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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Le système des CASTES en Inde et dans le monde indo-européen

Quel que soit l'âge, le sexe ou la caste d'un individu, vous devez le respecter sans distinction. 

Ramanuja

En Inde, la coutume millénaire et jadis universelle des castes s’applique encore.

Le terme de caste, s'il correspond assez bien à la réalité du phénomène, n'en demeure pas moins un terme trop sélectif pour donner une idée juste de ce qu'il représente. Le mot caste fut d'abord utilisé par les Portugais pour rendre compte du système social très hiérarchisé du pays avec lequel ils souhaitaient commercer, dans le sillage de Vasco de Gama et de Magellan. Mais c'est dès l'Antiquité, que les visiteurs occidentaux remarquèrent l'application d'un principe de hiérarchie sociale par ailleurs présent en Grèce, en Germanie et en Celtie.

 

Les varnas

Dans les Védas tardifs (v. -800), l'existence humaine est vue comme un corps, qui satisfait ses besoins à la hauteur de sa condition. Pour que ce corps astral, qui représente l'humanité, puisse exister, il faut que chacune de ses différentes parties soit correctement coordonnée.

Les varnas (« couleurs » en sanskrit) sont au nombre de quatre, dans leur ordre décroissant de pureté et de respectabilité : les brahmanes, les kshatriyas, les vaishyas et les shudras. Chacun des varnas représente un besoin vital qui doit être correctement appréhendé par l'ensemble de la société. Ainsi, les brahmanes sont la tête, les kshatriyas les bras, les vaishyas le ventre et les shudras les jambes. Dans la Bhagavad Gita, probablement composé après la période brahmanique, Krishna réaffirme les varnas.

Entre les Brahmanes, les Kshatriyas, les Vaishyas et les Shudras, les fonctions ont été partagées conformément à leurs qualités naturelles. La paix, la continence, l’austérité, la pureté, la patience, la droiture, la science avec ses distinctions, la connaissance des choses divines : telle est la fonction du Brahmane, née de sa propre nature. L’héroïsme, la vigueur, la fermeté, l’adresse, l’intrépidité au combat, la libéralité, la dignité d’un chef : voilà ce qui convient naturellement au Ksatriya. L’agriculture, le soin des troupeaux, le négoce, sont la fonction naturelle du Viça. Enfin servir les autres est celle qui appartient au Shudra. L’homme satisfait de sa fonction, quelle qu’elle soit, parvient à la perfection.

Bhagavad Gita, 18, 41 à 45.

La tradition jaïne diffère ici de l'hindoue, car les trois castes initiales ne comprennent pas les brahmanes mais, à leur place, les commerçants.

En témoigne l'hagiographie du premier des tirthankara :

Pendant de nombreuses années, Rishabhdev gouverna son peuple et ouvrit de nouvelles frontières de connaissance. Durant le règne de son père, la population était organisée au hasard, uniquement en groupes. Rishabhdev les réorganisa suivant leurs vertus, leurs activités et leurs professions et il divisa, en gros, la société en trois parties. La communauté commerçante fut appelée « vaishya », la communauté militaire « kshatriya », tous les autres gens s’occupant des services divers furent appelés « shudra ». À cette époque, le groupe des brahmanes n’était pas encore constitué.

Up. Shri Amar Muni, Les Vies authentiques des vingt-quatre Tirthankars (jainworld.com).

En Grèce, on observe la même division de la société qu'en Inde brahmanique. C'est l'éminent juriste Rodolphe Dareste, dans son commentaire à La loi de Gortyne, qui nous renseigne :

La loi distingue quatre classes de personnes, à savoir les hommes libres, les hommes de condition inférieure, les colons, et les esclaves. La différence entre les deux premières classes tient à ce que les hommes libres, proprement dits, font seuls partie des confréries ou hétairies [clubs aristocratiques]. Les autres, comme leur nom l’indique, en sont exclus. Les colons se rapprochent des esclaves en ce qu’ils ont un maître, et sont attachés à la glèbe, mais ils ont de droits sur la terre qu’ils cultivent. Le cheptel, les objets mobiliers leur appartiennent. Ils font en quelque sorte partie de la famille. Quant aux esclaves, le maître n’a pas sur eux un pouvoir illimité, et la loi les protège, au moins dans certains cas déterminés.

Depuis ce commentaire de Dareste, nous pouvons établir un parallèle entre la troisième caste de la cité de Gortyne, celle des colons et celle des vaishyas indiens. Ces deux castes sont spécialisées dans le commerce, et toutes les deux jouissent d'un certain prestige social, sans pour autant exercer le moindre pouvoir politique ou religieux. Il s'agit véritablement d'une caste intermédiaire, infiniment plus respectable que les groupes qui lui sont inférieurs, mais limitée dans ses prétentions.

Par ailleurs, on retrouve aussi la division castique aryenne de la société chez les Celtes et les Germains, et celle-ci perdurera jusqu'à la Révolution française.

Dans toute la Gaule, il n'y a que deux classes d'hommes qui soient comptées pour quelque chose et qui soient honorées ; car la multitude n'a guère que le rang des esclaves, n'osant rien par elle-même, et n'étant admise à aucun conseil. La plupart, accablés de dettes, d'impôts énormes, et de vexations de la part des grands, se livrent eux-mêmes en servitude à des nobles qui exercent sur eux tous les droits des maîtres sur les esclaves. Des deux classes privilégiées, l'une est celle des druides, l'autre celle des chevaliers.

César, La Guerre des Gaules, 6, 13.

À propos des Celtes insulaires, Jules de Lasteyrie observe dans L’Irlande au Ve siècle :

 

S’il existait une sorte d’égalité parmi les chefs, il y avait une inégalité cruelle entre les hommes de la classe supérieure et ceux de la classe inférieure. Ces derniers étaient réduits à une condition légale mal définie par la loi des saisies, et que l’on est tenté de comparer à celle des esclaves ou des serfs, bien qu’évidemment l’analogie ne soit pas complète. Le vacher, le berger, le charretier, l’employé et l’ouvrier de toute espèce n’avaient ni le droit de contracter sans l’autorisation de leur maître, ni celui d’intenter une poursuite sans être cautionnés par un chef. Ils étaient placés par la loi dans la condition des mineurs et des aliénés.

La société indo-européenne se divise donc en deux catégories : les castes nobles, et les castes laborieuses. La caste noble est elle-même divisée en deux classes, celle des prêtres et des enseignants, gardiens du culte et de la justice divine sur terre, et celle des guerriers et administrateur, dont font partie les rois, ses ministres et ses soldats. Les premiers ont pour rôle de prier pour les autres classes. Les seconds ont pour rôle de défendre les autres classes en cas d'agression.

Dans Les Trois Religions de la Chine, comparant l'organisation sociale de l'Empire du Milieu à celui du sous-continent, Théodore Pavie observe très justement que « dans l’Inde, la caste sacerdotale détrôna de bonne heure la caste guerrière dont elle proclama plus tard l’entière extinction comme un article de foi ; elle altéra les sources du passé et mit à la place des faits ces merveilleuses légendes qui éblouissent l’esprit. »

Enfin, la classe laborieuse assure la subsistance de toutes les castes. Il s'agit donc du « oratores (ceux qui prient), bellatores (ceux qui se battent), et laboratores (ceux qui travaillent) » médiéval, qui deviendront les trois états de la monarchie absolue (aristocratie, clergé et tiers état).

L'esclavage est par ailleurs largement présent chez les civilisations indo-européennes. Il fut pratiqué de Scandinavie jusqu'en Grèce, en Perse et en Inde. Les esclaves étaient une non-classe hétérogène, composée surtout de soldats captifs, de commerçants étrangers endettés ainsi que d'esclaves domestiques.

Le servage concerne les peuples soumis, mais aussi des hommes libres déchus de leurs castes respectives. En période de famine ou suite à un déclassement social, un homme libre peut être amené à se vendre lui-même en échange d'un salaire ou plus simplement d'un gîte et d'un repas quotidien pour lui et sa famille. En Scandinavie, le servage pouvait être un arrangement social, voire un moyen de réguler les rapports de domination et de soumission, mais aussi de protection et de dépendance.

Dans Les Gypsies et la Vie errante, Alphonse Esquiros relève une pratique similaire chez les Gitans, un peuple originaire du Rajasthan indien :

Autrefois le gypsy qui ne pouvait rendre à un autre gypsy l’argent prêté devenait l’esclave de son créancier pendant un an et un jour. Il lui coupait son bois et lui tirait son eau. Aujourd’hui encore c’est un point d’honneur parmi eux que d’acquitter ses dettes, et le débiteur malheureux fait les plus grands sacrifices pour se délivrer d’une situation qu’il regarde comme dégradante.

Revenons à l'Inde. Plus un varna est situé en bas de la hiérarchie, plus elle est éloignée du divin, et donc moins elle a de règles religieuses et alimentaires à respecter. De fait, le varna des jambes incarne le travail physique, celle du ventre incarne les besoins vitaux, ce sont des varnas industrieux et producteurs de biens. Le varna des bras incarne l'autodéfense, mais aussi l'intelligence et l'agilité. Enfin, la varna de la tête incarne les aspirations mystiques de l'humanité à se connecter avec le grand tout cosmique, le Brahman, la grande âme commune à chacun des êtres humains et qui se présente comme le complément de l'Atman, l'âme individuelle par laquelle notre incarnation temporelle s'exprime.

Ainsi, les varnas tels que décrits dans les Védas, sont en vérité des étapes dans la réalisation d'un juste destin. D'abord, il s'agit d'être humble en entrant dans la vie, de respecter et d'aimer ses parents, de travailler dur pour rendre à l'Univers ce qu'il nous a donné : c'est l'âge du ventre. Puis, à force de sagesse, d'abnégation et d'ardeur à la tâche, arrive le temps des bénéfices, de la jouissance et de la vie pleinement comprise : c'est l'âge de l'échange. Vient ensuite le moment de participer à la pérennisation de la société tout entière en créant une famille, qui à son tour protégera ceux dont la santé décline : c'est l'âge du combat.

À la fin d'une vie exemplaire, et comme c'était l'usage en Grèce antique ainsi que dans la plupart des sociétés indo-européennes, un homme se prépare à mourir, c'est-à-dire qu'il se rapproche du divin en vue d'accepter sa mort prochaine. Il peut alors se plonger dans les Écritures, ou revêtir la robe sacerdotale des sanyassims et s'en aller finir sa vie seul et détaché de tout, même de lui-même : c'est alors l'âge du Brahman.

Dans une société qui se voudrait stable et prospère, les différents varnas seront donc incarnés par des populations qui en feront leur spécialité. Ainsi, les brahmanes sont ceux qui maîtrisent les langues anciennes, comme le sanskrit, et qui ont pour responsabilité la vie culturelle et religieuse du sous-continent.

Idéalement, les brahmanes se consacrent exclusivement au maintien du culte, il est donc logique qu'ils reçoivent comme salaire ou comme subsistance l'obole des autres varnas. Quant aux kshatriyas, ce sont les guerriers qui ont pour devoir de veiller à la paix des frontières, à l'application des règles du dharma, la loi universelle, et à la gestion saine du royaume ou de la cité. Les vaishyas quant à eux sont les agriculteurs, propriétaires, commerçants et hommes d'affaires qui font fructifier l'économie et apportent à l'humanité la prospérité. Ces trois varnas sont des varnas nobles, c’est-à-dire dotées d'une forte respectabilité qui est due à leur degré de pureté. Leur régime alimentaire peut être contraignant et la droiture morale est pour eux une valeur essentielle.

Théoriquement, ces trois varnas ne sont pas en contact avec des labeurs dégradants ou physiquement difficiles, car c'est l'activité des shudras, le dernier varna. Les shudras sont les ouvriers, de l'industrie comme du monde agricole. Ils sont ceux grâce à qui les autres pensent ou désirent. Ils sont les indispensables travailleurs d'un univers qui n'est que création, entreprise, expansion. Leur esclavage est interdit, leur peine mérite un salaire et si les brahmanes ne doivent pas nécessairement leur enseigner les Védas, c’est-à-dire le savoir mystique, ils doivent néanmoins mener pour eux les rites et les sacrifices du culte.

 

La ségrégation sur la base des castes a été abolie à l'indépendance du pays, mais la République indienne reconnaît tout de même comme un élément de sa constitution la sauvegarde du patrimoine traditionnel hindou. Le système des castes n'est donc ni combattu par les institutions, ni favorisé, mais laissé libre de s'adapter de lui-même à la libéralisation du pays.

Étant laïque, tant au niveau de ses institutions que de sa législation, la république indienne interdit donc toute forme de ségrégation basée sur la caste, tout en pratiquant paradoxalement la ségrégation positive envers les castes les plus nécessiteuses. En somme, si le principe des castes est illégal, les castes elles-mêmes sont reconnues et leurs inégalités tentent d'être gommées ou allégées par un État interventionniste et égalitariste.

 Rendues caduques par la modernisation du pays, les dénominations héritées des varnas ont été remplacées administrativement par de nouveaux termes bureaucratiques. On distinguera donc dans les recensements les plus récents, la classe générale, aussi appelée classe avancée (« Forwards Class »), les classes en difficulté (« Other Backward Class ») et les castes et tribus enregistrées comme particulièrement défavorisées (« Scheduled Castes and Scheduled Tribes »). Cette dernière classification se subdivise en classe urbaine nécessiteuse (« Scheduled Castes ») et peuplades indigènes en retard de développement d'autre part (« Scheduled Tribes »). Cette classification administrative a pour objectif de permettre aux castes en difficulté de se faire connaître afin de bénéficier du programme de discrimination positive.

À ces quatre varnas, il convient d'ajouter d'autres catégories qui peuvent s'apparenter aux varnas. On distinguera alors des groupes sociaux supérieurs aux varnas, en dehors des varnas ou inférieurs aux varnas.

La plus respectable des conditions est celle des sanyassims, les saints hommes, c'est-à-dire ceux qui ont fait le vœu de dédicacer leur existence à l'adoration des divinités. Il s'agit des yogis, des gourous et des sadhus. Parce qu'ils ont renoncé à vivre dans notre monde d'illusions, ils n'occupent officiellement aucune des varnas, mais leur place est nettement située au sommet de la hiérarchie sociale. Héritiers des mythiques rishis, les traditions ésotériques font d'eux les représentants des dieux sur Terre.

Il existe aussi des groupes sociaux dont le mode de vie n'est clairement pas intégrable aux varnas. Il peut s'agir de castes nomades, tels les artistes de rue, les commerçants ambulants, les prostitués ou encore les devins, voyants et nécromanciens. Nous pouvons aussi faire entrer dans cette catégorie les Indiens occidentalisés, étudiants et travailleurs émigrés, qui vivent coupés de leurs traditions et de leurs racines, mais aussi les peuples des nations étrangères, voisines ou lointaines, qui vivent sans connaître ni respecter les lois du dharma.

La catégorie la plus inférieure est la minorité la plus représentée dans la démographie indienne, celle des parias et autres dalits ou intouchables. Si elle n'est pas considérée comme un varna, c'est que son existence est liée à des activités trop compromettantes pour être respectables.

Elle se compose en trois parties d'importance égale. Il y a d'abord ce que les traditions présentent comme « la caste la plus basse ». Il s'agit d'une sorte de lumpenprolétariat dont les occupations sont limitées aux tâches les plus impures, c’est-à-dire les plus éreintantes et salissantes. Cette catégorie est aussi appelée les dalits, littéralement « les maudits, les interdits » et que l'Occident connaît sous le nom d'intouchables. Gandhi utilisait le terme paradoxal de harijans, « les envoyés de Dieu ». Les dalits, que nous nommerons à juste titre les parias, occupent les emplois les plus vils et dégradants, comme le ramassage à mains nues des ordures ou le tri sans protection des déchets.

Cette caste inférieure, si nombreuse mais si docile, n'éprouve pas le besoin de se révolter car le système implacable de la hiérarchie sociale indienne est tel, qu'il existera toujours une caste inférieure à la plus inférieure des castes, de sorte qu'une caste puisse toujours être proposée comme repoussoir à une autre.

Ainsi, un intouchable trouvera toujours un autre intouchable plus mal loti et moins respecté que lui, en fonction duquel il pourra se sentir mieux loti et plus fort. La conscience de caste remplaçant la conscience de classe, malgré quelques zones de soulèvement de la guérilla maoïste, les mouvements révolutionnaires marxistes n'ont jamais été en vogue et jamais la population ne fut divisée entre possédants et possédés, car enfin, chacun dans ce pays se considère le possédant d'un autre et le possédé d'un troisième.

Enfin, une dernière catégorie de la population indienne n'est pas assujettie au modèle social védique, car elle n'en fait tout simplement pas partie. Il s'agit des indigènes appartenant aux tribus qui résident en marge de la société indienne et qui vivent dans l'ignorance des préceptes du dharma. On les appelle parfois du nom générique d'adivasi, terme dont la signification est proche de celle d'indigène.

La hiérarchie familiale

Au sein de la famille, les trois premières varnas doivent être assumées par l'homme, qui doit défendre son foyer, tout en le faisant prospérer. Il va aussi de soi que dans la civilisation phallocratique indienne, si l'homme est le brahmane, que les fils, censés faire fructifier l'héritage familial et lui assurer une retraite, sont les vaishyas, la femme s'apparente quant à elle aux shudras. Elle doit obéissance à son mari, et c'est elle qui s'occupe des tâches domestiques salissantes.

De par ses menstruations, la femme est considérée comme impure et porte le sceau d'une malédiction. De fait, elle souffre en accouchant, ainsi que pendant ses règles et ne possède pas la force masculine pour se défendre. La femme, vue comme le sexe sale, car il est intérieur, suintant, sanguinolent, est donc dédié aux tâches ménagères salissantes, tant au niveau du foyer, que de l'entretien des collectivités et des voies publiques. La femme s'apparente même, durant ses jours de règles, dans certaines traditions hindoues, bouddhistes et musulmanes, à un paria, qui peut salir de son simple toucher la viande et le pain.

 

Les jatis

Aux varnas, qui sont plutôt des concepts philosophiques que de réelles structures sociales, se superpose le touffu réseau des jatis, composé d'entre 3000 à 4000 jatis et de plus de 25 000 sous-jatis. Les jatis sont un terme que l'on pourrait rapprocher de celui de confréries et dont l'importance est bien plus palpable et fondamentale que les varnas dans la compréhension des rapports sociaux indiens.

Si le varna d'un individu peut être sujet à confusion, à prétention, à réclamation, sa jati est quant à elle indiscutable, car elle est définie non pas par ses pratiques religieuses ou ethniques mais par son occupation professionnelle transgénérationnelle et ses liens familiaux. Une jati regroupe donc un ensemble de personnes occupant la même place sociale, jouant le même rôle et œuvrant pour un même bénéfice commun à l'ensemble de ceux qui peuplent la jati.

Une jati est plus qu'une famille, plus qu'une tribu, plus encore qu'une nation, c'est une raison d'être. C'est un contexte culturel et relationnel qui ne laissera jamais un Indien seul au monde, perdu sans idéaux ni repères. La jati est l'incarnation du rôle que les dieux ont assigné à l'homme, parmi une infinité d'existences possibles.

Œuvrer pour sa jati, et ainsi œuvrer pour la perpétuation de sa famille et de ses traditions, est fondamental pour un Indien et c'est pour cela que les jatis sont une réalité sociale bien plus concrète que les varnas. L'hindouisme et les varnas disparaîtraient, que les jatis seraient encore un des principaux rouages de la société indienne.

L'Inde se modernisant, des jatis disparaissent, par exemple la jati des rempailleurs, réduite au chômage technique par la diffusion des objets en plastique, ou encore la jati des maréchaux-ferrants. Inversement, d'autres naissent, comme la jati des journalistes ou des professionnels de la justice, qui répondent à la judiciarisation et à la « masse-médiatisation » du pays.

 

Une jati se définit avant tout par son degré de pureté mystique. Le régime alimentaire, les loisirs, les occupations professionnelles comme intellectuelles, les plaisirs tolérés ou interdits, tout cela est défini en grande partie par l'appartenance à la jati.

Paradoxalement, la jati n'impose pas d'occupation professionnelle particulière à ceux qui la composent. Naître dans une jati d'agriculteurs n'empêche pas de devenir médecin ou instituteur, mais la jati restera collée au destin comme un marqueur communautaire indélébile. De telle sorte qu'elle définira toujours les principes primordiaux de l'existence d'un individu et de sa famille, quel que soit son métier.

Les jatis sont des groupes sociaux bien plus restrictifs que les varnas, tout en en faisant intimement partie. Dans les jatis, les mariages sont endogènes et patrilinéaires et le mélange avec d'autres jatis n'est ni favorisé ni encouragé. Quand il s'agit d'une union avec une varna supérieure, le mariage inter-jati peut être toléré, mais quand il s'agit d'une union avec une jati inférieure, le mariage peut être réprouvé.

À l'échelle individuelle, le mariage avec des castes inférieures entraîne la mise hors caste de la lignée qui en sera engendrée, ou son identification avec la caste la plus inférieure des deux. Selon le sociologue Dipankar Gupta, les unions inter-castes ne représenteraient que 10 % des mariages actuels.

Cependant, avec les politiques de discrimination positive, un nombre de plus en plus croissant de castes supérieures cherchent à présent à s'unir avec des castes inférieures afin d'avoir plus facilement accès à des hautes études ou à des emplois de fonctionnaires. Une loi a même dû être votée récemment afin de lutter contre la prédation des castes supérieures sur les places réservées aux castes inférieures. En particulier, cette loi statufiait sur le fait qu'un simple mariage ne suffisait pas à rétrograder un membre d'une caste supérieure dans une caste inférieure.

Enfin, si la jati n'impose pas une figure tutélaire, elle suggère tout de même un lignage avec une divinité particulière, parfois généalogique, que l'on adore de manière transgénérationnelle, tout en laissant la possibilité aux individus et aux familles de suivre les enseignements d'un gourou qui leur sera propre et dont l'enseignement transcende souvent les jatis et les varnas.

 

Les jatis sont dirigées par les plus âgés, qui, regroupés à l'échelle d'un village, d'une ville et d'une région, portent le nom de « fraternités ». Ils veillent de manière collégiale au respect des traditions, de l'honneur et du rang de leur jati. Politiquement, afin par exemple de régler un conflit, seuls les chefs de castes sont habilités à entrer en contact avec les autres chefs de castes. Les chefs de castes peuvent alors infliger des amendes à ceux qui en font partie et qui ne respecteraient pas les règles de leur jati. Des coups de bâtons en bois de santal peuvent être infligés, ainsi que des humiliations publiques. Ces pratiques sont cependant très rares et sévèrement réprimées par la loi, la morale et la dignité des Indiens. Pour une faute grave, un individu peut être exclu de sa caste, ce qui ferait de lui un paria.

