24 Janvier 2022
Vers -2100, dans la région steppique qui sépare l'actuel Kazakhstan de l'Ukraine et de la Russie, se développe la culture de Sintashta (-2100 à -1800), puis celle d'Andronovo (-2000 à -900). Cette dernière étant proposée comme lieu de composition du Rig-Veda).
Il s'agit d'un réseau de places fortes, en tous points semblables à des oppidums gaulois. Des villages fortifiés sont bâtis sur des promontoires et placés aux carrefours des routes les plus empruntées. Le site d'Arkhaïm et de Sintashta en sont emblématiques.
La culture de Sintashta est considérée comme le foyer d'origine des peuples aryens et védiques. C'est à cette civilisation qu'appartiennent les imposantes cités circulaires dont le site archéologique d'Arkhaïm est le plus célèbre mais non le plus important. Placées au centre de plaines découvertes (à la frontière russo-kazakhe actuelle), entourées de champs cultivés et irrigués, traversées par des routes et défendues par d'épaisses « murailles-maisons », ces cités étaient des places fortes qui permettaient aux caravaniers de faire étape.
Au centre de ces cités circulaires se trouvait une sorte de cour de forme carrée, attribuée aux rituels et sacrifices. Ces formes circulaires périphériques, associées à une forme rectangulaire centrale, ne peuvent manquer de faire penser aux yantras védiques (dessins géométriques magiques).
À peine plus tardive, la culture d'Andronovo est un véritable Empire aryen. Des confins sibériens jusqu'en Perse, un peuple nomade et guerrier sillonne les steppes et rançonne certains villages. Le rapt de vaches est une sorte de passe-temps, mais aussi une manière de vivre.
Certaines tribus des cultures de Sintashta et Andronovo vont migrer vers le sud, pour s’installer aux frontières des empires assyrien, babylonien et égyptien, dans le Caucase (influençant les prémices de la civilisation hourrite), dans les montagnes de Zagros (zone probable d'origine de la tradition mazdéenne), de même que les montagnes du Pamir puis de l'Hindu Kush (zone probable de la composition canonique des Vedas, v. -1200 à -800).
Là, ils commençaient à cultiver la terre, à se réunir en villages, tandis que leurs frères continuaient la vie de pâtres et de chasseurs dans les forêts du nord et dans les steppes du midi ; là aussi ils avaient atteint ce degré d’organisation politique qui consiste à grouper un certain nombre de familles autour d’un chef : c’est le clan, qui précède la cité ou la royauté ; les autres Aryens, nomades, n’avaient pas encore dépassé cette extension de la famille qui constitue la tribu.
Jusqu'à la composition canonique du Véda et jusqu'à l'imposition du monothéisme mazdéen comme religion d’État en Bactriane puis dans tout l'Empire perse (deux événements intervenus entre –2000 et -500) le proto-védisme est la religion universelle des steppes eurasiennes.
Si ce n'est dans les pratiques hindoues elles-mêmes, on trouve encore des traces de cette spiritualité simple, bucolique et familiale dans le pseudo-védisme que propose la religion traditionnelle kailasha.
On observe aussi la présence de telles pratiques minimalistes de l'autre côté de l'Eurasie, en Europe druidique comme en Scandinavie ou en Slavie. En Russie, du fait de leur similitude avec les pratiques aryennes, il est même commun de nommer « védiques slaves » les pratiques religieuses locales qui pré-datent (ou refusent) l'influence orthodoxe.
Ces peuples sont avant tout des guerriers, ils adoptent donc avec ferveur un culte védique qui se contente de rituels simples et de formules magiques. Le clergé n'existe pas encore, les prêtres non plus. Il s'agit pour eux de réciter des mantras et pour cela il leur suffit de les apprendre et d'en respecter la prosodie. Le chef de famille mène donc lui-même le culte.
Apparaissent des dieux secondaires. À la grande énergie unificatrice et apparentée au grand esprit chamanique, succèdent des dieux anthropomorphes, masculins et guerriers. Leur force est celle du feu, du Soleil, mais aussi de la Lune et de la foudre.
« [Les Aryens] rendaient un culte à la nature divinisée. Telle fut aussi la religion des Chaldéens, des Perses et de la plupart des peuples anciens. [...] Partagés en familles ou tribus qui devaient bientôt devenir des peuples, les Aryens, à l’époque reculée où nous nous plaçons, n’avaient point encore rempli leur olympe d’une myriade de divinités étranges et bizarres. La Terre, qui produit et alimente les objets propres aux sacrifices, fleurs et fruits, troupeaux et céréales ; l’Eau, qui rend la Terre féconde ; les Vents, qui règlent les saisons en exerçant leur influence sur la température ; le Feu, emblème de la force, qui dévore l’offrande et nourrit les dieux ; les Crépuscules du soir et du matin (les Ashvins, jumeaux), qui servent à marquer l’heure de la prière ; la Lune, que les poètes remercient de ce qu’elle éclaire sans chaleur ; l’Aurore, symbole du réveil de la nature ; enfin les mânes des ancêtres (pitrs) qui réclament leur part du sacrifice, — tels furent les premiers objets de la vénération de ces tribus émigrantes. Le culte qu’elles rendaient à ces divinités consistait en sacrifices, en prières et en hymnes chantés durant les cérémonies. L’ensemble de ces cérémonies fut réglé par les Vedas. » T. Pavie, Le Rig-Veda et les livres sacrés des Hindous.
Une société virile adopte alors un panthéon simple et cohérent : à chaque élément (vent, eau, maladies, saisons, astres, ...) correspond un dieu. Les cérémonies sont adressées à chacun des dieux en fonction de leur importance saisonnière ou économique.
Par ailleurs, on ne prie plus le Grand esprit pour chasser les animaux, mais on prie le dieu de la pluie pour que les moissons soient abondantes, ou le dieu de la guerre pour qu'il intervienne lors d'un conflit militaire. Bien souvent, leurs prières ont pour objectif d'avoir une descendance heureuse et nombreuse.
Dans les centres de pèlerinage et les centres urbains de la culture d'Andronovo, commence à se créer une caste de prêtres. Ils sont les auteurs des hymnes sacrés du Rig-Véda.
Leur art n'est pas seulement poétique, mais aussi théologique et mélodique. Véritables psalmodies, les hymnes védiques consacrent dès lors le sanskrit archaïque comme la « langue des dieux ».
Le sanskrit demeurera la lingua franca de l'Asie du nord-est jusqu'à son islamisation. On distinguera cependant le sanskrit archaïque du Veda, du sanskrit littéraire et raffiné des épopées indiennes. Les langues prakrit, pali, puis hindi-ourdou complètent la généalogie du sanskrit.
Avec l'entrée en Inde des Aryens, cette caste prendra de l'importance et formera la caste des brahmanes. Ils se spécialiseront dans la parfaite diction des mantras rig-védiques et des écoles de rishis (sages) en composeront des commentaires ésotériques.
Après les fondations de ses capitales Harappa et Mohenjo-daro (v. -3000), la civilisation de l'Indus est très florissante. Elle se concentre d'abord sur la partie moyenne et supérieure de l'Indus, puis s'étend vers son embouchure (Gujarat, Sindh, littoral baloutche).
Harappa et Mohenjo-daro pouvaient accueillir de 30 000 à 60 000 personnes, tandis qu'un très vaste maillage de villages s’étalait tout au long de l'Indus et de ses tributaires. En comparaison, la ville de Ur, capitale ancestrale de la Mésopotamie comprenait 65 000 habitants pour ses estimations les plus hautes.
De même que les rives de l'Indus, de la Yamuna et du Gange, les rivages de la mer d'Arabie s'urbanisent. Le désert du Thar n'existant pas encore, le Rajasthan est une province fertile.
De -3000 à -2000, en amont de l'Indus, dans une région voisine de la plaine gangétique, ce que l'on imagine être le légendaire fleuve Sarasvati s'assèche suite à un tremblement de terre, et donne naissance au désert du Thar. Cette catastrophe déstabilise, puis détruit la civilisation de l'Indus (abandonnée par sa propre population). Les tribus aryennes qui peuplent les montagnes du Cachemire et du Pamir depuis la fin du second millénaire s'installent alors en Inde, qui n'est défendue par aucun empire et que la chute de la civilisation de l'Indus laisse libre de toute autorité.
Entre -1500 à -1000, sous la pression des migrations aryennes venues du nord du Karakoram et sans armée pour les protéger, les communautés artisanes et commerçantes du Pamir et du Cachemire émigrent massivement vers le sud du sous-continent. Elles se concentrent alors sur le littoral oriental du Deccan et du Bengale. Les premiers Aryens entrés en Inde n'iront pas aussi loin et pour quelques siècles encore, les émigrés maintiennent leurs traditions.
Dans le jaïnisme (qui est une spiritualité indienne pré-védique), ce moment est marqué par le glissement du centre névralgique de la mythologie depuis le nord-ouest du sous-continent vers le sud-est. Si le premier tirthankaras (Rishabhanatha, Adi Nath) trouva l'éveil et finit ses jours au sommet du mont Kailash, sur le plateau tibétain, c'est sur le mont Shikharji, dans les collines du Bihar, que la plupart des autres jinas finiront leur vie.
Par ailleurs, dans les hagiographies des derniers tirthankaras, apparaissent des lieux qui correspondent sensiblement à l'aire d'expansion indusienne tardive (principalement le Gujarat et le Bihar).
Il est très difficile d'appréhender la spiritualité indienne pré-védique, car l'alphabet glyphique indusien n'a pas encore été déchiffré. Cependant, si la spiritualité et la langue indusienne demeurent des mystères, le peu que nous en savons évoque une ressemblance avec la spiritualité indo-européenne (adoration du Pashupati-Cernunnos, présence de la Grande Déesse, importance de l'eau, simplicité des rituels, non-représentation du divin...)
La religion des habitants de la vallée de l'Indus suivait un culte minimaliste, sans références guerrières et sans intentions prédatrices. Le sacrifice ne s'y pratiquait pas et si les offrandes se faisaient, elles devaient être végétales.
Comme en témoignent l'absence de temple ou de statues zoomorphiques ou totémiques, plutôt qu'un panthéon de dieux, les Indusiens révéraient un Grand Esprit ou un gourou divinisé, sur le modèle du tirthankara Rishabanata ou du Pashupati de l'Indus (proto-Shiva).
Cependant, comme le nom exact et la fonction du fameux Pashupati de l'Indus demeurent inconnus, rien ne prouve qu'il fût une véritable divinité. En effet, il n'apparaît pas sous la forme d'une figurine, d'une icône, ou d'une statue et ses nombreuses représentations correspondent plutôt à des sceaux (c'est-à-dire à des objets de marquage agricole et commercial).
Buste de prêtre, Harappa
La civilisation de l’Indus était essentiellement agricole mais aussi très commerçante. On trouve des traces de son commerce jusqu'en Asie centrale, en Mésopotamie et sur les côtes arabes. Mais aucun temple ni aucun palais ne semble indiquer la présence d'une religion idolâtre, ou même la présence d'un clergé puissant.
La religion de l'Indus devait donc être un culte introspectif fondé sur le yoga (contrôle de soi), et mis en pratique selon les conseils d'un maître spirituel. Si ce dernier était vénéré, on ne le comparait cependant pas à un dieu ; le peuple de l’Indus, comme les jaïns ou les bouddhistes, ne devait pas croire que les créatures célestes puissent avoir le pouvoir de changer quoi que ce soit dans l'Univers. Il ne considérait donc pas pertinent de leur adresser des prières.
Énumérons à présent les points communs entre les spiritualités indusienne et indo-européenne :
- Croyance en un dieu-saint (Pashupati, Cernunnos, Dionysos, Adi Nath).
Il s'agit d'un héritage des steppes, que l'on retrouve par ailleurs dans la spiritualité turco-mongole (Tengri).
- Culte des nymphes et des divinités protectrices.
Les gramadevatas évoquent les apsaras indiennes et les fées des logis celto-germaniques.
- Absence de représentation idolâtre.
Alors qu'il existe une véritable frénésie de représentations anthropomorphes et zoomorphes en Égypte, en Grèce et en Mésopotamie, rien de tel en Inde pré-védique ou postvédique, ni en Perse. En Gaule, l'érection de statues est une coutume tardive, qui est presque absente en Germanie et en Scythie (on observe cependant la présence d'un totem permettant les circonvolutions).
- Le rôle primordial de l'eau.
Dans l'Indus, cet élément est omniprésent, à travers des bassins et des canaux. Son rôle, outre sanitaire, était aussi rituel. L'eau a toujours été au centre de la vie mystique des Indiens ; aux temps les plus reculés du védisme, les dieux principaux que furent Apam Napat, puis Varuna, furent consacrés dieux des eaux et des espaces infinis de l'océan. Dans l'hindouisme classique, Vishnou est nommé « Narayana », « le gardien et le protecteur des eaux », et il est représenté comme flottant au-dessus des eaux primordiales. Dans la plupart des villages du sous-continent, se trouve encore de nos jours, en leur centre, une sorte de piscine carrée, profonde et large de plusieurs mètres, qui doit être considérée comme le lien le plus tenace entre la société néolithique de l'Indus et celle de l'Inde moderne. La présence de ces bassins nous indique l'importance que les habitants de l'Indus portaient à leur hygiène ainsi que le rôle fédérateur et donc mystique et politique de l’élément aquatique.
- La présence des saints sauvages.
Le brahmane de Harappa (un buste pré-védique) est habillé d'une peau de guépard. Sur le front, il porte un bandeau figurant le troisième œil. Il porte la barbe et son visage possède des traits europoïdes tout à fait similaires à ceux des porteurs de l'haplotype R1a et R1b.
Cette figure évoque les traditions orphico-dionysiaques européennes (Bacchus porte lui aussi une pelisse de guépard). Par ailleurs, la peau de félin est un attribut de Shiva.
- La tradition orale.
L'alphabet indusien n'est pas composé de lettres, ni de hiéroglyphes, mais de runes. Il comprend des signes qui évoquent la rune du piège à loup (wolfsangel), le svastika, ainsi que la roue solaire ; trois des symboles indo-européens les plus utilisés.
- Le végétarisme.
Il est pratiqué en Europe, en Scythie et en Anatolie. En Inde, d'abord absent des Vedas, il est adopté par les brahmanes puis par les bouddhistes, ce qui prouve sa popularité dans le sous-continent depuis une époque très ancienne. Ce végétarisme repose sur la notion d'Ahimsa (non-violence envers le vivant). L'Ahimsa, c'est reconnaître que chaque être vivant, y compris les plantes, ont une âme. L'Ahimsa est un héritage du chamanisme ancestral qui considère chaque être vivant comme doté d'un esprit, et d'une vie parallèle dans le monde des esprits. En provoquant leur mort, les hommes engendrent un déséquilibre dans le monde physique comme dans celui des esprits, dont il se repentissent par une ablution ou une offrande.
- La présence du svastika
Le svastika est déjà à Harappa et à Mohenjo-daro. On sait que l'origine de ce signe se situe dans les steppes eurasiatiques et que sans en être exclusif, le svastika est une marque certaine des cultures indo-européennes. On la retrouve en Germanie comme en Gaule ou en Mésopotamie. C'est un signe universel, qui ne se limite pas au monde indo-européen, mais que les Indo-Européens ont largement adopté et diffusé. Il s'agit par ailleurs du signe adopté par les jaïns pour symboliser leur foi. Retrouver le svastika dans les ruines indusiennes est donc un indice de la présence des Indo-Européens en Inde pré-védique.
Le jaïnisme est une doctrine qui porte en elle des signes de la culture et de la spiritualité indo-européenne, mais sans présenter d'influence védique ou aryenne. Si l'opposition jaïne au polythéisme védique est de nature doctrinale, la doctrine jaïne elle-même ne présente aucune trace d'influence védique.
À l'inverse, prenons l'exemple du bouddhisme : le bouddhisme se construit en opposition face au jaïnisme et au védisme, mais il porte en lui tous les signes de la culture jaïne et védique. En cela, le bouddhisme est clairement un culte descendant généalogiquement du védisme comme du jaïnisme.
Pour la doctrine jaïne, c'est tout autre : si elle porte en elle des signes évidents de la culture indo-européenne initiale, elle ne porte pas les signes de l’influence aryenne. Par exemple, son calendrier cosmique est cyclique, mais ne comprend pas les quatre yugas.
De très nombreux points essentiels de la doctrine jaïne ne trouvent pas leur correspondance dans le védisme, comme la réincarnation, l'ascétisme fanatique, le refus de la sexualité, la non-violence envers le vivant ou encore le régime alimentaire à base de végétarisme et de jeûne... Autant de coutumes pourtant typiquement indo-européennes que l'on retrouve pratiquées dans le druidisme et les cultes apolliniens scythiques, daces et thraces (orphisme).
Plus encore : quand on se penche sur les influences entre le védisme et le jaïnisme, on observe que si le védisme, le brahmanisme et l'hindouisme n'ont pas influencé la doctrine jaïne, à l'inverse le jaïnisme n'a cessé d'influencer avec puissance l'hindouisme.
Par exemple, Rama et Krishna semblent des personnages mythologiques empruntés tardivement par les vishnavites à la mythologie et à la généalogie royale des jaïns.
De même, le végétarisme et le respect de la vache sacrée semblent aussi des coutumes typiquement jaïnes. L’interdiction de manger sa chair n'est pourtant pas exprimée dans le Rig-Véda (composé avant l'entrée des Aryens en Inde) tandis qu'elle l'est clairement dans les védas plus tardifs (qui furent composés après l'entrée des Aryens en Inde et donc après avoir été soumis à l'influence jaïne et indusienne).
Enfin, lorsque les Aryens entrent en Inde, le jaïnisme est déjà une spiritualité mature et donc probablement très ancienne. En tout cas, elle est métaphysiquement assez riche pour ne pas être séduite par le culte aryen (et perdurer jusqu'à nos jours). Alors que les Aryens et leur religion s'imposent en Inde (de -1200 à -500), le jaïnisme demeure toujours en vogue. Sa doctrine ne disparaît pas car elle est ancestrale, populaire, ancrée dans le territoire.
Tout juste importé des steppes, le culte aryen était très simpliste à son arrivée en Inde. Ce n'est que plus tard, après avoir très fortement subi l'influence des maîtres spirituels jaïns (sannyasins) et de leur redoutable métaphysique nihiliste, que le védisme se complexifia pour devenir le brahmanisme (qui devint une véritable philosophie de l'éveil, sur le modèle du jaïnisme et du bouddhisme). C'est alors la naissance de la philosophie du vedanta, qui est littéralement « la fin du véda », c'est-à-dire la fin du culte rituel aryen et la naissance d'une philosophie non dualiste.
Notre hypothèse est donc la suivante : le jaïnisme est un reliquat, si ce n'est la véritable doctrine de la spiritualité de la civilisation de la vallée de l'Indus.
Les indices et les concordances laissant à penser que le jaïnisme peut raisonnablement être associé à la spiritualité de l'Indus sont en effet nombreux. Citons :
- le culte des gourous, que la statuaire représente assis en tailleur (comme le Pashupati des sceaux de l'Indus ou les tirthankaras).
- l'athéisme doctrinale,
- le refus du polythéisme,
- l'importance de la pureté (donc de l'eau),
- l'apologie de l'ascétisme et de la raison,
- la non-violence absolue (ahimsa).
En outre, le jaïnisme influença énormément le védisme (qui devint le brahmanisme), mais aussi le bouddhisme (qui reprit l'essentiel de sa doctrine), et enfin l'hindouisme (qui lui emprunta une partie de sa mythologie, dont probablement les personnages de Krishna et Balarama). À travers ces influences, c'est la spiritualité indusienne indo-européenne qui perdura en Inde.
En étudiant dans l'hindouisme ce qui relève du védisme, de ce qui est typique du jaïnisme, nous pourrions donc retrouver des brides de la doctrine sacrée indusienne.
Depuis les mines de l'Oural et de l’Altaï, les fabriques de Sintashta importent une matière première qui est ensuite travaillée puis exportée vers Bactres et les villes de Transoxiane et du Gandhara (v. -2000). La dérive migratoire des Aryens vers le sud-est était donc naturellement encouragée.
La civilisation urbaine de l'Indus ayant disparue quelques siècles avant leur arrivée, les Aryens s'installent sans difficulté en Inde entre -1500 (haut plateau de l'Indus) et l'an -500 (vallée gangétique). Ils y dominèrent culturellement, socialement, religieusement et militairement les populations locales (appartenant principalement aux ethnies dravidiennes ou mundas). La cohabitation entre ces différentes ethnies, renforce le système des castes indo-européennes (un tel système est alors partagé des cotes bretonnes à celles de l'océan Indien).
Depuis la cote orientale du Deccan, vers -483, des populations aryennes vont migrer vers l’île de Lanka et diffuser le védisme.
Au seuil de notre ère, le védisme a séduit les populations dravidiennes (Tamouls), qui introduisent cette culture en Indochine puis quelques siècles plus tard en Indonésie.
Durant la période hittite, Brahma, Indra, Varuna et Mithra sont vénérés par des communautés aryennes installées dans le royaume de Mittani (v. -1500 à -1300), en Asie mineure. Les marjanis (« jeune cavalier » en sanskrit) étaient la caste aryenne en charge de la défense de ce royaume et de la formation de l'élite de la cavalerie.
Le traducteur du hittite et sanskritiste George Contenau a relevé des éléments indo-européens dans les langues du Mitanni et dans celles des hourrites et des kassites. À propos de certains mouvements décrits par le dresseur Kikkuli dans son Traité sur le dressage des chevaux (v. 1450 av. J.-C.), ce dernier « emploie des termes d'origine indienne, par exemple « aiha vartanna », dans un tour, puis « tera », « panza satta », « navartanna » » où l'on a le mot « vartanna » (de vartanam, tourner) et l'adjectif indien, « trois », « cinq », « sept », « neuf ». Une telle analyse amène à la conclusion que dans le Mitanni, en plus des Hourrites il y a un élément indo-européen, plus spécialement indien, et il constitue la classe dirigeante » (La Civilisation des Hittites et des Hurrites du Mitanni).
Mitanni était en effet dirigé par une élite aryenne, comme en témoigne le patronyme des ses rois et des autres royaumes hourrites : Kirta, Shuttarna, Barattarna (« bharata » ayant de très nombreuses significations en sanskrit), Artatama (« Rta », la justice céleste, l'ordre cosmique), Artashumara (« qui pense à la justice » en sanskrit), Tushratta (« char vigoureux »), etc.
Pour nouer des alliances, des princesses égyptiennes furent mariées à des rois aryens du Mittani, de même que des rois aryens prêtèrent allégeance à des pharaons.
Le royaume de Mitanni faisant partie de l'aire d'influence hourrite, cette civilisation est régulièrement citée dans les études indo-européennes.
Les Hourrites (-2300 à -1120) étaient un peuple de l'Antiquité originaire du lac de Van et du Caucase, qui domina le Moyen-Orient durant la seconde moitié du second millénaire avant notre ère. Ce royaume était composé d'un conglomérat de cités et de royaumes à la population composite, dont Houri (ou Hari) était la capitale. Bien que sa langue (à présent éteinte) ne soit pas reliée au groupe indo-européen ou sémite, la culture hourrite doit beaucoup à ces deux aires culturelles. Son panthéon est à la fois d’inspiration hittite, aryenne, babylonienne, mais aussi puissamment typique (la déesse Shaushka).
Mentionnons enfin les Kassites, peuple composite et mystérieux ayant régné sur le sud de la Mésopotamie (Babylonie) durant la seconde partie du second millénaire avant notre ère (-1595 à -1155). Originaires des montagnes de Zagros, adorant le cheval et ayant dominé militairement grâce au char de guerre qu'ils introduisirent dans la région, les Kassites furent souvent présentés comme un peuple indo-aryen. Alain Daniélou les considérait même comme Aryens. Cette théorie fut réfutée par des recherches linguistiques effectuées sur les quelques inscriptions et toponymies kassites que nous avons retrouvées : la langue kassite ne serait ni reliée à la famille indo-européenne, ni à la famille linguistique sémite.
Culturellement, les kassites semblent avoir adopté le panthéon sémite en vogue en Assyrie, tout en ayant adopté des composantes du culte aryen (mention de divinités tels que Surya, le dieu-soleil, ou les Maroutes, les divinités guerrières des nuages lourds annonçant le tonnerre et la tempête).
Indice intéressant, kassites se dit en kassite « Kashi », ou « Kazi », soit un vocable très commun en sanskrit, qui veut dire « fontaine, eau fraîche ». On retrouve le même mot à l'origine des villes de Kashi (actuelle Varanasi, Inde) ou encore Kashgar (anciennement Kashi, Chine).
La division du peuple aryen en deux entités distinctes et indépendantes, l'une perse, l'autre indienne, prédate l'arrivée des Aryens en Inde. Les raisons d'une telle scission nous sont inconnues, mais il semble probable que le schisme religieux séparant le védisme du mazdéisme ne fut pas étranger à la fuite des « adorateurs des dévas » vers l'Inde, délaissant ainsi la Margiane-Bactriane aux seuls partisans de Zarathoustra.
C'est en tout cas la théorie que défend le lexicographe Jean-Chrétien-Ferdinand Hoefer (1811 - 1878) :
Zoroastre conquit à ses doctrines une grande partie de la Bactriane ; mais dans cette contrée même et dans les contrées voisines il rencontra un obstacle insurmontable parmi beaucoup de tribus nomades. Celles-ci défendirent leurs dieux par les armes, les luttes dont les péripéties nous sont inconnues durèrent peut-être plusieurs siècles, elles émigrèrent plutôt que de se soumettre au culte de Mazda. La prédication de Zoroastre eut donc pour effet de diviser la race aryenne en deux familles religieuses ennemies, celle des mazdéens (adorateurs de Mazda), et celle des Daevayajnas (adorateurs des dévas).
Dans l'hymne avestique à Anahita, tout ce qui n'est pas soumis à Ahura-Mazda est condamné à l'insuccès. La déesse est décrite donnant la victoire au camp du bien, c’est-à-dire aux partisans de Zarathoustra, tandis qu'elle interdit le succès aux ennemis de ces mêmes partisans.
Dans le védisme au contraire, les dévas répondent aux prières des hommes à la seule condition que ceux-ci les honorent correctement, sans condition morale particulière. Ainsi, hommes ou démons, tout le monde peut obtenir la bénédiction d'un déva, voire de Brahma lui-même.
Vers -1800 à -1500, après avoir prospéré dans ce qui constitue le Turkestan actuel, le groupe ethnique aryen se subdivisa donc en deux groupes :
Les Aryens occidentaux suivirent l'enseignement monothéiste de Zarathoustra et colonisèrent démographiquement et militairement ce qui allait devenir la Perse. Un autre groupe qui refusa la doctrine anti-dévique (anti-polythéisme) de Zarathoustra s'exila de l'autre côté des cols de l'Hindu Kush.
L'entrée des Aryens en Inde donna lieu à la théorie des invasions aryennes, aujourd'hui largement remise en cause.
L'indianiste allemand Hermann Lommel (1885 - 1968) résume ainsi cette théorie :
« Au cours du deuxième millénaire avant J.-C., des Aryens indo-européens entrèrent dans l'Inde, qu'habitaient des peuples appartenant à d'autres races. Les aborigènes de l'Inde parlaient des langues dravidiennes et mundas. Les Aryens conquirent une bonne fraction du pays, subjuguèrent une grande partie de la population et édifièrent une haute civilisation. Celle-ci présente d'abord des caractères essentiellement aryens, mais elle a, au cours de son développement, absorbé et assimilé beaucoup d'éléments venus de l'Inde primitive. La civilisation brahmanique qui s'est ainsi formée s'est répandue sur une grande étendue de ce pays qu'on pourrait appeler un continent, à cause de sa surface et des différences géographiques, climatiques et ethniques. Des provinces entières y ont gardé les caractères ethniques dravidiens, et aussi, mais dans une plus faible mesure, des traits mundas. La forme que prit plus tard cet ensemble de faits culturels, qui est en partie une fusion, en partie une mosaïque, s'appelle l'hindouisme. » Les Anciens Aryens.
