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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

L'OCÉAN PRIMORDIAL (mythe cosmogonique)

Toutes les formes de vie proviennent du sein de la nature matérielle, et J’en suis le père, qui donne la semence. 

Bhagavad Gita, 14, 4.

Observons différentes cosmogonies. Malgré les grandes distances qui séparent ces différentes traditions, à la fois géographiques et temporelles, les mêmes thèmes reviennent avec insistance.

 

L'océan (le chaos) primordial

Ce qui est peut-être le plus manifeste dans toutes les cosmogonies, c'est la présence et le rôle fondamental d'une vaste étendue d’éther qui sera domptée par les démiurges qui en feront naître toute sorte de créations et de créatures, fastes ou néfastes. La mer initiale est représentée sous la forme d'un marasme chaotique dont découlent toute existence et toute réalité.

En témoigne la première tablette babylonienne de l'Enuma Elish, retrouvée dans la bibliothèque du roi Assourbanipal à Ninive (première trace du mythe v. -1800, rédaction des tablettes v. -700) :

Lorsque Là-haut le ciel n’avait pas encore de nom et qu’ici-bas la terre ferme n’avait pas encore été nommée, il y avait Apsu, le dieu des eaux douces et souterraines, le premier de tous et la déesse du chaos et des eaux salées, Tiamat, de qui tous les dieux naquirent. Ensemble ils mélangèrent leurs eaux primordiales, à une époque où les prairies n'étaient pas formées, ni les berges fertiles des fleuves. Aucun des dieux n'avait encore été nommé et aucun d'eux ne vivait encore. Aucune destinée n'avait encore été décidée.

L'océan du chaos est d'ailleurs un mythe universel, qui est repris de nos jours par la science la plus élémentaire. Celle-ci pose en effet comme incontournable hypothèse le marasme électromagnétique avant l'explosion de l'Univers et sa solidification.

Citons dans le Rig-Veda, l'hymne à l’Âme Primordiale de l'Univers :

« Au commencement les ténèbres étaient enveloppées de ténèbres ; l'eau n'était troublée d'aucune vague. Tout était confondu. Rien n’existait alors, ni visible, ni invisible. Il n'y avait pas de région supérieure, ni d’air, ni de ciel. Où était cette coquille rempli des mondes à paraître? Dans quel lit se trouvait contenue l'océan primordial? S'il n'y avait rien, où donc étaient les profondeurs impénétrables de l’espace ? Qui sait ces choses ? Qui pourrait les dire ? D’où viennent les êtres ? Comment fut la Création ? La mort n'existait pas, pas plus que l'immortalité, point d’immortalité. Rien n’annonçait le jour ni la nuit. Lui seul respirait, mais en laissant échappé aucun souffle, renfermé sur lui-même. Il n’existait alors que lui, l’Être qui reposait au sein de ce chaos, et qui, par la force de sa volonté, fut de ce grand Rien le grand Tout. »

De toutes les théogonies proposant l'océan du chaos comme origine à l'Univers, celle d'Hésiode est la plus célèbre de toutes. C'est celle qui inspira Ovide, Platon et bien d'autres. Comme elle présente des ressemblances avec le Cycle de Kumarbi, une épopée hittite et hourrite qui la prédate de près d'un millénaire, ce dernier texte est souvent proposé comme source littéraire du poète grec. Le corpus relatif à l'épopée anatolienne est si lacunaire, qu'il est difficile de s'en faire une idée correcte. Cependant, au premier millénaire avant notre ère, la Grèce était tournée vers l'Asie mineure et la Phrygie, deux contrées qui lui transmirent le culte de Cybèle (Aphrodite) et de Dionysos (Sabazios). Il n'y a aucune raison de penser que cela n'était pas déjà le cas un millénaire plus tôt, durant l'âge d'or des civilisations mycénienne, hittite et hourrite.

Chez Hésiode, comme dans le mythe cosmogonique brahmanique, l'Amour est une entité céleste primordiale, qui appartient à la première génération divine : toute comme Kamadeva naît de la pensée de Brahma (l'être initial né de l’œuf cosmique), Éros naît de la Terre, qui est la toute première forme émergeant de l’éther.

