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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

LE VIN : enthéogène et nectar sacré

Le nectar sacré

Il subsiste de très nombreuses traces des enthéogènes sacrés dans la littérature mythologique mondiale. Dans l'Odyssée, abordant l'île des Lotophages, Ulysse et ses compagnons rencontrent une tribu de mangeurs de lotus, un puissant narcotique. Chez les Aryens, le Soma (Haoma en perse) est « l’enivrante boisson qui garantit aux dieux l'immortalité. »1 Ce mystérieux brevage, dont les Védas et l'Avesta ignorent la recette, « doit toujours remplir [le] corps [d'Indra], comme une mer toujours gonflée d’eau, comme une langue toujours humectée de salive. » Des auteurs ont identifié le soma, divinité par ailleurs lunaire, à l'éphédra, à divers champignons magiques ou encore au harmal, sans pouvoir dégager un consensus sur la nature exacte de ce nectar divin. La tradition tibétaine reprend la notion de soma, c'est l'Amrita, la boisson qui rend les dieux éternels et que Brahma offre parfois à des démons qui lui cachent leur mauvaises intentions. Dans l'épopée tibétaine de Gesar de Ling, « la conscience individuelle » est comparée à une « liqueur enivrante. »

Dans le monde gréco-romain, le soma est l'Ambroisie, chez les Slaves c'est le Suryana. Dans le livre mazdéen d'Arda Viraf, l’élixir de la mort que boit le protagoniste pour se rendre en enfer et au paradis, est un mélange de bhang (poussière de cannabis) et de vin.

En chine, le nectar d'immortalité est un jus de pêche pressé avec les fruits du jardin de Xiwangmu, la « Reine-mère d'Occident. » Dans la mythologie du Tao, il est fait mention du Maître Kao « dont on disait qu'il avait élu domicile dans un tombeau après avoir absorbé une infusion de fleurs magiques. En tant que hsien, ou Immortel, il était parvenu à l'éternité terrestre. »2

Le vin est le nectar sacré par excellence. Selon la doctrine chrétienne, si le raisin est l’œuvre de dieu, la fermentation est celle de l'homme. Dans une métaphore typiquement biblique, le vin symbolise l'union entre un dieu et son peuple. Selon une lecture chamanique, qui emphase sur la sainte ivresse, le vin est le média que l'on doit emprunter pour correspondre entre le monde-terrestre et le monde-autre.

Le vin permet d'externaliser et de faire la catharsis des émotions et de l'ego, mais contrairement aux champignons ou aux enthéogènes psychédéliques, il n'encourage que peu l'introspection. Le vin est une drogue pour jouir en communauté, mais elle n'élève que peu l'âme vers un idéal mystique. C'est la drogue de la jouissance, du plaisir, et non de la transe extatique.

S'il condamnait l'asociabilité du haschich, Baudelaire célèbre donc le vin pour son rôle social. C'est le « vin des travailleurs », qu'il oppose au « haschish des oisifs et des rêveurs. » « Le vin rend bon et sociable, écrit-il, le haschish est isolant. Enfin le vin est pour le peuple qui travaille et qui mérite d'en boire. Le haschich appartient à la classe des joies solitaires. Il est fait pour les misérables oisifs. »3 Thomas de Quincey compare l'opium à l'alcool et en tire d'autres conclusions :

« La principale distinction consiste en ceci, que toujours le vin dérange les facultés mentales, et que l’opium (s’il est pris comme il doit l’être), loin de les altérer, y apporte l’ordre et l’harmonie. Le vin ôte à l’homme la connaissance de lui même  ; l’opium la rend plus sensible et plus forte. Le vin couvrant la pensée de nuages, grandit l’admiration ou le dédain, l’amour ou la colère ; l’opium, au contraire, introduit la tranquillité et l’équilibre dans toutes les facultés de l’homme, actives ou passives [...] »4

La vinification commence à être maîtrisée dans le Caucase dès -8000 ans. On a retrouvé des traces d'une boisson fermentée à Gobekli Tepe (Anatolie), dans les ruines du plus ancien complexe de temples (-9000). Ce breuvage deviendra essentiel aux cultes des premiers Égyptiens, Aryens ou encore Sumériens.

