25 Novembre 2023
Entre le deuxième et le premier millénaire avant notre ère, il était possible de se déplacer de la Méditerranée jusqu'en Inde, en ne faisant étape que dans des cités et des royaumes partageant la même tradition indo-européenne (qu'elle soit de type mycénienne, anatolienne, perse, scythe ou indienne).
Située stratégiquement à la confluence des mondes perse et chinois, en relation commerciale avec l’Égypte, l'Arabie et l’Afrique depuis la plus haute Antiquité, et avec les îles indonésiennes et les côtes australiennes depuis le début de notre ère, l'Inde ne pouvait manquer de réunir en elle toutes les influences. L'Inde fait donc totalement partie du patrimoine commun partagé par les peuples d'Eurasie, et le fait que les manuels d'Histoire occidentaux aient fait le choix de la mettre de côté, n'y change rien : Aryens, Hittites, Celtes, Grecs, Germains et Tokhariens ont maintes fois été mis en relation par les linguistes comme par les mythographes.
Par ailleurs, l'influence de l'Occident sur l'Inde est tout aussi méconnue que le rapport inverse. Si nous savons que des colonies grecques étaient installées sur les rives de la mer Noire, nous sommes loin de réaliser qu'elles étaient aussi présentes au cœur-même de la vallée du Gange.
L'empire commercial et culturel gréco-indien, dont le Gandhara était l'épicentre, était florissant des siècles avant notre ère. Son aire d'influence s'étendait des rives méridionales de la Caspienne jusqu'à Patalipoutra (actuelle Patna, dont les Grecs attribuaient la fondation à Héraclès).
En favorisant la diffusion des dialogues philosophiques (que l'on retrouve particulièrement dans l’œuvre de Platon) cette culture typiquement indo-grecque influença la rédaction de la Bhagavad-Gita, le plus populaire des textes hindous, mais aussi des Questions de Milinda (Milindapanha), lesquelles sont incluses dans le Canon bouddhique.
Considérées comme exotiques et complexes, les spiritualités indiennes reposent pourtant sur un socle culturel qui est commun à l'Occident et à l'Orient : il s'agit de la matière mythologique, partagée jadis par les peuples indo-européens, mais aussi par les Égyptiens, les Sumériens et toutes les autres civilisations premières.
Depuis, les millénaires ont passé, les peuples et les nations se sont transformés. Aux quatre coins du monde, le polythéisme, le panthéisme, l'animisme et le chamanisme, furent abandonnés au profit d'une forme de monothéisme abrahamique. L'Inde seule demeura fidèle à l'ancestrale tradition. Plutôt que de disparaître, les dieux se transformèrent ; ils eurent des milliers d'avatars, mais jamais ils ne furent oubliés, ni remplacés. De fait, il subsiste en Inde une tradition ancestrale encore vivante, telle qu'il n'en n'existe malheureusement plus nulle part ailleurs.
En Amérique latine, en Sibérie, en Afrique, subsistent encore des formes de croyances archaïques, mais ces phénomènes sont marginaux et ont tendance à disparaître. En Inde au contraire, un milliard d'hindous pratiquent encore des rituels qui trouvent leur origine à la fin du néolithique.
Par exemple, Agni, la divinité du feu importée d'Asie centrale par les Aryas durant le second millénaire avant notre ère, est encore vénérée de nos jours avant chaque rituel hindou. Quant à Shiva, divinité majeure de l'hindouisme moderne, il était déjà présent sous une forme similaire dans la vallée de l'Indus et dans le sud de la péninsule, au 3e millénaire avant notre ère, avant même que les premiers Aryas n’entrent en Inde.
L'Inde du 21e siècle porte donc encore la trace de coutumes, de valeurs et de spiritualités plusieurs fois millénaires. Des variations ont bien sûr affecté cette tradition primordiale, mais l'essentiel de son message est encore palpable, notamment à travers les symboles, les icônes, les idoles et les textes sacrés de l'hindouisme moderne. Car les Aryas védiques résistèrent aux révolutions politiques et théologiques jaïnes, bouddhistes, grecques, scythes et hunniques qui affectèrent le sous-continent.