Les Métamorphoses d'Ovide reprennent ce mythe :

« Avant la création de la mer, de la terre et du ciel, voûte de l’Univers, la nature entière ne présentait qu’un aspect uniforme ; on a donné le nom de chaos à cette masse informe et grossière, bloc inerte et sans vie, assemblage confus d’éléments discordants et mal unis entre eux. Le soleil ne prêtait point encore sa lumière au monde ; la lune renaissante ne faisait pas briller son croissant : la terre, que l’air environne, n’était point suspendue et balancée sur son propre poids ; et la mer n’avait point encore étendu autour d’elle ses bras immenses ; l’air, la mer et la terre étaient confondus ensemble : ainsi la terre n’avait pas de solidité, l’eau n’était point navigable, l’air manquait de lumière ; rien n’avait encore reçu sa forme distincte et propre. Ennemis les uns des autres, tous ces éléments rassemblés en désordre, le froid et le chaud, le sec et l’humide, les corps mous et les corps durs, les corps pesants et les corps légers, se livraient une éternelle guerre. Un dieu, si ce n’est la bienfaisante Nature elle-même, mit fin à cette lutte, en séparant la terre du ciel, l’eau de la terre, et l’air le plus pur de l’air le plus grossier. Quand il eut débrouillé ce chaos, et séparé les éléments en marquant à chacun d’eux la place qu’il devait occuper, il établit entre eux les lois d’une immuable harmonie. »

Comme le suggère la puissante poésie du Kalevala, c'est bien l'océan du chaos qui recueille en lui la vierge primordiale, Luonnotar. Semblable à l’ « océan en expansion » des puranas vishnavites, il est cette masse informe, infinie, incontrôlable, dont le contact permet à toute création d'être. Océan du chaos, il n'est pas l'océan de la destruction, mais la source inépuisable de toutes les créations qui furent et seront. Tout comme Vishnou est endormi, allongé sur Sesha, le serpent qui flotte sur Garbhodaka (Éther), Luonnotar est elle aussi alanguie sur des vagues impétueuses.

La belle vierge de l’air, avait longtemps vécu dans une constante virginité, au milieu des vastes contrées de la voûte aérienne. Elle se fatigue enfin de vivre perpétuellement seule et vierge dans les espaces déserts. Elle quitte ses hautes régions, elle descend vers la mer, sur la croupe blanchissante des vagues. Aussitôt un vent impétueux, un fort vent d’orage, souffle du côté de l’Orient ; il fait écumer la mer au loin, il chasse la vague, qu’il fouette ; la fille de l’air est bercée, elle est ballottée par les flots autour des golfes bleus, parmi les cimes écumantes, et le vent la caresse, et la mer la rend féconde.

A. Geffroy, La Finlande et le Kalevala

L'océan primordial

hindou

Garbhodaka (Chaos en expansion)

puranique

Ksheera Samudra (Océan de lait)

mazdéen

Vourukasha

grec

Chaos

romain

Éther

scandinave

Ginnungagap

tchakavien

Khulapye

égyptien*

Nout

Le mythe de l'océan primordial se retrouve absolument partout, car il naquit spontanément dans l'esprit de l'homme, depuis les temps les plus reculés du Néolithique, si ce n'est du Paléolithique.

Parmi d'innombrables exemples, citons ce mythe cosmogonique micronésien, Ena et l'île mystérieuse, qui commence ainsi :

Le monde n'était encore qu'un vaste océan. 

C.-C. Ragache, La Création du monde.

Ou encore la cosmogonie du Pacifique maori et polynésien :

Taaroa, le grand ordonnateur, est la cause de la terre. Taaroa est toïvi, il n’a point de père, point de mère, point de postérité. Taaroa restait dans le néant : il n’y avait alors ni terre, ni ciel, ni mer. La terre flottait sans direction, agitée comme l’eau au souffle du vent : elle n’était point fixée. 

