Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Quelques pratiques funéraires préhistoriques

Quelques pratiques funéraires préhistoriques

Le culte des ancêtres

Le culte des ancêtres est universel et précède probablement le culte des dieux, si ce n'est celui des esprits (que l'on nomme parfois génies).

En Afrique, ce sont généralement les esprits des parents qui donnent aux enfants le pouvoir magique.1 Les ancêtres jouent effectivement un rôle important dans l'existence des vivants : ils se réincarnent, inspirent les naissances et les morts, influencent la réussite sociale, provoquent les maladies, etc. Dans le processus d'élection du nouveau chamane sibérien, il se peut que ce soit les « ancêtres morts » résidents du monde-autre, qui décident. Selon la doctrine de Confucius : « Vivant, l'homme sage est un exemple en chair et en os pour ses semblables. Mort, il continue d'inspirer ses descendants. »2

Le culte des ancêtres des Dahoméens et des Achantis comportaient des hécatombes humaines, offertes à l'esprit des chefs défunts. Dans la région du Bas-Niger, « les victimes, résignées à leur sort, se chargent des messages des vivants pour les défunts. »3 En Égypte aussi, les morts sont les porteurs de messages pour demander aux dieux d'intercéder en faveur des vivants. Dans la geste des Argonautes, Orphée et Jason honorent « avec une coupe d'or [...] de vin pur offertes à la Terre », les « dieux du pays », et « les âmes des héros morts », afin de leur « prêter avec bienveillance une aide sans réserve et d’accueillir favorablement les amarres du navire. »4 En retour, les vivants sont les garants de la « vie » des morts. Ils sont responsables de la vie éternelle, qui ne serait donc pas éternelle sans eux. Les morts accompagnent mes vivants dans leur vie ; ce sont des véritables « doubles. »

« Ce double, il fallait le loger et l’installer dans une maison appropriée à sa nouvelle existence, l’entourer des objets jadis affectés à son usage et surtout le nourrir des aliments qui avaient la vertu d’entretenir la vie. Voilà ce qu’il attendait de la piété des siens ; voilà ce qu’il en recevait à jours fixes, au seuil de la bonne demeure ou de la demeure éternelle, comme disaient les Égyptiens ; ce seraient ces offrandes qui seules sauraient ranimer et prolonger l’existence de ce fantôme toujours altéré, toujours affamé, toujours menacé de voir s’éteindre, par la négligence de sa postérité, cette vie dépendante, précaire et languissante. Le premier devoir des vivants, c’était donc de ne pas laisser les morts souffrir de la faim et de la soif ; enfermés dans la tombe, ceux-ci ne pouvaient pas pourvoir eux-mêmes à leurs besoins ; c’était aux fils de ne pas oublier les pères et les ancêtres, mais de les nourrir par le pain et la viande, de les désaltérer par la libation. Que si l’on manquait à cette obligation sacrée, les morts s’irriteraient contre les vivants. […] Le mort-vivant avait faim et soif, il lui fallait des aliments et des boissons. Cette nourriture lui était fournie par les livres déposés auprès de lui, puis, comme cette provision était censée s'user, par les repas funéraires qui se célébraient dans la tombe et dont il prenait sa part. Le premier de ces repas se donnait à la fin de la cérémonie de l’enterrement ; puis ces festins se continuaient et se répétaient d’année en année, plusieurs fois par an, aux jours fixés par la tradition et d’ailleurs souvent rappelés par l’expresse volonté du défunt. Une pièce ouverte et publique avait été ménagée dans la tombe en vue de ces réunions ; c’était une sorte de chapelle ou, si l’on veut, de salle à manger, où prenaient place les parents et les amis. Au pied de la stèle où le défunt était représenté en adoration devant Osiris, le dieu des morts, était dressée une table d’offrandes, sur laquelle on déposait la portion destinée au double et l’on faisait couler la libation. Dans la muraille était réservé un conduit par lequel arrivait jusqu’aux statues l’agréable odeur des viandes rôties et des fruits parfumés ainsi que les fumées de l’encens jeté sur la flamme. »5