Les brahmanes, véritables cousins des druides, restèrent même au sommet de la hiérarchie du sous-continent jusqu'aux invasions musulmanes, lesquelles ne furent entreprises que vers l'an 700, pour ne s’intensifier que plusieurs siècles plus tard. Résistant aux envahisseurs islamiques, l'Inde devint même une terre d’accueil pour les Perses qui dédaignaient la parole de Mohamed et préféraient rester fidèles à celle de Zoroastre.
Les mythes indiens répondent donc aux mythes européens, mais d'une étrange manière : si Zeus s'incarne en taureau pour enlever la nymphe Europe, le roi Prithou chasse une Terre transformée en vache.
Autre exemple : dans le Harivamsa, Vishnou insuffle sa présence dans chacune des créatures, ce qui a pour conséquence de les diviser entre une partie féminine et une autre masculine. Ce mythe trouve un écho chez Platon et le mythe de l'être primordial qui contient en lui les deux sexes : la foudre de Zeus sépara cet hermaphrodite initial en deux parties, qui depuis sont à la recherche l'une de l'autre.
Nous retrouvons en Inde des mythes qui ont tant voyagé, d'une culture à l'autre, d'une religion à l'autre, qu'il nous est difficile de savoir quelle civilisation pourrait, à juste titre, s'enorgueillir d'être leur source commune… Où les mythes seraient-ils donc nés ? En Inde ou au Moyen-Orient ? Dans les steppes d'Eurasie ou dans les déserts ceinturant le Croissant fertile ? Dans les forêts, les jungles ou les montagnes ? Autour des Balkans, du Caucase, du Zagros ou du Pamir ? Sur les bords de l'Euphrate, du Don, du Gange ou du Kaveri ?
Pourtant, ces questions ne nous intéressent que peu, car il ne s'agit pas tant de savoir laquelle de ces traditions influença les autres la première, mais plutôt de reconnaître dans chacune d'entre elles un bagage culturel ancestral et homogène.
Ce « savoir ancestral », nous pensons qu'il remonte au Paléolithique supérieur et qu'il est le fruit des traditions orales claniques, des superstitions instinctives universelles et d'une connaissance poussée de la nature et des différents éléments qui la constituent. Cette tradition primitive, chamanique, animiste et nomade serait à l'origine des principaux mythes qui peuplent le paysage culturel de l’Eurasie (un concept similaire, nommé la « Tradition primordiale » est développé dans l’œuvre de René Guénon).
Il n'est donc pas nécessairement pertinent de rechercher des origines exogènes aux mythes. Prenons l'exemple de Dionysos : il est souvent présenté comme un dieu « venu d’Orient », inspiré du culte de Rudra-Shiva. Mais ce serait ignorer que Dionysos est une divinité déjà présente en Grèce à l'époque mycénienne (v. -1200), soit plus d'un demi-millénaire avant le siècle de Périclès et l'âge d'or hellénique. Pausanias avance même que de toutes les divinités, celle du vin et de la transe est la plus ancienne : « le temple de Bacchus qui est vers le théâtre, est le plus ancien de tous » écrit-il dans sa Description de la Grèce. Dionysos n'est donc pas une divinité orientale, mais une divinité tout à fait locale à la Grèce, mais dotée d’attributs exotiques et subversifs.
De la même manière, le dieu védique Rudra est régulièrement présenté comme une influence dravidienne sur le panthéon védique. Or, Rudra est présent dans le Rig-Veda, dont la composition ne se fit ni en Inde, ni dans l'Himalaya, mais probablement dans le Pamir ou les steppes d'Asie centrale.
Comme les ancêtres des Hellènes adoraient déjà une forme de Dionysos avant même d'entrer en contact avec l'Inde, les Védiques adoraient Rudra avant même qu'ils ne s'installent en Inde et n'entrent en relation avec les civilisations dravidienne et indusienne, et leur monothéisme shivaïte. Rudra était pour les Aryens védiques un dieu mineur, certes (tout comme l'était Dionysos en Grèce), mais il n'était pas moins un dieu surgit de l'esprit même du peuple qui croyait en lui.
Qu'il soit Indo-Aryen, Grec ou Dravidien, qu'on le nomme Dionysos, Rudra ou Shiva, il s'agit de la même figure chthonienne, connue par ailleurs en tant que Cernunnos chez les Celtes.
Cette divinité ne fut donc pas « inventée » quelque part puis importée ailleurs… Elle était déjà là, « partout », pourrait-on dire.
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