L. Gaussin, Traditions religieuses de la Polynésie.

Dans La Création du monde et le conte Les Fils du Ciel et de la Terre, C.-C. Ragache complète le récit précédent :

Pourtant, dans cette obscurité immobile, apparut un parfum, léger d'abord, puis de plus en plus net. Il flottait dans l'espace inanimé. Il était né aux confins du Vide, dans la direction que les hommes, beaucoup plus tard, appelleraient l'Est. Puis, toujours vers l'Est, l'obscurité se déchira, et la lumière apparut. Dans les rais de cette lumière dansaient des grains de poussière, car le mouvement et la matière étaient nés également. Le grand bouleversement qui devait conduire à la formation de l'Univers avait commencé.

Ces récits cosmogoniques polynésiens trahissent peut-être une influence brahmanique, qui a pu s'exprimer par le média du commerce ou des migrations dravidiennes (tamoules) dans la région, mais rien n'est moins sûr. Des tentatives ont été entreprises pour relier la mythologie et le peuple maori de Nouvelle-Zélande aux Indiens aryens, mais sans résultats probants (confère E. Tregear, The Aryan Maori).

L'origine aquatique de la vie est décrite de manière métaphorique dans chacune des cosmogonies liées à Brahma et Vishnou, de même que dans les mythes de création des indigènes (adivasis) indiens birhor (ethnie maria du Jharkhand) :

À l'origine, seules existaient les Eaux, avec un plant de lotus dont la tête émergeait. Singbonga, l'Esprit suprême, habitait dans les régions inférieures. Par la tige creuse du lotus, il monta à la surface des Eaux et s'assit sur la fleur du lotus. Puis Singbonga décida de créer la Terre. Il ordonna à la tortue de lui chercher, au fond de l'Océan, de la boue. Mais la tortue échoua dans cette entreprise, et, après elle, le crabe. Enfin, la sangsue plongea, avala de la boue et revint la dégorger dans la main de Singbonga, qui forma, à la surface des Eaux, un continent carré et bordé de quatre mers. Puis Singbonga sema des graines et les arbres poussèrent. 

P. Grimal, Mythologies classiques (d'après S. C. Roy, The Birhors).

Par ailleurs, les travaux d'Anaximandre de Milet (v. -610 à v. -546), théorisaient déjà le créationnisme moderne, faisant du poisson l'ancêtre de l'amphibien, puis de l'homme. Un millénaire plus tard, le Coran ne dira pas autre chose :

Et qu'au moyen de l'eau nous donnons la vie à toute chose.

Coran 21, 31.

Dans l'hindouisme, Vishnou Narayana est le maître (refuge) des eaux :

« Brahma, le créateur de tous les êtres, est accompagné partout et en toute chose de Vishnou, le maître des eaux primordiales.

Vishnou trône au-dessus de l'océan initial d'où proviennent toutes les existences incarnées ou spirituelles. Il s'agit d'un océan de lait, dans lequel nage un serpent cosmique nommé Sesha. Sesha est le gardien de l'univers qu'il délimite en l'entourant de son long corps écailleux. C'est sur son dos que Vishnou est allongé, relié à Brahma par son ombilic.

De Vishnou, l'agent spontané de l'univers, sont sorties les diverses classes de créatures. C'est de lui que provient la création éternelle, l'énergie qui se renouvelle à chaque instant et permet à l'univers de demeurer l'univers.

Bien qu'allongé sur Sesha, Vishnou réside en même temps en plusieurs autres sanctuaires. Au même instant, il est debout, assis et allongé, tout en se déplaçant autour de toute chose et en s'incarnant en de très nombreux avatars. Depuis l'intérieur des choses, il est celui qui contrôle ces choses. Si jamais, ne serait-ce qu'un instant, les univers étaient privés de sa protection, ils s'effondreraient aussitôt.

De même, quand l'univers se dissoudra à nouveau dans l'océan primordial, Vishnou fera une fois encore surgir les créatures du chaos originel, afin que leurs âmes ne soient pas piégées dans l'immensité.

Vishnou, voulant créer les différents êtres, forma d’abord les eaux dans lesquelles il déposa un germe vivifiant. Ainsi Vishnou est nommé Narayana ce qui veut dire « le refuge du seigneur des eaux » car c'est en Vishnou que, premiers dans l'ordre de la création, les eaux trouvèrent leur repos et leur maître. » Récit inspiré du Harivamsa.

L'OCÉAN PRIMORDIAL (mythe cosmogonique)

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