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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

LA TRADITION PRIMORDIALE - CYCLES, APOCALYPSES ET FIN DU MONDE (Anthologie de textes du monde entier)

LA TRADITION PRIMORDIALE - CYCLES, APOCALYPSES ET FIN DU MONDE (Anthologie de textes du monde entier)

Le temps cyclique

À Sumer, le temps est cyclique, comme en témoigne une parabole locale : « Veillons à ce que les hommes ne s'installent jamais dans l'allégresse. Surveillons de près leur prolifération, leur prospérité et leur joie de vivre. C'est pour cela, que chez les hommes un temps de malheur succède toujours à une ère de bien être" » (D’après J. Bottero et S.N. Kramer, Lorsque les dieux faisaient l'homme).

Dans la mythologie jaïne, qui nous semble un reliquat de la religion de la civilisation de l'Indus, il existe deux âges sans déluge intermédiaire : utsarpini est le mouvement ascendant et avasarpini le mouvement décadent.

« Suivant la mesure jaïne du temps cosmique, un cycle de temps comporte deux divisions. Dans le cycle ascendant, il y a une amélioration graduelle des conditions physiques et mentales qui comprennent la force corporelle, la santé, le bonheur, la simplicité, aussi bien pour les êtres que pour les conditions de climat et de vie. Pendant le cycle descendant,  une détérioration graduelle de ces conditions se produit. Durant les trois premières ères du cycle descendant, l’homme était complètement dépendant de la nature, pour tous ses besoins. Les arbres qui satisfont les souhaits leur fournissaient tout ce qui leur était nécessaire. L’homme avait une attitude simple, pacifique et satisfaite. L’environnement n’était absolument pas pollué. L’eau était goûteuse, froide et douce. Le sable lui-même était doux comme du sucre. L’air était sain et vivifiant. Les grains et les fruits étaient nutritifs et rassasiants. Un simple repas d’une petite quantité de fruits et d’eau durait des jours. L’estomac rempli et les désirs satisfaits agissaient comme antidotes à l’irritation et réduisaient les disputes et les activités mauvaises. L’ensemble du royaume animal vivait en harmonie avec la nature. Avec le temps, des changements graduels se produisaient et, vers la fin de la troisième ère, la production des arbres à souhait se réduisait. La détérioration générale de la situation entraînait le commencement des querelles et des disputes. Pour se protéger de ces disputes, et pour vivre en paix et en harmonie, l’homme formait des groupes, et le système « Kulkar » se développait. Un certain nombre de personnes s’unissaient pour former un « Kula » (une famille) et le chef du groupe était appelé « Kulkar ». C’était la tâche du « Kulkar » d’arrêter les discordes et d’établir l’ordre. Nabhiraja fut le septième et le dernier de la lignée des « Kulkars ». Sa femme s’appelait Marudeva. L’époque du système « Kulkar » était connue comme celle des jumeaux (yugalia). Un couple humain avait coutume de donner naissance à des jumeaux – un garçon et une fille. Ces jumeaux devenaient mari et femme une fois adultes. Ils avaient l’habitude de mener une vie heureuse et satisfaite et ils mouraient de mort naturelle ensemble. Consommer ce qui était disponible était leur façon de vivre. Comme telle, cette période était aussi connue comme « bhog-bhumi-kaal » ou l’ère de la consommation libre. Jusqu’à l’époque du Kulkar Nabhiraja, l’homme vivait dans ce milieu d’abondance. » (Up-pravartak Shri Amar Muni), Illustrated Tirthankar Charitra. Texte disponible en Français sur https://jainworld.com).

En Inde védique, le temps était une notion cyclique, composée de différents âges amenés à se succéder dans une suite de mouvements ascendants vers le progrès, ou menant vers la décadence. Entre ces différentes étapes de progrès ou de dépréciation, ont lieu des déluges, voulus par les dieux : « À la fin du cycle, les êtres rentrent dans ma puissance créatrice ; à son commencement, je les émets de nouveau. Immuable dans ma puissance créatrice, je produis ainsi par intervalles tout cet ensemble d’êtres sans qu’ils le veuillent et par la seule vertu de mon émanation. » (Bhagavad Gita, 9).

De telles notions sont partagées par des ethnies indigènes indiennes d'origine pré-aryenne, tels que les Marias (Dravidiens) du Chhattisgarh, ainsi que les Konds (Dravidiens) et les Saora (Mundas) de l'Orissa : «Un premier monde créé a été détruit par une pluie diluvienne. Un frère et une Sœur sont épargnés par le désastre, car ils ont trouvé refuge dans une calebasse. Lorsque les eaux se retirent, ils en sortent. » P. Grimal, Mythologies classiques (d'après W. Grigson, The Maria Gonds of Bastar).

Dans le sikhisme : « Lorsque le Créateur exhale un souffle (ou expansion) / Alors la création revêt une infinité de corps ; À chacune de tes inspirations / Tout ce qui est incarné rentre, au contraire, en Toi. » Adi Granth Sahib, 10.

Chez les Celtes : « Ce qui caractérise le grand mythe fondamental celte, c'est la théorie de l’Éternel Retour. Cycliquement, dans l'éternité du Temps et de l'Espace des deux mondes, il revient des temps où les conditions sont exactement semblables à celles qui ont présidé aux origines : alors l'aventure divine et la vie humaine recommencent exactement comme la première fois où elles se sont produites... » P. Verdier, article « Mythes celtes » dans le Dictionnaire des mythes littéraires.

Dans la littérature du Thrace Orphée : « Dieu fait toujours naître une douleur des félicités humaines. Ce sont les horreurs de la guerre et les larmes qu’elles font couler. » Fragment orphique.

En Grèce : « [Le mythe du retour cyclique] était encore transparent dans les premières spéculations présocratiques. Anaximandre sait que toutes les choses sont nées et retourneront à l'àpeiron [« illimité, indéfini, indéterminé »]. Empédocle explique par la suprématie alternante des deux principes opposés : philia et neikos les éternelles créations et destructions du Cosmos. » M. Eliade, Le Mythe de l'éternel retour.

Hésiode, Ovide, les védas, le calendrier maya, la mythologie hopie, mentionnent les âges successifs qui forment ce cycle. Chez les Grecs et les Perses, il s'agit d'âge de métaux. Chez les Mayas ce sont des âges nommés d'après des plantes.

Le cycle cosmique de la vie se retrouve bien évidemment à l'échelle d'une vie humaine, tel qu'en témoignent le vedanta et la sagesse grecque. Chez Ovide, qui reprend Pythagore : « Ne voyez-vous pas l’année se présenter tour à tour sous quatre faces, image de la vie ? »

En Égypte, le cycle et sa destruction est un poncif commun.

- dans la mythologie lié à Rê et à son fin de règne. Le déluge intervient alors que les hommes ne le prient plus assez.

« Cependant, Rê devenait de plus en plus vieux. Les siècles passaient sur lui. Ses os étaient d'argent, sa chair était d'or, sa chevelure de lapis-lazuli véritable. Ses yeux d'électrum brillaient toujours du feu qui jaillit de ce mélange particulier composé d'or et d'argent. Pourtant, il vieillissait. La perte de son nom secret semblait l'avoir affaibli. Les hommes qui vivaient sur la terre voyaient bien qu'il n'.avait plus la même force que naguère, et ils crurent que le moment approchait où ils pourraient secouer son joug. Ils commencèrent à grommeler, à le regarder avec arrogance. Ils envisagèrent de se révolter contre lui. Mais si Rê était vieux, il n'en continuait pas moins de voir tout ce qui se passait sur terre, et il lut ce mépris impatient dans le cœur des hommes. Il entra dans une colère terrible et résolut de les punir. Si la colère d'un vieillard peut être épouvantable, si la rage divine est immense et secoue l'univers, celle d'un dieu vieillissant en menace les fondations mêmes et met l'avenir en péril. Le courroux de Rê foudroya les hommes et s'abattit brutalement sur eux, les empêchant de fuir dans le désert où ils eussent été épargnés. Sur les conseils de l'assemblée des dieux, il appela à lui son Œil, l’uræus protecteur. L'envoyant contre eux sous l'apparence d'Hathor, chatte douce et langoureuse quand elle le voulait mais qui savait tout aussi rapidement se transformer en une lionne avide de sang et de passions, Rê déchaîna ainsi toute sa fureur contre les hommes. Se sentant autorisée et protégée par Rê, la déesse, saisie de pulsions sauvages, se livra à un carnage sanglant qui transforma en ruisseaux pourpres les ruelles de la ville d'Héracléopolis. Les massacres furent tels que le roi des dieux en fut lui-même épouvanté, et demanda à la déesse de cesser : « Les hommes sont suffisamment punis : ils ont subi ma colère et se sont soumis. » N. Guilhou, J. Peyré, La civilisation égyptienne.

- dans le combat contre le serpent à la fin du règne de Chou.

- dans le démembrement d'Osiris.

Dans la période historique, il faut citer les Lamentations du scribe Ipou-Our, qui témoigne de la littérature décadente en vogue durant les époques intermédiaires, entre les dynasties.

En Inde, on distingue le Pralaya, déluge simple intervenant entre deux yugas et le Mahapralaya, qui est l'anéantissement total de l'Univers avant le recommencement du cycle des yugas.

En Grèce : « D’abord l’acropole n’était pas alors dans l’état où elle est aujourd’hui. En une seule nuit, des pluies extraordinaires, diluant le sol qui la couvrait, la laissèrent dénudée. Des tremblements de terre s’étaient produits en même temps que cette chute d’eau prodigieuse, qui fut la troisième avant la destruction qui eut lieu au temps de Deucalion. » Platon, Critias ou l'Atlantide, trad. Chambry.

Les texte sibyllins d’Éthiopie, malgré la relecture chrétienne du mythe de la Sibylle, qui devient une prophétesse annonciatrice du Christ. Après avoir été questionnée sur la signification de rêves étranges, la Sibylle de Tibur répond : « Les neuf soleils que vous avez vus désignent toutes les générations futures : ce qui est dissemblable en eux se retrouvera de même dans la vie des hommes. Le premier soleil est la première génération. Les hommes seront simples, sans fraude, amis de la liberté, véridiques, doux, bons, portés à consoler les pauvres et assez sages. Le second soleil est la seconde génération ; les hommes vivront magnifiquement, se multiplieront beaucoup, adoreront Dieu et vivront sans méchanceté sur la terre. Le troisième soleil représente la troisième génération, la nation se lèvera contre la nation et il y aura beaucoup de combats dans Rome. Le quatrième soleil est la quatrième génération : les hommes repousseront la vérité » (E. Sackur, Sibylle de Tibur dans Sibyllinische Texte und Forschungen. Trad. Basset).

En Amérique du nord, le mystique amérindien Tavilo évoqua un déluge de trois jours en réaction aux méfaits des blancs sur la terre, où ne survivront que les peaux-rouges.

Enfin, en Amérique du sud, le terme « Catanamanoa » évoque celui de la « mer primordiale » et le temps où les forêts étaient inondées.

 

Les quatre races

Hésiode, Ovide, les Hopis et les Mayas, évoquent différentes races d'hommes successives :

En Grèce, chez Hésiode, ce sont trois générations de chefs célestes : Ouranos, Kronos, Zeus. On retrouve ces trois générations dans le cycle hittite de Kumarbi, dans la cosmogonie sémite (dans Sanchoniathon) et orphique (Phanès, Zeus, Dionysos).

En Irlande, les trois nations dominatrices successives sont les Lutins et fées, puis les Fomoires et enfin la tribu des Tuatha de Dannan (Dana) dont le chef est Dagda.

Le cycle hopi comprend quatre mondes :

Topka, le 2e monde : « Sotukuani, avec fougue, fait Topka, le deuxième monde. Lorsqu'il se rend à la porte souterraine, il rappelle les promesses faites par l'être humain : de n'être pas « ceux qui prennent » et qui projettent l'ombre sur l'autre ou sur eux-mêmes, qui souillent la femme au lieu d'honorer son esprit et son corps. Comme Kokyang-Whuti, Femme-Araignée, la femme est conçue opulente, gorgée d'énergie sacrée. Le monde est verdoyant, parcouru d'animaux de toutes sortes participant à l'équilibre et à la vitalité. Ainsi les bêtes sauvages contribuent au mouvement de l'ensemble des créatures et à leur enthousiasme. Les humains vont dans les quatre directions et vivent un temps sous les auspices du Chant. Mais malgré l'abondance naturelle, certains sont enclins à accumuler : ils se servent dans le bien commun, projettent leur ombre sur l'autre, font du corps des femmes un objet de convoitise, de propriété. Une nouvelle émergence s'impose, seuls ceux qui connaissent encore le Chant vont être épargnés. Ils retrouvent la fourmilière tandis que les terres du monde vont geler. »

Le 3e monde, semblable au Kali Yuga indien : « Le troisième monde est une profusion humaine de civilisations, de technologies. Cette puissance réclame une conscience accrue, toute velléité de s'en prendre au Chant risque de détruire plus vite, plus fort que jamais. Après une période éclairée, un temps de déclin survient, le pouvoir des nuisibles s'accroît, fait régner la terreur. Ils se prennent pour des dieux, cherchent à modifier la création de Taïowa, élèvent les autres hommes comme du bétail. Sotukuani et Kokyang-Whuti ne peuvent se résigner à tout faire disparaître sans sauver ceux qui portent encore en leur être le Chant de la Création. Ils trouvent une fourmilière abandonnée, disent aux hommes de couper un roseau creux pour émerger quand les eaux se seront retirées. Les flots se déchaînent. Kokyang-Whuti demeure avec eux sous la terre. »

Le 4e monde : « Quand les vivres commencent à manquer, les survivants du troisième monde font remonter le roseau creux. Comme l'eau ne s'écoule pas, ils envoient en éclaireurs des oiseaux. L'un d'eux revient avec la bonne nouvelle : ce monde est achevé et Masaw le dieu gardien de la terre nourricière, père du Maïs donne son accord pour l'émergence. En file indienne le peuple remonte par le roseau creux, en chantant. Les hommes contemplent ce monde dont ils ont la garde : il est plein de beauté comme les précédents mais contrasté, tissé de creux et de montagnes, de froidure et de canicule, de sécheresse et d'humidité. [qu'ils] fassent leur ascension le moment venu dans le monde suivant, le cinquième, sans destruction. »

Chez les Lacandons (Mexique) : « Quatre fois déjà le monde fut créé et autant de fois il fut détruit. À chaque fois, les jaguars du ciel et de l’infra-monde ont dévoré les hommes. Car c'est pour punir les péchés que le monde a été plusieurs fois détruit et que les créatures terrestres sont condamnés à la souffrance et à la maladie, et les femmes aux douleurs de l'enfantement. C'est pour se faire pardonner que les hommes font des offrandes aux dieux et leur rendent hommage en brûlant du copal » (Chan Kin, recueilli par G. Chaliand, Géo 225, novembre 1997).

