28 Avril 2025
Le chamanisme aborigène
La première vague démographique en Inde, et donc la première couche culturelle identifiable, est celle des aborigènes australoïdes, entrés vers -70 000 ans. Des traces de culture préhistorique aborigène, de type ethnique proto-australoïde s'observent chez les ethnies forestières Veddas, à Ceylan et ailleurs (des connexions évidentes sont établies avec les Négritos des îles des mers de Siam et bien sûr les Aborigènes australiens).
« Les Adivasis sont représentés principalement par les tribus que l'on appelle les Proto-Australoïdes. Pour comprendre ce que cette expression signifie, il faut savoir que la plus ancienne implantation humaine en Australie est datée d'environ -40 000 ans. Cette implantation ne peut provenir que d'une migration venue du continent asiatique à la faveur des ponts terrestres qui furent réalisés pendant la glaciation de Würm. C'est pourquoi il est possible de retrouver en Asie des populations dont les ancêtres du Paléolithique moyen furent à l'origine de cette migration. Les plus connus sont les Vedda de Ceylan, qui passèrent de l'Inde à Ceylan pendant l'âge glaciaire. [...] Les Veddas, qui étaient la population la plus primitive de Ceylan, n'existent pratiquement plus depuis quelques années; car ce qui en restait au début du XXe siècle s'est fondu avec les Cinghalais et les Tamouls, à l'exception d'un petit nombre. Les Veddas sont des dolichocéphales de petite stature: ils sont caractérisés avant tout par des « proportions infantiles », dont on retrouve les traces parmi les populations dravidiennes du continent. D'une taille de 1,54 m à 1,56 m, la peau brun foncé, les cheveux longs ondulés, mais avec une pilosité réduite, le front fuyant, une forte saillie des arcades sourcilières, ils n'ont point d'affinités avec les Négroïdes africains. » (J. Dupuis, Histoire de l'Inde des origines à la fin du XXe siècle, Ed. Kailash, 2005.)
Ces tribus, rares de nos jours, ont toutes adopté des langues aryennes (Ceylan) ou dravidiennes (Deccan). Leur spiritualité ancestrale demeure difficilement appréciable, mais tentons cependant un portrait consensuel et prudent de leur spiritualité.
Tout d'abord, cette culture préhistorique indienne ressemblerait à ce que l'on peut trouver en Australie, en particulier concernant l'art rupestre (Bhimbetka), mais pas seulement. Leur croyance est une sorte de chamanisme structuré autour de mythes fondateurs récurrents, que l'on retrouve presque identique de la Sibérie jusqu'en Australie et bien sûr en Afrique (J. D'Huy, Cosmogonie, 2020).
Il s'agit de paléo-mythes, souvent de natures cosmogoniques : l'océan du chaos, le serpent cosmique, les jumeaux fondateurs... Le serpent-monde sera repris dans le vishnouisme classique, avec la figure de Sesha.
Supposons aussi le culte des pierres, dont la fameuse « Pierre Noire » et le quartz, dont on trouve des traces évidentes dans les mythologies krishnaïte et shivaïte (Lingam). Citons aussi le culte de la lance magique, à la fois lié à la chasse et à la fertilité. Ce mythe, qui est par ailleurs largement étudié en Australie, laissera une trace certaine dans le shivaïsme : Vel, la lance de Skanda (le fils de Shiva), est aussi sa sœur et elle est douée d'une âme. Cet animisme des objets et cette symbolique récurrente de ce qui peut potentiellement faire jaillir le sang, remontent à un âge immémorial.
Nous ne pouvons pas non plus manquer de trouver dans les couches mythologiques indiennes les plus anciennes, des échos de l'Alcheringa australien, traduit parfois comme « le temps du rêve » (Dreamtime). Ce concept, qui domine toute la mythologie aborigène, se résume ainsi : la réalité n'est complète que si l'on prend en considération, outre le monde de l'apparence et de l'incarné, un monde-autre. Ce monde-autre, tout à fait typique du chamanisme le plus basique et universel, n'est pas un monde parallèle, ni un paradis, mais une origine, à la fois dans le temps et dans l'espace, à l'humanité, mais aussi à l'ensemble de la vie, minérale comme biologique, divine comme terrestre. L'Alcheringa-Dreamtime est autant une réserve à la matière, qu'une matrice. Le rôle des chamanes est alors de la rejoindre, de l'activer, en y rencontrant les esprits des choses et des animaux. Cette espace, qui n'est ni bon, ni mauvais, deviendra dans l'hindouisme puranique l'océan des possibles, au-dessus duquel n'existe que Vishnou-Narayana, allongé endormi sur le serpent cosmique Sesha. Dans sa posture Narayana, Vishnou est donc un démiurge qui rêve et dont l'onirisme guide la création.
L'importance des rêves et du message onirique est un héritage du chamanisme : un Monde-Autre existe, et lui seul est le véritable « moteur » de l'univers en tant qu'habitacle des esprits agissants et organisateurs. Composante essentielle de la mystique du Paléolithique, cette notion se retrouve partout à travers le monde.
Héritier de ces traditions préhistoriques, les Indiens, Sumériens et anciens Égyptiens considéraient le rêve comme la vision véritable du monde. Dans les épopées qui leur sont consacrées, Enkidu et Rama, avatars respectifs de Enki et Vishnou-Narayana, sont avertis de la fin prochaine de leur incarnation terrestre par un rêve.
Dans la hiérarchie hindoue des incarnations ou plutôt, des états d'existence, le sommeil onirique se place en seconde meilleure position, juste après le sentiment océanique de la moksha (illumination) car le rêve ressort de la vision propre de Vishnou, de l'observation correcte et idéale de l'Univers. L'état onirique permettrait en effet de se libérer de la Maïa, une notion védique signifiant « l'illusion de ce qui semble réel ». Les rêves seraient donc des portes donnant directement accès à l'océan primordial, chaotique ou créatif, mais infinie et insondable. Le rêve agirait comme un révélateur de conscience, sans être assujetti aux sens, ni au temps ni à l’espace.
10 000 ans de traditions: Histoire mystique de l'Inde
Noté /5. Retrouvez 10 000 ans de traditions: Histoire mystique de l'Inde et des millions de livres en stock sur Amazon.fr. Achetez neuf ou d'occasion
Vous avez apprécié cet article ? Procurez-vous le livre dont il est extrait (en vente sur Amazon, en version papier ou numérique.)
Le Peuple Aborigène et le Temps du Rêve
Le "Temps du rêve" des aborigènes australiens se réfère à l'époque mythique où l'Intelligence suprême, Baiame, le Premier Etre, rêva le monde et lui donna forme. De cet instant découlent ...