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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

La néolithisation et la fin du psychédélisme primitif

Mandragora, in De historia stirpium commentarii insignes (Commentaires remarquables à propos de l'histoire des plantes), de Leonhart Fuchs

Mandragora, in De historia stirpium commentarii insignes (Commentaires remarquables à propos de l'histoire des plantes), de Leonhart Fuchs

Selon, entre autres règlements, la loi française ; l'usage, la détention et le commerce de produits illégaux (drogues naturelles ou de synthèse), ainsi que la consommation de certaines plantes toxiques sont des activités strictement interdites et sévèrement réprimées par des amendes et des peines de prison. L'auteur de ce livre déconseille donc fortement d'enfreindre les lois de son pays ou de sa communauté. Les informations diffusées dans cet ouvrage ne le sont qu'à titre indicatif et à visée ethnographique.

À la fin du Paléolithique, les enthéogènes puissants disparaissent (sauf en Amérique) ou deviennent le fait de cultes secrets mystères (comme à Éleusis). Le tabou puis l'interdiction frappent leur usage.

Tôt ou tard, les révélations directes [des chamanes], même limitées à une élite, ne peuvent qu'entrer en conflit avec les doges de l'orthodoxie essentiels à la structure idéologique des religions d'état, et l'usage de substances de ce type tend à être frappé d'interdiction, comme ce fut le cas en Europe médiévale.

M. J. Harner, Drogues hallucinogènes et chamanismes

De même en Amérique : « La révolution néolithique, rassemblant certains groupes indiens en pueblos d'agriculteurs, beaucoup plus organisés politiquement et religieusement, a eu pour effet global, à quelques exceptions près, d'engendrer une attitude de rejet à l'égard des plantes psychédéliques. » (W. La Barre).

Une caste de prêtres émerge alors du chamanisme anarchique initial et se construit en opposition avec elle. Se présentant comme plus sérieuse, plus apte à mener à bien les rituels, la caste des prêtres propose une récitation de prières au lieu d'une séance de spiritisme ou de voyage astral... L’essor des sociétés et des civilisations encourage une plus grande rigueur dans la lecture des différents médias de divination. Les para-sciences que sont les auspices en tout genre, proposent une alternative à la stricte subjectivité chamanique. Les chamanes sont donc dépouillés de leur pouvoir de voyant, de messager des dieux. Leur silhouette devient désuète si ce n'est en Inde où la toujours active confrérie des sadhus continue à incarner l'ancestrale tradition ascétique primordiale. Il demeure qu'en Inde aussi, le clergé des brahmanes domine largement les ascètes vagabonds, tant au niveau religieux que politique.

Un double clergé s'établit alors : en Inde cohabitent depuis 3000 ans brahmanes et sadhus, tandis qu'en Grèce et à Rome les cultes familiaux et tribaux coexistaient avec des sectes à mystères plus individuelles (orphisme, Éleusis, …) En Gaule, en parallèle des cultes institutionnels voués aux divinités indo-européennes viriles et solaires, on vénère aussi Cernunnos, le maître de la nature sauvage, forestier et solitaire.

Des sociétés distinguent deux types de chamanes, les uns assurant surtout le traitement des infortunes, les autres davantage tournés vers les symboles, les mythes et les rites. Ainsi, chez les Bororo du Brésil, très dualistes, les aroe etawa-are se comportaient plutôt en prêtres, et les bari en chamanes. Chez les Mapuche du Chili, le machi était un guérisseur et un intercesseur auprès des dieux, et le « maître de la parole », un prêtre organisateur des rituels. [...] En Sibérie, où l'on a parlé [...] de chamanes blancs et de chamanes noirs, on situait les premiers du côté de la prêtrise ; les seconds, de la sorcellerie.

M. Perrin, Le chamanisme.

Au tournant du Mésolithique et du Néolithique, l'expérience chamanique de nature psychédélique perd le combat idéologique face à la doctrine inspirée des hymnes (Rig-Véda) et des formules (Livre égyptien des morts).

Une fois que l'écrit se met à intervenir dans la communication interpersonnelle, le bien et le mal ont alors tendance (bien que ce ne soit pas un effet immédiat) à être consignés par écrit et systématisés dans un code juridique ou éthique. Les idéaux, s'incarnant dans un texte plutôt que dans un contexte, ne se rattachent plus de manière aussi étroite aux préoccupations présentes.

J. Goody, La logique de l'écriture, 1986.

Le voyage psychédélique disparaît du culte pour laisser place à sa métaphore mythologique et à sa morale. À la fin de l'Antiquité (école d'Alexandrie, gnosticisme), la métaphysique l'emporte sur la croyance.

À la suite du processus de néolithisation, le chamanisme et son chamane ont donc été relégués dans les montagnes, les toundras et les jungles impénétrables ; autant de régions qui demeurèrent encore de longs millénaires assez isolées pour ne pas subir l'influence des grandes civilisations.

En Amérique, en Russie et en Afrique, les missionnaires chrétiens firent des chamanes des suppôts du diable. Perdant en considération et en attrait, la fonction chamanique se féminisa, ce qui augmenta encore les procès en sorcellerie et en hystérie dont elle faisait l'objet. Ce triste schéma se répéta en Sibérie, en Asie centrale, au Tibet, en Australie, en Afrique et bien sûr en Europe.

