25 Décembre 2023
Mystiques célèbres et gourous médiatiques
Depuis Shankara (v. 800) et Ramanuja (v. 1100), l'Inde a légué à l'humanité une des plus belles lignées de philosophes et de mystiques qui soit, les seuls peut-être à pouvoir rivaliser de génie avec ceux de la Grèce Antique. Il s'agit ici de rendre hommage à Ramananda (1400–1470, auteur de l'Adhyatma Ramayana), Ramakrishna (1836-1886), Vivekananda (1863-1902), Sivananda (1887-1963, fondateur de la Divine life society) et tant d'autres penseurs que les intellectuels d'Occident ne cessent depuis de citer et de nommer avec un immense respect.
Ramana Maharshi (1879-1950), Sri Aurobindo (1872-1950, inspirateur de l'utopie d'Auroville fondée par la française Mirra Alfassa près de Pondichéry), Maharishi Mahesh Yogi (1917-2008), Satya Sai Baba (1926-2011), Swami Prabhupada (1896-1977), fondateur du mouvement Hare Krishna, Sadhguru (né en 1957), star d'internet ; ces noms ne vous diront peut-être rien, mais leurs visages vous sont familiers. Ces gourous sont devenus à leur tour des pop stars en Occident. À la manière du Dalaï-Lama (né en 1935), figure médiatique et goguenarde sans envergure théologique, l'Occident les a digérés. Ils font maintenant partie de nos propres vies. Comme Martin Luther King ou Nelson Mandela, Gandhi (1869-1948) est devenu par chez nous un parangon de vertu, même s'il ne fait pas nécessairement consensus en Inde (son rôle durant l'indépendance fait polémique).
Depuis la fin du mouvement hippie, l'Inde n'est plus à la mode en Occident, mais sa source est loin d'être tarie. Osho (1931-1990) n'a jamais autant vendu de livres. Il en va de même pour Sadhguru, (né en 1957) le nouveau gourou à lunettes de soleil venu des indes pour coloniser les tubes cathodiques d'Occident. Il y a quelques années encore, Amma (née en 1953), la « calino-thérapeute », remplissait les stades et gymnases de la Bretagne jusqu'au Brésil, en dispensant ses embrassades contre donations. Le temple de Sai Baba de Shirdi (v. 1838-1918) compterait encore cent millions de visiteurs annuels. En 2011, l’enterrement de Satya Sai Baba, le très polémique gourou accusé d'être un faussaire, fut digne de celui d'un chef d'État, et 6 à 100 millions d'Indiens considèrent encore de nos jours Sai Baba comme un des plus puissants maîtres spirituels qui jamais ne fut (ce qui est potentiellement plus que n'importe quelle autorité chrétienne ou musulmane).
Jiddu Krishnamurti (1895-1986), rendu populaire en Occident par l'entremise de la théosophie et grâce à ses travaux sur l'éducation, ainsi que U. G. Krishnamurti (1918–2007) et Osho (1931-1990), dernier né dans une famille jaïne, correspondent quant à eux, à la notion de dissident de l'hindouisme. Ils nient l'existence de dieu, ne lui donnent pas de nom, s'inspirent ouvertement de philosophie et de culture populaire, revendiquent l'influence musulmane, chrétienne ou zen et cherchent à communiquer avec un public nouveau, composé en particulier par la jeunesse intellectuelle occidentale. En conséquence, ces penseurs adoptent un discours volontairement choquant et outrancier. Osho est un best-seller en Occident ; ses interviews font des dizaines de millions de vues sur Youtube et Netflix proposa une série documentaire à son sujet.
L'influence de l'hindouisme
Baba Nanak (1469-1539) et les gourous du sikhisme (30 millions d'adeptes dans le monde) se sont inspirés non seulement du concept de la bakhti, typiquement vishnavite ou shivaïte, mais aussi du karma, des avatars, de l'ascétisme fanatique et de la pratique permanente du yoga. Citons aussi les gourous universels, qui essayèrent de se situer à égale distance du brahmanisme et de l’islam, tel Namdev (1270-1350, mouvement Sant Mat) ou Kabir (v. 1440-1518).
En Perse, nous retrouvons des gnostiques évidemment inspirés du zoroastrisme et du mazdéisme, mais aussi du bouddhisme et de l'hindouisme le plus classique. Baha'u'llah (1817-1892), fondateur de la foi baha’i, revendiquant de nos jours 5 à 7 millions d'adeptes à travers le monde, se proclamait comme l'avatar Kalki, mais aussi comme le messie attendu par les juifs. Il recommandait d'étudier la Bhagavad Gita, tout comme la Bible ou le Coran. La cosmogonie baha’i est d’ailleurs étonnamment semblable à celle des vishnouïtes.
En 1816, des navires dont les cales sont remplies d'Indiens quittent l'Inde pour rejoindre Sydney, fournissant ainsi la main-d’œuvre qui sera utilisée dans les nouveaux vignobles de la vallée de la Yarra. Vingt ans plus tard, c'est vers l'ouest que se tourne le commerce maritime de la main-d’œuvre bon marché. De nombreux Indiens sont déportés vers l'île Maurice, les Comores, l'île de la Réunion et Madagascar. Plus avant dans le siècle, ils seront amenés jusqu'en Afrique du Sud et au Kenya, pour travailler à la place des Africains que les colons trouvent moins appliqués et moins ardents à la tâche. Ce sera encore vers les Caraïbes, la Jamaïque, et la Guyane que les paysans tamouls sans emploi seront envoyés. En 1870 est ouvert le premier temple hindou en Afrique du Sud. Côtoyant les peuplades noires africaines installées aux Caraïbes qui trouvaient la source de leur mysticisme dans les plus anciens textes juifs et éthiopiens, l'hindouisme tamoul de tendance shivaïte influence alors de manière certaine mais encore peu documentée, ce qui deviendra dans le courant du 20e siècle le rastafarisme. Le lègue culturel des Tamouls au rastafarisme est en particulier remarquable par l'emploi de ce que les deux peuples appellent la « ganja », le cannabis à des fins religieuses, rituelles et méditatives. De même, suivant la tradition shivaïte initiale, les quelques Tamouls qui devinrent sadhus aux Caraïbes influencèrent par leur ascétisme et leur allure les rastafariens et leurs célèbres dreadlocks.
Par ailleurs, la tombe de Saint Thomas (mort vers 52), évangélisateur de l'Inde, se situe à Madras. Elle est un des hauts lieux du pèlerinage chrétien en Inde. L'église syriaque, une des plus importantes congrégations chrétiennes en Inde, s'en revendique.
Il existe aussi d’innombrables saints de l’islam nés et morts en Inde, et leurs tombes parsèment le pays. Citons Aga Khan (1800 - 1881), le fondateur de la lignée ismaélites, né en Iran et mort à Bombay.
