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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Quelques recettes enthéogéniques : ou comment "planaient" les Anciens

Quelques recettes enthéogéniques : ou comment "planaient" les Anciens

Selon, entre autres règlements, la loi française ; l'usage, la détention et le commerce de produits illégaux (drogues naturelles ou de synthèse), ainsi que la consommation de certaines plantes toxiques sont des activités strictement interdites et sévèrement réprimées par des amendes et des peines de prison. L'auteur de cet article déconseille donc fortement d'enfreindre les lois de son pays ou de sa communauté. Les informations diffusées dans cet ouvrage ne le sont qu'à titre indicatif et à visée ethnographique.

En général, la prise d'un enthéogène n'exclut pas la prise simultanée d'un autre. Les effets peuvent alors se combiner, afin de parvenir à un état de conscience plus ou moins artificiel, superficiel ou profond.

Le mélange le plus célèbre et peut-être le plus mystérieux reste celui de l'ayawaska amazonien, qui réunit jusqu'à trois composants : l'un sert de purgatif afin de « purifier le corps » et de préparer le métabolisme à recevoir les deux autres dont les alcaloïdes, proches de la D.M.T, sont très puissants. L'un de ces alcaloïdes provoque des visions, souvent de couleur bleue, tandis que l'autre alcaloïde plonge le « voyageur » dans une torpeur propice à l'introspection. D'autres combinaisons existent, dont une qui utilise le tabac comme vomitif (Pérou) et une autre le cactus à mescaline (idem) ; ces deux décoctions sont associées à la liane ayawaska.

De telles combinaisons de plantes, dont l'ingestion d'une seule d'entre elles en trop grande quantité entraînerait le délire et la psychose, voire la mort, ont été mises au point en des temps immémoriaux, et peuvent donc être considérées comme le témoignage de la réussite mnémotechnique incroyable de la tradition orale.

Citons d'autres mélanges psychédéliques. Les Aztèques buvaient un mélange cérémonial composé de champignons et de cacao. Ce dernier produit était considéré comme un don de Quetzalcóatl. Le cacao n'est pas un IMAO puissant, mais consommé en quantités suffisantes, il provoque une légère inhibition de la MAO, ce qui permet à des quantités plus importantes de sérotonine de circuler dans le cerveau. Ainsi, les sensations de bonheur et de joie sont accrus. En d'autres mots : le chocolat est un sérieux exhausteur d'effets pour certains enthéogènes ingérés, comme les champignons ou les cactus.

Toujours chez les Aztèques, mentionnons le tlililtzin1, un mélange à forte teneur en LSA, parfois assimilé à l'olioliqui :

Les graines d’Ipomoea tricolor [servaient] dans le cadre d’une utilisation sacralisée par les Zapotèques, parfois en association avec les graines de Turbina corymbosa. « Ololiuqui » et « Tlililtzin » étaient les noms donnés par les Aztèques à un mélange de graines de différentes Convolvulaceae aux propriétés « Enthéogènes » ; la première était en majeure partie composée de graines de Turbina corymbosa, rondes et brunes, tandis que la seconde était principalement composée de graines d’Ipomoea tricolor, longues, anguleuses et noires.

P. Delpey, Morning Glory : Ipomoea tricolor – Aspects pharmacologiques, psychiatriques et usages d'un hallucinogène naturel.

Les anciens Égyptiens consommaient une boisson qui comprenait du harmal, du lotus bleu et de la cléome ; trois euphorisants toniques. En témoignent les traces de ce breuvage recueillies sur un vase rituel conservé aujourd'hui au Musée d'art de Tampa, en Floride. Daté vers -2000 ans, ce récipient est une représentation de Bès, le dieu du foyer, protecteur des accouchements, de la fertilité et de la sexualité. L'association d'une telle boisson avec une telle divinité laisserait à penser que ce mélange était utilisé à des fins abortives ou aphrodisiaques.

En Inde, le Bhang lassi est un mélange de produit laitier (lait, beurre), de poussière de datura et de cannabis. Ce cocktail est largement consommé par les dévots de Shiva durant le festival de Shivaratri. Au Maghreb, le maajoum (ou dawamesk) est une confiture de haschich, d'opium et de fruits secs, contenant parfois du datura.

Le professeur Will-Erich Peukert (Université de Gottingen, 1895-1969) a jadis produit « un baume des sorcières » selon une recette du 17e siècle, à base de belladone, de jusquiame et de datura. Ce mélange est typique de l'herboristerie des mages et sorciers, mais aussi du chirurgien. Durant la période du Moyen-âge et de la Renaissance, en Europe, contre la douleur lors d’interventions chirurgicales, on utilisait une éponge imbibée de ciguë, de belladone, d’opium, de jusquiame et de mandragore. Dans l'empire romain, on administrait aux condamnés une boisson semblable, à base de mandragore et de myrrhe. Chez les Aztèques, la victime était contrainte de consommer le datura avant son sacrifice. Les prêtres sacrificateurs quant à eux mangeaient des psilocybes durant la cérémonie. En Grèce, l’oracle d’Apollon « inhalait des fumées de mandragore, belladone ou datura pour dispenser les divines paroles. » (Th. Beurton, Les substances enthéogènes naturelles : usages ancestraux et pratiques actuelles. Sciences pharmaceutiques. 2022.) On retrouve en Scandinavie l'usage d'un philtre enivrant à base de bière et de jusquiame, et sous le cercle arctique, on consommait jadis une mélasse composée de miel et d'amanite. De l'autre côté de l'Eurasie, au Kamtchatka, les indigènes préparaient pour leur plaisir, une boisson mélangeant amanites tue-mouches séchées et jus de myrtilles.