En Égypte, il existait le titre honorifique de « porteur du support de la jarre de vin. » Le vin faisait partie des rituels les plus sacrés et était associé à la famille royale. Si la haute noblesse s’enivrait occasionnellement avec, le peuple consommait plus souvent de la bière. Lors des festivals en l'honneur de Bastet la déesse-chatte de Bubastis, les improvisations musicales, les danses lascives et les relations sexuelles étaient encouragées par l'abondance de vin, car l'ivresse des hommes et des femmes était censée empêcher la divinité de se transformer en lionne.5 La vigne étant un symbole de renaissance, ses motifs décorent le plafond des tombeaux (tombe de Sennefer à Thèbes). Des vignes poussaient dans les temples (Karnak) mais selon Plutarque, le clergé avait l'interdiction de boire du vin : un phénomène qui serait peut-être à l'origine du tabou sémite frappant l'alcool. (Il peut aussi s'agir d'une restriction due à des dérives du clergé. Le vin et l'ivresse n'étant pas nécessairement tabous6.)

À Ougarit, comme chez les Étrusques, qui partageraient la même origine levantine :

« La vigne et le vin tout particulièrement ont ici et là un rôle majeur. Le vin, yn à Ougarit, ynn en hébreu, est la boisson alcoolisée par excellence. Elle n’est ni ici ni là affectée d’une connotation négative. Dans cette région, l’une des plus anciennes régions vinicoles et vinificatrices, on tient en grande estime la vigne et le vin. A Ougarit, boire avec excès est accepté dans un cadre communautaire, la gaieté partagée soude le groupe ; boire jusqu’à l’ivresse dans ce contexte revêt même une valeur magique et sacrée, en tant qu’état spécial vécu avec les autres. C’est une beuverie ritualisée. L’ébriété porte peut-être aussi une valeur cultuelle funéraire, le retour à la clarté après l’ivresse pouvant être senti comme un retour à la vie. Les confréries à caractère religieux associent leurs banquets bien arrosés à une divinité qu’ils honorent ainsi. Les dieux aussi mangent et boivent jusqu’à l’excès. »7

Des traces de vin en grande quantité ont aussi été retrouvées dans les temples de Baal à Canaan.

Chez les Perses et les Élamites, c'est Mithra qui est en lien avec le vin, qu'il fait couler des blessures qu'il inflige au taureau de vie qu'il sacrifie au nom du soleil (ou du Ciel).

Dans les mythologies indo-européennes, l'ivresse causée par le vin est une thématique commune. Rostam, le héros perse du Livre des rois, se repose après la guerre en buvant du vin « jusqu'à minuit », et en célébrant « la mémoire des braves ! »8 Hercule célèbre lui aussi en buvant sa victoire contre Cacus. Le héros de l'épopée tibétaine de Gesar de Ling boit aussi lors de son mariage avec une princesse et chante ivre pour fêter sa victoire contre son ancien mari le roi-démon.

Il faudrait aussi mentionner les nombreux Dionysos, dont Lénaios (ou Lénéus), qui est le « premier des agriculteurs », « le dieu » ou « le maître du pressoir ». Bacchus aussi, que l'on ne présente plus, et Silène le satyre qui incarne l'initiation par la transe alcoolique... Ou encore « Lyaios », celui « qui délivre des soucis ». Comme le raconte Nonnos dans ses Dionysiaques, Dionysos devient Lyaios au retour de sa campagne en Inde. Face à Botrys et à sa mère Méthé, qui souffrent de l'atroce chagrin d'avoir perdu un père et un mari, le dieu leur offre du vin afin de les soulager. On retrouve ce thème dans le christianisme, durant la Cène, mais aussi dans le manichéisme. En témoigne ce psaume :

 

« Donne-nous à boire un vin vivant de ta vigne. [...]

Tu nous as appelés, tu as ouvert pour nous un vin nouveau.

Ils boivent ton vin : leur cœur se réjouit en lui.

Ils sont ivres de ton amour : la joie se répand... »9

 

À propos de la Scythie, que nous savons déjà cannabinophile, Hérodote rapporte que « chaque gouverneur donne tous les ans un festin dans sa contrée, où l'on sert du vin mêlé avec de l'eau dans un cratère. Tous ceux qui ont tué des ennemis boivent de ce vin : ceux qui n'ont rien fait de semblable n'en goûtent point. »10

En Celtie, Sucellos tient dans ses mains un gobelet, qu'il semble tendre à ses disciples pour recevoir sa part du breuvage. De même, en Asie septentrionale, que nous savons déjà mycophile (usage rituel de l'amanite), de généreuses libations de vin durent parfois des jours, et marquent les rituels chamaniques altaïques. Le vin sert à aguicher Erlik, le maître des enfers. Lorsqu'il mime sa rencontre avec Erlik, le chamane imite le hoquet et joue l'ivresse.