Citons encore Kabir (v. 1440–v. 1518) et les soufis du Cachemire, le mystique iranien Rumni (né à Bactres en 1207-1273), et enfin l'ahmadisme (mouvement réformiste musulman messianiste fondé par Mirza Ghulam Ahmad à la fin du 19e siècle au Penjab).
Toutes les nouvelles spiritualités nées en Occident au 19e siècle payèrent leur tribu, ouvertement ou non, à l'hindouisme initial, qu'il soit védique ou tantrique, et qu'il soit parvenu en Europe à travers le canal bouddhiste ou par un autre moyen.
Le spirite français Allan Kardec (1804-1869) interprétera à sa façon la théorie de la réincarnation. Il lira et s'inspirera grandement de la Bhagavad Gita et surtout du Bhagavata Purana, deux ouvrages majeurs qui venaient tout juste d'être traduits en français. Si la puissante vague spirite du 19e siècle est complètement passée de mode en France et a même été complètement effacée de notre mémoire, le spiritisme connaît encore un franc succès au Brésil. Il concerne de nos jours 20 millions de sympathisants dans ce pays, dont 6 millions de pratiquants.
La théosophie d’Héléna Blavatsky (1831-1891) doit toute sa doctrine aux traditions dharmiques, reprises après avoir été passées par le prisme gnostique. Blavatsky ira même jusqu'à prétendre avoir découvert et traduit un texte dharmique antédiluvien, le Livre de Dyzian. De telles allégations ainsi que l'imposture théosophique en général, furent dénoncées par René Guénon, qui qualifiait cette théorie de « contre-initiation ».
La théosophie fut cependant un des principaux vecteurs de l’introduction de la pensée indienne en Occident. Les premières visites de Vivakananda (1863–1902) et Krishnamurti en Amérique furent d'ailleurs organisées par les théosophes, de même que les premières diffusions à grande échelle des livres du Vedanta.
En Occident, le Vedanta universaliste de Vivekananda, disciple de Ramakrishna (1836-1886), passionnait les foules et fit naître de très nombreuses vocations. En 1893, au Parlement des religions à Chicago l’allocution de Vivekananda fit grande impression. Il prônait alors une sorte d'œcuménisme de tous les cultes, sur la base d'un immense respect et d'une pratique quotidienne du yoga, ou de la prière philosophique.
L'inspiration indienne se fait aussi sentir chez les maîtres spirituels francs-tireurs de la fin du 19e et du début du 20e siècle. George Gurdjieff (1866-1849) et sa 4ème voie, par un effet de miroir, influenceront à son tour Osho. Citons aussi Rudolf Steiner (1861-1925) et son anthroposophie. De tels auteurs font appel en permanence aux concepts indiens du karma, du tantrisme, mais ce sont surtout leur gnosticisme qui les rapproche de l'Inde. Voyageurs, ils y sont allés et sont revenus chargés de lectures, d'enseignement et de secrets.
En 1875 est fondé à Bombay l’Arya-Samaj, la « noble société », qui se propose de rétablir de manière stricte et sans compromis les Védas comme base unique de la pensée hindoue. Les puranas, les influences du monothéisme, sont minorés pour essayer de rendre aux Védas leur caractère essentiel et central dans le culte aryen. La Bhakti et toutes les tendances de l'hindouisme moderne sont récusées comme étant des œuvres humaines et falsificatrices. Ses membres proposent de revenir à un culte védique prédatant les invasions musulmanes et la décadence de la pensée indienne, la perte des traditions et l'oubli du sens des vérités initiales. Ce que souhaitent alors les membres de la Noble Société, c'est rétablir les Védas et les Upanishads comme uniques sources de sagesse possible, mais aussi assumer les castes comme étant indispensables à la perpétuation de la pureté raciale et religieuse. Les divinités comme Shiva ou Vishnou sont alors relayées au rang d'idoles, pour que seules demeurent les puissances élémentaires. Il s'agit donc d'un retour aux sources de l’hindouisme qui, par son intransigeance, signifie aussi le reflux qui marque la fin d'une décadence et l'amorce d'un renouveau. Ce renouveau aryen fera naître de nombreux fantasmes, tant en Inde qu'en Europe ; et la suprématie de la culture aryenne se verra bientôt considérée comme la base théorique et raciale du nazisme.
De 1875 jusqu'en 1945, c'est véritablement l'âge d'or de la diffusion de la pensée indienne, pourtant déformée par le prisme d'un Occident curieux et romantique.
Tout au long du 19e siècle, les études linguistiques avaient mis à jour les généalogies entre le latin, le grec, le sanskrit, mais aussi l'allemand, l'anglais, etc. Sous l’influence allemande, le terme de race aryenne devint synonyme de race blanche et supérieure, « blonde aux yeux bleus ».
La fièvre aryenne saisit les courants volkish et néopaïens allemands, qui redécouvrent, avec des erreurs d'appréciation mais animés d'une réelle quête de vérité, les relations entre l’Europe de l'âge de bronze, et les civilisations védiques et perses. En 1933, le svastika, même incompris, flotte au-dessus des villes allemandes.
L'Inde, terre de mystères, sera l'inspiration principale des courants néopaïens datant de la même époque. Guido von List (1848-1919), fondateur du wotanisme, chef de file du volkish, mais aussi Maria Orsic (1989-v.1945), médium du Vrill, seront parmi les nombreux lecteurs non seulement des Védas, des Upanishads et mais aussi du Mahabharata. À la recherche des racines communes des peuples germaniques, celtiques, perses et indiens, ces auteurs furent des partisans, des militants, mais aussi des spécialistes de l'occultisme et de la symbologie indo-européenne.
L'influence du mythe aryen moderne sera en effet déterminante sur des personnalités comme Adolphe Hitler (1889-1945), et les théoriciens du nazisme Alfred Rosenberg (1883– 946) ou Heinrich Himmler (1900-1945). Himmler était un lecteur de la Bhagavad Gita, auquel il se référait souvent. La Gita faisait en effet partie de la bibliothèque de formation des cadres de la SS au château de Wewelsburg (Rhénanie-du-Nord-Westphalie).
Par ailleurs, le créateur de la S.S., de ses ordres ésotériques et de la fameuse Aneherbe, était littéralement obsédé par la symbologie indo-européenne, comme en témoigne le décorum nazi dans son ensemble et ses emblèmes en particulier (piège à loup wolfsangel, svastika, roue solaire celto-chrétienne, jumis balte, etc.)