Chez les Aztèques, c'est un cycle de cinq mondes :

« Ometeotl, « Dieu Deux », composée d'un aspect masculin Ometecuhtli et un aspect féminin Omecihuatl, engendra quatre démiurges. Deux d'entre eux, Tezcatlipoca et Quetzalcoatl, s'occupèrent de créer le ciel et la Terre à partir du corps du monstre Tlalteotl, le feu, les eaux, un couple humain, le compte des jours et des années et un demi-soleil qui éclairait peu. Pour pallier cela, Tezcatlipoca se fit Soleil afin d'illuminer pleinement toute la Terre. Ainsi débuta le premier Soleil appelé en nahuatl Tlaltonatiuh, Soleil de Terre (il est aussi nommé Ocelotonatiuh, Soleil de Jaguar). L'humanité qui le peupla était composée de géants qui arrachaient les arbres avec leurs mains et se nourrissaient de glands. Ce Soleil s'acheva au bout de 676 ans, soit 13 cycles de 52 ans, quand Quetzalcoatl asséna un grand coup de bâton à Tezcatlipoca. Tombé dans l'eau, celui-ci se transforma en jaguar et dévora les géants. Devenu Soleil à son tour, Quetzalcoatl domina le Soleil de Vent, Ehecatonatiuh. Dans cet âge vivaient des hommes qui ne mangeaient que des pignons de pin. Après 676 ans, Tezcatlipoca s'attaqua à Quetzalcoatl et le fit tomber. Il provoqua ensuite un vent terrible qui emporta tout sur son passage et transforma les hommes en singes. Le troisième Soleil est le Soleil de Feu, Tletonatiuh, ou Soleil de Pluie de Feu, Quiauhtonatiuh. avait pour seigneur Tlalocantecuhtli et était peuplé d'hommes qui s'alimentaient d'acicintli, une graine ressemblant au blé et poussant dans l'eau. Au bout de 364 ans (soit sept cycles de 52 ans), Quetzalcoatl fit s'abattre une pluie de feu et les hommes furent changés en dindons. Vint ensuite le quatrième Soleil, ou Soleil d'Eau, Atonatiuh. Quetzalcoatl installa la déesse Chalchiuhtlicue comme seigneur pendant 312 ans (soit 6 cycles de 52 ans). Les hommes de cette ère s'alimentaient de cincopi, une sorte d'ivraie ressemblant à la tige du maïs. Un immense déluge en termina avec ce Soleil ; les cieux s'effondrèrent sur la Terre et les hommes se transformèrent en diverses variétés de poissons. [Le cinquième soleil] La tradition aztèque compte un cinquième Soleil, synthèse et quintessence des précédents. C'est le Soleil de Mouvement, Ollintonatiuh, dominé par Tezcatlipoca confondu avec Huitzilopochtli, la divinité tutélaire des Mexicas. Il correspond à l'ère présente qui devrait s'achever dans des tremblements de terre et des famines, un effondrement de la voûte céleste et la descente des tzitzimime, de terribles monstres nocturnes squelettiques dotés de serres, qui dévoreront l'humanité. » Nathalie Ragot.

 

L'âge d'or

En Égypte, dans la mythologie liée à Rê : « à la création du monde par le démiurge avait succédé un âge d'or. La terre était une nourricière généreuse. Des épis de sept coudées I poussaient en rangs serrés dans les champs. Nul fléau ne s'abattait sur eux, point de maladie ni de nuées d'insectes. Les ventres de tous étaient remplis et le crocodile n'éprouvait pas le besoin d'emporter des proies dans la vase au fond du fleuve. Les querelles ne divisaient point les hommes. Les plantes n'avaient point d'épines pour déchirer les flancs des hommes et des bêtes. L'harmonie régnait en toutes choses. » (N. Guilhou, J. Peyré, La civilisation égyptienne.)

En Inde, l'âge d'or est le Satya Yuga (âge pur). L'Âge d'or jaïn est semblable.

En Perse, le mythe de l'âge d'or est exprimé en termes de métaux nobles ou vulgaires. À la création du monde, Yima arpentait alors la Terre en compagnie de sa sœur jumelle Yimeh. Ce sont les parents de l'humanité. Sous son règne, la Terre connut son âge d'or et se remplit d'hommes, de femmes, de troupeaux et d'oiseaux. Pour qu'elle soit pérenne, Yima divisa la société humaine en quatre castes : les prêtres, les guerriers, les artisans et les paysans. Les prêtres étaient chargés du culte d'Ahura-Mazda, des rituels civils et de l'enseignement. Les guerriers étaient en charge de faire régner l'ordre et de défendre la terre. Eux seuls étaient autorisés à faire couler le sang. Leur pouvoir sur les royaumes qu'ils administraient était temporaire et ne s'exerçait que sous le contrôle du pouvoir intemporel des prêtres. Quant aux artisans et aux agriculteurs, ceux-là travaillaient à faciliter la vie des gens ou travaillaient la terre. Ces deux castes n'avaient absolument rien d'autre à s'occuper et vivaient dans la paix et la sécurité que leur assuraient les deux autres castes. Sous la direction du vertueux Yima, l'âge, le besoin, la mort, les maladies et le climat trop chaud furent bannis de la surface de la Terre.

En Italie, le mythe de l'âge d'or s'associe à celui d'une certaine utopie politique ; celle du communisme primitif (Roi Saturne).

En Grèce, une version agraire de l'âge d'or est délivrée par Platon dans Critias. Les Travaux et les Jours et la Théogonie d'Hésiode, mentionnent l'âge d'or : « D’abord les Immortels qui ont des demeures Olympiennes firent l’Âge d’or. Sous l’empire de Kronos qui commandait dans l’Ouranos, ils vivaient comme des Dieux, doués d’un esprit tranquille. Ils ne connaissaient ni le travail, ni la douleur, ni la cruelle vieillesse ; ils gardaient toujours la vigueur de leurs pieds et de leurs mains, et ils se charmaient par les festins, loin de tous les maux, et ils mouraient comme on s’endort. Ils possédaient tous les biens ; la terre fertile produisait d’elle-même et en abondance ; et, dans une tranquillité profonde, ils partageaient ces richesses avec la foule des autres hommes irréprochables. [...] Mais, après que la terre eut caché cette génération, ils devinrent Dieux, par la volonté de Zeus, ces hommes excellents et gardiens des mortels. Vêtus d’air, ils vont par la terre, observant les actions bonnes et mauvaises, et accordant les richesses, car telle est leur royale récompense. »

Chez Ovide et ses Métamorphoses : « Le premier âge fut l’âge d’or où, de lui-même, sans lois et sans contrainte, l’homme observait la justice et la vertu. On ne connaissait alors ni les supplices ni la crainte des supplices ; on ne lisait point, gravée sur l’airain, la menace des lois, et la foule suppliante ne tremblait pas devant un juge inutile encore à la sûreté des hommes. On n’avait pas encore vu le pin arraché des montagnes, descendre sur la plaine liquide, pour visiter des climats étrangers ; les peuples ne connaissaient d’autres rivages que ceux de leur patrie, et des fossés profonds n’entouraient point les cités. On n’entendait pas résonner l’airain de la trompette allongée ou du clairon recourbé ; sans casques, sans glaives, sans soldats, les hommes goûtaient les doux loisirs d’une tranquille paix. Vierge encore et respectée des râteaux, la terre ne sentait pas encore la blessure du soc, et donnait ses fruits d’elle-même. Satisfaits des présents que la culture n’avait pas arrachés de son sein, les hommes cueillaient les fruits de l’arbousier, la fraise des montagnes, les baies du cornouiller, la mûre attachée aux ronces épineuses, ou ramassaient les glands tombés de l’arbre immense de Jupiter. Le printemps était éternel, et la tiède haleine de Zéphir caressait doucement les fleurs écloses sans semence. La terre n’attendait pas, pour produire, les soins du laboureur, et les champs, sans repos, se chargeaient de jaunes et abondantes moissons. Des fleuves de lait, des fleuves de nectar coulaient dans les campagnes, et le miel distillait en longs ruisseaux de l’écorce des chênes. »

En Australie : « Bien des saisons de pluie avaient passé depuis ces temps-là, bien des foins étaient tombés en poussière, l'herbe des savanes. Le vent brûlant avait déjà emporté un grand nombre d'années. Nul ne pourrait les conter, car personne ne peut se rappeler. A cette époque-là, les gens vivaient heureux. Ils s'aidaient mutuellement dans leur lutte contre les serpents, ensemble, ils chassaient les kangourous, cueillaient les bananes, déterraient les douces patates et les yams. Personne ne souffrait de faim, personne ne volait à son voisin sa femme, sa hache ou sa massue. Pendant des jours et des jours, les gens, tout en chantant, dansaient le korobori au rythme du claquement de deux morceaux de bois qui résonnait à travers tout le village. Il faisait si beau sur terre que le dieu Piame, en personne, y vivait. » Conte Le secret des fleurs dans J. Serych, Légendes de la Lune, du Soleil et des planètes.

Chez les Iroquois et Hurons : « À cette époque reculée dont plus d’un nuage nous séparent, la mer est le séjour de tous les animaux. Les premiers hommes au nombre de six, l’habitent aussi, non toutefois à la manière des poissons et des amphibies : ils ne vivent pas dans les eaux, mais dessus ; ayant pour tente la voûte étoilée, et pour foyer le soleil. Jour et nuit, le vent les cingle et le flot les ballotte. Enfants de la nature et frères des météores, ils chevauchent sur les marsouins ou se reposent sur le dos d’énormes tortues qui viennent dormir au soleil, à la surface des eaux. Longtemps sans barque et sans armes, ils inventent enfin le canot en peau de loup-marin, l’arc et la flèche en os de baleine, la ligne de boyau avec, pour hameçon, une écaille de siquenoc. Et les voilà, contents de leur sort, qui chantent avec les oiseaux, leur bonheur, au Maître de l’univers. » A. Guindon, En Mocassins.

En Amérique du sud, l'âge d'or guarani : « Cette tâche achevée, Namandu se retire en sa demeure éternelle, laissant à ses auxiliaires le soin de veiller au destin de son œuvre : la première terre, parfaite, ignorant le mal, où dieux et hommes vivent en harmonie. Grâce à l'observance des règles qui conduisent à la perfection, les humains restent altiers, à l'instar des dieux, et partagent avec eux l'attribut suprême de l'immortalité » (R. Bareiro Saguier, La genèse guarani, dans Le Courrier de l'Unesco, mai 1990).

La fin de l'âge d'or biblique, dans la Genèse (trad. Z. Kahn) : L’Éternel dit : « Mon esprit n’animera plus les hommes pendant une longue durée, car lui aussi devient chair. Leurs jours seront réduits à cent vingt ans. »

Revenons à la Théogonie d'Hésiode, et au mythe de la boîte de Pandore : « Avant ce jour les générations des hommes vivaient sur la terre exempte de maux, et du rude travail, et des maladies cruelles que la vieillesse apporte aux hommes. En effet, par l’affliction, les mortels vieillissent vite. Et cette femme, levant le couvercle d’un grand vase qu’elle tenait dans ses mains, répandit les misères affreuses sur les hommes. Seule, l’Espérance resta dans le vase, arrêtée sur les bords, et elle ne s’envola point, car Pandore avait refermé le couvercle, par l’ordre de Zeus tempétueux qui amasse les nuées. » Dans Les Travaux et les Jours : « Et voici que d’innombrables maux sont répandus maintenant parmi les hommes, car la terre est pleine de maux, et la mer en est pleine ; nuit et jour les maladies, accablent les hommes, leur apportant en silence toutes les douleurs, car le sage Zeus leur a refusé la voix. Et ainsi nul ne peut éviter la volonté de Zeus. »

LA TRADITION PRIMORDIALE - CYCLES, APOCALYPSES ET FIN DU MONDE (Anthologie de textes du monde entier)

L'âge d'argent

Les Travaux et les Jours évoquent l''âge d'argent : « Puis, les habitants des demeures Olympiennes suscitèrent une seconde génération très inférieure, l’Âge d’argent, qui n’était semblable à l’Âge d’or ni par le corps, ni par l’intelligence. Pendant cent ans l’enfant était nourri par sa mère et croissait dans sa demeure, mais sans nulle intelligence ; et, quand il avait atteint l’adolescence et le terme de la puberté, il vivait très-peu de temps, accablé de douleurs à cause de sa stupidité. »

Ovide aussi : « Mais lorsque Jupiter eut précipité Saturne dans les sombres abîmes du Tartare, et soumis le monde à ses lois, cette victoire amena l’âge d’argent, moins heureux que l’âge d’or, mais préférable à l’âge d’airain. Jupiter abrégea la durée de l’antique printemps, et dès lors, l’hiver, l’été, l’inégal automne et le trop court printemps partagèrent l’année en quatre saisons. Pour la première fois, l’air s’embrasa de chaleurs dévorantes, et l’eau se durcit au souffle glacé des vents. Pour la première fois, on chercha des abris, et ces abris furent des antres, d’épais buissons ou des claies entrelacées d’écorce. On ensevelit les semences dans de longs sillons et le poids du joug fit gémir les taureaux pour la première fois. »

En Inde, il s'agit du Tetra Yuga.

 

L'âge d'airain

Dans Les Travaux et les Jours : « Et le Père Zeus suscita une troisième race d’hommes parlants, l’Âge d’airain, très dissemblable à l’Âge d’argent. Tels que des frênes, violents et robustes, ces hommes ne se souciaient que des injures et des travaux lamentables d’Arès. Ils ne mangeaient point de blé, mais ils étaient féroces et ils avaient le cœur dur comme l’acier. Leur force était grande, et leurs mains inévitables s’allongeaient de leurs épaules sur leurs membres robustes. Et leurs armes étaient d’airain et leurs demeures d’airain, et ils travaillaient l’airain, car le fer noir n’était pas encore. S’étant domptés entre eux de leurs propres mains, ils descendirent dans la demeure large et glacée d’Hadès, sans honneurs. La noire Thanatos les saisit malgré leurs forces merveilleuses, et ils laissèrent la splendide lumière de Hélios. »

Toujours dans Les Travaux et les Jours, Hésiode, évoque une race des demi-dieux des temps héroïques : « Après que la terre eut caché cette génération, Zeus suscita une autre divine race de héros, plus justes et meilleurs, qui sont nommés Demi-Dieux sur toute la terre par la génération présente. Mais la guerre lamentable et la mêlée terrible les détruisit tous, les uns dans la terre Kadmèide, devant Thèbes aux sept portes, tandis qu’ils combattaient pour les troupeaux d’Oidipous ; et les autres, quand, sur leurs nefs, à travers les grands flots de la mer, étant allés à Troie, à cause d’Hélène aux beaux cheveux, l’ombre de la mort les y enveloppa. Et le Père Zeus Kronide leur donna une nourriture et une demeure inconnue aux hommes, aux extrémités de la terre. Et ces héros habitent paisiblement les Îles des Bienheureux, par delà le profond Océan. Et là, trois fois par année, la terre féconde leur donne ses fruits mielleux. »

Chez Ovide : « À ces deux âges, succéda l’âge d’airain : la race qu’il vit naître, plus farouche, plus prompte à prendre les armes, n’était point encore criminelle : le dur âge de fer fut le dernier. Dans ce siècle formé d’un métal pire que l’airain, tous les crimes envahirent la terre : on vit s’enfuir la pudeur, la vérité, la bonne foi, et régner à leur place, la fraude, la ruse, la trahison et la violence, et la coupable soif des richesses. Le nautonier livra ses voiles aux vents qu’il connaissait mal encore ; les arbres qui, depuis si longtemps, couronnaient immobiles le sommet des montagnes, allèrent, transformés en navires, insulter des flots inconnus ; la terre autrefois commune à tous, comme les airs et la lumière du soleil, vit l’arpenteur prudent tracer un long sillon et marquer des limites. Ce ne fut point assez pour l’homme de demander aux champs les moissons et les fruits, tribut naturel de leur fécondité ; il osa fouiller jusques au fond des entrailles de la terre, et en retirer ces trésors que la nature avait cachés aux confins du Ténare, et qui ne servent, hélas ! que d’aliments à nos maux. »

En Inde, il s'agit du Dwapara Yuga.

Sabdopalon, dernier roi d'Indonésie préislamique annonça une période de domination de 500 ans avant le retour de l'âge d'or.

Selon le Livre du destin, le règne étrusque ne devait durer que 1000 ans. À l'approche du terme, les étrusques ont donc admis leur déclin, afin d'accepter l'ordre divin. « Le monde étrusque a ses dieux, au-dessus desquels planent les dieux cachés, que le Jupiter toscan, lui-même, consulte : mais ce monde est fini et périssable ; et, comme il a eu son commencement, il tombera en dissolution, après un long temps, dont les siècles marquent les heures » (Théodore Mommsen, Histoire romaine, tome 1).