Le grand égyptologue Gaston Maspéro (1846-1916) ajoute que le mort « avait des prêtres que l’on payait pour lui offrir des sacrifices ; il possédait des esclaves, des bestiaux, des terres chargées de fournir à son entretien. C’était comme un grand seigneur qui séjournait en pays étranger et qui administrait son bien par l’intermédiaire d’intendants attitrés. »6

De même chez les Rapanuis, indigènes de l'île de Pâques, les os du mort sont conservés et reposent à proximité de ce qui fût jadis son village « mais son âme libre irait rejoindre Te Pô, la nuit, où elle vivrait heureuse si les hommes sur terre lui faisaient les offrandes. Sinon, elle reviendrait et s'incarnerait dans un Aku-aku7. Dans la mort, l'homme gardait son rang. S'il avait été roi ou prêtre, guerrier ou artisan, pauvre ou riche, il le resterait de toute éternité. »8 Cette conservation des ossements rappelle le rituel sibérien de la chasse des grands mammifères que nous avons abordé à la fin du chapitre précédent ; ces éléments tendent donc à penser que que l'immortalité de l'âme (des hommes comme des animaux), ainsi que la réincarnation, ont pu être des idées communes dans le paysage intellectuel, mystique et métaphysique du Paléolithique.

Chez les Grecs et Romains :

« Au double des inscriptions funéraires de l’Égypte répond trait pour trait l’image (ἴωλον/eidôlon) des poètes grecs, l’ombre des Latins. Grecs et Latins croyaient également que les rites de la sépulture, dûment accomplis, mettaient cette image ou cette ombre, comme on voudra l’appeler, en possession d’une demeure où elle commençait une vie souterraine qui n’était que la continuation de la vie mortelle. Le mort restait ainsi tout près des vivant ; il était en étroite relation avec eux par les offrandes nourricières qu’il en recevait et par la protection qu’il leur accordait en retour ; dans le repas funéraire, il prenait sa part, au sens propre du mot, de l’aliment et du breuvage. Ce secours toujours impatiemment désiré réveillait chez lui, pour un instant, le sentiment et la pensée ; il lui rendait quelque chose des impressions et des jouissances de la véritable vie, la vie d’en haut, celle qui se passait à la lumière du jour. Faisait-on trop attendre les morts dans leur tombe, ils s’irritaient et se vengeaient de leurs souffrances ; malheur à la famille qui ne savait pas intéresser ses morts à sa durée et les associer ainsi à ses prospérités, malheur à la cité qui se rendait coupable de cette imprudence ! »9

La coutume de manger sur la tombe de ses morts, se retrouve en Slavie grecque (Macédoine, Thrace, zone pontique). Selon le slavophile Robert Cyprien (1807-1865), qui voyagea beaucoup dans la région, les familles se réunissaient sur la tombe lors d'un jour précis de festivité, afin de partager un repas entre différentes générations de vivants et de morts. Au Mexique, on fête aussi les morts en mangeant sur leurs tombes dans les cimetières.

En Chine, dans les tombes des empereurs, en particulier celui de la Grande armée de terre cuite :

« Les morts étaient placés dans des cercueils sur la plate-forme en bois entourant la fosse principale. Ils étaient entourés d'objets précieux, le plus souvent des vases rituels en bronze, mais aussi d'armes en jade et en bronze. [De même, durant la période Zhou], des sacrifices humains étaient déposés dans des fosses annexes, les dépouilles parées de bijoux étaient placées dans des cercueils. Dans le tombeau de Langjiazhuang, on a découvert neuf autres sacrifices humains, dépourvus cette fois de bijoux, probablement d'un rang social peu élevé. C'est dans ce tombeau qu'on a trouvé les premières statuettes en terre cuite qui étaient sans doute employées à la place de sacrifices humains. C'est seulement sous la dynastie des Han que cette coutume cruelle des sacrifices humains disparut. Souvent les morts disposaient dans les tombes de plusieurs chars attelés, dans le cas présent d'un véhicule à deux roues, attelé de deux ou de quatre chevaux, en bois ou en bronze. Faisaient aussi partie du mobilier funéraire les gardiens animaliers de tombe et les tambours, déjà abordés, et aussi toute une série d'instruments de musique : clochettes, pierres sonores, cithares, de la vaisselle en bois ou en laque. Les défunts disposaient donc de tout un viatique afin de ne manquer de rien dans l'au-delà. Des livres étaient aussi déposés dans les tombes, à partir de l'époque Zhanguo il n'est pas rare de retrouver les bibliothèques entières de hauts dignitaires dans leurs tombeaux. »10

