24 Janvier 2022
Umay, Tengri, Shiva et la mythologie indo-européenne
Tengri est le dieu du ciel des anciens Turcs et Mongols. S'il a pu être rapproché du Varuna des premiers Aryens (en tant que maître du ciel), il est cependant tout aussi proche de Shiva.
Shiva comme Tengri sont en effet armés d'un trident, présentés sur un cheval. La lune est la fille de Tengri, tandis qu'en Inde, elle est la protégée de Shiva (elle réside dans sa chevelure). En conséquence, Shiva est Somnath, le « Seigneur de la Lune », de même que Tengri est le père de la lune, ce qui fait des deux dieux les mêmes dispensateurs de la fertilité des champs, donc du bonheur des hommes.
La compagne de Tengri est Umay, « la Mère ». Elle est la vierge éternelle, semblable à la Britomartis mycénienne. Protectrice des femmes, des enfants, des accouchements, elle est aussi la déesse de la fertilité des champs. Ces scènes de dévotions se déroulaient comme en Inde ou en Gaule, c’est-à-dire le bord des fleuves et des lacs. Les offrandes offertes dérivaient alors dans le courant. Sous la forme d'Etugen, Terre-Mère, cette divinité fut intégrée au chamanisme bouriate, mongol et au bouddhisme tibéto-mongol.
La compagne de Tengri est donc la Terre, tout comme la compagne de Shiva est Parvati, déesse identique à la Déméter des Grecs. C'est avec ce principe féminin que se combine l'ihsvara (« la toile du monde »), le principe masculin, viril et créatif de l'Univers (Comme nous l'enseignent les Agamas : « Shiva est l'Ishvara »).
Tout comme Shiva peut être doux ou colérique, Tengri récompense ou punit, mais c'est un père sympathique et aimant pour l’humanité. Tout ce qui est grand, grandiose, méritant l'admiration, est déclaré Tengri. Comme Shiva, Tengri est donc la divinité des arbres et des montagnes.
Tengri est le ciel, Yer la Terre, Tengri règne sur l'Univers et l'humanité, tandis que Yer règne sur la nature, les animaux et tous les êtres vivants à l’exception des hommes. Tengri est le Père cosmique, Yer la Mère cosmique. Tous les deux incarnent un couple divin qui était jadis présent de Bretagne (Cernunnos-Cernunna), de Scandinavie (Odin et Frigg), de Grèce (Zeus et Héra) et d’Égypte (Osiris et Isis) jusqu'en Inde (Brahma et Sarasvati, Vishnu et Lakshmi, Shiva et Parvati, Indra et Indrani, ...) Ce couple créateur nous le retrouvons par ailleurs au Japon, avec Izuzu et Inagi, les divinités créatrices de la vie à partir du chaos des eaux primordiales.
Sur une sorte de pilier de loi retrouvé dans la vallée de l'Orkhon, en Mongolie, on peut lire :
Quand le Ciel Bleu [Tengri] d'en haut et le Terre Brune [Yer] d'en dessous furent créés, d'eux, un être humain est né. [...] Tengri crée la mort. Les êtres humains ont tous été créés pour mourir [...] Vous volerez loin, jusqu'à ce que Tengri vous rende la vie.
Il existe en outre de nombreuses similitudes de mythologie entre le tengrisme et la mystique indo-européenne, telles que :
- L'axe du monde : Les Indo-Européens croient en l'arbre initial, c'est l'arbre de vie des Perses ou des Celto-Germains (Yggdrasil), mais aussi le Kalpavriksha des Védiques ou le Kadambam (Karpaga) des Tamouls. Sous l'arbre de vie, vit Shakti, la Grande déesse. Dans le tengrisme, l'arbre de vie est un bouleau. La réalité est conçue par les tengristes sous la forme d'un arbre à plusieurs niveaux (les branches symbolisant des domaines d’existence). Les chamanes, qui ont un rôle important dans le tengrisme, possèdent le pouvoir de se déplacer entre les branches, et donc entre les réalités. Le rôle de messager-voyageur des chamanes correspond au rôle de l’écureuil des traditions nordiques (Ratatosk). En passant des racines terrestres de l'arbre à ses feuillages les plus élevés, il est le transmetteur de la parole d'Odin à toutes les créatures de l’arbre (c’est-à-dire de l'Univers).
