26 Novembre 2023
La cosmogonie sibérienne
Les spiritualités (dont le chamanisme) et les mythologies subarctiques ont beaucoup influencé les polythéismes classiques, notamment en raison des vagues de migrations venues du nord de l'Eurasie pour s'installer en Chine (Tarim, Gansu, Mongolie), en Inde (Aryens), en Mésopotamie (Mitanni) ou en Europe. Les Aryens portèrent le védisme sibérien méridional (originaire de la culture d'Andronovo) jusqu'au Sri Lanka. Les Celto-Germains importèrent les croyances de la civilisation de Yamna (Ukraine) et des kourganes (Kazakhstan) en Europe de l'ouest, tout comme plus tard les Huns (v. 700) puis les Mongols (v. 1400) importèrent en Europe danubienne le tengrisme des steppes sibériennes orientales.
Le mythe subarctique le plus diffus et que nous ne pouvions qu'inclure dans notre corpus, est probablement celui du « Plongeon cosmogonique », que nous présentons ici dans une version russe. Ce mythe, que l'on retrouve en outre en Laponie, en Inde et en Amérique, évoque plusieurs mythèmes primordiaux, comme celui de « l'oiseau-messager, oiseau de vérité », par ailleurs très présent dans la spiritualité celte. Ce volatile divin est souvent un oiseau migrateur, annonciateur du printemps et donc messager du dieu bon, maître de la nature et pourvoyeur de la subsistance des existences (mentionnons aussi la colombe de Noé, annonciatrice de la décrue, le cygne qui dépose l’œuf cosmogonique contenant Brahma, ou encore Malek Taus, l'archange paon des Yézidis).
Num et le vieillard de nulle part
De C. C. Ragache, Mythes et Légendes - La création du monde
Au-dessus de l'océan primordial planait Num, le dieu suprême. «Le sol est caché loin, très loin dans les profondeurs, se disait-il en contemplant l'immensité aquatique, totalement déserte. Il faudrait le remonter à la surface, pour créer la Terre. Qui pourrait aller le chercher?» Il pensa aux oiseaux, seules créatures vivantes des premiers temps de l'Univers.
«Plongez à la recherche du sol!» ordonna-t-il aux cygnes et aux oies qui sillonnaient le ciel à grands coups d'ailes. Les oiseaux disparurent sous la surface de l'océan, mais ils remontèrent bientôt sans avoir rien trouvé.
Num confia ensuite la même mission au plongeon, espèce de canard qui passait le plus clair de son temps sous l'eau. Le plongeon s'exécuta. Six jours durant, Num attendit son retour. Lorsque l'oiseau émergea enfin à la surface, il était exténué : «J'ai trouvé de la terre, annonça-t-il au dieu, mais hélas! mes forces m'ont abandonné, je n'ai pu la remonter!» Num envoya alors au fond de l'océan un oiseau polaire, le Ljuru : celui-ci réapparut au bout de sept jours, portant enfin un peu de limon dans son bec.
Num, qui savait désormais où trouver la matière première nécessaire, entreprit progressivement la création de la Terre : une île posée sur la surface de l'océan, qu'il agrandissait chaque jour. Un soir, il sentit une présence à ses côtés : levant la tête, il découvrit près de lui un vieillard qui, appuyé sur un bâton, le regardait d'un air effronté. Num, absorbé par sa tâche, ne l'avait pas entendu approcher : aussi ne sut-il jamais d'où venait ce curieux personnage. «De quelque part... » répondit simplement ce dernier lorsque le dieu lui posa la question.
«Je suis fatigué, dit l'inconnu, laisse-moi me reposer un peu sur la Terre.
- Il n'en est pas question! répondit Num. Tu n'as rien fait pour le mériter! Seuls ceux qui participent à sa création ont le droit de prendre pied sur la Terre. Plonge donc au fond de l'océan pour en remonter un peu de limon, si tu tiens à t'asseoir ici!»
Cependant le vieux insista tant et tant que Num, lassé, finit par céder à sa demande. Le lendemain matin, alors qu'il faisait le tour de l'île, le dieu aperçut le vieillard accroupi au bord de l'eau. «ll n'est finalement pas si méchant que cela, se dit-il. Il a compris qu'il devait m'aider, et le voilà au travail!» Num s'approcha du vieillard, prêt à le remercier. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que celui-ci, bien loin d'agrandir l'île, était en train de la détruire! Déjà il en manquait une bonne partie, réduite en morceaux que le vieil homme avait rejetés dans l'océan.
« C'est ainsi que tu me remercies de mon hospitalité ! Va-t'en immédiatement et que jamais je ne te revoie! s'écria Num d'un ton menaçant.
— Calme-toi, Num! Je vais partir et jamais tu ne me reverras, mais à une seule condition : donne-moi une parcelle de terre, juste assez grande pour que la pointe de mon bâton puisse la recouvrir. Tu vois, je ne suis pas exigeant ! »
Num accepta, rassuré d'être débarrassé de l'odieux vieillard à si bon compte. Celui-ci posa donc l'extrémité de son bâton sur le sol, mais avant même que Num eût pu esquisser le moindre geste, il creusa un trou dans lequel il disparut en prononçant triomphalement ces mots :
« Tu régneras sur la Terre, Num, et moi j'établirai mon royaume dans le monde souterrain. Bientôt tu vas créer des êtres vivants, appelés les hommes : à la fin de leur vie, je les attirerai dans mon domaine par ce trou qui fait communiquer nos deux royaumes... »
Num comprit alors que le vieillard n'était autre que le démon des enfers. Il regretta son manque de vigilance, mais hélas! il était trop tard : une partie de son pouvoir lui avait été dérobée par le seigneur du monde souterrain...
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