La glorieuse civilisation de l'Indus n'était déjà plus qu'un souvenir lorsque les Aryens s'établirent le long du Sindh (Indus), le fleuve qui donnera son nom au peuple qui vit sur ses rives : les Sindhus.
La patrie des Aryens indiens, le Brahmavarta (« pays de Brahma ») s'étendait alors de la région des sept rivières (sources de l'Indus), jusqu'à ce qui deviendra le Penjab. Plus tard, l'Aryavarta (« le pays des Aryens ») occupa toute la vallée du Gange jusqu'à la limite du monde antique, constitué par le delta partagé du Gange et du Brahmapoutre.
C'est en Aryavarta que sont situés certains des lieux les plus glorieux de la mythologie hindoue, telle Ayodhya, la première ville de l'humanité, capitale du mythique roi Rama, mais aussi les prairies de Vrindhavan, qui virent grandir Krishna, ainsi que les villes de Matura et Dwarka, depuis lesquelles régnait Balarama, le frère Krishna.
Situé au cœur de la vallée du Gange, à la confluence de la Yamuna, le royaume de Kosala était la nation historique des Indo-Aryens de la vallée gangétique. Le mythe fondateur des Kosala les relie au roi Raghu, descendant de la dynastie du soleil. C'est la patrie légendaire du roi Rama (avatar du dieu Vishnou), mais aussi de la plupart des tirthankaras du jaïnisme, dont Adinath, le premier d'entre eux. Sa capitale légendaire, si ce n'est historique, était Ayodhya, dont le nom ancestral était Saketa, ou encore Prayang, « la ville des confluents ». Il s'agit de l'actuelle Prayagraj (anciennement Allahabad).
Au 11e siècle de notre ère, Ayodhya se parsème de temples en l'honneur de Vishnou, sous l'égide de la dynastie Gahadavala. La ville est alors une étape importante de la vallée gangétique. Sous la domination musulmane, la ville devient naturellement un chef-lieu de l’administration du sultanat de Delhi. Durant de longues décennies, les fidèles et les pèlerins hindous payèrent une taxe aux colons musulmans afin d'avoir le droit de prier dans le temple de Rama, mais il finit par être détruit pour que soit construit à la place et avec les mêmes pierres la mosquée Babri (inaugurée en 1529).
En 1583, sous le règne de l’empereur moghol Akbar, la ville est rebâtie et renommée Allahabad, « la cité d'Allah ». Cette appellation sera conservée par l’administration britannique, puis par la république indienne. En 1992 une foule de fanatiques hindous attaquent la mosquée et la détruit en partie. Des émeutes interethniques s'en suivirent, ainsi que des tensions diplomatiques indo-pakistanaises. Depuis, une intense querelle juridique et médiatique sévit sur l'affaire de la mosquée d'Ayodhya.
En 2019 la justice indienne rend enfin son verdict : les hindous sont autorisés à reconstruire le temple de Rama en lieu et place de la mosquée détruite, tandis que les musulmans se voient attribuer un large terrain sur la commune pour y reconstruire une nouvelle mosquée. Entre-temps, en 2018, suite à l'arrivée au pouvoir d'un nationaliste hindou, Narendra Modi, la ville d'Allahabad est rebaptisée de son nom original et ancestral : Prayagraj, qui veut dire « la ville où se rejoignent les cours d'eau. »
Souvent présentée comme un témoignage de l’intolérance hindoue à l'égard de l'islam, l'affaire d'Ayodhya est en réalité une étape dans le processus indien de résilience par rapport à la colonisation islamique du pays, qui aboutit au déchirement sanglant d'un sous-continent en trois états (Inde, Bangladesh et Pakistan).
Un autre des célèbres royaumes aryens situé sur les bords du Gange est celui de Kashi, dont la capitale, d'abord éponyme, changea plusieurs fois de nom ; Kashi devenant Bénarès, qui deviendra enfin Varanasi. Fondée en des temps immémoriaux, Varanasi est l'une des plus vieilles villes du monde encore en activité. La légende raconte que ce fut pour célébrer son mariage avec Parvati, que Shiva créa la cité. La légende raconte d'ailleurs que les jeux sexuels de Shiva et Parvati à Varanasi durèrent des milliers d'années. Depuis, elle est la plus sainte de toutes les villes saintes car elle possède le pouvoir de purifier ceux qui y vivent ou y sont de passage. Miraculeusement, le passage des millénaires n'a en rien transformé la ville, qui, selon le mot de Mark Twain, semble « plus vieille encore que le monde lui-même ».
Varanasi marque la réunion de trois cours d'eau et donc de trois divinités : le Gange, qui prend sa source dans l'Himalaya, la Varuna et l'Asie, deux petits cours d'eau qui prennent naissance dans les nappes phréatiques des steppes du Bihar quelques dizaines de kilomètres au nord de la ville. Certaines légendes relient ces poches d'eau au fleuve mythique et disparu de la Sarasvati.
Varanasi n'est donc pas une ville, mais plutôt un site tellurique et géologique, transformé par le génie indien en symbole, puis en lieu de culte magique doté de pouvoirs sacrés.
Kashi veut dire en sanskrit « l'eau vive » ou encore « la fontaine. » Mais Kashi, ou Kazi, possède aussi un autre sens, que la ville lui a donné à travers des millénaires d'activité mystique, et qui veut dire « la lumineuse », et qu'il faut comprendre comme « l'Illuminée. »
La croyance populaire assure qu'en dispersant les cendres des défunts dans le Gange à Varanasi, leur âme s'échappe du cycle des incarnations (samsara), pour connaître à la place le bonheur sans naissance, sans fin et sans limite du Brahman. Les familles accourent donc de toute l'Inde pour brûler sur ses rives le corps de leurs parents. Depuis 3 000 ans, il y a donc à Varanasi des défilés de cadavres ; des corps recouverts d'un linceul blanc, portés à bout de bras pour des familles en deuil, qui dévalent les ruelles vers le Gange en criant « Ram Nam Satya Hai ! » Ce qui signifie en sanskrit « le nom de Rama est synonyme de vérité ! »
De nombreuses fois les conquérants musulmans détruisirent la ville et utilisèrent les pierres de ses temples pour construire à la place des mosquées et des casernes militaires. Mais Varanasi n’a jamais cessé d’être le centre névralgique, culturel et religieux de l’Inde, et donc de l'Asie du Sud tout entière. Thèbes, Athènes ou Babylone existaient, puissantes et rayonnantes, que Varanasi était probablement déjà là, célébrant le culte éternel de l’eau, des quatre points cardinaux et de la mort. Depuis, survivante à Teotihuacan et Jéricho, Varanasi demeure le foyer du soleil mystique qui rayonne sur l'ensemble du sous-continent, la ville étant vénérée à la fois des hindous, des bouddhistes, des jaïnes et des sikhs.
La ville est aujourd'hui composée de milliers de temples, de toutes les formes et de toutes les tailles. Ils témoignent de l’ensemble des orientations mystiques du continent asiatique. Outre les dizaines de milliers de temples et de lieux de culte voués aux traditions dharmiques, il existe aussi à Varanasi 22 églises chrétiennes, et surtout 415 mosquées, 299 sites culturels et religieux islamiques, 88 tombes de marabouts et 11 lieux de prière musulmane en plein air (la population musulmane de Varanasi représentant 18 % de sa population totale, soit 250 000 du 1,2 million d'habitants que compte la ville).
Au nord de Kashi se situe le royaume de Mithila, dont était originaire Sita, la malheureuse femme de Rama, le plus glorieux des rois d'Ayodhya.
À l'Est de la vallée du Gange et au Sud du Bengale est situé le royaume de Magadha. Sa capitale était Patalipoutra, l'actuelle Patna (fondée en -490) Les Grecs d'Asie connaissaient bien la ville et y envoyèrent de nombreux diplomates, dont le célèbre Mégasthène. Pline l'Ancien la mentionne comme une des capitales du monde. Il avance des chiffres incroyables, faisant état d'une armée comparable en taille à celle de Napoléon !
Des Indiens, les plus puissants et les plus illustres sont les Prasiens, qui possèdent la ville, très grande et très opulente de Paliputra (Patna). [...] Leur roi a toujours à sa solde 600 000 fantassins, 30 000 cavaliers, et 9 000 éléphants ; d'où l'on conclut que ses richesses sont énormes.
Au Nord-Ouest de la vallée du Gange, le royaume de Kuru est celui des héros du Mahabharata. La capitale de Kuru est Indraprastha. La ville aurait été construite par Mayasura à la demande de Krishna, sur le site d'une forêt qui avait été passée par le feu pour en faire sortir les démons-serpents qui s'y cachaient. C'est sur le territoire du royaume de Kuru que se serait déroulé la légendaire bataille de Kurukshetra dont les rebondissements sont narrés dans l'épopée sacrée des hindous.
Ville de première importance, Matura est supposée être la ville de naissance de Krishna, tandis que les Grecs affirmaient qu'Héraclès en était le fondateur. Rattaché au Gandhara sous la domination grecque et scythe, Matura fut un des grands centres du gréco-bouddhisme, du vishnavisme mais aussi du jaïnisme et du bouddhisme. Krishna est d'ailleurs associé à la tribu paysanne et pastorale des Yadavs, présente depuis l'Indus jusqu'aux embouchures partagées du Gange et du Brahmapoutre.
Unifié vers -1000 autour de la ville prospère de Taxila, stratégiquement située entre la Perse et l'Inde, sur les contreforts de l'Himalaya, le Gandhara s'étend du Baloutchistan à l’Afghanistan moderne. Il est alors peuplé d'Indo-Européens aux yeux bleus, aux cheveux noirs et à la peau claire. Ils seront, un millénaire et demi plus tard, les plus fervents adeptes du bouddhisme en Asie centrale, puis quelques siècles après, de l'islam (ce qui fait d'eux les ancêtres des Talibans).
Strabon ne tarie pas d'éloges sur la capitale du Gandhara :
Taxila est une cité aussi spacieuse que bien administrée, autour de laquelle s'étend une contrée populeuse d'une extrême richesse qui déjà touche aux plaines. [...] Quelques auteurs font ce royaume plus grand que l’Égypte. Au-dessus, en pleine montagne, est le royaume dit d'Abisar [Ambhi Raj ?] en souvenir du prince de ce nom, le même qui, au dire de ses ambassadeurs, nourrissait deux énormes serpents, mesurant de longueur l'un 80 coudées, l'autre 140.
Suite à l'établissement d'un pouvoir hellène à la tête de la Perse (Empire séleucide), des royaumes gréco-macédoniens se fondent dans les vallées du Gange et de l'Indus. Leur souverain et leurs mercenaires venus d'Europe, se convertirent au bouddhisme, comme en témoigne la présence du roi Ménandre (r. -160 à -135), dans le Canon Pali, en tant que Milinda, roi défenseur du bouddhisme.
En infériorité démographique, ces rois grecs cherchent à s'attirer la sympathie des peuples et des vassaux qu'ils dominent. Ces rois paient donc leur tribut aux divinités locales, par exemple en érigeant des piliers commémoratifs en l'honneur des dieux hindous, ou encore en faisant de généreux dons aux temples.
La caste des brahmanes, mais aussi toutes les sectes dissidentes du sous-continent sont prises en considération. Les récits de visite de rois étrangers chez des ascètes hindous, bouddhistes ou jaïns sont légion dans la littérature brahmanique, mais aussi dans les chroniques des voyageurs grecs en Inde. Ces nouveaux rois étrangers, les Aryens indiens les nomment Yonakas, ou Yonas, en les identifiant aux Ioniens, peuple hellène d'Asie mineure. Les Yonas sont d'ailleurs mentionnés dans le Mahabharata, comme étant une des ethnies ayant pris part à la mythique bataille du Kurukshetra.
Depuis le Gandhara et la Bactriane, l'art gréco-bouddhique importe en Inde et en Chine l'art de la sculpture réaliste et raffinée. Pour la première fois, Bouddha trouve son visage et son iconographie et le tabou de la représentation divine est brisé.
Juste au nord du plateau du Deccan, encadrant le fleuve Narmada, les collines du Vindhya situent la frontière géographique historique entre l'Inde aryenne et l'Inde dravidienne.
L'île du Sri Lanka est pourtant conquise par un prince aryen, Vijaya, qui régna de -543 à -505. Il instaurera une dynastie qui perdurera plus de 600 ans. Appelé Trapabane par les navigateurs romains et arabes, l'île de Lanka se fera connaître de Rome, qui invitera officiellement ses représentants. Pline l'Ancien rapporte la visite comme ayant été enrichissante, car elle permit aux Romains d'en savoir plus sur les rapports commerciaux que les commerçants de l'île entretenaient avec les Sères du Tarim.
Au centre de la péninsule, au sud des monts Vindhyas des tribus aryennes finissent tout de même par s'installer, dont les glorieux Marathes seront les descendants. Peuple de guerriers et de paysans du centre de l'Inde, ces derniers fondèrent au cours du second millénaire de notre ère un empire qui s'opposa à l'hégémonie du sultanat de Delhi.
De 1712 à 1728, le sud de l'Inde hindoue est défendu par les troupes marathes de Serfoji 1er, un raja tamoul dont les succès assurèrent une gloire éternelle, faisant de lui le protagoniste d'un grand nombre de contes et de fables. Sous son règne est composé l'Abhirami Anthati, le grand poème d'Abhirami Battar adressé à la Grande Déesse Abhirami-Durga-Dévi-Parvati. Ce chant, encore entonné lors des rituels et célébrations tamouls, est considéré comme le dernier chef-d’œuvre de la poésie tamoule classique.
En 1714, les Marathes signent des accords de paix avec le Grand Moghol, et collectent même les impôts pour le sultanat de Delhi, tout en maintenant la paix dans les régions méridionales et centrales de l'Inde. En échange de leurs services, le sultanat de Delhi ne ravage plus le sud de l'Inde, tout en ayant la certitude qu'aucun musulman ne sera agressé sur les territoires que dominent les marathes. Dès lors, la jalousie des sultanats musulmans du Deccan est aiguisée contre ces derniers. Les partis s'unissent alors dans une alliance des royaumes musulmans du Deccan et du Kerala, et sous l'égide des fanatiques sultans de Bijapur, le djihad continue après quelques décennies de paix relative commencées à la fin du règne d'Aurangzeb (v. 1707).
La langue des Aryens indiens est le sanskrit. Le sanskrit, à travers son alphabet, son vocabulaire et sa culture (védisme), fut prépondérant de l'an 1000 avant notre ère jusqu'au milieu du millénaire suivant ; et ce du golfe du Tonkin jusqu'aux montagnes du Caucase, en incluant bien sûr l'ensemble du sous-continent indien, du Baloutchistan jusqu'au plateau tibétain. Cependant le sanskrit n'a jamais été une langue vernaculaire, des dialectes moins sophistiqués lui étant préférés.
C'est en sanskrit classique que furent composés 4000 ans de philosophie et de théologie hindoues. Les Vedas, les grandes épopées hindoues du Ramayana et du Mahabharata, les Puranas, de même que les traités de métaphysique, de médecine, de danse et de linguistique, furent composés en sanskrit.
Cette langue se divise entre le vieux, le moyen, et le sanskrit récent, qui n'est plus parlé de nos jours que par quelque 25 000 prêtres hindous qui la revendiquent comme langue première, pour un total de 1,3 million de locuteurs qui la maîtrisent comme seconde langue. De nombreuses traditions hindoues considèrent le sanskrit comme une langue divine qui doit demeurer inaccessible à ceux qui ne sont pas en mesure de la comprendre et n'encouragent donc pas les castes, outre les brahmanes, à pratiquer et à apprendre cette langue. L'entière population des locuteurs de sanskrit est donc originaire de la caste des brahmanes.
Du sanskrit découla les langues de l'âge brahmanique et classique indien, que sont le prakrit et le palit, la langue sacrée des premiers bouddhistes.
Le sanskrit est la langue dont furent originaires la plupart des langues vernaculaires du sous-continent indien, telle que, dans leur ordre d'importance en termes de locuteurs :
- L'hindi, parlé par 543 millions de locuteurs, principalement au nord de l'Inde et au Pakistan. Ce chiffre comprend aussi les locuteurs de l'ourdou, la version islamisée de l'hindi, avec un apport de vocabulaire arabe et son adaptation à l'alphabet arabe, parlée principalement à l'ouest de la plaine gangétique et autour de l'embouchure de l'Indus. La dénomination hindi comprend aussi le rajasthani, parlé par 50 millions de locuteurs vivant dans la région éponyme.
- Le bengali, parlé par 267 millions de locuteurs, installés des deux côtés de la frontière indo-bangladaise.
- Le penjabi, parlé par 148 millions de locuteurs, installés des deux côtés de la frontière indo-pakistanaise de la région éponyme.
- Le marathi, parlé par 71 millions de locuteurs marathes, une ethnie rurale et guerrière du centre de l'Inde qui connut son âge d'or lors des guerres du Deccan (16e siècle).
- Le gujarati, parlé par 50 millions d'habitants installés au nord-ouest de l'Inde, du sud du désert du Thar et jusqu'à l'embouchure de la Narmada.
En plus de ces langues célèbres et parlées par plus de 50 millions de locuteurs, s'ajoutent une myriade de dialectes régionaux dont la plupart sont reconnus par l’État indien comme langues officielles, si ce n'est administratives. Citons :
- Les dialectes du nord de l'Inde tels le bhojpuri (29 millions de locuteurs autour du Bihar), le maithili (27 millions de locuteurs dans le Bihar et le Jarkhand), le sindhi (26 millions dans la région du Sindh, c’est-à-dire du bas-Indus), le népalais (apparu vers la seconde moitié du premier millénaire après J.-C., et parlé par 16 millions de locuteurs), le chittagonien et le chitasgari (parlés par 16 et 12 millions de personnes de la région située entre le Népal, le Bangladesh et l'Assam) et enfin l'assamais (15 millions).
- Les dialectes du sud, tels l'oriya (33 millions de locuteurs dans la région située de l'Orissa jusqu'au sud des ghats orientaux) et le cinghalais (16 millions), introduit sur l’île de Ceylan en même temps que les Vedas.
Les Aryens sont à l’origine des cultures préhistoriques de Sintashta et d'Andronovo, du premier empire perse et de la culture brahmanique qui marque l'âge d'or indien. Mais encore, les Aryens sont une composante essentielle des cultures de la Céramique cordée et d'Afanasievo, ainsi que des civilisations tokhariennes et bactrienne (B.M.A.C).
Enfin, les Aryens ont créé deux religions qui sont autant de pôles théologiques : il s'agit du polythéisme védique (dont les spiritualités indiennes modernes sont dérivées) et du monothéisme zoroastrien (qui inspira le judaïsme d'après l’Exode, le christianisme et l'islam chiite). Les cultes dissidents d'Occident, dont ceux de Mithra et de Mani seront eux aussi inspirés de ces deux cultes aryens ancestraux. En résumé, depuis l'apparition de l'haplogroupe R2a il y a plus de 20 000 ans, jusqu'au seuil de l'Antiquité, ont émergé des rives de la Caspiennes les ethnies aryennes (branches perse et indienne), dardiques (Cachemiris, Nuristanis et Kailashas), scythes (Saces, Sakas, Sarmates, Parthes), alaines (dont les Ossètes modernes sont les descendants), mais aussi baltes et slaves.
Au début du premier millénaire avant notre ère, les tribus védiques se sédentarisent dans le nord de l'Inde et leur territoire se stabilise à la suite à la Guerre des dix rois. Celle-ci se déroula dans la plaine gangétique entre -1300 et -1000, et réunit toutes les tribus dans un même combat. Cette bataille, semi-légendaire, nous en trouvons la trace dans les Vedas et nous pensons qu'elle fût à l'origine de la guerre du Kurukshetra (élément central du Mahabharata).
Commence alors un véritable âge d'or pour la civilisation aryenne indienne : l'âge brahmanique. De cette époque datent les premières traces des légendes et contes émanant à la fois des cultures védiques et dravidiennes. Elles donneront matière aux épopées du Mahabharata et du Ramayana, toutes deux composées entre -900 et -400 (avec une légère antériorité du Mahabharata).
Sur la base de ces récits légendaires se développe alors la morale indienne. Celle-ci pourrait se résumer ainsi : la destinée et la transmigration des âmes sont régies par le principe du karma, qui est la somme des actions passées décidant de l'avenir d'une existence. La libération de l'âme (moksha) peut s'obtenir grâce à la maîtrise de soi, et le yoga permet d’échapper à ce cycle éternel de naissances et de morts.
Aux Vedas (-1500 à -800), hymnes obscurs dont le véritable sens est limité aux initiés, succèdent dans les temples, qui sont aussi des universités philosophiques, les Upanishads (-800 à -400). Les Upanishads sont des commentaires rimés et souvent courts, des passages les plus fondamentaux des Vedas. Bien que très différents tant dans leur forme que dans leur fond, les Upanishads font partie du corpus védique. Associés à la Bhagavad Gita, ils sont considérés comme le fleuron de la philosophie indienne.
De -600 à -300, les grandes religions des principales civilisations vont se transformer, souvent sous l'influence d'un maître à penser, qu'il soit appelé gourou ou prophète. L'Avesta et les paroles de Zarathoustra sont pour la première fois compilés. La civilisation aryenne perse connaît son zénith : les Empires mèdes, achéménides et séleucides dominent les trois continents.
De l'autre côté de la plaque eurasienne, au Sri Lanka, le védisme est introduit en -483 par Vijaya, un prince aryen qui en fait sa religion d'État : au premier millénaire, le polythéisme de type indo-européen se retrouve donc chez tous les peuples situés sur la trajectoire qui va des côtes bretonnes à l'océan Indien.
Pythagore (v. -580 à 4-95) entreprend un voyage en Asie, afin de se former auprès des gourous de l'Orient. Il se déclara même disciple du sage aryen perse Zarathoustra. En -399, Socrate meurt, lui qui est considéré comme le père de la philosophie occidentale.
Vers -350, la Torah, premier manifeste complet du dieu unique Yahvé, est rédigée entièrement.
En Chine, Lao Tse, Confucius et leurs écoles, théorisent ce qui n'était encore que sagesse populaire. Vers -300, le Tao est théorisé et codifié. Vers -200 émerge la doctrine du shintoïsme.
À cause des dérives et abus en tout genre de la caste des brahmanes, l'hégémonie du védisme fut contestée par la naissance de deux sectes qui perdurent encore de nos jours, celle du jaïn Mahavira, né vers -540 et de son contemporain Siddhartha Gotama Shakya, dit Bouddha, né vers -563.
Alors que le bouddhisme et le jaïnisme réformaient les pratiques religieuses indiennes, c'est le scepticisme (dont la mort de Socrate est emblématique), ou les cultes à mystère qui fleurissent en Europe méditerranéenne. Le panthéisme romain s’essouffle, le panthéon grec est noyé dans un bestiaire égypto-asiatique qui a importé en Europe Isis, Cybèle et Mithra, mais aussi Jésus, Abraham, le mage Simon et bien d'autres.
Les pratiques religieuses évoluant, le scepticisme va prendre de l'ampleur, avant que le christianisme et l'islam ne rétablissent la foi. En Inde, Charvaka va nier l'importance des rituels védiques, et refuser de croire aux dévas. En Europe, les voix sont nombreuses et décomplexées quant à la critique d'un modèle panthéiste qui est en place depuis des milliers d'années et qui ne semble plus en phase avec une époque en pleine mutation.
C'est à la fin de l'Antiquité que les premiers empires transcontinentaux vont voir le jour. Vont se développer le zoroastrisme, puis le judaïsme et la gnose, l'hermétisme, l'orphisme, le mithraïsme, bientôt s'ajoutera à cette liste le manichéisme : autant de doctrines tendant à remplacer les rituels publics mécaniques, par une expérience directe avec le divin à travers une initiation individuelle.
Lucien (v. 120 - 180), qui est probablement le plus voltairien des Anciens, se moque des dieux égyptiens, mais chaque citoyen de l’Empire y reconnaîtra des critiques envers ses propres divinités. Lucien est un auteur typique de l'Antiquité tardive : il ne croit plus à rien et juge avec un esprit fin les grossièretés de son temps. Il a cependant beaucoup voyagé et son témoignage représente assez bien celui des hommes de son temps, qui furent les derniers « Indo-Européens », avant de n'être plus qu'Européens.
« Mais allez en Égypte, et vous verrez de graves cérémonies, une religion vraiment digne du ciel : là, Jupiter a la tête d'un bélier, Mercure une belle figure de chien ; Pan est un bouc de la tête aux pieds ; celui-ci est un ibis, celui-là un crocodile, cet autre un singe. Mais voulez-vous connaître et savoir tout à fond ! Écoutez cette foule de sophistes, de scribes, de prophètes à la tête rase ; ils vous apprendront, après s'être écriés, suivant la formule « Profanes, loin du seuil ! », ils vous apprendront comment les dieux, effrayés par une sédition de leurs ennemis et des Géants, se sont sauvés en Égypte pour se dérober à leur poursuite ; que l'un se jeta, de peur, dans le corps d'un bouc, que l'autre devint bête sauvage, un troisième oiseau, et que, pour cette raison, les dieux conservent encore aujourd'hui ces différentes formes. Les preuves en sont consignées dans les archives des sanctuaires, écrites depuis plus de dix mille ans. » Sur les sacrifices, 14.
Déjà, quelques générations avant Lucien, Arrien (85 - 146) émettait ouvertement des doutes sur la véracité des récits mythologiques. À propos de la campagne d'Alexandre en Inde, il écrit :
Entre le Cophès [Kaboul] et l'Indus se présente la ville de Nysa, fondée, dit-on, par Dionysos, vainqueur de l'Inde. Quel est ce Dionysos, et quand a-t-il porté la guerre dans les Indes ? Était-il venu de Thèbes ou de Tmole (en Lydie) ? Obligé de traverser les nations les plus belliqueuses alors inconnues aux Grecs, comment n'a-t-il soumis que les Indiens ? Il ne faut point percer trop avant dans tout ce que la fable rapporte des dieux. Les récits les plus incroyables cessent de l'être, lorsque les faits appartiennent à quelque divinité.
Et un siècle encore avant Arrien, le rationnel et épicurien Lucrèce (v. -98 à -51) jugeait avec amertume que « quelque ingénieuses et belles que soient les fables, elles s’écartent du vrai, la raison les repousse » (De la nature, 2, 650). Réfutant que les dieux puissent vivre parmis les hommes, Lucrèce décrit alors un paradis dont l'humanité serait à jamais exclue :
Car il faut que les dieux, par leur nature même, jouissent dans une paix profonde de leur immortalité, loin du contact des choses humaines, et dans un monde séparé du nôtre : là, exempts de douleur, exempts de périls, ils se suffisent, ils ne demandent rien aux hommes ; la vertu ne les gagne point, et la colère ne peut les toucher.