 

L'âge de la destruction

Le thème de la décadence est universel, mais il affecte particulièrement les sociétés qui ont atteint leur zénith et qui ne peuvent que chuter. Tout comme les puissantes dynasties égyptiennes du début du second millénaire avant notre ère avaient tremblé face aux invasions des « peuples de la mer », les Romains du début du premier millénaire tremblaient face à la pression exercée par les peuplades germaniques amassées aux frontières de l'empire. Pour autant, ses élites menaient une vie de débauche, le plaisir et la richesse ayant remplacé comme valeurs, le courage et la piété.

De l’Égypte ancienne jusqu'à nos jours, il semble que les sociétés humaines naissent d'une division initiale, s'organisent ensuite afin de connaître le plus haut degré de prospérité, puis s'effondrent inévitablement, en conséquence logique du haut degré de confort auquel elles étaient parvenues.

Une catastrophe initiale est souvent la base d'une civilisation. Les Aryens quittèrent l'Asie centrale pour fuir la désertification du Karakoram, et s'installer dans les vallées verdoyantes de l'Oxus, de l'Indus et du Gange. Poussés par d'autres peuples nomades d'Asie centrale, les Celtes et les Germains s'installèrent en Europe. Chassés d'Anatolie par les Scythes, les Cimmériens traverseront le Bosphore pour s'installer en Europe. Plus tard, les Scythes et les Alains déferleront respectivement sur l'Inde et sur la Gaule, pour échapper à la pression hunnique. En littérature, c'est Énée fuyant Troie, sa patrie en feu, ou Erik le Rouge, qui aborde le Groenland et l'Amérique du Nord, condamné à l'exil.

Afin que la société en exil survive à ce cataclysme initial, qui est une sorte de départ du jardin d’Éden, elle applique une morale ambitieuse et incorruptible. En exil à Médine, Mohammed demande (et obtient) de ses fidèles une rigueur implacable dans leur foi : les femmes se couvrent et les hommes ne se lient pas avec les étrangers. En Italie, le descendant d’Énée Romulus applique pour lui-même une rigueur morale si stricte, qu'il n'hésitera pas à tuer son propre frère pour la faire respecter. En Grèce, c'est en méprisant la mort, en imposant l'esclavage aux villages voisins et soumis et en interdisant l’enrichissement personnel, que Sparte conserva de longs siècles son indépendance... sans même se doter de murailles !

À la puissance militaire, succèdent les alliances diplomatiques. La recherche de la gloire laisse place à celle du plaisir et du confort. Des valeurs universellement partagées, comme la justice, la vérité, la beauté, la force, la fécondité, la famille, le goût du travail et de l'effort, la culture physique et intellectuelle, sont alors remplacées par l'unique quête individuelle du plaisir. Les vices se multiplient donc en conséquence.

Les rois ne sont plus des conquérants mais des administrateurs. Les religieux ne sont plus des saints mais des percepteurs. La religion, quelle qu'elle soit, n'est plus pratiquée avec autant de dévotion. Le clan, devenu peuple, puis état, n'est plus défendu avec zèle. Si il est défendu, c’est par des mercenaires capables de se retourner en cas de solde impayé. La société n'est plus un corps, mais une machine.

La civilisation jadis brillante mais à présent corrompue, cède alors son territoire, ses institutions et sa culture à une autre entité plus jeune, plus morale, elle-même issue d'un cataclysme initial.

Selon la tradition indienne (Kurma Purana et Agni Purana), nous vivons actuellement dans l'âge du Kali Yuga, qui commença à la mort de Krishna, alors que celui-ci prit le chemin du ciel pour rejoindre sa demeure éternelle du Vaïkuntha. Cet événement, qui marque la fin du Dwapara Yuga et le début du Kali Yuga, serait, selon les exégèses vishnouïtes, intervenu en -3102, alors que se terminait la guerre légendaire du Kurukshetra. Le Kali Yuga, l'âge final de l'humanité dans lequel nous évoluerions à présent, dure 1200 ans védiques ou 432 000 années puraniques, selon le système de décompte approprié. Les prophéties hindoues nous apprennent alors qu'après une période de 10 000 ans qui sera marquée par la réussite et le progrès, rappelant en cela l'âge d'or, l'humanité plongera dans une crise mortifère et les hommes, ne respectant plus la vie, se tueront entre eux. L'homme perdra alors totalement la conscience de sa véritable nature. Il agira comme un fou, et s'attaquera à la planète elle-même. L'argent sera son unique divinité et à part quelques obscurs brahmanes qui officieront cachés, la science des Vedas sera perdue. Le chaos régnera et les castes seront mélangées. Lors du Kali Yuga, la justice sur Terre n'est plus que le dixième de ce qu'elle était durant le Satya Yuga. La véritable adoration a disparu, de même que le véritable sacrifice. Les écritures saintes sont les Tantras, des manuels de métaphysique teintés de sexualité et souvent écrits par des profanes. Le noir est la couleur attitrée de cet âge sombre. La durée maximale d'une vie humaine est alors d'une centaine d'années et règne sur Terre et dans le cœur des hommes la colère, la haine, le désir violent, les passions, et toutes autres formes de violences. Les hommes cherchent des satisfactions en dehors du mariage, avec des femmes de basses castes, et l'homosexualité se répand. Les préoccupations matérielles sont excessives et les maladies sont universellement répandues.

« Le Kali Yuga commença lorsque le Seigneur Krishna regagna le séjour céleste. [...] Ce terrible Kali Yuga s’appuie sur la puissance des aromates sacrés, du mensonge, du vin, des femmes et de l’or. [...] Le sacrifice, la mansuétude, l’étude des Véda et des Tantra disparurent, tandis que des infirmités mentales et physiques, vieillesse, misère, désespoir et peur, devinrent les caractéristiques essentielles de la vie humaine. Le Kali Yuga engendra des hommes à la vie courte, pratiquant l’adultère et adeptes de la décadence généralisée. Les brahmanes devinrent pervers, méchants, homicides, tuant même leurs parents, ignorants des Véda et des écritures, obséquieux et se firent même les serviteurs des shudras ! Ainsi devinrent-ils perfides, inconstants, dégénérés, confondant les dharma, falsifiant le Dharma et les védas, tueurs, cruels, avides, débauchés, trompeurs, provoquant la confusion des castes par des mariages mixtes, a courte vie, pratiquant le mal, avilis, se regroupant en compagnie de gens méprisables, connaissant le désespoir, ils se querellent et se battent. Ils élaborent des parures pour attirer les riches. Ascètes prônant les dharma du confort, ils calomnient les gourous et feignent de prêcher le Dharma pour tromper les innocents. Les shudras se lancent dans les affaires afin de s’approprier la richesse des autres, ils marient leurs fils et leurs filles selon les envies des uns et des autres, ils préfèrent la fréquentation des pervers plutôt que celle des vertueux. Ils ignorent l’acte généreux, sont incapables de détachement, se rengorgent de paroles vaniteuses sur le Dharma. Ils considèrent la richesse comme le seul signe de l’intégrité, prennent les eaux de lieux étrangers comme sacrées, se font passer pour des brahmanes en revêtant leurs habits et le cordon sacré. Ils cultivent des terres le long des rives des fleuves pour produire des céréales. Les femmes abandonnent leurs maris pour s’adonner à la prostitution. Les brahmanes deviennent des exploiteurs. Les veuves se promènent librement, sans vergogne et sans protection. Les nuages d’orage grondent et éclatent d’étranges façons, ce qui ne permet pas à la terre de donner de bonnes récoltes. Les percepteurs d’impôts écrasent et maltraitent tous ceux-ci, chargés d’enfants, se réfugient dans les montagnes et les forêts. » Kalki-Purâna (I, 1), par Shri Jîvânanda Vidyâsâgara Bhattacharya trad. Bhatt et Remy).

 

Typiques du Kali Yuga hindou, la décadence et le chaos social se retrouvent à l'identique dans Les lamentations d'Ipou-Our (Papyrus Leiden 334), un texte égyptien de la 19e dynastie (-1292 à -1189) dont les premières compositions peuvent remonter vers -2000 à -1400. L’Égypte, qui jamais ne disparut, tout en connaissant des centaines de bouleversements en quelque 3000 ans, partageait cette notion d'une temporalité cyclique, composée de mouvements ascendants puis descendants, de va-et-vient entre période de sagesse et période de décadence. Ce texte est un chef-d’œuvre de la littérature ancestrale.

1, Les gardiens se proposent de piller. Les artisans [ne fabriquent plus d'objet de qualité.] Le blanchisseur refuse de porter leur linge. Les braconniers sont aux affûts, les habitants du delta ont revêtu leurs armures. Les brasseurs [ne font plus la bière et les fêtes sont] tristes. Les pères regardent leurs fils comme des ennemis. La confusion règne. Les tribus du désert sont toutes devenues égyptiennes [...]

2, Les pauvres sont devenus détenteurs de richesses, et celui qui ne pouvait pas même se faire une sandale, est à présent le créditeur des riches. Les esclaves sont tristes et les magistrats, quand ils se prononcent, ne fraternisent pas avec leur peuple. Les esprits s’échauffent, la peste va à travers le pays, le sang aussi est partout. La mort rôde. Les bandelettes des momies s'animent alors que personne ne s'en approche. Nombreux sont les morts qui parsèment le lit du fleuve, dont les vagues sont une sépulture et les tourbillons une salle d'embaumement. Les nobles sont en détresse, tandis que le pauvre est joyeux. Dans chaque cité, les villageois se proposent de supprimer les plus puissants d'entre eux. Les hommes sont semblables aux hérons. La misère est partout dans le pays et il n'existe personne dont la toge soit demeurée blanche. [...] Les pauvres gens se plaignent : « Quelle misère ! Qu'allons-nous faire ? » se demandent-ils. Dans les rivières coule du sang, que les hommes boivent. L'humanité s'éloigne de la condition humaine et elle a soif. [...] Les crocodiles se gavent de poissons et les hommes se jettent volontairement dans leur gueule. C'est la dévastation. […] Rares sont les hommes véritables, mais nombreux sont ceux qui mènent un frère en terre et quand commence à parler le sage, tout le monde s'enfuit au plus vite... Celui qui est bien né a délaissé son épouse pour une autre et a fait du fils de sa femme le fils de sa servante.

3, Le désert ravage le pays, les frontières sont abandonnées, et les barbares venus de l'étranger entrent en Égypte. Des hommes arrivent, [s'installent comme si le pays était à eux] et il ne se trouve plus nulle part de véritables Égyptiens. Tandis que les coffres d'ébène sont fracturés, l'or, le lapis-lazuli, l'argent, le turquoise, la cornaline et l'améthyste, la pierre d'Ibhet, voilà ce que l'on trouve au cou des servantes et courtisanes. Le pays est encore prospère, mais les mères de famille ne cessent de répéter qu'elles n'ont rien à manger. Les corps des femmes de la noblesse sont tristes d'être revêtus de haillons et quand elles se saluent, elles ploient sous la honte. Ceux qui construisaient des pyramides sont devenus des paysans, et ceux que jadis transportaient la barque divine, à présent en sont les rameurs. [...] Le rire est mort, il ne jaillit plus, seuls les gémissements et les plaintes se font entendre à travers le pays.

4, Ceux qui étaient égyptiens sont devenus des étrangers et sont rejetés de leur propre patrie. Chacun perd ses cheveux, et l'homme de valeur ne se distingue plus de l'homme du commun [le noble ne se distingue plus de celui qui n'est rien.] [Plus personne ne dort plus,] à cause du bruit, car depuis des années retentit un vacarme sans fin. Les puissants comme les petits, tous avouent espérer la mort, et les enfants en bas-âge les maudissent de leur avoir donné la vie. On jette les héritiers des princes contre les murs, et l'on installe au plus haut de l'état des bâtards. Ceux qui jadis méritaient les honneurs de l'embaumement, à présent leurs cadavres sont laissés dans la poussière. Par conséquent, les secrets des embaumeurs se perdent. Ce que l'on apercevait hier encore, aujourd'hui a péri. Le pays est laissé à l'abandon et à sa faiblesse. [...] Celles que l'on n’apercevait jamais de jour, à présent ne se cachent plus. Les épouses leur ont laissé la place dans le lit de leur mari. [Maîtres comme] serviteurs, tous sont ruinés. Il n'y a aucun remède à tout cela : les aristocrates souffrent comme leurs domestiques, et les ménestrels ne jouent plus que du métier à tisser, tandis que les chants qu'ils adressent à leur déesse ne sont plus que des complaintes endeuillées. [Celui qui n'a reçu ni éducation ni initiation gère les affaires du pays, tandis que] ceux qui parlent bien sont courbés dans les champs. Les jeunes filles esclaves sont impertinentes, et quand parle leur maîtresse, elles ne se gênent pas pour lui faire comprendre qu'elle les dérange. Les arbres sont abattus et leurs branches sont arrachées.

5, […] Le Bien résonne partout comme un mot, mais ce que font les hommes, c'est le Mal. Les lâches se disputent le trésor des voleurs, ainsi que tout ce que possède l'honnête homme, puis s'en vont. Les animaux pleurent, les bovins meuglent de désespoir à cause du mauvais état du pays. [...] Khnoum, le dieu du Nil, grogne de reproches. La terreur tue, celui qui a peur s'oppose à ce qui lui est fait. Certains se satisfont de la situation, [d'autres ne cessent de se rebeller, en vain]. [...] Les esclaves [qui jadis vivaient dans la crainte] pullulent, mais c'est les hommes forts que l'on envoie battre la campagne et voyager en tous lieux. Un frère frappe son frère maternel. Que se passe-t-il ? Je ne rencontre et ne devise qu'avec des gens ruinés ! Les chemins sont [dangereux]. Les routes sont gardées, mais cela n’empêche pas les brigands de se tapir dans l'ombre et d'attendre que passe le voyageur aveugle, afin de le dépouiller de tous ses biens, ainsi que de tout ce qu'il porte, pour enfin le rouer à coups de bâtons et le laisser pour mort. Ce que l'on apercevait hier encore, aujourd'hui n'est plus. Le pays est laissé à l'abandon et à sa faiblesse. Les roturiers font et défont les situations. [...]

9, [...] Tout va à la ruine ! Ruinés par les ennemis étrangers, nos artisans ne travaillent plus. Celui qui récoltait, à présent ne connaît plus les saisons et celui qui n'avait jamais récolté pour lui-même, possède des champs entiers. Les récoltes se font, mais elles ne sont pas déclarées. Le scribe est assis à son bureau, mais ses mains sont oisives. [L'anxiété règne] en ces temps, un homme en regarde un autre comme s'il s'agissait pour lui d'un adversaire. [C'est de tout cela dont] souffre la Terre.

10, [Quant au peuple] par la force et la terreur, il se fait extorquer son pain. L'homme du commun se plaint, mais ses requêtes n'arrivent jamais à temps. [Le criminel vit en liberté, mais] on saisit les biens et les propriétés de l'honnête homme. [Un homme se fait rouer de coup chez lui ?] Les gens passeront rapidement devant sa porte, [feignant de ne rien voir.]


 

Intéressons-nous à présent à la Sibylle et à une de ses prophéties (trad. Sakur) :

« Dans le huitième âge, il y aura beaucoup de pleurs et de troubles ; les terres et les contrées maritimes seront ruinées et désolées. Il y aura ensuite une grande terreur chez les habitants du pays d'El Baser ; l'île de la mer sera conquise et pillée ; il y aura dans Byzance de la crainte et du trouble ; la route entre Rome et les Francs n'existera plus.

En ces jours, il y aura du carnage sur ce chemin, la Syrie sera ravagée ainsi qu'une grande ville. [...] La Syrie sera ruinée et les églises dévastées ; les gens vivront tous dans le mensonge et l'injustice. En ces jours, l'esclave se reposera et le maître travaillera ; la servante sera assise et la maîtresse tournera la meule ; les serviteurs se prendront pour les chefs ; ceux qui ne connaissent ni leurs pères ni leurs mères seront gouverneurs dans toutes les provinces.

