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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Le vieux de la montagne (mythe levantin, extrait d'une nouvelle de Théophile Gautier)

Dans Le Club des Haschischins, in Romans et Contes, A. Lemerre, 1897

 

Il existait jadis en Orient un ordre de sectaires redoutables commandé par un cheikh qui prenait le titre de Vieux de la Montagne, ou prince des Assassins.

Ce Vieux de la Montagne était obéi sans réplique ; les Assassins ses sujets marchaient avec un dévouement absolu à l’exécution de ses ordres, quels qu’ils fussent ; aucun danger ne les arrêtait, même la mort la plus certaine. Sur un signe de leur chef, ils se précipitaient du haut d’une tour, ils allaient poignarder un souverain dans son palais, au milieu de ses gardes.

Par quels artifices le Vieux de la Montagne obtenait-il une abnégation si complète ?

Au moyen d’une drogue merveilleuse dont il possédait la recette, et qui a la propriété de procurer des hallucinations éblouissantes.

Ceux qui en avaient pris trouvaient, au réveil de leur ivresse, la vie réelle si triste et si décolorée, qu’ils en faisaient avec joie le sacrifice pour rentrer au paradis de leurs rêves ; car tout homme tué en accomplissant les ordres du scheikh allait au ciel de droit, ou, s’il échappait, était admis de nouveau à jouir des félicités de la mystérieuse composition.

Or, la pâte verte dont le docteur venait de nous faire une distribution était précisément la même que le Vieux de la Montagne ingérait jadis à ses fanatiques sans qu’ils s’en aperçussent, en leur faisant croire qu’il tenait à sa disposition le ciel de Mahomet et les houris de trois nuances, — c’est-à-dire du haschisch, d’où vient haschschaschin, mangeur de haschisch, racine du mot assassin, dont l’acception féroce s’explique parfaitement par les habitudes sanguinaires des affidés du Vieux de la Montagne.

Assurément, les gens qui m’avaient vu partir de chez moi à l’heure où les simples mortels prennent leur nourriture ne se doutaient pas que j’allasse à l’île Saint-Louis, endroit vertueux et patriarcal s’il en fut, consommer un mets étrange qui servait, il y a plusieurs siècles, de moyen d’excitation à un scheikh imposteur pour pousser des illuminés à l’assassinat. Rien dans ma tenue parfaitement bourgeoise n’eût pu me faire soupçonner de cet excès d’orientalisme ; j’avais plutôt l’air d’un neveu qui va dîner chez sa vieille tante que d’un croyant sur le point de goûter les joies du ciel de Mohammed en compagnie de douze Arabes on ne peut plus Français.

Avant cette révélation, on vous aurait dit qu’il existait à Paris en 1845, à cette époque d’agiotage et de chemins de fer, un ordre des haschischins dont M. de Hammer n’a pas écrit l’histoire, vous ne l’auriez pas cru, et cependant rien n’eût été plus vrai, — selon l’habitude des choses invraisemblables.

Le vieux de la montagne (mythe levantin, extrait d'une nouvelle de Théophile Gautier)
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