Les dieux, auxquels on avait sacrifié des milliers d’années durant, n'avaient plus que quelques siècles à vivre. Au début de notre ère, s'intensifie un mouvement commencé à la fin du millénaire précédent :
« De tous les points du bassin de la Méditerranée, d’Égypte, de Syrie, de Judée, de Perse et de Chaldée, commençaient à affluer vers la capitale du monde les cultes orientaux et les superstitions étrangères. Rendez-vous de tous les peuples, Rome devient le réceptacle de toutes les religions qu’a connues l’univers, comme si toutes pressentaient, à ce moment précis où s’établit l’empire, la crise religieuse d’où devait sortir une religion universelle. Les temps étaient propices pour la propagande des dieux nouveaux. La vieille religion se mourait au milieu de l’indifférence générale. À bout de sève, elle avait perdu toute prise sur les âmes, toute action sur les consciences. Il n’en restait que les rites, la liturgie, les gestes extérieurs. Cette mythologie fripée n’imposait plus même aux enfants et aux vieilles femmes. Le peuple, sevré des agitations de la politique et du souci de la patrie, exclu de la religion officielle, qui restait le privilège de l’aristocratie, déshabitué de ses cultes municipaux, n’a plus rien pour satisfaire les besoins supérieurs de sa nature et cette soif obscure d’idéal qui est la noblesse et le tourment des sociétés humaines. Ni la réforme religieuse d’Auguste (le culte de la Cité-Reine, agrandi à la mesure du monde conquis) ne pouvait lui donner l’aliment qu’il réclamait ; ni la philosophie grecque, qui prit sous les Antonins quelques-unes des formes et des allures d’une religion, et prétendit à la direction des consciences, n’était capable d’agir sur des imaginations avides de mythes et de symboles, sur des cœurs affamés de consolation et d’espérance. Le peuple entendait d’autres voix, allait à d’autres maîtres. Jamais le monde n’a vu pareil débordement de superstition, pareille orgie de surnaturel, jamais tant de devins, de charlatans, d’astrologues, de vendeurs de recettes pieuses et d’amulettes. » L.-Ch Prat, Mithra et le mithriacisme.
Le bouddhisme et le jaïnisme se sont tous les deux développés ensemble. Les enseignements de Mahavira se présentaient comme la continuité d'une tradition ancestrale, tandis que la parole du Bouddha se voulait réformatrice et nouvelle. Si le jaïnisme demeura toujours ultra-minoritaire, le bouddhisme connut un véritable essor durant le Moyen-Âge indien (-500 à 800 apr. J.-C.)
Tandis qu'avec le bouddhisme tombaient les interdits alimentaires et la ségrégation des castes, le jaïnisme incarna plutôt un retour à la dimension strictement mystique de la vie sur Terre. Leur clergé vivait nu et ne se déplaçait pas sans balayer devant eux pour être sûr de ne pas tuer d'insectes sur leur passage. Leur respect de la vie (ahimsa) les obligeait à un régime strict, mais aussi à se recouvrir le visage d'un tissu afin de ne pas respirer de microparticules vivantes.
Dans un paysage religieux dominé par le brahmanisme aryen, ces deux mouvements voulurent incarner un retour à la justice et à la vertu. Le jaïnisme et le bouddhisme peuvent être compris comme des efforts pour remettre l'homme au centre de ses préoccupations métaphysiques et holistiques. La quête de la libération individuelle remplace l'adoration des divinités symboliques. À la famille, aux castes, ces deux courants réformateurs opposent le détachement envers toute chose, tout sentiment et toute émotion.
Mahavira et Bouddha sont deux ascètes, mais aussi deux membres de la caste des guerriers. Or, l’initiation védique était avant tout destinée aux membres de la caste brahmane.
« Suivant les prescriptions de la religion brahmanique, l’état d’anachorète comptait parmi les quatre ashramas ou stades successifs de l’existence humaine. Au début donc, les ascètes errants, les sannyasins, comme on les appelait, se recrutèrent dans la caste la plus cultivée, celle des Brahmanes. Mais de quelque supériorité que cette classe sociale s’attribuât, elle ne pouvait revendiquer comme un monopole la recherche de la Délivrance. Au même titre qu’un brahmane, les membres des autres catégories possédaient la faculté de devenir anachorètes, ascètes ou mendiants. Peu à peu des maîtres qui n’étaient pas des brahmanes apparurent, annonçant la bonne nouvelle et montrant le chemin de la Délivrance. Ainsi se constituèrent des ordres tels que ceux des jaïns et des bouddhistes, qui s’adressaient de préférence aux kshatriyas et se recrutaient dans cette caste des princes et des guerriers. Encore ne faisaient-ils preuve d’aucun exclusivisme et acceptaient-ils volontiers dans leur sein des représentants des classes inférieures. On imagine sans difficulté que ces communautés non brahmaniques furent regardées avec dédain et tenues à l’écart par les ascètes appartenant à l’orgueilleuse caste des brahmanes. La scission ne tarda sans doute pas à s’effectuer, et ces communautés se posèrent en sectes indépendantes à côté des ordres brahmaniques. » A. Guérinot, Essai de bibliographie jaïna.
Le jaïnisme connut un réel succès pour ensuite se cantonner à quelques centaines de milliers de dévoués ne cherchant pas à convertir mais seulement à faire perdurer l'enseignement de leurs treize tirthankaras. Le dernier tirthankara fut Mahavira, contemporain du Bouddha (v. -600 à -500), mais la tradition jaïne insiste sur le fait que Mahavira fut un réformateur, mais non l'inventeur de la doctrine.
Les grands thèmes de l'hindouisme tels que l'ascétisme, la nudité, le yoga, la non-violence, le végétarisme, les notions de karma, de réincarnation, de nirvana, sont très clairement des concepts jaïns adaptés à la culture védique, qui n'en possèdent pas de semblables dans les Vedas les plus anciens. La mythologie jaïne est aussi à l'origine de l'hindouisme vishnavite, et non l'inverse.
Le jaïnisme, dont la généalogie remonte jusqu'à la civilisation de l'Indus (voir les travaux de Vilas Adinath Sangave), pourrait donc être le chaînon manquant entre le védisme et l'hindouisme. En effet, quelle est donc l'origine des héros Rama et Krishna, figures centrales de l'hindouisme mais par ailleurs absolument absents des Upanishads et des Vedas ? Le Manu védique, qui est à l'origine le premier homme, comment est-il devenu le roi du monde, l'immortel gardien des Vedas de la tradition hindoue ?
Vishnou est présent dans le Rig-Veda, il entre aussi en résonance avec le monothéiste dravidien, mais ses avatars Rama et Krishna sont adaptés de références purement jaïnes. Le Chakravartin, le « roi des rois », le roi du monde, le « tourneur de roue », mais aussi le Vasudeva, le protecteur de l'Univers armé d'une massue, ou encore le Tirthankara, le saint illuminé, sont toutes des figures mythologiques et théologiques inspirées du jaïnisme et présentes dans toute la littérature épique indienne.
Il existe cependant une différence de taille entre les deux courants : à l'inverse de l'hindouisme, le jaïnisme n'est pas créationniste et n'admet pas de déluge. Les deux phases du temps cyclique, l'une ascendante, l'autre descendante, s’enchaînent à jamais, sans commencement et sans rupture. Les dieux, s'ils sont présents dans la doctrine jaïne, n'ont aucun pouvoir pour infléchir le cycle du temps, ni pour sauver les hommes de leur destin. Ils ne sont donc pas priés et à peine honorés. Seule l'application de la doctrine du non-attachement prônée par les jinas (tirthankaras) permet de trouver le salut.
Les jaïns croient à la réincarnation et pensent que s'ils enchaînent plusieurs vies vertueuses (sur Terre comme dans d'autres dimensions), ils connaîtront la libération du samsara. Idéalement, les cinq piliers du jaïnisme sont la chasteté, la non-violence, le refus des possessions et des acquisitions et l’interdiction du mensonge. Pour connaître l'éveil, il convient aux jaïns de respecter les « trois joyaux », que sont la foi juste, la connaissance véritable et la conduite correcte.
La doctrine jaïne repose essentiellement sur la non-violence à l'égard du vivant, l'Ahimsa. Selon elle, chaque existence se vaut et toutes doivent coopérer pour vivre en harmonie. Aucun dieu n'est au-dessus de la vie des hommes, des animaux et des plantes, et chaque existence possède en elle les moyens de sa propre libération. L'homme est donc libre de sa destinée, qu'il doit vivre affranchi des divinités pour n'observer que sa propre élévation morale et spirituelle. Les idoles, les divinités, mais aussi les castes, sont considérées comme des obstacles à la juste compréhension du vivant. Le jaïnisme est un enseignement transcendantal et rigoureusement ascétique, il ne reconnaît donc pas le système des castes, mais en accepte tout de même la base védique.
Ce courant religieux ne connaît pas moins de 84 sectes différentes, perdurant parfois depuis plusieurs millénaires. Il existe deux traditions principales, celles des Digambaras et des Shvetembaras. Le courant des digambaras est constitué de moines nus, qui ne possèdent rien d'autre qu'un balai, pour balayer devant eux les insectes qu'ils pourraient gêner dans leurs déplacements. Quant au courant des svetambaras, ils sont revêtus de toges blanches, la couleur du deuil en Asie et portent sur leur visage un masque de protection pour ne pas avaler les microparticules du vivant.
Les dénominations des sanyassims jaïns sont nombreuses : les sadhus sont les moines ascètes, les Upadhyayas, les professeurs, les Arihantas, les êtres non-attachés, les Acharyas, les chefs d'ordre religieux et les Siddhas, les libérés.
Les collines de Shatrunjaya (Gujarat) sont un complexe de temples, le plus important du pèlerinage jaïn, ainsi qu'une des cinq montagnes sacrées du jaïnisme, la principale étant le mont Méru, situé par-delà l'Himalaya sur le plateau tibétain (le Méru étant considéré comme l'axe du monde par les traditions védiques, hindous, bouddhistes et bons). C'est dans une grotte environnant le Kailash (Tibet), que le premier grand sage de la tradition jaïne trouva l'Illumination. Le mont Kailash et le lac Manrosvar qui le borde, sont donc deux autres lieux saints.
Afin qu'ils restent purs, c'est-à-dire vierges de toute agression contre les animaux, les temples jaïns sont interdits aux chrétiens, musulmans et athées, mais les hindous et les bouddhistes, qui pour la plupart respectent l'ahimsa et le végétarisme, peuvent y entrer. Il s'agit là d'une interdiction de forme, car dans la pratique, quiconque faisant preuve d'un véritable intérêt pour le jaïnisme et adoptant une attitude humble et respectueuse, se verra sans difficulté introduit dans l'enceinte des lieux de culte.
Au cours de ses 3000 ans d'Histoire, le jaïnisme ne s'est jamais constitué en nation, n’a converti aucun peuple de force et ne colonisa aucun lointain rivage. Mais au long du second millénaire, les jaïns furent victimes d'un génocide humain et culturel de la part des envahisseurs musulmans. Jadis présents tout au long de l'Indus et jusqu'au Cachemire, les jaïns furent chassés par les musulmans qui les considérèrent comme des adorateurs d'idoles.
Les jaïns sont aujourd'hui moins de cinq millions d'Indiens, soit 0,4 % de la population totale du pays. L'immense majorité d'entre eux fait partie des classes sociales prospères (selon le census 2011, 94,3 % des jaïns appartiennent à la « general class »). La population jaïne se concentre surtout dans les États du Gujarat et du Rajasthan, même si on la trouve partout présente dans le pays.
À l'échelle mondiale, ils seraient de 6 à 10 millions, dont près de 100 000 aux États-Unis, 70 000 au Kenya, 35 000 au Royaume-Uni et un millier en Irlande comme en Belgique.
L'historicité du Bouddha n'est pas remise en doute. Celui qui se nommait Siddhartha Gotama Shakyamouni aurait donc vécu entre 1000 (selon la chronologie hindoue) et 460 avant notre ère (pour les estimations historiques les plus récentes). Le prince Siddhartha était l’héritier du clan des Shakyas, un humble royaume situé au pied de l'Himalaya et à l'entrée de la plaine gangétique. Siddhartha refusa cependant de prendre la relève de son père et se consacra plutôt à la recherche du bonheur (c’est-à-dire l'absence de souffrance).
Tout comme Jésus, Bouddha est un personnage historique qui n'en demeure pas moins légendaire. De son vivant, le Bouddha ne se prétendait pas divin, mais après sa mort, son école fit de lui l'égal d'abord d'un saint, puis d'un dieu. La vie du Bouddha, dans ses étapes essentielles, est classique pour un moine errant, mais au fil du temps, elle fut affublée de toute une série de paraboles, de miracles ou de fables, associés artificiellement au canevas d'origine. Colportée du Tibet en Indonésie, au gré des ajouts que lui apposaient les différentes écoles et leurs différents bonzes, la vie du Shakyamouni devint absolument légendaire.
Avant qu'il ne devienne l'objet d'un culte fanatique, et que des statues soient sculptées à son effigie et érigées en son honneur, le Bouddha et sa parole se diffusèrent avant tout sous la forme de fables. C'est ainsi que le prince Siddhartha Gotama Shakyamouni est devenu le protagoniste de tant de récits merveilleux et de tant de miracles. Par exemple, absent des premières recensions indiennes, l'épisode fantastique de Bouddha voyageant en mer puis chavirant, pour ensuite être mangé puis régurgité par un poisson, est un ajout thaïlandais tardif.
La triade bouddhiste repose sur l'unique figure du Bouddha, mais déclinée sous trois formes différentes. Il s'agit tout d'abord de Bouddha Amitabha, l'être cosmique, créateur et omniscient, sans commencement ni fin, lequel s'est incarné en Bouddha Siddhartha Gotama Shakyamouni pour enseigner aux hommes le moyen de se libérer du samsara. Bouddha Maitreya clôt le cycle en figurant le Bouddha du futur, l'annonciateur de la fin des temps, donc du renouveau du cycle de la vie (Maitreya étant une figure tout à fait proche de Kalki, le cavalier de la fin des temps des traditions vishnavites).
La représentation idolâtre de Bouddha le présente invariablement seul, assis en tailleur, en position de méditation (souvent la position du Lotus), sous l'arbre de la Bodhi, « l’arbre de l'intelligence », sous lequel il atteignit l'Illumination (Moksha en sanskrit). Il ne porte qu'une toge orange, couleur des renonçants. Il a les mains ouvertes, en position d'enseignement ou de compassion. Il ne tient pas d'arme. Sa maigreur témoigne de ses années d'abstinence. Il sourit, mais ses yeux ne sont pas ouverts comme ceux d'un chasseur ou d'un guerrier, mais mi-clos, à la manière de Shiva méditant. Auréolé de lumière, Bouddha est présenté la peau dorée, signe de son intelligence.
Le culte idolâtre de Bouddha est relativement tardif. Pour les premiers bouddhistes, Bouddha n'est pas une divinité, mais un exemple, celui qui a trouvé un moyen de rejoindre le nirvana et qui l'a partagé à ses disciples. Ce n'est que plusieurs longs siècles après sa mort que s'érigèrent les premières statues en l'honneur de Bouddha, dont le culte était avant cela strictement non figuratif, à la manière des coutumes juives ou musulmanes actuelles. Les premières statues du Bouddha furent l’œuvre de la civilisation gréco-bouddhique, qui importa de Grèce le style soigné et glorieux des statues en pied (technique que les Grecs empruntèrent, en la magnifiant, aux Égyptiens).
À la fin du premier millénaire, entrant au Tibet, le bouddhisme se mêle aux cultures locales primitives et chamaniques, pour lesquelles le totem et les circonvolutions représentent un aspect essentiel de la pratique du culte. Plus d'un millénaire après sa mort, la figure du Bouddha devient donc celle qui orne les temples dorés du haut plateau tibétain, mais aussi de Mongolie ou des états indo-européens outre Himalayens de Sogdiane et de Bactriane. Sont alors érigées des statues de Bouddha dépassant allégrement les dix, vingt, voir trente mètres et plus, comme pour la colline sculptée de Leshan en Chine (71 m) ou les fameux bouddhas de Bamiyans en Afghanistan (dynamités par les Talibans).
Dans le bouddhisme tibétain, le culte de Bouddha reconnaît non seulement toute une lignée de bouddhas terrestres, mais aussi de nombreux bouddhas cosmiques, lesquels sont attachés à une vertu (compassion, générosité, etc.) ou à une dimension particulière (passé, présent, etc.) Le Bouddha historique n'est alors plus qu'un Bouddha parmi tant d'autres.
La tradition tibétaine distingue cinq bouddhas primordiaux, qui sont Vairocana Amitabha, l'être cosmique originel, Akshobhya, Amoghasiddhi et Ratnasambhava. Les bouddhas du passé sont Sumedha et Vishvantara, tandis que le bouddha du futur est Maitreya.
Depuis, la position du bouddha en méditation est devenue une icône pop occidentale, et ses statuettes ornent même les centres commerciaux et les jardins d'Occident. Plus qu'une simple idole à vénérer, car Bouddha n'agit pas sur la Création et ne peut donc pas répondre aux prières, les statues de Bouddha sont des supports, permettant de focaliser l'attention en vue de mieux méditer. En somme, rien ne différencie vraiment le rôle d'une icône de Bouddha du rôle d'une icône de Shiva ou de Krishna, seul change la symbologie et la méthode, que choisira le dévot pour se rapprocher du divin, qui lui-même est sans nom, sans apparence, ni état.
Si les temples tibétains peuvent héberger des trésors d'offrandes entourant des statues de bouddhas pailletés d'or qui dépassent parfois les cinq mètres de haut, la tradition indienne du Bouddha ne suggère même pas un prasad (offrande sucrée) ni une offrande à Bouddha, mais simplement une prière appliquée et généreuse.
Dans la tradition chinoise, marquée par le zen et la débonnaireté typique de la culture han, Bouddha est représenté obèse, hilare, les mains levées au ciel en signe de salut, apparaissant visiblement saoul (il est le « dieu de la joie »). Il s'agit pour les Chinois de vénérer la dimension jouissive du Bouddha, qui est celui qui, après s'être infligé tant de souffrances, accepta de jouir à nouveau de la vie, en se nourrissant, donc en acceptant de vivre. Les Chinois, peuple débonnaire, trouvent dans Bouddha une figure qui leur est plus familière que celle du rachitique yogi qu'affectionnent tant les Indiens, marqués par l'ascétisme de l'hindouisme plutôt que par le pragmatisme du zen.
La doctrine bouddhiste se résume à ce que l'on nomme les quatre nobles vérités, qui sont quatre observations que le Bouddha a pu faire à travers ses années d'ascétisme.
La première des quatre vérités est que la vie est souffrance. La seconde est que l'attachement des êtres aux choses et aux êtres est à l'origine de cette souffrance. La troisième vérité est qu'il est possible de s'affranchir de cette souffrance. La quatrième est qu'il existe un chemin vers la libération, que propose d'emprunter la doctrine du Bouddha.
Les principes essentiels du bouddhisme sont la non-violence (ahimsa), sauf en cas d'autodéfense, mais aussi l'absence de jugement envers les pensées ou les actes d'autrui et la pondération dans les actes, les paroles et les opinions.
Bouddha est présenté comme un modèle de vie ; il est charitable, compassionnel, humble et capable de compromis. Si le Bouddha est souvent prié comme une idole, surtout au Tibet, sa divinisation n'était pas encouragée de son vivant. Bouddha n'est en effet pas un dieu, mais un homme qui a su trouver la paix intérieure et qui enseigna sa doctrine afin qu'un plus grand nombre en profite.
Le bouddhisme n'est pas tant une religion, qui interdit, tolère ou encourage, mais plutôt une philosophie qui accompagne l'individu dans sa quête du bonheur. Pour le bouddhisme le bonheur se définit comme l'absence de joie et de peine.
Bouddha ne s'est pas présenté, ni n'a jamais été adoré comme un prophète, ou comme le porte-parole d'une divinité quelconque. Au contraire, il refusa souvent de qualifier les dieux (dévas), et même de se prononcer sur leur existence. Pour Bouddha, qui eut maintes fois l'occasion de s'entretenir de ce sujet avec ses disciples, l'origine du monde et la nature des dieux, étaient des problématiques qui dépassaient l’entendement humain et qu'il était donc préférable d'ignorer. Ne pas se focaliser sur ce qui est vain est en effet à la base de la doctrine bouddhiste.
Grandeur et déclin du bouddhisme
Les divinités Rama et Krishna placeront à jamais l'hindouisme dans le cœur des habitants de l'Inde, mais avant que ne soient largement diffusées leurs épopées, le védisme était une religion de dieux titanesques et élémentaires, dont la personnalité n'était perceptible qu'aux initiés. Les brahmanes détournant souvent les deniers du culte, les princes et monarques de l'Inde du Nord furent séduits par le bouddhisme ; une sagesse qui, pour être comprise, ne réclamait ni le rituel, ni la naissance, ni la caste.
Depuis le premier prêche du Bouddha à Sarnath, le bouddhisme connut un essor foudroyant à travers le sous-continent. Ce qui plaisait particulièrement dans cette nouvelle religion, c'était qu'elle n'acceptait ni comme bénéfique ni comme fondamental le système des castes. Si le Bouddha historique ne s’était jamais prononcé en faveur du système des varnas et jatis, hérité du brahmanisme, il ne l'avait pas non plus dénoncé.
Comme en de très nombreux sujets, le bouddhisme avait adopté une position humble, pleine de compromis et de non-dits, permettant à chacun de vivre à sa manière, et donc de faire les réformes qu'il juge nécessaires à l'évolution de sa morale et de sa société. Ce qui était particulièrement séduisant pour les nouveaux adeptes du bouddhisme, c'était que la figure tutélaire n'était ni un concept, ni une divinité fondamentale, mais un homme, semblable à n'importe quel autre homme, mais qui aurait été assez sage, assez inspiré, pour rompre ses attaches et montrer le chemin du détachement absolu.
S'il ne critiquait pas ouvertement les traditions brahmaniques et en particulier le système des castes, le Bouddha ne les encourageait pas non plus. La doctrine bouddhiste se voulant plus une réflexion sur la condition humaine, qu'un cadre défini de règles divines et de rituels à respecter. Cette doctrine ne pouvait que séduire les lettrés, en quête d'une métaphysique que les rituels védiques ne proposaient pas. Les populations les plus pauvres étaient aussi attirées, car la doctrine bouddhiste leur proposait une libération qui ne passait ni par la rétribution des brahmanes, ni par l'intermédiaire des dieux brahmaniques.
Enfin, né sur un terreau hindou, le bouddhisme ne souhaita pas s'en défaire, ni créer aucun schisme violent, gardant les grandes lignes du Sanatana Dharma (« Loi éternelle ») en se contentant de faire de la moksha, (« Illumination »), un but premier à atteindre, ou au contraire un but à ne plus chercher à atteindre. De fait, la caste des brahmanes n'avait pas jugé bon de se dresser contre cette nouvelle secte, qui, en bien des points, était fidèle à sa propre tradition.
Durant les siècles qui suivirent la mort du Bouddha, sa parole trouva un écho très favorable chez les castes nobles comme les kshatriyas et les vaishyas car celles-ci étaient barrées dans leur quête de la sérénité par une caste brahmanique qui se considérait comme l'unique dépositaire du culte, et donc de ses mystères.
Après le passage d'Alexandre le Grand, l'empire fédérateur des Maurya (-321 à 187 apr. J.-C.), inspiré des méthodes politiques d'Alexandre, domine l'Inde et fédère autour de lui des conglomérats de royaumes alliés, ce qui ne s’était encore jamais vu depuis la civilisation de l'Indus. Sous le règne des Gupta (320 à 600 apr. J.-C.), l'Inde du Nord vit deux siècles de paix totale et de prospérité. Au fil du temps et en fonction des rois qui se convertirent, les royaumes hindous devinrent bouddhistes. Le bouddhisme s'étend bientôt des prémices de la route de la soie aux îles de Sumatra et Java.
Le Bouddhisme a pu pénétrer l’Iran oriental dès le 2e siècle avant notre ère, c’est-à-dire dès que les Gréco-Bactriens, en descendant dans les régions indiennes, eurent ouvert une voie de civilisation de l’Indus à l’Oxus. En fait, au 1er siècle avant notre ère, il était établi en Bactriane. Alexandre Polyhistor, qui écrit vers l’an 80-60 avant le Christ, donne aux prêtres de la Bactriane le nom de Samanéens (Samanaioi) : c’est le nom vulgaire des prêtres bouddhiques. Samana, altération palie et bouddhique du Shramana brahmanique ; c’est déjà le Shaman de la littérature postérieure, destiné à une telle fortune dans toute l’Asie centrale. Le Bouddhisme, une fois installé dans ces régions, devait y subsister longtemps : il n’en fut extirpé que par l’Islam.
Le plus célèbre d'entre les rois Gupta fut l'empereur Maurya Ashoka, qui se convertit au bouddhisme vers -250, après trente ans de guerres sanguinaires. Le choix d'Ashoka se portant sur le bouddhisme n’entraîna cependant pas de persécutions hindoues ou jaïnes. Ashoka, plein de zèle, fera ériger aux quatre coins de son empire des stèles faisant l'apologie de la philosophie bouddhiste, non violente et avant tout centrée sur le respect de la vie, de l'ordre établi, et de la paix. Ces édits seront rédigés non seulement en sanskrit dans la vallée du Gange, mais aussi en grec et en araméen dans les régions les plus occidentales de l'empire, comme la Bactriane où sont installées de nombreuses colonies grecques, mais aussi levantines. L'édit numéro un d'Ashoka, datant de -260 et retrouvé aux alentours de Kandahar est un de ces textes. Gravé sur un large rocher et rédigé en version grecque et araméenne, il aborde des thèmes tout à fait bouddhistes :
« Au bout de dix ans de règne, le roi Ashoka
Fit instruire les gens dans la piété,
Et comme il les a rendus plus pieux,
Tout prospère à présent dans chaque province.
Le roi s'abstint de faire mourir les animaux,
Et d'autres gens, fussent des chasseurs ou des pêcheurs du roi,
Cessèrent leur chasse et leur pêche.
Et si certains intempérants commençaient,
Dans la mesure du possible, à s'abstenir de
L’intempérance et à obéir à leur père et mère et aux aînés,
En dépit du passé, pour l'avenir,
En agissant conformément à tout cela,
Leur vie deviendrait meilleure et plus belle. »
À l'image des autres royaumes bouddhistes, l'empire d'Ashoka se disloqua très vite après sa mort. Le brahmanisme, né de la réforme du védisme, reprit alors son rôle de religion fédératrice du sous-continent. De sorte que, quand au début de notre ère (v. 50) les Kushans venus du nord du sous-continent firent la conquête de l'Inde du Nord et s’y installèrent, ils adoptèrent très vite non pas le bouddhisme, mais la religion locale brahmanique-shivaïte, tout en tolérant que perdurent les autres sectes qui s'étaient construites sur ses bases, comme le jaïnisme ou le bouddhisme.
Après la mort d'Ashoka, l'attrait pour le bouddhisme reflue des plaines du sous-continent pour dépasser les Himalayas et s'installer sur ce qui allait devenir la route de la soie, de la Bactriane (Afghanistan actuel) au bassin du Tarim, dans la province chinoise actuelle du Xinjiang. La civilisation du Gandhara sera aussi la terre de prédilection du bouddhisme, qui se mélange alors avec la mythologie grecque en faisant intervenir dans la vie légendaire du Bouddha des figures comme Zeus ou Héraclès. Certaines traditions bouddhistes, comme celle du Mahayana, considèrent même un roi grec de Bactriane, Ménandre (Milinda), comme un des trois grands protecteurs du bouddhisme, au même titre qu'Ashoka.
Le Milindapanha, dont le rayonnement n'a probablement pas dépassé les pays voisins de l'Inde, nous montre clairement une élite grecque parfaitement au courant de la pensée bouddhique. Nous y voyons en effet le roi Milinda (Ménandre) s'entretenir avec le moine Nagasena des éléments fondamentaux de cette religion comme par exemple la cessation de la douleur, le nirvana et éprouver quelques difficultés à admettre la négation de l'existence du « moi ». Nagasena en disant son nom, ajoute : « c'est là seulement une appellation, une notion vulgaire, une expression courante, un simple nom : il n'y a pas là-dessous d'individu ».