En ce temps-là, le péché et la fornication se multiplieront ; l'injustice s'accroîtra, la justice disparaîtra, les prêtres seront adultères et marcheront dans la voie du péché ; ils aimeront la nourriture et la boisson ; ils n'enseveliront pas les morts et ne se lèveront pas pour la prière ; ils se montreront orgueilleux envers le peuple à cause de la parole qui leur aura été donnée ; ils seront couverts de honte et châtiés à cause de leurs actions. Écoutez leurs paroles et n'agissez pas comme eux. Ils auront perdu la foi et la charité.

Ensuite les églises seront ravagées, les gens périront afin que s'accomplisse la parole du prophète Daniel quand il dit : « Le désert sera privé des ermites qui y vont » ; il n'y aura plus personne dans les montagnes et le trouble s'accroîtra sur ceux qui vivent dans les villes. Tout cela arrivera dans le huitième âge.

Les pères diront à leurs fils : « Vous n'êtes pas à nous » ; les fils renieront leurs pères ; les esclaves s'élèveront contre leurs maîtres ; l'ignorant s'emparera du pays et d'une grande ville qui est en Orient ; le carnage y durera trois jours et trois nuits ; il n'y restera qu'un petit nombre d'habitants. Jérusalem sera ravagée ; il n'y aura plus personne à l'endroit où Jésus fut crucifié. Tel sera le huitième âge.

En ce temps-là les prêtres, les diacres, les moines, les orphelins imploreront le Seigneur et gémiront. Mais à cause de la multitude de leurs péchés, il détournera d'eux sa face ; il n'écoutera pas leurs prières. Le mal se multipliera dans cette période plus que dans la précédente et la suivante.

En ce temps, des gens viendront de l'Orient et d'autres de l'Occident ; ils se rencontreront en route, s'interrogeront mutuellement et se diront : « Où voulez-vous aller ? » Les uns répondront : « Nous allons vers l'ouest ». « N'y allez pas, car il y a là beaucoup de malheurs ! Où allez-vous, vous-mêmes ? » « A l'Est ». « N'y allez pas, car il y a là beaucoup de malheurs ».

En ce temps, là, les villes qui sont entre les rivières seront ruinées ; la moitié de l’Égypte sera incendiée ; la terre sera couverte de désolation ; beaucoup de vaisseaux seront brisés ; le sang coulera dans le fleuve ; les vaisseaux partiront pour ne plus revenir ; il y aura un grand chagrin et un grand, deuil, si bien que les vivants diront aux morts : Heureux êtes-vous ! »

 

Citions d’autres échos au Kali Yuga :

En Scandinavie : « L’hiver s’achemine ; la neige tombe de tous les coins de l’univers ; la rigueur du froid et du vent est affreuse, l’ardeur du soleil perd son intensité. Deux hivers semblables à celui-ci se succèdent sans être suivis d’été. Ce temps a été précédé d’une époque de combats et de luttes ; les frères se tuaient mutuellement, les pères mêmes n’épargnaient pas leurs fils » (S. Ricard, Précis de mythologie scandinave).

En Grèce, l’Âge de fer : « Oh ! si je ne vivais pas dans cette cinquième génération des hommes ! si, plutôt, j’étais mort auparavant, ou né après ! En effet, maintenant, c’est l’Âge de fer. Les hommes ne cesseront d’être accablés de travaux et de misères pendant le jour, ni d’être corrompus pendant la nuit, et les Dieux leur prodigueront les amères inquiétudes. Cependant les biens se mêleront aux maux. Mais Zeus détruira aussi cette génération d’hommes, après que leurs cheveux seront devenus blancs. Le père ne sera point semblable au fils, ni le fils au père, ni l’hôte à l’hôte, ni l’ami à l’ami, et le frère ne sera point aimé de son frère comme auparavant. Les vieux parents seront méprisés par leurs enfants impies qui leur adresseront des paroles injurieuses, sans redouter l’œil des Dieux. Pleins de violence, ils ne rendront point à leurs vieux parents le prix des soins qu’ils ont reçus d’eux. L’un saccagera la ville de l’autre. Il n’y aura nulle pitié, nulle justice, ni bonnes actions ; mais on respectera l’homme violent et inique. Ni équité, ni pudeur. Le mauvais outragera le meilleur par des paroles menteuses, et il se parjurera. Le détestable Zèle, qui se réjouit des maux, poursuivra tous les misérables hommes. Alors, s’envolant de la terre large vers l’Olympe, et délaissant les hommes, Hadès et Némésis, vêtues de robes blanches, rejoindront la race des Immortels. Et les douleurs resteront aux mortels, et il n’y aura plus de remède à leurs maux. » Hésiode, Les Travaux et les Jours (trad. Leconte de Lisle).

À Rome : « Déjà le fer coupable et l’or plus coupable encore que le fer, paraissent au jour ; avec eux paraît aussi la guerre, qui se sert de ces deux métaux pour combattre, et secoue d’une main ensanglantée des armes retentissantes. On ne vit plus que de rapine ; l’hôte n’est plus en sûreté auprès de son hôte, le beau-père auprès de son gendre ; les frères mêmes sont rarement unis : l’époux trame la mort de son épouse, l’épouse celle son mari : les cruelles marâtres distillent les sucs mortels de la ciguë ; le fils accuse la durée des jours de son père ; les droits du sang sont foulés aux pieds ; et, de toutes divinités, la vierge Astrée quitte la dernière le séjour de la terre, que le meurtre a souillée de sang. » Ovide, Métamorphoses.

En Australie : « Mais il n'en fut pas ainsi pour toujours. Les gens commencèrent à ne s'occuper que d'eux-mêmes. Celui qui avait deux lances traitait de haut celui qui n'en avait qu'une. Un autre arrivait à prendre à la chasse plus de gibier que ce qu'il lui fallait pour se nourrir, mais jamais il n'en donnait ni ne prêtait un seul morceau à quelque nécessiteux. Le dieu Piame, ne pouvant plus supporter ce spectacle, quitta les gens, lesquels, en proie à la haine, commencèrent à s'entre-tuer. Piame monta sur la montagne Oobi, et dès lors la terre devint désolée. Tous les oiseaux vinrent bientôt rejoindre le dieu au sommet d'Oobi, aussi, le silence se fit soudain sur toute la nature aux environs de la montagne, comme sur la forêt qui va être abattue. Puis, les fourmis et les coléoptères, qui auparavant égayaient l'herbe verte, prirent à leur tour le chemin de la montagne Oobi. Mais quel triste spectacle, lorsque tout ce qui était en fleur fut parti! En une seule nuit, toutes les fleurs des prés et celles des arbres avaient disparu et, de chagrin, les feuilles des buissons et des arbres se mirent aussitôt à périr et l'herbe dans les prairies à jaunir. » Conte « Le secret des fleurs » dans J. Serych, Légendes de la Lune, du Soleil et des planètes.

 

L'armée des ténèbres

En Kabylie, « le monde se retournera et un nain, sorte de tête à jambe, bras, œil et oreille uniques, sans tronc, envahira l'univers en se multipliant comme des puces ou des fourmis, semant le désordre, la sécheresse, la consommation et la stérilité. »

Dans la mythologie du mazdéisme, on observe aussi des monstres de l'espace : « Malgré sa défaite, le Mal n'avait pas encore perdu sa souveraineté sur l'Univers matériel et afin de détourner à son profit le homa qui perlerait de l'arbre de vie, Ahriman créa dans l'océan Wazay, la grenouille monstrueuse. Cet animal était tel qu'il devint la plus grande créature de l'Univers. Pour tenir éloigné ce lézard, Ahura-Mazda créa dix poissons géants, les Kars. Encore plus grands que ne l'était la grenouille, leur tâche était de tourner sans cesse autour de l'arbre à homa afin d'en interdire l'accès aux monstres d'Ahriman. Ces poissons étaient les plus gigantesques des créatures jamais créées par Ahura-Mazda. Ils étaient si grands, que même s'ils avaient nagé rapidement toute une journée durant, ils n'auraient pu parcourir une distance équivalente à leur propre taille. Désirant que ces poissons fussent les créatures les plus vigilantes qui soient, Ahura-Mazda les dota d'une vue si perçante qu'ils auraient été capables de percevoir une aiguille, même enfouie au plus profond des abysses maritimes. Le dieu juste et bon les consacra souverains des mers et plaça l'ensemble du règne aquatique sous leur commandement. Depuis, se relayant par groupe de deux pour assurer sa protection, ces poissons circulent autour de Gaokerena en d'inlassables mouvements circulaires. Leur veille est cependant facilitée par le fait que leur créateur les a dispensés du besoin de manger, les abreuvant plutôt de nourriture spirituelle. » Récit inspiré de l'Avesta.

 

Chez les Incas et les Aztèques, ce sont des monstres de l’espace (larves, jaguars) qui anéantissent le monde à la fin des temps. Chez les Lacandons, ce sont aussi les jaguars.

 

Le déluge

Il dure 7 jours et 7 nuits en Kabylie et à Sumer.

Il dure 6 jours et 7 nuits à Babylone.

Il dure 10 jours et 10 nuits pour les mazdéens.

En Kabylie, « un mythe eschatologique prédit la subversion du monde civilisé par cet envers du monde qu'est le monde chtonien. Cette fin du monde serait précédée de signes tels que la généralisation des ténèbres, la confusion du ciel et de la terre, la mise en mouvement des montagnes, un déluge » (Wikipédia).

Chez Philon qui reprend Sanchoniathon, le déluge phénicien intervient à la suite d'une phase de civilisation (agriculture, vêtement) durant laquelle « la Phénicie est ravagée. »

En Inde, selon le Matsya Purana (trad. J. A. Dubois), « le déluge est voulu par un démon qui capture la Terre sous les eaux, et c'est un dieu généreux qui la sauve puis se marie avec pour la féconder à nouveau (ce n'est pas l'avatar poisson qui féconde mais l'avatar sanglier. Le poisson licorne tue le monstre mais c'est le sanglier géant qui fait émerger la Terre en la faisant émergé grâce à ses défenses. »

Les traditions indiennes évoquent différents fin du monde : 1) non voulu par Vishnou, 2) sans émotion ni morale par Shiva.

Dans l'Ancien Testament, Yahvé aide Noé mais punit le reste des vivants. Dieu tout puissant et ambivalent, il aide et punit à la fois. « Peu de temps après, comme l'avait annoncé le poisson, les eaux tombèrent du ciel, et jaillirent des mers et des fleuves. Le fil qui retenait les étoiles à la voûte de l'univers ayant été rompu, les astres tombèrent sur la Terre, qui fut aussitôt dévastée. »

En Chine, c'est la mort du géant cosmique Pangu qui déclenche un déluge à travers l'Univers. En outre, Yu endigue le déluge et devient un roi mythique (v. -2000). Évoquons aussi l'empereur Zhanxu contre l'intendant serpentiforme (corps de serpent et cornes de buffle) Gonggong, qui brise un des quatre piliers du ciel (mont Buzhou). La déesse Nuwa répare alors la voûte du ciel. « La terre s'ouvrait, les étoiles tombaient, les montagnes s'éventraient, les forêts brûlaient, ainsi que de nombreuses personnes, prises dans les tourments, étouffées, noyées, dévorées par les flammes. Voyant ses enfants souffrir, Nuwa décida de les sauver, et monta au plus haut du ciel pour le colmater avec une mixture composée de cinq pierres précieuses moulues et mélangées. »

Le déluge lacandon : « Une fois sa création terminée, les frères d'Hachakyum lui demandèrent ce qu'il comptait faire maintenant : « Je pense que je vais retirer mes créatures du monde. Quand nous le voudrons, je mettrai un terme à ce monde. Rien ne sera laissé. Tout disparaîtra. Le monde sera détruit par une éclipse solaire et les hommes seront dévorées par les jaguars. Mais à la fin du monde, ces âmes reviendront sur terre. Elles reviendront dans la jungle. Les âmes du gibier reviendront aussi dans la jungle. Mais avant cela, il n'y en aura plus aucune étoile, ni au ciel ni dans le monde d'en bas. Tous les arbres vont mourir. Il n'y aura plus d'arbres ni de plantes ni rien. Le soleil disparaîtra. Ce sera le froid et l'obscurité. Plus d'eau non plus. Pas même d'insectes, ni d'oiseaux. Tout disparaîtra. La terre va entièrement brûler. » Chan Kin, recueilli par G. Chaliand, Géo 225, novembre 1997.

Chez Ovide, c'est le cannibalisme de Lycos qui provoque la colère de Zeus. Dans l'Ancien testament, c'est la conduite des habitants de Sodome et Gomorrhe, qui n’accueillent pas les anges de Yahvé (il s'agit donc de la luxure et de l'inversion). Chez les Guaranis de l'Amazonie, il s'agit de l'inceste : « L'éternité prend fin lorsque les hommes enfreignent les règles et tombent dans l'animalité. La chute est entraînée par la transgression majeure, l'inceste, que Jeupié commet avec la sœur de son père, une rupture grave de l'équilibre imposé par le système de filiation guarani. Le châtiment qui s'ensuit est la destruction de la première terre, qui disparaît sous le déluge. » Ruben Bareiro Saguier, La genèse guarani, dans Le Courrier de l'Unesco, mai 1990.

Une double catastrophe peut marquer le déluge, par exemple une première destruction par le feu et une autre par l’inondation. À Babylone, dans l'épopée de Gilgamesh : « Puis, je me tins prêt à partir, n’attendant plus que le signal fixé par Shamas [Soleil] lui-même. Elles retentissaient encore à mes oreilles, les paroles d’Ea, mon seigneur : « Dans la nuit qui précédera le déluge, Celui qui assemble les nuages, fera tomber une pluie d’orage. Alors, entre dans le vaisseau et fermes-en la porte derrière-toi. » Le signal annoncé ne tarda pas à paraître. Dans la nuit, en effet. Celui qui assemble les nuages fit tomber une pluie d’orage, d’où je compris que le déluge était proche. C’est pourquoi, dès la pointe du jour, saisi de frayeur, vite, j’entrai dans le vaisseau et en fermai la porte derrière moi. La porte une fois bien verrouillée, je commis aux soins du pilote, Puzur-Bel, le navire avec tout ce qu’il renfermait. Or, voici qu’aux premières lueurs de l’aube, je vis de gros nuages noirs émerger peu à peu au-dessus de l’horizon, et s’avancer vers le haut du ciel, majestueusement. On eût dit d’une procession triomphale se déroulant dans les airs... Du sein de la nue, Ramman brandissait le tonnerre. Nabu et Marduk ouvraient la marche. A leur suite, allaient les dieux justiciers courant par monts et par vaux, à grandes enjambées, à la façon des géants : Nergal arrachant, brisant tout ce qui lui faisait obstacle, Ninib soulevant et faisant voler en tourbillon tout ce qui se rencontrait sur son passage. Bientôt les émissaires de Ramman, étant montés au ciel, chassèrent la lumière et répandirent les ténèbres sur la face de la terre. Dès le premier jour, l’ouragan sévit avec une extrême violence. Ce fut comme une terrible mêlée, aussitôt suivie d’une débandade effroyable. On eût dit d’une gigantesque bataille, où l’armée des vents ennemis se ruait, d’une ardeur insensée, sur l’humanité en déroute. Dans cette course folle, le frère ne reconnaissait plus son frère. Tous les hommes étaient emportés pêle-mêle par le noir tourbillon. Bientôt, du ciel on ne distingua plus la terre. Alors, les dieux eux-mêmes prirent peur... Craignant d’être atteints par les vagues montantes jusque dans leurs retraites inaccessibles, ils se réfugièrent dans les hauteurs du ciel, demeure d’Ami. Ils se tinrent là tremblants, accroupis, comme des chiens à l’attache dans un chenil. » Le mythe babylonien du déluge, trad. J. J. Sauveplane, Une épopée babylonienne.

