28 Janvier 2022
La prière elle-même est une offrande, elle agit par sa vertu efficace ; sous l'aspect de formules fixes accompagnant les rites, elle met en relation l'homme et la divinité par l'intermédiaire du roi ou du prêtre.
Le polythéiste considère la pratique des rituels comme fondamentale. Le rite se décline alors à l'échelle individuelle ou collective. Dans ce cas, seuls les prêtres en ont la charge.
Malgré leur complexité apparente, les coutumes aryennes étaient d'une grande simplicité. Très complexes dans leur mise en scène, très pointilleux sur la prosodie de leur chant, les rituels indo-européens ne réclamaient aucun moyen particulier. Seul un brasier, une flamme, était nécessaire aux rituels védiques et mazdéens. Une branche d'un arbre sacré, un peu de beurre ou de lait clarifié (ghee) suffisaient pour que se tiennent les rites dont dépendait l'ordre du monde (Rta en sanskrit, Asha en avestan).
Avant de célébrer leurs sacrifices, les Perses choisissent une place nette de toute impureté, la sanctifient par leurs prières et y amènent ensuite la victime couronnée de fleurs ; que le mage qui préside à la cérémonie dépèce lui-même, dont les assistants se partagent les morceaux, sans rien réserver pour la divinité, après quoi ils se séparent. Ils prétendent que les dieux ne réclament de la victime que son âme et rien d'autre.
Les coutumes germaniques sont similaires :
Dans la vie familiale, le culte pouvait prendre des formes plus simples. Les esprits qui veillaient sur la ferme et ses habitants, sur l'étable et la grange, n'exigeaient pas de sacrifices spectaculaires : une écuelle de lait par exemple leur suffisait. Mais c'est précisément cette facilité de culte qui survécut le plus longtemps après la conversion. Encore en 1714 un pasteur norvégien découvrit dans une ferme isolée une informe idole de bois qui s'y trouvait depuis sept siècles au moins. Le fermier admettait qu'aux jours de fête il plaçait un bol d'hydromel sur la tête de l'idole. Il n'y voyait d'ailleurs aucun mal, quoi que le pasteur ait pu en penser. Et ce n'est pas le seul exemple de la survivance d'un culte païen jusqu'au 18e siècle…
Chez les Kailashas de l'Himalaya, lorsqu'une divinité doit être honorée, les villageois se rendent au « rocher sacré », situé aux alentours du village. Là, ils allument un feu de brindilles, l'alimentent de branches trouvées aux environs. Ils égorgent ensuite une chèvre. Le rituel accompli, le sang est lavé dans la poussière, le brasier éteint et les cendres dispersées, de sorte que l'endroit est rendu semblable à ce qu'il était avant le sacrifice.
La circonvolution autour des idoles est un autre point commun entre les pratiques religieuses celtes et védiques. Plutôt que de temples, ces peuples érigeaient une simple pierre dans le sol, sculptée grossièrement, ou un totem de bois. Ces piliers se retrouvent fréquemment à travers les mondes celte et slave. En Inde, ce totem est associé au Shiva Lingam. Il s'agit d'une pierre ou d'une sculpture, souvent en bois ou en pierre noble, elle représente la forme d'une verge. Le lingam posséderait en lui l’énergie de Shiva.
Autour de ces pierres et piliers, les oblations et les libations s'effectuaient nuit et jour, près d’un foyer dans lequel on jetait régulièrement du beurre clarifié. En Grèce, l'autel était carré ; en Inde, il s'agissait d'un brasier de forme carrée ; mais quel que soit l'autel, des thermes sacrés de Bath aux rives du Gange, il était arrosé matin et soir de beurre, ou de lait, et occasionnellement de miel.
Quelques rituels védiques
Dans la troisième partie de la Rama Gita de Sivananda (1887 - 1963), seize principaux types de rituels classiques sont répertoriés :
- Ahvahana, l'invocation à la divinité,
- Asana, l'offrande d'un trône à la divinité,
- Padya, le nettoyage de l’idole,
- Arghya, l'offrande de boissons à la divinité,
- Achamaniya, le fait de se gargariser d'eau fraîche pour se purifier la bouche et le corps,
- Snana ou abhisekha, le bain purificateur,
- Vastra, l'habillage de l'idole,
- Yagnopavit ou Mangalsutra, revêtir le cordon sacré, lors d'une cérémonie d'initiation,
- Anulepana ou Gandha, l'offrande de parfums à la divinité,
- Pushpa, l'offrande de fleurs,
- Dhupa, l'offrande d'encens,
- Dipa ou Aarti, balancer des lampes à huile autour de l'idole,
- Naivedya, les offrandes de nourriture,
- Namaskara ou Pranama, la prosternation devant la divinité,
- Parikrama ou Pradakshina, la circonvolution autour de l'idole,
- Visarjan, la mise à l'écart d'une idole après qu'elle ait été vénérée.
À ces rituels quotidiens s'ajoutent de nombreuses autres cérémonies.
La journée védique débutait par une célébration au soleil, l'agnihotra. « Si l'on n'offrait pas l'agnihotra du matin, le soleil, certes, ne se lèverait pas » (Satapatha Brahmana). C'est l'un des rituels les plus importants.
Pour marquer le décès d'un parent, les Aryens se coupent les cheveux, de même que pour entrer dans un ordre ou juste avant une cérémonie importante. Inversement, ne plus se couper les cheveux ou la barbe (à la manière des druides, rishis et yogis) est un signe que le maître spirituel s'est affranchi des règles et des convenances. Cela signifie qu'il s'est rapproché du brahman (lequel n'est ni bon, ni mauvais).
Mentionnons aussi le rite de maturité, aussi appelé rite d'initiation (naojote en avestan, upanayana en sanskrit, aussi nommée « cérémonie du cordon», ou encore « cérémonie de la seconde naissance »). Pratiqués par les zoroastriens et les védiques, les uns clôturaient la cérémonie en se ceintrant d'une ceinture, les autres en se nouant une ficelle autour du torse. Après avoir étudié un temps chez un maître spirituel, cette cérémonie clôturait la formation initiatique des Aryens.
« À la fin de son enfance tout jeune Aryen de bonne caste (Clergé, Noblesse, Tiers État) se devait de recevoir une initiation qui marquait sa sortie du gynécée, son entrée dans le monde des adultes. C'est à ce moment seulement qu'il devenait un brahmane, un kshatriya, ou un vaishya, et de ce fait l'initiation (upanayana) était tenue pour la seconde naissance (et la plus importante). Dvija (« deux-fois-né ») est un autre mot pour dire arya (« Aryen »). Quant à celui qui ne recevrait pas l'initiation, passé un certain délai, il était tenu pour excommunié. Dans la pratique, le jeune garçon était initié jeune (il l'est encore aujourd'hui car l'initiation continue d’être obligatoire pour l'hindou moderne) afin de lui permettre de commencer ses études le plus tôt possible. C'est ce qui explique sans doute que l'on trouve dans le rituel à la fois des traits distinctifs des rites de passage (vêtement nouveau, ceinture, retour à l'état d'embryon, communication de la prière Solaire, etc.) et une cérémonie d'adoption (ressemblant à un mariage) du futur élève par le maître auquel on le confie le jour de la cérémonie. En raison de l'importance toujours plus grande prise par les brahmanes dans la société védique, c'est ce dernier aspect qui prédomina bientôt et l'upanayana fut considéré comme une cérémonie d'entrée en séminaire, si l'on ose dire. Le jeune initié, appelé brahmacirin (« celui pour qui on a mis en œuvre le brahman ») fut considéré par les textes comme un étudiant en théologie avec les servitudes qu'entraînait cet état (faire les corvées pour le maître, ne boire que de l'eau, observer la chasteté, etc.). » J. Varenne. Commentaire de l'Asvalayana Grhyasutra 1,19 (extrait de l'Aitareya Brahmana).
La Rama Gita de Ramananda illustre les propos de Jean Varenne. Rama s'adresse à son frère et disciple Lakshman, qui lui avait demandé comment connaître la paix de l'âme :
« Tout d'abord, selon les règles de ton clan et après avoir appris la science des Vedas, il faut que se tienne pour toi la cérémonie du cordon, qui permet à un individu de naître une seconde fois. Je t'apprendrai ensuite à chanter et à comprendre les mantras. Ceci fait, tu recevras de moi la forme divine qu'il te conviendra d'adorer, en fonction de tes propres qualités et possibilités. Tu devras l'adorer avec dévotion et de la manière dont je te l'aurai prescrite. […] Tu devras rendre un culte en imaginant la présence divine au plus profond de ton cœur. Pour cela, je t'apprendrai à utiliser comme objet méditatif, la danse d'une flamme, une icône, le soleil ou même une roche fossilisée. Nous commençons la journée à l'aube. C'est à cette heure-ci que l'on se baigne dans le Gange, afin de purifier nos corps. Ensuite, à différentes heures de la journée, nous récitons les hymnes des Vedas ou chantons les tantras les plus appropriés. »
On retrouve en Europe les mêmes coutumes. En Ukraine:
« L'élève kobzar [barde ukrainien] contractait avec son maître un engagement de trois années : il n’avait rien à lui payer, étant bien trop dépourvu lui-même ; au contraire il recevait de lui la nourriture et le vêtement, c’est-à-dire qu’il partageait sa misère et ses haillons. Le maître, qui malgré cette dégradation apparente avait droit à tous ses respects, lui apprenait les chansons qu’il savait lui-même, et parfois quelques prières pour demander l’aumône ou remercier les bonnes gens. C’était tout, car ces fils de la muse rustique sont absolument illettrés. Quand le disciple avait fait quelques progrès, il courait les villages et les foires pour le compte de son maître, chantant les airs qu’on lui avait enseignés, recevant très peu d’espèces sonnantes, mais force biscuits, de la farine, de la graisse de mouton, et autres provisions qu’il se chargeait de vendre et dont il rapportait l’argent a son patron. » A. Rambaud, L’Ukraine et ses chansons historiques.
Les sacrifices humains
L'art et la littérature nous ont beaucoup renseignés sur les habitudes indo-européennes et si nous pouvons avancer que les sacrifices humains n'étaient pas fréquents, ils étaient pourtant communs.
Associé à la culture proto-indo-européenne de Yamna (v. -3000), le site archéologique de Louhansk (Ukraine) allie cette pratique à la sacralité des montagnes, car c'est sur des collines que s'effectuaient les sacrifices. On trouve la même coutume en Grèce, où de nombreux sommets sont associés à des divinités et à leur autel (Zeus et les monts Ida et Olympe).
Les sacrifices humains se pratiquaient encore à travers le monde antique : les annales et chroniques gréco-romaines mentionnent cette coutume à Rome, en Celtie, en Germanie, en Scythie… Et jusqu'au milieu du 19e siècle, les Kalashas sacrifiaient des enfants aux fées (si l'on en croit le témoignage de G. S. Robertson).
À Rome, les femmes abandonnaient les enfants non désirés au sommet de la colline du Capitole, avant qu'elle ne soit urbanisée, dans un acte qui porte la trace de l'ancestrale coutume qui consiste à sacrifier un être vivant au sommet d'un promontoire.
Avant que les offrandes de fruits et de fleurs ne soient préférées à celles de chair et de viande, avant que les libations de beurre, de lait et de miel ne remplacent celles du sang, le sacrifice humain était donc sporadiquement pratiqué, en particulier en cas d'épidémie, de calamité agricole ou encore de défaite militaire (sacrifice des vaincus comme des chefs défaillants).
Le témoignage de Pomponius Mela (v. 43) est sans appel :
La Gaule est habitée par des peuples fiers, superstitieux, et autrefois si barbares, qu’ils regardaient les sacrifices humains, comme le genre d’holocauste le plus efficace et le plus agréable aux dieux. Cette coutume abominable n’existe plus, mais il en reste encore des traces : car, s’ils s’abstiennent d’immoler les hommes qu’ils dévouent, ils les conduisent néanmoins à l’autel, et les y déchirent avec les dents.
Pomponius Mela rapporte la pratique du vampirisme en Scythie :
Les régions intérieures de la Scythie sont encore plus sauvages, et les mœurs des habitants plus barbares : ils ne respirent que la guerre et le carnage, et, quand ils se battent, ils ont l’habitude de sucer par la blessure même le sang du premier ennemi qu’ils ont tué. [...] Il n’est pas jusqu’à leurs traités qui ne soient scellés par le sang : les contractants s’en tirent de part et d’autre, le mêlent ensuite et en boivent tour à tour, regardant cette formalité comme le gage le plus certain d’une fidélité durable.