La Bhagavad Gita et sa morale de l’action entreprise sans désirer les fruits de cette action, sera le livre de chevet de Robert Oppenheimer (1904-1967). Alors qu'il menait des recherches à Los Alamos et constatait les effets des premiers essais nucléaires menés dans le désert de l'Arizona, l’inventeur de la Bombe Atomique admettait relire souvent les paroles de Krishna : « Si dans le ciel se levait tout à coup la Lumière de mille soleils, elle serait comparable à la splendeur de Dieu. » Et aussi ce verset : « Je suis venu pour distribuer la mort, je suis le grand destructeur des mondes. »
Les auteurs occidentaux inspirés par l'Inde
Les auteurs francophones à s'être inspirés directement de l'Inde et de l’hindouisme sont nombreux, bien qu'ils soient moins nombreux que ceux qui s'inspirèrent ou visitèrent le Maghreb, l’Égypte ou la Palestine. Le courant des « orientalistes » (mouvement commencé avec Chateaubriand et son voyage à Jérusalem publié en 1811 et continué jusqu’à Théophile Gautier et son Roman de la Momie de 1857) ignorait même complètement l'Inde pour se focaliser sur l'Algérie, la Palestine, la Grèce. En conséquence, la doctrine musulmane fit écran à la doctrine hindoue, qui nous demeura inconnue jusqu'au milieu du 19e siècle.
Voltaire (1694-1778) s'en était moqué, avec le personnage récurent du brahmane ou du gymnosophiste ridiculisé de contes en fables philosophiques. La Fontaine (1621-1695) aussi avait mentionné l'Inde, l'avait même honorée en la personne de Pilpay, auquel il avait dédicacé ses recueils de fables. C'était en effet au sage indien Pilpay (et au Phrygien Ésope), qu'on attribuait la plupart des fables ancestrales. Or, Pilpay n’était autre que le cachemiri Vishnou-Sharma (v. -300), l'auteur des fables animalières du Pancha tantra.
Il faut attendre Leconte de Lisle (1818-1894) pour qu'un auteur rende justice à l'Inde en basant en grande partie son œuvre sur elle. Poète et écrivain, chef de file du mouvement littéraire des Parnassiens, membre de l’Académie française, il est l'auteur d'une Histoire de la colonisation française en Inde (L'Inde française, 1858). La mythologie indienne sera une de ses sources d'inspiration majeure, comme en témoignent les Poèmes barbares (1862) et les titres « Prière védique pour les morts », « La mort de Valmiki », « La vision de Brahma », « L’arc de Shiva », ou encore « La joie de Shiva. »
Outre Leconte de Lisle, Alphonse de Lamartine (1790-1869) est l’autre grand admirateur français de la culture indienne et de l'épopée du Ramayana en particulier. Le geste de Rama, traduite par le sanskritiste Eugène Burnouf (1801-1852, déjà traducteur de la Bhagavad Gita et du Bhagavata Purana), fut de son propre aveux une des plus stimulantes lectures de sa vie. C'est ce même Eugène Burnouf, pionnier des études sanskrites en Europe, qui fera découvrir les spiritualités indiennes à Richard Wagner (1813-1883). Une génération plus tôt, la Bhagavad Gita avait été traduite en allemand et Goethe (1749-1832) avait déclaré que « ce livre avait été le plus important de [sa] vie. »
À la suite de la colonisation anglaise, l'Inde va se faire découvrir et petit à petit comprendre. Terre de mystère par excellence, elle deviendra un thème cher à des auteurs comme Jules Verne (1828-1905), qui en fera une des plus belles et périlleuses étapes de son Tour du monde en 80 jours.
Durant cette époque seront compilés des récits en tout genre, dont le récit de la quête du navigateur Sindbad, que l'on associe trop vite à Ali Baba et que l'on pense par conséquent arabe ou perse, mais qui est en réalité originaire du Sindh, une région située sur les rives de l'Indus (il est cependant vrai que les aventures de Sindbad se déroulent dans un contexte islamique et arabe, dans la région du golfe persique).
En philosophie, depuis les gymnosophistes et gymnopédistes ridiculisés par les philosophes de la Grèce antique, jusqu'à Schopenhauer (1788-1860), l'Inde et ses doctrines prônant le détachement ont de tout temps été considérés comme des contre-exemples, jusqu'à être estimées comme de dangereux nihilismes. Nietzsche (1844-1900) s'intéressera à Dionysos, le Shiva grec, mais aussi au mythe indo-européen de l’Hyperborée.
Le contrecoup de la théosophie et de l'introduction du Vedanta en Occident, donneront naissance à des vocations indiennes, comme celle de René Daumal (1908-1944), traducteur du Natsya Sutra (Traité de la danse).
Le grand mystique René Guénon (1886-1951) retrouva en Inde et en Arabie la tradition primordiale encore vivante et vivace, et pour la première fois expliqua au public francophone les percepts de Shankara. René Guénon et l'Italien Julius Évola (1898-1974) seront parmi les nombreux écrivains à tenter un pont entre l'Inde et l'Occident.
Dans le registre de la pure mythologie comparée, George Dumézil (1898-1986) et Mircéa Eliade (1907-1986) sont parmi les plus célèbres auteurs de la mouvance indo-européenne, née d'abord de la linguistique.
En Allemagne, Hermann Hesse (1877-1962) écrit des romans initiatiques inspirés du Bouddha, qui seront quelques années plus tard les livres de chevet des jeunes occidentaux en mal d'idéaux : Siddhartha et Le Loup des steppes sont ses chefs-d’œuvres.
Le dénouement de la Seconde Guerre mondiale marque le point d’arrêt à la longue tradition indo-européenne. L’Europe, moins eurasienne que jamais, devint atlantiste, c'est-à-dire libérale, capitaliste, athée, multiculturelle et cosmopolite. L'Inde s'éloigna encore un peu plus de l'Occident dont elle ne partageait ni l'industrialisation ni la course effrénée au progrès. Quant au reste de l'Asie, il bascula dans la standardisation, selon le modèle islamique de la charia (Iran, Afghanistan, Bangladesh, Malaisie, Indonésie) ou selon le modèle consumériste et ethnocentré des Chinois (Indochine, Tibet, Pacifique).
Par conséquent, les Indiens sont aujourd'hui, ce qu'auraient pu être les Incas ou les Mayas, s'ils avaient pu traverser les âges, ou les Égyptiens ou les Perses, si jamais l'islam n'eut transformé leurs pays.
En Amérique, la Bhagavad Gita intéressait Ralph Waldo Emerson (1803-1882), qui la mentionnait souvent dans sa correspondance. Henry David Thaureau (1817-1862) s’intéressa au Bouddha, ce qui n'a rien d'étonnant pour un tel partisan de l'ascétisme. Gary Snyder (né en 1930) fera découvrir le zen et le tantrisme à Jack Kerouac (1922-1969), le plus talentueux des écrivains de la Beat Generation. Citons dans la même mouvance Allen Ginsberg (1926-1997), propagateur du bouddhisme en Amérique.
Encouragés et en même temps déçus par la croissance économique des Trente Glorieuses, des Occidentaux prennent la Route des Indes. Nicolas Bouvier (1929-1998) et Ella Maillard (1903-1997), héritiers d'Alexandra David-Neel (1868-1969), participeront à ce grand voyage vers l'est, qui relie l'Europe de l’ouest à l'Hindu Kush, de même que Varanasi à Tokyo ou San Francisco.
