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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

L'oiseau, animal mythique universel

Vishnou sur Garuda, par Raja Ravi Varma

Vishnou sur Garuda, par Raja Ravi Varma

 

L'oiseau, animal mythique universel

 

 

La chair d'oiseaux fait partie du régime paléolithique mais les représentations pariétales des volatiles brillent par leur rareté... Il s'agit cependant d'un phénomène trompeur, car l'oiseau et ses plumes font parties intégrantes du décorum vestimentaire américo-eurasien, et ce depuis la nuit des temps (des coiffes de plumes sont parmi les plus anciens artefacts de l'humanité). Surtout, la présence et le rôle du volatile sont des constantes dans les récits mythologiques les plus ancestraux, qu'ils soient oraux, picturaux ou mêmes rituels et funéraires. Animal totem et psychopompe chez les peuples boréales (Sibériens, Proto-Indo-Européens, Finnois, Amérindiens), il est le véhicule-symbole utilisé par les chamanes pour se déplacer entre les mondes. Depuis la Scène du puits à Lascaux et sa représentation d'un homme en transe dont le visage comporte un bec, jusqu'au chamanisme sibérien néolithique ou contemporain, et à la panaméricaine figure du serpent ailé, la silhouette de l'oiseau fait entièrement partie de la culture eurasienne, mais aussi mondiale.

Messager des dieux, il est aussi acteur de la création de l'Univers. Ici il apporte un rameau, là un peu de terre : la Terre devient son nid, qu'il crée sur les vagues mêmes de l'océan primordial. En Polynésie, « Tagaloa le Silencieux prit la forme d'un martin-pêcheur et vola longtemps au ras des flots sans découvrir la moindre surface solide. Il finit cependant par apercevoir une tache blanchâtre sous la surface de l'eau. Cette tache, encore invisible pour tout autre que lui, annonçait-elle une prochaine terre ? » (Éna et l'île mystérieuse, in Ragache, Mythes et légendes, la création du monde.) La cosmogonie égyptienne d'Edfou complète le récit polynésien : « Le dieu au visage encadré d'ailes décrit des cercles au-dessus de ce flotteur de roseaux, maintenant immobile. L'apparence du créateur se précise, et c'est en faucon divin qu'il se pose enfin sur le flotteur »...

Dans les légendes cosmogoniques les plus anciennes, dont la généalogie remonte au Paléolithique moyen, les animaux concourent à la création du monde. En témoigne le mythe paléolithique du plongeon cosmogonique, dont voici la version iroquoise : « D’immenses volées d’oiseaux, comme il s’en voit aux époques de migrations, arrivent de tous côtés. Les autres animaux viennent à la nage, et l’assemblée disparate grossit, devient innombrable. C’est un sillonnement en tous sens des airs et des eaux, une confusion de cris sauvages, et bientôt, l’accumulation de toutes sortes d’objets autour de la carapace épique. Brin à brin, les oiseaux apportent, qui des algues, qui des joncs, qui des roseaux ; les palmipèdes se dépouillent de leur édredon ; les passereaux charrient les plumes qu’ils trouvent flottantes. Du fond de l’océan les castors, les loutres, les rats musqués, tirent de la terre et des racines, des éponges et des coquillages. » (A. Guindon, En Mocassins.)

Le mythe de l'oiseau messager et psychopompe rejoint celui de l’œuf cosmogonique. L’œuf représente la nostalgie des origines, l'unité, le calme, la simplicité mais renferme d'innombrables possibilités, qui une fois mises en mouvement, ne peuvent que détruire leur matrice. Selon la mythologie dogon : « Au commencement était l'Œuf primordial dit « Œuf d'Amma » le dieu créateur qui a donné l'impulsion première aux choses. »

Dans la cosmogonie d'Hermopolis (Égypte), une oie céleste pond l’œuf cosmique sur la colline primordiale. L'ibis est aussi présenté comme créateur de l'œuf originel. De cet œuf sortit Rê (Soleil), la lumière primordiale, « l'oiseau de la lumière ». La grande attraction d'Hermopolis était alors pour les pèlerins l'observation des coquilles d'œufs vides laissées par les oiseaux résidents des temples. Dans le chapitre 56 du Livre des morts, on peut lire la formule magique : « Je suis l'œuf de l'océan cosmique, qui conserve en lui l'œuf géant pondu par Geb sur la terre. Si je vis, il vit, et si je prospère, lui aussi prospère. [...] Planant au-dessus de l'océan céleste, je suis le gardien de l’œuf cosmique. S'il prospère, je prospère, et réciproquement. S'il vit, je vis, et réciproquement. S'il respire l'air vivifiant, je le respire aussi, et réciproquement. » (Adresse à Toum, dieu de l'air. Tard. Pierret).