César témoigne ainsi des coutumes gauloises :
« Toute la nation gauloise est très superstitieuse ; aussi ceux qui sont attaqués de maladies graves, ceux qui vivent au milieu de la guerre et de ses dangers, ou immolent des victimes humaines, ou font vœu d'en immoler, et ont recours pour ces sacrifices au ministère des druides. Ils pensent que la vie d'un homme est nécessaire pour racheter celle d'un homme, et que les dieux immortels ne peuvent être apaisés qu'à ce prix ; ils ont même institué des sacrifices publics de ce genre. Ils ont quelquefois des mannequins d'une grandeur immense et tressés en osier, dont ils remplissent l'intérieur d'hommes vivants ; ils y mettent le feu et font expirer leurs victimes dans les flammes. Ils pensent que le supplice de ceux qui sont convaincus de vol, de brigandage ou de quelque autre délit, est plus agréable aux dieux immortels ; mais quand ces hommes leur manquent, ils se rabattent sur les innocents. » La guerre des Gaules, 6, 16.
À propos des Gaulois, Strabon mentionne des coutumes d'une violence inouïe. Scalpe, torture, réduction de têtes, fabrication de trophées funestes avec les os des victimes, telles sont quelques-unes des pratiques que Strabon déclare commune en Gaule et dans le reste de l'Europe :
Les Gaulois ont certaines coutumes qui dénotent quelque chose de féroce et de sauvage dans leur caractère, mais qui se retrouvent chez la plupart des nations du Nord. Celle-ci est du nombre : au sortir du combat, ils suspendent au cou de leurs chevaux les têtes des ennemis qu'ils ont tués et les rapportent avec eux pour les clouer, comme autant de trophées, aux portes de leurs maisons. Posidonius dit avoir été souvent témoin de ce spectacle, il avait été long à s'y faire, toutefois l'habitude avait fini par l'y rendre insensible. Les têtes des chefs ou personnages illustres étaient conservées dans de l'huile de cèdre et ils les montraient avec orgueil aux étrangers, refusant de les rendre même quand on voulait les leur racheter au poids de l'or.
Strabon mentionne en outre une méthode de divination d'une cruauté à peine croyable :
Il était d'usage, par exemple, que le malheureux désigné comme victime reçût un coup de sabre à l'endroit des fausses côtes, puis l'on prédisait l'avenir d'après la nature de ses convulsions et cela en présence des Druides, vu que jamais ils n'offraient de sacrifices sans que des Druides y assistassent. On cite encore chez eux d'autres formes de sacrifices humains : tantôt, par exemple, la victime était tuée lentement à coups de flèches, tantôt ils la crucifiaient dans leurs temples, ou bien ils construisaient un mannequin colossal avec du bois et du foin, y faisaient entrer des bestiaux et des animaux de toute sorte, pêle-mêle avec des hommes, puis y mettant le feu, consommaient l'holocauste.
Chaque divinité avait des préférences en matière de supplice : Esus demandait qu'on pende ses victimes des arbres; le dieu de la Foudre, Taran, aimait les bûchers: en l'honneur de Teutatès on asphyxiait les misérables en les renversant dans une cuve pleine d'eau. Un rituel déterminait sans doute les cas qui exigeaient l'emploi de tel ou tel mode de meurtre sacré. C'était un jardin des supplices effroyables et variés, que les abords de la demeure du dieu.
Les mêmes pratiques sacrificielles se retrouvent chez les Ligures, un peuple assimilé aux Celtes. C'est à eux, ainsi qu'aux bardes et druides gaulois et à une caste de paysans-guerriers daço-thraces (les Comates), que Lucain adresse des vers d'une poésie ténébreuse et inquiétante :
Vous voilà libres, Comates aux longs cheveux errants sur des épaules blanches ; et toi, Ligurien, dont le front est sans chevelure, mais dont la valeur est plus célèbre. Vous qui apaisez par des flots de sang humain Teutatès l’impitoyable, l’autel horrible d’Hésus, et Taranis plus cruelle que Diane taurique ; vous par qui revivent les fortes âmes disparues dans les combats, chantres dont la louange donne l’éternité, bardes ! vous ne craignez plus de répéter vos hymnes ; druides ! vous reprenez vos rites barbares, vos sanglants sacrifices que la guerre avait abolis.
De tels témoignages sont communs, ce qui a poussé les modernes à envisager nos ancêtres avec beaucoup de sévérité. C'est ainsi que Ferdinand Lot résumait les coutumes gauloises les plus violentes:
Le druidisme restait plongé dans la barbarie ancestrale. Il approuvait et pratiquait l'antique superstition des sacrifices humains pour complaire aux dieux. Dans la conscience des Gaulois, la colère des dieux contre le meurtre ou le vol ne pouvait être apaisée que par la mise à mort du coupable. [...] Quant au sacrifice des prisonniers de guerre, les Gaulois, comme tous les Barbares, n'ont cessé de le pratiquer.
Émile Thevenot, autre grand spécialiste de la Gaule, partage le même point de vue :
« Les Gaulois ont pratiqué les sacrifices sanglants, sacrifices d'animaux et même sacrifices humains. Les victimes, enfermées dans un colossal mannequin en bois, périssaient par le feu. Plusieurs auteurs anciens ont raconté les détails de ces exécutions qui révoltent une conscience moderne. À vrai dire, tous les peuples antiques les ont connues, sous une forme ou sous une autre ; chez les Romains, elles avaient pris celle de la « dévotion ». Les sacrifices avaient lieu pour le compte d'un particulier ou pour le compte de la nation. Dans le premier cas, on voulait détourner un malheur dont on était personnellement menacé ; dans le deuxième, on sacrifiait pour obtenir la victoire ou la prospérité de la nation. […] Le sacrifice d'un homme, pensait-on, pouvait sauver un malade de la mort, assurer la sauvegarde d'une population. La divinité exigeait des victimes, mais acceptait la rédemption de la victime menacée par une autre équivalente. Dans la pratique, les Gaulois offraient aux dieux les condamnés de droit commun ; le sacrifice des innocents n'intervenait qu'en cas de nécessité. Il dut devenir de plus en plus exceptionnel. » Histoire des Gaulois.
Horrifié par de telles coutumes, on pourrait être tenté de croire, comme certains universitaires le prétendent, qu'il s'agisse de rumeurs inventées par les envahisseurs gréco-romains afin de diaboliser leurs ennemis. Des vestiges archéologiques corroborent pourtant les témoignages des chroniqueurs, géographes et historiens.
« Orose décrit ainsi le sacrifice des Cimbres et des Teutons après leur victoire à Arausio (Orange) en 105 avant J.-C. : « Les vêtements (des morts romains) furent déchirés et jetés par terre, les objets d'or et d'argent jetés dans le fleuve, les armures des hommes brisées, les harnais des chevaux détruits, les chevaux eux-mêmes noyés dans le fleuve et les hommes pendus aux arbres. » Tacite fait allusion à un sacrifice analogue après la victoire des Hermundures sur les Cattes en 58 après J.-C. La description de l'état dans lequel les Romains trouvèrent le champ de bataille où les légions de Varus avaient été anéanties par Arminius indique également que les Germains victorieux y avaient sacrifié leur butin de guerre. [...] Les prisonniers de guerre étaient sans doute sacrifiés à Wotan : le sacrifice par pendaison était typique pour le culte de ce dieu, et Tacite remarque que « Mercure » est le seul dieu qui reçoit des sacrifices humains. » R. Derolez, Les Germains. Et Strabon: « C'est une coutume chez les Cimbres, que leurs femmes qui prenaient part à toutes leurs expéditions, fussent accompagnées elles-mêmes de prêtresses et de prophétesses. Quand on amenait des prisonniers dans le camp, ces prêtresses, le glaive à la main, ayaient au-devant d'eux et, après les avoir couronnés de fleurs, les conduisaient vers un grand bassin de cuivre pouvant contenir vingt amphores et contre lequel était dressée une sorte d'échelle. L'une d'elles y montait et tirait chaque captif jusqu'à la hauteur du bassin qu'elle dominait ainsi et elle l'égorgeait. »
En Europe du nord, sur la pierre tombale de Larbro (Gotland, Suède, période post-romaine), on peut admirer un sacrifice humain représenté en détail. Quant au célèbre Chaudron de Gundestrup (Jutland, Danemark, 1er siècle), il contient une représentation d'un homme qui en pousse un autre dans un chaudron, sous les regards de guerriers en arme.
Lors de son voyage en Europe du nord, Tacite mentionne en effet les sacrifices humains :
Parmi les dieux, le principal objet de leur culte est Mercure, auquel ils croient devoir à certains jours immoler des victimes humaines.
Le même auteur mentionne chez les Germains une méthode de divination par le combat :
Quand les Germains veulent connaître quel sera le succès d’une grande guerre, ils se procurent, de quelque manière que ce soit, un prisonnier de la nation ennemie, et, le mettant aux prises avec un guerrier choisi parmi eux, ils les font battre chacun avec les armes de son pays. La victoire de l’un ou de l’autre est regardée comme un pronostic.
Le grand voyageur et spécialiste de la civilisation nordique, Xavier Marmier, évoque quant à lui ce que l'on peut appeler des « meurtres rituels ». Ces rituels sanglants donnent l'occasion de rassemblements politiques et commerciaux, annonçant les foires médiévales.
« Il y avait, chaque année, trois grandes fêtes : l’une en automne, l’autre en été, la troisième au milieu de l’hiver ; le peuple y accourait de toute part. Dans ces réunions religieuses, les prêtres immolaient des prisonniers de guerre, des hommes condamnés à mort pour quelque crime, des sangliers et des chevaux, surtout des chevaux blancs, qui, de même qu’en Perse, étaient regardés comme des animaux sacrés. Le sang des victimes était recueilli dans des bassins de pierre ou d’airain : un des pontifes le prenait pour arroser les murailles du temple, et asperger la foule ; puis on partageait au peuple la chair palpitante des chevaux ; les tonnes de bière s’ouvraient, et les cérémonies pieuses se changeaient en orgie. Tous les neuf ans, les Scandinaves célébraient une fête plus solennelle. L’évêque Dithmar rapporte, dans sa Chronique de Mersebourg, que dans ces grandes réunions on égorgeait quatre-vingt-dix-neuf hommes, autant de chevaux, de chiens et de coqs. Ces sacrifices ne servaient pas seulement à rendre hommage aux dieux ; les prêtres y cherchaient un moyen de former des pronostics, de prédire les événements. Ils avaient, comme les Romains, une sorte de science augurale à laquelle le peuple ajoutait foi. » Lettres sur l’Islande.
À propos des Gètes de Thrace, Hérodote (4, 95) rapporte lui aussi un rituel supposé permettre la consultation mais aussi l'envoie de requêtes au dieu principal en lui offrant une vie humaine :
Tous les cinq ans ils tirent au sort quelqu’un de leur nation, et l’envoient porter de leurs nouvelles à Zalmoxis, avec ordre de lui représenter leurs besoins : trois d’entre eux sont chargés de tenir chacun une javeline la pointe en haut, tandis que d’autres prennent, par les pieds et par les mains, celui qu’on envoie à Zalmoxis. Ils le mettent en branle, et le lancent en l’air, de façon qu’il retombe sur la pointe des javelines. S’il meurt de ses blessures, ils croient que le dieu leur est propice.
Pomponius Mela dans la Description de la terre (2, 1), évoque en Scythie des coutumes semblables à celles des Germains et des Celtes que nous venons de passer en revue :
Les Taures, dont Iphigénie et Oreste ont rendu le nom célèbre, ont des mœurs barbares et la réputation affreuse d’immoler les étrangers sur leurs autels. [...] Mars est le dieu commun des Scythes ; ils lui consacrent des cimeterres et des baudriers en guise de simulacres, et lui sacrifient des victimes humaines.
Summum du barbarisme, le cannibalisme est aussi pratiqué, bien que plus rarement que le sacrifice humain. Pomponius Mela évoque les Anthropophages, ainsi les Issédons, qui vivaient entre la Caspienne et le bassin du Tarim.
Les Anthropophages se nourrissent de chair humaine comme d’un aliment naturel. Les Gélons se font des vêtements de la peau des têtes de leurs ennemis, et fabriquent avec celle du reste des corps, des housses pour leurs chevaux.
Les peuples de la Scythie se distinguent entre eux par des mœurs et des coutumes différentes. Les Issédons célèbrent les funérailles de leurs parents par des transports de joie, par des sacrifices et une réunion solennelle de la famille du défunt. Ils coupent le cadavre par morceaux, coupent de même les entrailles des victimes, mêlent toutes ces chairs ensemble et en font un festin. Quant à la tête, après l’avoir dépouillée et proprement nettoyée, ils en font une coupe qu’ils entourent d’un cercle d’or. Tels sont chez eux les derniers devoirs que la piété rend aux morts.