Si la caste est mise en danger, la mise à mort de celui ou ceux qui la menacent peut être décidée. Ainsi fut assassinée Indira Gandhi, par son garde du corps sikh pour avoir ordonné le bombardement du temple d'or d'Amritsar. Son fils, trop conciliant avec le Pakistan, subit le même traitement. Occasionnellement, des musulmans accusés de viol, de meurtre ou de conversion forcée de jeunes hindoues, sont brûlés vifs sur les places des villages. Quand ils sont responsables du trafic illégal de bovins, des musulmans peuvent aussi être sévèrement pris à partie et roués de coups, voire battus à mort.

En Inde, si la violence individuelle est strictement interdite, et qu'un Indien courbera le dos ou s'enfuira plutôt qu'il ne répondra à un affront, la violence exercée en groupe et dans le but de sauvegarder l'honneur ou la réputation d'une caste, peut être au contraire encouragée. Incapables du moindre mal et même de la moindre pensée néfaste à l'égard d'autrui, soudain, ensemble, enfiévrés par la foule, les Indiens peuvent devenir fous, cruels et sanglants, ce qui n'est pas là le plus joyeux de leur paradoxe.

Si la Constitution indienne ne reconnaît pas ces tribunaux de caste, ils sont toujours en activité, bien qu'agissant rarement et seulement pour des offenses graves, en particulier dans les régions les moins développées du pays et soumises à la pression démographique et culturelle d'un islam conquérant. Dans les grandes métropoles, parmi la classe moyenne et bourgeoise, ces pratiques n'ont plus cours, et la justice républicaine lui a été substituée.

D'un point de vue politique, les jatis peuvent s'unir sur la base d'un intérêt commun, comme ce fut le cas avec l'arrivée au pouvoir du BJP, grâce à une alliance de plusieurs partis représentant les intérêts conservateurs des classes moyennes et supérieures hindoues. L'autre grand parti indien, le parti du Congrès, propose quant à lui une alliance inter-caste sur la base d'un projet indien commun, dont la démocratie, l'économie de marché et la base culturelle hindoue sont les piliers. Cependant, de nombreuses études l'ont montré, un Indien ne vote en général pas en fonction du programme d'un candidat, de sa réputation ou de son avis personnel, mais plutôt en fonction des consignes de vote exprimées par les autorités de sa jati.

 

Kula et Gotra

Aux varnas et jatis se rajoute la kula, qui est la ligne familiale d'un individu ainsi que la gotra qui est l'ancêtre commun d'une communauté. Les mariages endogames à la gotra ou à la kula sont strictement interdits afin de ne pas créer de consanguinité. La gotra est la pierre angulaire sur laquelle reposent les prétentions de la jati tout entière. Dans la plupart des cas, il s'agit d'un personnage légendaire, incarnation d'un dieu, d'un roi ou d'un yogi ancestral. La gotra est adorée au même titre qu'un dieu.

Un mythe jaïn raconte la naissance des lignées familiales et claniques :

Vers la fin de la troisième ère, la production des arbres à souhaits se réduisait. La détérioration générale de la situation entraînait le commencement des querelles et des disputes. Pour se protéger de ces disputes, et pour vivre en paix et en harmonie, l’homme formait des groupes, et le système « Kulkar » se développait. Un certain nombre de personnes s’unissaient pour former un « Kula » (une famille) et le chef du groupe était appelé « Kulkar ». C’était la tâche du « Kulkar » d’arrêter les discordes et d’établir l’ordre.

Up. Shri Amar Muni, Les Vies authentiques des vingt-quatre Tirthankars (jainworld.com).

Changement de caste

Théoriquement, si les jatis sont verrouillées, les varnas ne sont pas définitifs. Il est possible de changer de caste, dans le sens de s'élever socialement, mais non pas d'une manière individuelle, mais collective. Un Indien, seul, pourra s'enrichir, accéder à la consommation, vivre mieux, dans le luxe même, il pourra aussi être un chef ou un gourou, mais il ne pourra jamais quitter sa jati, ni s'élever en solitaire et de manière individualiste dans l'échelle des varnas.

Au contraire, collectivement, à l'échelle de la jati, il est possible de changer de statut, sur quelques générations, si le mode de vie de la communauté s'évertue à ressembler à celui d’un varna qui lui est supérieur. Ce qui permet alors d'évoluer, c'est le fait, pour une communauté tout entière, de changer d'activité, comme cesser de pratiquer le tannage pour à la place pratiquer la revente des chaussures, ou cesser d'être boucher pour devenir fonctionnaire, en somme, passer à une activité moins salissante et moins compromettante avec les lois du dharma.

Cette évolution doit se passer à l'échelle globale de tout le groupe social, car c'est le seul moyen pour le faire évoluer vers une autre strate. L'édification d'un temple, la récitation des Védas en public par un brahmane, la création d'une soupe populaire, l'adoration de la divinité du groupe social supérieur, sont d'autres moyens que possède une jati pour se purifier, c'est-à-dire laver ses existences passées en adoptant une nouvelle façon de vivre, plus stricte, plus consciente, et donc plus proche du Brahman, l'âme cosmique universelle qui ne connaît ni commencement ni fin.

Pour se rapprocher de la pureté, il faut aussi que la jati ait acquis une certaine aisance financière, car comme les femmes des hautes castes doivent être traitées avec conservatisme et ne pas travailler, il faut donc pouvoir être en mesure de se priver de leur salaire.

Enfin, l'ancrage géographique d'une caste est important pour en comprendre sa place sociale, car il se peut qu'une caste soit supérieure dans sa région d'origine, mais qu'elle ne possède pas le même statut social dans une autre région, où elle serait moins implantée et occuperait des activités moins valorisantes.

« Manu, sois en certain, le rôle qui a été assigné aux quatre castes universelles que sont les varnas doit être respecté par chacun des membres de la société. Un brahmane se doit donc d’exceller dans la pratique des rites mystiques, un soldat doit savoir défendre sa nation en cas de guerre et l'administrer avec justice en cas de paix, un commerçant ou un propriétaire terrien, doit savoir faire prospérer sa société et non pas seulement s'enrichir individuellement. Enfin, un travailleur doit travailler dur et avec zèle pour que les trois autres catégories sociales puissent s'épanouir correctement. C'est ceci, et exactement ceci que tu enseigneras à tes sujets. En cas de litige, sache enfin qu'une femme, issue d'un brahmane et d'une shudra, et qui porte l'enfant d'un membre d'une plus haute caste, cette nouvelle lignée n'attendra la plus haute caste qu'au sein de la septième génération issue de cette union. Durant sept générations, la descendance d'une telle union devra être considérée comme appartenant à la caste inférieure. Quant à celui qui a été engendré par un noble avec une femme non-noble, il peut devenir noble par ses vertus. Cependant, celui qui a été porté par une mère de sang noble, mais qui a pour père un homme du commun, celui-là restera pour toujours l'opposé d'un aryen. » Lois de Manu.

Caste et richesse

Si les varnas et jatis sont parfaitement comprises et intériorisées par la population, pour un Occidental, il est souvent difficile de comprendre que les castes indiennes ne sont pas nécessairement reliées à des degrés divers de richesse ou de pauvreté, mais surtout liées à un mode de vie dont les valeurs sont aux antipodes des nôtres.

Ainsi, les castes ne sont pas directement liées à l'argent. Les brahmanes, pourtant au sommet de la pyramide sociale, ont comme règle primordiale de ne pas s'enrichir, ni de vivre dans le luxe, ni même de travailler à des tâches trop difficiles ou prenantes. Ils ne peuvent donc en aucun cas être comparés à la bourgeoisie occidentale. De plus, les brahmanes, kshatriyas et vaishyas occupent souvent des postes de fonctionnaires et s'ils jouissent d'un certain statut social, ils n'occupent pas des postes à salaires élevés et les retards de salaires les concernant sont la norme, pouvant attendre plusieurs années dans le cas des soldats, des policiers ou des instituteurs.

La caste n'est donc pas une promesse de réussite sociale ni d'enrichissement personnel, mais plutôt l'assurance de faire partie d'une grande famille qui œuvre à la préservation de ses intérêts. De même, les castes laborieuses ne sont pas nécessairement pauvres. Par exemple, le chauffeur de rickshaw, qui gagne quelques dollars par jour, loue son véhicule non pas à un brahmane, mais à un autre shudra, qui lui-même est à la tête d'une grande entreprise de taxis dégageant des bénéfices importants. De même, la compagnie de nettoyage public, qui emploie des milliers de femmes parias à trier à mains nues les immondices, n'est en général pas dirigée par un brahmane ni par un vaishyas, mais par une jati de parias.

Il en va de même pour les emplois liés à l'artisanat et à l'industrie, dont rien ne prédispose les castes supérieures à les occuper. Ainsi, de nombreuses entreprises indiennes, parmi les plus prospères sont gérées par des dalits et emploient des dalits. À Varanasi, par exemple, l'une des jatis les plus riches et puissantes de la ville est celle des travailleurs de la mort. Elle est responsable du commerce du bois, nécessaire à la crémation des corps, et possède le monopole total sur les deux ghats nécrologiques de Hari Chandra et de Maheshwara. Cependant, malgré le fait qu'elle engrange des milliards de milliards de roupies sur les bords des ghats chaque année, malgré leur prospérité, cette caste des travailleurs de la mort n'en demeure pas moins des intouchables, dont le contact est interdit aux vivants et que personne ne voudrait avoir dans son voisinage.

À l'inverse, des castes rurales brahmanes (telles les Daivaduyas, Rajapurs et Stanicas du Karnataka, les Maharatis du Kerala ou les Joshis et les Mahabrahmanes du Rajasthan), bien que faisant partie du varna supérieur des brahmanes, sont enregistrées par le gouvernement indien en tant que castes en difficulté ou en retard de développement, du fait des emplois agricoles peu rémunérés qu'ils occupent.

Pour s'intéresser à un exemple représentatif de la complexité des castes indiennes, regardons de près celle des Maharatis (Marathes). Cette caste est brahmane, mais dans l'Histoire, ils furent les principaux opposants militaires à l'hégémonie musulmane, ce qui les rapproche des kshatriyas. Quant à leur activité agricole, elle les rapproche des shudras, et leur classement administratif moderne est celui d'une caste défavorisée, en retard de développement. Enfin, cette caste est fortement subdivisée, car elle est composée de 96 clans fonctionnant de manière endogame, mais dominée par les cinq premiers clans dits « supérieurs ».

 

À présent que les concepts se cachant derrière une réalité complexe ont été expliqués, nous allons nous pencher sur chacune des varnas. On obtiendra une stratification sociale de l'Inde qui correspond à la hiérarchisation que l'Occident a en tête quand il pense au système des castes.

De la catégorie la plus noble à la moins noble, voici les différents groupes sociaux qui composent l'Inde et ses castes :

- Les brahmanes : prêtres, savants, patriarches, etc.

- Les kshatriyas : chefs, guerriers, responsables politiques, etc.

- Les vaishyas : commerçants, rentiers, artisans, etc. Cette caste est la plus récente, elle n’est pas toujours mentionnée dans les livres saints du védisme ou de l'hindouisme.

- Les shudras : ouvriers, main-d’œuvre, paysans, etc.

- Les « Intouchables », parias et autres « dalits ». Cette sous-caste s'ajoute artificiellement aux quatre autres et n'est pas mentionnée dans les livres saints du védisme ou de l'hindouisme. Il s'agit du lumpenprolétariat évoqué par Karl Marx.

Les prêtres

Comme les peuples hébreu, égyptien, maya ainsi que comme la plupart des civilisations premières, les sociétés indo-européennes sont dominées par une caste de prêtres.

Afin de se livrer entièrement à l'exercice des rituels, la caste des prêtres est théoriquement exempte de travail physique. L'article 50 du Code des Nesilim (Code hittite) mentionne des dispositions afin d'assurer la subsistance aux prêtres hittites en échange de leurs services.

Pour le prêtre qui officie dans les villes saintes et les sanctuaires de Nerik, Arinna, Ziplanta, ou dans n'importe quelle autre ville, sa maison est exempte de service civique et militaire (Luzzi). À Arinna, la maison devant les portes de laquelle on aura érigé un arbre-eyan [un pin ?] durant le onzième mois de l'année, en sera-t-elle aussi exempte. »

Trad. inspirée de celle d'I. Fontanille, Les lois hittites.

De même, dans l'introduction du Pancha Tantra, Vishnu Sharma (v. -200) prévient :

L'homme marié doit soutenir les trois classes qui se consacrent à la vertu : les savants voués au célibat, les pénitents et les religieux. Il doit pourvoir à leurs besoins pour qu'ils puissent poursuivre leur vocation. 

Pour chaque rite, les prêtres doivent être rémunérés, que ce soit en nourriture, en vache ou en argent. Les offrandes font alors office de salaire. Les aliments sont d'abord présentés à la divinité, c’est-à-dire déposés devant son idole. Ils sont ensuite partagés puis consommés entre résidents du temple et officiants. La prêtrise peut s'avérer être une bonne situation, en particulier dans les lieux de pèlerinage. Pour éviter tout détournement, la prêtrise est alors héréditaire.

Chez les Perses:

Le sacerdoce, dans la religion zoroastrienne, est le privilège héréditaire d’une caste. Le prêtre, nommé anciennement Athravan ou Magu [mage], aujourd’hui Mobed, tient son pouvoir, non pas de la consécration d’une autorité religieuse qui lui confère le don sacré, comme dans l’Église catholique ; ni de l’investiture de l’État, comme dans le culte grec et romain ; ni de l’investiture des fidèles, comme chez les Réformés et les Musulmans ; mais exclusivement de la naissance, comme dans le Brahmanisme et dans le Judaïsme sacerdotal. On naît prêtre, on ne le devient pas. […] Un Mobed, en règle stricte, ne doit se marier que dans une famille de Mobeds : il n’épousera pas la fille d’un laïque, d’un Beh-dìn, et la fille d’un Mobed n’épousera pas le fils d’un laïque. »

J. Darmesteter, Le Zend-Avesta

La littérature indienne regorge de légendes mettant en scène des démons qui s'approprient le ministère des cultes au détriment des brahmanes.

 

Cette caste de prêtres, qu'elle soit incarnée par les druides en Gaule, par les Aryens en Perse ou par les brahmanes en Inde, n'est pas strictement religieuse, mais peut aussi s'occuper de tâches administratives, politiques et bien sûr artistiques et culturelles. Ainsi, les druides et les brahmanes étaient chargés de l'éducation des jeunes de la tribu, tandis que certains d'entre eux, poussés par la pauvreté, étaient souvent obligés de travailler comme agriculteurs.

De même en Perse : « la caste sacerdotale est trop nombreuse pour vivre tout entière de l’autel. En fait l’immense majorité des Mobeds vit de professions laïques, principalement de commerce » (Darmesteter, op. cit.)

 

Druides, bardes et scaldes

Dans sa Géographie (4, 4), Strabon mentionne plusieurs classes de druides, tout comme il existe en Inde des castes de brahmanes spécialisés dans l'astrologie, la prosodie ou le chant des Védas.

« Chez tous les peuples gaulois sans exception se retrouvent trois classes d'hommes qui sont l'objet d'honneurs extraordinaires, à savoir les Bardes (les chantres sacrés), les Vatès (les devins qui président aux sacrifices et interrogent la nature) et les Druides, qui, indépendamment de la physiologie ou philosophie naturelle, professent l'éthique ou philosophie morale. Ces derniers sont réputés les plus justes des hommes, et, à ce titre, c'est à eux que l'on confie l'arbitrage des contestations soit privées soit publiques : anciennement, les causes des guerres elles-mêmes étaient soumises à leur examen et on les a vus quelquefois arrêter les parties belligérantes comme elles étaient sur le point d'en venir aux mains. Mais ce qui leur appartient spécialement c'est le jugement des crimes de meurtre, et il est à noter que, quand abondent les condamnations pour ce genre de crime, ils y voient un signe d'abondance et de fertilité pour le pays. » Strabon, Géographie, 4, 4.

Cette classe sociale se veut exemplaire et se distingue par ses règles morales strictes, comme en témoigne cette triade druidique citée par Diogène Laërce : « Honorer les dieux, ne pas faire le mal, pratiquer la bravoure » (Vie des philosophes, 6). Les druides se distinguent aussi par leur code vestimentaire. En Europe comme en Inde, les prêtres portent la toge blanche, qui est la couleur du deuil en Orient et de la paix en Occident. Jules César, dans La Guerre des Gaules (6, 14), liste les prérogatives des druides. Elles sont en tout point les mêmes que celles des Brahmanes.

« Les druides, ministres des choses divines, sont chargés des sacrifices publics et particuliers, et sont les interprètes des doctrines religieuses. Le désir de l'instruction attire auprès d'eux un grand nombre de jeunes gens qui les ont en grand honneur. Les Druides connaissent presque toutes les contestations publiques et privées. Si quelque crime a été commis, si un meurtre a eu lieu, s'il s'élève un débat sur un héritage ou sur des limites, ce sont eux qui statuent ; ils dispensent les récompenses et les peines. Si un particulier ou un homme public ne défère point à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices ; c'est chez eux la punition la plus grave. Ceux qui encourent cette interdiction sont mis au rang des impies et des criminels, tout le monde s'éloigne d'eux, fuit leur abord et leur entretien, et craint la contagion du mal dont ils sont frappés ; tout accès en justice leur est refusé ; et ils n'ont part à aucun honneur. Tous ces druides n'ont qu'un seul chef dont l'autorité est sans bornes. À sa mort, le plus éminent en dignité lui succède ; ou, si plusieurs ont des titres égaux, l'élection a lieu par le suffrage des druides, et la place est quelquefois disputée par les armes. À une certaine époque de l'année, ils s'assemblent dans un lieu consacré sur la frontière du pays des Carnutes, qui passe pour le point central de toute la Gaule. Là se rendent de toutes parts ceux qui ont des différends, et ils obéissent aux jugements et aux décisions des druides. On croit que leur doctrine a pris naissance en [Grande-] Bretagne, et qu'elle fut de là transportée dans la Gaule ; et aujourd'hui ceux qui veulent en avoir une connaissance plus approfondie vont ordinairement dans cette île pour s'y instruire. Les druides ne vont point à la guerre et ne paient aucun des tributs imposés aux autres Gaulois ; ils sont exempts du service militaire et de toute espèce de charges. Séduits par de si grands privilèges, beaucoup de Gaulois viennent auprès d'eux de leur propre mouvement, ou y sont envoyés par leurs parents et leurs proches. »

Pomponius Mela complète César :

« Les Gaulois ont une certaine érudition et des maîtres de sagesse, les druides. Ces maîtres font profession de connaître la grandeur et la forme de la terre et du monde, les révolutions du ciel et des astres, et la volonté des dieux. Ils communiquent une foule de connaissances aux plus distingués de la nation, qu’ils instruisent secrètement et pendant vingt années au fond des cavernes ou des bois les plus retirés. Le seul dogme qu’ils enseignent publiquement, c’est l’immortalité de l’âme et l’existence d’une autre vie : sans doute, afin de rendre le peuple plus propre à la guerre. De là vient que les Gaulois brûlent et enterrent avec les morts tout ce qui est à l’usage des vivants, et qu’autrefois ils ajournaient jusque dans l’autre monde l’exécution des contrats ou le remboursement des prêts. » 3, 2.

Strabon (7, 3) mentionne une caste semblable chez les Thraces, dont les membres sont appelés « ctistes » : ils « se vouent au célibat et qui, revêtus par là comme qui dirait d'un caractère sacré, sont honorés des populations et protégés contre toute insulte ».

La formation et l'initiation des bardes gallois, éclairent les propos des auteurs précédents :

« Le barde qui avait ses grades, dont la science avait été reconnue officiellement, devait prendre avec lui trois disciples ou mabinogion ou mebinogion : avant de pouvoir se présenter aux concours poétiques qui leur donnaient, après trois victoires, le titre de barde à chaire, ils avaient à passer par trois degrés dont les noms nous sont connus et pour chacun desquels il fallait.des connaissances spéciales. Les études du mabinog comprenaient : l'étude approfondie de la langue galloise : orthographe, syntaxe, formation et dérivation ; la connaissance des mètres gallois : allitération, consonance, pieds, strophes, avec des compositions originales ; l'étude des généalogies, des droits, des coutumes et de l'histoire des Gallois. Après avoir gagné le prix de poésie dans trois concours publics, le mabinog devenait barde à chaire et pouvait enseigner à son tour et prendre avec lui des mabinogion. » J. Loth, introduction au Mabinogion.

Bardes comme druides se recrutaient à l'intérieur d'une même caste sacerdotale, ce qui rend ces deux activités relativement similaires.

Puisons à présent dans le Barzaz Breiz de Théodore Hersart de La Villemarqué, afin de saisir la différence, ou plutôt la complémentarité, entre druides et bardes :

Les anciens bardes passaient pour originaires de la Grande-Bretagne. Initiés comme les augures à la science divinatoire, ils partageaient avec les druides la puissance sacerdotale, et formaient, dans la société, une des classes les plus honorées. […] Au caractère religieux, les bardes joignaient un caractère national et civil, qu’il n’est pas moins important de remarquer. Dans la guerre, ils animaient de leurs prophétiques accents le courage de leurs compatriotes, en leur prédisant la victoire ; dans la paix, tout à la fois juges des mœurs et historiens, ils célébraient les nobles actions des uns, et dévouaient au blâme les actions coupables des autres.

Le philologue breton continue son exposé en citant les Lois de Moelmud, un Code nommé d'après Dunvallo Molmutius, roi légendaire de l’île de Bretagne (dont la biographie légendaire est proposée par Geoffroy de Monmouth dans son Historia regum Britanniae, v. 1135).

« Selon ces lois, le devoir des bardes est de répandre et de maintenir toutes les connaissances de nature à étendre l’amour de la vertu et de la sagesse. Ils doivent tenir un registre de chaque action mémorable, soit de l’individu, soit de la tribu ; de tous les événements du temps, de tous les phénomènes de la nature, de toutes les guerres, de toutes les victoires ; ils sont chargés de l’éducation de la jeunesse ; ils ont des franchises particulières ; ils sont mis de niveau avec le chef et l’agriculteur, et regardés comme un des trois piliers de l’existence sociale. […] On sait aussi qu’il était défendu aux bardes, par leurs propres lois, de s’introduire dans les maisons sans en avoir préalablement obtenu la permission, et qu’ils la demandaient en chantant à la porte. […] Enfin, comme les anciens bardes domestiques chez les Gallois, ils sont l’ornement de toutes les fêtes populaires, ils s’assoient et chantent à la table des fermiers, ils figurent dans les mariages du peuple, ils fiancent les futurs époux en vertu de leur art, selon d’antiques et invariables rites, même avant que la cérémonie religieuse ait eu lieu. Ils ont leur part dans les présents de noces. Ils jouissent d’une liberté illimitée de parole, d’une certaine autorité morale, d’une certaine emprise sur les esprits ; ils sont aimés, recherchés, honorés [...]. »

Ainsi, chez les Celtes comme chez les Indiens, non seulement la caste de prêtres était responsable de la liturgie, des sacrifices et de la magie, mais aussi de l'art, de la musique et de la perpétuation des contes et traditions.

