Mythe d'origine du peuplement du Tibet

Le singe et la démone des rochers

Depuis C. C. Ragache

Un singe disciple du Bouddha gravissait les pentes escarpées de gigantesques montagnes jusqu'au niveau des plus hauts sommets : il avait atteint le toit du monde, le pays des neiges. Dans cette contrée sauvage, peuplée de redoutables démons, l'homme n'avait pas encore fait son apparition. Dans une caverne de glace, le singe s'assit en position de prières, car il était en réalité, venu sous cette apparence pour y préparer l'arrivée des êtres humains.

Soudain, un grand fracas le tira de ses méditations. Peu de temps, car un violent tourbillon d'air froid vint le bousculer, tandis que des piaillements désagréables résonnaient à ses oreilles. Une créature affreuse se tenait devant lui : une démone des rochers au visage grimaçant, au regard cruel!

elle sautait, gesticulait, criait

« Vas-tu me laisser tranquille? s'écria le singe. Allez, sauve-toi vite!» La démone disparut... pour reparaître aussitôt dans son dos.

« Epouse-moi, demande-t-elle, car je t'aime; si tu n'obéis pas, je prendrai un démon pour mari : je mettrai au monde une multitude de petits démons, qui dévoreront chaque jour un millier de créatures vivantes!» Le singe n'en croyait pas ses oreilles : une démone amoureuse de lui! Que faire? Il ne fallait surtout pas qu'elle mît sa menace à exécution.

Elle revint sept jours de suite, et toujours elle répétait les mêmes mots Epouse-moi ! Epouse-moi!» Le singe ne vit plus qu'une solution : demander l'aide du Bouddha. A sa grande surprise, celui-ci lui conseilla d'obéir à la démone : le singe la prit donc pour épouse.

Les six fils qui naquirent de leur union avait le visage rouge et le corps couvert de poil de leur père, et l'abondante chevelure de leur mère. Tous savaient parler, mais seul l'aîné était doux et généreux. Ses frères au contraire se montraient jaloux, avares, bêtes ou violents.

Le singe conduisit ses enfants plus bas dans la montagne, à l'abri d'une forêt où vivaient de véritables singes, puis il revint prier dans la caverne de glace.

Au bout de quelques mois, le singe rendit visite à ses fils. Il en trouva non plus six, mais cinq cents! Ils s'étaient transformés, et ressemblaient davantage à des hommes. Certains s'étaient civilisés, d'autres restaient sauvages et violents. Cependant tous souffraient cruellement du froid l'hiver, de la chaleur l'été, de la pluie, du vent; et tous avaient faim. Pris de pitié pour ses enfants, le singe implora le Bouddha : «Je t'ai obéi, mais pas pour voir mes fils souffrir ainsi! Ne les laisse pas dans cet état!

Sois patient, répondit le Bouddha. Tes fils se transforment peu à peu en hommes : bientôt leur queue de singe tombera et ils quitteront la forêt pour s'installer dans des contrées plus hospitalières. Je vais les aider. Voici trois brins de laine, une poignée d'orge et quelques fragments de métaux précieux. Je les ai prélevés dans un trésor caché au cœur de la montagne sacrée qui se trouve au centre du monde ils décideront de l'avenir de tes enfants. »

Le Bouddha dispersa alors les précieux objets au-dessus du pays des neiges. Certains des fils du singe et de la démone-des-rochers s'établirent là où étaient tombés les brins de laine et devinrent bergers. D'autres s'établirent là où étaient tombés les grains d'orge et devinrent agriculteurs. Les derniers s'établirent là où étaient tombés les métaux précieux et devinrent forgerons.