Plus à l'est encore, on trouve mention du sacrifice humain dans les Vedas : c'est le purushameda, le « sacrifice de l'homme. » Nous n'en possédons cependant aucune autre trace littéraire ni architecturale, de sorte que nous pensons qu'il ne fût plus pratiqué dès la période brahmanique, vers 500 avant notre ère.
À propos des Indiens, Pomponius Mela évoque des coutumes qu'il n'a pas constatées directement, mais qu'il a dû lire souvent en se renseignant sur l'Inde et ses coutumes.
Là c’est un devoir de ne tuer aucun animal et de s’abstenir de chair ; ici on ne se nourrit que de poissons ; un peu plus loin on tue ses parents, comme on tue des victimes, avant que la vieillesse ou la maladie les ait fait maigrir, et c’est ensuite un grand acte de piété que de manger leur chair dans un festin. Aussi ceux qui sentent les approches de la vieillesse ou de la maladie, prennent-ils le parti de s’enfuir dans la solitude pour y attendre tranquillement la mort naturelle. Les savants et les sages ne l’attendent pas, et se font autant de plaisir que d’honneur de la prévenir en se brûlant tout vifs.
On retrouve dans ces témoignages la coutume pour le moins étonnante du meurtre rituel des personnes âgées, déjà observé chez les peuplades scythes et issédones. Cette pratique est décrite par Hellanicus (v. -450), que cite Clément d'Alexandrie :
Les Hyperboréens conduisent les sexagénaires hors des portes de la ville, et les retranchent du milieu d’eux.
On sait par ailleurs que le suicide était pratiqué par les anciens habitants de la Sibérie et de la Scandinavie : arrivés en fin de vie et refusant d'être un poids pour leurs semblables, refusant d'incarner la faiblesse et la décrépitude, les vieillards sautaient dans des précipices depuis le haut des falaises. L'entrée dans les ordres ou le pèlerinage entrepris par les seniors Indiens serait donc une version raffinée et pacifique, de l'ancestral besoin qu'éprouvaient les peuples primitifs de choisir le moment exact de leur mort.
On trouve cette notion dans le jaïnisme. Le jina est doté d'une vie exemplaire, donc aussi d'une mort du même type. À propos de la fin de vie d'un tirthankara :
Lorsqu’il comprit que tous ses karmas restants approchaient de leur fin, il se rendit à la montagne Ashtapad [Kailash]. Le treizième jour de la moitié sombre du mois de « magh » (janvier / février), un peu avant midi, avec dix mille autres ascètes, il observa un jeûne de six jours, sans eau, assis en méditation dans la posture « paryanka ». Lorsque la lune entra dans la maison lunaire Abhijit, il parvint au nirvana et fut libéré de toute les douleurs de l’existence.
Selon le Mahabharata et le Ramayana, choisir le moment de sa propre mort est un des traits distinctifs des véritables rishis. Le rishi Vashishte, les saintes Sati et Sita, innombrables sont les suicidés de la littérature védique... Dans une certaine mesure, Rama et ses frères se suicident aussi, car après s'être entretenus avec la Mort elle-même, ils entrent vivant dans un fleuve dont ils ne ressortiront plus.
Durant sa période d'errance et d'exil dans la forêt, Rama rencontra un vieillard ascète qui s'immola devant lui :
Rama sauva Sita, puis tous ensemble ils rendirent visite aux illustres rishis Sarabhanga, Sutikshna, et Agastya. Sarabhanga, ayant reconnu Vishnou en Rama, et ayant fait jadis le vœu d'apercevoir Vishnou le jour de sa mort, s'immola aussitôt devant Rama. Une fois libéré de son enveloppe charnelle et périssable, le rishi monta aussitôt vers le Brahmane, rejoignant ainsi l'âme universelle et indivisible de l'univers pour s'y dissoudre complètement.
Strabon évoque une coutume similaire lorsqu'il raconte la mort de Kalanos (-398 à -323), le gymnosophiste qui avait rencontré Alexandre en Inde et l'avait suivi vers la Perse :
Il serait tombé malade, pour la première fois de sa vie, à Pasargades [Perse] quand il était dans sa 73e année, et, sans avoir égard aux prières, aux instances d'Alexandre, il aurait aussitôt pris la résolution d'en finir avec la vie. On lui aurait alors élevé un bûcher, surmonté d'un lit en or massif ; il s'y serait couché, et, s'enveloppant la tête, se serait laissé brûler. Mais, suivant d'autres, c'est une maison en bois qu'on lui avait bâtie ; cette maison avait été ensuite emplie de ramée, on y avait dressé un bûcher sur le toit ; puis on avait amené Kalanos en grande pompe. Kalanos avait donné l'ordre lui-même que la maison fût fermée, et l'on n'avait pas tardé à le voir, semblable à une poutre qui s'écroule dans un brasier ardent, se précipiter du haut du bûcher dans les flammes.
On retrouve dans la mort de Kalanos des éléments purement indo-européens, dont le grand bûcher public et surtout l'érection d'une « maison » du feu, qui une fois incinérée, représentera les fondations du monument commémoratif que l'on pourra éventuellement construire dessus.
Lors d'un échange de cadeaux entre Rome et l'Inde, des Indiens font le voyage jusqu'en Europe. Strabon commente leur visite avec beaucoup de circonspection.
Que nous a envoyé l'Inde ? en tout et pour tout, une ambassade chargée pour César Auguste des présents et hommages d'une seule de ses provinces [le Gandhara] et d'un seul de ses rois Porus III, et un de ses sophistes qui est venu mourir sur un bûcher dans Athènes et renouveler ainsi le spectacle donné jadis par Kalanos à Alexandre. […] Nicolas de Damas ajoute que le gymnosophiste, vêtu d'un simple caleçon, et le corps bien frotté d'huile, avait escaladé en riant son bûcher. L'inscription que l'on grava sur son tombeau était ainsi conçue : ci-git Zarmanochegas, Indien natif de Bargosa [Bharuch ou Broach, embouchure de la Narmada, Gujarat], mort de mort volontaire, fidèle à la coutume de ses pères.
Un des mythes les plus universels, celui du combat contre le dragon (ou contre le minotaure, le cyclope...) évoque lui aussi la coutume ancestrale du sacrifice humain. Dans Les manuscrits tokhariens et la littérature bouddhique en Asie centrale, Georges-Jean Pinault rapporte une croyance koutchéenne originaire de la région de Khotan :
Si les nagas voient des passions perverses et abandonnent le pays, les eaux se tarissent. Cette croyance fait intervenir le terme sanskrit naga, qui désigne les génies des eaux de l'Inde, des créatures mi-hommes mi-serpents. [...] C'étaient ces génies qui faisaient couler les rivières et qui permettaient aux agriculteurs d'exercer leur activité. On conçoit aisément que le culte des dragons ait joué, dans le bassin du Tarim, un rôle fondamental. En fait, la légende khotanaise semble être un souvenir des sacrifices humains que l'on offre aux dragons : on noyait un homme dans une rivière afin qu'elle continuât à couler.
G.-J. Pinault fait ici référence au témoignage du pèlerin bouddhiste chinois Xuanzang (602 - 664), lequel rapporte une légende du Tarim :
Une rivière s'était subitement arrêtée de couler. Les champs n'étaient donc plus irrigués, or dans cette contrée désertique, l'irrigation était absolument nécessaire. Le royaume était donc en danger. Le roi obtint le conseil de faire des sacrifices et des prières au dragon qui habitait ce fleuve. L'ayant mis en application, il vit une femme surgir des eaux. Elle lui expliqua que, son mari étant mort, il n'y avait plus de maître pour donner des ordres, et que le fleuve ne coulait plus pour cette raison. Elle demanda au roi de choisir un de ses ministres, qui deviendrait son nouvel époux. De retour chez lui, le roi trouva un volontaire. Celui-ci partit pour le palais du dragon, sous les eaux, vêtu de blanc sur un cheval blanc.
Cette coutume du sacrifice et des offrandes faites aux points d'eau (sources, rivières ou marécages), nous la retrouvons de l'autre côté de l'Eurasie :
Pour ce qui est de l'eau, nous savons, d'après les textes anciens, qu'au temps des païens de jeunes coqs et peut-être même des nourrissons étaient sacrifiés à certains cours d'eau dans lesquels vivaient, pensait-on, des dieux ou des esprits. Ces pratiques ne disparurent pas totalement avec le paganisme : on les retrouve dans les pèlerinages aux sources ou aux puits miraculeux aux eaux desquels on attribuait des vertus curatives. Les pèlerins se lavaient les yeux avec cette eau et y jetaient une pièce de monnaie en paiement.
« À juger d'après le grand nombre d'objets retrouvés, des marais semblent avoir été les endroits préférés pour les sacrifices, et cela depuis l'Âge de la Pierre. [...] Des trompettes de bronze [...] ont été découvertes dans de pareils endroits. Certains marécages ont dû servir de lieux de sacrifice pendant des centaines d'années, car ils offrent une gamme d'objets d'âges différents. Des traces de sacrifices humains et de sacrifices d'animaux se trouvent aux mêmes endroits. Ainsi, dans le marais de Vemmelôv (Suède), on a découvert les restes de quatre hommes, de chevaux, bœufs, moutons, sangliers, cerfs, renards et même d'une vingtaine de chiens, le tout datant de l'Âge du Bronze. Ailleurs, un puits pouvait servir au même but, comme l'a montré l'excavation à Budsene, dans l'île danoise de Môen. Dans un tronc d'arbre évidé, qui avait servi d'encerclage d'un puits, on découvrit des objets de bronze (deux bols, une plaque de ceinture et plusieurs bracelets) ainsi que des os de chevaux, de bœufs, de porcs et de chiens. Faute d'indications précises, on ne saurait dire à quelles divinités étaient destinées ces offrandes. […] Le choix de marais comme lieux de sacrifice nous a valu la conservation remarquable de quelques victimes, dont le corps avait été en quelque sorte momifié dans ce milieu acide. Une des découvertes les plus spectaculaires date d'il y a quinze ans à peine : dans le marais de Tollund, près de Silkeborg (Jutland, Danemark), des tourbiers trouvèrent le corps d'un homme d'une quarantaine d'années dans un état de conservation tout à fait exceptionnel. La victime portait encore autour du cou la corde avec laquelle elle avait été pendue ou étranglée avant d'être engloutie par le marais. Elle avait reçu son dernier repas au moins 12 heures avant sa mort, et ce repas avait consisté en une bouillie de céréales et de graines de toute une série de plantes sauvages (chénopode blanc, spergule, etc.). Ce n'est certainement pas là un exemple du régime journalier des Germains — excepté peut-être en temps de famine. [...] À une jeune femme, on avait coupé les cheveux avant l'exécution. » R. Derolez, Les Germains.
Pour compléter notre panorama, relevons quelques coutumes sacrificielles de Scythie et de Perse, telles que décrites par les auteurs grecs de l'Antiquité.
À propos des tribus scythes et cimmériennes du Pont-Euxin, les Ariques, les Sinques et les Napéens, « toutes également redoutables par la barbarie invétérée de leurs mœurs », Ammien Marcellin observe que :
Ces peuples immolent des victimes humaines. Ils sacrifient les étrangers à Diane, qu’ils appellent Orsilochè, et suspendent les crânes de leurs victimes aux parois des temples, comme le plus glorieux des trophées.
Lucien de Samosate confirme la prépondérance de la déesse de la chasse, dont Iphigénie est un avatar :
Le Scythe, dédaignant toute autre victime comme trop vile, immole des hommes à Diane, et par là croit se rendre agréable à la déesse.
À propos des Scythes, Hérodote rapporte :
« Les Scythes sacrifient de la même manière dans tous leurs lieux sacrés. Ces sacrifices se font ainsi : la victime est debout, les deux pieds devant attachés avec une corde. Celui qui doit l'immoler se tient derrière, tire à lui le bout de la corde, et la fait tomber. Tandis qu'elle tombe, il invoque le dieu auquel il va la sacrifier. Il lui met ensuite une corde au cou, et serre la corde avec un bâton qu'il tourne. C'est ainsi qu'il l'étrangle, sans allumer de feu, sans faire de libations, et sans aucune autre cérémonie préparatoire. La victime étranglée, le sacrificateur la dépouille, et se dispose à la faire cuire. Comme il n'y a point du tout de bois en Scythie, voici comment ils ont imaginé de faire cuire la victime. Quand ils l'ont dépouillée, ils enlèvent toute la chair qui est sur les os, et la mettent dans des chaudières, s'il se trouve qu'ils en aient. Les chaudières de ce pays ressemblent beaucoup aux cratères de Lesbos, excepté qu'elles sont beaucoup plus grandes. On allume dessous du feu avec les os de la victime. Mais, s'ils n'ont point de chaudières, ils mettent toutes les chairs avec de l'eau dans le ventre de l'animal, et allument les os dessous. Ces os font un très bon feu, et le ventre tient aisément les chairs désossées. Ainsi le bœuf se fait cuire lui-même, et, les autres victimes se font cuire aussi chacune elle-même. Quand le tout est cuit, le sacrificateur offre les prémices de la chair et des entrailles, en les jetant devant lui. Ils immolent aussi d'autres animaux, et principalement des chevaux. » 4, 60.