 

En Scandinavie, les homologues des bardes sont les scaldes.

« Les premiers historiens des peuples du nord, ce sont les scaldes. C’est dans les sagas qu’il faut chercher l’histoire des guerres, et les hauts faits des héros scandinaves. Le Dieu de la Scandinavie, Odin, le Dieu suprême, ne parlait qu’en vers. Les scaldes étaient les favoris des rois, chaque chef de tribu, chaque Jarl d’Islande ou de Norvège, en avait toujours plusieurs à sa cour. On leur assignait une place distincte dans les batailles, afin qu’ils pussent suivre le mouvement des troupes, et chanter les exploits des guerriers. […] Les bardes ont été pour les peuples celtiques ce que les scaldes étaient pour les Scandinaves, des poètes populaires, des chroniqueurs. [...] Après les scaldes, après les bardes, vient toute cette foule de poètes, dont les vers se répandent à travers le monde ; jongleurs et ménestrels, troubadours et minnesinger. Le chant d’amour résonne aux bords de la Tamise, comme sous le ciel de la Catalogne. Le lai s’en va du pays de l’Armorique au pays de Souabe, des plaines de la Normandie aux côtes de la Provence. Le fidler ambulant porte la fiction poétique de village en village ; le châtelain se la fait redire dans une de ses grandes salles, et le bourgeois l’apprend dans une de ses veillées. Nulle poésie n’a cueilli plus de fleurs le long de sa route. Elle a une lyre, où vibrent toutes les passions, où toutes les idées d’amour et de guerre, de liberté et de foi, ont leur corde d’argent ou leur corde d’airain. Les fées l’ont prise à son berceau, les sylphes l’ont entourée de leurs prestiges. Toute jeune elle a été recevoir le don des Péris [fées]. Elle s’est épanouie comme une belle plante au soleil d’Orient ; elle a connu le palais moresque avec ses soupirs d’amour, et les jardins de Grenade avec leurs parfums d’oranger. Toute jeune aussi, elle a rêvé ses plus beaux rêves chevaleresques ; Arthur et la table ronde ; Lancelot du Lac, avec sa belle Guenièvre ; Charlemagne et le preux Roland ; le Saint-Graal et ses pieux mystères. » X. Marmier, Chants populaires de la Suisse.

Tout comme les brahmanes indiens, les bardes et les scaldes étudiaient avant tout la prosodie et considéraient l'étymologie comme une science des plus essentielles. Il est d'ailleurs intéressant de constater qu'en Inde, les livres les plus anciens que nous ayons retrouvés ne sont pas des transcriptions des hymnes ou des spéculations védiques, mais des dictionnaires étymologiques. L'étude du sens des mots (le langage des oiseaux des hermétiques) était une initiation aussi importante que celle qui enseignait la maîtrise du chant et des rituels. Qu'il s'agisse des Védas, de l'Iliade ou des contes du Mabinogion, c'est toujours du chant sacré dont il est question. En Grèce, ce rôle de chanteur et poète des dieux sera joué par le coryphée, durant le Moyen Âge européen, il sera interprété par les troubadours.

 

Brahma, Brahman, brahmanes

La caste des brahmanes est sûrement la plus complexe. Il convient donc de faire un point sémantique sur ce terme.

« Brahma » est un dieu cosmogonique, il a créé le monde de lui-même et le regarde évoluer sans le déranger.

Le « Brahman » est quant à lui un concept philosophique et mystique. Il est l'origine de toute existence, c'est une énergie sans forme qui dicte à la réalité son incarnation. Le Brahman concorde avec l’« Atman », qui est la conscience individuelle propre à chaque individu. Être pleinement conscient de sa double incarnation, tant dans le Brahman que dans l'Atman, est l'objectif d'un hindou. Les sanyassims font même de la connaissance du Brahman le sens de leur vie et y consacrent toute leur énergie.

L'illumination du Bouddha ne fut rien d'autre qu'une prise de conscience complète et absolue du Brahman. À l'intérieur du Brahman, qui est l'essence de toute chose, est compris le « samsara », le cycle des renaissances. Ainsi, pour un moine hindou, s'échapper du cycle du samsara, c'est aussi dépasser le Brahman pour rejoindre la « moksha », c’est-à-dire la désincarnation complète d'une existence individuelle.

Les « brahmanes », sont les dépositaires du Brahman dans notre réalité. Ils sont la caste la plus respectée et la plus considérée. Leur devoir est d'assurer correctement le culte. Cependant, il ne s'agit pas d'un clergé, car un brahmane possède une vie de famille, ne répond d'aucune autorité, sauf de sa jati. Il peut donc être simple citoyen en semaine et revêtir la robe blanche des prêtres le week-end, et officier ainsi à mi-temps, ou quart-temps. Contrairement à l'islam, le brahmane n'est pas un imam et il ne possède aucune autorité juridique ou politique, ces activités étant réservées à la caste des kshatriyas. Si un brahmane ne veut pas ou ne peut pas assurer l'office du culte, rien ne l'y oblige. Les « brahmines » sont les femmes des brahmanes.

Les valeurs intrinsèques des varnas des brahmanes interdisent les activités trop rémunératrices et l'enrichissement personnel. Les brahmanes ne sont donc pas en Inde l'équivalent de la haute bourgeoisie occidentale. Bien souvent, leurs conditions de vie égalent celles des autres nobles varnas, mais ne leur sont pas supérieures. Leur statut social ne reposant donc pas sur la richesse mais sur leur exemplarité, les brahmanes se doivent donc d'observer des règles de pureté empreintes d'une foultitude de superstitions, censées les protéger de la pollution entraînée par leur promiscuité avec les castes inférieures.

Si l'on veut comprendre le brahmanisme, il ne faut pas l'envisager comme une caste usurpatrice et tyrannique, mais plutôt comme un sévère art de vivre qui a pour objectif de perpétuer la voie juste du dharma. Comme l'essentiel des règles brahmaniques figure dans les Védas, l'apprentissage du sanskrit est la règle chez les jeunes brahmanes. L'éducation, la science, la culture générale, la connaissance des divinités, sont des valeurs absolument essentielles de leur formation.

Autre terme homonymique, l’« époque brahmanique » correspond au premier millénaire avant notre ère, alors que les brahmanes régnaient sur l'Inde comme une caste théocratique. À la manière du clergé égyptien, des druides celtes et des prêtres israélites du premier siècle, ils vivaient sans effort du labeur d'un peuple qui leur était dévoué et soumis. Ce moment de l'Histoire de l'Inde est appelé le Brahmanisme. Il prit fin alors que le culte des dieux élémentaires des Védas cédait sa place aux idoles de la Trimurti, marquant ainsi la fin du védisme et la naissance de ce qui sera appelé par l'Occident l'hindouisme (c'est-à-dire le syncrétisme de toutes les croyances autochtones du sous-continent indien). De plus, la pratique du bouddhisme se diffusant à travers toute l'Asie, la gestion du culte se démocratisa, se partagea, et les brahmanes perdirent leur hégémonie.

Partout où l'hindouisme s'est installé, comme au Cambodge, en Thaïlande ou en Indonésie, des castes de brahmanes locales se constituèrent afin de veiller, avec respect et rigueur, à la perpétuation des traditions védiques. Ces castes, bien que peu nombreuses, existent encore de nos jours, en particulier à Bali ou au Cambodge.

Enfin, dans la littérature européenne classique, particulièrement présent dans les contes philosophiques voltairiens, un « brahme » est un sage indien, pendant du philosophe grec, qui consacre sa vie à la connaissance de l'Univers.

 

Un brahmane

 

Les brahmanes

Dans son ouvrage sur l'Inde, en bon Grec, c'est-à-dire en esprit sceptique et critique, Arrien ne peut manquer de se moquer de la toute-puissance et du prestige des brahmanes qu'il pense prétentieux.

L'ensemble des Indiens est réparti en sept classes. L'une de ces classes est celle des sophistes, moins nombreux que les autres, mais plus renommés et plus honorés. Ne leur est pas imposé de travailler ni de fournir au trésor public une part de leur gain. Ils ne sont soumis qu'à une seule obligation : celle de célébrer les sacrifices aux dieux pour la communauté. Si quelqu'un fait un sacrifice privé, un, de ces sophistes lui est adjoint pour le guider : on pense qu'autrement la cérémonie ne pourrait être agréable aux dieux. [...] Ces sophistes vivent nus, l'hiver exposés au soleil, l'été quand le soleil est brûlant, dans les prés et les lieux humides sous de grands arbres […] ; une foule peut s'abriter sous un seul d'entre eux : tellement ils sont grands.

D'ailleurs, il ne les appelle ni philosophes, ni gymnosophistes, ni même prêtres, mais simplement sophistes, c'est-à-dire démagogues. Arrien, qui n'a pas voyagé plus loin que la mer Noire, semble cependant mélanger brahmanes en charge de l'administration et des rituels et sannyasins, vivant nus et reculés du monde.

La caste des brahmanes est en charge des rituels, des pèlerinages et de la célébration des cultes et des mariages. En Inde, les mariages se célèbrent à une heure précise d'une date précise, décidée par la conjonction astrologique des deux fiancés. Des brahmanes sont ainsi spécialisés dans l'astrologie, afin de pouvoir justifier par l'emplacement des planètes un avis sur une union envisagée et le potentiel de réussite d'un mariage. La coopération d'un brahmane astrologue est donc essentielle au bon déroulement d'une cérémonie, quelle qu'elle soit.

Le rôle des druides était semblable.

Le mouvement des astres, l'immensité de l'univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieux immortels, tels sont en outre les sujets de leurs discussions : ils les transmettent à la jeunesse.

César, op. cit. 6, 14.

La tradition hindoue consacre les brahmanes comme seuls lecteurs publics des Védas, car ils en sont, par leur éducation rigoureuse, les seuls capables de les lire et de les interpréter sans erreur. Les autres varnas peuvent lire les Védas, mais ils devront, pour parfaire leur enseignement, obligatoirement les écouter ou les apprendre de la bouche même d'un brahmane.

Des castes de brahmanes sont spécialisées dans chacun des domaines du culte. La caste des Jangid, au Rajasthan, est celle des peintres et des sculpteurs de figurines religieuses. Dans le Karnataka, les Gudigars sont la caste d'architectes de temples et de sculpteurs d'idoles. Au Kerala, les Marars sont spécialisés dans la musique sacrée, celle que l'on joue avec sitar, vina et tabla et qui accompagne le chant des mantras. Quant à la caste des Ambalavasis, toujours dans le Kérala, dont font partie les danseurs du katakali, en plus des attractions musicales et théâtrales, ils ont aussi en charge la gestion des offrandes des temples dont ils assurent le gardiennage et l'entretien. Enfin, la caste responsable des décisions politiques et des orientations culturelles de la région sont les brahmanes Nambuduri.

Par ailleurs, le « charas », le haschisch indien récolté à mains nues lorsque la fleur de cannabis n'est pas encore sèche, qui est utilisé par les sadhus pour se rapprocher du dieu Shiva, est récolté dans la vallée de Mélana, dans l'Himalaya, par une caste de brahmanes qui refuse tout contact avec le monde extérieur et qui considère comme une pollution tout ce qui est étranger à leur village.

 

En Inde, là où l'hindouisme n'est pas majoritaire, des traditions de brahmanes perdurent en dépit de l'acculturation aux autres religions. Dans le Cachemire musulman, malgré leur persécution, ce sont les Pandits qui sont en charge de la perpétuation des cultes hindous. Dans le Manipur et les régions tribales catholiques du nord-est, ce sont les Manipuris brahmanes et les Goswamis brahmanes qui assurent cette charge. En Afghanistan et au Pakistan, malheureusement, l'intolérance des islamistes aura eu raison de la population brahmane, massacrée ou émigrée depuis.

Représentant une certaine idée de la pureté à la fois tribale et raciale, les brahmanes vivent entre eux, au centre des villes et villages, et leur caste est rigoureusement fermée à toutes les autres. Il est jugé comme déshonorant et salissant pour un brahmane de recevoir dans sa maison une caste qui lui est inférieure.

Les brahmines et la manière dont elles sont traitées, sont exemplaires de ce que la caste exige d'elle-même. Ainsi, une brahmine ne doit pas travailler, mais doit garder le foyer, tandis qu'une servante se souille à sa place pour les tâches domestiques, car une brahmine doit se concentrer exclusivement sur ses devoirs maternels. À l'inverse, dans les castes les plus basses de la société, il est commun de voir les femmes travailler, souvent comme ouvrières journalières dans les champs ou sur les chantiers de construction, où elles sont nombreuses à proposer leur main-d’œuvre.

Pour appréhender correctement la caste brahmane, il faut moins imaginer une caste dirigeante qu'une caste exemplaire. Les brahmanes se doivent en effet d'incarner, par leur existence, la vie saine et juste.

Mégasthène ne s'y trompe pas, lui qui ne dépeint pas les brahmanes comme une caste abusive ou dominatrice, mais exemplaire. À ses yeux, et son opinion sera reprise par Strabon et de nombreux auteurs de l'Antiquité, les brahmanes ne sont donc pas des profiteurs ou des abuseurs, mais de respectables philosophes.

« Mégasthène ajoute que les Brahmanes demeurent dans des bois sacrés de médiocre étendue qui partout précèdent les villes, que là ils n'ont pour lits que de simples paillasses recouvertes de peaux de bêtes, qu'ils s'y nourrissent de la façon la plus frugale, s'abstenant de rien manger qui ait eu vie, qu'ils s'abstiennent de même d'avoir aucun commerce charnel et passent tout leur temps à écouter de doctes dissertations sur les matières les plus sérieuses, admettant comme auditeur quiconque en manifeste le désir, à condition seulement qu'on écoutera sans parler, sans tousser, ni cracher, autrement on est puni de son peu d’emprise sur soi-même et chassé de l'assemblée pour le reste du jour. […] Le sujet habituel de leurs entretiens est la mort. Ils croient que la vie d'ici-bas est quelque chose comme l'état du fœtus dans les premiers moments qui suivent la conception, et que la mort au contraire est, pour les purs esprits initiés à la philosophie, la naissance à la vie réelle, à la vie heureuse. Aussi s'exercent-ils, se préparent-ils de toute manière à la mort. Ils croient encore que rien de ce qui arrive à l'homme n'est absolument bon ni mauvais, qu'autrement on ne verrait pas les hommes, au gré de leurs opinions, aussi flottantes que les trompeuses images des rêves, tantôt s'affliger, tantôt se réjouir d'un même événement, ni surtout un même homme passer brusquement d'un état à un autre et se réjouir de l’événement qui naguère encore l'affligeait. » Strabon, 15, 1.

Détenteurs du savoir, de l'autorité et du pouvoir intemporel, les brahmanes sont le type d'être vivant le plus valorisé.

 

Parmi les êtres, on considère comme supérieurs ceux qui sont animés, parmi les êtres animés, ceux qui subsistent par l'intelligence, parmi les intelligents les hommes, parmi les hommes les Brahmanes, parmi les Brahmanes ceux qui sont instruits dans le Véda, parmi ceux qui sont instruits, ceux qui connaissent leur devoir, parmi ceux qui connaissent leur devoir, ceux qui l'accomplissent, parmi ceux qui l'accomplissent, ceux qui annoncent la Sainte-Écriture

Livre de Manu, 96 à 101.

Les Lois de Manu font des brahmanes des parcelles de Brahma incarnés sur terre.

La naissance même du Brahmane est une éternelle incarnation de la Loi sacrée : car il est né pour l'accomplissement de la Loi sacrée [Dharma] et il est destiné à l'absorption dans le Brahman. Car un Brahmane en naissant naît au premier rang sur cette terre, seigneur de toutes les créatures, préposé à la garde du trésor de la Loi sacrée. Tout ce qui existe dans le monde est la propriété du Brahmane : en effet par l'excellence de son origine il a droit à tout. C'est de son propre bien que le Brahmane se nourrit, s'habille et fait l'aumône : c'est par la générosité du Brahmane que les autres hommes subsistent.

Lois de Manu

En conséquence de telles notions, le régime alimentaire des brahmanes est drastique. La viande, mais aussi les œufs et tout ce qui a pu être produit en exploitant ou en tuant un animal leur est interdit. Certains condiments ou produits leur sont aussi interdits, comme l'ail, qui provoque une mauvaise haleine et une digestion difficile. La consommation d'alcool et de drogue leur est interdite, car ils sont persuadés que le fait de fumer, de manger ou de chiquer un excitant souille leur corps. De plus, les hindous considérant la nourriture comme la première source d'influence du caractère, il leur convient donc de refuser la gourmandise, le tabac et la viande, rouge comme blanche, car tous ces produits sont, selon l'ayurvéda, des sources d'échauffement de l'esprit et de nuisibles excitations.

Un brahmane, théoriquement, ne doit pas non plus manger une nourriture qui n'aurait pas été préparée par un autre brahmane, car le régime alimentaire des brahmanes est si particulier, qu'une réelle initiation est nécessaire pour le maîtriser tout à fait. Ainsi, l'appellation « veg only » ou « 100 % pur veg » est appliquée sur les enseignes des restaurants et des cantines dont les cuisiniers respectent les règles brahmaniques. Ces derniers pouvant alors s'y restaurer sans crainte de se souiller par une nourriture non adaptée. « 100 % veg » veut alors dire que la cuisine est assurée par des brahmanes, connaissant les règles d'hygiène et le régime marqué par L’Ahimsa, la non-violence envers le vivant.

Un brahmane devrait faire ses ablutions quotidiennes dans de l'eau courante, ce qui lui interdit tout voyage en bateau de plusieurs mois, ainsi que les activités liées au voyage et au commerce en général.

Au 19e siècle, de nombreux maharajas vinrent en Occident visiter la reine d'Angleterre, qui était alors la maîtresse de l'empire auquel ils appartenaient. Nombre d'entre eux s'arrêtaient dans les stations thermales européennes en défrayant la chronique. Car avec eux, ils emportaient des tonnes de riz, et des centaines de milliers de gallons d'eau du Gange, afin que le raja et sa cour puissent faire leurs ablutions dans de l'eau sacrée chaque matin qu'ils passeraient loin de leur patrie.

Si un brahmane enfreint l'une des nombreuses règles de vie inhérentes à sa caste, il peut alors mener des rituels de purification, qu'il pourra recommencer chaque jour en cas de besoin.

Ses obligations ne sont pas seulement d'ordre individuel, il doit aussi être en mesure d'enseigner les Védas, c'est-à-dire la voie juste, à qui en ferait la demande : tels les amis, les membres de la famille, ou même n'importe qui en manifesterait une véritable envie. En échange de son enseignement, ou de son activité rituelle, un brahmane doit être payé, mais juste assez pour se nourrir et vivre décemment. Lorsqu'il assure le déroulement des rituels, le brahmane est habillé de blanc et il effectue les pujas près d'un foyer incandescent, qui est pour les hindous ce qu'est l'autel pour les chrétiens.

À travers son existence, un brahmane devra veiller à ne pas perturber ni agresser le vivant, il devra donc adopter une attitude non-violente envers autrui et considérer son corps comme faisant partie intégrante d'un corps céleste à respecter. Le contentement et l'honnêteté sont des valeurs essentielles au mode de vie brahmanique, car le brahmane ne doit rechercher aucune gloire, aucune richesse mais seulement le bonheur, c'est-à-dire le contentement d'être à sa place.

Les activités traditionnelles qui conviennent particulièrement aux brahmanes sont au nombre de six. Dans un ordre décroissant de valorisation, il s'agit des activités liées à l'enseignement, à la pratique des rituels, à la gestion des offrandes, suivies d'activités moins valorisantes comme le don ou l'acceptation des dons. Ces activités traditionnelles des brahmanes expliquent donc leur surreprésentation dans le monde scolaire et universitaire mais aussi la pratique du « cadeau » qui gangrène l'administration indienne.

La pratique du cadeau consiste à donner un « cadeau », à chacun de ses supérieurs hiérarchiques afin de voir un projet se réaliser. Confondue souvent avec de la simple corruption, la pratique du cadeau est aussi l'assurance pour les preneurs de décisions d'être respectés et pris en compte dans la réalisation d'un projet qui, s'il était contraire à leur propre intérêt, n'obtiendrait pas leur accord.

Les brahmanes sont ainsi les garants du conservatisme indien et de la tradition hindoue, dont les fondements remontent aux âges ancestraux des anciens Aryens védiques. Leurs activités peuvent cependant revêtir des caractères bien plus séculaires, comme l'agriculture, le commerce, ou le prêt bancaire. Cependant, les Védas interdisent strictement aux brahmanes de pratiquer une activité qui les mette physiquement en danger, de même qu'ils doivent laisser les efforts physiques aux animaux et aux castes laborieuses. Les activités d'un brahmane ne doivent ni le salir, ni le fatiguer. Théoriquement, le travail des champs lui est donc interdit, particulièrement s'il laboure le sol, car cette activité peut entraîner la mort du vivant, comme les vers de terre et les insectes.

Il est par contre tout à fait possible pour un brahmane de posséder une ferme et de faire travailler des shudras à son entretien. Dans la pratique, 80 % des fermes céréalières sont aujourd'hui détenues par des brahmanes, dont l'immense majorité cultive elle-même sa petite exploitation familiale. Dans les zones rurales, les brahmanes subissent les aléas du climat et des cours de la Bourse comme n’importe quelle autre caste et la crise économique peut les pousser à se comporter comme de simples prolétaires et à proposer dans d'autres fermes leur force de travail.

En période de guerre ou de conflit mettant en péril le modèle culturel hindou, un brahmane peut cependant prendre les armes. Il peut aussi travailler la terre s'il n'a vraiment pas d'autre choix pour vivre décemment et honnêtement. En aucun cas, il ne devra commercer les poisons, les drogues, les armes, ni ne jamais participer à la mise à mort des animaux. Le commerce du cuir, produit de l'écorchage d'un animal, de même que l'esclavage des êtres humains et le commerce des animaux lui sont donc formellement interdits. Bien évidemment, les activités comme la chasse ou la détention d'oiseaux en cage leur sont aussi prohibées, mais aussi la production et la revente de cire d'abeilles ou de parfum à base de musc. Le détournement des objets et offrandes du culte, telle l'huile de sésame est bien évidemment interdite.