 

Chez les Quichés d'ascendance maya, le Pop Wuh mentionne la pluie de feu survenue avant le déluge : « Ainsi étaient les premières créatures qui peuplèrent la Terre en grand nombre. Ils devaient être brusquement éliminés, détruits, ces gens de bois sculpté. L'Esprit du Ciel décida de les mutiler. Du Ciel tomba une pluie de feu et la chauve-souris de la mort, leur arrachait la tête. Vint le jaguar dévoreur de chair, et celui briseur d'os, qui broya leurs os et leurs cartilages. Leurs corps furent réduits en poudre pour leur châtiment, pour n'avoir pas servi leur mère, leur seigneur, l'Esprit du Ciel : Hun R'aqân. À cause d'eux la face de la Terre s'obscurcit et il s'abattit une pluie ténébreuse, de jour et de nuit. » Pop Wuh (Le Livre des événements), version Chavez, trad. Amberni.

En Kabylie, un tremblement de terre, ou « la mise en mouvement des montagnes » est le déluge.

En Assyrie, le déluge est en rapport avec la déesse de l’Enfer, Allat, dont la colère produit les secousses terrestres. Dans l'épopée de Gilgamesh, la colère d'Ishtar déclenche le chaos sur Terre, dont la venue du taureau dévastateur.

Cependant, le déluge classique dans la culture judéo-chrétienne est de nature aquatique. Dans la Genèse : « Le Déluge ayant duré quarante jours sur la terre, les eaux, devenues grosses, soulevèrent l’arche, qui se trouva au-dessus de la terre. Les eaux augmentèrent et grossirent considérablement sur la terre, de sorte que l’arche flotta à la surface des eaux. Puis les eaux redoublèrent d’intensité sur la terre et les plus hautes montagnes qui sont sous le ciel furent submergées. De quinze coudées plus haut les eaux s’étaient élevées ; et les montagnes avaient disparu. Alors périt toute créature se mouvant sur la terre : oiseaux, bétail, bêtes sauvages, tous les êtres pullulant sur la terre, et toute l’espèce humaine. Tout ce qui était animé du souffle de la vie, tout ce qui peuplait le sol, expira. Dieu effaça toutes les créatures qui étaient sur la face de la terre, depuis l’homme jusqu’à la brute, jusqu’au reptile, jusqu’à l’oiseau du ciel et ils furent effacés de la terre. Il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l’arche. La crue des eaux sur la terre dura cent cinquante jours. »

Dans la mythologie du mazdéisme : « Après être demeuré prostré de si longs millénaires, Ahriman arriva sur Terre, entraînant avec lui son armée de démons. Comme un souffle mortel, où que ces légions se déployaient, la vie disparaissait, étouffée, asséchée, brûlée du feu destructeur. C'est alors que Tishtar, l'ange de la pluie, associé à Vayu, le Vent, firent se lever les eaux de la Terre. Une fois les eaux bien hautes dans le ciel, ils les firent retomber sous la forme de gouttes si grosses, qu'elles formaient d'immenses bombes aquatiques qui ne manquèrent pas de noyer d'innombrables créatures maléfiques. Il plut ainsi pendant dix jours et dix nuits. Il plut tellement, que la Terre tout entière fut recouverte d'une couche d'eau plus haute même que la taille d'un homme. Toutes les créatures nuisibles de la Terre furent ainsi éradiquées, sauf celles qui s'étaient réfugiées dans des grottes souterraines. Afin de nettoyer les entrailles de la Terre des cadavres putrides des démons, l'ange Tishtar monta sur son cheval blanc et entra dans les abîmes pour en chasser toute pollution. C'est alors qu'apparut Apaosha, le dragon de la sécheresse. Il avait pris la forme d'un cheval noir et celui-ci était si monstrueux, si agressif, si puissant, que Tishtar lui-même en fut effrayé. Si effrayé même, que l'ange dut s'enfuir du champ de bataille pour se réfugier dans l'adoration d'Ahura-Mazda et lui demander assistance. Écoutant ses prières, Ahura-Mazda lui offrit force et vigueur, ce qui lui permit de retourner au combat et d’asséner de fatals coups au dragon, qui s'enfuit à son tour. C'est alors que Tishtar fit pleuvoir sur la Terre une pluie drue composée de gouttes d'eau grosses comme des têtes de taureaux ou des têtes d'hommes. Voyant que la Terre verdissait à nouveau, le dragon de la sécheresse attaqua une nouvelle fois, mais en vain ; le Feu Sacré lui porta un coup fatal qui lui tira les plus ténébreux hurlements qui jamais ne furent et ne seront. C'est ainsi que même des milliers d'années plus tard, les hommes entendent encore rugir le dragon de ses blessures, alors que le tonnerre frappe la tempête pour en faire jaillir la pluie. Dix jours et dix nuits la pluie tomba à nouveau, noyant tout le poison du monde, le mêlant à l'eau douce pour donner naissance à l'eau salée. Puis le Vent chassa l'eau et le nouveau visage de la Terre commença à apparaître. Trois océans furent créés, ainsi que vingt-trois mers plus petites. » Récit inspiré de l'Avesta.

 

Dans le Matsya Purana, « alors que Brahma, l’auteur et le gardien des Védas, était plongé dans le sommeil, le démon Hiranyaksha s'approcha de lui pour lui voler sa doctrine sacrée. Pour mieux s’assurer ce précieux trésor, il avala les védas, puis s'en alla aussitôt se cacher dans l'abîme le plus profond de l'océan des eaux primordiales, capturant au passage la Terre » (trad. Dubois).

Passons à Nonnos de Panopolis et ses Dionysiaques, chapitre 6 : « C'est alors que le pluvieux Jupiter, condensant les nuées sur le pôle entier, inonda toute la superficie de la terre, et que sa trompette céleste fit entendre les roulements mugissants de son tonnerre. […] Sous les pluies envoyées par Jupiter, toutes les cataractes des sept régions de l'air s'ouvrent. Les fontaines débordent à grand bruit; les torrents mugissent ; les lacs, enfants humides détachés de l'Océan se soulèvent; les sources lancent dans les airs leurs eaux souterraines, et jaillissent vers la mer. Les roches pleurent ; et les arides collines murmurent sous les courants grossis que les forêts leur envoient. L'Océan se gonfle. […] Les lions de la mer, recueillis dans des antres inaccoutumés, promènent leurs membres ruisselants dans les repaires des lions terrestres; le chevreuil vagabond se rencontre dans le sein des torrents avec le dauphin maritime. Les bêtes fauves des forêts nagent avec les poissons sur des flots communs qui leur viennent des hauteurs. Le polype habite les collines, et y attache sur le lièvre ses filaments arrondis, tandis que la baleine quitte ses profondeurs pour errer autour des promontoires à la recherche des cavernes de la lionne du continent. Les humides Tritons, agitant sous leur ventre verdâtre la double nageoire de leurs queues, se glissent sur la montagne, dans les grottes de Pan […] C'est alors que, tuméfiés par les flots, les mortels y trouvent leur tombe ; une multitude de morts entassés les uns sur les autres roulent au gré des vagues ; le lion et le sanglier, buvant à longs traits l'eau qui accourt de la montagne et qui s'engorge bruyamment dans leurs gosiers, succombent. Les étangs, les fleuves gonflés par Jupiter, se mêlent en un seul courant ; toutes les eaux s'assemblent, et les quatre vents confondus frappent à la fois cette onde universelle. Le roi de la mer, Neptune, à l'aspect de la terre entière secouée par une main plus puissante, jette loin de lui son arme, et ne sait plus, dans sa colère, quel sol il ébranlera de son trident. […] Cependant tout subissait l'irrésistible cataclysme. Chaque cité, chaque village était un courant. Vallée, hauteur, rien ne fut épargné ; ni les pics de l'Ossa, ni les cimes du Pélion. Le pays tyrrhénien retentit sous ses trois collines; les rochers de l'Adriatique grondent sous l'effort des vagues immenses, parties de la Sicile; et les rayons du Soleil, traversant le chemin des airs, s'émoussent dans les ondes [...] »

Chez Ovide et ses Métamorphoses : « Dès que sa main a pressé les nuages suspendus dans les airs, un grand bruit se fait entendre, et des torrents de pluie s’échappent du haut des cieux. La messagère de Junon, parée de ses mille couleurs, Iris aspire les eaux de la mer et alimente les nuages. Les moissons sont renversées, les espérances du laboureur détruites sans retour, et, dans un instant, périt tout le fruit de l’année et de ses longs travaux. Les eaux qui tombent du ciel ne suffisent pas à la colère de Jupiter : le roi des mers, son frère, lui prête le secours de ses ondes. Il convoque les dieux des fleuves, et, dès qu’ils sont entrés dans son palais : « Qu’est-il besoin de longs discours ? dit-il. Il s’agit de déployer toutes vos forces : allez, ouvrez vos sources, renversez vos digues, et donnez carrière à vos flots déchaînés ». Il parle : on obéit, et les fleuves, forçant les barrières qui retiennent leurs eaux, précipitent vers la mer leur course impétueuse. Neptune lui-même frappe la terre de son trident : elle tremble, et les eaux s’élancent de leurs gouffres entr’ouverts. Les fleuves débordés roulent à travers les campagnes, entraînant ensemble dans leur course les plantes et les arbres, les troupeaux, les hommes, les maisons et les sanctuaires des dieux, avec leurs saintes images. Si quelque édifice reste encore debout et résiste à la fureur des flots, l’onde en couvre bientôt le faîte, et les plus hautes tours sont ensevelies dans un profond abîme. Déjà la terre ne se distinguait plus de l’Océan : la mer était partout, et la mer n’avait pas de rivages. L’un gagne le sommet d’une colline, l’autre se jette dans un esquif, et promène la rame dans le champ où naguère il conduisait la charrue. Celui-ci passe dans sa nacelle au-dessus de ses moissons ou de sa maison submergée ; celui-là trouve des poissons sur la cime d’un ormeau. Si l’ancre peut être jetée, c’est dans l’herbe d’une prairie qu’elle va s’arrêter ; les barques s’ouvrent un chemin sur les coteaux qui portaient la vigne ; les phoques monstrueux reposent dans les lieux où paissaient les chèvres légères. Les Néréides s’étonnent de voir au fond des eaux, des bois, des villes, des palais ; les dauphins habitent les forêts, et bondissent sur la cime des chênes qu’ils ébranlent par de violentes secousses. On voit nager le loup au milieu des brebis ; les flots entraînent les lions et les tigres farouches ; également emportés, les sangliers ne peuvent trouver leur salut dans leur force, ni les cerfs dans leur vitesse. Las de chercher en vain la terre pour y reposer ses ailes, l’oiseau errant se laisse tomber dans la mer. L’immense débordement des eaux couvrait les montagnes, et, pour la première fois, leurs sommets étaient battus par les vagues. La plus grande partie du genre humain périt dans les flots : ceux que les flots ont épargnés deviennent les victimes du supplice de la faim. »

Comme avec le Nout en Égypte, qui est responsable de la régénération cyclique à la fin de la destruction nécessaire à un nouveau cycle complet, à Taïwan, un mythe austronésien raconte le rôle destructeur et régénérateur de l'eau. Le même système s'observe en Inde.

Dans les Andes, Viracocha transforma certains hommes premiers en monolithes, qui existent toujours de nos jours, et il noya les autres dans une inondation qui submergea les montagnes.

 

Un dieu vengeur et violent

Un dieu vengeur et violent est à l'origine du déluge dans les traditions sémites, héritées en partie de Sumer. À Sumer, « Enlil, las du bruit que font les hommes envoie le déluge. »

Dans la Genèse, « l’Éternel vit que les méfaits de l’homme se multipliaient sur la terre, et que le produit des pensées de son cœur était uniquement, constamment mauvais ; et l’Éternel regretta d’avoir créé l’homme sur la terre, et il s’affligea en lui-même. Et l’Éternel dit : « J’effacerai l’homme que j’ai créé de dessus la face de la terre ; depuis l’homme jusqu’à la brute, jusqu’à l’insecte, jusqu’à l’oiseau du ciel, car je regrette de les avoir faits. […] Or, la terre s’était corrompue devant Dieu, et elle s’était remplie d’iniquité. Dieu considéra que la terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la terre. Et Dieu dit à Noé : « Le terme de toutes les créatures est arrivé à mes yeux, parce que la terre, à cause d’elles, est remplie d’iniquité ; et je vais les détruire avec la terre. »

Dans Les Travaux et les Jours, d'Hésiode, « les hommes ne pouvaient s’abstenir entre eux de l’injurieuse iniquité, et ils ne voulaient point honorer les Dieux, ni sacrifier sur les autels sacrés des Bienheureux, comme il est prescrit aux hommes selon l’usage. Et Zeus, irrité, les engloutit, parce qu’ils n’honoraient pas les Dieux heureux qui habitent l’Olympe. »

Chez les Incas, Viracocha punit les hommes pour les mêmes raisons : « Dans les ténèbres ces premiers habitants désobéirent à leur créateur, tombant dans des attitudes orgueilleuses et arrogantes qui déplurent à Viracocha. La colère divine gronda, et Viracocha détruisit ces premiers peuples. »

Heureusement, un dieu protecteur et sauveur vient en aide à l'humanité.

À Babylone, dans l'épopée de Gilgamesh : « J’avais tout compris d’un mot. A travers ces paroles, je devinai qu’il se tramait, là-haut, parmi les dieux, quelque complot contre les hommes. Je dis lors à Ea, mon seigneur : « Mon dieu et maître, en toi, tu le sais, j’ai mis ma confiance, je ferai ainsi que tu l’ordonnes. Mais ces préparatifs attireront, sans doute, l’attention des habitants de Shuruppak. Me voyant occupé à une telle besogne, tous, le peuple et les anciens, viendront, en curieux, me demander à quelle fin je destine ce bâtiment. Que dois-je leur répondre ? » Le dieu Ea dit à son serviteur : « Tu leur répondras ceci : Le dieu Bel ne m’est point propice, il me traite en ennemi. C’est pourquoi, je ne veux point séjourner plus longtemps dans votre ville, ni poser ma tête sur une terre vouée au dieu Bel. Je vais plutôt descendre vers la mer, établir ma demeure auprès d’Ea, mon seigneur. Donne-leur cependant de tels avertissements : Voici qu’il se prépare contre vous un déluge, qui détruira tout sur la face de la terre, impitoyablement, les hommes, les oiseaux, les bêtes jusques aux poissons. Vous reconnaîtrez que le déluge est proche à ce signe, fixé par Shamash lui-même : Dans la nuit qui précédera un tel désastre, Celui qui assemble les nuages fera tomber sur vous une pluie d’orage. Donc, veillez, prenez bien vos précautions, tandis qu’il est encore temps... » Le mythe babylonien du déluge, trad. J. J. Sauveplane, Une épopée babylonienne.

Dans le déluge perse, sachant proche l'arrivée d'Ahriman sur Terre, Ahura-Mazda apparut de nouveau à Yima et lui dit : « Yima, roi loyal, fils du soleil, prends garde : l'hiver fatal va bientôt descendre sur la Terre. Avec lui s'abattront le blizzard et la glace. La neige tombera épaisse et recouvrira tout. Aucun animal n'échappera à la mort, ni ceux qui vivent au plus haut des montagnes, ni les bêtes sauvages, ni celles qui dorment dans une étable. »

Dans le Matsya Purana, « Le poisson croissait de jour en jour et à vue d’œil, et bientôt la barque ne put plus le contenir. On le transporta alors jusqu'à la mer. Il était alors devenu si monstrueux qu’il inspirait à chacun la terreur. Le roi Manu, qui avait aussi peur que ses sujets, alla trouver le poisson, et après lui avoir offert ses adorations, il lui dit : « Qui êtes-vous, seigneur poisson ? D’où venez-vous ? Qu'est-ce qui vous a amené par ici ? Votre vue inspire partout la terreur et mes sujets, saisis d’épouvante, ont déjà pris la fuite et quitté le pays ! » - Ne crains rien, grand roi Manu ! répondit le poisson : je suis l’Être-Suprême, le grand Vishnou. Sache que les Védas ont été volés par un démon qui est caché au fond de la mer. J’ai pris la forme d'un poisson pour aller à sa recherche et lui arracher la doctrine sacrée, afin de la rendre à Brahma. Bientôt un déluge dévastera l'univers, alors construit un bateau et rejoint-moi ici même quand le monde sera inondé. » (trad. Dubois)

 

Évoquons à présent le(s) survivant(s)

À Sumer, Enki sauve la famille d'Uta-Napishtim.