Et :
« Voici les rites que les Scythes observent à l'égard du dieu Mars : dans chaque pays on lui élève un temple de la manière suivante, dans un champ destiné aux assemblées de la nation. On entasse des fagots de menu bois, et on en fait une pile de trois stades en longueur et en largeur, et moins en hauteur. Sur cette pile, on pratique une espèce de plate-forme carrée, dont trois côtés sont, inaccessibles ; le quatrième va en pente, de manière qu'on puisse y monter. On y entasse tous les ans cent cinquante charretées de menu bois pour relever cette pile, qui s'affaisse par les injures des saisons. Au haut de cette pile, chaque nation scythe plante un vieux cimeterre de fer, qui leur tient lieu de simulacre de Mars. Ils offrent tous les ans à ce cimeterre des sacrifices de chevaux et d'autres animaux, et lui immolent plus de victimes qu'au reste des dieux. Ils lui sacrifient aussi le centième de tous les prisonniers qu'ils font sur leurs ennemis, mais non de la même manière que les animaux ; la cérémonie en est bien différente. Ils font d'abord des libations avec du vin sur la tête de ces victimes humaines, les égorgent ensuite sur un vase, portent ce vase au haut de la pile, et en répandent le sang sur le cimeterre. Pendant qu'on porte ce sang au haut de la pile, ceux qui sont au bas coupent le bras droit avec l'épaule à tous ceux qu'ils ont immolés, et les jettent en l'air. Après avoir achevé le sacrifice de toutes les autres victimes, ils se retirent ; le bras reste où il tombe, et le corps demeure étendu dans un autre endroit. » 4, 61 et 62.
Hérodote nous apprend aussi que les voleurs de grands chemins et les pirates de la Tauride (Crimée) pratiquent le sacrifice humain à Iphigénie-Artémis, protectrice des navires. C'est à Artémis qu'Orphée adresse ses prières afin que la traversée des Argonautes se fasse sans encombre jusqu'en Colchide (rive orientale de la mer Noire).
« Ceux d'entre ces peuples qu'on appelle Taures ont des coutumes particulières. Ils immolent à Iphigénie de la manière que je vais dire les étrangers qui échouent sur leurs côtes, et tous les Grecs qui y abordent et qui tombent entre leurs mains. Après les cérémonies accoutumées, ils les assomment d'un coup de massue sur la tête : quelques-uns disent qu'ils leur coupent ensuite la tête et l'attachent à une croix, et qu'ils précipitent le corps du haut du rocher où le temple est bâti ; quelques autres conviennent du traitement fait à la tête, mais ils assurent qu'on enterre le corps, au lieu de le précipiter du haut du rocher. Les Taures eux-mêmes disent que la déesse à laquelle ils font ces sacrifices est Iphigénie, fille d'Agamemnon. Quant à leurs ennemis, si un Taure fait dans les combats un prisonnier, il lui coupe la tête et l'emporte chez lui. Il la met ensuite au bout d'une perche qu'il place sur sa maison, et surtout au-dessus de la cheminée. Ils élèvent de la sorte la tête de leurs prisonniers, afin, disent-ils, qu'elle garde et protège toute la maison. Ils subsistent du butin qu'ils font à la guerre. » 4, 103.
À propos de la Bactriane et des rivages de la mer Caspienne, Strabon cite Onésicrite (v. -300) et mentionne des coutumes barbares qui dépassent le cadre du rituel sacrificiel. S'agit-il de coutumes zoroastriennes mal comprises ou diabolisées par un auteur étranger aux rites de la Perse ? Ou s'agit-il d'une véritable coutume ? Comment savoir ? La simple mention d'une telle pratique indique que son existence pouvait en tout cas se concevoir.
« Ceux d'entre les Bactriens qui, pour vieillesse ou pour maladie, étaient déclarés incurables, étaient jetés vivants en proie à des chiens dressés et entretenus exprès et qu'on appelait dans la langue du pays « fossoyeurs » ou « croque-morts ». Les alentours de Bactres, leur capitale, n'offraient aux yeux que des objets impurs : presque tous les quartiers de la ville n'étaient remplis que d'ossements humains. [...] Les historiens, à la vérité, signalent un usage à peu près semblable chez les Caspiens, lorsqu'ils nous montrent ce peuple jetant en prison et y laissant mourir de faim tous les grands parents passé l'âge de soixante-dix ans. […] Les Derbices adorent la Terre et ne sacrifient ni ne mangent les animaux femelles ; mais chez eux, tous les vieillards qui ont passé l'âge de soixante-dix ans sont égorgés. Leurs plus proches parents dévorent leur chair. Quant aux vieilles femmes, elles sont étranglées, puis enterrées. Les hommes morts avant d'avoir atteint l'âge de soixante-dix ans ne sont pas mangés non plus, mais enterrés comme les femmes. » 11, 11.
Heureusement, Strabon nous rassure sur les autres populations de la région :
Chez les autres, la peine de mort n'est jamais appliquée ; elle ne l'est pas même aux plus grands criminels qu'on se borne à bannir en compagnie de leurs enfants, ce qui est juste l'inverse de ce que pratiquent les Derbices, chez qui les fautes les plus légères sont punies de mort.
L'enterrement vivant des sacrifiés est une coutume que l'on retrouve dans le Ramayana de Valmiki. En exil dans une forêt infestée de démons, Rama a recours à cette technique pour en éradiquer le chef :
Au matin du deuxième jour, le héros aux yeux de lotus constata que sa femme lui avait été ravie par Viradha, un démon qui terrorisait les hôtes des bois. Rama et Lakshman le cherchèrent et très vite le trouvèrent. Sans perdre un instant ils engagèrent le combat, et percèrent de nombreuses flèches le démon. Pourtant, les flèches lui passaient à travers, sans le blesser. Le démon leur annonça alors qu'il s'agissait là d'un vœu que Brahma avait réalisé pour eux et qui le rendait invincible aux armes. Sans être intimidé le moins du monde, les deux frères se jetèrent sur lui à main nue, lui cassèrent les membres, puis l’enterrèrent vivant, de sorte que, le corps brisé, le monstre demanda grâce à Rama.
Si les rites et les coutumes indo-européennes peuvent sembler barbares, ces pratiques évoluèrent, pour témoigner de l'importance du principe de non-violence envers le vivant. Gaulois comme Aryens considéraient d'ailleurs le végétarisme comme une pratique bénéfique. Les offrandes de viandes furent remplacées par des offrandes de fruits, de miel et de beurre.
Les offrandes
Un don fait avec le sentiment du devoir, à un homme qui ne peut payer de retour, don fait en temps et lieu et selon le mérite, est un don de vérité. Un présent fait avec l’espoir d’un retour ou d’une récompense, et comme à contrecœur, procède du désir. Un don fait à des indignes, hors de son temps et de sa place, sans déférence, d’une manière offensante, est un don de ténèbres. Tout sacrifice, tout présent, toute pénitence, toute action accomplie sans la Foi, est appelée mauvaise et n’est rien, ni en cette vie ni dans l’autre.
Les offrandes végétales offertes par les Celtes et les Aryens étaient de la même nature : il s'agissait de produits comestibles, dont surtout des fruits, des gâteaux de céréales ou des libations de beurre, de lait ou de miel.
À cela, les Celtes rajoutaient, parfois avec abondance, des offrandes de viandes, comme de gros gigots ou jambons, qui étaient alors déposés dans des corbeilles en osier et déposés en offrande sur les fleuves.
La pratique des offrandes remonte aux âges de la pierre, où elle se traduisait par le dépôt de haches votives. Chez les Gaulois, elle devint chose courante. On offrait aux dieux probablement des colliers (torques) et des rouelles, sûrement des trésors de métaux précieux sous forme de lingots, de bijoux ou de monnaies. Un certain lac près de Toulouse passait pour receler d'immenses richesses englouties dans ses eaux. Ailleurs les offrandes étaient simplement entassées dans des lieux consacrés et personne n'osait porter sur elles une main sacrilège.
Outre les offrandes de nourritures, d'encens, de parfums et de statuettes, les offrandes pouvaient donner l'occasion de débauches de moyens. Les rois de Lydie, Crésus (-596 à –546) et Gygès (v. -708), en déversant leur trésor dans les temples de Grèce, effectuèrent autant un acte saint que diplomatique (en échange de leurs offrandes, ils obtenaient l'appui de la Pythie).
« La pratique des offrandes remonte aux âges de la pierre, où elle se traduisait par le dépôt de haches votives. Chez les Gaulois, elle devint chose courante. On offrait aux dieux probablement des colliers (torques) et des rouelles, sûrement des trésors de métaux précieux sous forme de lingots, de bijoux ou de monnaies. Un certain lac près de Toulouse passait pour receler d'immenses richesses englouties dans ses eaux. Ailleurs les offrandes étaient simplement entassées dans des lieux consacrés et personne n'osait porter sur elles une main sacrilège. » E. Thevenot, Histoire des Gaulois.
Gygès monta sur le trône, et y fut affermi par l’oracle de Delphes. […] Gygès, maître de la Lydie, envoya à Delphes beaucoup d’offrandes, dont une très-grande partie était en argent ; il y ajouta quantité de vases d’or, et entre autres six cratères d’or du poids de trente talents, présent dont la mémoire mérite surtout d’être conservée.
Quant à Crésus, Hérodote rapporte qu' « il fit porter au sanctuaire de Delphes une quantité inimaginable d'offrande ». Crésus offrit en effet trois mille têtes de bétail en sacrifice, des lits recouverts d'or, des coupes d'or, des vêtements teints de pourpre, 117 briques en or pur, deux immenses cratères en argent et en or pour mélanger l'eau et le vin (225 kg chacun), quarante barils d'argent, une statue de sa boulangère (1m50) également en or, les bijoux de son épouse et enfin un lion tout en or de 260 kg. Ce lion fit longtemps l'admiration des visiteurs à Delphes.
Pourtant, dans l'Enéide, la Sibylle prévient : ce qui est le plus important, ce sont les sacrifices et le bon déroulement des rites, le reste n'est que divertissement. À Enée et à ses compagnons, qui s'extasient devant le spectacle de sa grotte, la Sibylle prévient
Ce n’est pas le temps, dit la Sibylle, de vous arrêter à ces vains spectacles : que n’avez-vous déjà immolé sept jeunes taureaux encore libres du joug, et autant de brebis choisies selon les rites ?
Dans sa fiche de lecture des Indo-Européens de Jean Haudry, Charles Guiraud résume les nombreuses étymologies du mot sacrifice :
« Qu'est-ce que le sacrifice ? L'expression latine signifie-t-elle « accomplir des choses sacrées » (sacra facere) ou « rendre sacré » (avec la racine indo-européenne « poser, établir », comme dans le grec tithemi) ? [...] Dans la pratique du sacrifice apparaît la notion d'exhalaison des viandes qui rôtissent, la fumée qui monte étant une offrande aux dieux. Il se trouve maints exemples de cette conception dans les textes homériques et védiques. Le verbe grec signifiant « sacrifier », thuo, est bâti sur une racine désignant la fumée (nombreuses formes dans diverses langues indo-européennes). Mais la notion de sacrifice peut être définie de façon plus large. Sacrifier, c'est communiquer avec la divinité en l'honorant. Comment honorer le dieu sinon par des offrandes ? Celles-ci peuvent consister en choses ou en prières. »
L'idée que les sacrifices païens nourrissent les dieux est souvent reprise. On la retrouve dans le Dictionnaire infernal de Jacques Collin de Plancy :
Dans les idées des Orientaux, les génies ne se nourrissent que de fumées odorantes qui ne produisent point de déjections.
La qualité des fumées émises par un sacrifice doit effectivement être prise en compte. Les sacrificateurs préférant des essences nobles, qui dégagent une fumée odoriférante (tel que le bois de santal en Inde).