Chez le phénicien Sanchoniathon, que reprend Philon : « à sa naissance, Mot avait la forme d'œuf. »

Dans le papyrus orphique de Derveni, Chronos fabrique un œuf argenté dans l’Éther, dont sort un être extraordinaire aux multiples noms : Phanès (« apparaître, faire apparaître »), Éros (« Désir »), Protogonos (« Premier-Né »), et Métis (« Intelligence pratique »).

Dans la mythologie mazdéenne, Ahura-Mazda le Seigneur juste et sage créa l'Eau, qu'il confia à la garde de Haurvatat, l'ange de la pureté, qui aussitôt remplit la moitié inférieure de l'Univers, qui « ressemblait à un œuf. »

En Inde védique, l’œuf primordial est Hiranyagarbha, l’œuf d'or de Brahma. Il fut pondu par un cygne céleste ou apparut de lui-même au dessus des flots de l'océan en expansion. « Brahma s'incarna dans cet œuf. Il y resta un an. […] De cet œuf, brisé en deux parties, il fit le ciel et la terre, et dans l’intervalle qui les sépare il répandit l’air. » (Harivamsa. Trad. Langlois).

En Chine, du chaos sortit l'œuf contenant l'univers. Le ciel et la terre étaient alors mélangés comme dans un œuf de poule, et Pangu était au milieu, endormi d'un sommeil de 18 000 ans. À l'origine, la nature avait donc la forme d'un œuf de poule, avant de croître.

Dans le Kalevala finnois, un oiseau pond sur le corps de Luonnotar, la femme tombée du ciel. Ankylosée, elle bougera, ce qui fera tomber l’œuf qui se brisera, entraînant alors la création. « Lentement il vole, le bel oiseau, d’un côté, puis de l’autre ; il s’abat enfin, construit son nid, et y dépose ses œufs : il y en a six qui sont d’or, le septième est de fer. La mouette ensuite commence à couver. » (A. Geffroy, La Finlande et le Kalevala.)

L’œuf n'est pas qu'un thème cosmogonique : il symbolise la forme parfaite, donc la marque des dieux. En Inde, les saints capables de miracles vomissent des œufs d'or (voire les « miracles » de Satya Sai Baba). Les frères parfaits, les Dioscures Castors et Polux sont nés d'un œuf. Gesar de Ling le roi légendaire du Tibet est né d'un œuf blanc marqué de trois points noirs, depuis le sommet de la tête de sa mère. Le roi héroïque coréen Bak Hyeokgeose, grand rival du légendaire prince Tan'gun, est né d'un œuf violet.

Le serpent, qui est un ovipare, n'est jamais loin du thème de l’œuf primordial : dans la mythologie paiwan de Taïwan, le Soleil pond deux œufs. Un serpent les mord pour les éclore. Du premier œuf sortit un garçon, du deuxième une fille.

Souvent aigle (Grèce, Amérique), faucon (Égypte, Asie de l'ouest), colombe (Moyen-Orient), grue (Eurasie) ou corbeau (Europe, Amérique du Nord), l'oiseau est un messager psychopompe, un animal céleste, que la crypto-cosmogonie et la crypto-mythologie préhistorique ne peuvent concevoir comme souterrain ou appartenant à une puissance souterraine. La matière ne lui sied pas, l’éther et le vent sont ses éléments de prédilection. L'oiseau est au-dessus de ce monde, il est pur, inatteignable, comme l'aigle qui vit au sommet des montagnes et des falaises, à la manière des divinités qui résident au sommet de l'Axe du monde, scrutant l'Univers (Olympe, Mont Mérou). Enfin, « la faculté de voler des oiseaux devint une allégorie de l'esprit humain libéré au moment de la mort » (M. J. Green, Mythes celtiques, 1995.)

L'oiseau peut être très occasionnellement dépeint sous la terre, dans les grottes. Lorsque c'est le cas, comme dans la Scène du puits de Lascaux, il apparaît à la tête d'une silhouette longiligne, souvent anthropomorphe, qui semble affronter, ou invoquer, ou subir la charge d'un bison, ou qui vient de sacrifier ce bison (selon l'interprétation que l'on choisit). Cette peinture se situe à l'entrée d'un puits de huit mètres de profondeur (à l'époque où les dessins furent exécutés). Sa rare fréquence, son allure tronquée, son emplacement dans la grotte, signifie effectivement que l'oiseau n'est pas à sa place sous terre.