Chez les Kabyles, les morts sont en contact avec l'au-delà et en même temps avec la Terre, dont ils assurent la fécondité. À propos des Berbères de Libye, l'historien romain Pomponius Mela rapporte que les Auguléens divinisaient et vénéraient leurs ancêtres. Lorsqu'ils les invoquaient afin de leur demander quelque chose, ils dormaient dans leurs tombes pour que leur réponse arrive durant le sommeil. Le grec Hérodote, source de Pomponius Mela, décrit cette pratique parmi les Nasamons, habitants des alentours de Syrte et Augila (Libye) :

« Voici leur manière de faire des serments et d'exercer la divination. Ils posent la main sur le tombeau des hommes qui parmi eux ont la réputation d'avoir été les plus justes et qui sont considérés comme ayant été des gens de bien, et jurent par eux. Pour exercer la divination, ils se rendent aux tombeaux de leurs ancêtres ; ils y font leurs prières, et y dorment ensuite. Si, pendant leur sommeil, ils ont quelque songe, ils en font usage dans leur conduite. »11

Juste avant sa mort, on donne au malade ou au guerrier blessé ce que l'on peut pour soulager sa souffrance. En Grèce, les dieux Hypnos et Morphée qui saisissent l'âme du défunt possèdent l'opium comme attribut. Un autre sédatif, le lotus, est utilisé en Égypte comme parures funéraires (en témoigne la momie de Ramsès II). En outre, comme c'est le cas avec l'iboga en Afrique pygmée, les enthéogènes permettent de communiquer avec les morts, en entrant dans leur dimension, dans leur propre monde-autre. L'ayawaska des amazoniens est surnommé la « liane des morts » ou la « liane des ancêtres », selon la traduction que l'on préfère. Les Indiens Zunis (Arizona, Nouveau-Mexique) chiquent les feuilles de datura pour « communiquer avec l’âme des ancêtres. »12

 

LA TOUR DU SILENCE DU MAZDÉISME
Trois tours parsies du silence, chromolithographie, Inde, 1881. Installées d'abord en campagne, les tours du silence furent rattrapées par l'urbanité dans les années 1960 et 1970. En bas : Une tour parsie du silence à Bombay. Extrait d'un album photo Bourne et Shepherd, v. 1880. Il s’agissait d'une des dernières tours en activité, au 20e siècle, les dernières tours de Bombay fermèrent pour des raisons de santé publique. Il ne s'agit donc pas tant de tours que d'enclos. Les plus récentes découvertes archéologiques en Afghanistan (Bactriane) font état de la même forme de structures durant l'Antiquité.

 

La cabane à dépouille - Haute-Volta, photo. J. Dumas dans Afrique continent méconnu (préface de L. S. Senghor), Sélection du Reader's Digest, 1979.

 

Le pourrissement de la dépouille en plein air

Par sa simplicité, cette pratique est probablement la coutume funéraire la plus anciennement pratiquée par l'Homo Sapiens. Au siècle dernier, on la retrouvait encore largement pratiquée dans les zones rurales africaines et de nos jours, les zoroastriens la pratique encore, bien que de plus en plus rarement (cette pratique s'adaptant mal à l'urbanité.) La coutume mazdéenne se pratiquait jadis à Bactres et dans le nord de la Perse, dans des enceintes circulaires situées hors des villes13. Cependant, lors du passage d’Alexandre et de ses troupes dans la région, les chroniqueurs grecs furent horrifiés de constater l’omniprésence de dépouilles dans les campagnes, mais aussi dans les ruelles des cités. L’urbanisation se développant, les cadavres furent placés au sommet de tours, afin que les vautours seuls les dépouillent et non les animaux porteurs de maladies (comme la rage du chien ou la peste du rat, pour ne citer que les plus fatales). Si les zoroastriens n'enterrent ni n'immolent leurs cadavres, c'est afin de suivre un précepte de l'Avesta : la mort est le domaine d'Ahriman l'Esprit mauvais, et il faut donc tout faire pour ne pas le laisser s'introduire dans la vie, qui est le domaine du Pur Esprit Bon, Ahura-Mazda. Se voyant approcher de la mort, un homme est donc isolé par sa famille, puis sa famille elle-même le quitte afin qu'il entre dans la mort absolument seul. Aucun visiteur n'est donc admis à son chevet, pas même un mage. Une fois son dernier souffle expiré, son corps est placé dans un cercueil de métal et non seulement de bois, puis transporté le plus rapidement possible à l'aire réservée à l'exposition des dépouilles aux charognards.