« Pour les héros comme pour les morts, on choisit des animaux mâles et de pelage noir ; les dieux ont des exigences plus variées ; chacun a ses préférences. Sacrifier se dit « thuein » pour les dieux, « enagizein », c'est-à-dire consacrer, rendre tabou, pour les morts et les héros. On immole le matin aux dieux ; aux héros, primitivement la nuit ; plus tard, l'après-midi. L'animal offert aux dieux est mangé par les sacrifiants, après qu'ils aient brûlé symboliquement en hommage aux Immortels les os enveloppés d'un peu de graisse [...]. L'animal offert aux héros n'est pas mangé, car les morts boivent eux-mêmes le sang qui coule jusqu'à eux. De là des différences dans la manière de tuer la victime. Dans le sacrifice aux dieux, on lève la tête pour couper la gorge. Dans l'immolation aux puissances souterraines, on incline la tête vers le bas et l'on incise largement (entemnein), non seulement la trachée, mais la carotide, de façon que le sang coule dans la fosse de l'autel qui est bas, rond et creux. Après quoi le corps tout entier, non écorché, est brûlé sur cette eschara [autel]. L'autel des dieux, plus élevé, s'appelle bômos. Tout cela prouve que les Grecs s'imaginaient les héros résidant dans la terre et avides de sang, comme les autres morts. » M. Delcourt, Légendes et cultes de héros en Grèce.
Bien que persifleur, Lucien de Samosate nous présente clairement en quoi consistaient les rituels sacrificiels d'animaux. Le ton de Lucien s'explique par le fait que, tout comme Orphée, Pythagore, ainsi que bon nombre de peuples de l'Antiquité, Lucien était végétarien.
« Les autels une fois dressés, les prières et les vases d'eau lustrale établis, on amène des victimes : le laboureur conduit le bœuf qui a traîné sa charrue ; le berger, son agneau ; le chevrier, sa chèvre ; celui-ci, de l'encens ; celui-là, un gâteau ; le pauvre se rend le dieu favorable en lui baisant la main droite ; les sacrificateurs couronnent l'animal, après avoir examiné avec soin s'il n'est pas impur, de peur de faire un mauvais sacrifice, le conduisent à l'autel et l'égorgent sous les regards du dieu ; et, tandis qu'il mugit avec douleur, présage naturellement favorable, ils mêlent à ce son lugubre les accords de la flûte sacrée. Comment douter que les dieux ne soient ravis de ce spectacle ! Une loi affichée défend de s'avancer vers les vases d'eau lustrale à quiconque n'a pas les mains pures ; et cependant le prêtre ne s'y tient-il pas debout, tout sanglant, comme le Cyclope, disséquant la victime, arrachant les entrailles, déchirant le cœur, répandant le sang autour de l'autel, et se livrant à toutes sortes de pratiques peu religieuses ? Enfin il allume un brasier, il y place la chèvre avec sa peau, la brebis avec sa laine ; l'odeur divine monte aussitôt dans les airs, et gagne insensiblement le ciel. » Sur les sacrifices, 12 à 13.
Souvent absent de l'hindouisme, le sacrifice de viande est présent dans le védisme. Ainsi qu'en témoigne la pratique du gomeda, le sacrifice de la vache, et de l'Ashvameda, le sacrifice royal du cheval, censés assurer au roi qui le réussira la gloire éternelle et sans rivalités sur Terre. Plutôt que d'une offrande classique, le rituel de l'ashvameda préconisait que ce soient les brahmanes qui mangent le cheval qu'ils venaient de sacrifier, plutôt qu'ils ne le laissent se consumer dans le feu. En Inde, la salive étant une muqueuse corrosive, elle appartient au domaine d'Agni, le dieu du feu auquel rien ne résiste. En mangeant les offrandes, les hindous aident donc Agni à consommer leurs fruits et leurs gâteaux. Et il en va donc de même avec la chair du cheval, qui était mangée le soir même des sacrifices, cuite sur les braises et arrosée de beurre, selon la recette préconisée par les Vedas.
Dans son introduction à sa traduction du Sri Rudram, Maunish Vyas explique comment, tout en prônant la réalisation des sacrifices, les Vedas ne recommandent en aucun cas de tuer le vivant (le sacrifice animal est cependant encore en pratique de nos jours dans les campagnes indiennes).
Sous l'emprise d'idées fausses, certaines personnes sont prêtes à tuer et sacrifier rituellement d'innocents animaux pour plaire à quelques déités. Cela est né d'une mauvaise interprétation des Directives védiques. Les Vedas nous disent de sacrifier l' « animal » qui est en nous-mêmes, c’est-à-dire nos tendances animales. D'où proviennent ces tendances animales ? Réponses : de nos vies antérieures en tant qu'animaux.
Vyas cite ensuite le gourou Satya Sai Baba (1926 - 2011) :
« L'orgueil n'est pas une qualité innée de l'homme, c'est le trait de caractère naturel du buffle. Si quelqu'un affiche de l'orgueil cela signifie qu'il était un buffle dans une vie précédente et que ce trait de caractère lui est devenu inhérent. Certaines personnes font preuve d'un entêtement stupide. Ce n'est pas une caractéristique humaine, mais le trait de caractère du mouton. D'autres personnes se permettent de petits larcins. Cela vient d'une vie précédente en tant que chat… L'instabilité mentale est typique du singe. Certains individus manquent incurablement de gratitude… Celui qui est ingrat a dû être un serpent dans sa vie précédente. Par conséquent, on devrait offrir sur l'autel de son mental son entêtement, sa tendance à voler, son ingratitude et son orgueil. C'est le yajna intérieur. Malheureusement, au lieu d'accomplir des sacrifices de cette sorte, les gens font l'offrande sacrificielle de chèvres et de volailles. Par conséquent, les mauvaises tendances continuent à se développer en l'homme. C'est pour éliminer ce mauvais sentiment d'ingratitude que des sacrifices extérieurs, tels que les yajnas et les yagas, ont été recommandés aux hommes. Les yajnas (sacrifices) nous permettent d'encourager et d'améliorer les traits bénéfiques de l'homme. » Conférence du 10 octobre 1983, Sathya Sai Speaks.
Les sacrifices animaliers étaient réservés pour les occasions spéciales. Dans la vie quotidienne, on leur préférait des sacrifices plus humbles et moins violents.
La prière est pour nos Dieux, car nous avons une vraie foi, qui ne nécessite pas de sacrifice. Nous nous offrons le « sacrifice » de nos champs, celui de notre travail c’est-à-dire le grain et le lait. Nous offrons aussi des holocaustes d'agneaux, durant les festivals de Yar et celui de la montagne Magnifique.
En Celtie et en Slavie, le lait joue un rôle important. En Inde, on préfère les libations de beurre clarifié (ghee).
« Comme dans tout rituel ou sacrifice hindou, le ghee, c'est à dire le beurre clarifié, sera l'un des éléments essentiels du culte. On nourrira pendant un mois cent vaches avec de l’herbe Darba dans laquelle on mêlera du sel. On appellera ensuite un berger, et après lui avoir fait faire ses ablutions, on lui fera traire les vaches dans une coupe d’argent. Pendant qu’il les traira, le prêtre récitera la prière suivante : « Vache, que les dieux ont mises sur la terre sous la forme d’une bête, je trais votre lait pour servir au sacrifice que je vais accomplir ; pardonnez-moi la douleur que je cause par-là à votre veau ! » On fera ensuite chauffer ce lait ; et, pour cet effet, on entretiendra le feu avec des morceaux de l’arbre Assuata, et on remuera bien le lait avec un morceau de l’arbre Veinacra. C’est ainsi que doit se faire le beurre destiné au sacrifice. » J.-A. Dubois, La cérémonie du grand sacrifice royal dans Exposé de quelques-uns des principaux articles de la théogonie des Brahmes.
Durant l'Antiquité tardive, les sacrifices sanglants, humain ou animal, furent remplacés par des offrandes symboliques, voir conceptuelles. En Gaule comme à Rome, en Inde et ailleurs, les pratiques évoluèrent pour favoriser les sacrifices non sanglants.
À l’époque gallo-romaine, si l'on continuait de mettre à mort des animaux, on se contentait souvent de consacrer l'image de l'animal. Pour obtenir la guérison d'un enfant malade, on offrait à la divinité une statuette représentant l'enfant. Ce rite de substitution ne s'était pas instauré brusquement. S'il a été régulièrement pratiqué après la conquête, c'est qu'il était admis dès le temps de l'indépendance.
En Scandinavie, les paroles d'Odin se font l'écho de cette transformation de la nature des sacrifices :
Mieux vaut ne pas demander que trop sacrifier. Il y a toujours récompense pour don, mais mieux vaut ne pas offrir que trop immoler.
En Inde, en passant des Vedas à la Bhagavad Gita, c'est-à-dire en passant du culte des dévas à celui de Vishnou, les pratiques sacrificielles évoluent. La Bhagavad Gita est en effet bien moins exigeante que les Vedas. Krishna ne demande pas des hollocaustes, mais un esprit pur et amoureux. Il ne s'agit plus de plaire aux dieux, d'acheter leur appui par des débauches d'offrandes, mais plutôt d'avoir une religion privilégiée avec le plus grand d'entre eux, en faisant preuve d'un véritable amour envers lui. C'est le concept de la Bakhti : la vénération de la divinité.
Quand on m’offre en adoration une feuille, une fleur, un fruit ou de l’eau, je les reçois pour aliments comme une offrande pieuse. Je suis égal pour tous les êtres ; je n’ai pour eux ni haine ni amour ; mais ceux qui m’adorent sont en moi, et je suis en eux.
Inspirée de la Bhagavad Gita, la Rama Gita de Ramanda préconise uniquement des offrandes végétales :
Sache que les offrandes que tu adresseras aux idoles, porteront leurs fruits si tu y ajoutes de la pâte de santal, de l'encens, des fleurs et bien d'autres choses mentionnées par les écritures et dont l'utilisation est parvenue jusqu'à nous grâce à la tradition.
De même, dans la Rama Gita de Sivananda :
S'il en a les moyens, le disciple peut pratiquer les rituels à plus grande échelle et donner en offrande camphre, peinture vermeille ou parfums délicats. Il peut aussi faire réciter de la plus juste des manières qui soit les mantras appropriés au moment de l'année ou de la journée. […] Il pourra aussi ajouter à la cérémonie des objets rituels divers, de l'encens, des bougies, des offrandes de riz et des fruits […] ou bien offrir des offrandes de riz au lait et de beurre clarifié dans le feu rituel où se tient le foyer domestique. […] La feuille de bétel, associée au safran et à d'autres épices, avec amour et dévotion, me sera ensuite offerte en offrande.
Les offrandes, quelle que soit leur nature, sont consommées par les fidèles, comme le préconise Ramanuja :
Comme il est naturel de le faire, ne consacrez comme offrandes que des produits frais et immaculés de toute souillure. Comme il convient, une fois les offrandes présentées au Seigneur, vous devrez les manger avec retenue et non vous livrer à la gloutonnerie.
Et Sivananda :
Le rituel ne se terminera qu'une fois que les offrandes de nourriture auront été distribuées aux disciples présents.
Les Germains observent les mêmes coutumes :
Dans la vie quotidienne, on avait recours à des sacrifices d'animaux [...]. La victime n'était pas simplement offerte aux dieux, mais, à l'exception de certaines parties qui leur étaient réservées, elle était consommée par l'assistance. Le sacrifice donnait ainsi lieu à un repas sacramentel, qui établissait un lien étroit entre les dieux et les hommes. II était accompagné de libations, généralement au nombre de trois, en l'honneur d'Odin, de Thor, et de Njord et Frey. Le tout était réglé par un cérémonial très strict, qui fixait la quantité de boisson requise, l'ordre dans lequel les convives prenaient la coupe ou corne sacramentelle, etc. Chaque convive recevait la coupe à son tour, prononçait une formule de consécration et buvait en l'honneur des dieux.
Le meurtre rituel
Le caractère fier et belliqueux des Kailashas est une des raisons qui explique la conservation de leurs traditions, lesquelles trouvent pourtant leur origine au Néolithique. Selon les pèlerins chinois et indiens, ce pays était parmi les plus dangereux. Les voisins musulmans des Kailashas les décrivaient comme des meurtriers, capables non seulement de tuer quiconque s'aventurerait sur leurs terres, mais encore étaient-ils capables de se réunir en groupe, puis de pratiquer le meurtre rituel. Ils descendaient alors dans les villages des vallées plus basses pour y capturer des villageois. Cette pratique nous est certifiée par l'ethnologie, qui nous rapporte que les adolescents kailashas n’accédaient au statut respecté de guerrier que s'ils avaient effectivement tué un certain nombre d’ennemis et dans des conditions de bravoure bien particulières.
Nous observons une pratique similaire à Sparte, une cité guerrière bâtie sur une colline ; le principal rituel d'entrée dans la vie adulte consistait alors en quelques nuits de massacres dans les campagnes environnantes peuplées d'esclaves (les Hilotes).