Si la possession d'une vache semble être une des caractéristiques des brahmanes vivant dans les zones rurales, la vache devra être traite pour la subsistance de la famille, mais non pour en vendre le lait. Le commerce et le bénéfice tirés de la revente des produits laitiers de la vache sont interdits eux aussi. Une vache ne devra ni être exploitée aux champs ni enfermée dans un hangar, mais laissée libre de ses pas. Même en période de guerre, un brahmane ne devra pas utiliser les produits laitiers de sa vache pour en tirer un bénéfice. Pour travailler la terre, on lui préférera le buffle ou le bœuf à larges cornes, dont la consommation est elle aussi strictement interdite aux castes supérieures.

Tous ces points exposés ne sont que consultatifs, et il n'existe aucune généralité dans le traitement que les brahmanes s'imposent à eux-mêmes que l'on puisse qualifier d'universellement partagée par les brahmanes. Les occupations que nous avons mentionnées sont un creuset théorique qui correspond à une vision idéale du sacerdoce brahmanique, mais à travers l'Histoire, les brahmanes ont pu occuper de nombreuses activités, loin d'être limitées à l'enseignement ou à l'administration. De nombreuses castes de charpentiers et d'architectes sont brahmanes. La profession de barbier, maudite car elle va à l'encontre du vivant en coupant le poil que la vie fait pousser, peut aussi être tenue par des brahmanes, qui alors se spécialiseront uniquement dans la coiffe et le rasage d'autres brahmanes. Nous avons vu qu'il en allait de même pour la restauration.

Durant l'occupation musulmane, les brahmanes contestant l'autorité des Arabes et des Moghols furent traités comme des animaux, tués par millions et leurs femmes réduites en esclavage et vendues dans les harems turco-perses. Ceux qui collaborèrent avec les musulmans servirent à l'occasion de collecteurs de taxes, de conseillers, voire de ministres des sultans.

Durant la colonisation britannique, ils étaient la caste la plus en contact avec la culture occidentale et nombreuse fut la jeunesse brahmane, tel Gandhi, à faire ses études en Angleterre. Parlant anglais, cultivés et éduqués, sensibles aux mœurs occidentales, les brahmanes étaient les interlocuteurs privilégiés de la Couronne et c'est donc eux qui furent choisis pour occuper les postes administratifs subalternes. Après l'Indépendance, les Anglais laissèrent les institutions du pays à la caste des brahmanes, ainsi qu'aux roitelets musulmans.

Les kshatriyas

Le rôle principal des kshatriyas est celui de gérer les affaires de la cité. En temps de guerre, ils assurent la défense du pays et des valeurs de l'hindouisme et en temps de paix, ils administrent les contrées dont ils ont reçu la garde.

Les kshatriyas indiens correspondent aux « chevaliers celtes » que mentionne César dans la Guerre des Gaules (6, 15) : « La seconde classe est celle des chevaliers. Quand il en est besoin et qu'il survient quelque guerre, ils prennent tous part à cette guerre, et proportionnent à l'éclat de leur naissance et de leurs richesses le nombre de serviteurs et de clients dont ils s'entourent. C'est pour eux la seule marque du crédit et de la puissance. »

Chez les Celtes, mentionnons aussi la Fianna irlandaise, qui est une sorte société guerrière secrète. Son correspondant scandinave serait les berserkers ; des guerriers semi-légendaires qui se battaient grimés et avec une force surhumaine, ce qui laissait à penser qu'ils étaient en réalité des loups-garous.

Hérodote, dans ses Enquêtes, mentionne quant à lui l'importance de la cavalerie chez les Scythes : « Les jeunes Scythes n'avaient, comme les Amazones, que leurs armes et leurs chevaux, et vivaient, comme elles, de leur chasse et du butin qu'ils pouvaient enlever. »

Dans son Histoire des guerres civiles de la république romaine, au chapitre consacré aux guerres contre les Celtes (18, 4), Appien note la même redoutable efficacité de la cavalerie nomade indo-européenne, même face à une armée professionnelle plus nombreuse mais composée de fantassins et de cavaliers moins bien entraînés. « Les Usipètes et les Tanchrées [deux peuples germaniques] paraissent avoir les premiers, avec huit cents chevaux, mis en déroute jusqu'à cinq mille cavaliers de César » nous dit Appien. Si César n'avait pas enfreint les lois de la guerre et de l'honneur, Rome aurait là subi une amère défaite. « Mais César, à qui les Germains avaient envoyé des députés, aurait retenu ces députés et les aurait attaqués à leur tour, et tel aurait été finalement le désastre que leur aurait infligé cette attaque soudaine qu'il y en aurait eu environ quarante myriades taillées en pièces. »

La conduite méprisable de Jules César fit d'ailleurs des remous. Comme souvent, c'est Caton qui tenta de sauver l'honneur de Rome : « à ce que dit un historien [Tanusius ou Canusius Géminus], Caton proposa de livrer aux barbares César comme l'auteur d'un acte exécrable envers des députés. »

Le Critias de Platon, qui s'intéresse à l'origine du peuple grec, évoque une puissante caste de cavaliers, dotée de valeurs similaires à celles des cavaliers celtes. C'était elle qui était à la tête de la cité athénienne à l'époque ancestrale de l'Atlantide.

Notre pays était alors habité par les différentes classes de citoyens qui exerçaient des métiers et tiraient du sol leur subsistance. Mais celle des guerriers, séparée des autres dès le commencement par des hommes divins, habitait à part. Ils avaient tout le nécessaire pour la nourriture et l’éducation ; mais aucun d’eux ne possédait rien en propre ; ils pensaient que tout était commun entre eux tous ; mais ils n’exigeaient des autres citoyens rien au-delà de ce qui leur suffisait pour vivre. 

À propos des Indiens, Arrien mentionne une caste de guerriers faisant penser à une armée de métier, telle qu'on en retrouvera quelque 1500 ans plus tard, lors des affrontements entre l'armée musulmane et celle de Vijnawagar. Cette dernière logeait, nourrissait, payait et entraînait alors un demi-million de soldats.

La classe des guerriers est la plus nombreuse après celle des agriculteurs. Ce sont eux qui mènent la vie la plus libre et la plus agréable. Ils s'exercent aux seuls travaux de la guerre. On leur fabrique des armes, on leur fournit des montures, on les sert dans la vie des camps : des serviteurs soignent leurs chevaux, nettoient leurs armes, mènent leurs éléphants, s'occupent de leurs chars et les conduisent. Quant à eux, tant qu'il faut faire la guerre, ils font la guerre ; la paix conclue, ils prennent du bon temps et ils touchent du trésor public une solde suffisante pour pouvoir nourrir d'autres personnes, et cela largement. 

Indica

Théoriquement, les kshatriyas sont le seul varna autorisé par les Védas à tuer.

Pour mieux comprendre la morale kshatriya, il convient de lire le second chapitre de la Bhagavad Gita. Le vaillant guerrier Arjuna, saisi de peur, de honte et de doute, refuse de combattre.

« Tandis que, troublé par la pitié et les yeux pleins de larmes, Arjuna se sentait défaillir, Krishna lui dit : « Arjuna, d’où te vient, dans la bataille, ce trouble indigne des Aryens, qui te prive de l'honneur et te couvre de honte ? Ne te laisse pas amollir ; cela ne te convient pas. Chasse cette honteuse faiblesse de ton cœur et lève-toi ! Sois le destructeur des ennemis. […] L’Âme habite, inattaquable, dans tous les corps vivants. Arjuna, tu ne peux cependant pas pleurer sur tous ces êtres. Considère donc ton devoir et ne tremble pas : car il n'y a rien de mieux pour un guerrier (kshatriya) que d'avoir une guerre juste à mener. Le combat qui s'offre à toi est la porte du ciel, laquelle s'ouvre pour les guerriers victorieux. Et tu voudrais t'y soustraire ? Ne sais-tu pas que si tu ne livres ce combat légitime, tu feras là un grand péché car tu serais traître à ton devoir et à ta renommée. Les hommes répéteront ta honte à jamais : or, pour un homme doté de raison, la honte est pire que la mort. Les princes croiront que par peur tu as fui le combat : ceux qui t’ont cru magnanime te mépriseront. Tes ennemis tiendront sur toi mille propos outrageants où ils blâmeront ton incapacité. Qu’existe-t-il de plus fâcheux ? Tué, tu gagneras le ciel ; vainqueur, tu posséderas la terre. Lève-toi donc, Arjuna, et va-t’en combattre avec résolution. Tiens pour égaux, plaisir et peine, gain et perte, victoire et défaite, et sois tout entier à la bataille : ainsi tu éviteras le péché. »

La philosophie de la Bhagavad Gita n'est d'ailleurs pas une philosophie de sophiste, de penseur ou de savant, mais d'homme d'action, dont la volonté d'agir ne doit pas être entravée par de vains cas de conscience :

« Ce n’est pas par l’abdication que l’on parvient au but de la vie. Car personne, pas même un instant, n’est réellement inactif ; tout homme malgré lui-même est mis en action par les fonctions naturelles de son être. Celui qui, après avoir enchaîné l’activité de ses organes, se tient inerte, l’esprit occupé des objets sensibles et la pensée errante, est un faux yogi. Mais celui qui, par l’esprit, a dompté les sens et qui met à l’œuvre l’activité de ses organes pour accomplir une action, tout en restant détaché, voilà quelqu'un d'estimable. Fais donc une œuvre nécessaire, car l’œuvre vaut mieux que l’inaction ; sans agir, tu ne pourrais pas même nourrir ton corps. Hormis l’œuvre sainte, ce monde nous enchaîne par les œuvres. Cette œuvre donc, Arjuna, accomplis-la, mais sans la désirer. Les animaux vivent des fruits de la terre ; les fruits de la terre sont engendrés par la pluie ; la pluie, par le Sacrifice ; le Sacrifice s’accomplit par l’Acte. Or, sache que l’Acte procède de Brahma, et que Brahma procède de l’Éternel. C’est pourquoi ce Dieu qui pénètre toutes choses est toujours présent dans le Sacrifice. Celui qui ne coopère point ici-bas à ce mouvement circulaire de la vie et qui goûte dans le péché les plaisirs des sens, celui-là vit inutilement. Mais celui qui, heureux dans son cœur et content de lui-même, trouve en lui-même sa joie, celui-là ne dédaigne aucune œuvre. Car il ne lui importe en rien qu’une œuvre soit faite ou ne le soit pas, et il n’attend son secours d’aucun des êtres. C’est pourquoi, toujours détaché, accomplis l’œuvre que tu dois faire ; car en agissant avec abnégation, l’homme atteint le but suprême. C’est par les œuvres que Janaka et les autres glorieux rois de la terre ont acquis la perfection. » Bhagavad Gita, 3.

Ainsi, les Bunts du Kanataka sont traditionnellement une caste militaire qui occupe en temps de paix des emplois administratifs. Il en va de même pour les Sainis du nord de l'Inde, de confession hindoue ou sikh, qui sont une caste de soldats et de mercenaires reconvertie depuis l'Indépendance dans les affaires, les professions de la justice, le professorat, la recherche scientifique, le fonctionnariat et les services publics. La jati kshatriya la plus célèbre est celle des rajpoutes, la caste des guerriers-mercenaires du Rajasthan. Les dynasties rajpoutes sont nées au 15ème siècle, il en existe des dizaines, qui peuvent être de confession hindoue ou musulmane.

Les jatis de kshatriyas sont subdivisées en une multitude de sous-castes. Par exemple, la jati des Kashyaps en Uttar Pradesh comprend les communautés distinctes et endogènes des Bathams, Binds, Bhars, Dhimars, Dhinwars, Dhewars, Gariyas, Gaurs, Godias, Gonds, Gurias, Jatavas, Jhimars, Jhirs, Jhinwars, Jhiwars, Kahars, Keots, Kewats, Kharwars, Khairwars, Kumhars, Machuas, Majhis, Majhwars, Mallahs, Nishads, Prajapatis, Rajbhars, Raikwars, Turas, Turahs, Turahas, Turehas et Turaihas.

Les jatis kshatriyas sont en général hindoues, mais elles peuvent être aussi musulmanes ou sikhs. Parfois dans la même jati, des différentes sous-jati confessionnelles peuvent exister, cohabitant avec un réseau d'activités communes. Par exemple, chez la jati guerrière des Sainis, il existe plusieurs sous-castes, dont certaines sont musulmanes, hindoues, ou sikhs. En dehors des castes militaires, il existe des castes dédiées à d'autres activités, mais toujours défendant l'unité culturelle et la particularité de la jati. En plus des Sainis militaires, dont le rôle est semblable à celui des Rajputs dont ils se déclarent les descendants, il existe donc, des jatis de Sainis agriculteurs, de Sainis propriétaires terriens, les Zamindars, et de Sainis collecteurs de taxes. Plus récemment, les Sainis occupent d'autres activités engendrées par la modernisation du pays, comme les métiers de la justice, la recherche scientifique et les services.

Les restrictions d'activité étant moins sévères pour les kshatriyas que pour les brahmanes, il peut donc exister des castes kshatriyas de travailleurs manuels comme les Vanzhas qui sont des tailleurs de tissus nobles comme la soie ou le coton, et les Nais, qui sont des barbiers, des agriculteurs mais aussi des docteurs.

Le varna des kshatriyas est assujetti à tous les préceptes qui régissent la vie des brahmanes, sans en connaître leur tyrannie superstitieuse. Par exemple, si un kshatriya est d'ordinaire végétarien, il consommera occasionnellement de la volaille. De même, s'il considère l'alcool et le tabac comme des vices, il pourra boire un verre de bière à l'occasion, boire du whisky pour célébrer un événement, et même chiquer du pan, qui est une sorte d'excitant à base de noix de bétel et de chaux. Dans un contexte mystique, il ne refusera pas le cannabis ou le charas, qu'il ne fumera pourtant pas, mais qu'il boira sans difficulté sous la forme du bhang lassi (sorte de yaourt au datura et au haschisch). La caste des rajpoutes considère même l'opium comme faisant partie intégrante du rituel précédant la bataille.

 

Le Dharma-Yuddha

Nous pouvons reconstituer le Code de guerre des kshatriyas indiens en étudiant le Mahabharata et en particulier le Bhishma Parva, « le Livre de Bhishma ». Il s'agit du 6e tome sur les 18 que compte l'épopée indienne. C'est au début de ce volume que se trouve la célèbre Bhagavad Gita, qui relate le dialogue entre Arjuna, le chef des Pandavas, et Krishna, l'avatar de Vishnou, quelques minutes seulement avant la collision entre les deux armées. Le Bhishma Parva décrit ensuite les dix premières journées de la légendaire bataille du Kurukshetra, qui en comptera 18 au total.

Cette bataille oppose le clan des Pandavas, dont le prince et champion est Arjuna, à celui des Kauravas, dont Bhishma est le commandant en chef. Avant que ne commence la guerre, Bhishma énonça des règles, que les belligérants acceptèrent sans pour autant réussir à les respecter. À la tête d'une armée initialement composée de 100 000 éléphants, dix millions de chars et d'un million de soldats, Bhishma est mortellement blessé lors de la 10e journée de combat. Le corps criblé de flèches, il délivre alors un dernier sermon, dont les dernières paroles furent les suivantes :

Une vie qui s’éteint dans un lit est une vie perdue, mais mourir à la bataille pour une juste cause est le plus grand honneur qu'un homme puisse obtenir .

Mahabharata

Selon le Mahabharata et les paroles de Bhishma, le Code de guerre (Dharma-Yuddha) des anciens Aryens s'apparentait à ceci :

 

 

La diplomatie et le pacifisme

La réponse à une attaque doit être proportionnelle à cette attaque. Ceux qui combattent avec des mots doivent être combattus par des mots. Ceux qui combattent avec un char doivent être combattus par des chars. Ceux qui combattent à cheval doivent être combattus par des cavaliers. L'emploi d'arme disproportionné ou inéquitable est une cause de souffrance et de mort qui doit être évitée.

Ceux qui s'engagent dans des combats de mots et qui insultent, ne doivent être combattus que par des mots. Les armes ne doivent pas être employées contre les paroles, aussi blessantes soient-elles.

Si l'adversaire est pieux et honnête, toutes les tentatives possibles doivent être entreprises pour trouver une solution pacifique et honorable au conflit. Combattre ne doit être envisagé qu'en extrême recours. Faire la guerre est hasardeux, car l'issu d'une bataille dépend de la chance, la victoire est toujours incertaine et même les vainqueurs souffrent d'immenses pertes. Le succès s’obtient donc en négociant, et pas autrement. Les guerriers ne devront jamais s'affronter dans une guerre injuste, quelle qu’elle soit.

Un succès assuré grâce à la division parmi les rangs ennemis n'est qu'un succès temporaire. Un succès assuré par une guerre est le pire des succès. Indépendamment de l'issue de la guerre, les combats terminés, la fraternité et les bonnes relations entre les peuples belligérants doivent être restaurés.

Ceux qui désirent la victoire ne doivent pas tant conquérir par leur puissance et leurs exploits, que par leur vérité, leur piété et leur vertu. Combattre sans arrogance est le meilleur moyen de remporter la victoire, car celle-ci est toujours là où se trouve la droiture.

Un roi doit toujours être du côté du Dharma, c’est-à-dire de la vérité et de la justice. S'il ne sait pas déceler où se situe exactement le Dharma, alors il doit s'abstenir de guerroyer.

Les alliés ne peuvent être attaqués.

 

Avant la bataille

Avant d'attaquer, une armée ou un guerrier doit prévenir son adversaire. Personne ne doit être frappée par surprise.

Si un guerrier veut changer de camp, il peut le faire librement avant que ne débutent les hostilités (Yudhishthira).

Les combats ne débuteront pas avant le lever du soleil et devront avoir cessé au moment où le soleil se couche. Ce n'est qu'en de très exceptionnelles circonstances que les combats pourront se poursuivre de nuit.

Le début d'une bataille est marqué par le soufflement des conques. La victoire est, elle aussi annoncée par les conques.

 

Les règles sur le champ de bataille

Fuir le champ de bataille est un acte irréligieux.

Seuls les guerriers armés peuvent être attaqués.

Ne peuvent être frappés que les guerriers vêtus d'une armure.

Sur le champ de bataille, il est interdit :

- D’attaquer un adversaire de condition et d'armement plus modeste. Par exemple, un guerrier spécialisé dans le tir à l’arc ne doit donc pas combattre contre un adversaire maniant le javelot. Les soldats combattent donc d'autres soldats, les guerriers (rathi) combattent d'autres guerriers et les super-guerriers (maharathi) combattent d'autres super-guerriers. Un roi ne doit combattre qu'un roi. Deux guerriers peuvent se combattre en duel seulement s'ils sont tous les deux armés de la même arme et s'ils sont montés sur le même type de véhicule. Un guerrier sur un char doit donc combattre un autre guerrier de même nature. Un guerrier qui combat, perché sur le dos d'un éléphant doit combattre un autre guerrier de même nature. Un cavalier doit combattre un autre cavalier. Enfin, un fantassin doit combattre un autre fantassin.

- De frapper un guerrier déjà engagé dans un combat. Lorsque deux guerriers se battent, il n'est pas permis à un troisième guerrier d'intervenir. Un groupe de soldats ne doit pas attaquer un homme seul.

- D’attaquer un adversaire qui aurait le dos tourné.

- D’attaquer un guerrier dont l'armure ou l'arme sont fêlées, dont le char est cassé ou dont la monture est blessée.

- D’attaquer un guerrier tombé à terre.

- De frapper un homme tétanisé par la peur ou qui demande le salut. De même, il est interdit de frapper un guerrier qui recherche un endroit pour se mettre à l’abri.

- D’attaquer un adversaire manifestement en mauvaise santé ou ne présentant pas les dispositions nécessaires au combat. On ne doit pas s'en prendre à une personne qui a l'air, d'une quelconque manière que ce soit, anormal.

- D’attaquer à un adversaire qui pratique un rituel religieux.

- D’attaquer un guerrier dont le drapeau est au sol ou qui aurait sur son blason de mauvais augure.

Si une femme participe aux combats, elle ne peut s'opposer qu'à une autre femme. Il est interdit à un homme de combattre une femme. Un homme ne doit donc pas entreprendre le combat face à une femme.

 

Le personnel de guerre non-combattant

Les chevaux et les auriges des chars de guerre ne devront donc pas être blessés ou tués intentionnellement. Il n'est pas permis à un aurige de prendre part aux combats autrement qu'en conduisant son char.

Le personnel assurant la logistique de guerre ne doit pas être attaqué ou tué intentionnellement. Il s'agit par exemple des joueurs de trompettes et de tambours, des porteurs d'armes, de nourriture, de drapeaux ou des souffleurs de conques annonçant le début et la fin des combats.

Les animaux qui ne représentent pas une menace directe ne doivent pas être pris pour cible.

 

Les armes

Des règles spécifiques s'appliquent à chacune des armes employées. Concernant les combats à la massue, il est interdit de frapper en dessous de la ceinture. Concernant la bataille de char, il est interdit de blesser ou de tuer intentionnellement les chevaux de l'adversaire.

Il est interdit d'employer des flèches empoisonnées. Seules des personnes sans morale ni valeur emploieraient de telles odieuses méthodes. Si un guerrier est blessé de cette manière, il devra quitter le champ de bataille pour se soigner au campement, où il restera à l'écart le temps de se remettre complètement. Il méritera lui aussi les honneurs dus aux combattants.

 

Le sort des vaincus

Après avoir loyalement et courageusement combattu, la retraite est gratifiante.

On ne doit ni pourchasser, ni tuer un fuyard désarmé. Il est interdit de frapper un guerrier qui demande pitié. Les ennemis désarmés et blessés doivent être aidés et non pas attaqués ou tués.

Le guerrier qui se rend devient prisonnier de guerre. Il jouit alors d'un statut protecteur qui interdit sa mise à mort ou les violences à son égard.

Tous ceux qui meurent à la bataille doivent être honorés de la même manière, qu'ils soient du camp des vainqueurs ou des vaincus. Des rituels et des cérémonies doivent être célébrés pour tous les guerriers morts au combat, sans distinction ni discrimination.

 

 

Le sort des civils

Il est interdit de blesser ou de tuer une personne ou un animal qui n'aurait pas pris part aux combats.

Il est interdit d'attaquer le père qui n'a qu'un fils.

Il est interdit d'attaquer une femme, ou un homme qui porte un nom de femme.

Les vies des femmes, des prisonniers de guerre et des paysans sont sacrées.

Le pillage des villes, villages et campagnes est interdit.

Indépendamment de l'issue de la guerre, les combats terminés, la fraternité et les bonnes relations entre les peuples belligérants doivent être restaurés.

Les vaishyas

Les vaishyas sont la dernière des castes nobles, celle des commerçants et des hommes d'affaires. Ce sont les commerçants navigateurs vaishyas qui ont permis à l'hindouisme de s'étendre culturellement aux îles de l'Indonésie et des Philippines. Les jatis vaishyas les plus célèbres sont les Banias, qui possèdent plus de 35 sous-jatis, ainsi que les Nairs du Kerala, les marchands maritimes Kharvas du Gudjarat et les commerçants Agrawals du nord de l'Inde.

