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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Les canidés, animaux funèbres et sacrés

Les canidés, animaux funèbres et sacrés

Le loup, l'ancêtre

Le loup est un canidé à la sinistre réputation. C'est un prédateur de l'homme, doublé d'un charognard. Il apparaît dans les moments difficiles, durant lesquels sévissent la famine ou les hivers rigoureux. Le loup est le plus gros prédateur des steppes, après l'ours. Les plus anciennes traces que l'on a de lui remontent au Canis lupus-Loup gris d'Alaska, il y a plus de 400 000 ans. En Eurasie, les loups du pléistocène chassent le bison et le cheval.

Domestiqué dès -30 000 ans en Europe et en Sibérie altaïque pour sa version archaïque, et au plus tard vers -15 000 pour sa version actuelle, le chien est le plus ancien animal domestiqué. Utile à la chasse et à la vigilance nocturne, le chien est associé au danger, à la nuit et à la mort. C'est aussi un charognard, qui a besoin de s'allier à l'homme pour se subvenir.

La présence des chiens loups dans les grottes est attestée dès -32 000 à -22 000 ans, en République Tchèque. La domestication des « petits chiens » est plus tardive, intervenant en Europe de l'ouest vers -15 000 ans à -12 000 ans, et celle des plus gros chiens en Allemagne, durant une période d'extrême stress climatique dû à la fin au pic glaciaire. Le gros gibier se fait alors plus rare, l'écosystème se transforme, s'adapte à des températures plus clémentes. Les loups se rapprochent des abris des Sapiens, tandis que ces derniers profitent en charognard de ce que laissent les chasses en meute. Inversement, les canidés profitent des chasses collectives des tribus sapiens. Les deux espèces se complètent et chassent bientôt ensemble. Chiens et hommes forment des groupes sociaux similaires, hiérarchisés, dont la survie dépend de la coopération. Plus encore, hommes et canidés partagent une origine commune : un même être selon la mythologie d'héritage boréal et amérindien.

La mythologie comparée nous enseigne que le loup est l'ancêtre de bon nombre de tribus dont la généalogie remonte au Paléolithique. Selon Salomon Reinach («Les carnassiers anthropophages dans l'art gallo-romain», Revue celtique, 1904), en des temps immémoriaux, « Le loup totem, ancêtre mythique de la tribu, joue le double rôle qu'on attribuera plus tard à la Terre et même au Dieu spiritualisé du monothéisme ; il est à la fois le père des hommes et leur tombeau ; ils viennent de lui et ils retournent en lui : il les appelle à la vie et les résorbe quand ils ont vécu. »

Il est en effet le principal animal-ancêtre des peuples turcs, mongoles, bouriates, toungouses et nord-américains. En témoigne le mythe d'origine mongol narrant l'union de Loup bleu et de Biche blanche. En outre, les premiers Turcs, que l'on sait apparentés aux Mongols, se disent issus d'une louve réfugiée dans une caverne. Chez les Mongols encore, on enterre un guerrier dans la peau d'un loup pour l'aider à rejoindre le ciel.

En Grèce, Apollon est né de Latone sous la forme d'un loup. Selon Reinach (Les carnassiers androphages dans l'art gallo-romain) : « De même qu'il y avait, en Arcadie, un Zeus Lykaios, qui était un dieu-loup, il y avait à Rome un Jupiter Lucetius, que Festus identifie à Dispater. Silvain, auquel le dieu-loup gaulois a certainement été assimilé dans la Gaule romaine, passait pour un « chasseur de loups » […] En Italie, Silvanus, « le forestier », est, à l'origine, un dieu-loup comme Mars, que Caton identifie formellement à Silvanus. Ce nom, « le forestier », est une épithète du loup, qu'il est dangereux de désigner plus clairement ; en Suède on appelle ce fauve le silencieux Silvia, dite à tort Rhea Silvia, est « la forestière » ; elle conçoit d'un loup, identifié à Mars, deux jumeaux qui sont allaités par une louve. Si les Héraclides de Lydie sont des lions, les Silvii d'Albe sont une dynastie de loups. Chez les Samnites, les loups s'appellent hirpi ; on donnait le même nom aux prêtres du mont Soracte, qui était aussi un dieu-loup. En Grèce, Hadès, qui porte une peau de loup, doit avoir aussi, à l'origine, été conçu sous l'aspect d'un loup ; il en est de même de Thanatos, qui, dans l'Alceste d'Euripide (v. 845), s'arrête auprès d'une tombe pour boire du sang. »

À Rome, Rémus et Romulus furent recueillis par une Louve, dont la lecture métaphorique nous informe que cette fameuse louve était une prostitué (les deux mots sont synonymes en latin).