Cependant, les Grecs du Gandhara ne se convertirent jamais en masse au bouddhisme et encore moins au brahmanisme. Et de même, les Indiens ne firent que peu de cas des Grecs, même si leur influence fut certaine et notable.
On sait que les contacts avec le monde gréco-romain ont laissé des traces dans le monde indien : ainsi, dans le Mahabharata, les villes de Rome et d'Antioche sont nommées (II, 28, 49 : en ce passage, les cinq Pandava conquièrent le monde ; Sahadeva s'empare du Sud de l'Inde et de Rome et d'Antioche, que l'on met donc au sud du monde), des termes grecs sont empruntés (par exemple surunga (tunnel, passage secret) proviendrait de syrinx en grec (flûte). Pour désigner les grecs le mot de Yavana (Ionien) existe, même si l'on sait que ce terme est générique et peut s'appliquer à des Scythes, des Perses, des peuples barbares. Mais de l'avis de tous l'influence grecque s'observe dans l'astronomie et le théâtre (le terme de yavana y sert à désigner le rideau).
La culture gréco-bouddhiste, encore trop méconnue de nos jours, dura tout de même 800 ans, et s’étala des plateaux baloutches jusqu'au sommet du Pamir. Mais à la suite du départ des Grecs de Bactriane et du Gandhara, chassée au début du premier millénaire de notre ère par les Huns, les Turcs et les Perses, cette civilisation s'oublia bien vite.
La statue grecque hâtivement imitée par les premiers sculpteurs fut aussi vite oubliée qu’apprise. L’élégance inquiétante des œuvres qu’elle inspira n’était que le prélude aux revanches prochaines d’une sensualité impossible à contenir : l’Inde, un moment séduite par tant de grâce et de raison y réservait son immense domaine dans le sourire errant des bouches, la flamme étouffée, l’énervement, l’ascétique maigreur des corps. La colonne pure qui soutenait les frontons lumineux sur toutes les acropoles d’Occident et que le nord de l’Inde introduisit jusque dans le sud avec le prosélytisme religieux, alla se noyer dans le pullulement démesuré des forêts de pierre vivantes.
Quelques siècles après la mort du Bouddha, un mouvement réformateur, le Theravada, propose de retrouver la parole et la voix la plus pure du Bouddha. Pour cela, des textes sont écrits, compilés, classés, afin de proposer une version plus conservatrice et rigoriste des traditions qui suivirent la mort du Bouddha. La langue utilisée est alors le palit, un dérivé du sanskrit. Ces anthologies de textes sont les Cannons palits, dont l'autorité est aujourd'hui encore reconnue en Indochine.
Le bouddhisme suivit alors la vallée de l'Indus, rejoignit ses sources et s'installa pacifiquement en Gandhara, Sogdiane et Bactriane, pays à partir desquels le bouddhisme put se diffuser vers l'est, la Mongolie et la Chine, et vers l'ouest et le Caucase.
C'est en Asie centrale que le bouddhisme s'ancre le plus durablement et influence particulièrement les sociétés qui l’accueillent. Autour du désert du Taklamakan, que doivent contourner les caravanes venues du Moyen-Orient pour rejoindre la Chine, les villes de Kashgar, Khotan et Hami figurent comme les plus prospères étapes de la route de la soie naissante. Mieux, il s'agit des places les plus sûres et les plus sécurisées.
Au début du 3e siècle de notre ère, les Vedas et les Upanishads sont traduits en Chinois, puis sont importés au Japon, où ils connaîtront un grand succès et influenceront durablement la culture locale. Le bouddhisme suit alors l'hindouisme et colonise culturellement l'Asie tout entière.
De -126 à 500 après J.-C., le royaume bouddhiste et indo-européen de Shanshan, et de 56 à 1006 (une période incroyablement longue pour une cité-état indépendante) le royaume bouddhiste et indo-européen de Khotan, firent du bassin de Turpan l'un des centres internationaux du bouddhisme. Des caravansérails et des écuries sont alors installés dans des grottes, de même que des dortoirs que l'on met à disposition des voyageurs (comme à Dunhang, dans le site des grottes des mille Bouddhas, en activité de 400 à 1000 après J.-C.) Aux murs de ces grottes sont peintes des fresques représentant la vie du Bouddha. À chaque passage, les caravaniers laissaient un pourboire plus ou moins élevé, ce qui permettait aux congrégations de moines de vivre de leurs passages et de diffuser leur doctrine au-delà du désert et des murailles de roches qui les entouraient.
Depuis ce creuset géographique, situé entre la Sibérie, l’Himalaya et le Taklamakan, le bouddhisme va ensuite rayonner jusqu'en Chine, en Corée et au Japon, où il inspirera les doctrines Tao et Zen, et influencera le shintoïsme. En 300 de notre ère, toute la Chine est soumise à l'influence bouddhiste. Cette doctrine, ainsi que les Vedas, grâce à leur traduction, pénètrent le Japon et se mélangent aux croyances locales. Ganesh, le Vinayaki des Tamouls, devient alors Kangiten et Shiva devient Daikokuten.
Au Vietnam, la fédération de Champa qui elle aussi fut incroyablement stable en perdurant presque deux millénaires (192 à 1832), adopte l'hindouisme d'abord, puis le bouddhisme à partir de 978.
Au début du second millénaire, le bouddhisme s'est installé dans les plaines eurasiennes, de même que dans le Caucase. Des rives de la mer Noire à celle de la mer de Chine, le bouddhisme est pour quelques siècles une des religions les plus présentes et les plus importantes.
Vers le milieu du premier millénaire de notre ère, la progression du bouddhisme marque un frein à l'ouest. En 500, la Sogdiane n'est plus bouddhiste, en 700 c'est l’Afghanistan qui s'islamise de même que toutes les peuplades turques d'Asie centrale, comme les Kazakhs, les Ouïgours et les Mongols. À l'est, par contre, le bouddhisme continue de séduire, bien qu'il ait été pour toujours relégué au rang de secte dans le sous-continent. En Indochine, le Dvaravati (500 à 1000), est un royaume bouddhiste, de même que celui des Khmers. Tous ces peuples resteront jusqu'à nos jours fidèles au bouddhisme.
En Indonésie, le royaume de Kalingga (600) à Java, l'empire de Srivijava (600 à 1200) et les congrégations bouddhistes à Bali, assurent la bonne santé de la doctrine du Bouddha. Vers 800 est construit le temple de Borobudur à Java.
Bien que largement présent aux quatre coins de l'Asie, le bouddhisme décline tout à fait en Inde. Dans un dernier mouvement d'expansion, il s'installe au Tibet, où il se mélange avec la culture bön et le lamaïsme. Dans la vallée du Gange et dans l'ensemble du sous-continent indien, le bouddhisme a disparu, tombé en désuétude. En 1050, il n'y avait pour ainsi dire plus de bouddhistes en Inde.
Que dura le bouddhisme aux Indes ? Sept ou huit siècles peut-être, une heure dans la vie de ces multitudes dont l’évolution historique dans le passé et l’avenir paraît aussi infinie et confuse que leur pullulation dans l’étendue. L’Inde, insensiblement, revint aux dieux védiques, le brahmane, appuyé sur le prince, reconstruisit la pyramide sociale et balaya de la terre des hommes l’espoir du paradis. Le bouddhisme se réfugia dans l’âme de quelques cénobites, et, par delà les frontières de l’Inde, alla conquérir l’Asie. Ainsi le christianisme, né de l’idéal sémitique, devait vaincre tout l’Occident, sauf les Hébreux. Une révolution ne conquiert pas l’instinct fondamental du milieu qui l’a provoquée.
Le haut plateau tibétain qui s’ouvre alors au bouddhisme est sous la domination d'un clergé, les lamas. Le Livre tibétain des morts, le Bardo Todol est consigné en 1400.
Durant plus d'un millénaire, le Tibet restera un territoire interdit, où tout voyageur qui ne serait pas invité par les lamas était immédiatement mis à mort. Le commerce y fut soit interdit, soit très fortement réglementé et à part quelques caravanes envoyées par l'Empire du Milieu, nul n'y passait. Il y fait extrêmement froid, les glaciers, l'altitude, l'aridité et la sécheresse de l'environnement empêchaient toute installation permanente. Pauvre en richesses naturelles, que les conditions climatiques empêchaient d'exploiter, le Tibet n’intéressa pas les envahisseurs, qui dévasteront l'Iran, l'Inde, la Chine, mais ne s'aventureront pas aussi haut, sachant ne rien y trouver.
Au début du second millénaire, les invasions musulmanes en Asie centrale et l'influence de l'islam en Indonésie, auront raison du bouddhisme, qui se voit rayé de la carte en quelques siècles. Aujourd'hui, les derniers pays à majorité bouddhiste sont concentrés en Indochine, il s'agit de la Birmanie, du Laos, du Cambodge et du Vietnam. La Mongolie, le Bhoutan et le Sri Lanka sont d'autres pays enclavés ou insulaires dont la majorité de la population est bouddhiste.
Où le bouddhisme ne règne pas comme religion dominante, il est victime de persécutions. En Chine communiste, il est interdit, puis rendu à l'état de curiosité culturelle, tandis que dans le monde musulman, on s'évertue encore à effacer son ancestrale présence.
En mars 2001, selon la doctrine islamique condamnant la représentation humaine, les talibans détruisent les bouddhas de Bamiyan après un mois de bombardement d'artillerie. Il s'agissait du plus beau vestige qu'avait laissé le bouddhisme en Asie centrale : des statues de 35 et 53 mètres de haut, gravées dans la roche et jadis peintes avec brillance.
Même suite au départ des talibans et malgré de nombreuses propositions récentes de reconstruction financées entièrement par des fonds étrangers, l’Afghanistan refusera à chaque fois de donner suite à ces offres, étant donné qu'il est impensable qu'un État musulman favorise la reconstruction d'un monument hérité du passé préislamique, et donc considéré comme barbare et idolâtre. Au contraire, en 2015, alors que les talibans ne sont officiellement plus au pouvoir et que le pays entame une ouverture libérale, une mosquée et une école coranique sont construites sur les lieux des statues, afin que plus rien ne subsiste, pas même le vide, de ce qu'avait pu être l’Afghanistan d'avant les conquêtes arabo-turques.
La plupart des zones bouddhistes historiques, comme l’Afghanistan, les îles indonésiennes et malaises, ont donc été nettoyées ethniquement et culturellement depuis mille ans pour que n'y subsiste plus que l'islam. Le culte de Bouddha, jadis largement diffusé tout à travers l'Asie, se fait donc aujourd'hui plus rare. La Chine communiste, le déclin de l'Empire japonais et la christianisation de la Corée n'ont pas favorisé la perpétuation de la tradition bouddhiste en Asie du Nord-Est.
De nos jours, le bouddhisme représente une part négligeable de l'immense population indienne : 0,8 % de la population totale, soit tout de même 8,4 millions d'adeptes. À l'échelle mondiale, les bouddhistes indiens ne représentent que 1,5 % de la population bouddhiste totale.
7,3 millions des bouddhistes indiens sur les 8,4 que compte sa population nationale totale, sont des dalits (Intouchables) convertis et donc très peu considérés socialement et ne possédant aucun point politique. La plupart sont originaires du Maharashtra (6,5 millions), où se convertirent de nombreuses familles lors de la vague de renouveau bouddhiste initié au milieu du 20e siècle par B. R. Ambedkar.
Les autres communautés bouddhistes sont de races sino-tibétaines et habitent sur les contreforts de l’Himalaya. Elles sont peu nombreuses, peu développées et relativement coupées du reste de l'Inde, comme au Sikkim où elles représentent 27 % de la population, en Arunachal Pradesh (12 %), ou au Ladakh. Dans ces États, les populations bouddhistes habitent plutôt les villages d'altitude, tandis que les hindous occupent les villes et les vallées.
La communauté tibétaine est particulièrement présente en Inde. Des réseaux de passeurs acheminent chaque année des centaines de Tibétains qui font le choix de quitter leur pays occupé pour intégrer une des nombreuses colonies tibétaines du sous-continent indien. Depuis les années 1960, l'obtention des permis de séjour pour fuir la dictature chinoise leur est même facilitée.
Les plus importantes communautés de la diaspora tibétaine sont à Delhi, à Bodhgaya (qui connut longtemps un camp de réfugiés) et bien sûr à Dharamshala, la ville de l'Himalaya où vit le Dalaï-Lama et où siège le gouvernement du Tibet en exile depuis 1960, à la suite de l'invasion chinoise de 1950.
Vu d'Inde, à part durant quelques siècles avant notre ère, le bouddhisme n'a jamais été autre chose qu'une énième doctrine anti-dévique. S’opposant frontalement au brahmanisme, le bouddhisme tomba vite en désuétude. Contrairement au jaïnisme, qui prônait un ascétisme élitiste et seulement réservé aux hommes en fin de vie, donc ne s'opposant pas à la famille ni à la prospérité, la doctrine du Bouddha proposait pour tous, et donc les laïcs aussi, une philosophie du renoncement total et immédiat.
Si une telle doctrine fanatique ne prit pas en Inde, elle se transforma, devint un culte à totem et sut charmer les Tibétains. Il faudrait alors citer Milarépa (v. 1100), adoré de nos jours par 6 millions de Tibétains. Milarépa est le héros, le sage et le fondateur de l'entité culturelle et théologique tibétaine. Tsongkhapa (1357 - 1419) est le fondateur de la secte guéloukpa, connue sous le nom de « secte des bonnets jaunes ». Un à six millions de Tibétains le vénèrent aujourd'hui.
Emmené dans les bagages des shivaïtes tamoules, le bouddhisme saura prendre ancrage en Indochine et en Indonésie. Mais ce n'est que des milliers d'années après la mort du Bouddha, que l'Occident eut la chance d'entendre parler du Shakyamouni. Depuis, il semble évident que sa doctrine est bien plus populaire en Occident que n'importe laquelle des nombreuses doctrines typiquement indiennes, y compris le vedanta, le tantrisme ou même le yoga classique.
Bodhidharma (v. 500), le moine indien qui prêcha en Chine fut le premier instigateur de la doctrine subversive du Zen. Reprise plus tard par Dogen (1200 - 1253) :
Selon la tradition, le zen eut comme premier maître Bodhidharma venu de Ceylan, au début du 6e siècle, et qui initia son célèbre disciple chinois Eka. De Chine, où il s'implanta à travers une lignée de patriarches le zen devait gagner le Japon. Il y colorera tout un art de vivre : l'art des jardins de méditation, des bouquets, du thé, le tir à l'arc, le judo, relèvent d'influences zen.
Le zen, né en Chine sur les bases du confucianisme et du bouddhisme, ne propose donc pas à l'homme d'atteindre le bonheur par la méditation transcendantale ou l'ascétisme, mais par la parfaite conscience de chacun de ses gestes, même les plus simples. Le zen ne propose donc aucun autre mystère que celui de « boire le thé » en toute intelligence, c’est-à-dire en savourant ce qui peut être savouré, tout en magnifiant l'instant. Les principaux maîtres du zen, à l'image du plus grand d'entre eux, Maître Dogen, étaient des vagabonds et des irrévérencieux, qui pouvaient jouir d'orgie, de vin, voire de rapine, et des plus simples plaisirs, comme, justement, de boire le thé. En cela la représentation du Bouddha, gros et riant aux éclats, ne peut que parfaitement convenir à la culture jouissive chinoise.
Les deux plus grands maître du zen donnèrent une définition de leur doctrine. Citons ainsi Bodhidharma :
Si vous cherchez le Bouddha, vous devez voir en votre propre Nature, car cette Nature est le Bouddha lui-même. Si vous n'avez pas vu en votre propre Nature, à quoi sert-il de penser au Bouddha, de réciter les sutras, d'observer un jeûne ou de suivre les préceptes ? Le Bouddha est votre propre Esprit, ne commettez pas la faute de vous prosterner devant les Objets extérieurs. « Bouddha » est un terme indien, qui signifie « nature illuminée ». Par « illuminée » on entend « spirituellement illuminée ». Cette Nature est l'Esprit, et l'Esprit est le Bouddha, et le Bouddha est la Voie, et la Voie est le zen [...] Voir directement dans sa Nature originelle, voilà ce qu'est le zen.
Et Maître Dogen :
Apprendre le Zen, c'est nous trouver. Nous trouver c'est nous oublier. Nous oublier, c'est trouver la nature de Bouddha. Notre nature originelle.
Depuis les premières traductions des sutras qui se diffusèrent sur la route de la soie, les religions dharmiques ne cessèrent d'inspirer les maîtres chinois ou coréens. C'est ainsi que Li Hongzhi (né en 1951), le fondateur du Falun Gong (10 à 60 millions de pratiquants) doit être considéré comme un héritier de la pratique du zen, donc du bouddhisme.
Tout comme les fondateurs de cultes coréens et chinois, le Vietnamien Ngo Van Chieu (5 millions de fidèles) s'inspira lui aussi du bouddhisme. Citons pour les mêmes raisons Ch'oe Che-u et Son Pyong-Hi, les fondateurs du Donghak, la religion nationale coréenne (qui est une sorte de syncrétisme abrahamique, dharmique et local). Ce courant donnera naissance au cheondoisme et au suungyo, suivis de nos jours par 8 millions de Coréens. Citons aussi Gang II Sun et Cha Gyeong-seok, des sectes schismatiques et apparentées au jeungsanisme et du bocheonisme (2 millions de fidèles dans les deux Corées).
En Inde, le récent renouveau du bouddhisme est marqué par la personnalité de Bimrao Ramji Ambedkar (1894-1947), converti au bouddhisme et fondateur du courant navayana (« Nouveau Véhicule »). Prônant l'absolu rejet des castes et de l'héritage aryen védique, ce mouvement est à la fois religieux et social, et compte dans ses rangs plus de 7,3 millions d'anciens parias.
Une fois réformée et adaptée aux critiques du jaïnisme et du bouddhisme, c'est-à-dire une fois que le védisme a entamé sa mue vers l'hindouisme, la spiritualité aryenne s'imposa une nouvelle fois comme la plus populaire du sous-continent.
« C’est du fond même de la nature indienne que le mysticisme matérialiste était remonté lentement pour étouffer tous les désirs d’humanité suscités par le bouddhisme. Les temples dont les foules néophytes avaient semé le sol de l’Inde les ramenaient, pierre par pierre, à subir de nouveau la ritualisation des croyances primitives qui ne cessaient pas de constituer la source de leurs émotions. Le monument bouddhique proprement dit a presque disparu de l’Inde. […] Qu’importait aux foules de l’Inde ? Il leur fallait des formes à aimer. Les brahmanes n’eurent aucune peine à vaincre. […] Un seul temple bouddhique fut-il détruit ? Un seul fidèle persécuté ? Peut-être non. Aux Indes, l’esprit religieux domine le dogme. Une marée monte après une marée et dépose sur le rivage des algues, des coquillages, des cadavres nouveaux, de nouvelles vies palpitantes. Tout se mêle et se confond, le brahmane officie dans les temples bouddhiques, vénère la statue de Shakyamouni aussi bien que celles de Shiva, de Brahma, de Vishnou. Tel temple souterrain commencé aux tout premiers temps du Bouddhisme, on le creuse encore quand les Tartares, après les Persans et les Arabes, ont imposé l’Islam à la moitié des Indiens. » É. Faure, op. cit.
De -500 à 200 apr. J.-C., sont rédigés dans leur version définitive la Bhagavad Gita et les épopées du Ramayana et du Mahabharata, le plus long texte sacré du monde, représentant une épaisseur plusieurs fois supérieure à celle de la Torah et du Talmud réunis et qui ne fut traduit pour la première fois en anglais qu'à la fin du 19e siècle.
Sous la forme de fables, contes et légendes, ces récits que l'on pourrait rapprocher des œuvres homériques, permettront à la sagesse védique de pénétrer dans les consciences des plus humbles des habitants du sous-continent. Loin de ne se limiter qu'à l’univers brahmanique et aryen, les épopées de Rama et Krishna s'adressent à un très large public, et peuvent se décliner sous la forme du traité, du dialogue philosophique, ou encore d'une poésie, d'un conte ou d'une danse. Ces épopées seront la base de toute création indienne durant le Moyen-Âge de cette nation.
Les dieux élémentaires des Vedas, comme Varuna (l'océan), Indra (la foudre), Chandra (la Lune), ou Agni (le feu), disparurent du culte au profit de figures tutélaires plus anthropomorphiques, qui descendent sur Terre sous la forme d'avatars afin de sauver le monde et de témoigner aux hommes de la Loi Juste (Sanatana Dharma). Vishnou s'incarne donc en Krishna, en Rama, et en une multitude de héros qui peuplent chacun des contes du sous-continent.
Il arrive même que des avatars de Vishnou se rencontrent, car Vishnou est en toute chose, comme toute chose est en lui. Ainsi, dans le Ramayana, Rama, le 7e avatar de Vishnou, rencontre Parashurama, le 6e avatar (par ailleurs immortel et éternel résidant de la Terre) :
« Parashurama était armé de l'arc de Vishnou, et en menaçait Rama. Celui-ci se prosterna alors devant lui et l'honora en tant que rishi. Puis, d'un clignement de paupière, l'arc de Vishnou quitta les mains de Parashurama pour rejoindre les siennes, laissant son aîné désarmé et sans défense. C'est alors qu'il plaça une flèche dans la corde et qu'il banda l'arc pour en viser le cœur de Parashurama, qui n'avait encore jamais approché la mort d'aussi près. Il émanait alors de Rama une telle lumière, que Parashurama demeura tétanisé devant lui, réalisant que celui qui avait cassé l'arc de Shiva n'était autre qu'une nouvelle incarnation de Vishnou venue le remplacer dans la lutte contre les forces du Mal. « Que veux-tu que je fasse avec cette flèche, vénérable rishi ? » dit alors Rama à Parashurama. Comprenant qu'il avait en face de lui sa propre réincarnation, Parashurama se prosterna aux pieds de Rama et lui dit : « Tout le bien que mes pénitences ont pu jamais m'obtenir, je te les donne en offrande, ô Rama ! » Rama le releva, puis le serra dans ses bras et les deux hommes se séparèrent en amis. Parashurama, ayant ainsi reconnu Vishnou en Rama, comme il avait jadis reconnu Vishnou en lui-même, s'en retourna l'esprit serein, vers son ashram forestier. » Récit inspiré du Ramayana.
Quant à Vishnou lui-même, il est l'agent actif de l'Univers, ainsi que nous l'enseigne la Bhagavad Gita (3).
C'est Krishna qui parle :
Moi-même, Arjuna, je n’ai rien à faire dans les trois mondes, je ne veux ni n'espère rien de plus ; et pourtant, je suis à l’œuvre. Car si je ne montrais une activité infatigable, tous ces hommes qui me suivent périraient. Si je ne faisais mon œuvre, je créerais un chaos, et je détruirais ces générations.
Cette idée qu'il existe un seul principe divin mais qui s'exprime de plusieurs manifestations semble typiquement indienne et il n'y a plus qu'en Inde que cette opinion est reprise de nos jours. Mais cette intuition n'est pas exacte, car on retrouve ce même concept décrit dans des termes tout à fait semblables en Occident, et même en Afrique du nord. Apulée, philosophe berbère de langue et de culture latine, s'exprime ainsi à la fin de son traité sur la description du monde :
« Bien que Dieu soit unique, il est appelé de plusieurs noms, à cause de la multiplicité de ses attributs, qui font en quelque sorte de lui autant d'êtres divers. Considéré comme protecteur, il est appelé Jupiter ; comme source de toute vie, les Grecs l'appellent très justement Zeus ; ceux-ci appellent pareillement Saturne, fils de Cronos, ou, à peu de chose près, de Chronos, c'est-à-dire « être qui n'a pas eu de commencement et qui n'aura pas de fin ». Dieu est encore appelé Fulgurator, Tonitrualis, Fulminator, Imbricitor, Serenator (dieu de l'éclair, du tonnerre, de la foudre, de la pluie, de la sérénité). Plusieurs l'appellent Frugifer (qui fertilise) ; d'autres, Gardien de la ville ; d'autres Hospitalier et Amical : on lui donne ainsi les noms de tous les sentiments qui sont des devoirs. Il est encore Jupiter Belliqueux, Triomphateur, Conquérant, Porte-Trophée ; enfin, vous trouverez une foule d'appellations de ce genre dans l'ancien langage et dans celui des haruspices. » Du Monde, 37.
En philosophe initié et occultiste, Apulée cite alors Orphée. La définition de Dieu par le maître spirituel thrace est en tout point semblable à l'enseignement de la Bhagavad Gita :
Principe et fin de tout, tête et centre du monde, partout est Jupiter : c'est la foudre qui gronde, c'est l'axe de la terre et le pivot des deux, c'est l'homme au regard fier, c'est la vierge aux doux yeux, c'est tout feu qui jaillit, tout souffle qui respire, c'est la base des flots et de l'humide empire, c'est Phébus (Soleil), c'est sa sœur, au flambeau pâle et doux, c'est le maître, le roi, c'est le père de tous, c'est lui qui cache tout, lui qui fait tout paraître. Et sa tête contient les germes de chaque être.
Ailleurs dans la même œuvre, dans sa prière à la Lune (L'Âne d'or, 11, 2, 1), Apulée évoque l'idée d'un seul et unique dieu mais doté de multiples facettes. En disciple d'Isis, qu'il appelle indistinctement Cérès ou Vénus, c'est donc en elle qu'Apulée reconnaît le principe initial de toute incarnation. Comme en Inde, où toutes les déesses se réduisent à 7, 5, puis 3 déesses initiales (Matrikas) et enfin une seule et unique énergie féminine céleste (Parashakti), Apulée convoque toutes les divinités féminines du panthéon méditerranéen pour leur assigner une seule identité : celle de la Lune, le pendant du soleil. On se trouve alors en présence du couple cosmique irréductible, composé du soleil et de la lune, du père et de la mère, du frère et de la sœur, les agents actifs et passifs de l'Univers.
Revenons à l'Inde et à ses bouleversements théologiques du premier millénaire avant notre ère. Rudra (« le rustre », en sanskrit), qui deviendra Shiva (« le doux »), prit lui aussi de l'importance durant cette période de l'Histoire indienne, qui fut marquée par la démocratisation du védisme et durant laquelle les brahmanes furent dépossédés de l'exclusivité du culte. Les membres des castes (varnas) inférieures se sont alors choisi des dieux à leur image, sombres et colériques, tel Bhairava, le Shiva à la peau noire, qui demande l’aumône en tenant au bout de ses mains un crâne contenant quelques grains de riz.
La Trinité sacrée, la « Trimurti » se crée alors. Elle est composée de Brahma le créateur, de Vishnou le préservateur et de Shiva le destructeur. Des déesses prennent place à leurs côtés ; ce sont respectivement Sarasvati, Lakshmi et Parvati. Dans certaines légendes, elles sont les épouses des dieux de la Trimurti, dans d'autres, elles sont leur incarnation féminine respective. Dans le shaktisme, elles sont leur inspiration, leur force et leur toute-puissance, telle la déesse Durga qui fut créée par la volonté de tous les dieux, et qui est armée de la massue, du disque cosmique, dont le lion est le trône et dont la force est sans limite.
Bousculées, les sociétés purement védiques disparaîtront pour donner naissance à l'hindouisme en tant que tel, c'est-à-dire une tradition religieuse ouverte à toutes les tendances mystiques du sous-continent, pour peu qu'elles respectent la Trimurti (Brahma, Vishnou, Shiva) et qu'elles soient soumises à l'autorité des Vedas (et donc des Upanishads). Ce qui émergera de cette nouvelle étape de l'hindouisme, ce sont les Puranas, ces recueils de récits mythologiques dont la portée est symbolique et morale.