À Babylone : « Homme de Shuruppak, fils de Ubara-Marduk, construit en hâte un vaisseau, quitte là tes biens, écarte tout ce qui t’est étranger, pour ne t’occuper que de toi-même et sauver ta vie. Aie soin, cependant, d’embarquer avec toi les différentes espèces d’êtres animés. Quant au vaisseau, construis-le suivant des proportions réglées, de telle sorte que la longueur en soit égale à la largeur. Dès qu’il sera achevé, tu le mettras à flot » (trad. J. J. Sauveplane, Une épopée babylonienne.)

Dans la Bible (Genèse) « Noé trouva grâce aux yeux de l’Éternel. Noé fut un homme juste, irréprochable, entre ses contemporains ; il se conduisit selon Dieu. Noé engendra trois fils : Sem, Cham et Japhet. »

En Inde, c'est Manu, roi dravidien.

En Grèce c'est Deucalion.

Deucalion, Noé, Uta-Napishtim, Manu : tous pieux, tous rois, tous élus de dieu, tous amarrant un magnifique navire au sommet d'une montagne sacrée, tous sélectionneur et sauveur des êtres vivants.

En Perse, Ahura-Mazda enseigne à Yima comment cultiver la terre et comment fabriquer son refuge.

Dans une version du déluge polynésien (L. Gaussin, Tradition religieuses de la Polynésie) : « Deux hommes étaient allés au large pêcher à la ligne : Roo était le nom de l’un, Teahoroa celui de l’autre. Ils jetèrent leur hameçon dans la mer, et l’hameçon se prit dans les cheveux du dieu Ruahatou. Ils se dirent alors : « Un poisson ! » et ils tirèrent la ligne ; mais ils virent apparaître un être à face humaine, accroché par les cheveux. À l’aspect du dieu, ils bondirent à l’autre bord de la pirogue et restèrent comme morts de frayeur. Ruahatou leur demanda : « Qu’est ceci ? » Les deux pêcheurs répondirent : « Nous sommes venus ici pour pêcher du poisson et nous ne savions pas que tu te prendrais à notre hameçon. » Le dieu leur dit alors : « Dégagez mes cheveux. » Et ils les dégagèrent. Puis Ruahatou leur demanda : « Quels sont vos noms ? » Ils répondirent : « Roo et Teahoroa. » Ruahatou leur dit ensuite : « Retournez au rivage, et dites aux hommes que la terre sera couverte par la mer et que tout le monde périra. Vous, demain matin, rendez-vous sur l’îlot nommé Toa Marama : ce sera un lieu de salut pour vous et pour vos enfants. »Ruahatou fit monter la mer au-dessus des terres. Toutes furent couvertes, et tous les hommes périrent excepté Roc, Teahoroa et leurs familles. »

Dans le Mississippi, la mythologie locale raconte qu' un seul esquif échappa au désastre et qu'une seule famille humaine survécut.

Dans le Chiapas (Mexique) : « Selon les traditions antiques recueillies par l’évêque François Nuñez de la Vega, « le Wodan des Chiapanais était petit-fils de cet illustre vieillard qui, lors de la grande inondation dans laquelle périt la majeure partie du genre humain, fut sauvé dans un radeau, lui et sa famille » (A. von Humboldt, Vues des Cordillères).

À la suite du déluge inca, seulement un homme et une femme survécurent.

Pour la mythologie guaranie : « Les seuls à échapper au cataclysme sont les protagonistes de la transgression incestueuse ! » (R. Bareiro Saguier, La genèse guarani).

L'arche et ses survivants

Dans la mythologie dogon, l'arrivée sur terre des êtres vivants se fait dans un arche : « Descendant de l'Arche, le Nommo laissa l'empreinte de sa sandale de cuivre sur le « champ » du Renard, en signe de prise de possession. Ce fut alors le premier lever de soleil. Tous les êtres vivants étant sortis de l'Arche, Amma fit remonter sa chaîne et « referma » le ciel, pour reprendre sa forme initiale de l'Œuf. Sous la forme d'un cheval, le Nommo tira l'Arche jusqu'à une dépression (celle du lac Débo, qui se remplit d'eau à la première pluie). Dans cette première « mare », l'Arche flotta et c'est en cet élément aquatique, son domaine sur la Terre que le Nommo reprit sa forme première de silure. » N. Goisbeault, Un mythe de création ; le mythe dogon. Dans le Dictionnaire des mythes littéraires.

À Sumer, l'épopée de Gilgamesh « s’étend longuement sur les instructions données par le dieu a Ziusudra ; celui-ci construirait un gigantesque navire, qui lui permettrait de sauver sa vie » (S. N. Kramer, L'Histoire commence à Sumer.)

À Babylone : « Le lendemain, dès que le jour parut, je m’empressai d’accomplir les ordres d’Ea, mon seigneur. Tout d’abord, je prévins de ce qui allait arriver, les habitants de Surippak. Mais ils m’écoutèrent d’une oreille distraite, et ne tinrent aucun compte de mes salutaires avertissements. Puis, je me mis à l’œuvre. Ayant réuni sous ma main tous les matériaux nécessaires, je travaillai sans relâche, si bien, qu’en moins de cinq jours, je vis se dresser la charpente de mon navire. La hauteur des parois de la coque était de dix gar, les dimensions du toit mesuraient pareillement dix gar. Je prenais garde, en effet, de ne point m’écarter du plan tracé par le dieu Ea, et je me souvenais de sa parole : « Construis le vaisseau suivant des proportions réglées, de telle sorte que la longueur soit égale à la largeur. » Une fois que j’eus ainsi disposé la charpente, j’en reliai les parties entre elles. Dans le vaisseau, je ménageai six étages, qui comprenaient chacun sept chambres séparées. Au milieu, je disposai un lit de roseaux épineux, que je fis fouler avec soin. Je passai en revue les avirons et les mis en état. Enfin, j’enduisis les parois, en répandant, à l’extérieur, six sares de bitume et trois sares de naphte, à l’intérieur. Le vaisseau une fois équipé, pour couronner l’œuvre, j’organisai une fête. Rien n’y manquait. Les hommes-canéphores me livrèrent, pour la circonstance, jusqu’à trois sares d’huile. Or, là-dessus, j’en prélevai un seulement pour servir au sacrifice, et je mis les deux autres à la disposition du pilote. Tous les jours, on égorgeait des bœufs et des moutons. Grande était la joie parmi mes hommes. Ils faisaient couler à longs flots le moût, l’huile et le vin. Ils en usaient comme de l’eau du fleuve. Une vraie fête de nouvel an... Pour moi, ayant achevé mon œuvre et mené à bonne fin une aussi difficile entreprise, je trempai mes mains, en guise de purification, dans l’huile sainte. » Le mythe babylonien du déluge, trad. J. J. Sauveplane, Une épopée babylonienne.

Chez Philon qui rapporte Sanchoniathon, qui raconte le déluge phénicien : « Pour sauver sa vie, Ousous est le premier à se lancer sur la mer. Son bateau n'est, en fait, qu'un tronc d'arbre. Mais l'homme sait maintenant qu'il peut dominer les flots. »

Dans la Bible : « Fais-toi une arche de bois de gôfèr [cyprès] ; tu distribueras cette arche en cellules, et tu l’enduiras, en dedans et en dehors, de poix. Et voici comment tu la feras : trois cents coudées seront la longueur de l’arche ; cinquante coudées sa largeur, et trente coudées sa hauteur. Tu donneras du jour à l’arche, que tu réduiras, vers le haut, à la largeur d’une coudée ; tu placeras la porte de l’arche sur le côté. Tu la composeras d’une charpente inférieure, d’une seconde et d’une troisième. Et moi, je vais amener sur la terre le Déluge (les eaux) pour détruire toute chair animée d’un souffle de vie sous les cieux ; tout ce qui habite la terre périra. J’établirai mon pacte avec toi : tu entreras dans l’arche, toi et tes fils, et ta femme et les femmes de tes fils avec toi. Et de tous les êtres vivants, de chaque espèce, tu en recueilleras deux dans l’arche pour les conserver avec toi : ce sera un mâle et une femelle. Des oiseaux selon leur espèce ; des quadrupèdes selon leur espèce ; de tout ce qui rampe sur la terre, selon son espèce, qu’un couple vienne auprès de toi pour conserver la vie. Munis-toi aussi de toutes provisions comestibles, et mets-les en réserve : pour toi et pour eux, cela servira de nourriture. »Noé obéit, tout ce que Dieu lui avait prescrit, il l’exécuta ponctuellement. »

Dans la mythologie mazdéenne, Ahura-Mazda s'adresse à Yima le premier homme : « Je t'invite donc à construire sous la terre une étable aussi large qu'un terrain d'équitation [3,5 km / 3,5 km]. Tu y feras entrer des ovins, des bovins, des hommes, des chiens, des oiseaux et des braises rougeoyantes. Ensuite, tu feras passer à l’intérieur, un cours d'eau dont le lit sera large d'un hatra [700 mètres] ; c'est sur ses rives, toujours vertes et fertiles, où la nourriture ne manque jamais, que s'établiront les oiseaux. C'est aussi sur ces rives que tu construiras des maisons qui comprendront un balcon, une cour et un couloir. […] Voyant Yima volontaire mais ne sachant pas comment s'y prendre pour réaliser sa mission, Ahura-Mazda lui dit encore : « creuse la terre avec ton couteau et pétris la boue de tes mains. » Le glorieux Yima mena ainsi sa tâche à bien et fit entrer dans son immense étable deux mille personnes. Après avoir allumé un feu avec les braises de sorte à créer une lumière artificielle, il ferma l'étable et en scella la porte avec un anneau d'or. »

Dans le Matsya Purana, « «de retour à la surface, Matsya retrouva le roi Manu, seul survivant de l'humanité, sur le pont de son bateau, qui l’attendait en disciple fidèle, accompagné seulement d'un couple de chacun des animaux de la Terre. Une corne d'or avait poussé sur le front de Matsya, qui lui avait permis de terrasser Hiranyaksha. Afin de lier cette corne au bateau de Manu, Vishnou ordonna à Sesha de servir de corde, grâce à son corps infini qui est la frontière entre ce qui meurt et ce qui ne meurt pas, puis le poisson tira l'embarcation jusqu'à l'Himalaya, qui ressemblait alors à une petite île sur un océan de vagues furieuses. » (trad. Dubois).

Chez les Adivasis Konds, Saora (Orissa), Marias, une fratrie survit au déluge dans une calebasse.

Lors du déluge scandinave, « s’écoula tant de sang que la race entière des Hrimthurses s’y noya, à l’exception de Bergelmir, qui se sauva en se réfugiant dans son arche. Il devint plus tard l’auteur d’une nouvelle race de géants » (S. Ricard, Précis de mythologie scandinave).

En Grèce et à Rome « Deucalion, navigateur étrange, fendant des flots élevés jusqu'aux nues, dirigeait sa traversée dans les airs. Il maintint son arche flottante sur ces eaux immenses qu'elle sillonnait d'elle-même, et où elle ne trouvait plus de port. » Nonnos, Dionysiaques, 6.

En Amérique du nord, « Michabou est le Noé algonquin, et sauve toutes les races animales du déluge causé par la colère du roi des serpents. Il les rassemble sur un radeau où il sème un grain de sable qu’un rat-musqué est allé chercher au fond des eaux. Alors intervient le pouvoir surnaturel du dieu, et la pierre se met à germer, la terre à pousser comme la mousse et les champignons. L’île flottante de bois s’en recouvre et s’en agrandit indéfiniment. Michabou décoche aux troncs flottants des arbres morts, des flèches qui se changent en rameaux verdoyants ; sa baguette magique métamorphose en hommes vivants des cadavres d’animaux. » A. Guindon, En Mocassins.

Dans le Mississippi, « plusieurs légendes qui racontent le déluge ont de frappantes analogies avec les récits de la Genèse. Elles dépeignent des nations entières périssant au milieu de l’inondation, quelques hommes se réfugiant dans des canots d’écorce et ne parvenant pas à se sauver, parce que des castors s’attachent aux flancs des bateaux, les rongent et ouvrent ainsi des voies aux flots destructeurs. » A. Mondot, Les Tribus indiennes des États-Unis, Enquête américaine sur les Origines, les Mœurs et l’état actuel des Indiens.

Chez les Incas, le couple se cache dans une boîte qui flotte à la surface jusqu'à la redescente des flots.

 

La faune et la flore sauvées

Pour que la vie continue (ou recommence), il faut bien qu'une sélection de la faune et de la flore soit aussi sauvée du déluge.

À Babylone, c'est Uta-Napishtim l'élue de Dieu, qui témoigne : « La fête terminée, je fis mes derniers préparatifs. Après avoir, pour plus de précaution, garni de fascines, le haut et le bas du vaisseau, je procédai au chargement. Je le remplis de tout ce que je possédais, j’y entassai tout ce que j’avais en fait d’argent et d’or ; j’eus soin aussi, pour me conformer aux ordres d’Ea, mon seigneur, d’embarquer avec moi les différentes espèces d’êtres animés. Je fis monter en outre dans le vaisseau toute ma maisonnée, ma famille et mes gens ; bêtes et hommes je fis tout monter. » J. J. Sauveplane, Une épopée babylonienne.

Dans la genèse biblique, l’Éternel dit à Noé : « Entre, toi et toute ta famille, dans l’arche ; car c’est toi que j’ai reconnu honnête parmi cette génération. De tout quadrupède pur, tu prendras sept couples, le mâle et sa femelle ; et des quadrupèdes non purs, deux, le mâle et sa femelle. De même, des oiseaux du ciel, respectivement sept, mâles et femelles, pour perpétuer les espèces sur toute la face de la terre. Car encore sept jours, et je ferai pleuvoir sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits ; et j’effacerai de la surface du sol tous les êtres que j’ai créés. » Tout comme Uta-Napishtim obéit au dieu qui l'a choisi et comme Manu obéit à Vishnou qui lui apparut sous la forme d'un poisson, « Noé se conforma à tout ce que lui avait ordonné l’Éternel » (trad. Z. Kahn).

Selon la mythologie mazdéenne, une fois que Yima a crée un espace protégé, Ahura-Mazda lui dit : « Tu y feras vivre des hommes, des femmes, mais seulement les meilleurs d'entre eux. De même, tu ne feras entrer dans ton étable que le meilleur du bétail. Tu entreposeras aussi des graines, des fruits et légumes les plus goûtus, ceux dont les odeurs sont les plus suaves. De toute chose, tu devras en emporter un exemple de type masculin et un autre de type féminin. Prends garde à ne pas faire entrer dans ton refuge des bossus, des obèses, des incapables, des lunatiques, des pauvres, des menteurs, des méchants, des jaloux, des personnages aux dents cariés, des lépreux, ni aucune créature dont le corps serait marqué par l'empreinte d'Angra-Mainyu [Esprit du Mal]. Pense aussi à entreposer les récoltes de l'an dernier, afin que vous puissiez survivre en attendant de récolter vos propres moissons. Une fois le danger hivernal passé, vous serez ceux qui repeupleront la Terre. »

Dans le Matsya Purana, « grâce aux graines, plantes et diverses espèces animales domestiques et sauvages que Manu avait eu la présence d'esprit d'entreposer dans son navire, le couple n'eut pas de mal à continuer la Vie sur Terre » (trad. Dubois).