En Anatolie, on invoque un loup pour enfanter.

Au Kamtchatka, en cas de jumeaux, l'un des bébés est dit fils de loup.

Chez les Inuits, une femme-ancêtre s'accouple avec un chien.

« Le Loup » est l'ancêtre des Iroquois.

Chez les Crows : « Le vieil homme coyote était le premier de leurs dieux mythiques et ancêtres. Il était le créateur de la terre, de ses créatures et des mœurs humaines. Parce que le monde n'est pas parfait, l'esprit coyote ne l'est pas non plus, étant capable de se tromper et d'être trompé. Pour de nombreux peuples amérindiens, Coyote est à la fois créateur et destructeur, un personnage métamorphe dont les actions apparemment aléatoires et les plaisanteries ont des conséquences imprévues. Les Navajos appellent le coyote le Chien de Dieu (Ryden) et le nom du dieu farceur aztèque Huehuecoyotl signifie « le vieux, vieux coyote. »1

Pawnee veut dire loups, les Pawnee sont donc le peuple des loups.

Pour les Indiens des Plaines, le loup a appris à chanter aux hommes.

Un mythe Cheyenne évoque Nomoa, l'homme à peau de loup, l'esprit tonnerre. Il forme un couple avec Grand-mère, l'esprit du monde souterrain.

Les Huichols révèrent aussi le dieu-loup comme ancêtre. Selon une légende locale, l'aube du monde était peuplée de mi-homme, mi-loup ; ce peuple-loup formait l'humanité originelle. « Les loups sont pour eux l’incarnation des premiers chamans, et à ce titre, ils sont un modèle d’enseignement. » (A. Soubrouillard, Le chamanisme et les plantes hallucinogènes.) Kumukemai est l'ancêtre loup huitchol. Sa parèdre est le cerf, tout deux sont associés au peyotl (cactus hallucinogène).

À travers l'Amérique du nord, un interdit alimentaire frappe le loup, ancêtre tribal et animal totem. L'interdiction de manger sa chair saute cependant une fois dans l'année, à la manière du festin de bœufs et de vaches que faisaient les orphiques. S'il n'est pas frappé d'interdit ou de tabou, le chien se mange. C'est un aliment associé à des repas cérémoniels, de fête ou de prestige, voire d'extrême nécessité, les hommes chassant plutôt les herbivores. Le chiens perdra de l'importance dans les sociétés agricoles, qui lui préféreront le chat, plus utile pour chasser les parasites et autres nuisibles porteurs de maladies, tandis que le chien sera perçu comme vecteur de maladies en milieu urbain. En effet, les domaines réservés aux tombes ou aux squelettes sont le territoire des chiens errants, animaux charognards par excellence. Il est donc tout naturel de retrouver le chien, ou le chacal, comme animal gardien des enfers (Cerbère en Grèce, Sarvara en Inde), ou passeur de la mort (Anubis en Égypte).

 

Un animal funèbre

Animal lié à la mort, le loup semble accompagner le défunt dans l'au-delà, comme en témoignent les dépôts de loups ou de têtes de loups sur les sites funéraires, dont des crânes de loups perforés (en Eurasie, jusqu'au Japon). À Bonn-Oberkassel (Allemagne, v. -12 223 ans ), un chien est enfoui avec un homme et une femme, composant trois silhouettes aspergées de poudre rouge. Presque contemporain, un site du Natoufien présente une femme enterrée avec un chien entre les mains (Mallaha, Israel). Dans un autre site natoufien, une couronne en canines de renard fut retrouvée sur une dépouille.

La coutume d'enterrer un chien pour aider le voyage du défunt se retrouve à travers l'Eurasie jusqu'en Mongolie. Les Slaves, les Eskimos, les Toltèques même, suivent cette coutume.

Le rôle et la réputation du canidé est donc ambivalente : propagateur de maladie, mué par une énergie sauvage et violente, fatale, il est aussi le protecteur contre certaines maladies, car il fait peur aux démons. Messager de la mort, il est aussi le psychopompe qui permet de rejoindre le monde post-mortem. À Isin (Mésopotamie), il est associé à Gula, déesse de la guérison (23 chiens furent inhumés juste devant son temple).