Loin de disparaître, le védisme des brahmanes va perdurer en donnant naissance à certains des textes les plus fédérateurs et populaires de l'hindouisme, comme les Lois de Manu, dont la rigueur répond au nihilisme bouddhiste, ou les Yoga Sutras de Patanjali, qui répondent à une demande du public mystique de méditer au lieu de simplement consacrer des offrandes (les habitants du sous-continent souhaitant alors prier plutôt que de simplement réciter des mantras).
Ne pensez pas que les idoles ne sont composées que de pierre ou de bois, ne pensez pas que votre maître spirituel soit quelqu'un d'ordinaire... Ne considérez rien de ce qui à trait à notre Seigneur comme ordinaire.
Le védisme s'est réformé, afin de faire face aux conversions massives du bouddhisme. Aux temps védiques, un feu de camp suffisait à faire un autel, et seules quelques offrandes étaient offertes aux divinités élémentaires, auxquelles il ne s'agissait pas de plaire, ni de demander une requête, mais plutôt de faire l'effort de les comprendre et de leur faire une place dans la vie terrestre. Cependant, durant l'époque brahmanique, ces sincères adorations se pervertirent, jusqu'à devenir des débauches de rituels luxueux dont le ministère du culte tout comme son produit, étaient réservés aux brahmanes. Comme en témoigne le luxe fascinant mais ahurissant des sacrifices tel que le sacrifice royal du cheval (Ashvameda), le culte était devenu une affaire florissante. En réaction, les idoles furent une manière de retranscrire la philosophie animiste et panthéiste des Vedas à travers un langage qui pourrait être universellement compris, par les shudras comme par les kshatriyas, par les castes supérieures comme par les parias, sans passer par l'intermédiaire des brahmanes.
Les icônes et les idoles furent de parfaits vecteurs de culture et de morale dans une nation antique où l'analphabétisme touchait toute la population et où seuls quelques brahmanes connaissaient l'écriture et savaient lire les Vedas en vieux sanskrit, afin de les réciter à qui les rétribuait. Les idoles furent donc une tentative réussie de mettre fin à la mainmise des brahmanes sur une philosophie de vie vieille comme le monde.
Dans un effort magistral pour se réformer, la spiritualité indienne s'est transformée tout en restant fondamentalement la même. Les sacrifices, les offrandes, les pénitences et le poids du karma demeurèrent comme piliers essentiels des doctrines, mais à présent, des héros, des demi-dieux, des yogis légendaires, et de très nombreuses idoles remplacent sur les autels les dieux austères du védisme et du brahmanisme. C'est à ce prix, celui des idoles, que la tradition initiale, portée par le védisme, a survécu, en se démocratisant, en permettant aux shudras, aux parias et aux femmes de se retrouver dans un maillage de croyances qui leur permettaient de trouver une divinité et un culte à leur image et à leur mesure.
La représentation des dieux s'est alors standardisée. Des noms ont émergé, repris en chœur des hautes vallées du Cachemire à l'océan Indien : Brahma, Vishnou, Krishna, Shiva, Durga. Les idoles mettent alors en scène des dieux dont la représentation indique leur puissance. Un dieu à six bras possède souvent six armes aux bouts de chacun de ses bras, et chacune de ces armes représente un pouvoir, ou un aspect particulier de sa magnificence ou de sa puissance. Un dieu dansant signifie un mouvement de yogi, donc un état d'esprit ou un sentiment. De même, si une divinité possède plusieurs têtes, c'est qu'elle s'incarne dans plusieurs réalités, ou dans un espace-temps variable. Les trois têtes de Brahma (ou de Rudra) signifiant communément qu'il voit le passé, le présent et le futur, indiquant par là son rôle prépondérant et son caractère omniscient.
Les croyants de l'hindouisme, même les plus fervents, ne pensent pas que leurs dieux et déesses ressemblent à leurs idoles. Mais pour autant, ils pensent leurs idoles indispensables à leur perception et à leur compréhension d'une puissance divine. Les idoles hindoues ne sont donc pas des représentations des dieux, ce sont plutôt des efforts pour se faire une idée juste de leur existence et donc de leurs pouvoirs.
On trouvera très difficilement en Inde quelqu'un qui penserait qu’existe un dieu à huit bras, quelque part dans le cosmos, endormi sur un serpent infini. Ce que l'on trouve, ce sont au contraire des gens humbles, qui affirment sans honte qu'ils ne sont pas aptes à concevoir Dieu, mais que, sachant leurs limites, ils se consolent en aimant une représentation divine à leur image, anthropomorphique et inspirante.
En somme, si les adorateurs des monothéismes abrahamiques tremblent tant devant l'Infini, qu'ils en ont fait un tabou et déclaré impie sa représentation, les hindous au contraire, aiment Dieu d'un tel amour, qu'ils ne peuvent s'empêcher de le représenter d'un millier de manières différentes, sans pouvoir se résoudre à l'enfermer dans une case ni à lui donner une apparence unique ou définitive.
Dans la mythologie dravidienne, Shiva et Mayon (Vishnou) sont des dieux tout-puissants et omniscients dont les cultes distincts sont semblables à des monothéismes, car où Shiva est adoré, nulle autre divinité ne rivalise d'importance avec lui, et inversement, quand Vishnou est central, aucune autre divinité ne lui dispute sa puissance. Il existe trois traditions d'agamas (tradition littéraire mystique non-védique), celle de Shiva, celle de Vishnou et celle de Dévi-Amman, la Déesse mère.
Outre Shiva et Mayon-Vishnou, les Dravidiens adorent les fils de Shiva, Ayapan et Murugan, le dieu de la guerre nommé Skanda par les védiques, ainsi qu'Amman, la Déesse mère. Ayainar est aussi largement vénéré, il est le gardien des villages, mais son culte est absent du nord de l'Inde. De même, la figure féminine d’Amman est également absente de la mythologie védique, dont la principale déesse est Ushas (Aube), une divinité non pas secondaire, mais dotée d'attributs moins grandioses que ceux de la Déesse mère dravidienne.
La culture dravidienne a donc donné naissance aux deux tiers de la Trimurti, mais aussi au couple divin Shiva-Parvati, qui serait une adaptation védique du couple mère-fils, que composent Amman et Murugan. Cette union des divinités, l’une féminine et l’autre masculine servit de modèle au couple Shiva-Parvati, qui donnera lui-même naissance à la tradition de Shiva-Shakti.
À part pour la parèdre Brahma-Sarasvati, qui est une pure création védique, ce sont donc les couples de divinités dravidiennes qui serviront de modèles aux nombreuses parèdres de la mythologie hindoue comme Vishnou-Lakshmi, Ganesh-Ganeshi, Krishna-Radha, ou encore Rama-Sita.
Plus on cherche à opposer les cultures dravidiennes et aryennes, plus on se trouve dans l'incapacité de les différencier sans difficulté. Ainsi, si le Murugan dravidien semble apparenté au Skanda védique, car tous les deux sont les fils de Shiva et des dieux de la guerre, ils ne sont pas adorés de la même manière au nord ou au sud du pays. En pays dravidiens, Murugan est une divinité centrale, dont le culte est ancestral et dépasse parfois en popularité celui de Shiva ; tandis que Skanda, son correspondant nordique, est une divinité mineure et plutôt récente, son nom n’apparaissant pas une seule fois dans le Rig-Veda.
Valmiki, l'auteur du Ramayana, et Vyasa, l'auteur présumé du Mahabharata, sont deux personnalités dont l’origine dravidienne ne fait aucun doute pour les savants : Vyasa était un fils de pêcheur à la peau noire et Valmiki était un homme des bois, décrit comme un indigène, ce qui les présente tout à fait comme des Dravidiens. Pour autant, la tradition nous montre aussi Vyasa comme un brahmane, c’est-à-dire appartenant à la plus haute caste aryenne et Valmiki comme l'avatar du dieu védique de la création, Brahma.
Ainsi, Aryens et Dravidiens ne doivent pas être opposés, mais reliés, afin de comprendre que l'hindouisme est un creuset, un sillon (« sita » en sanskrit), où se sont mêlées toutes les tendances du sous-continent depuis plus de 4000 ans.
L'art aristocratique et plus abstrait du Nord, bien qu’on y puisse retrouver les traces des civilisations méditerranéennes, de la Chaldée et de l’Égypte à l’Europe féodale et néo-païenne, reste au fond aussi foncièrement indien que l’art des Dravidiens méridionaux .
Des interprétations du Ramayana ont pourtant été faites dans le sens d'un conflit ethnique entre Aryens du nord et Dravidiens du sud. Rama serait alors le représentant des Invasions Aryennes tandis que les rakshasas seraient les habitants autochtones de l'Inde, présents sur le territoire avant la supposée conquête aryenne. Cette théorie trouve plus d’écho dans la politique récente du sous-continent que dans la littérature indienne, car il est faux de penser que les Dravidiens furent les ennemis des Aryens.
Le Mahabharata fait remonter la naissance du peuple dravidien au conflit entre les sages Vashishte et Vishvamitra pour le contrôle de Kamadenyu, la vache céleste. Le peuple dravidien serait né de la vache céleste pour prendre part aux combats aux côtés de Vashishte. Or, Vashishte est le rishi attitré de la dynastie du soleil, le gourou personnel des rois d'Ayodhya dont Rama est l’un des plus illustres. De fait, le Mahabharata, né dans le même contexte culturel que le Ramayana, présente Dravidiens et Aryens comme alliés et non ennemis.
En outre, durant son exil, Rama est accueilli comme un ami et un précieux allié par le roi du peuple forestier des Nishadas, et plus tard par le peuple des singes. Les peuples rencontrés par Rama ne s'opposent pas à lui mais l’accompagnent dans sa quête. Seuls les rakshasas sont les ennemis de Rama et rien ne nous permet de penser qu'il s'agirait d'un peuple spécifiquement dravidien. Loin d'être à la tête d'une armée, c'est simplement accompagné de son frère Lakshman, que Rama déclare la guerre à l'empire de Ravana. Et si l'armée des singes aida Rama d'une manière décisive, elle resta soumise à son roi (Vali) et à son général (Hanuman). Rien ne permet donc d'affirmer que Rama est un champion aryen en campagne contre une Inde barbare qui serait l'Inde dravidienne.
Visnou et ses avatars
L'hindouisme est un terme anglophone auquel les Indiens eux-mêmes préfèrent celui de Sanatana Dharma, que l'on pourrait traduire comme « la tradition éternelle ». De tous les courants religieux dharmiques issus de la base culturelle védique, l’hindouisme est le plus populaire depuis deux mille ans. Il est lui-même composé de plusieurs courants. Par ordre d'importance démographique, ce sont le vishnavisme (fédérant les adeptes de Vishnou, Rama et Krishna), le shivaïsme (Shiva), le shaktisme (Dévi, Parvati Durga, Kali) et le tantrisme (Shiva, Shakti, Ganesh). L'immense majorité des hindous vivent de nos jours en Inde, mais avant l'islamisation de l'Asie centrale, ce culte comprenait des adeptes et des temples de Perse jusqu'en Chine continentale.
Quel que soit son courant doctrinaire, l'hindouisme n'est pas une religion prosélyte. Contrairement aux doctrines catholiques ou musulmanes qui leur accordent une place prépondérante, les notions d'universalité ou de baptême n'ont pas cours dans l'hindouisme, qui préfère les notions de devoir, de race, de caste et de famille. Le plus important pour un hindou n'étant pas de correspondre à un idéal illusoire de justice ou de bonté, mais plutôt d'être pleinement conscient de la place qu'il doit occuper sur Terre, et ainsi remplir sa tâche existentielle correctement (c'est-à-dire en accord avec le Dharma, qui est l'équilibre cosmique, la loi universelle).
traditions |
nombre d'adeptes |
hindouisme dans le monde |
1 100 000 000 |
hindouisme en Inde |
966 000 000 |
hindouisme aux États-Unis |
2 270 000 |
hindouisme en Australie |
440 300 |
hindouisme en France |
121 312 |
hindouisme à la Réunion |
45_000 |
hindouisme en Guyane française |
4_650 |
hindouisme hors Inde |
60 000 000 à 70 000 000 |
I.S.K.O.N aux États-Unis (« Hare Krishna ») |
50 000 à 100 000 |
Wikipedia (hindouisme dans le monde), Census of India 2011, US Public Religion Research Institute 2016, Australian census 2016, Wikipedia (hindouisme en France, dont Réunion), globalreligiousfutures.org (hindouisme en Guyane), Pew Research (hindouisme hors Inde), I.S.K.O.N et religionlink.com (I.S.K.O.N).
Si la religion védique se distingue nettement de l'hindouisme, ce dernier reprend cependant l'essentiel de la tradition védique, non pas tant au niveau du panthéon, que des concepts-clés, tels le Brahman, l'Atman, le Karma, la Moksha, etc. En effet, le védisme n'est pas un culte à idoles, ni à récits, mais plutôt un culte à rituels, où les dieux ne sont que les incarnations de forces élémentaires, tels le vent, le tonnerre, la pluie ou le feu. Les planètes jouent aussi un rôle important dans le Védisme, Surya, le soleil, et Chandra, la Lune, étant des divinités majeures, tandis qu'elles ne seront que très secondaires dans l'hindouisme classique.
Si le védisme n'est plus pratiqué de nos jours de la manière dont il l'était il y a 4000 ans, ses rituels sont encore très largement utilisés par les courants plus récents de l'hindouisme. Ainsi, le feu, les libations, les ablutions mais aussi les offrandes et les techniques de yoga, toutes ces pratiques sont l'héritage du védisme et du brahmanisme.
De nos jours, sur une population totale de 1,3 milliard d'Indiens, les pratiquants du strict védisme, brahmanes et locuteurs du sanskrit, comme première ou seconde langue, peuvent être estimés à moins de trois millions d'individus.
Culte de la déesse Mère dans le sud du pays, de Shiva pour les sectateurs du shivaïsme, ou de Vishnou-Krishna pour les vishnavites, la préférence envers une divinité comme unique source et raison d'être de l'Univers, est une des pratiques remettant le plus en cause la présentation de l'hindouisme en tant que polythéisme. Dans le cas du culte de la déesse Mère et de Krishna en particulier, l'hindouisme se rapprocherait même bien plus du monothéisme, dans le sens où une seule divinité est adorée, et est considérée comme seule responsable de tout ce qui fut, qui est et qui sera.
Nous voyons déjà dans les anciens hymnes, c’est-à-dire en 1500 avant J.-C., les premières traces de cette recherche inquiète d’un seul Dieu. Les dieux, quoique constituant des individualités distinctes, ne sont pas représentés comme limités par d’autres dieux, mais chaque dieu est, pendant un certain temps, implore comme le dieu suprême ; c’est une phase de la pensée religieuse que l’on a nommée hénothéisme, pour la distinguer du polythéisme ordinaire.
En Inde cependant, l'adoration prioritaire, voire exclusive d'un dieu n’entraîne pas l'interdiction, pour soi ou pour autrui, de croire ou de prier d'autres divinités. De plus, il n'existe en Inde ni interdiction ni tabou concernant la représentation du divin, et donc, tout en pensant qu'il n'existe qu'une seule et unique source à l'Univers, les hindous sont tout à fait autorisés à imaginer un maximum de représentations, afin de s'en faire une idée juste et familière. S'il doit exister une ségrégation dans le choix des divinités, celle-ci se fait à l'échelle individuelle et de caste, mais ne s'applique pas de manière universelle à la collectivité.
Le chapitre 7 de la Bhagavad Gita est très clair sur le sujet ; derrière un polythéisme d'apparat, qui est d'ailleurs déploré, le vishnavisme est un monothéisme assumé et revendiqué :
« Ceux dont l’intelligence est en proie aux désirs se tournent vers d’autres divinités ; ils suivent chacun son culte, enchaînés qu’ils sont par leur propre nature. Pourtant, quelle que soit la divinité à laquelle un homme offre son culte, j’affermis sa foi en ce dieu. Tout plein de sa croyance, un tel homme s’efforce de servir son déva, obtenant ainsi de lui les biens qu’il désire… Mais c'est moi qui en suis le distributeur. Mais leur récompense est limitée, car en s'adonnant aux dévas ils prennent leur chemin et ne se dirigent pas vers moi, qui pourrais leur offrir bien plus.
Les ignorants me croient visible, moi qui suis invisible : c’est parce qu’ils ne connaissent pas ma nature supérieure, inaltérable et suprême. Je ne me manifeste pas à tous, enveloppé que je suis dans l'illusion que le yoga dissipe. Le monde plein de trouble ne me connaît pas, moi qui suis exempt de naissance et de destruction.
Je connais les êtres passés et présents, Arjuna, et ceux qui seront ; mais nul d’eux ne me connaît. Par le trouble d’esprit qu’engendrent les désirs et les aversions, tous les vivants en ce monde courent à l’erreur.
Ceux qui, par la pureté de leurs actes, ont effacé leurs péchés et ont échappé au trouble de l’erreur pour m'adorer avec persévérance, ceux-là peuvent se réfugier en moi et chercher en moi la délivrance de la vieillesse et de la mort. Ils connaissent Dieu, l’Âme suprême, et l’Acte dans sa plénitude. Ils savent que je suis le Premier Être, la Divinité Première, et le Premier Sacrifice, ceux-là, au jour même du départ, unis à moi par la pensée, ne m'oublient pas. » Bhagavad Gita, 7.
Les mêmes idées sont exprimées dans le payiram du Tirumantiram de Tirumular :
Tout d'abord il y eut donc l'unité. Puis le 3, le 5, le 9, puis le zénith et la Terre. Ceci établi, le tissu de l'existence s'est alors déployé sur l'Univers comme la toile d'une tente. Mais en vérité il n'y a qu'une seule et même entité, dotée de plusieurs noms, dont le plus glorieux est Shankara, « le tout puissant. » Ainsi, le Grand Créateur est-il un ? Est-il multiple ? Est-il seul ? Sont-ils trois ? En vérité, c'est la division qui permet à l'univers de se propager. Dès les premiers instants de la création, la lumière s'est divisée en trois flammes, puis en cinq. Il est donc tout à fait inutile de perdre son temps à deviser dans quel ordre Shiva, Vishnou et Brahma doivent être ordonnés et honorés.
Il ne s'agit pas véritablement d'un polythéisme, ni d'un culte à rituel, comme pouvait l'être le védisme, mais simplement d'un chemin spirituel non dogmatique :
« Il est vrai que Dieu peut se manifester à ses dévots dans des formes variées. Mais il est pareillement vrai encore que Dieu est sans forme. Il est l'Indivisible (Satchitananda) : Existence-Connaissance-Félicité-Absolue. Il a été décrit dans les Vedas à la fois sans forme et pouvant prendre forme. Il est décrit également avec des attributs ou sans attributs. Comprenez-vous ce que je veux dire ? Satchitananda est comme un Océan infini. Le froid intense transforme l'eau en glace qui flotte sur l'eau en blocs de différentes formes. De la même manière, sous l'influence de la bhakti (amour) on peut apercevoir des formes de Dieu dans l'Océan de l'Absolu. Ces formes ont une signification pour les passionnés de Dieu. Mais quand le soleil de la Connaissance se lève, la glace fond, elle redevient de l'eau comme auparavant. L'eau par-dessus, l'eau par-dessous, partout c'est la même eau. » Ramakrishna, dans S. Lemaitre, Ramakrishna et la vitalité de l'hindouisme.
À la grande différence du védisme, du bouddhisme ou du jaïnisme, l'hindouisme prétend qu'il est possible de rejoindre Dieu dans sa félicité éternelle. La véritable connaissance de Dieu, qu'il soit Shiva ou Vishnou-Krishna, devient alors le Brahman lui-même. Cependant, et c'est là la puissance de l'hindouisme, si Dieu est accessible, la doctrine enseigne aussi qu'il existe différents chemins pour le rejoindre.
« Dieu est sur le toit. Il s'agit d'y grimper. Les uns prennent une échelle, les autres une corde, ou un escalier de pierre, une perche en bambou, d'autres escaladent à leur manière. Ce qu'il faut c'est arriver sur le toit. Peu importe que vous ayez choisi telle ou telle voie. Ce qu'il ne faut pas c'est employer à la fois plusieurs manières, prenez-les successivement. Lorsque vous avez trouvé Dieu, vous êtes sur le toit... et vous comprenez alors qu'on peut prendre différents chemins pour l'atteindre. Vous ne devez en aucun cas considérer que les autres chemins ne mènent pas à Dieu. Ce sont d'autres voies vers le même toit. Laissez chaque être suivre son propre sentier. Celui qui, sincèrement et ardemment, cherche Dieu, que la Paix soit sur lui. Sûrement il Le trouvera. Vous aurez beau dire qu'il y a bien des erreurs et des superstitions dans une autre religion, je répondrai : « Supposons que ce soit. Chaque religion comporte des erreurs. Chacun pense que sa montre seule donne l'heure correcte. Il suffit d'avoir un amour ardent de Dieu. C'est assez de l'aimer et de se sentir attiré vers Lui. Ne savez-vous pas que Dieu est notre guide intérieur ? » Ibid.
Même s'il en possède certaines caractéristiques, l’hindouisme n'est pourtant pas un monothéisme, dans le sens ou l'adoration d'une divinité n’entraîne pas automatiquement l'éradication de toute autre forme de mysticisme ou de théologie. On observe encore dans l'hindouisme moderne la trace persistante d'un animisme pré-védique qui remonterait au Paléolithique supérieur, de même que les enseignements des maîtres spirituels contemporains, sont plus inspirés par la pratique quotidienne du yoga que par l'interprétation, plus ou moins libérale ou rigoriste, d'un quelconque livre saint, fussent les Vedas.
La parole du gourou, quelle qu'elle soit, n'est jamais qualifiée de blasphème ni de sacrilège, et s'il arrive d'aventure, qu'un gourou professe des insanités ou des théories dangereuses, ses disciples se détourneraient aussitôt de lui, ce qui serait une juste punition qui le mènerait à la pauvreté (ses seuls moyens de subsistance étant leurs dons).
Pour l'hindou, il n'existe pas de mécréants, ni d’infidèles, mais juste une humanité libre de choisir la divinité qui lui permettra de suivre la « voie juste » du dharma. Or, le dharma n'est pas un règlement, ni un Code, mais une manière d'accepter la vie comme elle est, et d'y trouver une juste place à l'intérieur, le temps d'une existence.
On retrouve en Égypte ancienne cette même tolérance religieuse systémique. C'est ce que résume très justement Jules Bois, lorsqu'il traite du culte antique d'Isis : « Le peuple était et croyait tout ce qu’il voulait. Hors du premier degré d’instruction et d’éducation professionnelles, hors du culte des ancêtres, rien ne lui était imposé, bien que tout lui fût accessible suivant sa volonté » (Les Petites Religions de Paris).
De telles notions se retrouvent à l'identique en Grèce, dont le peuple était à la fois pieux, tolérant, mais aussi superstitieux. Jean-Louis Backès, dans sa préface à l'édition Folio des poèmes d'Hésiode et des hymnes homériques, nous livre ces quelques lignes qui résument toute une tradition : celle du polythéisme et du panthéisme européen antique :
On ne damnera personne pour avoir prétendu qu'Aphrodite était fille de Zeus, comme le dit Homère, ou qu’elle est née de l'écume, comme le raconte Hésiode. Les poètes se contredisent, sans la moindre gêne, semble-t-il. Il n'y a pas de vérité révélée. Il n'y a pas de vérité imposée. L'aède apporte des variantes inattendues. Et le public se réjouit.
C'est cette possibilité de broder autour d'un thème ouvert à l'interprétation qui fera naître tant de mythes et tant de divinités en Grèce et en Inde. L'absence de doctrines autoritaires, comme le zoroastrisme en Perse, l'islam en Arabie ou le christianisme en Europe, permit à l'Inde et au monde méditerranéen antique de mêler culture théâtrale, musicale, liturgique et magique en une seule même croyance universelle. Cette croyance reposait alors sur un dieu principal (Zeus, Varuna) et sur une pléthore de divinités auxiliaires aux attributs particuliers et adaptée aux différentes castes sociales et aux différents clans et cités (Athéna, Apollon, Dionysos, Priape, Mithra, Aryaman, Indra, Surya)
J.-L. Backès nous met en garde : l'absence de doctrine stricte n’entraîne pas nécessairement un relâchement dans la valeur et l'authenticité du message sacré :
Nous aurions tort pourtant d'imaginer que l'aède invente ce qui lui plaît. Il est homme de tradition. Il est gardien de traditions. Il possède un immense savoir. Il ne se préoccupe pas d'abord de maîtriser un système théologique.
De nos jours, alors que l'Histoire ne comprend plus mais déconstruit, il est de bon ton de prétendre que les Grecs ne pouvaient pas croire en des dieux que nous ne comprenons plus. J.L. Backès est cependant catégorique :
Les dieux existent. Qui en doute à cette époque ? On ne sait guère leur nombre, on ne connaît pas tous leurs desseins. Il peut toujours en surgir un nouveau, qui réclamera des sacrifices. Chacun honore les dieux de sa cité. Il leur fait leur part, pour que l'économie du monde soit saine.
L'idée que l’hindouisme est un ensemble touffu de croyances, composé de trop nombreux dieux pour être dénombrés, n'est absolument pas correcte. Le panthéon hindou contemporain, hérité du brahmanisme postvédique, et qui règne en Inde depuis près de 3000 ans, peut se réduire en vérité à moins d'une dizaine de divinités irréductibles.
Il y a la Trimurti, composé de Brahma, le créateur, Vishnou le sauveur et Shiva le destructeur, à laquelle on ajoutera Devi, ou Shakti, le principe féminin, Ganesh, la chance et la prospérité et Indra, la pulsion de mort et de vie, la vigueur. Nous obtenons là cinq dieux et une déesse. En comprenant leurs milliers d'avatars, ils peuvent être considérés comme une juste composition du panthéon hindou entier, qui se résout alors à sept figures tutélaires récurrentes, si on ajoute à cette liste Hanuman, divinité extrêmement populaire.
Il est rare qu'un hindou consacre son adoration à plus d'une ou deux divinités en même temps. L'hindouisme, dans les faits n'est donc pas tant un polythéisme qu'un panthéisme à tendance unificatrice, dont la pratique s’apparente à un monothéisme peu structuré, centralisé non pas autour d'un livre saint ou d'un prophète, mais plutôt autour d'une idole permettant la pratique méditative et ouvrant sur tout un corpus de textes appelé tantra.
L'hindouisme est une forme développée de l'animisme, qui considère chaque chose, être vivant comme végétal et minéral, doté d'une dimension holistique, dont le sage doit être averti. Si la science profonde et initiatique des textes védiques ne considère les éléments que pour ce qu'ils sont, c’est-à-dire des pièces essentielles d'un puzzle cosmique, la superstition populaire en a fait des divinités, qu'ils nommèrent « dévas », afin qu'elles s'incarnent dans une réalité palpable. Ainsi, le feu est Agni, tout comme les fleuves sont Ganga, Yamuna, ou Brahmapoutra.
L'hindouisme est donc une religion de symboles, de même que l'islam ou le christianisme, à travers l'omniprésence de leurs livres saints respectifs, sont des religions de mots.
Suite aux invasions musulmanes dans le nord de l'Inde, la péninsule tamoule devint une terre de refuge pour le sanskrit, ainsi que pour la pratique des rituels védiques et brahmaniques. L'Empire chola (v. 300 à 1300) assure ce rôle de défenseur.