Cependant, de telles classifications sont à envisager avec recul, car de nombreuses sous-jatis Nairs sont considérées par le gouvernement indien comme des castes en difficulté, leur activité relève souvent de l'agriculture ou de la petite artisanerie, ce qui les rapproche des castes manuelles et laborieuses. De telles activités, archaïques et peu rémunératrices conduisent certaines castes nobles à être déclassées en tant que caste en difficulté, au même titre que les castes dalits, afin de pouvoir profiter d'aides économiques et sociales.

Les vaishyas peuvent donc être de petits propriétaires terriens ou de simples agriculteurs, comme les Chettiars du Tamil Nadu et du Kerala. Les vaishyas peuvent aussi, en tant que caste noble la plus basse, procéder à la production des huiles et encens nécessaires à la célébration des cultes, telle la jati des Telis qui est spécialisée dans le pressage d'huile. En Inde et au Népal les Telis sont hindous tandis qu'au Pakistan, ils sont musulmans. Une communauté teli juive autochtone existe aussi.

Le régime alimentaire des vaishyas est encore axé sur le végétarisme et la non-exploitation des animaux, mais à titre le plus souvent facultatif. On constate donc que plus on descend l'échelle des varnas, moins les membres de ce varna n’ont de règles et de superstitions à respecter.

 

Les Périèques

Il existait à Sparte une classe sociale que l'on pourrait rapprocher de celle des vaishyas. Il s'agit des Périèques. Sans être une caste noble, les Périèques formaient tout de même une communauté respectée, qui jouissait d'une certaine liberté et qui pouvait même revendiquer la propriété privée et notamment la propriété du sol. Le pouvoir et les droits des Périèques étaient certains, bien que limités. À la fois urbains et ruraux, les Périèques étaient des propriétaires terriens, libres d'employer leur propre main-d’œuvre et de se rétribuer un salaire en fonction de leur peine et de leur investissement.

Dans sa Grande Encyclopédie, Henri Lamirault les définit ainsi :

Comme les Hilotes, les Périèques appartenaient à la race vaincue et conquise. C’étaient des Laconiens qui, à la différence des Hilotes, avaient conservé la liberté individuelle ; ils possédaient le sol ; ils vivaient dans leurs anciennes villes, restées debout en très grand nombre ; les Spartiates avaient même laissé subsister leurs lois, leur justice, leur organisation administrative, ils payaient des impôts et devaient le service militaire ; ils étaient incorporés, comme les Spartiates eux-mêmes, dans l’infanterie des hoplites ; ils pouvaient exercer certains commandements. Mais aucun droit politique ne leur était reconnu ; ils n’avaient pas la moindre part au gouvernement de l’État. Ils s’adonnaient à l’agriculture, au commerce et à l’industrie.

Par ailleurs, tout comme les vaishyas, les Périèques étaient la seule classe sociale à pouvoir pratiquer le commerce. Pour des raisons morales, l'enrichissement était théoriquement interdit à Sparte, tout comme les activités qui dégageaient des bénéfices. Les activités liées au commerce et à l'artisanat ne pouvaient donc être pratiquées que par une classe sociale bien déterminée : qui ne soit ni assez noble pour se déclasser en les pratiquant, ni assez basse pour ne pas s'enrichir « illicitement » au détriment des citoyens libres de Sparte.

Entre les Hilotes, obligés de cultiver les terres qui appartenaient aux Spartiates, et les Spartiates dont toute la vie et toutes les forces étaient consacrées au service de l’État, les Périèques formaient la population vraiment active de la Laconie ; sans eux, la vie aurait été impossible à Lacédémone.

En somme, selon le système indien des varnas, les Périèques seraient le ventre, si les Hilotes étaient les jambes et les Spartiates libres, les bras (citoyens soldats) et la tête (citoyens prêtres).

 

Les shudras

Base de la pyramide hiérarchique des castes, les shudras voient leur existence dédiée au labeur et à l'abnégation.

La classe des agriculteurs est la plus nombreuse parmi les Indiens ; ils n'ont pas d'armes de guerre et ne s'exercent pas au combat ; mais ce sont eux qui travaillent la terre ; ils paient des tributs aux rois ou aux cités indépendantes. Si par hasard survient une guerre entre les Indiens, les soldats n'ont pas le droit de toucher à ceux qui travaillent la terre, ni de ravager la campagne : mais ils font la guerre et s'entre-tuent au gré des événements, tandis que les agriculteurs, à côté d'eux, labourent tranquillement, cueillent leurs fruits, taillent leurs arbres, font la moisson. 

Arrien, Indica.

À l'image des autres varnas, la condition d'existence des shudras est la résultante de leurs vies passées. Accepter leur condition est donc le meilleur moyen d'espérer pour eux une prochaine réincarnation sous de meilleurs auspices. Un shudra qui se rebellerait contre l'ordre établi et qui refuserait d'être au service des trois varnas supérieurs montrerait ainsi qu'il n'accepte pas son statut social reçu des dieux comme juste rétribution de ses incarnations passées.

Contrairement aux brahmanes, kshatriyas, vaishyas et shudras, les dalits qui sont plus bas que l'échelle des varnas, n'ont a priori aucune règle de pureté à respecter, car ils sont considérés eux-mêmes comme des déjections de l'existence.

Quant aux shudras, ils considèrent comme justes les interdits alimentaires et les rituels des nobles castes, et les reprennent souvent à leur compte, mais ne considèrent pas comme essentiel de les suivre. Ils peuvent ainsi fumer, chiquer, fréquenter les prostituées et même boire de l'alcool sans devoir pour autant pratiquer systématiquement des rituels de purification.

Leur implication religieuse se limite souvent à la célébration des festivals et leur connaissance des textes sacrés est plus que limitée. Pour ce varna, l'éducation védique n'est pas centrale, et la connaissance des Védas ne leur est pas nécessaire. Les shudras ne suivent en général pas de longues études et ne maîtrisent que leur langue vernaculaire, rarement l'hindi quand ils n'habitent pas la partie occidentale de la vallée du Gange, et seulement quelques mots d'anglais.

Les shudras sont en charge des travaux manuels et difficiles, nécessitant d'avoir recours à la force physique plutôt qu'à l'intelligence. Les ouvriers agricoles, les ouvriers de l'industrie, les petits artisans, en font partie.

Les castes shudras peuvent être classées en deux grands domaines d'activité : la main-d’œuvre agricole et l'artisanat. Certaines jatis de shudras peuvent exercer ces deux grandes familles d'activités en parallèle, mais alors, leurs sous-jatis seront endogames à une seule de ces activités. Par exemple, la jati des Ezhavas et celle des Thandans, au Kérala, regroupent plusieurs sous-jatis au rôle bien déterminé. Certaines, comme les Chekavars sont une milice régionale qui fournit ses cadres à l'armée et à la police. En ville, d'autres Chekavars forment une confrérie de tailleurs et à la campagne, d'autres encore se sont spécialisés dans le travail agricole et la distillation d'alcool. Chacune de ces activités constitue une sous-jati qui se comporte de manière indépendante par rapport aux autres.

Dans les jatis agricoles, on distinguera autant de sous-jatis qu'il existe d'activités liées à la ferme ou à la vie des animaux. Ainsi, les Vellalars sont une jati composée de deux sous-jatis principales : celle du prolétariat agricole et celle des fermiers établis à leur compte.

Voici quelques-unes des castes shudras les plus nombreuses et les plus célèbres d'Inde : au Rajasthan, les plus puissantes castes d'ouvriers agricoles, fortes de plusieurs dizaines de millions d'individus, sont les Jats et les Dogars. Ailleurs, les Khoiris (Uttar Pradesh) sont fermiers, les Khatiks (nord) sont maraîchers ou bouviers, les Gurjars (nord-ouest) sont laitiers, et les Ahirs, les Yadavs, les Dauwas, les Gaolis, les Ghosis, de la vallée de l'Indus et du Gange, sont principalement vachers, une activité qui ne doit pas être confondue avec celle de berger, ce que sont les Gavalis (centre).

Dans le Karnataka, les Naiks Namadharis et les Billavas sont des castes de laboureurs mais aussi de distillateurs d'alcool de palme. Toujours au Karnataka, les Idigas sont spécialisés dans la distillation et la production de produits ayurvédiques. Au Tamil Nadu, la caste agricole en charge de la distillation est celle des Nadars, qui peuvent alors être des Nadars Karukkupattaiyathars, Melnattas, Natthahis, ou Kodikals, « grimpeurs de palmiers ». Les Nadars kallas sont les Nadars autoproclamés mais non reconnus par les autres sous-castes nadars. Enfin, les Nadars catholiques ont leur propre identité et donc leur propre réseau de castes.

La distillation devenant une activité désuète et les multiples famines ainsi que les crises économiques et climatiques ayant sinistré le monde agricole, nombre de ces jatis se sont depuis une vingtaine d'années reconverties dans les services et la maîtrise informatique.

Les activités urbaines des shudras sont divisées entre service et artisanat. L'artisanat est lui-même divisé en sous-sections liées au degré d'impureté des tâches à effectuer. Ainsi, les charpentiers qui travaillent le bois, un matériau noble, sont une caste à part de celles des maçons, qui travaillent le sable et les sulfates. De même, les forgerons se distinguent nettement des chaudronniers, et chez les joailliers, on distinguera les castes des joailliers de pierres précieuses (goldsmith) de la caste des joailliers de pierres communes (blacksmith.)

Les subdivisions et les relations hiérarchiques entre castes d'une même jati peuvent être très complexes. Par exemple, la jati des Panchals connaît deux sous-jatis principales, celles des Lohars et des Suthars. Les Lohars sont forgerons et cultivateurs, et peuvent être de trois identités ethniques en fonction de leur religion (hindou, sikh ou musulmane). Il existe autant de sous-jatis que les Panchals et les Lohars occupent d'activités. Chaque activité est donc organisée comme une confrérie familiale, tribale et religieuse. On dénombre alors, comme autant de sous-branches des Panchals : les forgerons, les charpentiers, les chaudronniers, les joailliers, les maçons, les barbiers, les fabricants de chaussures, les potiers et les fabricants de bracelets en verre.

Voici d'autres exemples significatifs :

Dans la caste des Vishwakarmas, dont la jati des Tarkans est la représentante au Penjab, il existe quatre sous-jatis composées des forgerons, des charpentiers, des chaudronniers et des maçons.

Dans le sud de l'Inde, les charpentiers sont la caste des Suthars. En Andra Pradesh et au Kerala, les Kulalas sont potiers, tandis que dans le Karnataka ce sont les Kumbaras.

Dans le nord de l'Inde, la caste laborieuse des Kumhars se subdivise en deux tendances, celles de la « caste propre », composées de potiers, saisonniers agricoles, artisans, comme les Kumhars du Gujarat, des Rana Kumhars, des Lads et des Telangis Kumhars, et la « caste sale » composée des Kumhars convertis à l'islam et des Kumhars Intouchables.

 

Les Hilotes

Reprenons ici notre comparaison avec Sparte. Les Hilotes seraient la classe sociale défavorisée mais majoritaire, qui correspondrait à celle des shudras.

L'arrivée des Indo-Européens hellénophones en Grèce est en effet comparable à celle des Aryens en Inde : les Hilotes sont des indigènes ayant perdu la liberté à la suite d'une conquête militaro-culturelle « soit parce qu’ils avaient opposé une résistance trop prolongée, soit parce qu’ils s’étaient révoltés après une première soumission » (Lamirault, op. cit.)

Définitivement soumis, les indigènes grecs ou indiens furent relégués aux tâches dégradantes et éreintantes (que leurs nouveaux maîtres refusaient de faire pour des raisons morales ou démographiques : ils n'étaient simplement pas assez nombreux pour effectuer l'ensemble des tâches agricoles et artisanales).

À leur arrivée en Inde comme en Grèce, les tribus indo-européennes (composées essentiellement de pasteurs et de guerriers) étaient minoritaires. Si ils n'avaient pas imposé une forte hiérarchisation sociale, et soumis les indigènes à leur propre civilisation, les Indo-Européens se seraient « dissous » dans leurs nouvelles contrées aussi rapidement qu'ils les avaient conquises.

En outre, sans la création d'une classe de travailleurs corvéables à merci, les réformes agraires et urbaines entreprises par les Aryens et les Achéens n'auraient jamais été possibles (nous évoquons ici les fondations de très nombreuses villes, les constructions de factories, les forages de mines, la mise en place du productivisme agricole ou encore l'importation des techniques de métallurgie depuis le foyer indo-européen en Asie centrale…).

 

Le fait que les Hilotes aient pu combattre pour Sparte, prouve qu'il s'agissait d'une classe certes défavorisée, mais faisant tout de même entièrement partie de la « nation » spartiate. De même, les shudras sont une des quatre varnas et leur rôle est tout aussi fondamental que celui des autres castes.

Bien que sans droit ni liberté, les Hilotes n'étaient donc pas des esclaves, de même qu'en Inde, les shudras ne sont pas des parias. Les Hilotes bénéficiaient même de nombreux droits, comme celui de percevoir un salaire.

« Les Hilotes sont souvent appelés par les auteurs anciens « esclaves » ; pourtant leur condition sociale n’était pas absolument celle des esclaves ordinaires. C’étaient plutôt des serfs de la glèbe, chargés de cultiver les terres dont les Spartiates s’étaient emparés ; ils vivaient sur ces terres, de père en fils ; ils ne pouvaient pas les quitter, et ils devaient payer aux Spartiates une redevance annuelle. Mais, d’autre part, ils étaient plutôt esclaves de l’État que des particuliers. La redevance qui leur était imposée ne pouvait pas être augmentée ; le propriétaire du terrain qu’ils cultivaient n’avait pas le droit de les en chasser ni de les vendre. Enfin, ce qui prouve le mieux que leur rang était supérieur à celui des véritables esclaves, c’est qu’ils étaient parfois appelés à servir dans les armées et à combattre auprès des Spartiates. » Lamirault, Grande Encyclopédie, article Sparte.

En somme, les Hilotes et les shudras sont les classes laborieuses que Marx appellera plus tard prolétariat. Hilotes, shudras et prolétaires, possèdent d'ailleurs la même importance démographique :

Les Hilotes formaient la majorité de la population en Laconie ; on a calculé qu’après les guerres de Messénie ils étaient environ 220 000 sur un ensemble de 380 000 à 400 000 habitants.

H. Lamirault, op. cit.

En résumé : au-dessus des Hilotes sont les aristocrates (Spartiates) et les propriétaires terriens (Périèques), au-dessous d'eux sont les Pélasges et les esclaves (que Marx nommerait Lumpenprolétariat).

Si les Hilotes pouvaient s’élever à une condition supérieure et s'affranchir, la mouvance sociale demeurait très difficile et restait limitée à l'accès à une caste intermédiaire artificielle.

Affranchis, les Hilotes « entraient alors dans la classe des Néodamodes ; ils acquéraient la liberté et probablement les droits civils ; mais les droits politiques ne leur furent jamais concédés. Suivant le mot de Dion Chrysostome, il était impossible à un Hilote de devenir Spartiate. Les enfants qui naissaient d’un père Spartiate et d’une Hilote formaient la classe des Mothaces ou Mothaques, dont la condition était analogue à celle des Hilotes affranchis » (ibid).

De telles notions entrent en résonance avec celles exprimées par les Lois de Manu, et que nous avons déjà citées.

 

Les indigènes (Adivasi)

Adivasis est le nom que l'on donne aux indigènes du sous-continent indien. Ces peuples vivent en tribu dans les zones rurales et souvent forestières. Avant l'arrivée des Aryens, les Adivasis composaient la majorité des habitants de l'Asie du sud-est. Depuis, les Adivasis vivent en marge de la modernité et des traditions classiques de l'hindouisme. Les Adivasis sont en majorité animistes, mais ils peuvent être aussi chrétiens, particulièrement dans les zones évangélisées par des missionnaires jadis catholiques et aujourd'hui protestants et évangélistes. La tribu des Manipuris possède par exemple un système de société matrilinéaire et les femmes y ont plus de pouvoir et d'autorité que les hommes.

Il existe plus de 700 tribus indigènes enregistrées et chacune possède un caractère qui lui est propre. À titre indicatif, les Bhils, l'ethnie tribale principale du Gudjarat, représentent 30 % de la population adivasi. Elle est composée de nombreuses tribus indépendantes, tels les Bhils Garasia, les Dholis Bhil, les Dungris Bhil, les Dungris Garasia, les Mewasis Bhil, les Rawals Bhil, les Tadvis Bhil, les Bhagalias, les Bhilalas, les Pawras et les Vasavas. Au Rajasthan, les Meenas sont l'ethnie tribale la plus représentée. Elle est composée d'au moins autant de sous-divisions.

Les Adivasis sont encore présents dans le sous-continent, des montagnes de l'Himalaya au Sri Lanka, mais ils se concentrent surtout dans le nord-est du pays, aux frontières assamaises, bangladaises et birmanes, ainsi qu'aux alentours du plateau du Deccan.

 

Les Pélasges

Passons à présent en Grèce. En parallèle à la plus basse des castes lacédémoniennes constituée par les Hilotes, se trouve un groupe hétérogène et indigène : les Pélasges (que l'on pourrait rapprocher à la fois des aborigènes indiens adivasis mais aussi des shudras).

Pélasge est un terme fourre-tout qui désigne certains des peuples qui résidaient entre l'archipel grec et la péninsule italienne avant l'arrivée des Celtes et des Hellènes. Il pourrait s'agir, ou pas, d'une population indo-européenne. Si tel était le cas, elle serait originaire d'une première vague de migration indo-européenne prédatant de près de mille ans l'arrivée des Achéens en Grèce.

« En Grèce, les populations pélasgiques jouent le rôle d’opprimées, d’abord devant les colonisateurs sémites [Minoens, Phéniciens], ensuite devant les émigrants [Indo-Européens hellènes]. La sujétion qu’on leur imposait avait des bornes. Dans son étendue la plus grande, elle s’arrêtait au servage. L’aborigène vaincu et soumis devenait le manant du pays. Il cultivait la terre pour ses conquérants, il travaillait à leur profit. Mais, ainsi que le comporte cette situation, il restait maître d’une partie de son travail et conservait suffisamment d’individualité. Toute subordonnée qu’elle était, cette attitude valait mieux, à mille égards, que l’anéantissement civil [...]. La plupart des Sémites, puis des [Indo-Européens] s’établirent sur l’emplacement des villages aborigènes, en conservèrent souvent les noms anciens, et s’allièrent avec les vaincus de manière à produire bientôt un nouveau peuple. Ainsi les Pélasges ne furent pas traités en sauvages. On les subordonna sans les annihiler. On leur accorda un rang conforme à la somme et au genre de connaissances et de richesses qu’ils apportaient dans la communauté. [...] Ces pasteurs sont également habiles à élever de grands murs, à bâtir des chambres funéraires, à amonceler des tumulus de terre d’une imposante étendue » A. de Gobineau, Essai sur l'inégalité des races humaines.

 Les Finnois

La notion d'un peuple autochtone défait, qui ne survit plus que pour servir un peuple vainqueur colonisateur, se retrouve en Scandinavie. Comme les Mundas sont les « sous-hommes » des Aryens védiques, et les Pélasges les esclaves-nés des citoyens libres de Sparte, les peuples associés aux Finnois et aux Lapons peuvent se concevoir de la même manière par rapport aux Germains scandinaves :

« La Scandinavie, occupée primitivement par des tribus finnoises, avait subi deux invasions de la race germanique, celle des Goths et celle des Ases [Suédois selon l'auteur]. Ces trois couches de populations sont évidemment représentées par les trois générations qui sortent de Rig. La race des indigènes est caractérisée par la noirceur de sa peau et par d’autres signes physiologiques que l’on retrouve encore aujourd’hui chez les Lapons, qui en sont un débris. Comment ne pas les reconnaître à leurs genoux arqués, à leur figure hideuse, à leur dos courbé, à leurs talons saillants ! Le nom de cette race indigène est celui de la servitude, parce qu’elle fut asservie par la race plus belle et plus forte qui vint ensuite envahir le pays. Cette race elle-même est désignée également dans ce chant par ses caractères physiques, entre lesquels la blancheur de la peau et la couleur blonde des cheveux tiennent le premier rang. » J.-J. Ampère, Ancienne poésie scandinave.

Les Mlecchas (barbares)

Dans les textes védiques, les Mlecchas sont les barbares qui peuplent les contrées entourant la vallée du Gange et l'Aryen-Varta (le domaine des Aryens). L'étymologie du terme est la même que pour le mot grec « barbaros » ; le mleccha est donc celui qui grogne au lieu de parler et qui par extension, ne maîtrise pas la langue et les coutumes propres aux Aryens védiques.

  

Un homme d'origine impure, qui n'appartient à aucun varna et dont le caractère n'est pas connu, qui n'est pas noble, mais à l'apparence d'un noble, on peut découvrir ce qu'il est par ses actes. Les comportements indignes d'un noble sont la grossièreté, la dureté, la cruauté, la négligence des devoirs prescrits. Tout ceci trahit en ce monde un homme d'origine impure.

Lois de Manu, 10, 57 et 58.

Les textes anciens distinguent les Kiritas, barbares des montagnes, vivant au Pamir et au Tibet, par-delà l'Himalaya, les Khasas népalais, de race indo-européenne et les Pulindas orientaux, de race sino-thai. Avec le temps, le terme de mleccha ne fut plus seulement réservé aux indigènes ignorant les Védas, mais à tous les peuples ignorant les dieux et les Lois de Manu, qui sont les bases fondamentales du brahmanisme.

Au Moyen Âge indien, le terme de mleccha fut surtout appliqué aux peuplades hunniques qui dévastèrent le pays, ainsi qu'aux habitants grecs des colonies alexandrines de la Bactriane et du Gandhara, avec qui commerçait la vallée du Gange. Dans l'épopée du Mahabharata, les Grecs, les Ioniens, appelés Yonas ou Yonakas, font partie des peuples qualifiés de mleccha. Ils joueront cependant un rôle non négligeable dans la mythique guerre du Kurukshetra et prépondérant dans la sauvegarde et la diffusion du bouddhisme en Asie centrale.

En dehors des castes, se situent donc les étrangers. Quelles que soient leurs confessions ou leurs origines, les étrangers ne font pas partie du cadre de vie indien, et ils n'ont donc ni à s'adapter, ni à s'assimiler. L'hindouisme n'étant pas une religion évangéliste ou prosélyte, les étrangers n'ont pas à se baptiser hindou ni à se convertir. De même qu'ils n'ont pas à suivre les règles, ni à subir l'ordre hiérarchique et castique des hindous.