Laisser pourrir le cadavre en plein air est une solution lorsque le bois se fait rare, comme au Tibet, où la coutume locale veut que le corps ne soit pas touché des trois premiers jours,14 puis mené en plein air dans un lieu où les vautours vont le manger. Les organes sont détachés et mis à part, enterrés ensuite. Les os sont pilonnés.

Sur l'Île de Pâques, on observe une pratique qui relève à la fois de la momification et de la disposition de la dépouille en plein air. Comme le relève Francis Mazière, « le cadavre enroulé dans une natte de totora,15 comme les Guanches, comme les Indiens du lac Titicaca, irait pourrir et se dessécher sur la petite plate-forme élevée à quelques mètres de l'Ahu. Des mois et des mois, il resterait là, exposé au soleil, au vent, au sel de la mer qui blanchirait ses os. »16

Des coutumes similaires s'observent en Afrique et en Australie. Afin d’accueillir de manière temporaire les dépouilles, des cabanes sont construites sur pilotis, en lisière de village. Chez les Évenks de Sibérie :

« Lors d'un décès, en général, le cadavre est placé sur un brancard installé entre quatre arbres ou sur des pilotis, assez haut pour le protéger des prédateurs (une tombe aérienne). Il est confié aux oiseaux qui symbolisent la forme prise par l'âme pour partir vers son voyage posthume. Il est revêtu de ses plus beaux habits, comme pour un mariage, façon de symboliser la continuité du cycle des vies. Il est enveloppé avec ses objets personnels dans une peau. On laisse de la nourriture pour l'âme et, en partant, on prend soin de brouiller les traces et de tirer des flèches en direction du brancard pour empêcher l'âme de suivre le groupe. »17

Chez les Pieds- Noirs18 des Grandes plaines nord-américaines :

« Le cadavre était lié ou cousu dans une peau de buffalo et déposé sur un arbre ou sur une sorte d’estrade où on l’abandonnait. [...] Presque toujours, les Pieds-Noirs se contentent de déposer le cercueil sur le sol et le laissent là sans autre cérémonie. D’autres construisent une cabane en bois sans toiture, sur une haute colline. Cette case carrée a cinq mètres de large et deux mètres et demi de haut. »19

Les Amérindiens des Grandes plaines suivaient d'ailleurs une coutume tout à fait semblable à celle des mazdéens de Perse. Pour les Corbeaux comme pour les mazdéens, la mort est tabou et il faut s'en prémunir, tout particulièrement lors du moment « charnière » durant lequel la mort, depuis le monde-autre, entre dans le monde incarné pour prendre une vie.

« Les sauvages portent quelquefois à la sépulture des hommes encore vivants. Chez les Corbeaux, il y avait un malade que je visitais chaque jour. Un matin que j’allais le voir, j’aperçus devant la tente un chariot attelé de deux chevaux : j’entrai. Le moribond était revêtu de ses habits de gala, avec la figure peinte en rouge. Les parents étaient assis en silence tout autour de la loge. Au bout de quelques instants, un d’entre eux se leva et me dit : «  Cessez de lui parler  ; il est temps de partir. « Et où voulez-vous aller  ? » « Le porter à la sépulture », répondit-il en me montrant le malade. « Comment  ? Le porter à la sépulture  ? mais il n’est pas mort. » « Oh  ! reprit l’Indien, il sera mort avant que nous n’arrivions à la colline.  »20

Il est ensuite commun, après un certain temps, de sortir les momies ou les squelettes et de promener les dépouilles. Les Waraos de l'Orénoque exposaient jadis les squelettes de leurs ancêtres devant les habitations. Une telle pratique se retrouve chez les Hurons-Iroquois :