Dans L'Épopée des Celtes, J. A. Mauduit évoque des pratiques similaires en Irlande et ailleurs :
« Cette chasse aux trophées pouvait être obligatoire et rituelle. Cela se produisait quand les jeunes gens arrivaient à l'âge adulte. Ainsi chaque fois qu'un jeune homme d'Ulster partait pour la première fois en guerre, il devait passer la frontière du Connaught et ramener la tète d'un homme. C'est ce que fit le héros Cuchulainn. Quand il revint de son expédition, il tenait neuf têtes coupées dans une main et dix de l'autre. Il jonglait avec elles, s'offrant, à l'admiration des peuples et plus précisément des femmes qui étaient toutes amoureuses de lui. À la fin, Cuchulainn eut aussi la tête tranchée. Il fut enterré à Tara où était consacré le roi suprême. Cette coutume était encore, il y a peu de temps, en Asie (Assam) et en Océanie chez les Papous, pratique courante. C'est ainsi qu'à Bornéo, comme en Irlande, la chasse aux têtes marquait la consécration des jeunes gens qui, ayant fait leurs preuve. »
Jusqu'à la fin du 19e siècle, ces coutumes peu accueillantes étaient partagées par la plupart des peuples montagneux, dont les Tibétains.
Ces expéditions dangereuses pouvaient se décliner de plusieurs manières. La plus commune, mais aussi la plus ancestrale, consistait à voler le bétail des tribus voisines. Les récits racontant le vol organisé du bétail portent en Irlande le nom de « tana ». En Inde, de nombreux hymnes védiques adressent des louanges à Indra afin que celui-ci permette aux Aryens de capturer des vaches.
Mentionnons enfin le mythe de l'enlèvement des Sabines par les premiers habitants de Rome. Il ne s'agit plus de voler des vaches, mais des jeunes filles en fleur, afin de peupler la nouvelle cité romaine.
Le suicide rituel
Outre le sacrifice humain, on observe aussi la pratique du suicide de masse, intervenant souvent après des défaites militaires. Les guerriers ayant pour espoir et devoir de mourir au combat, le suicide était le plus souvent pratiqué par des femmes, qui cherchaient à échapper à leur nouvelle condition d'esclave. Il s'agit de l'incarnation la plus claire de la devise « vivre libre ou mourir ». Les exemples sont légion.
Justin, dans son Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée, évoque le suicide des Galates défaits par les armées romaines. Leur suicide est alors rigoureusement encadré par un contexte religieux et divinatoire :
Les Gaulois sacrifient des victimes pour les présages de la bataille. Mais comme les entrailles prédisent le massacre et la mort de tous, ils sombrent non dans la crainte, mais dans la démence et, espérant détourner les menaces des dieux par le massacre des leurs, ils mettent à mort leurs épouses et leurs enfants, inaugurant par le meurtre les présages de la guerre.
Sans bien la comprendre et en la décrivant avec des termes vagues, Pomponius Mela observe cette pratique suicidaire chez les Gaulois. « Il y a des Gaulois, écrit-il, qui se précipitaient gaîment sur les bûchers de leurs parents, comme pour continuer de vivre avec eux » (Description de la terre, 3, 2).
Au sujet des Gètes, peuple de la Scythie européenne, l'historien romain est plus loquace. Son témoignage est précieux car malgré l'évidente méconnaissance des coutumes scythes, il est un des seuls que nous possédions sur l'ancestral rituel de l’ensevelissement des chefs et de leurs pages, femmes et trésors sous un tumulus (kourgane).
Les femmes même ont une grande force de caractère : quand leurs maris meurent, leur vœu le plus cher est d’être immolées sur leurs cadavres et ensevelies dans le même tombeau ; et, comme souvent un homme a plusieurs femmes, celles-ci se disputent vivement cet honneur devant les juges établis pour prononcer sur le différend. La préférence est le prix de la vertu, et l’épouse qui en est jugée digne est au comble de la joie, tandis que les autres se lamentent et se livrent aux excès du plus affreux désespoir. Ceux qui veulent les consoler se rendent auprès du bûcher avec des armes et de l’argent, déclarant qu’ils sont prêts, s’il y a lieu, à traiter ou à se battre avec le génie du défunt ; et comme la provocation reste sans effet, les veuves passent de la douleur à de nouvelles amours.
Complétons notre panorama du suicide de masse par la Germanie : lors de la guerre des Cimbres (-102), alors que les troupes romaines de Caïus Marius sortaient vainqueurs de la bataille d'Aix en ayant fait prisonnier le roi Teutobod, les femmes teutonnes se suicidèrent en masse.
Strabon, qui cite Aristobule de Cassandréa (-380 - v. -290), mentionne cette même pratique en Inde (où elle fut pratiquée jusqu'au début du 20e siècle) :
Dans quelques parties de l'Inde, les femmes se laissent brûler vives sur le bûcher de leurs maris. Celles qui n'ont pas ce courage sont déshonorées pour toujours. Cela nous est confirmé par différents témoignages encore.
Cette pratique ne se limite pas à l'Antiquité : lors de la colonisation des Canaries (v. 1500), les Guanches (non indo-européens) de l'île de La Gomera sautèrent eux aussi de leur plus haute colline afin d'échapper aux milices espagnoles. Récemment, à la suite du siège de Sinjar (2014 - 2015), les femmes yézidies firent de même pour échapper à leur capture par les soldats de Daesh.
En Inde, on distingue la pratique de la pativrata, de la sativrata et du jauhar.
La pratique de la pativrata admet comme principe que la mort du mari sous-entend une défaillance de la part de sa femme, censée le protéger. En le suivant dans la mort, sa femme peut donc continuer son œuvre de protection. La femme se suicide alors en entrant dans un bûcher, dans un contexte religieux et en public. Son immolation la purifie de ses péchés et la prépare à une nouvelle incarnation plus éthérée.
Une telle coutume se pratiquait jadis à travers toute l'Eurasie. Sous des kourganes et des tumulus, où était enterré le chef héroïque du clan, on retrouve les armes les plus précieuses, mais aussi les concubines et les chevaux.
Cette pratique se retrouve chez les Celtes :
La doctrine [druidique] s'alliait aux concepts protohistoriques qui voulaient qu'on ensevelît avec le disparu ses armes, y compris, pour les princes, le char de guerre, ses bijoux, les ustensiles indispensables à sa vie. Ses femmes et ses ambactes [compagnons], dans une période archaïque, se suicident pour lui tenir compagnie dans l'au-delà.
La sativrata, « la pratique de la sati », fait référence à un épisode mythologique mettant en scène Sati, la compagne terrestre de Rudra-Shiva. Fille du rishi Daksha, Sati souhaitait dédier sa vie à Rudra, le dieu des ascètes et du yoga. Cependant, son père lui refusa cette faveur au prétexte que Rudra n'était pas un brahmane. Souhaitant marier sa fille à un déva, Daksha organisa alors une rencontre avec des possibles prétendants. Sati, pour demeurer fidèle à Rudra, s'immola volontairement, afin de renaître auprès du dieu en tant que Parvati, la grande déesse qui partage le trône de Shiva au sommet du mont Kailash.
Une fois qu'elle a prononcé le vœu de provoquer sa propre mort, la femme indienne se voit attribuée de nombreux dons magiques et mystiques. Elle devient alors une voyante et une sainte. Elle entre ensuite en méditation et l'on allume autour d'elle un immense brasier.
En Inde moderne, interdits par les lois britanniques puis républicaines, les rituels suicidaires ne se pratiquent plus que très rarement : une ou deux fois seulement par décennie. Les brahmanes qui patronneraient ou se rendraient complices d'une telle pratique seraient en effet sévèrement punis par la loi laïque indienne. Le suicide par l'immolation, hors contexte religieux, est par contre une pratique plus courante dans l'Inde moderne, mais qui diffère grandement de la sati. Il s'agit d'un simple suicide et non d'une mise en scène mystique réunissant des spectateurs autour d'un bûcher.
Enfin, le jauhar est le suicide d'une femme qui refuse de se voir déshonorée. Il peut être pratiqué en solitaire ou en groupe (toutes les femmes d'une caste, d'un village, etc.) Il peut être décidé volontairement où être imposé par le conseil d'un village, juste avant que ne se déroule un massacre jugé inévitable.
Cette tradition fanatique fut donc pratiquée en période de guerre, et plus particulièrement lors des conquêtes musulmanes. Les femmes hindoues étaient alors systématiquement violées, déportées et réduites en esclavage. En pratiquant l'immolation volontaire, elles faisaient un acte de résistance semblable à celui des martyrs chrétiens du premier siècle qui préféraient mourir dans les arènes avec les lions que de renier leur foi. En soustrayant leur corps à l'ennemi, elles sauvaient leur âme d'une pollution certaine, tout en sauvegardant l'honneur de leurs héritiers, de leur caste ou de leur famille.
Comme exemple évocateur, évoquons la cruelle campagne d'Alaul-Din Khalji. Celui qui allait devenir sultan de Delhi sema le chaos sur son passage, d'Afghanistan jusqu'au sud de la péninsule indienne. L’historien Persan Wassaf (1265 - 1328) écrit dans Tazjiyat-ul-Amsar wa Tajriyat ul Asa :
« Lorsque Alaul-Din Khalji captura la ville de Kambayat dans le golfe de Cambay, il tua tous les adultes hindous mâles pour la gloire de l’islam, déversa des rivières de sang, déporta toutes les femmes du pays avec leur or, leur argent et leurs bijoux vers sa ville natale et fit de 20 000 filles indiennes ses esclaves privées. »
Le conseiller d'Alaul-Din, Kazi Mughisuddin de Bayanah, suggère au sultan de :
« Sans cesse maintenir les hindous dans une situation de soumission et d'abjection, car il s'agit là d'un devoir religieux envers ceux qui ne sont que les éternels ennemis du prophète, qui lui-même nous [les musulmans] a intimé l'ordre de les supplicier et de les maintenir sous notre joug dans la captivité, ou bien de les convertir à l’islam, ou bien encore de les tuer, après avoir ravi leurs biens. »
Le soufi Amir Khusrau commente dans ses chroniques : « Les Turcs quand il leur plaisait, pouvaient s’emparer d’un hindou, le vendre ou l’acheter. »
Lorsque Alaul-Din Khalji captura la ville de Kambayat dans le golfe de Cambay, il tua tous les adultes hindous mâles pour la gloire de l’islam, déversa des rivières de sang, déporta toutes les femmes du pays avec leur or, leur argent et leurs bijoux vers sa ville natale et fit de 20 000 filles indiennes ses esclaves privées.
Le conseiller d'Alaul-Din, Kazi Mughisuddin de Bayanah, suggère au sultan de
Sans cesse maintenir les hindous dans une situation de soumission et d'abjection, car il s'agit là d'un devoir religieux envers ceux qui ne sont que les éternels ennemis du prophète, qui lui-même nous [les musulmans] a intimé l'ordre de les supplicier et de les maintenir sous notre joug dans la captivité, ou bien de les convertir à l’islam, ou bien encore de les tuer, après avoir ravi leurs biens.
Le soufi Amir Khusrau commente dans ses chroniques :
Les Turcs quand il leur plaisait, pouvaient s’emparer d’un hindou, le vendre ou l’acheter.
Face à cette pratique de la terreur systématique, la mise à mort des femmes pouvait être décidée par le conseil du village vaincu. Ainsi, lors du siège de Chittorgarh, alors qu'Alaul-Din Khalji avait ordonné le massacre des 30 000 habitants, les assiégés eurent juste le temps de brûler leurs filles et leurs femmes avant que l’ennemi ne les réduise en esclavage.
« Le nombre d’esclaves capturés par Alaul-Din Khalji était prodigieux ; il enchaîna et humilia les esclaves. Durant le seul sac de Somnath, Alaul-Din Khalji prit un grand nombre de captifs et de très belles et élégantes jeunes filles d’un nombre approchant les 20 000 et des enfants des deux sexes plus que la plume ne peut les compter. Les armées mahométanes amenèrent le pays à sa ruine totale, détruisirent la vie de ses habitants et mirent à sac les villes capturant les enfants. La cour d' Alaul-Din Khalji était dit-on composée de 50 000 garçons esclaves à son service personnel et de 70 000 esclaves qui travaillaient en permanence dans son palais. Si le sultan Alaul-Din Khalji eut 50 000 garçons à son service personnel, le Sultan Muhammad Tughlaq, qui régna de 1325 à 1351, en aurait eu lui 20 000, et le Sultan Firoz Tughlaq (règne 1351 à 1388), qui aimait collectionner les garçons, en aurait eu un total improbable de 180 000 esclaves » A. Bostom, The Legacy of Jihad : Islamic holy war and the fate of the non-Muslims.