On retrouve donc, mais rarement, cette figure anthropomorphe et ithyphallique à travers le Paléolithique supérieur franco-cantabrique : dans la grotte d’Altamira (Cantabrie), le sorcier ithyphallique à tête d’oiseau évoque très certainement le même personnage qu'à Lascaux. À Roucadour (Lot), un équidé présente un très long coup et une tête d'oiseau identique à ceux déjà mentionnés.

La Sibérie présente par contre de nombreuses évocations de volatiles : « Les figurations d'oiseaux sont très intéressantes et spécifiques du Paléolithique sibérien. Une attention particulière doit être portée aux oiseaux représentés en plein vol » (Avant les Scythes, préhistoire de l'art en U.R.S.S., Exposition à Paris, 1979). En Sibérie, le culte des oiseaux s'illustre avec de nombreuses statuettes de grues ou de cygnes en vol, aux ailes atrophiées, dotés d'un long coup, et stylisés. À la suite des migrations indo-européennes, le culte de la grue annonciatrice des saisons fut introduit en Europe par les Celtes et en Inde par les Aryens védiques, ce que confirmera la mythologie brahmanique un peu plus tardive. En outre, le rôle cosmogonique de la grue est attesté chez les Finnois.

Fait intéressant : un retournement de sens marque le mythe de la grue messagère en Inde et en Europe. Malgré sa gloire d’antan, portée par les mythologies indo-européennes d'origine boréales, le sens s'est inversé, bien que la structure demeure. Ainsi, Marie Coupal écrit dans Le guide du rêve et de ses symboles : « En Inde, la grue est annonciatrice de danger, de tromperie. En Occident, elle symbolise la stupidité. […] Une bande de grues annonce un complot, un larcin. »

L'oiseau céleste est aussi un punisseur, le « bras armé » d'une divinité suprême et éthérée. C'est Garuda, véhicule et champion de Vishnou, qui fond sur les démons-serpents-géants nagas lorsqu'il les aperçoit. C'est lui que prient les brahmanes et les yogis pour dissiper les ténèbres de l'ignorance et faire en eux la paix intérieure que réclame l'exercice du yoga.

 

Atahensic divinité iroquoise primordiale, par M. Laverdet

 

En Amérique, l'oiseau-tonnerre provoque des tremblements de terre en battant des ailes, à la manière d'un être cosmique. Il protège les autres animaux des serpents et se nourrit exclusivement de reptiles. Gardien de l'humanité, il combat contre le Serpent cornu et le Lynx d'eau.

En Perse mazdéenne, l'oiseau Varaghna, est « le plus rapide des oiseaux, le plus léger de tous les êtres, capable d'aller où même le meilleur des attelages ne va pas. » (Avesta, trad. de Harlez). Dans un yasht, Ahura-Mazda dit à Zarathoustra :

« Si tu es accablé par les imprécations, par les malédictions de tes nombreux ennemis, procure-toi, ô saint Zarathoustra, une plume de Varagna l'oiseau de paix. Tu t'en frotteras ensuite le corps, et ainsi tu conjureras ton adversaire. Sache que la Terre qui nous porte n'est autre que le corps de ce rapide oiseau, dont tu devras prélever la plume. Sache aussi que l'ensemble des plumes de tous les oiseaux du monde assure le secours de cet oiseau suprême. Un homme en possession de la véritable puissance, ne le frappera pas, ne le repoussera pas, mais il lui fera de nombreux et riches hommages. Même le roi des oppresseurs, même le champion des criminels, même le plus fatal des tueurs de héros, aussi malfaisants soient-ils, ne peuvent même pas lui porter leurs coups… Et quand bien même ils réussissaient à en placer ne serait-ce qu'un seul, l'oiseau causera aussitôt leur perte. Ainsi, tous les héros craignent pour l'oiseau comme pour leur propre vie, et tous les méchants en craignent la force et la victorieuse puissance, car cet oiseau est l'intelligence établie dans le corps pour diriger ce corps. C'est cet oiseau que doivent implorer les chefs ainsi que leurs alliés et les hommes de bonne renommée. » (Hymne en l'honneur de Verethraghna, Avesta, 14e yesht, trad. de Harlez.)

 

L'oiseau, animal mythique universel
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