les atteignent, ni aucun guerrier qui soit assez habile pour les éviter. La massue en or est l'arme favorite de Mithra, car c'est la plus puissante et la plus victorieuse entre toutes. Il l'arbore levée bien haut au-dessus de l'humanité : brillante, facile à manier et dotée de cent poignées et d'autant de pointes acérées, c'est cette divine massue qui tombe avec violence et écrase les hommes. Les bras de Mithra peuvent d'ailleurs tout attendre, ce qui est à l'orient de l'Indus comme ce qui est au plus lointain de l'Occident, ainsi que tout ce qui suit le cours des fleuves et vit aux extrémités de la Terre.

C'est sur ce char que Mithra parcourt les sept continents et qu'il s'avance, en maître des régions, depuis l'extrémité orientale de la vaste Terre. Angra-Mainyu, ainsi que tous les démons de l'Univers et tous les vicieux de la Terre tremblent alors de peur sur son passage. Si quelque part Mithra se sent honorer à sa juste valeur, il transforme les gorges les plus vastes en champs fertiles, où il gouvernera à son gré les troupeaux et les hommes qui lui appartiennent.

Portant un casque d'argent, une cuirasse d'or, armé d'une épée, en puissant et rapide guerrier, en chef de clan, s'avance puissamment, amenant avec lui les maladies qui dévasteront les pays qui lui sont rebelles. Mithra fixe le monde de son regard étincelant et demande :

« Qui m'honore, qui veut me nuire ? Qui m'honore d'un culte, et qui pense ce culte coupable ? Moi qui en suis le pouvoir, à qui accorderai-je la richesse et l'éclat ? À qui apporterai-je la santé du corps ? À qui accorderai-je une abondance de biens éclatants ? Pour qui ferai-je naître une descendance ? À qui donnerai-je la force, des armes fracassantes et de nombreuses armées ? À quel vaillant souverain qui frappe sans être frappé et qui tient fermement à l'exécution des châtiments imposés pour des fautes, donnerai-je la puissance ? À qui, moi qui le peux, donnerai-je la maladie et la mort, et la sombre déchéance ? De qui détruirai-je d'un seul coup la descendance ? À qui enlèverai-je, sans qu'il s'en aperçoive, la force, les armes et les nombreuses armées ? »

C'est à lui que s'adressent les sacrifices des chefs des clans qui guerroient pour disputer la souveraineté de la Terre aux armées barbares, car Mithra rend vainqueur les commandants qui l'invoquent en premier et avec une sincère dévotion. C'est pourquoi les guerriers de char sacrifient sur le dos de leurs chevaux en lui demandant la vigueur pour leurs équipages et la santé pour les corps. « ô Mithra, chantent-ils, garde un œil sur nos ennemis, afin que nous puissions mieux les exterminer. Enlève la vigueur à leurs bras, la force à leurs pieds, la lumière à leurs yeux et l'ouïe à leurs oreilles. Ni les flèches ni les lances ne peuvent atteindre celui que tu viens secourir. Donne-nous l'abondance, la force, la victoire, le bien-être, la santé, la gloire, l'habileté, la mesure, la sainte intelligence, la victoire par la justice, la suprématie qui permet de triompher de tout et qui trouve son origine dans la pureté parfaite, et le goût pour l'étude de la loi sainte. Faits-nous triompher des démons et de nos ennemis. Venez à notre secours, divins maîtres Mithra et Ahura, tandis que les glaives sortent en sifflant de leurs fourreaux, que les crinières des chevaux s'agitent, que les épée se heurtent et que les cordes des arcs lancent leurs flèches. »

Par de telles prières, le souverain d'un pays, les mains levées vers le ciel, appelle à son secours, ainsi que le font les chefs de tribu, les chefs de clan, les époux unis, mais aussi le pauvre qui pratique la doctrine sainte et qui est privé de ses droits.

C'est alors que son divin cortège arrive au-dessus des contrées ennemies et que Mithra lance sa massue sur leurs habitants et leurs troupeaux de chevaux : et tous s'enfuient en tremblant.

C'est Mithra qui motive les guerriers, forme les armées et les fait marcher vers la bataille. Alors, au milieu d'eux, il se tient dans la bataille brisant les rangs ennemis et déroutant les armées barbares, répandant en elles la désolation et la terreur, arrachant les têtes des traîtres et les jetant dans le lointain. Quant aux maisons auxquelles appartiennent ces traîtres, elles deviennent funestes et sont dès lors privées d'une descendance.

Lorsque Mithra rencontre ses adversaires, leurs flèches, même agrémentées de plumes d'aigle et lancées par une corde tendue, ne percent que l'air. Leurs glaives, leurs massues, prêts à retomber, ne frappent que l'air. Devant lui, le génie du Mal Angra-Mainyu fuit en tremblant, Aeshma le monstre efféminé s'enfuit lui aussi, de même que Bushyansta, le démon de la paresse. Devant lui fuient tous les démons du monde invisible, tous les pervers qui se livrent à l'impudicité.

Mithra est le mal et le bien des nations, car il est celui qui décide de la tranquillité ou du chaos d'un pays. La nation qui lui ment, il rend oblique les sentiers droits, détruits ses dynasties, lui confisque la victoire et le laisse sans défense, livré aux guerriers exterminateurs. Cependant, lorsqu'il est honnête avec lui, Mithra délivre l'homme de l'oppression et le sauve de toute perdition. C'est lui qui soutient les colonnes des palais et les rend inébranlables. Dans les foyers où on l'honore, il procure hommes et bestiaux, mais au contraire il détruit les maisons qui l'offensent. Il rend les maisons glorieuses grâce à leurs femmes, et belles par les tapis qui y sont étendus, par les coussins qui y sont déposés. Il rend glorieuse la demeure de celui qui, fidèle à la loi, lui rend un culte en lui offrant des offrandes et en célébrant son nom.

Le fidèle qui le fraude est aussi nuisible qu'une centaine de mécréants, et le pervers qui lui ment fait périr toute sa nation avec lui. Ainsi, ne romps jamais une promesse, ni celle que tu as conclue avec un méchant, ni celle que tu as conclue avec un juste qui suit la loi. Car chacun, bon comme méchant, doit fidélité à une promesse. C'est pour cela que Mithra donne des chevaux rapides à ceux qui ne le fraudent pas, de même que le Feu, qui est mon fils lui aussi, rend leur chemin parfaitement droit, et que leurs anges gardiens leur garantissent une descendance.

C'est pourquoi il faut honorer Mithra, à haute voix et par des offrandes purifiées, l’éclatant et majestueux Mithra, qui règne sur les campagnes et en qui réside le bonheur des pays aryens. Qu'il vienne pour nous secourir, qu'il vienne pour nous donner la prospérité, qu'il vienne pour nous donner la joie, qu'il vienne pour effacer nos fautes, qu'il vienne pour nous guérir, qu'il vienne pour nous donner la victoire ; qu'il vienne pour notre bien-être ; qu'il vienne pour nous purifier, lui, le puissant, l'impétueux génie qui règne au loin sur les campagnes et que l'on ne peut tromper dans le monde visible.

INTRODUCTION AU MITHRAÏSME, par Amédée Gasquet
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article