- Tout comme chez les Indo-Européens, le cheval est sacré dans le tengrisme. On sacrifie le cheval pour honorer Tengri. Un cheval aux reflets roux était sacrifié pour toutes sortes de raisons : fertilité des récoltes, santé du bétail, santé et bonheur des hommes.
- Tout comme Anahita ou Sarasvati (divinités féminines principales des Aryens) sont des divinités aquatiques, et de même que Sequana (Seine) est l'une des divinités les plus importantes des Gaulois, les tengristes attribuent à la grande déesse l’élément aquatique.
- Il existe un maître des enfers. En Inde, c'est Yama, le premier homme. Chez les Turco-Mongols, il s'agit d'Erlik, fils d'Ulgen, un avatar de Tengri. Erlik se rebella contre son père, ce qui causa son éviction du ciel et sa descente en enfer. Dans la version turque de son mythe, Erlik est le créateur de la race humaine (de même que Yama, l’ancêtre commun de l'humanité, est le fils du Soleil).
- Erlik est représenté sous la forme d'un ours. Vélès, le dieu slave des mondes éloignés et souterrains, mais aussi des forêts, est lui aussi doté de l'ours comme animal totem. L’étymologie indo-européenne de Vélès signifie d'ailleurs « velu. » Animal le plus puissant de la toundra, l'ours est par excellence l’animal totem des chamanes.
- La vache céleste est un mythe central des théogonies indienne, perse, nordique et égyptienne. Le tengrisme considère aussi la vache initiale. Dans le tengrisme, les vaches possèdent leurs propres esprits protecteurs et l'humanité serait née de la copulation entre la vache céleste et un homme.
- Koyash, le dieu solaire de la mythologie tengriste, se déplace sur un chariot solaire. Un thème commun à l'ensemble des peuples indo-européens.
- Yer-sub, déesse-mère du tengrisme, est à la fois l'appellation de la déesse, mais aussi l’appellation du pays initial et fantasmé des Turcs, le mythique « Otuken ». Otuken est à la fois la terre des hommes, le domaine initial d'où seraient originaires les Turcs, mais aussi la divinité féminine elle-même, maîtresse de tout ce qui existe entre les domaines souterrains infernaux et le domaine céleste de Tengri. Le pendant d'Otuken dans la mythologie slave est l'île de Boian. Chez les Kailashas il s'agit de la mystérieuse vallée de Tsyam, le pays des origines. Dans la mythologie aryenne, il s’agit de l'Airyanem Vaejah, la première contrée habitée par les Aryens, située aux pieds même de la montagne sacrée du Hara-Méru. Dans la mythologie hindoue, c'est l'île paradisiaque de Sripura, aussi appelée Svetadvipa, « le domaine de Shakti ».
- Dans la cosmologie turco-mongole, Yer-sub est le domaine situé entre le ciel (Tengri) et l'enfer (Erlik). C'est donc dans Yer-sub que vivent les êtres humains. Depuis le plus ancestral védisme, les Aryens adorent la terre sous la forme de Prithvi, de même que les gréco-romains reconnaissaient Cybèle ou Gaïa comme déification de la Terre.
- Yer-sub, la grande déesse turco-mongole, est dépeinte comme une très belle femme, tout comme les grandes déesses indo-européennes, égyptiennes ou mésopotamiennes, telles Ushas, Isis ou Ishtar. Dotée du pouvoir de punir les hommes, Yer-sub est une divinité généreuse et bénéfique mais elle possède sa part de violence destructrice, comme la Kali indienne, la Durga de Bactriane ou encore la Bellone celte. Le séjour de Yer-sub est situé au sommet d'une montagne sacrée, de même que Parvati (princesse du royaume d'Himalaya et surnommée « la fille des montagnes »), vit au sommet du mont Kailash en compagnie de Shiva.