Jadis universellement diffus, le chamanisme n'existe plus de nos jours qu'en certaines régions encore relativement libres de l'acculturation chrétienne, musulmane ou capitaliste : en Afrique rurale, en Asie (Sibérie, Mongolie, Himalaya), en Amérique du nord (revival amérindien, chamanisme inuit) et du sud (Pérou, Amazonie).

 

L'éradication du chamanisme en Europe correspond à deux étapes principales :

1) L'éradication par Rome de la culture druidique, qui était l’héritière de la tradition chamanique steppique.

2) L'éradication des dernières chamanes sous des prétextes fallacieux (chasse aux sorcières).

Les prétentions prophétiques, les comportements extatiques, furent dès lors sévèrement condamnés et réprimés. En Occident, contrairement à l'Orient, « affirmer dans son délire qu'on est une émanation de Dieu, ou prétendre par cette voie dégager la part de ce « divin que l’homme imagine posséder en lui »6 n'est pas seulement une erreur, mais un blasphème.

« Si de nos jours l'expérience mystique classique est rare, c'est parce qu'il s'est établi une rupture entre la spiritualité avec son cortège d'extase, d'enstase, de transes, ou de samadhi, et l'idéologie rationnelle dominante. L'expérience mystique, comme l'expérience onirique n'a d'existence reconnue que si elle peut se dérouler ou être reçue dans des lieux autorisés, des lieux institutionnels ; aux « laboratoires » du rêve succèdent les « ateliers » de méditation. Ainsi le rêveur et le méditant, pourrons-nous dire presque sans exagération, n'ont plus d'autre discours que celui du neurophysiologiste ou celui psychologue. On entrevoit par là les écueils du « mysticisme expérimental » et les réserves que l'homme peut formuler à 1'égard de ce courant. Peut-être pourrions-nous alors envisager tout simplement que le vrai mystique aujourd'hui n'est autre qu'un sujet qui essaie de vivre naturellement, « normalement ». » B. Nhi, Les chemins de la libération, Éd. Épi, 1978.

Dans Matière à réflexions, le philosophe new-age Alan Watt résume clairement le malaise mystique qui règne en Occident depuis l'imposition du monothéisme et de ses références abrahamiques :

 

 

Si un individu déclare ne faire qu'un avec Dieu, il est obligatoirement qualifié de blasphémateur (subversif) ou de fou. Une telle expérience mystique représente une menace ouverte a l'encontre des concepts religieux traditionnels. La tradition judéo-chrétienne se représente Dieu comme un monarque, et les monarques qui règnent par la force craignent l'insubordination par-dessus tout. L’Église a donc toujours été hautement méfiante à l'égard des mystiques, parce qu’ils semblent désobéissants et paraissent prétendre égaler Dieu, ou, pire encore, s'identifier avec lui.

Denoël, 1972.

En outre, le Paléolithique révolu, l'usage des enthéogènes ne correspond plus au modèle civilisationnel adopté par les tribus qui ont entamé leur processus de néolithisation. La chasse, qui réclame peu de temps de travail, cède devant les travaux agricoles chronophages.

La hiérarchisation des sociétés est fatale aux chamanes improductifs. « Quand [les Indiens] ont pris du peyotl, ils ne nous obéissent plus » se plaignent les propriétaires terriens au poète et mystique Antonin Artaud (1896-1948), alors que celui-ci voyage à la rencontre des Tarahumaras du Mexique. Dans Les paradis artificiels, Charles Baudelaire (1821-1867) remarque lui aussi que « le haschich crée l’exagération non seulement de l'individu, mais aussi de la circonstance et du milieu ; vous n'avez plus de devoirs à accomplir exigeant de la ponctualité, de l'exactitude ; point de chagrin de famille ; point de douleurs d'amour. » Le poète Rémy Dumont témoigne des mêmes constats que ses aînés :

Les substances psychédéliques […] éclipsent cette vision d'un monde fondé sur la compétition, la productivité, les normes sociales et par dessus tout elles effacent les repères des sens et les perceptions brutes et nues.

R. Dumont, op. cit.

Nous cernons alors le principal danger de l'enthéogène, sa principale contrepartie : c'est son démoniaque son pouvoir de désocialisation. Comme les poètes français, Huxley remarque que...

Bien que l intellect demeure peu affaibli, et bien que la perception 'soit énormément améliorée, la volonté subit une modification profonde, en mal. Celui qui a pris de la mescaline ne voit aucune raison de faire quoi que ce soit en particulier, et trouve profondément inintéressantes la plupart des causes pour lesquelles, en temps ordinaire, il était prêt à agir et à souffrir.

A. Huxley, Les Portes de la perception, 1954.

Ainsi, les croyances modernes, nées de la néolithisation, que ce soit le monothéisme exclusif ou le productivisme capitaliste, qui demandent une adhésion totale à leur projet politique, ne tolèrent pas l'usage des enthéogènes. Le Code Hammourabi, les lois hittites, la religion des mages pré-zoroastriens, le manichéisme, l'islam, le christianisme, toutes ces doctrines condamnent effectivement et sans appel la « magie », laquelle n'est bien souvent que le nom infamant que l'on donne aux vestiges du chamanisme.

La néolithisation et la fin du psychédélisme primitif
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