 

Le retour au calme et l'amarrage

À Babylone, « durant six jours et six nuits, le vent ne cessa de souffler, la tempête redoubla de violence... Cependant aux approches du septième jour, le vent se ralentit, la tempête parut s’apaiser. Il touchait à sa fin, ce combat fatal, qu’avait livré aux hommes l’ouragan en furie. Peu à peu la mer se calma.. Maintenant, le vent était tombé, le déluge avait cessé. Alors, je [Uta-Napishtim] pus contempler la mer. A sa vue, un cri s’échappa de ma poitrine oppressée... Voici que l’humanité était retournée en poussière, et que, devant moi, s’étendait la plaine liquide semblable à un plateau désert !... Maintenant, j’avais ouvert la lucarne du navire et le jour venait frapper en plein mon visage. Atterré, d’abord, par un aussi affligeant spectacle, je m’affaissai sur un siège et me pris à pleurer. Puis, étant un peu remis de ma première émotion, je parcourus l’horizon du regard... De toutes parts, la mer était ouverte ; seulement, dans le lointain, une terre, formant une sorte d’îlot isolé, émergeait de douze coudées au-dessus des flots. » J. J. Sauveplane, Une épopée babylonienne.

Dans la Genèse biblique : « Alors Dieu se souvint de Noé, et de tous les animaux sauvages et domestiques qui étaient avec lui dans l’arche. Dieu fit passer un souffle sur la terre, et les eaux se calmèrent. Les sources de l’Abîme et les cataractes célestes se refermèrent, et la pluie ne s’échappa plus du ciel. Les eaux se retirèrent de dessus la terre, se retirèrent par degrés ; elles avaient commencé à diminuer au bout de cent cinquante jours » (trad. Kahn).

Dans le monde gréco-romain : « La terre alors, dégagée de toutes les ondes qui lui venaient du ciel, parait de nouveau. Les courants rentrent dans les lits de leurs abîmes ; les rochers se montrent. Le Soleil par sa splendeur desséchante essuie l'humide surface de la terre ; les courants s'écoulent plus vite ; le sol limoneux reprend sa solidité sous de plus chauds rayons. Les cités, plus solidement construites par la science des hommes, s'élèvent sur des assises de pierres. Les palais s'arrondissent en voûte ; et les rues des villes nouvelles se fortifient pour de nouvelles générations. La nature sourit encore, et les routes des airs ne sont battues désormais que par les ailes des oiseaux ou par les souffles des tempêtes. » Nonnos, Les Dionysiaques, chapitre 6.

L'embarcation s'amarre alors à la montagne. À Babylone, l'arche échoue « au pays de Nizir. Comme il s’était engagé dans la montagne, il s’y enlisa. Six jours se passèrent ainsi... Aux approches du septième jour, je lâchai d’abord une colombe : la colombe s’envola puis revint, car elle n’avait pas trouvé de place où se poser. Ensuite, je lâchai une hirondelle : l’hirondelle aussi s’envola puis revint, car elle non plus n’avait pas trouvé de place où se poser. Enfin, je lâchai un corbeau : le corbeau s’envola et, ayant trouvé des eaux stagnantes, il s’en approcha, pataugea dans la boue et ne revint pas. » J. J. Sauveplane, Une épopée babylonienne.

Dans la Genèse : « Le septième mois, le dix-septième jour du mois, l’arche s’arrêta sur les monts Ararat. Les eaux allèrent toujours décroissantes jusqu’au dixième mois ; le premier jour du dixième mois, apparurent les cimes des montagnes. Au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre qu’il avait pratiquée à l’arche. » trad. Kahn.

Dans la mythologie mazdéenne, « le premier des reliefs à émerger fut le mont Hara [Elbrouz], suivit par de nombreuses autres chaînes de montagnes, toutes situées au centre de la Terre. Et tandis que le Hara poussait, toutes les montagnes étaient elles aussi en mouvement, car toutes grandissaient en relation avec le Hara, la plus sacrée de toutes les montagnes. En tout, les montagnes de la Terre mirent dix-huit ans à pousser. Du versant nord du Hara, deux rivières coulaient, qui elles-mêmes créèrent dix-huit fleuves navigables. Sur la terre entière, les plantes poussèrent à nouveau comme les cheveux sur la tête des hommes. » Avesta.

Dans le Matsya Purana : « Après l'avoir déposé en sécurité au sommet des montagnes, autour desquelles déjà les flots refluaient, Matsya dit à Manu: « Te voilà sauvé ! Lie maintenant ton navire à un arbre et quand les eaux se retireront, tu en redescendras. » Le poisson confia ensuite à Manu les Védas, que le saint-roi tendit aussitôt à Brahma, puis Matsya disparu pour mourir de ses blessures au font de la mer. Depuis, Matsya est vénéré comme le sauveur de l'océan des misères et le sauveur de ceux qui s'incarnent dans l'existence matérielle, c'est à dire sur Terre. » trad. Dubois.

 

Le poisson Matsya, Manu et les sept rishis célestes (Saptarishi)

Illustration du Mahabharata, Hindi Gita Press, v. 1920, Inde.

 

Chez les Incas, le couple de survivant sortit de son embarcation à Tiwanaku (3800 m), au sud-est du lac Titicaca. Tiwanaku est la ville de Viracocha.

Chez les Guaranis, Le couple de frère et sœur incestueux survivant atteint « à la nage le palmier éternel et y grimpent pour échapper à la mort » (R. Bareiro Saguier, La genèse guarani, dans Le Courrier de l'Unesco, mai 1990).

 

La piété du survivant

Sauvé des eaux en raison de sa piété et de sa sagesse, le survivant ne change pas d'attitude une fois hors de danger.

À Sumer : « Lorsque, durant sept jours et sept nuits / I.e Déluge eut balayé la terre / Et que l’énorme bateau eut été ballotté par les tempêtes sur les eaux / Utu sortit, lui qui dispense la lumière au ciel et sur la terre / Ziusudra ouvrit alors une fenêtre de son bateau énorme / Et Utu, le Héros, fit pénétrer ses rayons dans le gigantesque bateau / Ziusudra, le roi, se prosterna alors devant Utu / Le roi lui immola un bœuf, et tua un mouton. » Ensuite, « prosterné devant An et devant Enlil », il reçoit la « vie comme celle d'un dieu » et le « souffle éternel ; puis il est transporté à l'île paradisiaque de Dilmun, « là où le soleil se lève ». La version de Babylone, non plus sumérienne mais sémitique, ajoute : « Le dieu Bel me saisit par la main et me fît monter avec ma femme sur le vaisseau. Alors, ayant ordonné à celle-ci de se tenir inclinée à côté de moi, il nous toucha tous deux au front, et, s’étant placé entre nous, il nous bénit, disant : « Auparavant, Uta-Napishtim était un homme, désormais, Uta-Napishtim et sa femme seront des dieux comme nous. Et ils demeureront au loin, à la bouche des fleuves. » Sur ce, Bel, le guerrier, nous emmena et lui-même nous établit au loin, à la bouche des fleuves » (Sauveplane, Une épopée babylonienne). Avant cet extrait, Uta-Napishtim, le Ziusudra sémite, racontait : « Reconnaissant envers les dieux qui m’avaient sauvé la vie, j’offris un sacrifice sur le sommet même de la montagne. J’avais disposé avec ordre et en nombre des vases propitiatoires, au-dessous desquels, je versai en abondance des grains de cannelle, de résine et des siliques. La fumée de mon holocauste monta droit jusqu’au ciel. Ce sacrifice fut pour les dieux un sacrifice d’agréable odeur. Je les vis, en effet, se ramasser en grappe, comme un essaim de mouches, au-dessus de l’autel et les narines dilatées, aspirer délicieusement ce parfum suave... Au moment où s’avança la grande déesse, revêtue de magnifiques ornements, chef-d’œuvre d’Anu, reflet de sa splendeur, — Oh ! non, ces dieux, pas plus que mon collier, je ne saurais les oublier ! Non, ce jour où je fus initié à la sagesse ne sortira jamais de ma mémoire ! — je dis à voix haute : « Oui, que les dieux accourent en foule à mon sacrifice, qu’ils y viennent tous, à l’exception de Bel, celui qui fit inconsidérément le déluge et voua mon peuple à la perdition. » (Sauveplane, op. cit.)

Chez Philon qui rapporte le Phénicien Sanchoniathon : « Pour remercier les éléments naturels d'avoir favorisé son entreprise, Ousous consacre deux stèles (une au vent et une au feu) et les adore en y versant du sang d'animaux. »

Dans la genèse biblique : « Noé sortit avec ses fils, sa femme, et les femmes de ses fils. Tous les quadrupèdes, tous les reptiles, tous les oiseaux, tout ce qui se meut sur la terre sortit, selon ses espèces, de l’arche. Noé érigea un autel à l’Éternel ; il prit de tous les quadrupèdes purs, de tous les oiseaux purs, et les offrit en holocauste sur l’autel. L’Éternel aspira la délectable odeur, et il dit en lui-même : " Désormais, je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme, car les conceptions du coeur de l’homme sont mauvaises dès son enfance ; désormais, je ne frapperai plus tous les vivants, comme je l’ai fait. Plus jamais, tant que durera la terre, semailles et récolte, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit, ne seront interrompus. " »

Dans le Matsya Purana, le déluge provoqué par les asuras avait détruit toutes les créatures vivantes excepté Manu, le premier homme qui fut donc aussi le dernier. Seul au monde, celui-ci passa dès lors sa vie à prier et à jeûner, dans l’espoir d’obtenir des enfants. De très longues années, il fit solitaire des sacrifices en honorant la mer par de continuelles offrandes de lait, de fromage et de beurre clarifié, quand enfin, suite à l'intervention du divin sanglier, les eaux refluèrent. Manu s'installa alors dans une grotte qui surplombait une vallée de très haute montagne. En vue des pics enneigés de l'Himalaya qui lui fournissaient la plus belle matière à réflexion et à contemplation, Manu recommença alors à prier, à méditer et à honorer les dieux, les prajapatis et la sainte Trimurti afin qu'il puisse connaître une femme qui lui donnerait un enfant pouvant assurer la pérennité du genre humain. Au bout d’un an, une femme sortit des eaux qui n'avaient pas encore totalement refluées. Manu s’unit à elle, dans sa grotte, sur l'emplacement même où il avait l'habitude d'allumer le feu sacrificiel et d'effectuer ses rituels. Longtemps ils vécurent ensemble, priant, jeûnant, désirant de nombreux descendants. Grâce à elle, Manu donna naissance à cette race dont nous faisons tous partie et qui encore de nos jours est appelé la race de Manu.

En Chine, les jumeaux serpentiformes rescapés, Fuxi et Nuwa (tout comme à Rome Deucalion et sa sœur), ne savent pas comment repeupler le monde sans commettre l'inceste. Il montent au sommet de la montagne et interrogent les dieux, sous la forme d'un bûcher dont ils interprètent la fumée.

Chez les Guaranis d'Amazonie : « À force de prières et de chants rituels, le couple frère et sœur incestueux survivant atteint à la nage le palmier éternel et y grimpent pour échapper à la mort » (R. Bareiro Saguier, La genèse guarani, dans Le Courrier de l'Unesco, mai 1990.)

 

Le renouveau du monde

Dans le récit babylonien du déluge , Uta-Napishtim raconte : « Alors, je procédai au débarquement. Je dispersai aux quatre vents du ciel, toutes les espèces d’êtres animés renfermées dans l’arche » (Sauveplane, Une épopée babylonienne).

Dans la genèse biblique, Yahvé bénit Noé et ses fils, en leur disant : « Croissez et multipliez, et remplissez la terre ! Que votre ascendant et votre terreur soient sur tous les animaux de la terre et sur tous les oiseaux du ciel ; tous les êtres dont fourmille le sol, tous les poissons de la mer, est livrés en vos mains. Tout ce qui se meut, tout ce qui vit, servira à votre nourriture ; de même que les végétaux, je vous livre tout. Toutefois aucune créature, tant que son sang maintient sa vie, vous n’en mangerez. Toutefois encore, votre sang, qui fait votre vie, j’en demanderai compte : je le redemanderai à tout animal et à l’homme lui-même, si l’homme frappe son frère, je redemanderai la vie de l’homme. Celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé car l’homme a été fait à l’image de Dieu. Pour vous, croissez et multipliez ; foisonnez sur la terre et devenez y nombreux. » (trad. Kahn). C'est alors l'alliance de Dieu et des créatures survivantes. Dieu s'adressa ainsi à Noé et à ses enfants : « Je veux établir mon alliance avec vous et avec la postérité qui vous suivra ; et avec toute créature vivante qui est avec vous, oiseaux, bétail, animaux des champs qui sont avec vous, tous les animaux terrestres qui sont sortis de l’arche. Je confirmerai mon alliance avec vous nulle chair, désormais, ne périra par les eaux du déluge ; nul déluge, désormais, ne désolera la terre. » Dieu ajouta : « Ceci est le signe de l’alliance que j’établis, pour une durée perpétuelle, entre moi et vous, et tous les êtres animés qui sont avec vous. J’ai placé mon arc dans la nue et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre. A l’avenir, lorsque j’amoncellerai des nuages sur la terre et que l’arc apparaîtra dans la nue, je me souviendrai de mon alliance avec vous et tous les êtres animés et les eaux ne deviendront plus un déluge, anéantissant toute chair. L’arc étant dans les nuages, je le regarderai et me rappellerai le pacte perpétuel de Dieu avec toutes les créatures vivantes qui sont sur la terre. Dieu dit à Noé : « C’est là le signe de l’alliance que j’ai établie entre moi et toutes les créatures de la terre. » (trad. Kahn.)

L'alliance des hommes et de dieu se retrouve chez les Incas : Inti le dieu solaire donne à l'ancêtre Manco Capac une coiffe et une hache, comme signe d'alliance entre lui et les Incas.

Au début de ses Métamorphoses, Ovide raconte le repeuplement du monde qui intervient à la suite du sauvetage de Deucalion et de sa sœur : « Ils s’éloignent, et, le front voilé, laissant flotter leurs vêtements, selon le vœu de Thémis, ils marchent en jetant des cailloux en arrière. Ces cailloux, perdant leur rudesse première et leur dureté, s’amollissent par degrés, et revêtent une forme nouvelle. À mesure que leur volume augmente et que leur nature s’adoucit, ils offrent une confuse image de l’homme, image encore imparfaite et grossière, semblable au marbre sur lequel le ciseau n’a ébauché que les premiers traits d’une figure humaine. Les éléments humides et terrestres de ces pierres deviennent des chairs ; les plus solides et les plus durs se convertissent en os ; ce qui était veine conserve et sa forme et son nom. Ainsi, dans un court espace de temps, la puissance des dieux change en hommes les pierres lancées par Deucalion, et renouvelle, par la main d’une femme, la race des femmes éteinte. C’est de là que nous venons : race dure et laborieuse, nous témoignons sans cesse de notre origine. La terre enfanta d’elle-même et sous diverses formes les autres animaux. »

En Égypte : « Horus dit à Râ : « Accorde-moi les deux jumeaux divins de Buto et les deux jumeaux de Nekhen ! En vérité, ô dieux, ils sont nés de vos Corps et avec moi ils demeureront jusqu'à la Fin des Temps. Alors l'Ouragan de Feu s'apaisera, La Terre reparaîtra dans sa nouvelle splendeur ; Son Nom mystérieux sera : « Horus-de-la-Tablette-d'Émeraude ». » Livre des morts égyptiens, 112, trad. G. Kolpaktchy.