Les Cholas, de tradition shivaïte, s'opposeront à la progression du vishnavisme, menant parfois des persécutions à leur égard, afin de garder une certaine forme d'unité shivaïte face à la menace islamiste. « Vishnou retourne d'où tu viens » devient alors un slogan que crient ceux qui souhaitent repousser Vishnou à la mer, afin qu'aucun dieu ne dispute l'hégémonie de Shiva et de sa famille, composée de Ganesh, Murugan et Dévi. Il s'agit d'un des rares exemples historiques ne témoignant pas de la paix qui régissait les rapports entre les différentes sectes de l'hindouisme.
Durant tout le second millénaire, les Tamouls se déchirèrent également entre partisans de la main gauche ou de la main droite, c'est-à-dire partisans de l'influence brahmanique et du système des castes et partisans de ceux qui la refusent. L’extrémisme des deux partis divisa la société tamoule à l'aune de la menace existentielle que faisait peser l'islam sur elle.
Aux Cholas succédèrent les Pandyas (1076 à 1380), dont la capitale était située tout au sud de la péninsule, à Madurai, dont la fondation légendaire remonterait au troisième millénaire avant J.-C. Les Pandyas seront durant de longs siècles la seule puissance hindoue à lutter encore pour son indépendance face à l'hégémonie musulmane qui se sera étendue sur l'ensemble du sous-continent.
Dans les îles de l’Indonésie, jusqu'en Chine et tout autour du rivage de l'Indochine, s'étend l'influence tamoule, qui repose entièrement sur le commerce.
En 1150, les Khmers hindous construisent Angkor Wat.
En 1281, c'est le temple de Shiva qui est inauguré par la diaspora des commerçants tamouls à Quanzhou, en Chine. D'autres temples hindo-bouddhistes sont érigés dans la région.
De 1293 à 1500, le puissant royaume hindou et bouddhiste de Majapahit, depuis la Malaisie, règne sur l'Indonésie et Bornéo.
En 1305, la région centrale du Malava est conquise par Alaud-Dīn Khaljī, et c'est l'Inde tout entière qui tombe sous la domination du sultanat de Delhi. Dès 1307, des raids et des razzias sont lancés depuis le nord du pays vers le sud et le Pays Tamoul.
De 1309 à 1311, des violentes campagnes sont dirigées par Malik Kafur contre les royaumes hindous de Deogiri, dans le Maharashtra, de Warangal dans le pays Telangana et enfin à Madurai (à l'extrême sud de la péninsule). Des dizaines de milliers de cadavres jonchent les routes empruntées par les troupes de Kafur.
Le temple de Shiva et Parvati à Halebidu est détruit, les villes et les villages incendiés. Les chroniqueurs de l'époque notent qu'il fallut plus d'un millier de chameaux pour rapatrier à Delhi tous les trésors dérobés durant ces trois campagnes.
Lors de la campagne du sac de la ville de Madurai, le temple de Srirangam de Tiruchirapalli est saccagé, ses sadhus et ses prêtres y sont massacrés sans ménagement. Trois jours durant, le temple et la ville sont les lieux d'un immense déferlement de violence : la nuit brille comme le jour à cause des bûchers et des autodafés où brûlaient les agamas, les tantras et les icônes des dieux tamouls.
De retour à Delhi, Alaud-Dīn finit sa vie fou et trahi, entouré de ses richesses et d'une cour décadente et corrompue.
Lui succède la dynastie des Tughlaqs. Sous leur règne, la taxe des dhimmis est rétablie et les droits des minorités religieuses sont encore plus contrôlées.
Firuz Shah Tughlaq (1309–1388) raconte dans son autobiographie :
« Les hindous qui pratiquent leur culte trop près d'une fontaine ou d'un point d'eau sont arrêtés et exécutés sur le champ sur la place publique. [...] Des hindous avaient érigé un temple et une nouvelle idole dans le village de Kohana et les idolâtres s'y assemblaient pour y mener leurs rituels. Ces gens furent arrêtés, et furent amenés devant moi. J'ordonnais alors leur mise à mort pour s'être conduit de manière perverse et j'ordonnais la publication de ce jugement. J’ordonnais aussi que les livres, les idoles et les objets du culte des infidèles fussent saisis et brûlés en public. Quant à ceux qui n'avaient pas péri ce jour-là, qu'ils se tiennent dans la crainte et le respect des punitions islamiques, que ce jugement soit un avertissement pour eux et qu'ils sachent qu'on ne peut pas suivre de telles pratiques dans un pays musulman. »
Face à la grave crise économique que le sultanat n'arrive pas à endiguer, une nouvelle monnaie est créée, mais elle précipite encore l'inflation. La corruption, les divisions, et les intrigues affaiblissent encore le sultanat, qui pourtant trouve le moyen de lever une armée de 370 000 hommes qu'il loge, nourrit et paie sans pouvoir parfois les utiliser de l'année. Quand ils ne touchent pas leurs soldes, les mercenaires deviennent des bandes de détrousseurs, qui pullulent dans les campagnes indiennes depuis l'arrivée des musulmans.
En, 1323 dans le pays tamoul, le temple de Srirangam est à nouveau pillé et dévasté, cette fois par les troupes de Muhammad bin Tughlaq. 12 000 sadhus sont massacrés en une seule nuit.
De 1335 à 1378, est instauré le sultanat de Madurai, que traversera le grand voyageur arabe Ibn Batuta. Celui-ci notera alors dans ses mémoires le cruel comportement de son sultan Ghiyas-ud-Din Muhammad Damghani. Ibn Batura raconte que quotidiennement les troupes du sultan allaient en campagne pour capturer des jeunes femmes qu'ils amenaient tout de suite au palais pour être violées puis réduites en esclavage et envoyées dans les harems du despote.
La résistance hindoue, annihilée dans l'extrême sud de la péninsule, va renaître autour de la ville nouvelle de Vijayanagar, dans le Deccan. Durant trois siècles des guerres les plus sanglantes de l'Histoire du sous-continent, vont s'acharner à repousser plus au nord les invasions musulmanes.
L'armée de Vijayanagar est alors la plus grande que jamais ne connut le sous-continent. Elle est composée d'un million d'hommes salariés et entraînés, maîtrisant tous les arts de la guerre, de la navigation à la cavalerie. Entraînés dans des écoles et vivant avec leur famille, ces soldats d'élite étaient dotés d'une puissante cavalerie, dont certains généraux étaient des mercenaires turcs et arabes. Les jungles du centre de l'Inde fournissaient à cette armée de nombreux éléphants de guerre, qui malheureusement furent bien vite dépassés par les nouvelles techniques incluant les armes à feu et les obus.
Chose assez intrigante pour être remarquée, malgré les incursions meurtrières du sultanat de Delhi, l'Empire de Vijayanagar ne persécuta pas les musulmans qui vivaient sous son contrôle dans le Kérala et le Pays Tamoul. Ceci prouve encore une fois la tolérance et les compromis dont firent preuve les hindous à l'égard de l'islam et de ses adeptes.
Malgré tout, de 1347 à 1528, l'Inde centrale est dévastée par le sultanat de Bahmani, dont D. Ferishtha nous apprend « qu'en de très nombreuses occasions, le sultan tua une centaine de milliers d’hindous, ce qui semblait alors comme une sorte de barème punitif minimum et symbolique. »
En 1353, suite à la victoire hindoue à la bataille de Mudgal dans le Karnataka, Bukka Raya passe la garnison, qui s'était pourtant rendue, au fil de l'épée. Pourtant Vijayanagar tombe entre 1365 et 1367 aux mains du sultan de Bahmani, et les populations de ses villes et villages environnants sont massacrées sans vergogne. 500 000 victimes seraient à déplorer parmi les populations indigènes hindoues. Rien qu'à Raichur Doab, 70 000 hindous sont massacrés sur l'ordre du sultan de Bahmani, comme vengeance des massacres de la bataille de Mugdal. Le sultan décrète aussi l'incendie des temples et des bibliothèques, ainsi que la destruction de toutes les idoles rencontrées sur son chemin.
Avec la chute des derniers royaumes indépendants hindous, c'est la chute culturelle des cultures tamoules, sanskrites et hindouistes dans leur ensemble. Les prêtres sont massacrés, les gourous déportés, les disciples et étudiants éparpillés. La capitale de l'Empire de Vijayanagar fut occupée six mois durant, puis rasée une fois ses environs totalement pillés et dévastés.
L'Empire de Vijayanagar renaîtra, redevenant une nouvelle fois le pendant impérial du sultanat de Delhi. Vijayanagar, sa capitale, sera bien défendue et fera obstacle au déferlement de razzias venues une nouvelle fois du nord de la péninsule.
En 1520, la bataille de la rivière Krishna est, selon l'indianiste Jacques Dupuis « le chant du cygne des armées médiévales ». Un million d'hommes et 5000 éléphants sont mis en échec par la mitraille du sultan de Bijapur, dont les troupes sont constituées de 500 000 hommes et d'une forte artillerie. La bataille est finalement gagnée par les hindous, mais la catastrophe fut frôlée. Suite à cette bataille, des arbalétriers portugais seront embauchés par les hindous pour combattre le sultan de Bijapur et enfin prendre la ville de Bijapur.
Sous la conduite du dernier des empereurs de Vijayanagar, Rama Raya (1501-1565), les actes de guerres hindous prendront la forme des razzias musulmanes, c'est-à-dire d'une guérilla rapide et ciblée. Les sultanats du Deccan feront souvent appel à lui pour arbitrer des conflits intérieurs. En 1559 et 1560, une vaste campagne de dévastation est menée par Ram Raya dans le centre de l'Inde et la vallée du Gange. Selon Mohammed Qacim Firishta, historien persan contemporain des faits, « sur des centaines de kilomètres carrés, il n'y a plus trace de population. Ils ont massacré les musulmans et pillés leurs maisons. » Ultimement, le fort de Ahmednagar fut pris par les hindous.
En 1565, une alliance de royaumes musulmans du Deccan attaque l'Empire de Vijayanagar pour ce qui peut être considéré comme l'une des plus grandes batailles de tous les temps : la bataille de Talikota, près du fleuve Krishna. Un million d'hindous font face à 500 000 musulmans dotés d'une nombreuse artillerie.
Il s'agit en quelque sorte d'une redite de la bataille du fleuve Krishna qui s'était déroulée cinquante ans plus tôt, mais cette fois ce sont les musulmans qui emportent la victoire. Deux généraux musulmans aux ordres du raja Rama Raya trahissent d'ailleurs ce jour-là, observant le précepte islamique qui interdit de se battre aux côtés d'infidèles contre un belligérant musulman. Par vengeance et en punition des campagnes de dévastation menées par Ram Raya, la cruauté des vainqueurs est incommensurable : 100 000 soldats sont massacrés sur place, le raja est capturé et sa tête finit au bout d'une lance.
Vijayanagar est pillée, puis rasée par l'alliance du Deccan. À travers le pays les vastes complexes de temples hindous sont détruits, ainsi que les bâtiments impériaux et administratifs. L'Empire Vijayanagar ne survivra pas à la défaite de Talikota, car il est entièrement détruit par les musulmans : ses principaux monuments sont détruits, sa population massacrée, ses femmes violées. Pour simple exemple, de centre théologique et politique de première importance, Hampi, était redevenu un village de paysans jusqu'à la redécouverte au milieu du 20e siècle de son potentiel archéologique et touristique.
Une nouvelle capitale hindoue s'installa encore plus au sud. Des royaumes indépendants naquirent dans les montagnes et poursuivirent la lutte contre les royaumes musulmans du Deccan. En 1578 est créé le royaume hindou de Mysore.
En 1649, le sultan de Bijapur éradique les royaumes indépendants et rebelles des montagnes autour d'Hampi. Mais six ans plus tard, la lutte hindoue reprend sous la direction de Shivaji (1630 - 1680), le chef du clan des Marathes, une caste originellement paysanne mais qui devint celle aussi de guerriers, de pirates et de talentueux administrateurs de vastes territoires.
Après la chute du sultanat de Delhi, la montée en puissance des Britanniques et les dernières exactions menées par Tipu Sultan (1750 - 1799), l'hégémonie musulmane sur l'Inde s'estompa. S'achevait la période la plus funeste dans l'Histoire du sous-continent. Celle-ci fut marquée par l’intolérance, la haine religieuse et les guerres interminables, qui n'admettaient d'autres règles que le pillage, l'enrichissement commercial et l'augmentation des plaisirs pervers de cours corrompues et décadentes, dominées par des monarques cruels et belliqueux.
Un bilan chiffré des victimes des 800 ans de colonisation musulmane a été fait par des historiens contemporains des événements : l'historien perse Firishta (v. 1560 - 1620), contemporain d'Akbar, estime à 400 millions le nombre de victimes hindoues. Des auteurs plus proches de nous ont avancé des estimations plus vraisemblables. Dans Islamic Jihad (2009), M. A. Kahn suggère que : « les conquêtes et la domination musulmane en Inde firent entre 60 et 80 millions de morts dans la seule période allant de l’an 1000 à l’an 1525. » Selon l'historien K. S. Lal, dans Theory and Practice of Muslim State in India (1999), la population indienne a décru entre l'an 1000 et 1500, passant de 200 à 170 millions. Durant le règne des Moghols, la population indienne baissa même à 120 millions.
« Mais l’Inde est un creuset si rempli de bouillonnements et d’ardeurs qu’elle força l’Islam, durant des siècles, à subir son génie, à couvrir les murs de ses mosquées d’arabesques vivantes, lotus, lianes fleuries, figures d’hommes et de monstres. […] L’Inde assimila tout, transforma tout, submergea tout sous la marée montante de sa force qui remuait. Des civilisations grandioses passaient sur elle, semaient ses déserts et ses bois de cadavres de villes. Qu’importe. Ici ni le temps, ni les hommes ne comptent. L’évolution revient à chaque instant sur elle-même. Comme une mer, l’âme hindoue est éternellement mobile entre des rivages arrêtés. À aucun moment on ne peut dire : voici la montée de la race, son apogée, sa chute. Dans le creuset des noyaux fondent, d’autres sont liquides et brûlants et d’autres froids et durs. L’Inde est l’énigme, l’être protée, insaisissable, sans commencements, sans fins, sans lois, sans buts, mêlé à tout, seul pourtant dans son ivresse qui ne peut pas s’épuiser. » É. Faure, L'art médiéval, 1, 4.
v. 600 : Présence d'une communauté arabe au Kerala.
629 : Construction de la première mosquée indienne dans le Kerala, la Cheraman Juma Mosque.
632 : Mort de Mohamed, prophète de l'islam.
636 : Pillage de l'embouchure de la Narmada par les Arabes musulmans.
650 : Début de la traite orientale des esclaves.
656 : Chute de Bagdad puis conquête musulmane de la Perse.
661 : Assassinat d'Ali, cousin du prophète : schisme entre les chiites et les sunnites.
661 à 750 : La dynastie arabe des Omeyyades gouverne le monde musulman.
v.700 à 1000 : Suite aux conquêtes musulmanes, islamisation de la Sogdiane et de la Bactriane (Afghanistan actuel) : conversion de masse vers 800, religion d’État en 1000.
710 : Prise de Samarcande (Ouzbékistan) par les musulmans : premiers raids sur la route de la soie.
711 : Premières razzias musulmanes en Inde du Nord, début des exactions islamiques en Inde : les premiers musulmans arabes, conduits par Muhammad Bin Qasim, arrivent dans le Sindh (actuel Pakistan).
712 : Prise de Multan par les Arabes - Invasion du Sindh.
712 à 715 : Campagne de Yusuf Sakifi en Inde du Nord.
712 : Razzias de Muhammad Bin-Qasim depuis Karachi.
715 : Prise de Kashgar par les musulmans.
716 : Premiers mazdéens en Inde, fuyant les persécutions musulmanes en Perse.
725 à 753 : Règne de Lalitaditya au Cachemire. L'Empire hindou du Cachemire s'étend du Ladakh à l'Indus.
780 : En Mésopotamie, Al-Mahdi, le troisième calife abbasside, mène une inquisition contre les infidèles.
786 : Raids musulmans sur Kaboul.
v. 900 : Composition du Kalki Purana.
908 à 932 : Sous le règne d'Al-Muqtadir, le 18e calife Abbasside, persécution des manichéens de Mésopotamie, qui émigreront à Samarcande (Sogdiane, actuel Ouzbékistan).
942 à 997 : Vie du sultan Subuktigin de Ghazni (Afghanistan), conquérant musulman du nord de l'Inde.
950 à 1050 : Construction du complexe de temples hindous et jaïns de Khadjurao.
980 : Subuktigin envahit le Gandhara.
997 à 1186 : Les Turcs Ghaznivides, originaires de Ghazni (Afghanistan), sont les maîtres du Penjab.
v.1000 : La Perse devient majoritairement musulmane, au détriment du zoroastrisme : arrivée en masse de zoroastriens en Inde, où ils deviennent commerçants. Introduction de l'islam en Indonésie. Islamisation totale de l'Afghanistan et anéantissement de toute sa population hindoue. Le col de l’Hindu Kush (littéralement "Massacreur d'hindous") prend alors son nom.
1006 : Prise de Khotan (Tarim) par les musulmans : les musulmans dominent la route de la soie, ce qui a pour conséquence le génocide des bouddhistes sogdiens et des Indo-Européens du Tarim (Tokhariens et autres).
1030 : Dans le sud de l'Inde, l'empire Chola est le refuge de la pensée hindoue et du sanskrit. L'influence tamoule est à son paroxysme et s'étend jusqu'en Chine et en Indonésie.
v. 1050 : Fin du bouddhisme en Inde.
1001 à 1026 : Mahmoud de Gazni pille 17 fois l'Inde du Nord.
1026 : Mahmoud de Ghazni saque le temple de Somnath dans le Gujarat.
1076 à 1380 : L'Empire hindou des Pandyas de Madurai dans le sud de l'Inde est seul à résister contre l'envahisseur musulman.
1079 : Attaques musulmanes du Cachemire et du Penjab faisant 100 000 morts.
1100 à 1200 : Implantation de l'hindouisme en Assam, qui fuit l'islamisation de la plaine gangétique.
1100 : Naissance du Yézidisme au Moyen-Orient.
1192 : Bataille de Tarain : Mohamed de Ghur écrase la résistance rajpoute menée par Prithvi Raj, tué dans la bataille.
1194 : Mohamed de Ghur pille Varanasi.
1195 : 70 000 esclaves sont déportés d'Inde lors de la razzia de Qutb-ud-din Aybak, qui deviendra le premier sultan de Delhi en 1206.
1199 : Mohamed de Ghazni est au Bengale : les foyers religieux, bibliothèques et universités sont brûlés et détruits.
1200 : Durant le règne de Khorezm, persécution et génocide des bouddhistes de Sogdiane (Ouzbékistan actuel).
v. 1200 à 1400 : Domination des dynasties turco-musulmanes Khilji (Khaljis) et Tughlaq en Inde du Nord.
v. 1200 à 1900 : Les Thuggee, une secte d'assassins dévoués à Kali mais d'origine musulmane, sévissent en Inde du Nord.
1202 : Invasion du Bihar par Bakthiyar Khalji.
1205 : Conquête du Bengale par le sultan Bakhtiyar Khilji. Début du commerce des esclaves castrés indiens déportés en pays musulmans.
1206 : Qutb-ud-din Aybak, premier sultan de Delhi.
1221 : Premières invasions mongoles en Inde : Gengis Khan est sur les rives de l'Indus.
v. 1245 : Domination des Mongols sur toute la Russie.
1251 : Fondation de la Horde d'Or fédérant les peuples mongols.
1253 : Le Royaume indo-birman de Shivasagar, en Assam, résiste militairement à l'acculturation musulmane.
1265 : Massacre près de Delhi : 100 000 hindous de la ville de Mewat, la capitale rajpoute, sont exécutés par le sultan de Delhi, Ghiyas ud din Balban.
1296 à 1316 : Règne d' Alaul-Din Khilji, qui prend le pouvoir après avoir décapité son oncle le roi Jalal-u-din Firuz, ainsi que toute sa famille et ses alliés.
1297 : Bataille entre Alaul-Din Khilji et l'armée musulmane mongole. Massacre à Delhi des émigrés mongols par Alaul-Din Khilji : en une seule journée, 20 000 à 30 000 musulmans mongols sont exécutés.
1297 à 1301 : Conquêtes par Alaul-Din Khilji du Gujarat et du Rajasthan. Le siège du fort Rothambor, place forte rajpoute dura un an.
1300 : Introduction de l'islam en Malaisie.
1300 à 1400 : Islamisation du Cachemire.
1303 : Siège de Chittorgarh par Alaul-Din Khilji, qui ordonne la mort de 30 000 personnes.
1305 : Alaul-Din conquiert le Malva : toute l'Inde du Nord est sous sa domination.
1307 : Alaul-Din Khilji envoie des razzias dans le sud de l'Inde : début des raids musulmans dans le sud du pays.
1309 à 1311 : L'armée musulmane de Malik Kafur dévaste le sud de l'Inde.
1311 : Malik Kafur saque le temple de Vishnou de Srirangam et la Ville sainte de Madurai.
1323 : Pillage du complexe de temples de Srirangam et massacre de ses prêtres et sadhus par les armées musulmanes.
1335 à 1378 : Sultanat de Madurai.
1336 à 1565 : Royaume hindou de Vijayanagar dans le Deccan.
1347 à 1528 : Dans le centre de l'Inde : persécutions des infidèles par le sultan Bahmani.
1365 à 1367 : Guerres de Deccan et massacres de la ville de Vijayanagar et de la région du Vijayanagara : 500 000 morts.
1389 à 1413 : Au Cachemire, règne du sultan Sikandar Butshikan, le plus sinistre des sultans qu'ait pu connaître cette région. La démolition du temple du Soleil « Martan Surya » dura une année complète.
1398 : Invasion turco-mongole de l'Inde du Nord, prise de Delhi par Tamerlan (Timur). La dévastation extrême de la ville de Delhi entraîne famines et maladies.
1400 : Fondation de Royaumes hindous rajpoutes au Rajasthan et au Gujarat
1420 à 1470 : Règne du sultan Zain Ul-Abidin au Cachemire : rappel des pandits pour gérer le royaume en Perse, traduction du Mahabharata dans cette langue et de diverses œuvres arabes et persanes en hindi.
1469 : Naissance de Gourou Nanak, premier maître spirituel du sikhisme.
1485 à 1533 : Naissance de Chaitanya Mahaprabu : renouveau du vishnavisme et redécouverte des jardins de Vrindhavan.
1504 : Prise de Kaboul par Babur.
1507 : Première bataille navale au large du Gujarat entre les vaisseaux égyptiens et portugais : victoire égyptienne.
1508 : Seconde bataille navale du Gujarat : victoire portugaise.
En 1469 naît Guru Nanak, le fondateur de la doctrine sikhe. Après avoir voyagé dans le monde indien puis dans le monde arabe, il enseigne une doctrine qui se propose de dépasser les différences entre les différentes traditions religieuses, pour favoriser une étude œcuménique du divin.
« [Le sikhisme] a surgi au milieu de l’Hindouisme ; l’idée du grand fondateur, le Gourou Nanak (1469 - 1539), étant de réunir les Hindous et les Musulmans dans une ligue d’amour envers Dieu et de serviabilité envers les hommes. La pensée de Gourou Nanak, telle qu’elle est exprimée non seulement par ses paroles, mais surtout par sa vie, c’était de faire converger ces éléments hostiles du peuple hindou, vers un centre que tous pussent accepter. Ce centre, c’est avant tout l’amour de Dieu, Bhakti, la dévotion — Bhakti envers Dieu et aussi envers le Gourou, le Maître, car le mot même de Sikh vient du mot Shishya, disciple, et cette idée de l’amour de Dieu et du Maître est la base même, la vraie racine du Sikhisme. C’est donc, originairement, un mouvement de dévotion. La philosophie est la même que celle des Hindous, mais le mouvement est réformateur dans sa nature, en lutte contre le formalisme du temps, contre le cérémonial, afin de trouver la vie cachée sous les formes, l’essence de la vérité qui a inspiré les cérémonies. À l’époque de Gourou Nanak, ainsi que cela se présente trop souvent dans l’histoire du monde, une grande religion était devenue de plus en plus formaliste et les hommes dépérissaient en mangeant l’enveloppe du grain au lieu de se nourrir du grain lui-même. Le Gourou Nanak s’efforça de trouver le grain et, en agissant ainsi, il rejeta, en grande partie, l’enveloppe ; il s’efforça d’amener les hommes à voir la réalité de la religion, la vie, l’essence de cette religion, et à trouver cette vie et cette essence dans l’amour de Dieu et du Gourou, dans l’amour des hommes considérés comme les enfants d’un même Dieu. […] Lorsqu’il mourut, après soixante-dix ans d’une noble vie et d’un enseignement sans prix, ses disciples se disputèrent sur la question de savoir à quelle religion il appartenait réellement ; fallait-il le brûler comme un Hindou, ou l’enterrer comme un Musulman ? Tandis qu’ils se disputaient, quelqu’un souleva le linceul qui recouvrait le cadavre ; le corps avait disparu, il ne fut donc ni brûlé, ni enterré. » A. Besant, Des religions pratiquées actuellement dans l’Inde.
Le sikhisme n'est d'abord pas une religion à part entière, mais juste une tradition qui ne souhaite pas faire sécession ni se présenter comme un nouveau culte.
Né dans un contexte de guerre de religions entre hindous et musulmans, le sikhisme proposa de surmonter les différences de culte pour ne s’intéresser qu'à l'enseignement divin de chacune d'elles. L'étude du Coran, comme de la Bible ou des Védas est encouragée, mais c'est le Guru Grand Sahid qui est considéré comme le livre le plus saint des sikhs. Il raconte la vie de Guru Nanak, le fondateur de la tradition, ainsi que des neuf autres successeurs qui suivirent à la tête de ce culte, à la fois indépendants de l'hindouisme et jugés hérétiques par l'islam. Le sikhisme considère comme une perte de temps de comparer les religions et les dieux entre eux. L'unité de Dieu, malgré ses représentations, ses prophètes supposés et ses incarnations, est placée au-dessus de tout et est considérée comme une valeur suprême de cette religion. « Il n'y a pas de musulmans, pas d'hindous, il y a des sikhs ! » clamait Guru Nanak.
Avant de mourir, Nanak désigne un second gourou pour perpétuer la tradition. Neuf autres gourous suivront, et chacun ajoutera son enseignement en complétant celui de Nanak. L'édition d'un livre fédérateur, semblable à une bible ou un coran, est l’œuvre du cinquième gourou, Guru Arjun. Celui-ci instaurera aussi un baptême sikh, ce qui en fera une religion à part quelque 160 ans après la mort de Guru Nanak.
En 1708, Guru Gobind Singh, le dernier et ultime gourou canonique, refuse de se convertir à l'islam. En conséquence de quoi, il est assassiné par les autorités musulmanes. Dès lors, les sikhs se révoltent et créent l'État indépendant sikh du Penjab. La puissante cavalerie sikhe empêchera dans un premier temps une reconquête, puis suite à la prise de Lahore, l'Empire sikh est fondé.
De 1799 à 1849, il ne cessera de s'étendre du Penjab aux pieds de l'Himalaya et du Cachemire. L'ennemi musulman perdant de la puissance, les sikhs tourneront alors leurs efforts de guerre contre la présence colonisatrice des Anglais. Depuis ce combat pour défendre la terre indienne contre les envahisseurs, les sikhs et leur religion jouissent parmi les Indiens de toutes confessions d'un très grand respect.
Le sikhisme refuse les idoles et prône un dieu unique, semblable à celui tout puissant et omniscient du monothéisme abrahamique. Mais il reprend aussi à son compte les principes essentiels de l'héritage védique, tels que le karma, les avatars et les réincarnations.