Compagnon fidèle, ouvreur des grottes et chasseur d'ours et de sangliers, le chien est le compagnon idéal pour un voyage dans l'au-delà semé d’embûches et menacé par des monstres infernaux. Fidèle et obéissant, c'est aussi le compagnon idéal de la Mort elle-même, dont les ordres sont irrévocables et inévitables.

Chez les Iroquois, Attahensic la déesse primordiale et infernale emploie des loups pour aller chercher ses victimes. Yama le dieu védique de la mort procède de la même manière.

En Inde védique, Sarvara et les chiens infernaux obéissent en effet aux ordres de Yama, le roi des enfers et vont chercher pour lui les âmes de ceux dont la mort est imminente, agissant comme des chiens de chasse ramenant la proie que leur maître à tué. Les chiens de Yama connaissent le chemin vers le monde des morts et guident l'âme du défunt. Dans l'Hymne à Yama et aux ancêtres (Pitrs), du Rig-Veda (7, 6, 9. trad. Langlois), on trouve ces quelques vers : « Toi qui viens de mourir, viens ici toi aussi, rejoins-nous par les voies ancestrales où nos pères sont passés avant nous. [...] En suivant cet heureux chemin tu trouveras deux chiens qui ont le pelage d'un tigre et quatre yeux. Ce sont les enfants de Sarama, la mère de tous les animaux sauvages. Ces chiens appartiennent au roi Yama dont ils sont les fidèles défenseurs. Ce sont aussi ses messagers. Ils ont de larges naseaux, une respiration forte, une grande vigueur et élancés à travers le monde, rien ne peut les arrêter. Tout ce que nous espérons, c'est qu'ils nous permettent de voir le soleil un jour de plus et de respirer sous lui sans difficulté. »

Dans la mythologie bretonne liée au roi Arthur, l'infernal cavalier noir2, est accompagné d'une meute de chiens. Par ailleurs, dans la mythologie celtique antique, Sucellos, le dieu bon au marteau3, est accompagné d'un chien. Les chiens d'Annwn dans le Mabinogi, « sont blancs et ont des oreilles rouges - couleurs associées à l'Autre Monde. Une autre source parle des Cwn Annwn comme des chiens des Enfers, petits, tachetés, d'un roux tirant sur le gris, enchaînés et conduits par une silhouette noire et cornue. Ce sont des présages funestes venus d'Annwn en quête d'âmes humaines » (Miranda Jane Green, Mythes celtiques.)

Chez les Apaches, le chien de la mort est un coyote. Chez les Tarasques du Mexique, un chien accompagne les morts. Chez les Aztèques, un chien roux accompagne les morts vers Mictlan, le domaine infernal.

En Égypte, Anubis à tête de chacal est le dieu responsable du passage de l'âme du monde des vivants vers celui des morts et il est un des dieux principaux qui préside à la pesée de l'âme du défunt. Citons aussi Oupouaout, le chien qui guide le pharaon vers le ciel.

 

Évoquons à présent le très ancien mythème qui associe chiens et démons :

Chez les Guanches des Canaries, de tradition pseudo-berbère, les démons mineurs prennent la forme de chiens sauvages laineux.

Dans la mythologie de l'Edda, durant le combat de la fin des temps, qui verra s'affronter le Bien et le Mal, le loup Fenrir4 et son engeance Giöll et Garmr, briseront leurs chaînes, se rueront sur les dieux et dévoreront le soleil, détruisant les mondes durant le Ragnarok.

Dans la mythologie kalasha, Jestam est le chien des enfers qui attaque Indr et les Dévalogs, qui lui jettent en retour des pierres qui sont autant d'étoiles filantes.

Dans le sud de l'Australie, la mythologie des peuples Ardno-Artina et Diyari raconte le combat primordial entre le héro Gecko et le chien Marindi, dont le sang colora en rouge les rochers de la colline de Pukardu.

Chez les Inuits, citons Keelut, le chien de mauvais présage.

Chez les Mayas, un mythe diluvial raconte comment le dieu de la pluie Tlaloc changea les deux seuls êtres humains rescapés en chiens. Le dernier homme et la dernière femme ainsi transformés, il ne resta sur Terre plus une seule trace de vie humaine.

 

Mentionnons enfin le très diffus mythème du chien monstrueux gardien des enfers :

En Scandinavie, Garmr (« Hurleur ») et Giöll sont les loups enchaînés à la caverne Gnipahellir, dont ils gardent l'entrée et celle du monde des morts.