Dans les années 1960, les auteurs vont faire le voyage des Indes. Ils exprimeront plus ou moins de critiques par rapport à leurs expériences, mais surtout porteront un regard sans illusion sur ceux qui entreprennent ce même voyage. Le mythe du baba cool est né : le baba cool c'est le paumé, le désœuvré, le jeune en manque d'autorité et d'idéaux qui part vivre une expérience indienne qui le changera à jamais (s'il en ressort vivant). L'expérience indienne, ou plutôt le mythe de l’expérience indienne, devient un rituel d'initiation dangereux et tragique. C'est les Chemins de Katmandou de René Barjavel (1911-1985) et Flash, le roman générationnel de Charles Duchaussois (1940-1991).
Dans un autre registre, il y a Timothy Leary (1920-1996), apologue du LSD et grand lecteur du Livre tibétain des morts, dont il conseillait la lecture lors d'une prise de psychotrope.
Toujours dans le domaine du psychédélisme, citons Terence McKenna (1946-2000), dont les travaux ne manquent jamais de s'intéresser aux Védas, à l'Avesta mais aussi au culte du bovin ou à divers thèmes typiquement indiens. Ses recherches sur la véritable nature du soma des anciens Aryens sont particulièrement intéressantes. Héritier des années dorées du San Francisco hippie, mentionnons encore Alan Watts (1915-1973), conférencier en développement personnel. À l'instar d'Allan Watts, tous les conférenciers de type « new age », dont l'enseignement est spécialisé dans le développement personnel, font référence d'une manière ou d'une autre, et plus ou moins fidèlement, aux concepts indiens (le yoga surtout, mais aussi des concepts comme la réincarnation, les mondes parallèles, la vie après la mort, etc.).
Toujours dans le domaine du psychédélisme et des arts subversifs et populaires, il ne faut pas manquer de relever la présence constante de l’iconographie des divinités indiennes dans l’univers artistique de la musique techno en général et de la Goa Trance en particulier. Rythme tribal, imagerie exotique, consommation de narcotiques : les rave parties sont des bacchanales modernes, des festivals de boue, de couleur et de cannabis qui rappellent tout à fait un festival hindou de type Shivaratri (la nuit de transe qui marque l'anniversaire de Shiva, durant laquelle le bhang est largement et ouvertement consommé).
Malheureusement, depuis la fin des années 1960, durant laquelle la pensée indienne et son décorum accompagna le psychédélisme hippie (Beatles, Who, etc.), jamais plus l'Inde ne provoquera un véritable intérêt en Occident. À moins qu'un sinistre fait divers ne fasse parler d'elle à contrecœur, l'Inde est alors reléguée par nos médias dans un coin peu fréquenté de la grande autoroute des communications modernes. Par ailleurs, l'Amérique et le Moyen-Orient y ont pris une place disproportionnée, occultant ainsi le rôle, la présence et le destin de l'Inde.
En somme, l'Inde nous est toujours aussi lointaine aujourd’hui qu'elle le fût à travers les siècles. La mondialisation a tourné l’Europe vers l'Amérique, le Moyen-Orient, l'Afrique... Et l'Inde, noire mais non africaine, pauvre mais puissante, anciennement colonisée mais non victimaire, l'Inde complexe et particulière, nous demeure encore étrangère.
Bien que peu médiatisées sous nos latitudes, les spiritualités indiennes représentent pourtant une part très importante de la démographie mondiale relative aux différents cultes. Pour s'en faire une juste opinion, il convient de s’intéresser à quelques chiffres significatifs ; l’hindouisme est la croyance de 15 % de la population mondiale, soit deux fois moins que la part du christianisme. Mais si on ajoute à l'hindouisme le bouddhisme et les autres religions qui ont émergé du socle commun védique (dharmique), nous obtenons un chiffre bien plus significatif. Les religions dharmiques prises dans leur ensemble (hindouisme, bouddhisme, jaïnisme, sikhisme) représentent ainsi près de 23 % des pratiques religieuses des habitants de notre planète, soit une part similaire à l'islam (1 être humain sur 4).
En outre il y a plus de vishnouïtes que d’athées dans le monde, ainsi que deux fois plus d'hindous et trois fois plus de partisans d'une tradition dharmique que d'athées. Ces chiffres indiquent l'importance culturelle et religieuse de l'Inde, et permettent de remplacer cette nation à sa juste place : centrale tout comme prépondérante.
Par ailleurs, la pratique du yoga et la popularité de la méditation augmentent encore le nombre d'adeptes d'une des traditions originaires du sous-continent indien.
Si les cultes de Rama, Krishna ou Bouddha n'ont pas dépassé les frontières de l'Asie, le yoga et la méditation (deux pratiques védiques ou bouddhistes) connaissent pourtant une véritable popularité en Occident. Il ne s'agit alors pas de pratiques religieuses, mais plutôt d'activités sportives et relaxantes. Le yoga est ainsi préconisé aux femmes enceintes et pratiqué dans certains de nos hôpitaux publics. Cette pratique ancestrale de domination du corps en vue de connaître la paix de l'âme serait pratiquée par 4 % de la population mondiale, ce qui est un chiffre non négligeable et voué à augmenter.
L'Inde dans la modernité
Trois des quatre principaux foyers de la population mondiale sont situés en Asie. 20 % des habitants de cette planète résident dans le sous-continent indien, formé d'une guirlande de pays accolés à la chaîne de montagnes de l'Himalaya : le Pakistan, l'Inde, le Népal représentant un nombre total d'habitants de plus d'un milliard et demi de personnes, qui passeraient à deux milliards si on y ajoutait les populations afghanes, bangladaises et birmanes.
Dans le futur proche, trois pays sur les dix plus peuplés du monde feront partie du sous-continent indien. Si l'Inde a tenté depuis les années 1970 d'infléchir sa courbe des naissances, les pays musulmans du Pakistan et du Bangladesh n'ont pas entrepris de telles politiques et à présent, alors même que la démographie chinoise régresse, la population du sous-continent indien continue d'augmenter d'une manière incontrôlée.
Pour autant, seul un pays du sous-continent (l'Inde) fait partie des dix plus grands pays du monde, et en comparaison à la Chine, à la Russie ou aux États-Unis, le territoire de l'Inde est bien plus petit. Plus petit même que celui de l'Union européenne, qui est pourtant trois fois moins peuplée (513 millions d'habitants contre 1,3 milliard).
De fait, la densité de population est plus de trois fois supérieure en Inde qu'en France. Dans certaines régions de la vallée du Gange ou du Bengale-Bangladesh, la surpopulation peut même atteindre les milliers d'habitants au km carré, avec une moyenne de 1265 personnes au Bangladesh. De tels chiffres permettent de comprendre les mouvements de migration des musulmans bangladais qui quittent leur pays pour coloniser les collines reculées et les jungles des pays voisins comme l'Arakan birman, l'Assam, le Nagaland ou le Bodoland indien.