Coutumes funéraires des héros grecs
Les principaux et plus anciens témoignages littéraires des coutumes funéraires indo-européennes sont les célèbres funérailles de l'Achéen Patrocle et du Troyen Hector. Étudiées par les écoliers de la Grèce antique et de Rome, puis par les universitaires européens, les funérailles de Patrocle, l'ami intime d'Achille, occupent tout l'avant-dernier chant de l'Iliade, tandis que l'épopée elle-même se clôt sur les pitoyables funérailles d'Hector, vainqueur de Patrocle et plus grand ennemi d'Achille.
« Tout gémissait dans Troie. Cependant les Grecs, arrivés aux bords de l'Hellespont et près de leurs vaisseaux, se dispersent dans leurs tentes. Achille ne permet point aux Thessaliens de se retirer. Entouré de leurs cohortes belliqueuses, il dit :
« Braves combattants, chers Compagnons, ne dételons pas encore nos coursiers vigoureux ; approchons de ce lit funèbre avec nos chars ; offrons à Patrocle le tribut de nos regrets et de nos larmes, honneurs qui sont dus aux morts. Ne détachons les coursiers, et ne prenons tous de la nourriture, qu'après avoir satisfait aux témoignages de notre amère douleur. » À ces mots les cohortes nombreuses font éclater leur douleur. Achille est à leur tête, et les superbes coursiers sont conduits trois fois autour du corps de Patrocle : l'air retentit de plaintes lugubres ; et Thétis [mère d'Achille], au milieu des Thessaliens, les excite elle-même à la tristesse et au deuil. Le sable est mouillé de leurs pleurs, leurs armes en sont inondées, tant ils regrettent ce héros, qui fut la terreur des ennemis. […] Les Thessaliens déposent leurs armes brillantes, détellent leurs bruyants coursiers, et s'assemblent en foule devant la tente d'Achille. Il leur donne avec splendeur le repas funèbre. Des troupeaux de bœufs tombent égorgés, poussant de rauques et sourds gémissements ; des troupeaux de chèvres et de brebis bêlantes sont immolés, et des porcs, aux dents éclatantes, gras et succulents, sont étendus et fument devant les flammes d'Héphaïstos ; le sang des victimes ruisselle à grands flots autour du corps de Patrocle.
Cependant, et non sans peine, les rois conduisent vers Agamemnon Achille, toujours désespéré du trépas de son ami. Dès Qu'ils entrent dans la tente, le chef des Grecs ordonne à ses hérauts d'allumer le feu sous une grande urne, dans l'espoir d'engager Achille à laver le sang et la poussière dont il est souillé : mais il le refuse d'un ton ferme, et scelle d'un serment son refus.
« J'en atteste Zeus, le plus élevé des dieux, il ne m'est pas permis d'approcher du bain avant d'avoir mis Patrocle sur le bûcher, érigé sa tombe, et de lui avoir consacré l'offrande de ma chevelure ; car, tant que je serai parmi les vivants, je n'éprouverai pas une seconde fois la douleur dont je me sens pénétré. Je prendrai part maintenant au festin, quelqu’odieux qu'il soit à ma tristesse. Mais, Atride, roi des guerriers, ordonne que dès l'aurore on amène le bois de la forêt, qu'on dresse le bûcher, et qu'on prépare les honneurs qui doivent accompagner son ami au ténébreux empire ; qu'une grande flamme consume promptement le corps de ce héros ; et que les troupes, n'ayant plus sous leurs yeux ce spectacle funeste, retournent aux travaux de la guerre. » […] [Le lendemain matin,] Agamemnon veut qu'une troupe nombreuse d'hommes et de mulets sorte des tentes, et se hâte d'amener du bois de la forêt ; un guerrier distingué se charge de les conduire. Les hommes partent précédés des mulets, et tenant en main des haches tranchantes et de forts cordages. [...] Arrivés au milieu de la forêt d'Ida, arrosée de sources, leurs mains, armées du large acier, abattent les chênes majestueux, qui tombent en faisant gémir profondément la Terre. Ils fendent les troncs et les attachent aux mulets, dont les pas deviennent rapides, empressés d'arriver dans la plaine à travers l'épaisseur des buissons. La troupe des bûcherons les suit, chargée des mêmes fardeaux. Ils déposent ces bois sur le rivage, où Achille avait prescrit d'élever une tombe pour Patrocle et pour lui-même. [...]
Alors Achille commande à ses Thessaliens belliqueux de revêtir l'airain et d'atteler leurs coursiers. Ils accourent revêtus de leurs armes, et montent, écuyers et chefs, sur les chars qui ouvrent la marche, et que suit une nuée d'immenses légions. Au milieu d'eux est le corps de Patrocle porté par ses compagnons, et couvert des cheveux entassés qu'ils se coupent pour les lui consacrer. Le grand Achille paraît ensuite, soutenant de ses mains la tête de son ami. Plongé dans une sombre tristesse, il conduisait ce noble compagnon au tombeau.
Arrivés au lieu qu'il leur a marqué, ils déposent le corps, et dressent le bûcher pour satisfaire cette ombre magnanime. […] Alors ceux qui veillent au soin des funérailles, entassent les chênes, dressent un bûcher, qui occupe dans sa longueur et dans sa largeur cent pieds d'étendue. Le cœur serré de tristesse, ils placent Patrocle au haut du bûcher. On immole et on dépouille une grande multitude de brebis grasses et de bœufs à la corne redoutée. Le magnanime Achille couvre de la graisse de ces victimes tout le cadavre, autour duquel il amoncelle leurs corps ; tenant de grands vases, il verse aux deux côtés du lit funèbre le miel et l'huile. Il y précipite quatre coursiers vigoureux, en poussant de longs gémissements. Des neuf dogues qu'il nourrissait de sa table, il en égorge deux, et les livre au bûcher. Il y livre douze rejetons de nobles Troyens, qu'il a percés de son fer dans son courroux, que rien ne pouvait arrêter. Enfin il porte au bûcher la flamme invincible pour le dévorer ; et, faisant retentir l'air de ses cris douloureux, il appelle son fidèle compagnon :
« Reçois mes adieux, ô Patrocle, et ressens quelque satisfaction dans le séjour même des ombres. J'ai rempli mes promesses ; douze jeunes Troyens d'un sang illustre vont être consumés avec toi par les flammes : je n'y livre point Hector, il sera la proie des animaux carnassiers. » […] Cependant le bûcher de Patrocle tardait à s'embraser. Alors l'impétueux Achille s'écarte ; il implore Borée et le vent d'occident ; il leur promet des sacrifices somptueux ; et, leur faisant de grandes libations d'une coupe d'or, il les conjure d'accourir pour allumer promptement le bûcher et consumer le cadavre. […]
Achille, tenant une coupe profonde, puise le vin dans une urne d'or, et arrose à longs flots la terre de libations, appelant à haute voix l'ombre du malheureux Patrocle. [La nuit passe ainsi. Le jour se lève et Achille dit :]
« Agamemnon, et vous princes de la Grèce, achevons d'éteindre avec la liqueur du vin les flammes, qui ont répandu leur ardeur dévorante dans tout le bûcher ; et soyons attentifs à recueillir les os de Patrocle. [...] Renfermons dans une urne d'or ces restes précieux, enveloppés deux fois de la graisse des victimes, et qu'ils reposent dans cette urne jusqu'à ce que je descende moi-même aux royaumes sombres. Je ne veux point qu'on lui érige encore de magnifique tombeau ; contentons-nous de l'ensevelir avec peu d'appareil. Tous qui me survivrez, vous pourrez, avant de couvrir la mer de vos navires, élever un monument vaste et pompeux. » Iliade, 23, trad. Bitaubé.
Les funérailles d'Hector (fin du chant 24) sont en quelque sorte le négatif de ceux de Patrocle. Les constantes présentées par les deux versions sont les points essentiels de la coutume indo-européenne :
« Ils détellent les mules et les coursiers, conduisent le cadavre d'Hector dans la tente, le placent sur un siège, puis déchargent du char les dons destinés à la rançon du mort, et y laissent deux riches manteaux et une tunique fine pour en couvrir le corps que l'on remmènera dans Troie. [...] Après que les captives ont lavé ce corps, qu'elles l'ont parfumé d'essences, et couvert de la tunique et des manteaux, Achille aidé de ses compagnons, l'étend sur le lit funèbre, et le place sur le chariot éclatant. […] Puis, se tournant vers Priam, il dit :
« Vieillard, ton fils est à toi selon tes désirs, il est couché sur un lit funèbre ; tu le verras en l'emmenant au lever de l'aurore. Songe en ce moment à prendre quelque nourriture. »
Et se levant aussitôt, il immole une brebis à la toison argentée. Ses compagnons la dépouillent, la partagent, en chargent de longs dards qu'ils approchent des flammes ; ils les retirent. Automédon distribue le pain entassé dans de belles corbeilles ; Achille sert les viandes. [...] Il s'adresse à Priam :
« Combien désires-tu de jours pour rendre les derniers honneurs au grand Hector ? pendant ce temps je suspendrai mes desseins et retiendrai l'ardeur de nos troupes.
- Si tu me permets, dit Priam, de faire paisiblement des obsèques à l'illustre Hector, j'en conserverai, Achille, la plus vive reconnaissance. [...] Neuf jours seraient consacrés aux pleurs dans nos maisons, le dixième nous commencerions les funérailles, et donnerions au peuple le repas funèbre ; nos mains, le jour suivant, érigeraient la tombe. Après cela nous combattrons, si la nécessité nous l'impose.
- Vénérable Priam, répond le héros, tes désirs seront accomplis ; je ne permettrai point qu'avant ce temps on revole dans la lice des combats.
En disant ces mots, il met sa main dans celle du vieillard pour dissiper entièrement ses alarmes.
[De retour à Troie avec le cadavre, Priam s'adresse aux habitants :]
« Troyens et Troyennes, si vous reçûtes souvent Hector avec des transports de joie lorsque, plein de vie et triomphant, il revenait des combats, sortez maintenant en foule et allez recevoir le cadavre de ce héros ; il fit la gloire de Troie et de tout le peuple. »
A ces mots, tel est le deuil de tous les citoyens, il n'est personne, ni homme ni femme, qui reste dans la ville ; tous courent hors des portes à la rencontre du cadavre qui s'approchait de Troie. A leur tête, la tendre épouse et la mère vénérable d'Hector, précipitées jusqu'au char, s'arrachent les cheveux sur ce corps, et l'embrassent, environnées de tout un peuple qui fond en larmes. [...]
Après qu'il est arrivé dans le palais, on dépose le corps sur un lit superbe ; on l'entoure d'un chœur dont les chants lugubres sont entremêlés de gémissements et de larmes ; et les femmes y répondent par des soupirs douloureux. [...] Lorsque Priam interrompt les plaintes :
« Troyens, il est temps d'amener le bois pour le bûcher. Ne craignez point d'embuscades de la part des Grecs ; Achille, à mon départ de sa tente, m'a promis de ne point tourner contre nous les armes, que nous n'ayons vu paraître la douzième aurore. »
Aussitôt attelant et les bœufs et les mulets, ils sortent en foule hors des murs. Neuf jours sont employés à dépouiller la forêt de ses sapins et de ses chênes, et à dresser le bûcher. À peine l'aurore annonce aux mortels le retour de la lumière, que les Troyens versant d'abondantes larmes, portent hors du palais le corps de l'intrépide Hector, et le placent au sommet du bûcher, qu'ils allument de toutes parts.
Le lendemain, dès que les cieux sont parsemés des rosées de l'aurore matinale, un peuple immense se hâte encore d'entourer le bûcher de l'illustre Hector : des flots de vin teignent les flammes qui se répandirent dans tout le bûcher avec furie. Les frères et les amis d'Hector rassemblent ses os blanchis, non sans répandre de nouvelles larmes ; elles coulent en torrents le long de leurs joues. Ils placent ces os dans une urne d'or ; et la couvrant de voiles de pourpre d'une étoffe douce et moelleuse, ils se hâtent de la déposer dans une fosse profonde sur laquelle ils entassent de grandes pierres, élèvent avec précipitation le tombeau : et de toutes parts des gardes étaient attentifs aux mouvements des Grecs, de peur qu'ils ne surprissent la ville avant qu'elle eût accompli ce pieux devoir. La tombe étant élevée le peuple se rassemble en foule dans le magnifique palais de Priam, qui leur donne avec splendeur le repas funèbre. Tels furent les derniers honneurs que les Troyens rendirent au vaillant Hector. » Iliade, 24, trad. Bitaubé.
Homère aborde clairement les principales étapes marquant le déroulement de funérailles modèles. Ces funérailles sont en effet modèles, car elles se déroulent sous l'égide d'un ami, Achille, ou d'un père, Priam. Ces deux personnages, rongés par la tristesse et brisés par la guerre, ne croient plus en rien si ce n'est en la stricte pratique des rituels ancestraux. Ce sont ces rituels qui vont permettre à Patrocle et à Hector de rejoindre les Champs Élysée, et non de terminer au plus profond du Tarare, parmi les âmes du commun.