« Tous les dix ans, ils les déterraient, nettoyaient leur os, les enveloppaient de fourrures précieuses, les chargeaient sur leurs épaules et les portaient à une fosse commune, la même pour tous les villages environnants. Là se célébrait une fête étrange : pendant plusieurs jours, on chantait, on dansait ; les femmes séparées en deux chœurs pleuraient et se lamentaient, comme autrefois les pleureuses juives ; les orateurs prononçaient d’émouvants discours. Au milieu des squelettes qu’on suspendait aux murs de la cabane du conseil, un chef entonnait ce chant où se révèle tout entière l’âme Huronne-Iroquoise que berce une poésie sombre, et qui se fait de l’héroïsme et de la vengeance une religion. »21

Cette coutume rappelle les momies exposées lors des festivals célébrant le pouvoir royal inca, qui était garanti par les ancêtres royaux toujours actifs et présents dans les affaires politiques du pays.

L'exposition rituelle des ossements n'est pas qu'une pratique amérindienne. Lors de leur fête des morts, les indigènes des îles Nicobar (océan Indien) « exhument les corps de leurs parents et de leurs amis qui ont passé une année sous terre, les portent dans une cabane, et s’accroupissent autour d’eux en criant, sanglotant, et se lamentant. Entre les mâchoires de chaque squelette brûle un cigare.»22

 

Les momies

Pour quelque raison que ce soit, et quelle que soit sa méthode, la momification fut pratiquée en Égypte, chez les Guanches des Canaries, au Tibet, en Grande Polynésie chez les Maoris et chez les Rapanuis de l'île de Pâques, par les Aborigènes d'Australie, ainsi qu'en Amérique du sud.23

On observe deux principales méthodes de momification : la méthode égyptienne consiste à extraire le maximum d'organes susceptibles de subir les effets néfastes de l'humidité, pour les remplacer par des fluides et des produits divers. La méthode océanique, que l'on retrouve des Canaries à l'Amérique du sud en passant par la Polynésie, consiste à assécher le corps en utilisant le vent, puis à l'emmailloter dans des feuilles de plantes médicinales. À propos, la nicotine est utilisée en Égypte (sous forme de ballots de tabac bourrés dans la dépouille), dans l'océan Indien (sous forme de cigares brûlés lors de cérémonies) et en Amérique (sous forme de feuilles recouvrant la momie).

Les plus anciennes momies, datées approximativement de -5000, appartiennent à la culture des chasseurs-cueilleurs Chinchorro du Chili, datée approximativement entre -7000 à -1500. Il s'agit de momies peintes composées de crânes recouverts d'argile sur des squelettes renforcés par des plantes. Il est intéressant de constater que les deux premières civilisations ayant pratiqué la momification, les Chinchorro et les Égyptiens, sont voisines de déserts (Atacama et le Sahara) : il convient donc de penser que les premières momies furent naturellement conservées dans le sable grâce au climat très sec, puis que des procédés thanatologiques furent inventés afin d'imiter cette méthode rudimentaire de conservation. Les momies purent alors être placées au cœur même de villages implantés dans une oasis (Fayoum), une vallée fluviale (le Nil) ou sur le littoral (Chichorro).

En Amérique du sud, les Chachapoyas plaçaient leurs momies en des lieux élevés et inaccessibles au pillage ou au vandalisme. En Amérique du sud et sur l'Île de Pâques, la momification avait pour objectif de permettre aux ancêtres de demeurer « physiquement » dans leur tribu afin de continuer à influencer les vivants. Les chefs et les patriarches étaient donc momifiés à cet effet. En Égypte, ce furent d'abord le pharaon et ses proches, puis, avec la démocratisation de la pratique, chaque notable pouvait choisir de se faire embaumer.

Le rôle de la momification est de rendre le corps le moins sensible possible à la destruction engendrée par le passage du temps. En Égypte, « l’embaumement, pratiqué avec les soins minutieux que l’on sait, rend la momie à peu près indestructible, aussi longtemps du moins qu’elle demeure couchée dans cette terre sèche de l’Égypte qu’aucune pluie ne perce et ne détrempe. »24 Il s'agit de faire perdurer le corps physique dans le temps, afin de permettre à son « double » (l'âme) de « vivre » le plus longtemps possible dans le monde post-mortem.

