26 Novembre 2023
De Ruben Bareiro Saguier, La genèse guarani, dans Le Couririer de l'Unesco, mai 1990.
Ruben Bareiro Saguier (1930 – 2014) est un écrivain paraguayen, spécialiste de la culture et de la langue guarani, est chercheur au C.N.R.S., puis ambassadeur de son pays en France.
L'être initial
« Au sein des ténèbres primitives, Notre-Père-Ultime-Ultime-Premier « fait surgir son propre corps » du chaos originel. […] La deuxième étape de la création est anthropogonique. Elle ne concerne pas encore la figure humaine proprement dite, mais seulement ce qui doit être son attribut principal : la parole. Fragment de la parole divine, le langage humain permettra au Guarani de communiquer avec la divinité et de bénéficier d'une condition propre aux dieux : l'immortalité. Il
constituera, en outre, ce ciment social qui fonde et façonne la communauté, assure la solidarité collective. Cette parole, Yayvú, tout à la fois divine et humaine, est à distinguer du langage utilisé dans les simples relations entre les hommes, le ne'ê.
La naissances des dieux
L'étape suivante correspond à la création de quatre dieux principaux qui aideront Namandú dans sa rude tâche cosmogonique. Chacun d'eux officie dans un domaine déterminé : Namandú Grand-Coeur est le maître des mots ; Karai est le maître des flammes, du feu solaire ; Jakairá, le maître de la brume, qui apaise la chaleur, et du brouillard vivifiant ; Tupâ est maître de l'eau, de la mer, de la pluie, du tonnerre, de la foudre et de l'éclair. Chacun crée sa propre compagne, qui porte invariablement le nom de « vraie mère ».
La création de la terre
La quatrième et dernière étape coïncide avec la création de la première terre, celle de l'homme et de la femme, des animaux et des végétaux. Au centre de cette terre en gestation surgit un palmier (pindo) de couleur bleue, symbole du sacré, soutenu par quatre autres palmiers répartis dans
les quatre directions de la rose des vents et du temps (en guarani, un même mot, ara, désigne ces deux concepts). Cinq palmiers bleus, tels les doigts d'une main, soutiennent donc le lit de la terre.
Le ciel
Puis vient la création du firmament, qui repose lui aussi sur quatre colonnes, auxquelles s'ajoute une cinquième pour éviter que le ciel ne continue de bouger sous l'effet des vents. [...] Le serpent délimite la superficie de la terre ; le chant de « la petite cigale colorée » fait naître le son ; le coléoptère appelé girino donne vie aux eaux en frôlant de ses ailes la surface liquide ; avec la sauterelle verte vient la prairie, car là où elle pose ses pattes, l'herbe se met à pousser. Le tatou « déflore la terre » en y creusant ses galeries ; la nuit tombe quand la chouette, « maîtresse des ténèbres », se repose.
La création de l'homme et de la femme
Vient enfin pour Namandú le moment de créer l'homme et la femme. Cet acte génésique n'est pas « décrit ». Notre-Père-Ultime-Ultime-Premier confère le « bon savoir » aux « élus » et ordonne au dieu Jakairá de leur placer le halo de vie au-dessus de la tête, afin que « la brume vivifiante couronne la tête de mes fils, de mes filles », dit le Créateur. A Karai, il demande de « loger » en ses filles et ses fils bien-aimés « les flammes sacrées, les belles flammes ». A Tupâ, il enjoint de faire jaillir « la source de la fraîcheur » dans le « cœur du cœur » de ses créatures humaines.
L'âge d'or
Cette tâche achevée, Namandú se retire en sa demeure éternelle, laissant à ses auxiliaires le soin de veiller au destin de son oeuvre : la première terre, parfaite, ignorant le mal, où dieux et hommes vivent en harmonie. Grâce à l'observance des règles qui conduisent à la perfection, les humains restent altiers, à l'instar des dieux, et partagent avec eux l'attribut suprême de l'immortalité.
Le déluge
L'éternité prend fin lorsque les hommes enfreignent les règles et tombent dans l'animalité. La chute est entraînée par la transgression majeure, l'inceste, que Jeupié commet avec la sœur de son père, une rupture grave de l'équilibre imposé par le système de filiation guarani.
Le châtiment qui s'ensuit est la destruction de la première terre, qui disparaît sous le déluge. Les seuls à échapper au cataclysme sont pourtant les protagonistes de la transgression incestueuse !
À force de prières et de chants rituels, ils atteignent à la nage le palmier éternel et y grimpent
pour échapper à la mort. Non seulement ils survivent, mais Jeupié, « Seigneur du mauvais amour », accède à la condition divine et devient le chef d'une catégorie de dieux mineurs.
La nouvelle Terre
Notre-Père-Ultime-Ultime-Premier éprouve maintes difficultés à créer une nouvelle terre. Plusieurs de ses acolytes se refusent à assumer une telle tâche, vouée à l'échec. Jaikará se résigne enfin à fonder une terre imparfaite, tout en sachant que celle-ci « annonce déjà la déchirure, pour le malheur de nos fils et des derniers de nos enfants ».
La rupture entre l'univers divin et le monde humain est consommée avec l'instauration de la « terre imparfaite », la « patrie de la mauvaise vie ». L'homme perd la double dimension divine et humaine de l'immortalité et doit se résoudre à sa condition de simple mortel.
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