En fonction de son régime alimentaire, de son emploi, un étranger sera plus ou moins considéré, mais jamais à l'aune des varnas, de la jati ou du système hiérarchique des castes. Un étranger, touriste ou expatrié, sera traité en Inde en invité, il sera libre de garder ses coutumes et son mode de vie, mais jamais il ne sera considéré comme faisant vraiment partie de l'humanité indienne. Paradoxalement, il s'agit en quelque sorte d'un racisme mêlé à une immense et immaculée tolérance. Ainsi, si les étrangers en Inde sont respectés en tant qu'invités, ou touristes fortunés, ils n'en demeurent pas moins l'objet de reproches quant à leur manque de pudeur, de retenue et de sang-froid, de même qu'en raison de leur anxiété permanente… Autant de signes qui poussent un Indien à penser que les étrangers ne maîtrisent pas leur propre passion et leur propre esprit (ce qui est un vice des plus infamants en Asie). De plus, les Occidentaux ont en Inde la réputation d'être sales et de manger des produits malsains qui les excitent et les rendent nerveux sans raison, comme la viande, le café ou le tabac.

Les ascètes et les saints

En marge du modèle théorique des varnas, on trouve des groupes sociaux hors caste, comme les sanyassims (saints) ou les sadhus (moines errants), dédiés à la quête de l'éveil spirituel. Ils peuvent être considérés comme une sorte de second clergé, parallèle à celui des brahmanes spécialisés dans la prêtrise. Ces hommes, qui aspirent à la sainteté, ont renoncé à la vie terrestre pour se consacrer à l'adoration des dieux et déesses, et à la pratique du yoga.

Cette différence entre « saints hommes ascètes » (sadhus) et brahmanes affiliés à la pratique des rituels et à l'apprentissage des Védas, Strabon l'a bien remarqué, même s'il mêle de façon incohérente disciple de Shiva, ascètes jaïns et astrologues brahmanes. Si Strabon n'a pas voyagé en Inde, il compile cependant les témoignages de Mégasthène (-350 à -290) et d'Onésicrite (v. -330), ce qui nous indique l’ancienneté des coutumes indiennes pratiquées de nos jours (les sadhus seraient encore cinq millions en Inde).

« Aux brahmanes certains historiens opposent d'autres philosophes appelés Pramnes, grands disputeurs de leur nature, qui, habitués à ergoter sur tout, tournent en ridicule les recherches physiques et astronomiques des brahmanes, et traitent ceux-ci de bavards présomptueux et insensés. Les Pramnes se divisent en trois classes : les montagnards, les gymnètes et les politiques, autrement dits les urbains et les suburbains. Les montagnards sont vêtus de peaux de cerfs et portent des besaces remplies de racines : ils se donnent pour médecins, mais n'usent en réalité que de sorcellerie, de charmes et d'amulettes. Les gymnètes, eux, vont toujours nus, ainsi que leur nom l'indique ; ils ne vivent guère qu'en plein air et s'exercent, nous l'avons déjà dit, pendant trente-sept années consécutives, à la patience, admettant des femmes dans leur société, mais sans avoir avec elles aucun commerce charnel. Aussi inspirent-ils aux populations de l'Inde une admiration incroyable. [...] Onésicrite ajoute que les gymnosophistes se livrent aussi à de grandes recherches sur les phénomènes naturels, sur les signes ou pronostics, sur la pluie, la sécheresse, les maladies ; que, quand ils vont à la ville, ils s'y dispersent dans les places et dans les carrefours, arrêtant tout homme qui passe chargé de figues et de raisin et s'en faisant donner par lui gratis, de même qu'ils se font verser de l'huile sur la tête et oindre tout le corps par le premier marchand d'huile qu'ils rencontrent ; que, comme toutes les maisons des riches jusqu'au seuil du gynécée leur sont ouvertes, ils y entrent librement, s’assoient à la table du maître et prennent part à la conversation. Nous savons encore par lui que la maladie corporelle est aux yeux des gymnosophistes la flétrissure la plus honteuse, et qu'aussitôt qu'ils se sentent atteints de quelque mal ils prennent la résolution de mourir par le feu, élèvent leur bûcher de leurs propres mains, se font frotter d'huile une dernière fois, puis, montant au haut du bûcher, s'y assoient, donnent eux-mêmes l'ordre d'y mettre le feu, et se laissent brûler sans faire un mouvement » Strabon, 15, 1.

Sur la côte occidentale, quelque part entre le Gujarat et le pays dravidien, Onésicrite (cité par Strabon) mentionne la présence d'un peuple au mode de vie étrange mais absolument pacifique. Il s'agit probablement d'une communauté de moines ascètes, dont les règles de vie monastique rappellent à l'auteur la société spartiate.

« Onésicrite s'étend longuement et avec complaisance sur le territoire de Musican, mais beaucoup des traits qu'il relève dans cette espèce de panégyrique sont communs aussi, paraît-il, à d'autres parties de l'Inde : la longévité par exemple, car, il est arrivé que des Musicaniens soient morts ayant atteint l'âge de 130 ans [...]. Ce qui, en revanche, semble appartenir en propre aux Musicaniens, c'est cet usage des syssities ou repas publics analogues à ceux de Sparte et alimentés par la mise en commun des produits de la chasse, cet autre usage de se passer absolument d'or et d'argent malgré la présence de mines dans le pays, l'usage aussi de n'avoir pour esclaves que de jeunes garçons à la fleur de l'âge rappelant les Aphamiotes de Crète et les Hilotes de Sparte, l'indifférence absolue pour toutes les sciences, la médecine exceptée, sous prétexte que l'homme fait mal en s'appliquant trop à certains arts, à l'art militaire par exemple et à d'autres semblables, l'ignorance enfin des procès, si ce n'est pour meurtre et pour violence, nul n'étant maître soi-disant de se préserver du meurtre et de la violence, tandis que, dans les contrats et marchés, où chacun peut veiller sur soi, on doit supporter sans mot dire les manquements de foi dont on a été victime, mais faire bien attention à qui se fier désormais pour éviter de remplir la ville de querelles et de procès. » Strabon, 15, 1.

Strabon rapporte par ailleurs des coutumes étonnantes, de la part d'un peuple qui ne semble pas tant une nation ou une tribu, qu'une

congrégation de sadhus (comme il en existait alors de nombreuses en Inde du sud). Les Garmanes, peuple que l'on ne peut identifier aujourd'hui avec certitude, sont décrits comme vivant entre le Gujarat actuel et le sud de la péninsule, sur la côte de la mer d'Arabie. Il s'agirait donc d'une communauté subissant l'influence à la fois des Aryas mais aussi des Dravidiens, tout en étant probablement héritière de la spiritualité de la civilisation de la vallée de l'Indus (nudité, ascétisme, rôle de la nature).

« Passant aux Garmanes, Mégasthène nous apprend que les plus considérés d'entre eux sont désignés sous le nom d'Hylobii et qu'ils vivent en effet dans les bois, se nourrissant là de feuilles et de fruits sauvages, s'habillant avec l'écorce des arbres, et s'abstenant à la fois des plaisirs de l'amour et de l'usage du vin. Il ajoute qu'ils n'en correspondent pas moins régulièrement avec les Rois, que ceux-ci les consultent par messagers sur les causes des événements, et se servent d'eux comme d'intermédiaires auprès de la divinité, soit pour l'adorer, soit pour la fléchir. [...] Les seuls médicaments qui trouvent grâce à leurs yeux sont les liniments et les cataplasmes, tous les autres leur paraissent plus ou moins entachés de maléfices. Du reste, [ils] pratiquent également la constance ; on les voit les uns et les autres s'exercer à supporter la fatigue et la douleur, et rester par exemple tout un jour dans la même attitude sans bouger. Les Garmanes comptent encore parmi eux des devins, des enchanteurs, des philosophes experts dans les formules et autres rites funéraires, qui s'en vont mendiant de ville en ville, et de village en village, et d'autres philosophes, qui, tout en étant plus éclairés et moins grossiers de manières, ne se font pas faute, au nom de la religion et de la vertu d'encourager cette croyance à l'Enfer si répandue dans le vulgaire. Quelques-uns sont accompagnés de femmes qui prennent part à tous leurs exercices, à tous leurs entretiens philosophiques, et qui, comme eux, ont renoncé aux plaisirs de l'amour. » Strabon, 15,1.

Ctésias (v. -350), cité par Photius dans sa Bibliothèque, évoque-lui aussi les pratiques des sadhus :

« Il y a au milieu de l'Inde des hommes noirs, qu'on appelle Pygmées. Ils parlent la même langue que les Indiens, et sont très petits. Les plus grands n'ont que deux coudées ; la plupart n'en ont qu'une et demie. Leur chevelure est très longue ; elle leur descend jusqu'aux genoux et même encore plus bas. Ils ont la barbe plus grande que tous les autres hommes ; quand elle a pris toute sa croissance, ils ne se servent plus de vêtements, leurs cheveux et leur barbe leur en tiennent lieu. Ils laissent descendre leurs cheveux par-derrière beaucoup au-dessous des genoux ; leur barbe leur va aux pieds. Lorsqu'ils ont ainsi tout le corps couvert de poils, ils se le ceignent d'une ceinture, et n'ont pas besoin par conséquent de vêtements. Ils ont le membre viril long et gros ; il leur descend à la cheville des pieds. Ils sont camus et laids. Leurs moutons ne sont pas plus gros que des agneaux ; leurs bœufs et leurs ânes le sont presque autant que des béliers. Leurs chevaux, leurs mulets et toutes les autres bêtes de charge ne le sont pas plus que des béliers. Les pygmées accompagnent le Roi de l'Inde, il en a trois mille à sa suite. Ils sont habiles à tirer de l'arc. Ils sont très justes et se servent des mêmes lois que les Indiens, vont à la chasse du lièvre et du renard. Au lieu de chiens, ils se servent pour cette chasse de corbeaux, de milans, de corneilles et d’aigles. »

Derrière ce qui semble des affabulations, et que Ctésias nous livre sans filtre, se cache en vérité les caractéristiques essentielles des saints hommes errants de l'Inde, à savoir : la pratique de la nudité, de la vie forestière, de la sexualité tantrique et des arts martiaux. Ctésias fait même mention de leur pouvoir de communication avec les oiseaux, un attribut encore revendiqué de nos jours par les sadhus. Quant aux Pygmées mentionnés par Ctésias, il s'agit vraisemblablement de la race négritos ou vedda, qui vivait jadis dans les denses forêts du plateau du Deccan. Cette ethnie ne parle cependant pas un dialecte indo-européen, ni dravidien, de sorte que le témoignage de Ctésias prête à confusion. Reste qu'il décrit, lui aussi, des pratiques encore en activité de nos jours.

 

Les sannyasins, qu'ils soient astrologues, yogis, devins, médecins ou sans spécialité, sont dans leur immense majorité des hommes, appartenant aux castes nobles, d'un âge avancé et qui ont coupé tout lien avec leur famille, leurs droits et leurs devoirs de citoyen. Une immense partie d'entre eux est issue de la caste des brahmanes et dans une moindre mesure de celle des kshatriyas.

Les sadhus peuvent avoir une origine sociale plus ouverte. nombre d'entre eux sont issus des shudras et parias et ont délaissé leur famille pour ne pas en être un poids ni une bouche à nourrir une fois que la vieillesse les a forcés à l'inactivité.

Il est commun pour un hindou de douter de la sincérité de tels hommes, qui s'autoproclament saints ou gourous. Les sadhus sont même souvent présentés comme des usurpateurs et comparés à des vagabonds. Cependant, si les adeptes sont convaincus de leur bonne foi, ils considéreront les sanyassims comme les représentants du (des) dieu(x) sur Terre.

Selon leur manière d'atteindre la moksha, qui est la libération de l'âme, un sage en Inde est appelé yogi, car il est maître du yoga, qui est la maîtrise de soi, des émotions comme des comportements. Une femme passée maîtresse dans la pratique du yoga sera appelée une yogini.

Un yogi est en général entouré d'une cour de dévots qui s'occupent de ses tâches ménagères, afin qu'il se consacre pleinement à la pratique du yoga. Les yogis sont aussi des conseillers patrimoniaux, des astrologues et des maîtres spirituels. Des chaînes de télévision indiennes leur sont consacrées et les plus célèbres d'entre eux mobilisent des foules à chacune de leurs apparitions publiques.

 

Les rishis célestes

Cas inédit, le mythe cosmogonique brahmanique ne met pas en scène des dieux, un ancêtre ou un héros, mais un groupe de sages célestes : les rishis prajapatis.

Que les honneurs soient rendus aux vénérables sages des temps passés, qui chassèrent les ténèbres de l’ignorance, et dont la science fut si profonde et les cœurs si généreux, que de leurs lèvres sortirent comme du nectar, les poèmes et légendes dont l'écoute détruit le péché et procure le bonheur.

Harivamsa, hommage préliminaire.

Quelques rishis célestes
Quelques rishis célestes
Quelques rishis célestes
Quelques rishis célestes

Quelques rishis célestes

Ces mahayogis (grand-yogis) sont les sages légendaires inspirés par Brahma qui sont à l'origine des premières dictions des Védas. Leur mythe est raconté dans le Gopatha Brahmanas (Atharva-Véda), l'hymne à Purusha et celui à la Création (Rig-Véda), et dans l'Harivamsa :

Afin de l'aider dans son œuvre créatrice, Brahma créa des êtres célestes dotés d'une parfaite sagesse : les sages Kashyapa, Angiras, Pulastya, Pulaha, Cratou, Vashishte, Atharvan, Bhrigou et Atri.

Ils sont les sages cosmiques, gardiens de la justice et de l'ordre de l'univers. S'ils sont nés de Brahma, ils sont en revanche animés par Vishnou.

Ils sont appelés les Prajapatis, c'est-à-dire les Grands Créateurs. Ce sont eux qui, à force de travail et d’intelligence, parvinrent à marier ce qui était réel avec ce qui était apparent. C'est ainsi que le rishi Kashiapa créa le soleil, parmi d'innombrables êtres stellaires, humains ou magiques.

Notons une nouvelle fois la similitude entre civilisation celte et indienne : si nous ne savons rien de la cosmogonie celte, dans La Religion des Celtes, le philologue Georges Dottin observe cependant qu' « une glose du Senchus Mor, recueil de jurisprudence irlandaise, nous apprend que les druides irlandais disaient que c’étaient eux qui avaient fait le ciel, la terre, la mer, le soleil, la lune, etc. ».

Ces gardiens de l'ordre cosmique résident dans la constellation de la Grande Ourse, ainsi que sur Terre, dans de multiples ashrams dont ils sont les solitaires résidents et dont la plupart se situent le long de la vallée du Gange et dans l'Himalaya.

À la fin d'un cycle, alors que l'univers est noyé sous les eaux, c'est depuis la constellation de la Grande Ours que ces rishis descendent sur Terre pour sauver les Védas ainsi que l'humanité en la personne de Manu, le premier et le dernier des hommes, qui est aussi leur intermédiaire sur Terre. Au début d'un nouveau cycle, ces sages se réincarnent en d'autres sages puis recommencent leur œuvre créatrice et protectrice.

Ces sages célestes, ces parfaits savants, poètes et théologiens, sont nommés rishis car ce sont les êtres les plus intelligents qui puissent exister. Ils sont les seuls à vraiment comprendre les Védas, dont ils sont les ultimes compositeurs, gardiens et passeurs, car chacun d'entre eux est directement inspiré par Brahma, qui est leur père à tous.

Les Prajapatis se mirent donc à produire des êtres, répandant partout l’inépuisable esprit saint et l'énergie du divin.

De ces patriarches, sortirent les grandes familles aryennes, lesquelles, attachées aux exercices de la piété et fécondes en rejetons, ont pour leur propre bonheur donné au monde de nombreux sages, héros et rois, ainsi que les dieux qui peuplèrent bientôt le ciel.

Cependant, deux d'entre eux, Poulaha et Vashishte, refusèrent de participer à la création des univers et des êtres.

Poulaha ne créa pas car il consacra son existence à vénérer Rudra et pour cela, il érigea plusieurs ashrams dans le nord de l'Inde, au long de la vallée du Gange, un fleuve dans lequel il se baignait régulièrement pour se purifier.

Vashishte quant à lui, voyant que la Création n'était qu'une vaste source de tristesse et de souffrance, comprit que les réticences de Rudra à créer étaient justifiées, et voulut se suicider en se jetant dans la rivière Sarasvati, l'incarnation de la déesse de la connaissance. C'est alors que le fleuve se divisa en des milliers de petits torrents puis en quelques flaques d'eau, empêchant ainsi Vashishte de s'y noyer. Le rishi fut dès lors consacré protecteur de l'humanité. Doté du pouvoir d'exaucer n'importe quelle prière, Vashishte est l'ami des hommes ainsi que leur conseiller. »

Jouant un rôle important dans les Védas et les récits épiques, les moines ascétiques qui vivent à l'écart de la civilisation sont les « rishis ». Un rishi est un homme, souvent âgé, qui a pris sa retraite dans une forêt ou au sommet d'une montagne. Il y vit en général seul, ou avec sa femme, et possède parfois quelques animaux et plantations. Pour le rishi, l'humanité est un obstacle fondamental à son développement mystique, c'est pourquoi il préfère vivre seul, loin et nu, pour ne plus faire qu'un avec l'Univers tout entier. Leur pouvoir était jadis redoutable et ils étaient craints des dévas.

En témoigne la légende du rishi Jamadagni, dont la colère terrorisait le Soleil lui-même :

Jamadagni vivait en ascète avec sa famille, reculé du monde. Il avait la réputation d'avoir mauvais caractère et de ne pas supporter être dérangé lors de ses médiations. Un jour de forte chaleur, alors que le Soleil brillait trop fort au-dessus de sa tête, le rishi s'était emporté contre l'astre, l'avait menacé de son arc et même tiré des flèches dans sa direction. Pour calmer le courroux du rishi, l'astre effrayé lui offrit une ombrelle et des sandales, que Jamadagni s'empressa d'offrir à son tour à l'humanité, qui depuis souffre bien moins de la canicule.

Ramayana

Les routes et les télécommunications n’ayant eu de cesse de monter en altitude, de même que les forêts furent rasées ou transformées en parcs nationaux et réserves animalières pour touristes fortunés, et les déserts striés d'autoroutes, il n'existe aujourd'hui plus que très peu de rishis en Inde, leurs territoires ayant disparu.

Si la tradition hindoue fait des ascètes les détenteurs de pouvoirs magiques, il s'agit avant tout d'une allégorie pour parler de leur immense sagesse, plutôt que d'un véritable pouvoir surnaturel lié à la magie blanche ou noire. Selon les agamas shivaïtes, largement inspirés du Véda, leurs pouvoirs sont au nombre de 8. Selon le Tirumantiram, il s'agit de :

- l'attention, qui permet de parvenir à son objectif sans songer à la futilité,

- l'acceptation,

- la tolérance,

- le détachement,

- le choix

- la décision, qui permet de différencier le bien du mal, le vrai du faux, le courage dans l'adversité,

- le retrait qui permet d'accepter l'échec,

- et l'altruisme.

Le pouvoir des rishis est loué par les légendes puraniques et les épopées indiennes. Dans la réalité, les brahmanes, malgré leur réputation, demeuraient les sujets des rajas... Mais dans les contes, légendes et mythes, ce sont les brahmanes qui imposent leur souveraineté aux princes.

Ces rishis sont bien souvent des anciens « rois du monde », héritiers de la dynastie du Soleil ou de la Lune, que la sagesse poussa à abdiquer pour commencer une retraite spirituelle.

Le rishi magicien Vishvamitra, roi retraité de la dynastie de la Lune, est l'un des plus célèbres rishis et aussi l'un des plus puissants. Son antagonisme avec le maharishi Vashishte, gourou de la dynastie solaire, est un des ressorts narratifs des épopées indiennes.

Les gourous

Les gourous sont les chefs spirituels d'un ashram dont ils ont la garde. Le gourou a une place essentielle dans le développement spirituel d'un hindou. Sans gourou, il n'y a aucune transmission de pouvoir, et sans être guidé, le dévot n'ira nulle part sur le chemin qu'il veut emprunter.

Le sage aussi bien que le sot peuvent attendre l'état où disparaissent les désirs, et cela simplement par la connaissance du mystère de l'Atman et grâce à l'aide de leur maître spirituel, quel qu'il soit ! Si tu veux être sage, il ne faut pas considérer l'immature, le crédule, l'idiot, le lent, le dilettante et le déchu comme n'ayant rien de bon en eux. Tous enseignent quelque chose que tu devras apprendre, car ce n'est pas parce qu'un joueur perd à un jeu qu'il doit quitter la partie. Ne dédaigne donc pas ton maître même s'il rate ses leçons. Prends la vérité et ignore le reste. Rappelle-toi qu'un bateau qui a la coque peinte et le pont décoré te transportera de l'autre côté du fleuve aussi bien que s'il était simple et rudimentaire

Avadhuta Gita.

C'est Rama, avatar de Vishnou, qui parle à son frère et disciple Lakshman :

Ta routine quotidienne sera composée des prières et rituels préconisés par les Écritures. Tout d'abord, tu dois t'efforcer de mener à bien ce que t'imposent ton destin et tes différentes activités. Ceci effectué, celui qui est mon disciple devra ensuite se tourner vers ton gourou et le vénérer avec une immense dévotion et la certitude qu'il n'est autre que moi-même. Tu devras me vénérer sans vanité ni hypocrisie et devras vivre une vie saine et réglementée telle que ton gourou te l'aura ordonné. Sache, ô Lakshman, fierté de ma race, je serai satisfait que l'on m'honore en décorant Mon image d'offrandes.

Rama Gita

Vivekananda (1863 - 1902), dans sa libre traduction du Kurma Purana, donne un ultime conseil à ceux qui voudraient méditer correctement, en ne manquant pas d’évoquer l'importance du gourou afin de vivre dans un univers saint et pacifié, propice au yoga :

« Je ne saurais trop recommander, avant de pratiquer la méditation yogique, de rendre d’abord hommage à tous les yogis qui vous ont précédé, à votre propre gourou et à Dieu. Ensuite seulement vous commencerez votre séance de yoga. L'esprit apaisé, vous focaliserez sans attendre votre attention sur l'objet de votre culte. »

Le Raja Yoga en résumé, traduit librement du Kurma Purana.

Le bouddhisme réserve lui aussi une place de choix au gourou. Tout comme dans l'hindouisme, il est le moyen d'atteindre l'illumination. Sans gourou, aucun moyen de comprendre les Védas, ni les sutras du Bouddha. Avatar (« descente » en sanskrit) de Dieu ou du Bouddha sur terre, le gourou est le passage obligatoire que l'on doit emprunter sur le chemin de la sagesse.

La prière suivante est originaire du Tibet bouddhiste. Il s'agit d'un hommage à Manjushri, un des grands bodhisattvas des mythologies mahayana et vajrayana. Manjushri, dont le nom signifie : « Gloire gracieuse », est la personnification de la sagesse.