Dans le sikhisme, une vie intègre et honnête permet de se rapprocher de Dieu et de connaître la mukti, c'est-à-dire la libération de l'âme. Par ailleurs, l'ascétisme ou le retrait du monde ne sont pas nécessaires pour parfaire l'élévation spirituelle. Les richesses matérielles ne sont pas non plus condamnées, mieux : elles sont une récompense à celui qui agit comme il plaît à Dieu.
Un autre concept védique, la maya, c'est-à-dire le caractère illusoire de la réalité est repris par les sikhs. Il s'agit d'un mur érigé entre Dieu et ses créatures, et que seules l'étude et la prière peuvent faire tomber. Sikh est un terme qui veut d'ailleurs dire « étudiant ».
Comme les hindous, les bouddhistes et les jaïnes, les sikhs respectent l'ahimsa (refus de la violence envers le vivant). Le sikhisme bannit la viande (avec cependant une rigueur relative), et l'ensemble des activités qui maltraitent ou encouragent la maltraitance animale, car « Dieu est en toute existence ».
De même, les vices comme les jeux de hasard et l'alcool sont interdits. Afin de marquer leur respect envers tout ce que Dieu fait pousser, les sikhs ne se coupent ni la barbe, ni les cheveux. Les sikhs initiés, plus âgés, ou faisant partie des classes les plus nobles, s'entourent donc les cheveux d'un turban et portent la barbe. Entre autres, leur panoplie distinctive comprend un petit couteau, qui se porte cérémonieusement mais quotidiennement à la ceinture, afin de symboliser la lutte contre les forces du mal, mais aussi le courage que donnent la prière et l'adoration de Dieu (qu'ils appellent indistinctement Satnam, « le véritable Nom »).
Bien que lui ressemblant, le sikhisme se distingue nettement de l'hindouisme : il ne reconnaît pas les idoles ni le caractère divin des gourous, prophètes et avatars, tout en acceptant leur existence, et refuse théoriquement le système des castes et les mariages arrangés (le mariage sikh est plutôt le couronnement d'une union spirituelle et mystique entre deux personnes, qui se rapproche du tantrisme).
Le principal lieu sacré du sikhisme est le temple d'or de Amritsar, à quelques kilomètres de la frontière pakistanaise, au Penjab indien. Bien qu'ils représentent 60 % de la population de cet État, où leur culte trouve ses origines, les sikhs ne sont que 1,7 % de la population nationale indienne, soit quelque 21 millions. Jadis très présents dans la vallée de l'Indus, mais en raison de plusieurs siècles de persécutions religieuses, les sikhs ne sont plus aujourd'hui que quelques milliers au Pakistan et en Afghanistan. En outre, une diaspora prospère de commerçants et d'hommes d'affaires sikhs, mais aussi de chauffeurs de taxi, est installée à Singapour, au Canada, aux États-Unis, en Australie et à Londres. En France, les sikhs seraient 10 000, concentrés particulièrement aux alentours de la ville de Bobigny, en banlieue parisienne.
Vues d'Occident, les religions indiennes semblent obscures, archaïques, or elles sont prospères, vivantes, plus que jamais dynamiques.
Tout d'abord, citons quelques figures typiquement hindoues mais universellement célèbres. Il s'agit d'hommes exemplaires que leur culte et l'Histoire élevèrent au rang de divinité ultime : Rama et Krishna sont les plus connus. Ils sont les « descentes sur terre » (« avatara » en sanskrit) de Vishnou, le dieu suprême.
Si Rama est largement vénéré dans le nord de l'Inde, la figure de Krishna est plus populaire dans le Sud, mais aussi à l'étranger. Krishna est un personnage mythologique auquel est attribué le saint discours de la Bhagavad Gita, le monument de la philosophie indienne. De même, il existe des Rama Gita, dont le discours est semblable à celui de la Bhagavad Gita, mais adapté au dieu Rama. Rama et Krishna sont des figures légendaires qui ont beaucoup évolué à travers l’Histoire, prenant sans cesse une importance théologique toujours plus grande.
Mentionnons Rama et Krishna dans notre énumération des maîtres spirituels indiens car le concept d'avatar permet de les considérer à la fois comme des figures légendaires et en même temps comme des personnages protohistoriques. En somme, à la manière des Grecs qui considéraient Orphée à la fois comme un poète mortel et aussi comme une divinité de la musique, Rama et Krishna, même dotés de pouvoirs surnaturels, sont considérés par leurs adorateurs comme ayant vécu et enseigné sur Terre (Jésus ou Mahomet sont eux aussi des personnages miraculeux et pourtant historiques).
La double nature des maîtres spirituels indiens, l'une divine, l'autre mortelle, sera d'ailleurs partagée par la plupart des gourous qui succéderont à ces deux figures légendaires. Shankara (v. 800) fut considéré par ses disciples comme un avatar de Shiva.
Adinath et son disciple Gorakhnath (v. 500 à 1000), les fondateurs de la tradition des sadhus naths, seraient eux aussi des émanations de Shiva. La représentation idolâtre de ces deux personnages historiques les montre identiques à leur divinité tutélaire : revêtus de la peau de tigre, les cheveux noués en chignon, en position de yoga méditatif. De nos jours, un à cinq millions de sadhus suivent encore leur enseignement.
Mentionnons encore Chaitanya Mahaprabhu (1485–1533), réformateur du vishnavisme et Ayya Vaikundar (v. 1809 - 1851), fondateur du courant Ayyavazhi. Ce culte ne cesse de prendre de l'importance. Ses adeptes militent de nos jours pour la reconnaissance de leur exception religieuse et réclament à l'administration indienne de ne plus être considérés comme simplement hindous.
Ce réformateur de l'hindouisme (v. 800) est peut-être le plus connu des gourous indiens historiques.
Né dans un petit village du pays tamoul, dans une famille de brahmanes pauvres mais dignes, il vécut dans la ville sacrée de Varanasi et fut à l'origine de nombreux temples et ashrams. Auteur de nombreux chants, poèmes, discours et essais métaphysiques, Shankara est le père d'une école qui composa en son nom, encore de longs siècles après sa mort. Lui-même est l'auteur du Viveka Cudamani, « le joyau de la discrimination », de l'Atma Bodha et du Tattva Bodha. Ses disciples le considéraient comme l'avatar de Shiva. Son nom, qui est emprunté à une épithète de Shiva, veut dire « Père-maître spirituel scintillant ».
La légende de Shankara raconte que Shiva serait apparu à ses parents et leur aurait laissé le choix : avoir des enfants nombreux mais minables, ou un fils unique mais brillant. Les parents choisirent la seconde option, et Shankara naquit.
Extrêmement vif, le petit Shankara reçut l'initiation des brahmanes à cinq ans (la cérémonie du cordon, rituel sacré des brahmanes se déroule habituellement à la puberté). Dès lors, il commença l'étude des chants sacrés des Vedas. Montrant des dispositions miraculeuses, il connaissait par cœur les quatre Vedas alors qu'il n'avait pas même huit ans !
En brahmane, le petit Shankara mendiait chaque jour sa nourriture et vivait séparé de ses parents.
Alors qu'un crocodile manque de lui arracher la jambe, Shankara accède à l’Illumination (Moksha). Il comprend le caractère subtil et impermanent de l'existence et renonce à la vie familiale. Selon les versions, à huit ans ou à seize ans, Shankara prononce les vœux des renonçants et entre dans l'ordre de moines errants et ascétiques. Il quitte définitivement sa famille pour se rendre dans la vallée de la Narmada, au nord du plateau du Deccan. Là, il rencontre celui qui sera son gourou, l'illustre Govinda Bhagavatpada, lui-même élève du non moins illustre Gaupada.
Ordonné sadhu par Govinda, Shankara voyage alors à travers l'Inde. Il commente les Vedas, les interprète et les enseigne. Doté d'une intelligence hors norme associée à une sagesse et un charisme puissant, il plaît à ses auditeurs et leur apporte le bonheur et la véritable connaissance des Vedas.
Bientôt, de très nombreux disciples l'entourent. Shankara se rend en leur compagnie au Cachemire. Là, il mena seul un débat contre chacun des brahmanes de l'université théologique locale. Vainqueur, il eut alors le droit de s’asseoir sur le trône de Sarasvati, un honneur que n'avait encore jamais connu aucun gourou. Shankara n'avait pas vingt ans.
Où qu'il aille, où qu’il se déplace afin de visiter ses congrégations d'adeptes, Shankara était suivi d'une foule importante. Au cours de sa vie, Shankara aurait fait trois fois le tour de la péninsule indienne et fondé dix ordres monastiques et quatre monastères.
Le vœu de Shankara était de réformer l'hindouisme afin de rendre cette tradition ancestrale résistante à l'acculturation musulmane, mais aussi aux diverses sectes qui morcelaient alors la péninsule. Alors que l’islam ravageait le Sindh et le nord de l’inde à la suite de permanentes razzias et campagnes de déportation d'esclaves hindous, dans le sud de la péninsule, s'affrontaient vishnavisme et shivaïsme, les derniers se proposant d'envoyer les premiers à la mer (ce dernier élément étant symbolique de Vishnou).
Par ailleurs, l'arrivée des zoroastriens émigrés de Perse, le pullulement des sectes soufies, poussèrent Shankara à considérer comme plus que nécessaire l’établissement de nouvelles règles rituelles spécifiquement destinées aux hindous, c'est-à-dire aux adeptes des cultes védiques, shivaïtes et vishnavites (Krishna).
Shankara réforma donc le culte hindou, et d'une si sage manière, que les pratiques modernes de l'hindouisme portent encore la trace de son incommensurable influence. Aux divinités rituelles du védisme et du brahmanisme (les dévas élémentaires, Varuna, Indra, Surya), Shankara préféra axer le culte et la prière sur cinq divinités populaires, qui pouvaient être, au choix, Ganesh, Shiva, Krishna, Parvati, Vishnou ou encore Hanuman. Une de ces cinq divinités pouvait être la divinité domestique du foyer et pouvait donc changer d'une famille à une autre.
Ouvert à tous les courants spirituels du sous-continent, Shankara s'inspira du vishnavisme mais aussi de ce qui plaisait au peuple dans le bouddhisme et le jaïnisme : la simplicité des rituels et l'humilité des offrandes. Shankara œuvra pour rendre l’Ahimsa (non-violence envers le vivant), un concept clé du bouddhisme et du jaïnisme, encore plus important qu'il ne l'était déjà dans l'hindouisme. Les sacrifices de sang, comme ceux des animaux ou des poissons, furent remplacés par des offrandes de laitages, de gâteaux, de riz et de fruits.
Pour toutes ces raisons, et grâce à son immense apport à la philosophie indienne, Shankara est considéré comme le plus grand représentant du Vedanta, la métaphysique qui s'inspire des grands poncifs du védisme, du brahmanisme et des puranas, et même parfois des agamas (traditions non-védiques). L'école Vedanta possède trois textes canonisés : les Upanishads majeurs, la Bhagavad Gita, et le Brahma-sutra.
Vu pour la dernière fois dans son pays natal du Tamil Nadu, la légende de Shankara prétend que celui-ci se serait rendu une dernière fois au mont Kailash. Ce serait sur les versants de la montagne sacrée où réside Shiva et Parvati qu'il se serait éteint, âgé seulement de 32 ans.
Rival de Shankara dans la postérité, Ramanuja (v. 1000 - 1100), lui aussi brahmane tamoul, s'inspira des préceptes du Vedanta, qui préconisaient de ne s’intéresser qu'à très peu de divinités et de préférer la prière et la dévotion à une seule divinité plutôt que le rituel et les sacrifices offerts à des divinités élémentaires comme le feu ou le tonnerre, qui sont incapables de rendre les hommes heureux. Les cultes de Shiva, Dévi, Durga et Vishnou se développèrent alors, proposant pour chacune des traditions un dieu unique supérieur à tous les autres et qu'il s'agit d'adorer pour obtenir la grâce. C'est la bhakti, le dévotion ultime et absolue à un être céleste supérieur à tout ce qui est ou peut être.
Ramanuja et Shankara, dont les profils sont comparables, car tous deux étant des moines errants dotés d'une verve et d'un charisme hors norme, se sont pourtant souvent opposés, entraînant même de véritables guerres intellectuelles entre leurs sectateurs respectifs. Si Shankara fut toujours célibataire, et se dédia à la méditation et à la recherche mystique dès son plus jeune âge, Ramanuja quitta sa femme pour vivre sur les routes en professant la plus correcte des philosophies, consistant à aimer sans compter celui qui nous avait créé, et sauvé, et qui en échange de nos prières nous délivrerait à nouveau : Vishnou, et son incarnation la plus glorieuse : Krishna.
Si Shankara considérait comme essentiel le respect des varnas et des castes, et réservait son enseignement aux deux-fois-nés, c'est-à-dire aux initiés de la communauté brahmanique, Ramanuja acceptait dans ses congrégations vishnavites tout le monde, sans distinction de sexe, ou de caste. Pour Ramanuja, la notion d'arya (aryen), de Noble ou de Pure, est remplacée par la simple évocation de Vishnou et des préceptes du vishnavisme.
Le vishnavisme, sous l’impulsion de Ramanuja, devint une secte qui connut un nouvel âge d'or (depuis la fin des poètes et mystiques Alvars, que Ramanuja et ses disciples redécouvrirent avec admiration).
Les chants de Nammalwar (Periya Thiruvandhadhi) sont recopiés, enseignés à nouveau, et à la mort de Ramanuja, une solide congrégation vishnavite s'est installée tout à travers l'Inde, dans des ashrams construits à la gloire du philosophe. Enfin, la légende raconte, que celui-ci laissait après son passage des idoles à son effigie revêtues d'une toge blanche, afin qu'en priant leur gourou, ses disciples prient aussi Krishna.
Avant de devenir le célèbre philosophe et saint du vishnavisme que l'Inde vénère encore aujourd'hui, Ramanuja fut un simple et humble brahmane du pays tamoul. Cependant, sa conception de l'universalisme et de l'égalité entre les êtres vivants le plaçait en marge de la morale classique des brahmanes.
En effet, Ramanuja ne comprenait ni n'acceptait le principe de caste, en particulier parce qu'il tenait la plupart des gens éloignés des divinités, car seuls les brahmanes, théoriquement, étaient en droit de les étudier, de les célébrer et de les chanter.
Un jour qu'il s'était absenté de son domicile, un mendiant appartenant à la plus basse des castes vint demander le souper à sa femme. Comme le très pieux et très juste Ramanuja lui avait donné l'ordre de recevoir tous les mendiants qui se présenteraient, quelle que fût leur origine, sa femme, bien que dégoûtée par le vagabond, le fit entrer dans le foyer puis lui intima l'ordre d'attendre dans un coin de la pièce le retour de son mari, car il ne semblait pas correct à cette noble femme de servir la soupe de lentilles à un mendiant avant que son mari ne fût lui-même servi.
Prostré dans un coin de la pièce, le mendiant attendit donc toute la journée que revint Ramanuja.
De retour chez lui, le brahmane constata avec une immense tristesse que sa femme n'avait pas traité le mendiant avec assez d'égard et dès lors il cessa irrémédiablement de l'aimer comme un mari doit aimer sa femme.
La nuit arriva, et laissa seule dans son lit la femme de Ramanuja, dont le mari découcha pour méditer toute la nuit durant. À l'aube, Ramanuja vint à la conclusion qu'il n'était plus capable d'aimer sa femme autant que Krishna, alors il la répudia, puis sur le champ prit un baluchon et un vase pour recevoir l’aumône, et partit sur les routes pour arpenter presque un siècle durant les chemins du pays.
Bien que considéré par les brahmanes du pays comme un homme sans valeur, qui n'hésita pas à abandonner sa femme et ses devoirs de brahmane pour s'en aller vadrouiller parmi les gens de basses castes et de mauvaise vie, grâce à son charisme, grâce à son immense sagesse et à sa générosité encore plus grande, Ramanuja créa en tout lieu des ashrams tandis qu'à ses pas s'attachait une foule d'admirateurs et disciples pour qui la caste n'avait pas de sens et pour qui seul existait, dans leur cœur et dans leur esprit, l'amour de Krishna, le vacher de l'humanité.
Afin d'étayer son amour de Vishnou par une solide et complète connaissance, Ramanuja étudia par ailleurs en profondeur les évangiles des chrétiens, mais aussi le Coran, le livre saint des musulmans. Mais ce que Ramanuja préférait lire, et enseigner, c'était la poésie dévotionnelle et mystique des Alvars, les saints tamoules du vishnavisme. Le Tiruvaimazhi de l'enfant ascète Nammalvar le passionnait parmi toutes ces œuvres, et il ne se passait pas un matin sans qu'il n'en déclamât des vers au lever du soleil. Si les Alvars le passionnaient, c'est qu'il retrouvait en eux le même amour qui brûlait en lui pour Krishna, la divinité aux mille visages, absolue et toute-puissante. La tradition racontait d'ailleurs que ces alvars avaient vécu dans le pays dravidien quelques années seulement après la montée au ciel du Krishna historique, et que celui-ci leur aurait transmis le pouvoir, sur terre, d'être possédés par la présence de Vishnou. Ainsi, Ramanuja s’efforçait de perpétuer leur héritage.
Ses commentaires du Periya Thiruvanthadi connurent d'ailleurs un grand succès et c'est grâce à lui si le vishnavisme dévoué à Krishna connut un regain d’intérêt qui ne s'est pas démenti jusqu'à nos jours. Ramanuja composant en sanskrit, ses œuvres les plus célèbres demeurent cependant ses commentaires des Upanishads et de diverses Gita.
Depuis Shankara, l'Inde a légué à l'humanité une des plus belles lignées de philosophes et de mystiques qui soit, les seuls peut-être à pouvoir rivaliser de génie avec les ceux de la Grèce Antique. Il s'agit ici de rendre hommage à Ramananda (1400 – 1470, auteur de l'Adhyatma Ramayana), Ramakrishna (1836 - 1886), Vivekananda (1863 - 1902), Sivananda (1887 - 1963, fondateur de la Divine life society) et tant d'autres penseurs que les intellectuels d'Occident ne cessent depuis de citer et de nommer avec un immense respect.
Ramakrishna (1836 - 1886), et son disciple Vivekananda (1863 - 1902) sont peut-être les figures intellectuelles les plus populaires de l'Inde moderne. Ramakrishna pratiquait ardemment l'adoration fanatique de la déesse-mère. Cette pratique de dévotion envers une seule divinité, afin de la rencontrer et de vivre auprès d'elle un bonheur sans égal, s'appelle la Bhakti. C'est l'Évangile de Ramakrishna, collecté par un de ses plus proches disciples, qui nous renseigne sur ce terme difficilement traduisible.
Nul besoin de trop lire les Écritures. Vous seriez enclin à argumenter, à discuter. Ce que vous obtenez en répétant dix fois le Nom de Dieu avec amour est l'essence même des Écritures. Soyez fou de Dieu, ayez la véritable soif de Dieu, l'intoxication divine. L'amour, clef de la Connaissance, ouvre toutes les portes. […] Qui pourra jamais connaître Dieu à travers des raisonnements ? Même la lecture des six darshanas n'y suffirait pas. Il faut chanter le Nom de Dieu et Sa gloire. On peut être libéré dans cette vie, quand on croit que Dieu est l'auteur de tout ce qui est. La Volonté de Dieu s'exerce en tout, même dans le léger mouvement d'une feuille.
Ramana Maharshi (1879 - 1950), Sri Aurobindo (1872 - 1950, inspirateur de l'utopie d'Auroville fondée par la française Mirra Alfassa près de Pondichéry), Maharishi Mahesh Yogi (1917 - 2008), Satya Sai Baba (1926 - 2011), Swami Prabhupada (1896 - 1977), fondateur du mouvement Hare Krishna, Sadhguru (né en 1957), star d'internet ; ces noms ne vous diront peut-être rien, mais leurs visages vous sont familiers. Ces gourous sont devenus à leur tour des pop stars en Occident. À la manière du Dalaï-Lama (né en 1935), figure médiatique et goguenarde sans envergure théologique, l'Occident les a digérés. Ils font maintenant partie de nos propres vies. Comme Martin Luther King ou Nelson Mandela, Gandhi (1869 - 1948) est devenu par chez nous un parangon de vertu, même s'il ne fait pas nécessairement consensus en Inde (son rôle durant l'indépendance fait polémique).
Depuis la fin du mouvement hippie, l'Inde n'est plus à la mode en Occident, mais sa source est loin d'être tarie. Osho (1931 - 1990) n'a jamais autant vendu de livre, ses interviews font des dizaines de millions de vues sur Youtube. Il en va de même pour Sadhguru, (né en 1957) le nouveau gourou à lunettes de soleil venu des indes pour coloniser les tubes cathodiques d'Occident. Il y a quelques années encore, Amma (née en 1953), la « calino-thérapeute », remplissait les stades et gymnases de la Bretagne jusqu'au Brésil, en dispensant ses embrassades contre donations. Le temple de Sai Baba de Shirdi (v. 1838 - 1918) compterait encore cent millions de visiteurs annuels. En 2011, l’enterrement de Satya Sai Baba, le très polémique gourou accusé d'être un faussaire, fut digne de celui d'un chef d'État, et 6 à 100 millions d'Indiens considèrent encore de nos jours Sai Baba comme un des plus puissants maîtres spirituels qui jamais ne fut (ce qui est potentiellement plus que n'importe quelle autorité chrétienne ou musulmane).
Jiddu Krishnamurti (1895 - 1986), rendu populaire en Occident par l'entremise de la théosophie et grâce à ses travaux sur l'éducation, ainsi que U. G. Krishnamurti (1918 – 2007) et Osho (1931 - 1990), dernier né dans une famille jaïne, correspondent quant à eux, à la notion de dissident de l'hindouisme. Ils nient l'existence de dieu, ne lui donnent pas de nom, s'inspirent ouvertement de philosophie et de culture populaire, revendiquent l'influence musulmane, chrétienne ou zen et cherchent à communiquer avec un public nouveau, composé en particulier par la jeunesse intellectuelle occidentale. En conséquence, ces penseurs adoptent un discours volontairement choquant et outrancier. Osho est un best-seller en Occident ; ses interviews font des dizaines de millions de vues sur Youtube et Netflix proposa une série documentaire à son sujet.
Baba Nanak (1469 - 1539) et les gourous du sikhisme (30 millions d'adeptes dans le monde) se sont inspirés non seulement du concept de la bakhti, typiquement vishnavite ou shivaïte, mais aussi du karma, des avatars, de l'ascétisme fanatique et de la pratique permanente du yoga. Citons aussi les gourous universels, qui essayèrent de se situer à égale distance du brahmanisme et de l’islam, tel Namdev (1270 - 1350, mouvement Sant Mat) ou Kabir (v. 1440 - 1518).
En Perse, nous retrouvons des gnostiques évidemment inspirés du zoroastrisme et du mazdéisme, mais aussi du bouddhisme et de l'hindouisme le plus classique. Baha'u'llah (1817 - 1892), fondateur de la foi baha’i, revendiquant de nos jours 5 à 7 millions d'adeptes à travers le monde, se proclamait comme l'avatar Kalki, mais aussi comme le messie attendu par les juifs. Il recommandait d'étudier la Bhagavad Gita, tout comme la Bible ou le Coran. La cosmogonie baha’i est d’ailleurs étonnamment semblable à celle des vishnavites.
En 1816, des navires dont les cales sont remplies d'Indiens quittent l'Inde pour rejoindre Sydney, fournissant ainsi la main-d’œuvre qui sera utilisée dans les nouveaux vignobles de la vallée de la Yarra. Vingt ans plus tard, c'est vers l'ouest que se tourne le commerce maritime de la main-d’œuvre bon marché. De nombreux Indiens sont déportés vers l'île Maurice, les Comores, l'île de la Réunion et Madagascar. Plus avant dans le siècle, ils seront amenés jusqu'en Afrique du Sud et au Kenya, pour travailler à la place des Africains que les colons trouvent moins appliqués et moins ardents à la tâche. Ce sera encore vers les Caraïbes, la Jamaïque, et la Guyane que les paysans tamouls sans emploi seront envoyés. En 1870 est ouvert le premier temple hindou en Afrique du Sud. Côtoyant les peuplades noires africaines installées aux Caraïbes qui trouvaient la source de leur mysticisme dans les plus anciens textes juifs et éthiopiens, l'hindouisme tamoul de tendance shivaïte influence alors de manière certaine mais encore peu documentée, ce qui deviendra dans le courant du 20e siècle le rastafarisme. Le lègue culturel des Tamouls au rastafarisme est en particulier remarquable par l'emploi de ce que les deux peuples appellent la « ganga », le cannabis à des fins religieuses, rituelles et méditatives. De même, suivant la tradition shivaïte initiale, les quelques Tamouls qui devinrent sadhus aux Caraïbes influencèrent par leur ascétisme et leur allure les rastafariens et leurs célèbres dreadlocks.
Par ailleurs, la tombe de Saint Thomas (mort vers 52), évangélisateur de l'Inde, se situe à Madras. Elle est un des hauts lieux du pèlerinage chrétien en Inde. L'église syriaque, une des plus importantes congrégations chrétiennes en Inde, s'en revendique.
Il existe aussi d’innombrables saints de l’islam nés et morts en Inde, et leurs tombes parsèment le pays. Citons Aga Khan (1800 - 1881), le fondateur de la lignée ismaélites, né en Iran et mort à Bombay.
Citons encore Kabir (v. 1440 – v. 1518) et les soufis du Cachemire, le mystique iranien Rumni (né à Bactres en 1207 - 1273), et enfin l'ahmadisme (mouvement réformiste musulman messianiste fondé par Mirza Ghulam Ahmad à la fin du 19e siècle au Penjab).
Toutes les nouvelles spiritualités nées en Occident au 19e siècle payèrent leur tribu, ouvertement ou non, à l'hindouisme initial, qu'il soit védique ou tantrique, et qu'il soit parvenu en Europe à travers le canal bouddhiste ou par un autre moyen.
Le spirite français Allan Kardec (1804 - 1869) interprétera à sa façon la théorie de la réincarnation. Il lira et s'inspirera grandement de la Bhagavad Gita et surtout du Bhagavata Purana, deux ouvrages majeurs qui venaient tout juste d'être traduits en français. Si la puissante vague spirite du 19e siècle est complètement passée de mode en France et a même été complètement effacée de notre mémoire, le spiritisme connaît encore un franc succès au Brésil. Il concerne de nos jours 20 millions de sympathisants dans ce pays, dont 6 millions de pratiquants.
La théosophie d’Héléna Blavatsky (1831 - 1891) doit toute sa doctrine aux traditions dharmiques, reprises après avoir été passées par le prisme gnostique. Blavatsky ira même jusqu'à prétendre avoir découvert et traduit un texte dharmique antédiluvien, le Livre de Dyzian. De telles allégations ainsi que l'imposture théosophique en général, furent dénoncées par René Guénon, qui qualifiait cette théorie de « contre-initiation ».
La théosophie fut cependant un des principaux vecteurs de l’introduction de la pensée indienne en Occident. Les premières visites de Vivakananda (1863 – 1902) et Krishnamurti en Amérique furent d'ailleurs organisées par les théosophes, de même que les premières diffusions à grande échelle des livres du Vedanta.
En Occident, le Vedanta universaliste de Vivekananda, disciple de Ramakrishna (1836 - 1886), passionnait les foules et fit naître de très nombreuses vocations. En 1893, au Parlement des religions à Chicago l’allocution de Vivekananda fit grande impression. Il prônait alors une sorte d'œcuménisme de tous les cultes, sur la base d'un immense respect et d'une pratique quotidienne du yoga, ou de la prière philosophique.