Mentionnons pour finir deux élixirs opioïdes qui furent jadis en vogue en Europe : le thériaque et le laudanum. Préconisé par Hippocrate, adopté par les élites romaines, le thériaque comprend une cinquantaine de plantes et sa préparation est si complexe qu'elle demande des macérations et des extractions dont le processus peut durer plusieurs mois. Il comporte en particulier une forte dose d'opium et des plus petites proportions de mandragore et de jusquiame. Le laudanum est aussi une recette antique, qui fut « réinventée » par l’alchimiste Paracelse et « repopularisée » au 19e siècle alors que la demande en opium était très forte.

Ces deux boissons furent commercialisées en France jusqu'au 19e siècle, mais suite aux ravages de l'opium, leur vente fut encadrée par l'obligation de présenter une ordonnance. Ce n'est qu'en 1884 que le thériaque disparaît du Codex medicamentarius des pharmaciens français.

Les médicaments de synthèse se développent alors (aspirine, morphine, cocaïne) et l'industrie pharmaceutique naissante remplace les méthodes de soins archaïques basées sur l'utilisation de la mélasse ou de la poudre d'opium.

De la fin des années 1940 aux années 1960, une série de dispositions et de pactes internationaux oblige les membres de l'ONU et de l'OTAN à assister les États-Unis dans leur politique de prohibition contre toutes les drogues, qu'elles soient naturelles ou synthétiques, récréatives ou religieuses, bénignes ou dangereuses.

Les philtres qui avaient été concoctés depuis la nuit des temps devinrent soudainement illégaux, d'Inde en Europe, d'Afrique en Amérique. Si, dans certains pays comme au Maroc, en Afghanistan, en Iran, en Inde, en Indochine, en Colombie, au Pérou et au Mexique particulièrement, une telle politique répressive fut peu suivie, il en est autrement des pays occidentaux comme la France, l'Allemagne ou l'Angleterre. De telles nations, qui avaient été les fleurons de la découverte pharmacologique, devinrent le tombeau des enthéogènes.

Importés des États-Unis, quelques faits divers fatals furent montés en épingle, et servirent à condamner les nouvelles drogues de synthèse au même titre que les anciennes naturelles. Comme le remarque très justement le poète lyonnais Rémy Dumont (1957- ), les psychédéliques « fournissaient un véritable scalpel en matière d'exploration et de connaissance de l'esprit. » (in R. Dumont, Chamanisme, spiritualité et modernité.)

Pourtant ces « outils naturels » sont encore aujourd'hui, dans leur grande majorité, inusités Il faut insister sur le fait que les enthéogènes ne sont pas seulement des modificateurs de la perception, ce sont aussi des médicaments classiques, qui agissent comme des remèdes.

Enfin, pour être exhaustif, il faudrait aussi mentionner leur usage guerrier. Les troupes d'Alexandre en marche vers la Perse consommaient de l'opium, les troupes perses sassanides en route vers Rome consommaient le harmal. La consommation d'opium était une pratique quotidienne chez les soldats arabes de l'expansion musulmane. Les soldats d'élite kshatriya hindous utilisaient l'opium avant et après les batailles, lors de réunions à la fois tribales, amicales et stratégiques. En Grèce, l'opium est la récompense des guerriers, au même titre que le Repos et le Sommeil (Thanatos et Hypnos). Bien que ses effets soient particulièrement relaxants et introspectifs, le cannabis est utilisé dans certaines cérémonies de chasse (Kilimandjaro), tandis que la littérature nous rapporte son usage, parfois mélangé à de l'opium ou du datura, parmi les sectes soufis guerrières (secte des Assassins, mythe du Vieux de la montagne) aussi bien que parmi les ascètes hindous qui se levèrent contre les exactions musulmanes après les sacs des temples de la vallée du Gange et du Pays tamoul (Srirangam). Quant au peyotl, selon le missionnaire espagnol Bernardino de Sahagun (v. 1499-1590) qui fut un des premiers européens au Mexique : « les Chichimèques font de cette plante une consommation considérable. Cela leur donne des forces, les excite au combat, leur enlève la peur, les empêche de ressentir les effets de la faim et de la soif. On dit même que cela les met à l'abri de tous les dangers. »

 

 

1: La déesse des pavots, terre cuite Gazi, Héraklion, -1400/-1200, Crête.

2: Suppiluliuma, roi hittite de Patina, Tell Tayinat, v.-850, Musée archéologique d'Antalya.

3: Chamane du Tassili, Algérie, v. -10 000 à -5000.

4: Statuette hittite du couple divin primordial, v. -2000.

5: Idole gémélaire, Çyatal Huyuk.

6: Des prêtres mochicas consommant la coca, peinture sur vase.

7: boucles d'oreilles opioïdes de la reine Tausret, v. -1190, Égypte.

8: Coquelicots, mandragore et pavot, tombe de Sennedjem.

 

 

1« Le Tlililtzin composé principalement de graines d’Ipomoea tricolor, tire son nom du mot nahuatl qui signifie noir, et est utilisé particulièrement chez les Zapotèques et les Chatin d’Oaxaca qui l’appellent « Badho negro ». » P. Delpey, Morning Glory : Ipomoea tricolor – Aspects pharmacologiques, psychiatriques et usages d'un hallucinogène naturel. Thèse en pharmacie, Université Paris Cescartes, 2016.

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