« Hommage à l'éminent Seigneur et Maître Manjushri.

Dont la sagesse brille, libre de toute obscurité mentale, aussi glorieuse que le soleil sans nuages,

Qui tient en sa main, appuyé sur son cœur, un volume des Écritures sacrées, indiquant, par ce geste, sa connaissance parfaite de toutes les vérités.

Qui regarde avec tendresse paternelle ceux qui cheminent à tâtons de par le monde, enveloppés dans les ténèbres épaisses de l'ignorance, et torturés par les misères qu'elle suscite, et les appelle de sa voix suave douée des soixante perfections vocales.

La résonance profonde, émouvante et pareille au son du tonnerre de cette voix éveille ceux qui dorment du lourd sommeil de l'ignorance, et les libère des liens tissés par leurs actions passées,

Car tu portes le glaive de la sagesse qui coupe les mauvaises herbes des misères, qui dissipe par la lumière les ténèbres de l'ignorance,

Tu es pur de toute éternité, doué des pouvoirs de ceux qui sont passés au-delà des dix degrés de perfection. Ô toi, chef parmi les royaux conquérants,

Ô toi qui disperses l'obscurité de mon cœur, je me prosterne humblement devant toi : « Aum Arabatsinadiye ».

Puisse la gloire de ta sagesse, ô très bienveillant, écarter la paresse et les ténèbres de mon cœur,

Confère-moi, gracieusement, les dons de courage et d'intelligence, afin que je sois capable de comprendre correctement les Sciences sacrées. » S. Reff et A. Stern, Soleil de prières.

De même, selon la doctrine sikhe, les gourous sont les transmetteurs d'une doctrine qui, sans eux, demeurerait inconnu du grand public.

« Gurudeva [maître-dieu-enseignant] est mère,

Gurudeva est père,

Gurudeva est le Seigneur Suprême,

Gurudeva est l’ami, le destructeur de l’ignorance,

Gurudeva est le parent et le vrai frère ;

Gurudeva est celui qui a donné et enseigné le nom d’Hari [Dieu] ;

Gurudeva a créé le mantra ;

Gurudeva est l’incarnation de la paix, de la vérité et de la lumière ;

Le contact de Gurudeva dépasse celui de la pierre des philosophes.

Gurudeva est le Tirtha [lieu du pèlerinage], le réservoir du nectar d'immortalité,

Il n’y a rien au-dessus de l’immersion dans la science du Gourou.

Gurudeva le créateur, est le destructeur de tout mal.

Gurudeva est le purificateur de tous les déchus.

Gurudeva est primordial avant les âges, à tout âge,

En répétant son mantra nous serons sauvés du samsara

[l’océan des naissances et des morts.]

Ô Seigneur, favorise-nous de la compagnie de Gurudeva,

Afin qu’attachés à lui, nous puissions, pécheurs égarés,

Faire la traversée à la nage.

Gurudeva, le vrai Gourou, est Parabrahma, Seigneur suprême ;

Nanak s’incline devant Gurudeva Hari. » Adi Granth Sahib, 5.

Ou :

« Sans signe, nul ne peut le contrarier, inaccessible et inconnaissable, il n’est point objet pour les sens ; inaltéré par le temps ou l’action ; d’essence sans commencement ; n’étant sorti d’aucun sein, existant par lui-même, inconditionné, sans défaillance, puissé-je être sacrifié à cette Pure Vérité.

Il n’a ni forme, ni couleur, ni contour ; il doit être désigné par la parole de Vérité. Il n’a ni mère, ni père, ni fils, ni parent, ni désir, ni femme, ni clan ; il n’est pas imprégné de Maya [l'illusion] ; il n'est pas dépassé, il est plus haut que le plus haut, Lumière de tout, Brahma caché dans tous les cœurs, sa lumière est tout entière dans chaque véhicule [cœur].

Par l’enseignement du Gourou, le portail de diamant s’est entrouvert, sans crainte, fixe et ferme, le regard s’y est fixé. Ayant créé les êtres, il plaça au-dessus d’eux le temps [la mort] et prit toute organisation sous son contrôle.

 En servant le Gourou ils trouvent la véritable fortune ; en agissant selon sa parole ils gagnent la véritable liberté. Dans un réceptacle pur [le cœur], la vérité seule peut vivre ; ils sont rares ceux dont la conduite est pure. Toute essence se fond dans l’essence suprême. Nanak en toi puissé-je trouver un refuge. » Adi Granth Sahib, 1

Quelques rishis célestes, gourous, sadhus et saints ascètes indiens d'hier comme d'aujourd'hui, historiques comme légendaires
Quelques rishis célestes, gourous, sadhus et saints ascètes indiens d'hier comme d'aujourd'hui, historiques comme légendaires
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Quelques rishis célestes, gourous, sadhus et saints ascètes indiens d'hier comme d'aujourd'hui, historiques comme légendaires

Swamis, babas, gourous, toutes ces personnes en charge de la mystique ne forment pas un clergé. Ils sont plutôt des émanations personnelles d'une doctrine universelle, et leur parole n'a que la valeur que leur donne leur auditoire. Les gourous les plus célèbres vont de ville en ville tout au long de l'année pour passer du temps avec leurs disciples, qui peuvent appartenir à toutes les castes.

Les séminaires en privé comme en public des gourous sont aussi le lieu de meetings politiques hindous, car la religion n'hésite pas à se mêler de politique quand il s'agit de sauvegarder ses intérêts. D'autres gourous demeurent au contraire dans leur ashram et alors défilent devant leur couche et tout au long de l'année, des pèlerins venus de l'Inde tout entière pour se faire bénir, conseiller ou aider.

Un adepte rétribue habituellement son gourou en passant du temps à le servir, ou tout simplement en lui donnant de l'argent, afin que l'ashram et la congrégation continuent de fonctionner. En échange, dans les ashrams, la nourriture est offerte aux adeptes et aux nécessiteux, sous forme de cantine populaire.

Cependant, le gourou et sa congrégation ne doivent en aucun cas constituer une association à but lucratif, ainsi que le rappelle Ramanuja :

« Quant aux rituels mystiques et sacrés, vous ne les laisserez pas se dérouler en présence de ceux qui ne croient pas, de même que pour qu'ils se déroulent, vous n'accepterez pas les offrandes de ceux qui n'ont pas été initiés aux trois secrets, que sont le Tattva, l'ultime vérité, le Hita, les moyens de l'action et le Purushartha, l'objectif final de l'existence humaine. N'acceptez pas non plus les offrandes de ceux qui ignorent les trois principes essentiels que sont l'Ishvara, le tissu de l'existence, le Cit, le domaine de la conscience, et le Acit, l'univers matériel. Enfin, et sous aucun prétexte, vous ne devez accepter les offrandes de ceux qui ne montrent aucun respect effectif pour l'exercice de la dévotion. De ceux-là, n'acceptez pas même les cadeaux, même si ceux-ci sont offerts volontairement et de bon cœur. » Les vérités scintillantes.

De même chez Ramananda, le roi-philosophe Rama s'exprime ainsi :

Je suis heureux de tout ce que pourront m'offrir avec dévotion et générosité mes fidèles disciples, même s'il ne s'agit que d'un peu d'eau. 

Ramananda, Rama Gita.

Si en Occident le terme de gourou possède une connotation très négative, en Inde, il est perçu comme une marque de respect et un titre honorifique. Contrairement aux sectes occidentales, qui font pression sur leurs adeptes, en Inde, les adeptes sont tout à fait libres de suivre ou non les séminaires et les conseils des gourous.

En Occident, les gourous sont des chefs charismatiques, souvent leaders de groupuscules ésotériques. Ils représentent donc pour leur société une subversion certaine, ce qui les conduit irrémédiablement à se faire diaboliser, ou à, justement, subir les conséquences des lois qu'ils enfreignent. Ainsi, si les gourous d'Occident installent leur communauté loin des regards inquisiteurs, en Inde, les ashrams sont situés pour leur immense majorité au cœur des villes. Un gourou indien ne se place donc pas en opposition avec le reste de sa société, car il sait en faire partie, ayant trouvé sa place en elle, de même qu'un rôle à y jouer.

L'endogamie n'étant pas imposée aux membres d'un ashram, le phénomène indien des sectes et des gourous ne mène donc pas vers la désocialisation, ni nécessairement, comme souvent en Occident, vers des dérives sexuelles, de l'abus d'autorité ou des escroqueries.

Les Indiens entretiennent un rapport avec leur gourou semblable à celui que l'on peut avoir en Occident avec un médecin. Si le praticien fait du bon travail, s'il sait nous soigner et prendre en compte notre souffrance, alors nous retournerons le voir. Au contraire, s'il nous déçoit, nous en changerons. De même, un docteur, tout comme un gourou, possède une clientèle assez large pour ne pas s'inquiéter de la perte d'un patient ou d'un disciple. Autre similitude, un docteur est payé en fin de consultation, de la même façon qu'un gourou est payé lors de sa prestation, qui peut être un conseil, un secret, un enseignement ou un rituel.

Plutôt que des leaders charismatiques, les gourous en Inde sont des prestataires de services. Le marché de la spiritualité est florissant en Inde. En donnant des conseils conjugaux et en vendant des poudres ayurvédiques luttant contre l'impuissance, les gourous occupent simplement leur place dans la société.

 

Les moines errants et les sadhus

Celui qui se sépare de tous ses biens et part arpenter les routes dans le dénuement le plus total, dans l'espoir de connaître l'Illumination est appelé siddha.

Celui qui ne respecte plus aucune convenance autre que celle que lui indique sa condition d'être libre et qui accepte en partie de redevenir sauvage, est appelé sadhu. Il existe peu de femmes sadhus, elles se nomment les sadhvis.

Celui qui se consacre à la recherche de l'Illumination, à travers la maîtrise du yoga, de la méditation et de la récitation des mantras est nommé bikshu. Les femmes qui s'adonnent à cette pratique sont les bikshunis.

Pour la tradition bouddhiste, le moine qui a renoncé à connaître l'éveil pour se consacrer à aider l'humanité à mieux vivre sa condition est appelé bodhisattva, qui veut dire « sadhu de la connaissance ». Un bodhisattva a renoncé à l'illumination et à la libération de son âme, pour aider l'humanité à atteindre le bonheur, c’est-à-dire qu'il renonce à son propre bonheur, jusqu'à ce que chacun maîtrise la sagesse ultime (la « bodhi », l'intelligence en sanskrit). Dans cette même tradition, celui qui a connu l'éveil, en ayant accès de son vivant au para-nirvana est un « bouddha ».

Les sadhus ne se trouvent pas nécessairement sur les ghats de Varanasi ou dans les ashrams de la vallée du Gange, mais aussi dans l'Himalaya, en direction des pâturages de haute altitude. Ils peuvent aussi porter les cheveux rasés, pour signifier qu'ils ont fait le deuil de leur propre ego. Souvent, ils habitent dans des grottes, parfois creusées sous un rocher, qui sont des lieux justes assez grands pour y dormir à l'abri de la pluie. Ce sont eux qui, avec joie, dispensent aux villageois des environs la juste parole et les précieux conseils inspirés de la tradition védique.

Les sikhs possèdent aussi leur tradition de sadhus, ce sont les udasins. Bien qu'ils suivent globalement l'enseignement de Baba Nanak et de ses héritiers, les udasins trouvent en Shiva une idole leur permettant d'atteindre l'éveil.

Enfin, les prêtres jaïns, qui ont fait vœu d'absolue non-violence et de nudité intégrale et dont la tradition ascétique est des plus sévères, peuvent être considérés comme des sadhus, c'est-à-dire des exemples vivants de la renonciation.

Les sadhus, ou ceux qui vivent comme tels, seraient aujourd'hui 4 à 5 millions en Inde et quelques dizaines de milliers au Népal. Durant l'Antiquité, ils étaient présents sur les territoires de l'Afghanistan et de l'Iran actuels, jusqu'au plateau Anatolien, mais ils en furent éradiqués à la suite de l'islamisation de ces contrées.

Aux yeux du gouvernement indien, ces vieillards sont considérés comme morts. Selon la tradition, il leur est strictement interdit de travailler ou même d'aider aux travaux manuels de manière volontaire. Ils vivent donc de mendicité, et la plupart pratiquent le jeûne ou la sous-nutrition comme moyen d'éveil spirituel.

Certaines traditions indiennes demandent une pratique quotidienne de la méditation pendant douze ans avant de commencer à entreprendre un pèlerinage qui, une fois complété, mènera le sadhu à la pleine ordination.

Une fois ordonné par un gourou, le sadhu peut alors prononcer des vœux. Plus il en prononcera, plus sa vie en sera compliquée mais, en principe, plus son chemin vers l'éveil sera favorisé. Il peut, par exemple, faire la promesse de ne plus jamais s'asseoir, ou de ne plus jamais s'allonger, ou baisser le bras droit, ou le bras gauche, ou les deux bras. Il peut aussi choisir de se castrer ou se couper tout à fait le sexe.

Pour eux, le sexe, l'ego et la morale, sont des obstacles qui doivent être écartés de leur chemin. La condition pour entrer dans l'ordre des sadhus est de jurer ne plus jamais revoir sa famille ou de revenir dans la ville où l'on a passé sa vie. La rupture des vœux entraînerait des conséquences désastreuses et jetterait la malédiction sur celui qui en serait responsable ainsi que sur sa famille.

Leur seul vêtement est un long drap qu'ils enroulent autour de leur maigre silhouette et dont la couleur signifie leur appartenance à une secte ou à un lignage de sadhus. En général, le blanc est la couleur des adeptes dont l'humilité ne les attache à aucune reconnaissance. Le jaune est la couleur des apprentis sadhus, des moines en formation et le rouge est la couleur des sadhus aguerris : c'est la couleur de Shiva, de Shakti et du feu. Quant au noir, c'est le signe des nagas sadhus et des aghoris, deux sectes parmi les plus fanatiques. Outre ces différences de principes, il est très difficile de reconnaître l'appartenance d'un sadhu, car la nudité est pour eux la règle.

La réalité des sadhus au 21e siècle est pour le moins difficile. Un vent grandissant d'incrédulité saisit les classes moyennes indiennes, tandis que le marxisme, le socialisme, le capitalisme, l'islamisme et l'occidentalisation gangrènent les croyances et les coutumes les plus archaïques du sous-continent.

Que pensent donc les Indiens de ces hommes réputés saints ? Il est commun pour un Indien de penser que, pour un sadhu authentique passé maître dans le yoga ou la compréhension holistique de l'Univers, dix autres sont des crapules qui n'ont renoncé qu'à leur dignité et à leur pudeur. De plus, l'héroïne, l'opium ou la consommation forcenée du cannabis, rend débiles bon nombre d'entre eux.

Quant à l'hindouisme, il n'a pas besoin des sadhus pour perdurer, car tant que la caste des brahmanes sera puissante, les Védas continueront à se réciter sans les sadhus.

Chaque année, un peu plus étrangers dans leur propre pays, les sadhus continuent pourtant leur vie incroyable. Ils se réunissent par millions lors des Kumbha Mela, ces rassemblements religieux qui se tiennent tous les six ou douze ans et qui rassemblent des centaines de millions de fidèles. Durant ces festivals, il n'est pas rare que des milliers d'entre eux se noient volontairement dans le Gange. Ce sont les suicidés volontaires d'un monde dans lequel ils savent ne plus avoir leur place.

Pour un étranger qui ne parle pas une des langues vernaculaires du sous-continent, il est très difficile d'entrer en communication avec un sadhu, la plupart ne parlant pas anglais. Quant à ceux qui maîtrisent l'anglais, ils seront souvent plus intéressés par l'argent d'un étranger que par son éveil spirituel.

De même, le manque d'empathie des sadhus, leur dignité presque grotesque, l'absence totale de références culturelles en commun avec l'Occident, sont autant de raisons qui les rendent aussi lointains et aussi étranges, que s'ils étaient venus d'une autre planète ou plutôt, ce qui serait plus correct, d'un autre temps.

Quand ils se regroupent, les sadhus vivent dans des akharas, qui sont des campements (ashrams) où sont enseignés des arts martiaux indiens.

 

Les Nagas

Parmi les plus fanatiques sectes de sadhus, sont les nagas sadhus, les « hommes-serpents », qui suivent une tradition nihiliste qui les mène à entrer en transe en consommant de massives doses de cannabis, sous forme de chillom ou de bhang lassi. Les nagas possèdent des armes de cérémonie, qu'ils n'hésitent pas à arborer pour montrer leur puissance, ce sont des épées, des poignards, des fouets et des massues. Les nagas sont des êtres rustres, qui ne bénissent personne ni n'enseignent aucune théorie ni aucune pratique yogique. Ce sont, au sens européen, des fous, qui ont troqué leur propre personnalité pour incarner, de leur vivant, le dieu Naga et le dieu Rudra. Pour de tels êtres, leur propre estime est un obstacle à l'éveil.

 

Les Aghoris

Les Aghoris dépassent la bipolarité pour n'être plus que des êtres vivants dans le pur instant, sans moral, ni culture, ni ressentiment. Leurs rituels comprennent l'anthropophagie, la consommation d'alcool, de cannabis et d'opium. Dans un contexte tantrique, les aghoris peuvent s'accoupler à des femmes aghories, mais leurs ébats ne doivent avoir lieu, comme tout le reste de leurs rituels, qu'autour de bûchers funéraires aux cendres encore rougeoyantes.

Lors de leur ordination, les Aghoris reçoivent un crâne dans lequel ils recueilleront tout le reste de leur vie l'eau et les offrandes. Les cendres symbolisent pour eux la mort, la crémation des corps et la vanité de l'existence. Ils s'en recouvrent le corps comme seul rempart contre les maladies et le froid. Quand ils boivent des boissons, ils en renversent un peu au sol en libation à Shiva et quand ils fument le chilom, ils récitent le mantra « Bom Bolenath, Shiva Shankar ! » Leur vie tout entière n'est que lascivité, accroupissement, endormissement, méditation et observation.

Selon les sources, la secte des aghoris n'est composée que d'à peine une centaine d'individus ou de quelques dizaines de milliers. Leur présence se concentre sur les ghats des villes saintes de Varanasi et d'Haridwar, ainsi que dans les akharas de la vallée du Gange.

 

L'héritage de la spiritualité indusienne

La tradition des sadhus et de l'ascétisme fanatique prédate l'arrivée des Aryens en Inde. En effet, nulle mention d'une telle pratique dans les Vedas les plus anciens. Dans la littérature védique tardive, comme les brahmanas ou les épopées, les brahmanes vivent dans des cabanes forestières, ils sont détenteurs de vaches et sont mariés. Leur vie est dédiée au Dharma, mais ils ne sont pas nus et n'ont prononcé aucun vœu. Si les brahmanes s'imposent des supplices pour adresser leur requête à Brahma, ils ne sont pas des moines errants fumant le chilom et plantant la tente à la croisée des chemins.

Cette vision classique du sadhu, nous la trouvons mentionnée pour la première fois dans le corpus agamique tamoul. Les vies légendaires des Nayanars (les serviteurs de Shiva), présentent des saints conscients de leurs vies passées et vivant leur vie présente dans l'instant, sans accorder aucune importance à ce qui peut bien leur arriver. Ce nihilisme n'est pas celui des brahmanes, mais celui des ascètes du shivaïsme.

En outre, la statutaire du Pashupati de l'Indus, de Shiva et des tirthankaras, les représentent semblables à des sadhus, dans une position qui est reconnaissable entre toute : ils sont nus, en position de méditation, accroupis, jambes en tailleur, mains jointes sur le bas du ventre.

Enfin, si les sadhus sont abondement décrits par les voyageurs et les historiens gréco-romains, ils ne sont pas associés à la culture aryenne urbaine, mais plutôt à celle des forêts et des campagnes. C'est dans la jungle que vivent les Garmanes, de même que les Gangines, peuple mystérieux qui se nourrit de parfum, vivent dans les montagnes.

La tradition des sadhus n'est donc pas liée la tradition védique, mais plutôt à celle de l'ascétisme indusien. En vogue durant l'âge d'or de la civilisation de l'Indus, la religion de l'ascétisme (proto-jaïne et proto-shivaïte) s'est diffusée dans les jungles et les montagnes du sous-continent, avant d'être forcé de s'y réfugier à la suite des invasions aryennes.

Il est d'ailleurs intéressant de constater que dans les contes indiens les plus anciens, composés vers -700, les rishis sont des anciens rois (Vishvamitra) ou des fils ou petits-fils de dieu (Vashisht). Dans les hymnes védiques, ils n'ont pas d'existence propre, mais dans les brahmanas, composés en Inde, ce sont eux qui décident du sort des combats et que les rois craignent. Leur pouvoir est sans limite (comme en témoigne le conte de Harishchandra).

Plus tard, dans la littérature sanskrite classique, les rishis ne seront plus que des humbles ermites qui vivent dans des forêts reculées. Importunés par les terribles démons rakshasas, ils se réfugient sous la protection du roi Rama ou de l'ascète-guerrier Parashurama. Cette évolution témoigne de la perte d’autorité des ermites en Inde védique.

Avant l'arrivée des Aryens, les moines errants sont des anciens rois, qui ont laissé l'exercice du pouvoir à leur fils et qui décident de passer leurs derniers jours à se préparer à mourir. Dans la doctrine jaïne, une fois atteint un âge avancé, un homme cèdent ses biens à sa famille et à sa communauté, puis se retire du monde en prenant la route et en vivant nus jusqu'à sa mort. Il faut imaginer ainsi les derniers jours des rois de Harappa.

Théoriquement, les puissants de Harappa (la plupart étaient commerçants) cédaient le trône et leur fortune, mais il va de soi qu'ils devaient continuer à jouir des avantages de la position qu'ils avaient occupée.

La tradition jaïne rapporte que lorsqu’un roi quittait le trône et montait dans la montagne, il était suivi de sa cour, qui se mettait à suivre les pratiques ascétiques de leur maître. La mythologie bouddhiste mentionne des coutumes similaires : voulant intégrer l'ordre du Bouddha, et ainsi consacré sa vie à la méditation, la princesse Maha-Prajapati se rendit auprès de lui accompagnée de sa cour de femmes (toutes campèrent ensemble et prononcèrent les vœux en même temps).

Il ne faut donc pas imaginer les moines errant de l'Indus dénués de tout support. Les puissants devaient financer des ashrams, sachant qu'ils finiraient leur vie dedans. Ces ashrams devaient former un réseau d'auberge proposant des repas gratuits ainsi que des paillasses. Des gardes devaient être associés à ces lieux de villégiature et une chaîne de distribution reliée à des villes prospères devait permettre aux renonçants de ne manquer de rien.