Toutes les projections démographiques disponibles proposent l'Inde comme pays le plus peuplé du monde en 2050. De même, les projections démographiques des villes et métropoles annoncent elles aussi la puissance démographique du sous-continent et de l'Inde qui deviendra dans le siècle à venir un protagoniste essentiel des rapports internationaux.
Huit des 20 villes les plus peuplées au monde en 2050 seront situées entre l'Afghanistan et le Bangladesh, ce qui veut dire que près d'une métropole sur deux sera habitée par un peuple hindiphone. À l'échelle de l'Asie, 30 % des 20 plus grandes villes du continent sont déjà implantées dans le bassin qui part de l'Indus (Karachi, Lahore, Islamabad) pour rejoindre l'embouchure du Gange et du Brahmapoutre (Calcutta, Dhaka).
Face au défi de la démographie, la république indienne a promu une politique de contrôle des naissances. Elle fut bien acceptée dans les castes les plus hautes de la société, qui concentraient alors leurs efforts économiques sur un fils ou deux et le financement de leurs études. Mais dans les classes les plus humbles de la société, ainsi que dans les communautés musulmanes, en quête de suprématie démographique dans des régions où elles sont minoritaires, la portée de ces politiques fut sévèrement limitée. En 2018, pour une femme brahmane, la fécondité était de moins de deux enfants, tandis que dans certaines communautés musulmanes, ce taux pouvait monter à plus de quatre enfants.
Tout en promouvant la famille rapprochée, l'administration indienne permet en effet à ses citoyens musulmans d'avoir jusqu'à quatre femmes, ce qui alimente la peur hindoue de voir leur pays submergé par une croissance démographique musulmane exponentielle.
Il serait difficile de dénier aux hindous le fondement de leur peur, car avec une population musulmane approchant les 200 millions, il ne faudra pas longtemps avant que la fragile balance démographique, ethnique et religieuse du pays ne se bouleverse. Si le taux de fécondité des hindoues est identique à celui des Françaises, avec un taux de 2,1 enfants par femme (ce qui est un chiffre juste suffisant pour renouveler la démographie d'un pays), les musulmanes ont quant à elles 2,6 enfants, avec un taux semblable à celui du Pakistan (2,8) et du Bangladesh (2,4) deux pays qui connaissent une telle pression démographique que leur propre population doit migrer pour s'installer illégalement dans les pays limitrophes (Birmanie, Inde, Iran) ou européens (Allemagne, Royaume-Uni, France).
Depuis l'Indépendance, pour endiguer la paupérisation grandissante du pays, le gouvernement indien a pourtant favorisé une politique de faible natalité. La famille nucléaire à l'occidentale s'est depuis imposée dans les métropoles et chez les castes supérieures. Selon les chiffres de 2018, les classes supérieures auraient en moyenne 1,9 enfant par femme, et seulement 1,5 pour le cinquième le plus riche de la population. Les classes défavorisées ont quant à elles plus de trois enfants (3,2). L'absence de système de retraite oblige en effet les plus humbles à compter sur l'aide de leurs enfants pour ne pas finir leurs jours dans le dénuement.
Du fait de toutes ces raisons, l'Inde connaissait jusqu'en 2017 un taux de fécondité plutôt élevé, avec 2,5 enfants par femme, alors qu'il n'était que de 1,6 en Union européenne et en Chine.
Quand on observe les chiffres des principaux indicateurs de développement du pays, on se rend bien vite compte que si l'Inde est encore très loin du degré de développement des pays occidentaux et de la Chine, à l'échelle du sous-continent au contraire, ses scores sont, si ce n'est dans la moyenne, souvent supérieurs à ceux de ses voisins. Tant au niveau des droits des femmes, des enfants, des homosexuels ou encore du taux d'alphabétisation ou de l'espérance de vie, l'Inde possède souvent de meilleurs résultats que les autres pays de la région (ce qui témoigne que la société et l'économie indienne ne sont pas nécessairement en mauvaise santé, mais juste la résultante d'un héritage historique déplorable.)
Ainsi, le taux de mortalité en Inde est inférieur à celui du sous-continent. Son espérance de vie a nettement augmenté depuis un quart de siècle pour passer à 68 ans, un chiffre identique à la moyenne du sous-continent. Quant au taux d’alphabétisation, il est en Inde de 11 points supérieur à cette moyenne.
L'indice de développement humain (IDH) est très difficilement appréciable pour un pays tel que l'Inde, où l'informel règne en maître dans toutes les strates de la société. Si les universités locales forment des médecins de qualité, la santé n'est assurée qu'aux membres des classes sociales les plus hautes et il n'y a pas de système public de santé éfficace. Quant au tissu scolaire et universitaire, s'il est très développé, il demeure, comme tous les domaines de la fonction publique, en proie à la corruption généralisée et à une lourdeur administrative empêchant tout dynamisme.
Concernant les libertés d'internet et de la presse, l'Inde fait mieux que la Chine mais ses résultats ne sont pas satisfaisants pour autant, surtout pour un pays qui souhaite utiliser les nouvelles technologies et les technologies de la communication comme des leviers de son développement.
Sans se tromper, nous pouvons avancer que l''Inde est un pays corrompu. Cependant, selon les chiffres de la perception de la corruption fournis par l'ONG Transparency International en 2014 et portant sur 175 pays, l'Inde figure étonnement en bien meilleure position que la Chine, le Pakistan, le Népal ou le Bangladesh. L'Inde est notée au-dessus de la moyenne du sous-continent, même si son score demeure encore bien en deçà de celui des pays occidentaux (dont sont originaires, ne l'oublions pas, ceux qui réalisent de telles études et classements).
Quant à la criminalité, l'Inde ne peut être considérée comme un pays dangereux. Son taux d'homicide est bien inférieur à la moyenne mondiale ou régionale. L'hindouisme fait de la non-violence et de la maîtrise de ses émotions deux valeurs essentielles qui distinguent un homme de valeur d'un vaurien. Aussi, le recours à la violence est rarement nécessaire ; les Indiens préférant fuir une confrontation ou se soumettre à une remontrance plutôt que d'argumenter.
Enfin, l'inde est-il un pays pauvre ? Économiquement, ce n'est plus le cas. Outre le Tibet, aucun pays de la région ne connaît un plus fort taux de croissance. L’économie chinoise semble même marquer le pas en 2017 pour ne pas dépasser les 3% de croissance alors que l'économie indienne dépasse les 8%, un chiffre astronomique en comparaison des 1,7% de la croissance française et des 2,1% de croissance en moyenne de l'Union européenne cette même année. Concernant les richesses créées dans le pays ou par les entreprises du pays, l'Inde est la 6eme puissance mondiale, elle a dépassé la France en 2017 avec un PIB estimé à 2611 milliards de dollars.