Suivant la même tradition indo-européenne, mentionnons Cerbère en Grèce. Il s'agit d'un chien tricéphale enragé, qui a pour rôle d'interdire aux morts l'accès (le retour) vers le monde des vivants.5 Tout de même, Héraclès le dompte, Orphée le charme de son chant et enfin Énée l'endort grâce à un galette d'opium préparée par la Sibylle. Selon Salomon Reinach, qui évoque la déesse infernale Hécate : « nous savons que jusqu'à la fin de l'Antiquité on sacrifia des chiens à Hécate. Mais Porphyre nous apprend que, dans le culte d'Hécate, on invoquait la déesse en l'appelant « chienne », et Nonnos l'appelle « aimant les chiens ». Hécate, déesse infernale, déesse à trois faces, toujours accompagnée de chiens, ressemble singulièrement à Cerbère, le chien infernal à triple tête. Évidemment, c'est l'invocation rituelle qui a conservé le plus ancien souvenir de la nature primitive d'Hécate, antérieure à la période anthropomorphique de la religion grecque. Le sacrifice de chiens à Hécate, autre fait rituel et, par conséquent, très ancien, vient à l'appui de cette opinion. » (Les survivances du totémisme chez les anciens celtes, Revue celtique, 1900.)

Chez les Manominis d'Amérique du nord et chez les Lacandons du Mexique, un maître-chien, l'ancêtre de tous les animaux sauvages, garde l'entrée du monde post-mortem. Il mange ceux qui ont été mauvais avec les animaux et plus particulièrement avec les chiens.

 

Le renard

Avant de clore cette mythographie, évoquons le renard, qui complète la famille des canidés. Sa symbologie est proche de celle du chien et du loup, et surtout du coyote, en présentant une typicité : le renard est un animal bien plus malin et bien moins violent que ses cousins chiens et loups. Son association avec la figure mythologique prométhéenne du Farceur (Trickster) coule donc de source. En Amérique du nord, par exemple, c'est le coyote qui a volé le feu. Il a aussi libéré les poissons en ouvrant les écluses qui les gardaient.

Chez les Dogons, la naissance du renard (ou du coyote selon les traductions), est la métaphore du châtiment divin. Il est le fauteur de trouble cosmique. Le renard dogon, tout comme le chacal Anubis en Égypte, est aussi lié à la divination et donc à la nécromancie. « En guise de châtiment, Amma circoncit Ogo, lui coupa la langue et le transforma en renard, « yurugu ». Privé de parole, celui-ci ne pourra plus communiquer avec les hommes qu'avec ses pattes dont il laissera l'empreinte sur la table de divination. Il restera dans l'univers l'agent permanent du désordre et son arche, faite de terre impure, est le symbole de la brousse inculte, son domaine désormais. » (N. Goisbeault, Un mythe de création ; le mythe dogon.)

Dans un mythe Manda (Tanzanie), le renard est le premier à émerger de la terre. Il fut brûlé par le soleil.

Ces mythes ne sont pas sans rappeler un épisode alternatif de la Genèse abrahamique : un mythe cabalistique raconte qu'avant qu'il tente Eve, le serpent aurait d'abord ressemblé à un lézard et aurait eu quatre membres. Yahvé l'aurait puni de sa tentation envers Eve en lui coupant les pattes, afin qu'il soit maudit et condamné à errer sur la terre en rampant. Dans un mythe illyrien6, d'inspiration à la fois indo-européenne et abrahamique, après avoir infligé tant de mal, le diable fut puni par Dieu, qui le transforma en chien noir, qui constamment aboierait, enchaîné à un arbre.

 

1A. Ronnberg (sous la dir.), Le Livre des symboles, réflexion sur des images archétypales,, The Archive for Reserch in Archétypal Symbolism, Taschen. 2011.

2Nommé Arawen dans la mythologie galloise du Mabinogion et Lou Rey Neugue en Aquitaine.

3Le marteau est chez les Gaulois un objet lié au dernier souffle des vivants.

4Fenrir est le fils de Loki, le dieu mauvais qui trahit Odin et Thor.

5« Tout au fond, sont les demeures sonores du Dieu souterrain, du puissant Hadès et de la terrible Perséphone. Et un chien féroce, effroyable, en garde les portes, et, dans sa mauvaise ruse ceux qui entrent, il les flatte de la queue et des deux oreilles ; mais il ne les laisse plus sortir, et, plein de vigilance, il dévore tous ceux qui veulent repasser le seuil du puissant Hadès et de la terrible Perséphone. » Hésiode, Théogonie. Trad. Leconte de Lisle.

6 Raconté par Alberto Fortis dans Voyage en Dalmatie, Société Typographique, 1778.

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