Comme nous l'apprennent les anciens contes védiques, un roi en exil pouvait choisir de se remarier avec une femme qui serait pour lui une domestique lors de ses ultimes instants. Ensuite, comme ce fut le cas pour chacun des 24 tirthankaras, celui qui se savait proche de son terme déménageait avec sa femme dans la montagne pour y camper jusqu'à ses derniers instants. Le couple divin composé par Shiva et Parvati, résidents au sommet du mont Kailash, est la représentation la plus commune de ce couple saint.

À la suite des invasions aryennes, les guerriers venus de l'étranger prient le pas sur les rois-saints de l'Indus. La vie en forêt devint moins paisible et seuls les lieux de villégiature du centre de l'Himalaya, ainsi que les collines et les forêts du Vindhya, du Gujarat et du Bihar, demeurèrent propices à la retraite mystique. C'est dans ces régions que sont situés les principaux lieux saints du jaïnisme ; autant de lieux champêtres que le Ramayana décrit peuplé de nombreuses communautés de renonçants.

 

Les ascètes jaïns

Les prêtres jaïns appartiennent à de nombreuses congrégations indépendantes, dont plus de 80 sont dénombrées aujourd'hui. Les digambaras et les svetambaras sont deux des castes des communautés de prêtres jaïns les plus populaires. Les digambaras ne portent pas de vêtements et balaient devant eux pour ne pas écraser d'insectes, ils vont de villes en villes pour visiter les congrégations impatientes d'écouter leurs conseils. Les svetambaras sont quant à eux habillés d'une large et fine toile blanche et portent un masque devant le visage pour ne pas avaler d'êtres vivants microscopiques. Les moines célibataires du jaïnisme sont les incarnations vivantes du renoncement le plus total.

Le jina Rishisaba fut le premier d'entre eux. Surnommé Adinath, « le Père des ascètes », il est le premier des tirthankaras jaïns. D'abord roi d'Ayodhya, il délaissa l'exercice du pouvoir pour se consacrer à l'ascétisme.

« Après un temps très long, il commença à perdre tout intérêt dans les choses et les activités du monde et à tendre au détachement. Il sentit qu’il devait transférer toutes ses responsabilités à ses fils et s’orienter vers la libération, par des pratiques spirituelles. Il désira aussi atteindre l’omniscience et il montra, en conséquence, la voie de la vie disciplinée et des pratiques spirituelles. Son concept fut que s’adonner aux choses du monde ne donne pas le bonheur mais seulement une illusion de celui-ci. Le véritable bonheur vient de la libération des activités du monde.

Suivant le flot de ses pensées, Rishabhdev divisa le territoire de son royaume entre ses cent fils. Bharat reçut l’état d’Ayodhya et Bahubali celui de Taxila. Libéré des responsabilités de son royaume, Rishabhdev décida de prendre la « diksha » [l’initiation officielle dans la voie ascétique].

Suivant l’exemple de Rishabhdev, beaucoup de ses subordonnés et de gens ordinaires furent inspirés d’adopter la façon de vivre ascétique. Il est mentionné, dans les écritures, qu’avec Rishabhdev quatre mille autres personnes reçurent aussi la « diksha ».

Après être devenu un ascète, Rishabhdev fit le vœu de silence total et commença à errer en compagnie d’autres sadhus.

Lorsque, après sa pénitence, il alla mendier sa nourriture, il n’eut rien à manger. Les gens, à cette époque, ignoraient la pratique de donner de la nourriture en aumône. Ils ne comprenaient même pas le besoin de le faire. Chaque fois que Rishabhdev s’approchait d’eux, ils lui manifestaient leur respect et lui faisaient des offrandes, comme s’il s’agissait d’un roi. Rishabhdev s’en allait alors sans rien accepter. » Up. Shri Amar Muni, Les Vies authentiques des vingt-quatre Tirthankars (jainworld.com).

Les moines jaïns ne mangent qu'une fois par jour et passent leur vie à voyager, d'une communauté jaïne à une autre, vivant en reclus dans les temples, dormant sur une paillasse. Ils célèbrent les mariages et enseignent la doctrine aux adeptes. Traditionnellement, les moines jaïns ne voyagent pas lors des saisons trop clémentes aux insectes, afin de ne pas les déranger durant leurs déplacements.

Ils prononcent cinq vœux au moment de leur ordination : ne pas exercer de violence sur le vivant, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas commettre d’impuretés sexuelles et ne pas s'attacher aux biens matériels. À ces vœux principaux s'ajoutent le devoir de méditer, le devoir de s'abstenir de parole et d'acte inutiles et l'importance d'effectuer régulièrement un jeûne.

Les laïcs peuvent aussi suivre ces vœux. Cependant, si ces règles sont strictement observées par les moines jaïns, elles ne s'appliquent pas nécessairement à ses adeptes. Le jaïnisme, bien que fanatiquement ascétique, n'en demeure pas moins relativement facile à vivre, car il permet à chacun de s'adapter à ses règles et de les suivre volontairement. L'obligation la plus importante est le végétarisme, pour le reste, il revient aux adeptes de choisir le degré d'exigence qu'ils veulent s'imposer.

 

Les bonzes

Dans la tradition bouddhiste, les prêtres sont les bonzes. À la différence du clergé hindou, mais à l'instar du clergé jaïn, les bonzes ont l'obligation du célibat et ont fait vœu de chasteté.

 

Les ascètes européens

En Europe, on trouvait jadis des moines errants qui répondaient à la description des sannyasins, tels les vagabonds de la tradition orphique.

 

Celui qui choisit de vivre à la manière orphique, le bios orphikos, se présente d'abord comme un individu et comme un marginal ; c'est un errant, semblable à ces Orphéo-télestes qui vont de cité en cité, proposant aux particuliers leurs recettes de salut et se promenant de par le monde comme les démiurges d'antan. Bien entendu, ces espèces de moines sont non seulement coupés du monde politique de la cité, mais ils s'en sont délibérément évadés. D'autant plus sûrement qu'ils ont pris soin de marquer l'écart, sur le plan des pratiques. Leurs vêtements les singularisent, aux yeux de tous : ils ne portent que des habits de couleur blanche, et ils refusent de se laisser ensevelir dans une pièce d'étoffe de laine, parce que la laine est aussi part entière du vivant

M. Detienne, Dionysos mis à mort

Loin de se limiter à l'Inde, les pratiques ascétiques fanatiques se retrouvent chez les Celtes, qui tenaient en haute considération les hommes des bois (en témoigne l'iconographie autour de Cernunnos et des divinités nues et chevelues).

Par ailleurs, l'ermite est une des arcanes du tarot de Marseille, à l'instar de l'artisan, de l'empereur ou du pape. Tenant une lanterne dans ses mains, l'ermite du tarot s'avance vers la gauche. C'est-à-dire, selon la symbologie, qu'il va à contresens, qu'il recule. Il n'est plus au monde, le soleil ne brille plus pour lui. Revêtu d'un lourd manteau, il s'éclaire en entrant vers la mort. Selon le mot de Socrate : il se prépare à mourir.

La tradition chrétienne célèbre aussi ceux qui pratiquent la « retraite », comme en témoigne la tradition ascétique des moines orthodoxes du Mont Athos (Grèce).

Ces ermites relégués sur le haut du rocher [...] vivent loin des habitations, comme des bêtes fauves. Lorsqu’ils ne trouvent plus à se nourrir sur la montagne, ils descendent à la porte des monastères et échangent contre des légumes, de petits chapelets et des croix sculptées. Malgré l’aversion qu’ils témoignent aux moines, ceux-ci les vénèrent comme des saints. En venant du monastère russe, nous en vîmes un accroupi sur un rocher, véritable homme des bois, qui n’avait pour tout vêtement que sa barbe démesurément longue. Il est vrai que la légèreté de ce costume avait son excuse dans la chaleur de l’atmosphère.

A. Proust, Voyage au mont Athos (1858).

Dans son œuvre gnostique, Clément d'Alexandrie évoque d'ailleurs les ascètes du monde entier avec la même emphase. Qu'importe leur doctrine, ils sont tous des « philosophes ».

« La philosophie, cette science si utile, fleurit autrefois chez les barbares, et brilla au milieu des nations. Plus tard, elle pénétra aussi chez les Grecs. Ceux qui la professèrent furent en Égypte, les prophètes ; en Assyrie, les Chaldéens ; en Gaule, les Druides ; en Bactriane, les Samanæens [sadhus] ; parmi les Celtes, les philosophes ; en Perse, les mages (ces derniers annoncèrent aussi la naissance du Sauveur, avant qu’elle fut connue, et vinrent en Judée, conduits par une étoile) ; dans les Indes, les Gymnosophistes, et d’autres philosophes barbares. Ils sont de deux sortes : les uns se nomment Sarmanes [shramanas, ascètes], les autres Brahmanes. Parmi les Sarmanes, ceux que l’on nomme Allobiens, n’habitent pas les villes, n’ont pas de maisons, se revêtent d’écorce d’arbres, se nourrissent de fruits, et boivent de l’eau qu’ils puisent dans leurs mains ; ils ne connaissent ni le mariage, ni les enfants, de même que les hérétiques de nos jours, auxquels on donne le nom de Continents. Parmi les Indiens, il en est qui suivent les préceptes d’un certain Butta [Bouddha], que sa grande vertu leur fait honorer comme un Dieu. » Stromates, 1, 15.

Durant les premiers âges du christianisme en Europe, nombreux furent les moines chrétiens qui s'installèrent en Islande, en Irlande, dans les épaisses forêts de la Bretagne. Il ne n’agissait pas encore d'évangéliser les peuples, mais seulement de se rapprocher de la nature afin de se dédier à une foi ardente et ascétique. Ces moines, gnostiques pour la plupart, renièrent certains rituels païens, mais conservèrent beaucoup de leurs anciennes croyances. Ainsi naquit le mysticisme celto-chrétien, dont les romans du cycle du Graal seront les plus beaux fleurons.

 

La pénitence

On trouve les vertus de la pénitence par l'ascétisme et la méthode du vœu, tels que pratiqués par les hindous et les jaïns, clairement exprimés dans une des plus anciennes légendes du Moyen Âge européen : celle de Robert le Diable. Cette épopée, ou roman, met en scène ce qui semblerait être le terrible Robert de Normandie (v. 1000 - 1035), ennemi de Guillaume le conquérant et prétendant déçu du trône d'Angleterre. Après avoir ravagé les contrées qu'il convoitait, il se repentit et de là naquit la légende d'un prince né pour faire le mal, œuvrant à la destruction de tout et de tous, torturant et tuant, mais connaissant finalement la justice grâce à Dieu et à son messager. Alors réfugié dans une forêt, Robert le Diable prononce ses vœux à la manière des prétendants indiens au salut par la pratique continue et sans fin des privations. Le nombre de vœux prononcés équivalait au degré de sagesse que le moine espérait atteindre. Robert prononce trois vœux : se comporter comme un marginal (vivre seul et raillé de tous), s'astreindre au silence et manger dans la gamelle des chiens. Ce dernier vœu s'apparente à une version racoleuse du classique vœu de pénitence, d'humilité, de nudité ou de jeûne.

Le vœu de silence est un des vœux les plus communément prononcés. Pythagore l'aurait exigé de ses disciples durant les longues années que durait leur initiation : « et ce silence de cinq ans que Pythagore imposa à ses nouveaux disciples, fut un exemple de grande patience, car ils ne pouvaient rien demander, mais seulement se taire » (Eznik de Kolb, Réfutation des différentes sectes des païens).

Le Chevalier au barisel est un roman médiéval qui reprend le même thème et le même personnage que Robert le Diable. Les deux « épopées » datent du 13e siècle et reprennent vraisemblablement la même mythologie associée à Robert de Normandie. Tout comme Robert le Diable, le chevalier au barisel va vivre nu et pauvre. Son humiliation n'aura de fin que lorsqu'il aura reçu la grâce de Dieu, car tant que le chevalier n'extirpe pas le mal de son cœur en épousant l’amour de Dieu (donc de la justice), quoiqu'il fasse par ailleurs ne lui apportera aucun salut.

Le barisel signifie la cruche du mendiant. Le chevalier au barisel signifie donc « le chevalier errant », réduit à la condition de pèlerin. De même que le dieu gaulois Sucellos traverse le monde un petit chaudron à la main et de même que dans la tradition indienne le bol est l’attribut des sadhus, le chevalier s'en va sur le chemin de la rédemption, n'emportant avec lui qu'un seau qu'il a promis de remplir, mais qui se vide dès qu'il y verse de l'eau.

Le chevalier est donc condamné à se rendre de sources en fontaines, afin de remplir un seau qui ne se remplit jamais. La pénitence à laquelle il est soumis évoque véritablement une des terribles punitions de Zeus (on pense alors à celles de Sisyphe, Tantale ou encore Prométhée).

La recherche de l'eau pure ancre ce récit dans la tradition purement celtique : tout comme Sucellos, le chevalier s'en va faire le pèlerinage des sources, lieux les plus sacrés pour les Celtes. Méchant, dotée d’une âme corrompue, c'est sur les conseils d'un ermite (un gourou dirait-on en Inde) que le vil chevalier va entreprendre son chemin de rédemption.

 

La critique du fanatisme

En Occident comme en Orient, les pratiques ascétiques n'ont jamais fait l'unanimité. On trouve même de sévères critiques, particulièrement émises par les brahmanes ou les bouddhistes, pour qui l'ascétisme fanatique est vain et dangereux. Il s'agit alors pour eux d'en démontrer l'impasse.

Outre la fleur de lotus et la position yogique, symboles de sagesse qu'il partage avec Vishnou et Shiva, Bouddha porte le crâne nu des ascètes. Cependant :

« Avant de quitter la ville, afin de faire au monde l'offrande de sa bonne parole, Bouddha rencontra un yogi couvert de cendre qui fut jadis un homme tourmenté par les désirs du cœur, et qui, ne trouvant pas le moyen de se calmer, se coupa un jour avec un couteau, les signes de sa virilité. Bouddha lui dit alors ceci : « Tu t’es émasculé un organe de ton corps, mais tu aurais mieux fait de retrancher le vice de ton esprit. Ne sais-tu pas que c’est lui le chef de ton corps ? Et que si tu le domptes, le cortège qui l’accompagne s'arrêtera de lui-même ? Si tu n'as pas retranché de ton esprit l'égarement, à quoi te sert-il de retrancher de ton corps les parties génitales ? » Sachant que des suites de sa mutilation, cet homme viendrait à mourir, Bouddha dit encore : « Ceux qui, bien nés et bien éduqués, s’obstinent à ne pas accepter la vérité, sont aussi fous que cet homme est sot. » A-F. Hérold, La Vie du Bouddha.

Bouddha pratiqua pourtant lui-même l'ascétisme le plus complet. Il était même sur le point d'en mourir quand des villageoises insistèrent pour qu'il rompe son jeûne. Celui-ci, malgré sa rigueur, n'avait encore donné aucun résultat, même après six ans de pratique. Bouddha décida donc de suivre la voie du milieu ; celle du détachement véritable, qui repose sur la pondération en tout et non pas sur un ascétisme obsessionnel et maladif.

Siddhartha Gotama n'est donc pas seulement un prince qui a tout laissé derrière lui pour errer dans les campagnes, c'est surtout cet ascète fanatique qui, après s'être entêté en vain de si longues années à déprécier sa chair dans le jeûne et l'automutilation, écouta un beau matin, une jeune villageoise qui lui conseillait de rompre son jeûne. C'est ainsi qu'il trouva la paix et le calme, qui lui permirent d'accéder de son vivant au nirvana, c’est-à-dire à la dissolution de l'être dans le néant ; la fin de toutes les souffrances liées à l'existence et au cycle des incarnations.

L'ascétisme fanatique est condamné de semblable manière dans la Baja-Govinda de Shankara.

Ce sermon, dont nous proposons ici un extrait, se serait tenu à Varanasi sur les rives du Gange :

« Dans cette direction, il y en a qui vont les cheveux emmêlés, d’autres avec le crâne rasé de la veille, d’autres encore y vont en rampant et en s’arrachant les cheveux. Qu'ils soient habillés de safran ou d'autres couleurs chatoyantes, ce chemin n'est pour eux qu'un gagne-pain et tu sauras toute la vérité quand ces fous jamais ne la verront. Il existe des hommes, qui chauffent leur dos et leur visage au soleil et qui, la nuit venue, se blottissent contre un feu de camp pour combattre le froid. Ceux-là mangent dans un bol la nourriture qui convient aux mendiants et dorment sous un arbre. Mais aussi sévère soit leur ascétisme, ils n'en demeurent pas moins des poupées aux mains de leurs passions. Ces hommes sont alors bien inspirés d'aller en pèlerinage dans les villes sacrées, de jeûner, de faire la charité, mais malgré tout ils demeurent ignorants de ce qui peut le sauver de cent autres naissances, et ainsi, tous leurs efforts resteront vains. Qu'ils vivent dans un temple ou bien sous un arbre, qu'ils dorment sur une peau de bête ou sur la poussière, qu'ils aient renoncé au confort et lâcher toutes les attaches qui les maintenaient au monde, ceux-là même qui sont pris pour des saints, sont-ils seulement heureux ? Que ceux qui prennent plaisir à pratiquer les rituels soient attachés ou pas à leur existence, cela n'est pas le plus important, car seuls ceux qui ancrent fermement leur esprit dans le Brahman peuvent jouir du bonheur sans commencement, ni fin, ni limite… Pourtant, voyant que leurs forces les quittent, que leur tête devient chauve, que leurs gencives ne portent plus leurs dents, et quand bien même ils ne tiendraient debout qu'à l'aide de béquilles, les hommes s'accrochent encore fermement à leurs désirs dont ils savent eux-mêmes qu'ils ne porteront aucun fruit… Pour ne pas souffrir de la mort et ne pas livrer combat à Yama, qu'un homme qui se voudrait sage lise un peu la Bagavad Gita, qu'il boive un peu d'eau du Gange et enfin, qu'il prie un dieu quelconque. »

Une telle critique de l'ascétisme était aussi en vogue en Europe à la même époque. Héritée du culte de Cernunnos, le dieu des bois, l'ascétisme était largement pratiqué. Des moines s'exilaient en Irlande, en Islande. Des moines gallois traversaient la Manche pour fonder des monastères aux cœurs des forêts armoricaines. L'évangélisme n'était pas toujours la raison de ces mouvements vers plus d'isolement. Il s'agissait avant tout de se rapprocher de Dieu. Pourtant, la papauté s'inquiétait de ces pratiques, qui par définition étaient indépendantes de son autorité, car trop lointaines et trop anarchistes. La doctrine papale était claire : aucun maître spirituel ne devait se comparer à Jésus, ni prôner un évangile autre que le sien. Les ermitages devaient donc être des monastères, c'est-à-dire des lieux clos, et non des églises, et encore moins des écoles (ce dernier terme se traduit par « ashram » en sanskrit).

Les « gourous charismatiques » furent raillés. Ils devinrent des « hommes-des-bois », souvent affiliés aux ogres et aux sorciers.

C'est de ce jugement sévère, dont témoigne la fable racontée par François-Marie Luzel, dans Légendes chrétiennes de la Basse-Bretagne. Ce conte s'appelle l’ermite et le vieux brigand :

« Il y avait une fois un vieil ermite, qui avait son ermitage dans une forêt. Il y avait bien longtemps qu’il était là, n’ayant d’autre société que celle des animaux du bois, qui étaient devenus ses amis et ses serviteurs, et qu’il dirigeait et gouvernait à sa volonté. Il avait la réputation d’être très-savant, et de connaître les vertus de toutes les plantes et de toutes les herbes. On disait même qu’il comprenait le langage des oiseaux. Mais, s’il était savant, il était aussi très orgueilleux. Il promettait à tous ceux qui assisteraient à sa mort qu’ils seraient sauvés et qu’ils iraient tout droit au paradis, comme lui. Il était très-vieux. Il tomba malade, et aussitôt la nouvelle s’en répandit dans le pays, et l’on accourait de tous les côtés à son ermitage pour le voir mourir. Un vieux brigand, qui avait commis tous les crimes possibles, fit comme tout le monde, tant il avait foi dans la parole du vieil ermite. Il avait si grand-peur d’arriver trop tard, et il se pressait tant, qu’il se cassa le cou en passant une barrière. « C’est bien fait ! Que son âme s’en aille au diable ! » disaient ceux qui passaient par là, en se rendant à l’ermitage. Et personne n’avait pitié de lui, ni ne songeait à dire une prière pour son âme. L’ermite mourut, et tout le monde crut qu’il était devenu saint, dans le paradis. Mais voilà que, quelques jours après, il revint et demanda que l’on priât pour lui, car son âme était retenue dans les feux du purgatoire. L’âme du brigand, au contraire, était allée tout droit au paradis, parce que sa foi était vive et son repentir sincère. Ceci prouve, chrétiens, que l’orgueil est un vilain péché, très désagréable à Dieu, et que la foi et le repentir obtiennent toujours grâce auprès de lui. »

Les devadasis

Les dévadasis sont les partenaires sexuelles des dieux, auxquels elles consacrent leur vie depuis leur adolescence. Expertes dans la maîtrise des arts amoureux, elles sont des prostituées sacrées. Les « épouses des dieux » sont appelées les « suraganas », quant aux « filles de joie », c'est-à-dire les prostitués du culte, elles sont appelées les « samadatmajas ».

Leur rôle consiste à animer les temples et à faire ressentir aux croyants et pèlerins un peu de l'au-delà paradisiaque où vivent les dieux. En échange de rétributions, elles pratiquent la prostitution sacrée. Les dévadasis se recrutaient jadis dans la caste de brahmanes et avant que les Britanniques ne jettent l'opprobre sur leurs pratiques, elles étaient ce qu'une femme pouvait espérer de mieux dans l'existence. Officiellement mariées à un dieu, souvent Vishnou, les dévadasis connaissaient une liberté que n'ont jamais eue les autres Indiennes. Par exemple, les dévadasis pouvaient s'enrichir, collecter et gérer individuellement leurs dons, et même parfois choisir leurs partenaires réguliers et en refuser d'autres.

Durant leur période de formation, qui pouvait s'étaler de l'enfance à la fin de l'adolescence, elles apprenaient les langues sacrées et recevaient une formation initiatique à travers l'apprentissage de la danse, du tantrisme et des rituels. Les plaisirs visuels et physiques que procuraient les dévadasis, en dansant et en se couchant devant les pèlerins, étaient un moyen, pour leur assistance, de se rapprocher un instant de la divine volupté.

S'apparentant souvent à de la simple prostitution et à de la traite, au profit de l'enrichissement des élites brahmaniques, cette étonnante pratique fut diabolisée sous le Raj britannique, puis interdite dans le sud de l'Inde à l'indépendance du pays en 1947, et dans le pays tout entier en 1988. De nos jours, cette pratique mystique a totalement disparu.

Le système des CASTES en Inde et dans le monde indo-européen
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