Le vin est aussi un objet culturel dans l'Himalaya. Le Kafiristan-Peristan, pays des Kalashas polythéistes, fut de tout temps réputé pour sa production de vin et malgré les interdits de l'islam, différentes variétés de vignes y sont encore cultivées.

En Inde, la parèdre du dieu céleste Varuna, est Varuni, l'Ivresse. Dans le Ramayana, le vin semble avoir remplacé le soma: « Ceux qui burent le vin (sura) sont appelés des Dieux (Suras) tandis que les fils de Diti qui refusèrent de boire sont des Anti-dieux (A-sura-s). »11

Dans le Tao, les Parfaits (Chen Jen) et les Saints (Shen), « s'abreuvent d'un vin céleste (t'en-chin), ils marchent sur l'air et se servent du vent comme d'un véhicule. »12

En Indonésie et en Indochine, une boisson claire et forte semblable à l'eau-de-vie, l'arak, se rapproche totalement de la bière, tant dans le goût que dans l'apparence (il est servi dans des grosses jarres recouvertes d'un linge, qui évoquent les chopes bavaroises à couvercle).

En Mésoamérique il s'agit du Pulque. Occasionnellement, ces alcools forts peuvent être consommés lors de cérémonies initiatiques (soufisme).

 

 

 

En haut à gauche : Tombe de Nakht (Thèbes) astronome et haut fonctionnaire.

À gauche au milieu : Stèle de Kéti (1ere période intermédiaire),

Musée égyptien du Caire.

Au centre au milieu : Trouvaille scythe, Koul-Oba.

À droite au milieu : Dionysos Nagarjunakonda, Inde.

En bas : Un cabaret sumérien, sceau en verre, v. -2600, Ur, Irak, British Museum.

 

 

NOTES :

 

1Hymne en l'honneur d'Indra, Rig-Véda, 1, 4, 5. Trad. Langlois.

2A. Cotterell, Le Premier empereur.

3Ch. Baudelaire, Les Paradis artificiels.

4Th. de Quincey, Confession d'un mangeur d'Opium, trad. de Musset.

5« Le vin était réservé au pharaon et aux dieux. Il faisait également partie de l'offrande funéraire, et les scènes de vendanges et de fabrication du vin sont présentes sur les parois des tombes dès l'Ancien Empire. On a retrouvé de nombreuses jarres de vin des oasis et du Delta, les deux grandes zones de culture de la vigne en Égypte, à côté de vin importé du Levant, dans les ruines des palais royaux et comme offrande funéraire dans les tombes. Un vin cuit des oasis, le chédekh, jouait également un rôle rituel, en particulier lors de la momification. D'un point de vue rituel, le vin est appelé « œil vert d'Horus », le vert évoquant la verdeur et la fructification. C'est en même temps une allusion à la pleine lune, c'est-à-dire à l'œil d'Horus ayant retrouvé son intégrité (les yeux d'Horus étant, selon le mythe, à l'origine de la vigne). [...] Hathor est liée au vin et on célébrait chaque année à Dendara, le 20 du premier mois d'akhet, la fête de l'ivresse au cours de laquelle le vin coulait à flot et où semble avoir été pratiquée une ivresse rituelle, tandis que l'on présentait à la déesse le vase de vin qui fait partie de ses objets sacrés. » N. Guilhou, J. Peyré, La mythologie égyptienne.

6Dans la Bible, le Livre des Proverbes (31, 6) recommande le vin aux mourants et aux déprimés : « Le rôle du vin est majoritairement positif : il a un rôle désinhibiteur, comme on le voit dans l’épisode des filles de Loth où le vin rend possible une situation socialement inacceptable (l’inceste), mais nécessaire pour la continuité de la famille. [...] Le souci de descendance l’emporte, il n’y a aucune teneur péjorative dans ce récit où le rôle du vin est positif. Les rares cas de prohibition sont sacerdotales, spécifiques et restreintes. » Codréanu, op. cit.

7Cours d'ougaritique de J. Codréanu, La collection des tablettes d'Ougarit, Centre d’Études Théologiques de Caen.

8Le Livre des rois, 3, 2.

9Extrait du Psaume à Jésus (trad. Tardieu).

10Histoires, 4, 77 à 7, 80.

11Ramayana, 1, 45, cité par Daniélou, dans Mythes et Dieux de l'Inde.

12Couliano, Eliade.

LE VIN : enthéogène et nectar sacré
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