Les coutumes funéraires des Germains
En Germanie, comme ailleurs, les tombes des personnalités héroïques et bienfaisantes deviennent des sanctuaires.
On n’entasse sur le bûcher ni étoffes ni parfums ; on n’y met que les armes du mort ; quelquefois le cheval est brûlé avec son maître. On dresse pour tombeau un tertre de gazon : ces pompeux monuments que l’orgueil élève à grands frais leur sembleraient peser sur la cendre des morts.
Ces monuments commémoratifs peuvent cependant atteindre 10 m de haut et 75 m de large, comme en témoignent les plus importants sites funéraires scandinaves.
La tombe typique est construite de plaques de pierre ; on y place le cercueil de bois avec son contenu et on couvre le tout d'un tertre de terre (Danemark) ou de pierres (Norvège et Suède). Pour le cercueil, on semble avoir employé de préférence du bois de chêne et c'est cet usage qui nous a conservé une partie du contenu de certaines tombes. Après la toilette funéraire, le mort était étendu sur une peau de bœuf, habillé et paré de ses bijoux. Les hommes recevaient leurs armes, les femmes leurs plaques de ceintures, etc. (excepté dans les régions où le bronze était rare). Le mort était alors couvert et enveloppé dans la peau ; on plaçait près de lui un bol d'hydromel, ou des boîtes avec de la nourriture.
Sur les parois de la chambre funéraire sont habituellement représentées des armes et des guerriers en train de combattre, ainsi que des figures masculines ou féminines, identifiées comme des prêtres et prêtresses. Ils peuvent alors être représentés pratiquant des sacrifices humains. Motif indo-européen typique, le cheval est présent sous la forme de scènes de chasse ou de course.
Les pratiques funéraires des Scandinaves ne sont cependant pas homogènes. On observe en parallèle à ces tumulus, l'immolation de navires funéraires sur lequel était placé le corps du défunt, accompagné de ses biens les plus chers (épée, cheval, possiblement femmes et esclaves).
Vers -500, le mythe du voyage en barque s'exprime par la mode funéraire des tombes naviformes. Le bateau est alors un des motifs les plus communs de la peinture et gravure rupestre. Cette coutume funéraire se retrouve dans la mythologie de l'Edda :
Les funérailles de Balder représentent un premier type : le dieu mort fut placé sur un bûcher construit sur un bateau. Quand le bûcher commença à flamber, le bateau fut mis à l'eau et emporta le mort vers sa destinée. Le mort pouvait aussi être abandonné aux flots dans son bateau sans incinération
Ainsi que dans l'épopée germanique de Beowulf :
« Quand le moment fatal fut venu Scyld partit, sous la garde de Dieu, pour le long voyage. Ses chers compagnons le portèrent à la mer, ainsi qu’il l’avait ordonné pendant qu’il régnait [..]. Dans le port se trouvait une barque bien équipée, la barque du roi. Ils y placèrent, près du mât, leur souverain. La barque était remplie d’objets précieux et de trésors venant de lointains pays. Jamais, à ma connaissance, esquif ne reçut une plus belle parure d’armes et d’habits de guerre : cette masse de trésors devait partir avec lui sur les flots. Ils ne furent pas moins prodigues de dons envers lui que ne l’avaient été ceux qui l’avaient livré seul, après sa naissance, au caprice des vagues. Ils firent flotter une bannière d’or au-dessus de sa tête, puis l’abandonnèrent à la mer. L’esprit tout rempli de tristesse, ils n’auraient pu dire en vérité qui recevait la charge du navire. » Beowulf, 1 Trad. Botkine.
Les rites funéraires liés à la mort de Beowulf sont tout à fait similaires à ceux qui marquent la mort des héros grecs Patrocle et Achille :
« Les Goths préparèrent un bûcher solide auquel ils suspendirent des casques, des boucliers et des cottes de mailles brillantes, ainsi que Beowulf l’avait recommandé ; au milieu ils placèrent leur roi en gémissant. Ils allumèrent ensuite un grand feu…. Une fumée noire sortit de la flamme et s’éleva en même temps que leurs gémissements ; la flamme dévora pendant ce temps le corps de Beowulf. Ils se lamentèrent sur la mort de leur roi ; la vieille épouse gémissait aussi : elle était affligée... La fumée se perdit dans le ciel. Les Goths construisirent ensuite sur la colline un tombeau large et élevé qui pouvait être vu de loin par les navigateurs ; ils firent ce monument de Beowulf en dix jours, puis ils l’entourèrent, selon les indications des plus habiles, d’une belle muraille. Ils enfouirent dans la tombe les bracelets, les sigles et tous les objets précieux qui avaient été dérobés au trésor : ils les confièrent à la terre où ils se trouvent encore aujourd’hui, toujours aussi inutiles aux hommes qu’ils l’ont été jadis. Douze nobles chevauchèrent autour de la tombe : ils pleuraient leur roi et s’entretenaient de lui, ils parlaient de ses prouesses et vantaient sa vaillance de toutes leurs forces, ainsi qu’il convient de faire envers un roi défunt. C’est ainsi que les Goths pleurèrent la mort de leur roi et répétèrent qu’il avait été le plus doux et le plus bienveillant des princes, et le plus avide de louanges d’entre tous les hommes. » Beowulf, 43.
Dans la même veine littéraire, mentionnons les funérailles de Siegfried.
Les funérailles de Siegfried sont racontées au chapitre 17 de l'épopée des Nibelungen (trad. Laveleye) :
« Ils pleurèrent, du fond du cœur, l’époux de Kriemhilt. On allait chanter la messe ; de toutes parts hommes et femmes se dirigèrent vers l’église. Il y en eut bien peu qui ne déplorèrent pas la mort de Siegfried. […] Le cercueil fut prêt vers le milieu du jour. On leva Siegfried de la civière sur laquelle il était couché. […] On enveloppa le mort dans une riche étoffe ; nul, je pense, n’était là qui ne versât des larmes. […] Quand on entendit qu’on chantait à la cathédrale, et qu’on l’avait enfermé dans son cercueil, une grande foule se rassembla. Que d’offrandes on fit pour le salut de son âme ! Même parmi ses ennemis, plus d’un se prit à le regretter ! La pauvre Kriemhilt dit à ses camériers : « Pour l’amour de moi vous allez devoir vous donner de la peine. Au nom de l'âme de Siegfried, vous distribuerez son or à tous ceux qui lui veulent du bien et qui me sont dévoués. »
Nul enfant, si petit, qui, parvenu à l’âge de raison, ne voulût aller à l’offrande. Avant qu’il fût enterré, on chanta bien cent messes par jour. Les amis de Siegfried s’y pressaient en foule. Quand on eut fini de chanter, le peuple se dispersa. Dame Kriemhilt parla : « Vous ne me laisserez point seule, cette nuit, veiller le corps du héros sans pareil. Avec lui toute joie est enfermée dans cette bière. Je veux qu’il reste ainsi trois jours et trois nuits, afin que je puisse encore jouir de la présence de mon époux bien-aimé. Peut-être Dieu ordonnera-t-il que la mort me prenne aussi. Ainsi finirait la douleur de l’infortunée Kriemhilt. »
Les gens de la ville rentrèrent en leur logis. Mais elle ordonna aux prêtres, aux moines et à toute sa suite, de veiller près du héros. Ils eurent de tristes nuits et des journées pénibles. Plus d’un guerrier resta sans boire et sans manger ; à ceux qui voulaient prendre de la nourriture, on en offrait en abondance ; Sigemunt y pourvoyait ; c’était une grande besogne pour les Nibelungen. Pendant ces trois journées, avons-nous entendu dire, ceux qui savaient chanter accomplirent une tâche pénible, à cause de la douleur qu’ils éprouvaient. Ils prièrent pour l’âme du guerrier vaillant et magnanime. On fit également aller à l’offrande avec de l’or pris dans le trésor de Siegfried, les pauvres qui étaient là et qui ne possédaient rien. Comme il ne devait plus vivre ici-bas, bien des milliers de marks furent donnés pour son âme. On distribua ses terres arables aux couvents et aux bonnes gens. On donna aux pauvres de l’argent et des vêtements à profusion. Kriemhilt fit bien voir par ses actions combien son âme lui était dévouée.
Au matin du troisième jour, à l’heure de la messe, le vaste cimetière, près de la cathédrale, était rempli de gens de la campagne qui pleuraient et qui rendaient hommage au mort, comme on le fait à ses amis chéris. On dit que dans ces quatre jours, trente mille marks et plus furent donnés aux pauvres pour le salut de son âme. Son corps puissant et d’une si grande beauté était là couché dans le néant.
Quand on eut servi Dieu et que les chants furent terminés, beaucoup d'entre le peuple se tordirent les mains de désespoir. Il fut porté hors de l'église vers la fosse. Là on entendit gémir et pleurer ! Les gens suivirent le corps avec des cris de douleur. Nul n’avait de joie, ni homme ni femme. Avant de le mettre en terre, on chanta et on pria. […] Quand la femme de Siegfried voulut se rendre vers la fosse, un tel désespoir étreignit son cœur fidèle, qu’on fut obligé de lui verser sur le corps à plusieurs reprises de l'eau de la fontaine. [...] On la conduisit vers la fosse. De ses blanches mains elle souleva sa tête si belle, et le baisa mort, le noble et bon chevalier. De douleur, ses yeux si brillants pleurèrent du sang. Ce fut une séparation déchirante. On l’arracha de là ; elle ne pouvait point marcher ; on vit la noble dame tomber sans connaissance. Son corps si gracieux semblait succomber à ce désespoir. Quand on eut mis en terre le noble seigneur, ce fut une désolation sans mesure pour tous les guerriers qui étaient venus avec lui du pays des Nibelungen. Jamais plus on ne vit [son père] Sigemunt joyeux. »
Dans ce récit, les références chrétiennes abondent, mais ne masquent pas les coutumes funéraires typiquement germaniques. Le tumulus a été remplacé par une cathédrale, le bûcher funéraire et les offrandes ont été remplacés par un concert de louanges et de prières, mais comme nous pouvons le constater, la tradition indo-européenne se perpétue :
- Si ce n'est pas un bûcher qui consume les biens du défunt, ses richesses sont néanmoins redistribuées parmi les pauvres, de sorte qu'elles sont, dans une certaine mesure, « sacrifiées ».
- Tout comme le préconise la tradition grecque liée aux funérailles des héros, un banquet est célébré avant que le corps n'entre en terre. Les funérailles de Siegfried se situent dans la longue tradition des funérailles héroïques et populaires, telles que décrites par Xénophon dans les Helléniques. À la mort d'un roi, un deuil solennel de dix jours était suivi dans toute la Laconie. Dans chaque maison, deux personnes libres, un homme et une femme, prenaient les habits de deuil, tandis que des milliers de Périèques et d’Hilotes se rendaient à Sparte « pour chanter les exploits du roi défunt et l’exalter au-dessus de tous ses devanciers ».
- L'exposition du corps avant sa mise en terre dure trois jours et trois nuits, soit exactement la durée réglementaire préconisée par les rituels funéraires aryens (en témoignent le Bundahisn et le Livre d'Arda Viraf).
- Enfin, le comportement pathétique de Kriemhilt, la femme de Siegfried, rappelle celui des reines indo-européennes qui suivaient leur époux dans la mort.
Nous observons dans les autres aires civilisationnelles indo-européennes des pratiques similaires. À propos des tribus slaves Drevlianes, Radimitches, Viatitches, Krivitches et Sévériens, la Chronique de Nestor remarque :
Quand l'un d'entre eux mourait, ils célébraient une fête autour du cadavre, puis ils faisaient un grand bûcher, posaient le mort sur le bûcher, y mettaient le feu ; ensuite ils rassemblaient les os, les mettaient dans un petit vase et plaçaient ce vase sur une colonne au bord de la route. Ainsi font encore aujourd'hui les Viatitches. Telles étaient aussi les coutumes des Krivitches et des autres païens, qui ne connaissaient pas les lois de Dieu et se faisaient des lois à eux-mêmes.
De même, Soslan, le héros sauvage du folklore ossète, héritier de la culture scythe, entre au tombeau accompagné de ses biens les plus précieux, qui sont sans surprise ses armes favorites. Son tombeau est sculpté afin d'y aménager des fenêtres. Il devient alors un mausolée.
Soslan se fit mettre au tombeau. Comme il l'avait prescrit, on plaça près de lui son arc et ses flèches et l'on ménagea les trois fenêtres.
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