Au Tibet, ce sont les plus révérés gourous (lamas) que l'on momifiait jusqu'à une époque très récente (pré-communiste). Les légendes tibétaines racontent même que les momies sont en réalité des gourous encore bien vivants, mais en quelque sorte « endormis ». Il a d'ailleurs été retrouvé, dans des statues présentes dans des temples bouddhistes tibétains, des corps momifiés en position méditative (dos droit, mains jointes, jambes accroupies). Momifiés, puis statufiés par un revêtement en bois ou en plâtre, les gourous pouvaient ainsi encore être adorés après leur mort physique.

Chez les Incas du Pérou, lors de festivals, les momies des ancêtres (dont celle du grand Munco Capac) étaient dépouillées de leurs parures et présentées en public. La coutume qui consiste à « promener » et à exposer le corps des ancêtres se retrouve en Amérique du nord, en Australie et en Afrique. La même coutume se retrouve en Gaule, à Acy-Romance, « vers 150 av. J.-C., trois momies assises [en position de méditation dite du lotus] face au soleil levant trônent sur la place principale. […] Des ancêtres, des héros ou des vaincus ? Les corps des défunts, que ce soient les ennemis ou les ancêtres, sont régulièrement mis en exergue dans les temples et dans les espaces publics. »25

1 H. Hubert, M. Mauss, Mélanges d’histoire des religions, Félix Alcan, Paris, 1909.

2N. Treiber, La Philosophie de Confucius, Éditions du Sens, 2020.

3S. Reinach, Orpheus, Histoire générale des religions.

4Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques, II, 1271-1276, trad. Vian et Delage, 2019.

5G. Perrot, De l’Idée de la Mort chez les anciens Égyptiens et la tombe égyptienne.

6G. Maspero, Conférence.

7« Fantôme. »

8F. Mazière, Fantastique Île de Pâques.

9G. Perrot, De l’Idée de la Mort chez les anciens Égyptiens et la tombe égyptienne.

10J. Hildebrand, « Chine » dans Les Grandes civilisations du monde, vol. 2, Celiv, 1996.

11 Hérodote, Histoires, Livre 4.

12A. Soubrouillard, Le chamanisme et les plantes hallucinogènes.

13La tour de Ribement-sur-Ancre (Somme), de 5 à 6 m de haut, présente de très nombreuses dépouilles. Appartenant aux perdants ou aux vainqueurs de la bataille, elles sont placées au centre d'une tour, laissées aux oiseaux, puis recouvertes de libation (débris d'amphore), lors d'une cérémonie complexe.

14« L'arrêt du pouls et la suspension de la respiration ne sont pas considérés comme des critères de disparition de la vitalité. Les Tibétains considèrent que l'esprit subsiste généralement dans la carcasse mortelle pendant plus de trois jours [...] Aussi considère-t-on comme particulièrement coupable le fait de bouger un corps ou de s'en débarrasser juste après la mort. Au Tibet, comme en Mongolie, les corps de toutes les catégories d'hommes sont précautionneusement conservés dans les maisons durant trois jours au cours desquels les amis et parents les veillent et prient pour leur bien-être futur. Au matin du quatrième jour, on consulte l'horoscope du défunt et celui de la femme qui a été choisie pour être la première à pouvoir touché le corps en vue de l'enlever. » Sarat Chandra Das, Voyage à Lhassa et au Tibet central. Olizane, 1994.

15Le totora est aussi appelé massettes, typha ou encore quenouilles.

16Fantastique Île de Pâques.

17Y. Lambert, La naissance des religions.

18Blackfoot.

19P. V. Baudot, Au Pays des Peaux-Rouges.

20P. V. Baudot, op. cit.

21A. Guindon, En Mocassins.

22Voyage de Circumnavigation de la frégate autrichienne La novara (1857-1859), dans Le Tour du monde, Hachette, Paris, 1860.

23À noter que les fameuses momies du Tarim, d'origine proto-tokharienne et indo-européenne, ne sont pas de véritables momies ; c'est le désert du Taklamakan qui les a conservée de manière « involontaire » et non quelques méthodes relevant de la thanatologie.

24 G. Perrot, De l’Idée de la Mort chez les anciens Égyptiens et la tombe égyptienne.

25L'Archéologie, octobre 1995, décembre 1998, janvier 1999.

Quelques pratiques funéraires préhistoriques
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article