Le nouveau monde est une promesse, chez Ézéchiel, 37 : « Et je prophétisai, comme il me l’avait ordonné ; et l’esprit les pénétra, ils vécurent et ils se dressèrent sur leurs pieds, en une multitude extrêmement nombreuse. Alors il me dit : « Fils de l’homme, ces ossements, c’est toute la maison d’Israël. Ceux-ci disent : "Nos os sont desséchés, notre espoir est perdu, c’est fait de nous !" Eh bien ! Prophétise et dis-leur : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que je rouvre vos tombeaux, et je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple ! et je vous ramènerai au pays d’Israël. Et vous reconnaîtrez que je suis l’Éternel, quand j’aurai ouvert vos tombeaux et quand je vous aurai fait remonter de vos tombeaux, ô mon peuple ! Je mettrai mon esprit en vous et vous serez vivifiés, et je vous assoirai sur votre sol, et vous reconnaîtrez que je suis l’Éternel, qui ai parlé et qui exécute » dit l’Éternel. La parole de l’Éternel me fut adressée en ces termes : « Or toi, fils de l’homme, [...] dis-leur : Ainsi parle le Seigneur Dieu : "Voici, je vais prendre les enfants d’Israël d’entre les nations où ils sont allés, je les rassemblerai de toutes parts et je les conduirai sur leur territoire. Je les constituerai en nation unie dans le pays, sur les montagnes d’Israël ; un seul roi sera le roi d’eux tous : ils ne formeront plus une nation double et ils ne seront plus, plus jamais, fractionnés en deux royaumes. Ils ne se souilleront plus par leurs idoles abjectes, par leurs turpitudes, par tous leurs forfaits ; je les tirerai de toutes les demeures où ils ont péché, et je les purifierai : alors ils seront pour moi un peuple et moi, je serai pour eux un Dieu. Mon serviteur David régnera sur eux, il n’y aura qu’un pasteur pour eux tous ; ils suivront mes lois, ils garderont mes statuts et s’y conformeront. Ils habiteront le pays que j’ai donné à mon serviteur Jacob, qu’ont habité vos pères ; ils y demeureront, eux et leurs enfants et leurs petits-enfants pour toujours, et David, mon serviteur, sera leur prince pour toujours. Je contracterai avec eux une alliance de paix, une alliance éternelle leur sera accordée, je les rétablirai. Je les rendrai grands, et je mettrai mon sanctuaire au milieu d’eux pour toujours. Ma résidence sera près d’eux ; je serai leur Dieu, et eux seront mon peuple. Et les nations sauront que moi, l’Éternel, je sanctifie Israël, puisque mon Sanctuaire sera au milieu d’eux pour toujours. »

En Inde védique, après le Grand Déluge (Mahapralaya), le cycle recommence par l'âge d'or, le Satya Yuga (l'Âge de la pureté) : « Le Dharma est à nouveau ferme sur ses quatre pieds et la perfection de l’Âge d’Or s’étend sur les trois mondes. Partout les dieux cheminent sur terre et répandent leurs faveurs. La terre porte des récoltes abondantes. Les hommes sont heureux, exempts de maladie, ornés sur tous leurs membres de signes sacrés. La durée de la vie humaine, qui était devenue si courte pendant le Kali Yuga, est à nouveau normale. Brahmanes, Kshatriya, Visayas et Sûdras s’acquittent avec exactitude de leurs fonctions respectives. » Kalki Purana, 7 (fin). Shri Jîvânanda Vidyâsâgara Bhattacharya (trad. Bhatt et Remy).

Dans l'Edda des Scandinaves : « Il est dit pourtant que les hommes doivent vivre éternellement. Vala, la prophétesse divine de l’Edda, continue en ces termes : « Pour la deuxième fois je vois la terre surgir de l’océan, les torrents jaillissent, l’aigle puissant plane au-dessus du rocher prêt à fondre sur sa proie ; les champs donnent en abondance sans avoir été semés, tout ce qui était souillé s’est purifié. Balder revient ; il occupe avec Hoeder les palais abandonnés des dieux succombés. Vidar et Vale, fils d’Odin, ont survécu à ce sinistre ; ni la fureur de la mer ni l’intensité des flammes de Surt ne leur ont porté atteinte ; avec Modne et Magne, progéniture de Thor, ils occupent les sièges sacrés d’Asgaard, et s’entretiennent en parlant toujours de l’horrible événement dont ils ont été témoins. En se rappelant le loup et le serpent, ils retrouvent dans l’herbe les pions d’échecs en or, dont se servaient autrefois les dieux à l’origine de l’univers. Avant d’être englouti par le loup, le soleil avait donné naissance à une fille, qui suit le cours céleste de sa mère, plus radieuse encore que son origine. [...] Un couple s’était caché pendant que ravageait le feu de Surt ; la rosée du matin leur avait servi de nourriture ; de leur réunion sortit la nouvelle géniture de la race humaine. L’œil clairvoyant de Vala découvre un édifice, plus rayonnant que l’éclat du soleil ; il porte le nom de Gimle, et c’est là la demeure pleine de félicité des vertueux. » S. Ricard, Précis de mythologie scandinave. Ces dernières ligne évoquent aussi le mythe juif de la Jérusalem Céleste.

Restons au nord et citons la mythologie finnoise et la fin de son épisode diluvial : « Voici qu’un héros sort des flots ; en trois coups de sa hache, il renverse le chêne à terre. Maintenant le soleil et la lune peuvent briller, les nuages peuvent poursuivre leur course, l’arc-en-ciel peut déployer son splendide croissant, et les bruyères commencent à verdir, les taillis à croître joyeusement, les feuilles à vêtir les arbres, le gazon à parer la terre, les oiseaux à gazouiller sous les ombrages, le coucou à chanter. Cependant le blé et l’orge n’ont pas encore germé. Le vieux Wäinämöinen tire de son sac de peau de martre la quantité de grain suffisante, et dit : " Terre, sors de ton repos ; gazon du Créateur, éveille-toi. Que chaque tige s’élance, que cent, que mille épis se lèvent du champ que j’ai ensemencé, du champ qui m’a coûté tant de fatigues. Ukko, dieu suprême, rassemble les nues ; fais lever un nuage à l’orient, un nuage à l’occident, un nuage au midi, verse l’eau des hauteurs du ciel sur les germes qui poussent, sur les semences qui se développent ; moi, je répandrai la semence sur la terre à travers les doigts du Créateur, à travers la forte main du Tout-Puissant, je la répandrai sur la terre féconde, sur le champ bien préparé ! " » A. Geffroy, La Finlande et le Kalevala, chants et traditions populaires des Finnois.

Dans la mythologie du Mississippi, la Terre est reconstruite, « après le déluge, avec de l’argile pétrie par un castor. » A. Mondot, Les Tribus indiennes des États-Unis.

Chez les Algonquins, l’avènement d'un nouveau temps fut prédit par Hehaka Sapa (Élan noir) et dans la prophétie du peuple arc-en-ciel selon William Commanda : « Quand l'aigle du nord retrouvera une vie spirituelle et qu'il s'unira au condor du sud, la Pachamama réveillera la conscience de ses enfants par milliers. »

Chez les Lacandons : « la vie reprendra. Encore une fois. Elle reviendra. Les arbres vont réapparaître, les semences des plantes qui donnent la nourriture vont re-germer. Je prendrai toutes les semences et je les replanterai pour qu'elles s'ouvrent et donnent de la nourriture. Il y aura à nouveau du gibier et à nouveau du maïs. Le monde sera neuf et bon. Les arbres vont revenir, ainsi que l'eau, la lumière et la chaleur. Les fruits repousseront. À nouveau les étoiles éclaireront la nuit. Le monde sera neuf. » Chan Kin, recueilli par G. Chaliand (Géo, 225, novembre 1997).

 

La fin des temps

L'apocalypse énochienne : « Et en ces jours, en un seul lieu, les pères seront frappés avec leurs fils, et les frères tomberont avec leurs proches dans la mort jusqu’à ce que coule comme un fleuve de leur sang. Car l'homme n’empêchera pas sa main de tuer son fils et le fils de son fils, et le pécheur n’empêchera pas sa main de (tuer) son frère chéri : depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil ils s’entr’égorgeront. Et le cheval avancera jusqu’à ce que son poitrail baigne dans le sang des pécheurs, et le char jusqu’à ce que sa partie supérieure soit submergée. » Enoch, 100.

La fin du monde par le cheikh égyptien Kishk (1933-1998), surnommé Aba Adda'awa  :

« Lorsque l'heure du premier souffle [dans la trompe approchera], Dieu exalté enverra un vent doux, plus doux que la soie. Tu ne trouveras point d'adorateur dont le cœur contiendra ne serait-ce que le poids d'un atome de foi sans que son âme lui soit retirée car l'heure aura lui qu'en présence des hommes les plus ingrats. Puis Allah ordonnera à l'ange Israfil du premier souffle et ensuite seront effrayés ceux qui sont dans les cieux et la terre, à l'exception des épargnés d'Allah, et la vie sombrera ainsi pendant quarante ans. Nul vivant sur terre excepté Allah. Tous dorment sous terre. Pas de Russie, ni d'Amérique, ni d'Allemagne, ni d'Angleterre, ni de Chine, ni de France. Et ils s'interrogent au sujet des montagnes : « dis : mon Seigneur les dispersera comme la poussière et les laissera comme une plaine dénudée dans laquelle tu ne verras ni tortuosité, ni dépression. Et lorsque la vie sera délaissée et la Terre transformée en une autre Terre, ainsi que les cieux, Dieu exalté dira : « Ô ange de la mort, qui reste parmi les créatures ? » - Les hommes sont morts, les djinns sont morts et les anges sont morts. » Concernant les anges, lorsque Dieu révéla : « Toute âme gouttera à la mort » (Al-i'lmran, 3, 185). Les anges dirent : « Nous ne sommes pas de simples âmes, mais des âmes purifiées. » Dieu fit alors révéler : « Tout ce qui est sur Terre doit disparaître. » (Coran 55, 26) Les anges dirent : « Nous ne sommes pas de la Terre, nous sommes les habitants du ciel. Puis lorsque Dieu fit descendre : « Tout doit périr, sauf Son Visage. À Lui appartient le jugement ; et vers Lui vous serez ramenés. » (Coran 28, 88). Les anges se jetèrent prosternés devant Dieu et dirent : « Gloire à l’Éternel ! » Les anges moururent, ainsi que les hommes et les djinns, les oiseaux et tout ce qui est sur Terre et au dessus du ciel. Mise à part l'ange de la mort ! Dieu l'interroge : « Qui reste parmi les créatures ? Ô ange de ma mort. » Il dit : « Seigneur, il ne reste que Djibril (Gabriel), Mickaël, Israfil et moi, le serviteur qui est actuellement entre tes mains. Dieu lui dit alors : « Saisis l'âme de Djibril, ô ange de la mort ! » Et il saisit l'âme de Djibril. « Qui reste-t-il ? » Il dit « Mickaël, Israfil et moi, l'humble serviteur qui est entre tes mains. » « Saisis l'âme de Mickaël, ô ange de la mort ! » Et il la saisit. « Saisis l'âme d'Israfil, ô ange de la mort ! » Et il la saisit l'âme. Puis Dieu tout-puissant l’interroge : « Qui reste parmi les créatures ô ange de la mort ? » Il dit : « Il ne reste que moi, l'humble serviteur entre tes mains. » Dieu lui dit alors : « Meurt ! Ô ange de la mort ! Meurt ! Ô ange de la mort ! » Et l'ange de la mort meurt. Et lorsqu'il ressent l'agonie de la mort, il dit : « Par ta puissante et ta majesté, si je savais que l'agonie de la mort était d'une atrocité indescriptible, je ne t'aurais pas demander de m'assigner le pouvoir de saisir l'âme de serviteurs. » Et il meurt. Et il meurt ! L'ange de la mort meurt. Et Dieu regarde la vie sur Terre alors qu'elle est vide à sa surface. « Le soleil sera obscurci » (Coran 81), les étoiles deviendront ternes, les montagnes mises en marche, les chamelles à terme négligées, les mers allumées et les âmes accouplées, le ciel écorché, le Paradis rapproché et la fournaise attisée. Dieu regarde la vie sur Terre alors qu'elle est délaissée. Et il dit : « Ô Vie ! Où sont tes fleurs ? Où sont tes arbres ? Où sont tes océans ? Où sont tes palais ? Où sont tes rois ? Où sont tes rois ? Où sont les héritiers des rois ? Où sont les dictateurs ? Où sont le héritiers des dictateurs ? Où sont ceux qui ont vécu de mes biens et ont adoré autrui ? À qui appartient la royauté à présent ? À qui appartient la royauté à présent ? Ô Vie ! Où sont tes dictateurs et leurs héritiers ? Où sont les rois ? Et leur héritiers ? Où sont les occupants de la Maison Blanche ? Où sont les dirigeants du Kremlin ? Où sont les occupants d'Abdine et de Palestine ? Et vous avez habité les demeures de ceux qui s'étaient fait du tord à eux-même. Il vous est apparu en toute évidence comment nous les avions traités et nous les avons cités en exemple. Ils ont certes comploté, or leur complot est inscrit auprès de Dieu, même si leur complot était assez puissant pour faire disparaître des montagnes. » Abdul Hamid Abdel Aziz Mohamed Keshk, Prêche du vendredi.

D'inspiration à la fois païenne et chrétienne, un conte illyrien conté en tchakavien raconte la fin des temps : « Après cet exploit, Dieu tout-puissant utilisa encore deux autres fois son épée. La seconde fois ce fut pour saluer la naissance de son fils Jésus-Christ. La troisième et dernière fois ce sera lors de la fin du monde. À ce moment-là, de très nombreux criminels et démons tortureront et violeront les enfants et les justes, tandis que des chefs tyranniques et des vilains détruiront des nations entières. Alors, au plus haut des cieux apparaîtra une traînée lumineuse de météorites, qui sera composée des âmes de ceux qui auront été assassinés. Et ces météorites seront ce que Dieu envoie comme offrande à Shayta et à la souffrance qu'il infligeait sur terre. Alors que les corps célestes enflammés heurteront la terre, le diable s'avouera vaincu, et la fin du monde suivra son départ de la terre. Les forces du mal seront à nouveau éradiquées, et mourront à leur tour les brigands, les tyrans et les démons de toutes sortes. Depuis, les méchants craignent cette comète, mais les bons, eux, ne doivent pas en avoir peur, car ils savent que Matsaan n'est autre que l'épée de Dieu, la divine et flamboyante épée de la justice. » A. Fortis, Voyage en Dalmatie.

En Scandinavie, la fin des temps est le Ragnarok : « La terre et les montagnes tremblent de manière que les arbres se déracinent et que les rochers s’écroulent. Tous les liens se détachent ; le loup de Fenris ayant échappé, s’élance à gueule béante, sa mâchoire supérieure touche au ciel, pendant que l’inférieure frotte la terre ; la bête féroce l’ouvrirait même davantage si l’espace le lui permettait ; le feu sort à la fois de ses yeux et de ses narines. La mer orageuse déborde, car le serpent de Midgaard, qui s’élève du fond, cherche à gagner la plage pour y vomir son venin. Le ciel se crevasse alors et les fils de Muspelheim en sortent ; Surte entouré de flammes et brandillant le glaive flamboyant est à leur tête. Ils traversent le pont de Bifrost qui s’écroule sur leur passage. Ainsi ils s’avancent dans la plaine, nommée Vigrind qui s’étend à cent lieues de chaque côté, en formant une phalange rayonnante. Loki, suivi du cortège lugubre de Hel, y vient à son tour, de même que les Hrimthurses et les géants. » S. Ricard, Précis de mythologie scandinave.

Chez les Lacandons du Mexique, la fin du monde est marquée par des jaguars qui dévoreront le monde durant une éclipse.

Chez les Aztèques et les Hopis, les déluges sont liés aux changements de cycle. Chez les Aztèques, la fin du monde est marquée par l'arrivée sur terre de monstres de l'espace, dont des jaguars.

 

La résurrection des morts

Luca Signorelli, v. 1499 à 1504

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