L'économie indienne demeure cependant bien moins performante que les superpuissances américaines et chinoises, dont les PIB sont respectivement dix fois et six fois plus importants que celui de l'Inde, pour des marchés intérieurs semblables en taille, en démographie et en industrie. À l'échelle du sous-continent, il n'existe cependant aucune économie qui puisse rivaliser avec celle de l'Inde. Même les PIB pakistanais et bangladais réunis ne dépassent pas le 5ème du PIB indien. L'Inde est donc une locomotive pour le développement économique de l'Asie du Sud, mais une locomotive qui va à son rythme, qui n'est pas celui des locomotives chinoise ou américaine.
La France et les autres pays de la zone euro, avec un endettement supérieur à 100% de leur PIB sont dans un état de dépendance et même d'asservissement total envers leurs dettes. À l'inverse, le taux d'endettement de l'économie indienne reste maîtrisé aux alentours de 70% du PIB (ce qui témoigne de la stratégie indienne d'indépendance envers les autres puissances mondiales et leurs différents réseaux bancaires).
Si les chiffres de l’économie indienne ne sont donc pas mauvais, ce qui permet surtout à sa population de vivre décemment, c'est le maintien du coût de la vie à un niveaux très bas. Malgré son inflation et son développement économique dynamique, l'Inde reste le pays où la vie est la moins chère d’Asie, voire du monde. En comparaison à un habitant de New-York, un Indien doit débourser quatre fois moins pour bénéficier des mêmes services, composés d'un toit, de trois repas, d'un mode de transport et de quelques loisirs.
La Tradition initiale
Située stratégiquement à la confluence des mondes perse et chinois, en relation commerciale avec l’Égypte, l'Arabie et l’Afrique depuis la plus haute Antiquité, et avec les îles indonésiennes et les côtes australiennes depuis le début de notre ère, l'Inde ne peut manquer de réunir en elle toutes les influences.
Considérées comme exotiques et complexes, les spiritualités indiennes reposent pourtant sur le socle culturel commun à l'Occident et à l'Orient, qui la matière mythologique, partagée jadis par les peuples indo-européens, mais aussi par les Égyptiens, les Sumériens et toutes les autres civilisations premières.
Depuis, les millénaires ont passé, les peuples et les nations se sont transformés. Aux quatre coins du monde, le polythéisme, le panthéisme, l'animisme et le chamanisme, furent abandonnés au profit d'une forme de monothéisme abrahamique.
L'Inde seule demeura fidèle à l'ancestrale tradition. Plutôt que de disparaître, les dieux se transformèrent ; ils eurent des milliers d'avatars, mais jamais ils ne furent oubliés, ni remplacés. De fait, il subsiste en Inde une tradition ancestrale encore vivante, telle qu'il n'en n'existe malheureusement plus nulle part ailleurs.
En Amérique latine, en Sibérie, en Afrique, subsistent encore des formes de croyances archaïques, mais ces phénomènes sont marginaux et ont tendance à disparaître. En Inde au contraire, un milliard d'hindous pratiquent encore des rituels qui trouvent leur origine à la fin du néolithique.
Par exemple, Agni, la divinité du feu importée d'Asie centrale par les Aryas durant le second millénaire avant notre ère, est encore vénérée de nos jours avant chaque rituel hindou. Quant à Shiva, divinité majeure de l'hindouisme moderne, il était déjà présent sous une forme similaire dans la vallée de l'Indus et dans le sud de la péninsule, au IIIe millénaire avant notre ère, avant même que les premiers Aryas n’entrent en Inde.
L'Inde du XXIe siècle porte donc encore la trace de coutumes, de valeurs et de spiritualités plusieurs fois millénaires. Des variations ont bien sûr affecté cette tradition primordiale, mais l'essentiel de son message est encore palpable, notamment à travers les symboles, les icônes, les idoles et les textes sacrés de l'hindouisme moderne.
Les brahmanes, véritables cousins des druides, restèrent même au sommet de la hiérarchie du sous-continent jusqu'aux invasions musulmanes, lesquelles ne furent entreprises que vers l'an 700, pour ne s’intensifier que plusieurs siècles plus tard. Résistant aux envahisseurs islamiques, l'Inde devint même une terre d’accueil pour les Perses qui dédaignaient la parole de Mohamed et préféraient rester fidèles à celle de Zoroastre.
Les mythes indiens répondent donc aux mythes européens, mais d'une étrange manière : si Zeus s'incarne en taureau pour enlever la nymphe Europe, le roi Prithou chasse une Terre transformée en vache.
Autre exemple : dans le Harivamsa, Vishnou insuffle sa présence dans chacune des créatures, ce qui a pour conséquence de les diviser entre une partie féminine et une autre masculine. Ce mythe trouve un écho chez Platon et le mythe de l'être primordial qui contient en lui les deux sexes : la foudre de Zeus sépara cet hermaphrodite initial en deux parties, qui depuis sont à la recherche l'une de l'autre.
Nous retrouvons en Inde des mythes qui ont tant voyagé, d'une culture à l'autre, d'une religion à l'autre, qu'il nous est difficile de savoir quelle civilisation pourrait, à juste titre, s'enorgueillir d'être leur source commune… Où les mythes seraient-ils donc nés ? En Inde ou au Moyen-Orient ? Dans les steppes d'Eurasie ou dans les déserts ceinturant le Croissant fertile ? Dans les forêts, les jungles ou les montagnes ? Autour des Balkans, du Caucase, du Zagros ou du Pamir ? Sur les bords de l'Euphrate, du Don, du Gange ou du Kaveri ?
Pourtant, ces questions ne nous intéressent que peu, car il ne s'agit pas tant de savoir laquelle de ces traditions influença les autres la première, mais plutôt de reconnaître dans chacune d'entre elles un bagage culturel ancestral et homogène.
Ce « savoir ancestral », nous pensons qu'il remonte au Paléolithique supérieur et qu'il est le fruit des traditions orales claniques, des superstitions instinctives universelles et d'une connaissance poussée de la nature et des différents éléments qui la constituent. Cette tradition primitive, chamanique, animiste et nomade serait à l'origine des principaux mythes qui peuplent le paysage culturel de l’Eurasie.
Il n'est donc pas nécessairement pertinent de rechercher des origines exogènes aux mythes. Prenons l'exemple de Dionysos : il est souvent présenté comme un dieu « venu d’Orient », inspiré du culte de Rudra-Shiva. Mais ce serait ignorer que Dionysos est une divinité déjà présente en Grèce à l'époque mycénienne (v. -1200), soit plus d'un demi-millénaire avant le siècle de Périclès et l'âge d'or hellénique. Pausanias avance même que de toutes les divinités, celle du vin et de la transe est la plus ancienne : « le temple de Bacchus qui est vers le théâtre, est le plus ancien de tous » écrit-il dans sa Description de la Grèce. Dionysos n'est donc pas une divinité orientale, mais une divinité tout à fait locale à la Grèce, mais dotée d’attributs exotiques et subversifs.