L'inspiration indienne se fait aussi sentir chez les maîtres spirituels francs-tireurs de la fin du 19e et du début du 20e siècle. George Gurdjieff (1866 - 1849) et sa 4ème voie, par un effet de miroir, influenceront à son tour Osho. Citons aussi Rudolf Steiner (1861 - 1925) et son anthroposophie. De tels auteurs font appel en permanence aux concepts indiens du karma, du tantrisme, mais ce sont surtout leur gnosticisme qui les rapproche de l'Inde. Voyageurs, ils y sont allés et sont revenus chargés de lectures, d'enseignement et de secrets.
En 1875 est fondé à Bombay l’Arya-Samaj, la « noble société », qui se propose de rétablir de manière stricte et sans compromis les Vedas comme base unique de la pensée hindoue. Les puranas, les influences du monothéisme, sont minorés pour essayer de rendre aux Vedas leur caractère essentiel et central dans le culte aryen. La Bhakti et toutes les tendances de l'hindouisme moderne sont récusées comme étant des œuvres humaines et falsificatrices. Ses membres proposent de revenir à un culte védique prédatant les invasions musulmanes et la décadence de la pensée indienne, la perte des traditions et l'oubli du sens des vérités initiales. Ce que souhaitent alors les membres de la Noble Société, c'est rétablir les Vedas et les Upanishads comme uniques sources de sagesse possible, mais aussi assumer les castes comme étant indispensables à la perpétuation de la pureté raciale et religieuse. Les divinités comme Shiva ou Vishnou sont alors relayées au rang d'idoles, pour que seules demeurent les puissances élémentaires. Il s'agit donc d'un retour aux sources de l’hindouisme qui, par son intransigeance, signifie aussi le reflux qui marque la fin d'une décadence et l'amorce d'un renouveau. Ce renouveau aryen fera naître de nombreux fantasmes, tant en Inde qu'en Europe ; et la suprématie de la culture aryenne se verra bientôt considérée comme la base théorique et raciale du nazisme.
De 1875 jusqu'en 1945, c'est véritablement l'âge d'or de la diffusion de la pensée indienne, pourtant déformée par le prisme d'un Occident curieux et romantique.
Tout au long du 19e siècle, les études linguistiques avaient mis à jour les généalogies entre le latin, le grec, le sanskrit, mais aussi l'allemand, l'anglais, etc. Sous l’influence allemande, le terme de race aryenne devint synonyme de race blanche et supérieure, « blonde aux yeux bleus ».
La fièvre aryenne saisit les courants volkish et néopaïens allemands, qui redécouvrent, avec des erreurs d'appréciation mais animés d'une réelle quête de vérité, les relations entre l’Europe de l'âge de bronze, et les civilisations védiques et perses. En 1933, le svastika, même incompris, flotte au-dessus des villes allemandes.
Tous ces mouvements : Rose-Croix moderne, Golden Dawn, Société du Vril allemande (qui nous amèneront au groupe Thulé où nous trouverons Haushoffer, Hess, Hitler) avaient plus ou moins partie liée avec la Société Théosophique, puissante et bien organisée. La théosophie ajoutait à la magie néo-païenne un appareil oriental et une terminologie hindoue. Ou plutôt, elle ouvrait à un certain Orient luciférien les routes de l’Occident. C’est sous le nom de théosophisme que l’on a fini par décrire le vaste mouvement de renaissance du magique qui a bouleversé beaucoup d’intelligences au début du siècle.
L'Inde, terre de mystères, sera l'inspiration principale des courants néopaïens datant de la même époque. Guido von List (1848 - 1919), fondateur du wotanisme, chef de file du volkish, mais aussi Maria Orsic (1895 - v. 1945), médium du Vrill, seront parmi les nombreux lecteurs non seulement des Vedas, des Upanishads et mais aussi du Mahabharata. À la recherche des racines communes des peuples germaniques, celtiques, perses et indiens, ces auteurs furent des partisans, des militants, mais aussi des spécialistes de l'occultisme et de la symbologie indo-européenne.
L'influence du mythe aryen moderne sera en effet déterminante sur des personnalités comme Adolphe Hitler (1889 - 1945), et les théoriciens du nazisme Alfred Rosenberg (1883 – 1946) ou Heinrich Himmler (1900 - 1945). Himmler était un lecteur de la Bhagavad Gita, auquel il se référait souvent. La Gita faisait en effet partie de la bibliothèque de formation des cadres de la SS au château de Wewelsburg (Rhénanie-du-Nord-Westphalie).
Par ailleurs, le créateur de la S.S., de ses ordres ésotériques et de la fameuse Aneherbe, était littéralement obsédé par la symbologie indo-européenne, comme en témoigne le décorum nazi dans son ensemble et ses emblèmes en particulier (piège à loup wolfsangel, svastika, roue solaire celto-chrétienne, jumis balte, etc.)
La Bhagavad Gita et sa morale de l’action entreprise sans désirer les fruits de cette action, sera le livre de chevet de Robert Oppenheimer (1904 - 1967). Alors qu'il menait des recherches à Los Alamos et constatait les effets des premiers essais nucléaires menés dans le désert de l'Arizona, l’inventeur de la Bombe Atomique admettait relire souvent les paroles de Krishna : « Si dans le ciel se levait tout à coup la Lumière de mille soleils, elle serait comparable à la splendeur de Dieu. » Et aussi ce verset : « Je suis venu pour distribuer la mort, je suis le grand destructeur des mondes.
Les auteurs francophones à s'être inspirés directement de l'Inde et de l’hindouisme sont nombreux, bien qu'ils soient moins nombreux que ceux qui s'inspirèrent ou visitèrent le Maghreb, l’Égypte ou la Palestine. Le courant des « orientalistes » (mouvement commencé avec Chateaubriand et son voyage à Jérusalem publié en 1811 et continué jusqu’à Théophile Gautier et son Roman de la Momie de 1857) ignorait même complètement l'Inde pour se focaliser sur l'Algérie, la Palestine, la Grèce. En conséquence, la doctrine musulmane fit écran à la doctrine hindoue, qui nous demeura inconnue jusqu'au milieu du 19e siècle.
Voltaire (1694 - 1778) s'en était moqué, avec le personnage récurent du brahmane ou du gymnosophiste ridiculisé de contes en fables philosophiques. La Fontaine (1621 - 1695) aussi avait mentionné l'Inde, l'avait même honorée en la personne de Pilpay, auquel il avait dédicacé ses recueils de fables. C'était en effet au sage indien Pilpay (et au Phrygien Ésope), qu'on attribuait la plupart des fables ancestrales. Or, Pilpay n’était autre que le cachemire Vishnou-Sharma (v. -300), l'auteur des fables animalières du Pancha tantra.
Il faut attendre Leconte de Lisle (1818 - 1894) pour qu'un auteur rende justice à l'Inde en basant en grande partie son œuvre sur elle. Poète et écrivain, chef de file du mouvement littéraire des Parnassiens, membre de l’Académie française, il est l'auteur d'une Histoire de la colonisation française en Inde (L'Inde française, 1858). La mythologie indienne sera une de ses sources d'inspiration majeure, comme en témoignent les Poèmes barbares (1862) et les titres « Prière védique pour les morts », « La mort de Valmiki », « La vision de Brahma », « L’arc de Shiva », ou encore « La joie de Shiva. »
Outre Leconte de Lisle, Alphonse de Lamartine (1790 - 1869) est l’autre grand admirateur français de la culture indienne et de l'épopée du Ramayana en particulier. La geste de Rama, traduite par le sanskritiste Eugène Burnouf1 (1801 - 1852), fut de son propre aveux une des plus stimulantes lectures de sa vie. C'est ce même Eugène Burnouf, pionnier des études sanskrites en Europe, qui fera découvrir les spiritualités indiennes à Richard Wagner (1813 - 1883). Une génération plus tôt, la Bhagavad Gita avait été traduite en allemand et Goethe (1749 - 1832) avait déclaré que « ce livre avait été le plus important de [sa] vie. »
À la suite de la colonisation anglaise, l'Inde va se faire découvrir et petit à petit comprendre. Terre de mystère par excellence, elle deviendra un thème cher à des auteurs comme Jules Verne (1828 - 1905), qui en fera une des plus belles et périlleuses étapes de son Tour du monde en 80 jours.
Durant cette époque seront compilés des récits en tout genre, dont le récit de la quête du navigateur Sindbad, que l'on associe trop vite à Ali Baba et que l'on pense par conséquence arabe ou perse, mais qui est en réalité originaire du Sindh, une région située sur les rives de l'Indus (il est cependant vrai que les aventures de Sindbad se déroulent dans un contexte islamique et arabe, dans la région du golfe persique).
En philosophie, depuis les gymnosophistes et gymnopédistes ridiculisés par les philosophes de la Grèce antique, jusqu'à Schopenhauer (1788 - 1860), l'Inde et ses doctrines prônant le détachement ont de tout temps été considérés comme des contre-exemples, jusqu'à être estimées comme de dangereux nihilismes. Nietzsche (1844 - 1900) s'intéressera à Dionysos, le Shiva grec, mais aussi au mythe indo-européen de l’Hyperborée.
Le contrecoup de la théosophie et de l'introduction du Vedanta en Occident, donneront naissance à des vocations indiennes, comme celle de René Daumal (1908 - 1944), traducteur du Natsya Sutra (traité de la danse).
Le grand mystique René Guénon (1886 - 1951) retrouva en Inde et en Arabie la tradition primordiale encore vivante et vivace, et pour la première fois expliqua au public francophone les percepts de Shankara. René Guénon et l'Italien Julius Évola (1898 - 1974) seront parmi les nombreux écrivains à tenter un pont entre l'Inde et l'Occident.
Dans le registre de la pure mythologie comparée, George Dumézil (1898 - 1986) et Mircéa Eliade (1907 - 1986) sont parmi les plus célèbres auteurs de la mouvance indo-européenne, né d'abord de la linguistique.
En Allemagne, Hermann Hesse (1877 - 1962) écrit des romans initiatiques inspirés du Bouddha, qui seront quelques années plus tard, les livres de chevet des jeunes occidentaux en mal d'idéaux : Siddhartha et Le Loup des steppes sont ses chefs-d’œuvres.
Le dénouement de la Seconde Guerre mondiale marque le point d’arrêt à la longue tradition indo-européenne. L’Europe, moins eurasienne que jamais, devint atlantiste, c'est-à-dire libérale, capitaliste, athée, multiculturelle et cosmopolite. L'Inde s'éloigna encore un peu plus de l'Occident dont elle ne partageait ni l'industrialisation ni la course effrénée au progrès. Quant au reste de l'Asie, il bascula dans la standardisation, selon le modèle islamique de la charia (Iran, Afghanistan, Bangladesh, Malaisie, Indonésie) ou selon le modèle consumériste et ethnocentré des Chinois (Indochine, Tibet, Pacifique).
Par conséquence, les Indiens sont aujourd'hui, ce qu'auraient pu être les Incas ou les Mayas, s'ils avaient pu traverser les âges, ou l’Égyptiens ou les Perses, si jamais l'islam n'eut transformé leurs pays.
Mentionnons encore Rudyar Kipling (1865 - 1936), Anglais des Indes, auteur de la célèbre nouvelle qui inspira plus tard le Livre de la jungle au cinéma.
En Amérique, la Bhagavad Gita intéressait Ralph Waldo Emerson ( 1803 - 1882), qui la mentionnait souvent dans sa correspondance. Henry David Thaureau (1817 - 1862) s’intéressa au Bouddha, ce qui n'a rien d'étonnant pour un tel partisan de l'ascétisme. Gary Snyder (né en 1930) fera découvrir le zen et le tantrisme à Jack Kerouac (1922 - 1969), le plus talentueux des écrivains de la Beat Generation. Citons dans la même mouvance Allen Ginsberg (1926 - 1997), propagateur du bouddhisme en Amérique.
Encouragés et en même temps déçus par la croissance économique des Trente Glorieuses, des Occidentaux prennent la Route des Indes. Nicolas Bouvier (1929 - 1998) et Ella Maillard (1903 - 1997), héritiers d'Alexandra David-Neel (1868 - 1969), participeront à ce grand voyage vers l'est, qui relie l'Europe de l’ouest à l'Hindu Kush, de même que Varanasi à Tokyo ou San Francisco.
Dans les années 1960, les auteurs vont faire le voyage des Indes. Ils exprimeront plus ou moins de critiques par rapport à leurs expériences, mais surtout porteront un regard sans illusion sur ceux qui entreprennent ce même voyage. Le mythe du baba cool est né : le baba cool c'est le paumé, le désœuvré, le jeune en manque d'autorité et d'idéaux qui part vivre une expérience indienne qui le changera à jamais (s'il en ressort vivant). L'expérience indienne, ou plutôt le mythe de l’expérience indienne, devient un rituel d'initiation dangereux et tragique. C'est les Chemins de Katmandou de René Barjavel (1911 - 1985) et Flash, le roman générationnel de Charles Duchaussois (1940 - 1991).
Dans un autre registre, il y a Timothy Leary (1920 - 1996), apologue du LSD et grand lecteur du Livre tibétain des morts, dont il conseillait la lecture lors d'une prise de psychotrope.
Toujours dans le domaine du psychédélisme, citons Terence Mc Keyna (1946 - 2000), dont les travaux ne manquent jamais de s'intéresser aux Vedas, à l'Avesta mais aussi au culte du bovin ou à divers thèmes typiquement indiens. Ses recherches sur la véritable nature du soma des anciens Aryens sont particulièrement intéressantes. Héritier des années dorées du San Francisco hippie, mentionnons encore Alan Watts (1915 - 1973), conférencier en développement personnel. À l'instar d'Allan Watts, tous les conférenciers de type « new age », dont l'enseignement est spécialisé dans le développement personnel, font référence d'une manière ou d'une autre, et plus ou moins fidèlement, aux concepts indiens (le yoga surtout, mais aussi des concepts comme la réincarnation, les mondes parallèles, la vie après la mort, etc.).
Toujours dans le domaine du psychédélisme et des arts subversifs et populaires, il ne faut pas manquer de relever la présence constante de l’iconographie des divinités indiennes dans l’univers artistique de la musique techno en général et de la Goa Trance en particulier. Rythme tribal, imagerie exotique, consommation d’excitants et de narcotiques : les rave parties sont des bacchanales modernes, des festivals de boue, de couleur et de cannabis qui rappellent tout à fait un festival hindou de type Shivaratri (la nuit de transe qui marque l'anniversaire de Shiva, durant laquelle le bhang est largement et ouvertement consommé).
Malheureusement, depuis la fin des années 1960, durant laquelle la pensée indienne et son décorum accompagna le psychédélisme hippie (Beatles, Who, etc.), jamais plus l'Inde ne provoquera un véritable intérêt en Occident. À moins qu'un sinistre fait divers ne fasse parler d'elle à contrecœur, l'Inde est alors reléguée par nos médias dans un coin peu fréquenté de la grande autoroute des communications modernes. Par ailleurs, l'Amérique et le Moyen-Orient y ont pris une place disproportionnée, occultant ainsi le rôle, la présence et le destin de l'Inde.
En somme, l'Inde nous est toujours aussi lointaine aujourd’hui qu'elle le fût à travers les siècles. La mondialisation a tourné l’Europe vers l'Amérique, le Moyen-Orient, l'Afrique... Et l'Inde, noire mais non africaine, pauvre mais puissante, anciennement colonisée mais non victimaire, l'Inde complexe et particulière, nous demeure encore étrangère.
Bien que peu médiatisées sous nos latitudes, les spiritualités indiennes représentent tout de même une part très importante de la démographie mondiale relative aux différents cultes. Pour s'en faire une juste opinion, il convient de s’intéresser à quelques chiffres significatifs ; l’hindouisme est la croyance de 15 % de la population mondiale, soit deux fois moins que la part du christianisme. Mais si on ajoute à l'hindouisme le bouddhisme et les autres religions qui ont émergé du socle commun védique (dharmique), nous obtenons un chiffre bien plus significatif. Les religions dharmiques prises dans leur ensemble (hindouisme, bouddhisme, jaïnisme, sikhisme) représentent ainsi près de 23 % des pratiques religieuses des habitants de notre planète, soit une part similaire à l'islam (1 être humain sur 4).
En outre il y a plus de vishnavites que d’athées dans le monde, ainsi que deux fois plus d'hindous et trois fois plus de partisans d'une tradition dharmique que d'athées. Ces chiffres indiquent l'importance culturelle et religieuse de l'Inde, et permettent de remplacer cette nation à sa juste place : centrale tout comme prépondérante.
Par ailleurs, la pratique du yoga et la popularité de la méditation augmentent encore le nombre d'adeptes d'une des traditions originaires du sous-continent indien.
Si les cultes de Rama, Krishna ou Bouddha n'ont pas dépassé les frontières de l'Asie, le yoga et la méditation (deux pratiques védiques ou bouddhistes) connaissent une véritable popularité en Occident, il ne s'agit pas de pratiques religieuses, mais sportives et relaxantes. Le yoga est ainsi préconisé aux femmes enceintes et pratiqué dans certains de nos hôpitaux publics. Cette pratique ancestrale de domination du corps en vue de connaître la paix de l'âme serait pratiquée par 4 % de la population mondiale, ce qui est un chiffre non négligeable et voué à augmenter.
1déjà traducteur de la Bhagavad Gita et du Bhagavata Purana
Religions |
Adeptes (en millions) |
% de la pop. mondiale |
hindouisme dans le monde |
1100 |
15 |
hindouisme en Inde |
966 |
13 |
vishnavisme dans le monde |
700 |
9,5 |
pratique du yoga |
300 |
4 |
bouddhisme |
535 |
7 |
bouddhisme en Inde |
8,5 |
0,7 |
total des religions dharmiques |
> 1 660 |
22,5 |
islam |
1_800 |
24,1 |
christianisme |
2 300 |
32 |
athéisme |
> 500 |
> 7 |
néo-paganisme |
1 |
0,01 |
En % de la pop. totale mondiale, pour 7,3 milliards d'habitants (2020). Wikipédia (hindouisme dans le monde), Census of India 2011, thegoodbody.com (yoga dans le monde), Worldpopulationreview.com (bouddhisme dans le monde), hindouisme + bouddhisme + jaïnisme + sikhisme (religions dharmiques), Wikipédia (islam, christianisme), Wikipédia (athéisme et néopaganisme). Le vishnavisme représente 60% des pratiques hindous.
|
hind. en % |
hind. en millions |
boudd. (%) |
bouddh. en millions |
mus. en % |
musulmans en millions |
chrétiens (%) |
chr. en millions |
autres % |
dont... |
Inde |
80 |
1040 |
0,7 |
8,5 |
14,2 |
190 |
2,3 |
30 |
3 |
sikhs, zoroastriens |
Népal |
80,6 |
24 |
10,7 |
3 |
4,2 |
1,3 |
0,5 |
0,3 |
4 |
böns |
Bhoutan |
22,6 |
0,2 |
74,8 |
0,6 |
0,1 |
0 |
0,5 |
0,01 |
2 |
- |
Birmanie |
0,5 |
0,3 |
88 |
48 |
4,3 |
2,3 |
6,2 |
1,7 |
- |
- |
Sri Lanka |
12,6 |
3 |
70,2 |
14 |
9,7 |
2 |
7,4 |
1,5 |
0,1 |
- |
Bangladesh |
9 |
14 |
0,6 |
0,8 |
90 |
150 |
0,3 |
0,4 |
0,1 |
- |
Pakistan |
1,85 |
3,6 |
0 |
0 |
96 |
200 |
1,6 |
2,5 |
0,1 |
3 000 zoroastriens |
Afghanistan |
- |
0.004 |
< 0,001 |
- |
99,7 |
34 |
0,02 |
0,01 |
0,1 |
zoroastriens |
Tibet |
- |
- |
79 |
5 |
0,4 |
0,02 |
0,02 |
0.001 |
20,5 |
confucéens athées, böns |
India census 2011, Népal census 2001, Bhoutan pew 2010, Birmanie : Wikipédia, census 2014, Sri Lanka : Census 2011, Bangladesh : Bureau of Educational Information and Statistics 2011, Pakistan : Pakistan Bureau of Statistics, Government of Pakistan, Afghanistan : CIA 2017, Tibet : US Government 2012, Wikipédia 2018, Dentsu Communication Institute Inc., Centre de Recherche du Japon en 2006. Zoroastriens : K. K. Pardis, Les Gathas, Livre sublime de Zarathoustra (Albin Michel, 2011).
Religions et traditions |
Nombre d'adeptes |
En % de la pop. indienne |
Védisme |
2_360_821 |
0,17 |
Hindouisme dans le monde |
1_100_000_000 |
- |
Hindouisme en Inde |
966_000_000 |
80 |
Hindouisme en Indonésie (Bali) |
4_000_000 |
- |
Hindouisme aux États-Unis |
2_270_000 |
- |
Hindouisme en Australie |
440_300 |
- |
Hindouisme en France |
121 312 |
- |
Hindouisme en Guyane française |
4 650 |
- |
Hindouisme hors Inde |
60 à 70_000_000 |
- |
Pratique du yoga dans le monde |
300_000_000 |
- |
Pratique du yoga aux États-Unis |
36_000 000 |
- |
Pratique du yoga en France |
2_600_000 |
- |
Vishnavisme en Inde |
600_000_000 |
42,86 |
ISKON (Hare Krishna) dans le monde |
1_000_000 |
0,07 |
ISKON aux États-Unis |
50 000 à 100 000 |
- |
Shivaïsme en Inde |
240_000_000 |
17,14 |
Ascétisme sadhu en Inde |
4 à 5 000 000 |
0,29 à 0,36 |
Ascétisme aghori en Inde |
500 à 70 000 |
< 0,1 |
Shaktisme en Inde |
30_000_000 |
2,14 |
Visiteurs annuels du temple de Shirdi |
> 10_000_000 |
0,7 |
Disciples de Satya Sai Baba |
6 à 100_000_000 |
0,43 à 7,14 |
Jaïnisme dans le monde |
6_000_000 |
- |
Jaïnisme en Inde |
4_452_000 |
0,37 |
Jaïnisme aux États-Unis |
150 000 |
- |
Jaïnisme hors Inde |
300 000 |
- |
Bouddhisme dans le monde |
535_000_000 |
- |
Bouddhisme en Inde |
8_443_000 |
0,7 |
Bouddhisme Navayana |
7_300_000 |
0,52 |
Bouddhisme traditionnel en Inde |
1_143_000 |
0,08 |
Bouddhisme tibétain en Inde |
127 935 |
0,01 |
Bouddhisme hors Inde |
480_000_000 |
- |
Bouddhisme aux États-Unis |
3_000_000 |
- |
Bouddhisme américain (convertis) |
800 000 |
- |
Bouddhisme en France |
1_000_000 |
- |
Sikhisme dans le monde |
30_000_000 |
- |
Sikhisme en Inde |
20_800_000 |
1,72 |
Sikhisme hors Inde |
2_300_000 |
- |
Ayyavazhisme |
10_000_000 |
0,71 |
Adivasisme (hindou ou animiste) |
104_000_000 |
8,6 |
Animisme en Inde |
14_000_000 |
1 à 5 |
Sanamahisme |
235 000 |
0,02 |
Donyi-Poloisme |
600 000 |
0,04 |
Sarnaïsme |
4_957_000 |
0,36 |
Zoroastrisme en Inde |
57 264 |
< 0,004 |
Zoroastrisme en Iran |
25 270 |
- |
Zoroastrisme en Amérique du Nord |
21 000 |
- |
Zoroastrisme hors Inde |
60 000 |
- |
Zoroastrisme dans le monde |
120 000 |
- |
Bahaïsme en Inde |
4 572 à 1 898 000 |
- |
Judaïsme (juifs indiens et touristes israéliens) |
76 000 |
0,006 |
Islam en Inde |
172_000_000 |
14,23 |
Sunnisme en Inde |
146_000_000 |
10,43 |
Chiisme en Inde |
16 à 24_000_000 |
1,14 à 1,71 |
Ahmadisme en Inde |
60_000 à 1_000_000 |
0,004 à 0,07 |
Christianisme en Inde |
27_800_000 |
2,3 |
Catholicisme en Inde |
19_900_000 |
1,55 |
Église syrienne (Église de St Thomas) en Inde |
6_000_000 |
0,43 |
Protestantisme en Inde |
11_000_000 |
0,8 |
Adventisme (évangélisme) en Inde |
1_560_000 |
0,11 |
Mormonisme en Inde |
18 141 |
0.001 |
Jéhovisme en Inde |
42_566 |
0.003 |
Bön en Inde |
200 moines |
- |
Bön dans le monde (Tibet, Chine) |
600 000 |
- |
Théosophie en Inde |
10_000 |
0.0007 |
Théosophie dans le monde |
30 000 |
- |
Francs-maçons en Inde |
30 000 |
0.002 |
Athéisme ou agnostiques en Inde |
14 à 42 000 000 |
1 à 3 |
Touristes occidentaux annuels en Inde |
> 4 000 000 |
0,3 |
Nombre de locuteurs sanskrits, Government of India, Ministry of Home Affairs (védisme), Wikipedia (hindouisme dans le monde), Census of India 2011 (hindouisme, jaïnisme, sikhisme, bouddhisme, zoroastrisme, islam, christianisme), Ministère des affaires religieuses, Indonésie 2010 (hindouisme en Indonésie), Census Indonesia 2010 (hindouisme à Bali), US Public Religion Research Institute 2016 (Hindouisme aux USA), Australian census 2016 (hindouisme en Australie), Wikipedia (hindouisme en France), globalreligiousfutures.org (hindouisme en Guyane), Pew Research (hindouisme hors Inde), thegoodbody.com (yoga dans le monde et aux États-Unis), Oly Be (yoga en France) globalsecurity.org (vishnavisme, shivaïsme), ISKON et religionlink.com (ISKON), Wikipedia (sadhu), Wikipedia et joshuaproject.net (Aghoris), Johnson and Grim 2010 (shaktisme), Wikipedia, Satya Sai Baba movement (Satya Sai Baba), Victoria and Albert Museum (Jainisme dans le monde), Jonathan H. X. Lee, Encyclopedia of Asian American Folklore and Folklife 2010 (jaïnisme aux USA). Worldpopulationreview.com (bouddhisme dans le monde), Wikipedia (Sikhisme dans le monde), Diaspora tibétaine en Inde, Central Tibetan Administration 2009 (bouddhisme tibétain), Hughes, Richard, Buddhism in America, Columbia University Press 2012 (bouddhisme aux USA), pbs.org 2001 (bouddhisme américain), Union bouddhiste de France (bouddhisme en France), Census 2011 (adivasis), Encyclopaedia of Religion and Society (animisme), 31st Indian Social Science Congress (Ayyavazhi), Census of India 2001 (Sanamahisme), nombre de locuteurs tanis (Donyi-Poloisme), The Indian Express (Sarnaïsme), Recensement Iran 2011 (Zoroastriens en Iran), Federation of Zoroastrian Associations of North America 2012 (zoroastrisme en Amérique du nord), Census of India 2011 et ARDA (bahaïsme), Census of India 2011 et Israel Ministry of Tourism 2018 (judaïsme), Pew Research Center (chiisme), outlookindia.com (Ahmadisme), BBC (catholicisme), factsanddetails.com (protestantisme), Wikipedia, factsanddetails.com (Église Syrienne), the Seventh Day Adventist Church 2011 (adventisme), LDS Church in India et RLDS (mormonisme), 2016 Yearbook of Jehovah's Witnesses (jéhovisme), monastère de Menri, Dolanji, Himachal Pradesh et Census of China (Bön), Chicago Tribune (Théosophie), V. K. Gupta (Francs-maçons), 2012 WIN-Gallup Global Index of Religion and Atheism (athéisme), Ministère indien du tourisme 2020, chiffres de 2018 (touristes).
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