De la même manière, le dieu védique Rudra est régulièrement présenté comme une influence dravidienne sur le panthéon védique. Or, Rudra est présent dans le Rig-Véda, dont la composition ne se fit ni en Inde, ni dans l'Himalaya, mais probablement dans le Pamir ou les steppes d'Asie centrale.
Comme les ancêtres des Hellènes adoraient déjà une forme de Dionysos avant même d'entrer en contact avec l'Inde, les Védiques adoraient Rudra avant même qu'ils ne s'installent en Inde et n'entrent en relation avec les civilisations dravidienne et indusienne, et leur monothéisme shivaïte. Rudra était pour les Aryens védiques un dieu mineur, certes (tout comme l'était Dionysos en Grèce), mais il n'était pas moins un dieu surgit de l'esprit même du peuple qui croyait en lui.
Qu'il soit Indo-Aryen, Grec ou Dravidien, qu'on le nomme Dionysos, Rudra ou Shiva, il s'agit de la même figure chthonienne, connue par ailleurs en tant que Cernunnos chez les Celtes et Tengri chez les Turco-Mongols.
Cette divinité ne fut donc pas « inventée » quelque part puis importée ailleurs… Elle était déjà là, « partout », pourrait-on dire.
Une religion polythéiste
L'hindouisme suggère des réponses, propose des chemins de pensées, tandis que le monothéisme abrahamique définit, juge, et rationalise la vie et l'existence tout entière. Par le fleurissement de ses cultes hétérogènes, l'hindouisme participa grandement à la diversité du patrimoine culturel et civilisationnel de l'humanité. Mais inversement, des Dix Commandements à la charia, en passant par les édits papaux et l'Inquisition, la croyance en un dieu unique ne s'est jamais traduite autrement que par une tyrannie culturelle et religieuse qui combattit férocement tout ce qui contestait son hégémonie.
En Afrique, l’islam et l’Église ont éradiqué l'animisme, en Sibérie, l'orthodoxie méprise les chamanes, en Iran, les musulmans exterminèrent les zoroastriens. En Irak, il n'y a de cela pas même une décennie, les Yézidis furent réduits en esclavage par les troupes de Daesh, tandis qu'en Amérique du Nord, les Peaux-Rouges virent leur chamanisme éradiqué en quelques générations par une acculturation massive et abrasive du modèle mexicain ou américain, de tradition catholique ou protestante.
Jamais l'hindouisme ou même le bouddhisme ne furent coupables de telles exactions. Plus encore, jamais de telles exactions ne furent commises en se revendiquant de ces religions. Selon la doctrine fondamentale de la non-violence, les textes hindous encourageant le meurtre des étrangers et des infidèles n'existent pas. L'hindouisme, de tradition védique, vishnouïte ou shivaïte, comme tantrique ou bouddhiste, jamais n’encouragea la conversion, l'évangélisation ou même le sermon moral envers ceux qui ne suivaient pas leurs codes. Pour un hindou, celui qui ne vit pas selon la vie sainte prônée par les enseignements des gourous se perd lui-même sur le chemin de la vie, et sa prochaine incarnation sera pour lui une épreuve de plus. L'hindou n'éprouve donc pas le besoin de corriger l’impie, ni même de lui faire la morale ou de lui imposer son point de vue.
Cependant, quand un hindou s'exprime sur ses croyances, il cite rarement les Védas, à peine la Bhagavad Gita, mais il raconte une légende, un conte ou une parabole. Les hindous ne sont donc pas un peuple du livre dans le sens qu'ils ne considèrent pas les mots comme un moyen d'enfermer la réalité dans une certaine dimension.
Même s'il adhère entièrement aux enseignements d'un maître spirituel ou d'une école de pensée, l'hindou sait qu'il existe un nombre incalculable d'autres croyances ou autres tentatives d'expliquer le monde et ne jugera pas son chemin comme ayant plus de valeur qu'une autre voie.
Un hindou peut aussi choisir de ne vénérer aucune idole, et de se concentrer sur sa vie intérieure. Il peut se retirer du monde. En somme, la vie d'un hindou pratiquant est une suite de possibilités, et non une suite d'obstacles.
Dans l'hindouisme, à la grande différence de l'islam et de l’Église, il n'y a pas une vérité, mais des vérités, et toutes coïncident pour se compléter et donner une vision protéiforme de la réalité. Ainsi, si d'aventureux commentateurs qualifient l'islam et le judaïsme de religions de paix, alors que les lectures du Coran et du Talmud suffisent à convaincre n'importe quel lecteur du contraire, dire de l'hindouisme qu'il s'agit d'une religion de tolérance serait au contraire enfoncer une porte ouverte. De fait, les notions de djihad, de croisade, de baptême ou même celle de « peuple élu » ne trouvent dans l'hindouisme aucun pareil ni aucun écho.
Tandis que l'islam demande une soumission totale aux divins mots du prophète Mahomet, et que l’Église demande une rectitude totale envers la volonté papale et envers la figure du Christ, et alors que le judaïsme professe une gloire réservée pour ses paires, les hindouistes eux, ne professent rien d'autre que l'observation du monde et la vénération de dieux élémentaires. Ainsi, il n'existe pas une manière de prier en hindouisme, mais des dizaines : debout, assis, allongé, rampant, en silence, dans le vacarme des clochettes, en chantant, en hurlant, en fumant, en se lavant, car toute position est considérée comme salutaire, du moment qu'elle permet de faire prospérer la vie spirituelle du croyant.
En somme, l'hindou est libre de se créer un univers mystique qui lui est propre et de le développer en fonction de ses aspirations. Les religions abrahamiques proposent un schéma mystique trop simpliste pour que les hindous les considèrent comme autre chose qu'une névrose. L'hindou n'a pas besoin d'un dieu vendeur, il sait qu’il est son propre ennemi et que c'est à cause de ses propres actions (karma) qu'il sera amené, en cas de mauvaise conduite, à être réincarné en une condition plus basse de l'existence. Les Indiens savent bien qu'ils ont assez à faire en s'occupant de leur propre corps, de leur propre âme et de leurs propres vies passées et futures, pour ne pas avoir à se mêler de celles des autres peuplades avec lesquelles ils partagent la Terre.
En Inde, les dieux sont des incarnations des forces vitales de l'univers, mais ils ne sont pas lointains, inatteignables si ce n'est dans la mort, la honte et le jugement des péchés. Au contraire, ils sont en l'homme, ils agissent en lui, s'incarnent en lui, de sorte que pour les aimer, il suffit de s'aimer soi-même, et d'accepter la condition que la destinée nous a consacrée. En terre hindoue, Dieu n'est pas un juge, mais un ami, un ange gardien, et une lumière sur un chemin. S'il porte plusieurs noms, c'est afin que chacun puisse le trouver à son image, et l'aimer à sa mesure et à son goût.
La seule, mais l'immense véritable différence qu'il existe entre les monothéismes et les religions du sous-continent, que l'on appelle alternativement hindouisme, bouddhisme, jaïnisme ou sikhisme, est que les monothéismes, judaïsme mis à part, sont évangélistes, exclusifs et inflexibles, tandis que les sagesses indiennes sont intimes, philosophiques et mouvantes.
Si l'on entre dans le monothéisme par un baptême, comme chez les catholiques ou en récitant trois fois un serment, comme chez les musulmans, on ne devient hindou que par la naissance. Aussi, les hindous ne se marient jamais qu'à l’intérieur d'une même caste.
Tournés sur eux-mêmes, concentrés dans leur péninsule, les Indiens n'ont jamais éprouvé le besoin d'aller se mêler des coutumes et des croyances des autres peuples de la Terre, situés au-delà des mers ou des montagnes. Jamais dans l'Histoire, l'hindouisme ou ses dérivés ne furent responsables de génocides, ou de colonisation, commis au nom d'un de leurs nombreux dieux.
Pour les hindous, la religion est une chose divine et sacrée, qui dirige chacune de leur décision quotidienne, mais pour autant, ils n'ont pas besoin de voir le monde entier soumis à leur propre lubie, et se contentent de vivre là où ils sont, et tels que leurs ancêtres le faisaient, entre la cordillère himalayenne et l'océan Indien.
Les hindous ne sont donc ni évangélistes, ni prosélytes, ce sont juste des hommes et des femmes qui pratiquent pour la plupart le yoga quotidiennement. Leur système de croyance est issu de leur terre : un sous-continent strictement délimité, où chaque rivière, chaque montagne a été déifiée, et donc adorée, comme une des multiples facettes d'un dieu cosmique et infini, qu'ils espèrent atteindre en aimant toutes ses expressions.
Défense de l'Inde
De nos jours, si quelques rares nouvelles nous parviennent d'Inde, il s'agit trop souvent d'un sinistre fait divers, toujours décontextualisé (La crise covidienne du printemps 2021 étant un parfait exemple de la manière dont l'Occident a l'habitude de se faire peur en regardant l'Inde). Ces informations semblent même n'avoir d'autre intérêt que de renforcer dans l'esprit des Occidentaux le mépris à l’égard d'un sous-continent trop différent pour être appréhendé autrement que par la peur, la commisération ou le misérabilisme.
En outre, les journalistes occidentaux collent leur obsession du conflit ethnique et du communautarisme sur un pays pourtant trop différent de l'Europe ou de l'Amérique pour leur être comparé. Ils oublient en effet qu'au siècle dernier, comme au millénaire dernier, l'Inde fut le colonisé et non le colonisateur. Ce sont les arabo-musulmans, les perses et les turcs qui ont ravagé le pays et ruiné son âge d'or. Ce sont les anglais de la compagnie des Indes qui lui pillèrent ses richesses.
S'il n’échappe en effet à aucun observateur que l'Inde connaît de nos jours une vague de nationalisme hindou, peu sont les commentateurs à en exposé la cause, laquelle ne trouve son origine nulle part ailleurs que dans la colonisation musulmane. À la suite des quelques 800 années de colonisation arabe, turque puis perse, un musulman est perçu en Inde comme un envahisseur, comme un colon, comme un élément subversif dangereux, et en aucun cas comme une communauté défavorisée.
Dans un futur proche, la thématique interreligieuse indienne ne cessera de prendre une dimension internationale, répondant aux tensions interethniques européenne et américaine provoquées par le remplacement ethnique des populations blanches indigènes. Or, tandis que l'occident sera miné par ses élites cosmopolites occupées à manœuvrer contre l'intérêt de ses peuples, l'Inde au contraire ne pliera pas, ne cédera pas, et jamais plus ne se laissera dicter sa conduite. Après 1000 ans de colonisation islamique puis britannique, l'Inde n'est pas prête à s'agenouiller à nouveau devant une quelconque puissance, aussi menaçante soit-elle.
Comme cela se passe en de pareil cas, lorsqu'un pays refuse de se plier aux exigences de l'Axe du Bien, l'opinion internationale sera sommée de prendre parti, afin d'approuver un embargo ou une intervention armée. Le temps sera donc venu où l'on ne pourra plus allumer la télé ou la radio, surfer sur le net, sans se voir acculer par une propagande forcenée. Sur les plateaux télés seront lâchés les habituels spécialistes, lesquels mentiront sans vergogne en échange d'une gamelle bien remplie.
Lorsque sonnera à travers le monde le tocsin et que les hindous seront calomniés, nul doute qu'ils seront présentés comme d'ignobles dévoreurs de musulmans. Nul doute que leurs croyances seront moquées, que leur dieux à six bras seront affublés de sobriquets infamants. Absolument tout sera tenté pour destituer les prétentions souveraines de l'Inde à gérer son propre destin, inféodé à la charia comme à Washington ou Londres.
Les mêmes techniques de propagande employées pour d'autres sujets sensibles le seront envers l'Inde : d’abord on diffusera des intox officielles, puis on censurera les discours dissidents, et enfin, on refera l'Histoire en imposant un unique point de vue médiatique. La grande, belle et puissante femme qu'est l'Inde, des légions de sots lui cracheront au visage, tandis que les musulmans seront une nouvelle fois présentés comme des victimes, au mépris des faits les plus évidents, comme du plus lourd des passifs. L'Inde ne possédant pas de groupe de pression en Europe, il sera dès lors extrêmement difficile pour un occidental de parvenir à une information qui n'ait été au préalable volontairement déformée.
Qui rappellera que, sans l’exception culturelle hindoue, les bouddhistes, sikhs, jaïnes, mais aussi les millions d'indigènes animistes auraient depuis longtemps été éradiqués de la surface de la Terre, comme ils l'ont été en Afghanistan, au Pakistan ou encore en Iran ?
Qui rappellera que l'Inde, nonobstant les injonctions hypocrites de l'Occident à la tolérance, pratique la diversité culturelle depuis des milliers d'années, et que seule l’intolérance islamique met à mal ce modèle ?
Il est du devoir de chacun de veiller à ce que l'intégrité indienne soit respectée, et qu'aucun peuple, aucun impérialisme d'aucune sorte, aucune religion venue de l'étranger, n'en bousculent les fondations, si chères à la richesse culturelle de l'humanité. La fin du modèle culturel indien, dont les hindous sont les garants et les gardiens, signifierait la fin d'une civilisation qui est le dernier ancrage reliant encore l'humanité à un ancestral universel. En d'autres termes : s'il s'agit de garantir la pérennité du modèle culturel dharmique partagé par l'immense majorité des Indiens (hindous, bouddhistes, jaïns et sikhes représentant 83 % de la population totale du pays), qui ne comprendrait que l'Inde pratique une politique intérieure clairement hostile envers sa minorité musulmane (14 % de la population du pays) ?
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