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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

LA GENÈSE SCANDINAVE, par S. Ricard (version longue de la cosmogonie nordique)

LA GENÈSE SCANDINAVE, par S. Ricard (version longue de la cosmogonie nordique)

Récit inspiré de l'Edda et extrait du

Précis de la mythologie scandinave, 1863

 

L'ORIGINE


 

Avant la création de la terre, il y eut deux mondes ; au nord le Niflhejm, ou le monde des brouillards, au sud le Muspelhejm, ou le monde du feu. Ce dernier était lumineux et ardent ; Surt au glaive flamboyant en garde les limites. Au centre du Niflhejm est situé le puits Hvergelmir, d’où sortent douze rivières, auxquelles on a donné le nom de l’Élivaager. Le gouffre Ginnungagap sépare les deux mondes. L’Élivaager s’éloignait tant de sa source que les parties liquides y contenues se congelaient et se transformaient en un terrain solide, et quand la glace commençait à charrier, et que des vapeurs y descendirent, elle se convertit en givre. Il s’amoncelait alors des couches de givre dans la partie boréale du Ginnungagap, où régnaient l’orage et la tempête. L’autre partie du gouffre, qui tenait au Muspelhejm, était au contraire ardente, lumineuse et douce comme l’air calme. Le souffle de la chaleur rencontra celui du givre, ce dernier se fondit et découla par gouttes, et des gouttes vitales naquit la première forme humaine, nommée Ymir, qui devint l’aïeul des Hrimthurses.

Les gouttes de givre donnèrent encore naissance à une vache, qu’on nomma Oedhumla ; de la mamelle de cet animal sortaient quatre torrents de lait, dont se nourrissait Ymir. La vache léchait des morceaux de glace salée qui lui fournissaient la nourriture. Des cheveux d’hommes furent le produit du premier jour que la vache lécha ; une tête d’homme naquit le deuxième jour, et le troisième jour parut un homme entier, qui était beau, grand et fort. On lui donna le nom de Bure. Son fils était Boer qui avec Bestla, fille d’un géant, devint père de trois fils, les dieux Odin, Vile et Vé.

Le géant Ymir s’endormit et se couvrit de sueur. De dessous son bras gauche sortirent alors un homme et une femme ; et de l’embrassement de ses pieds naquit un fils, de qui descend la race des Hrimthurses. Les fils de Boer, les dieux Odin, Vile et Vé, tuèrent le géant Ymir. De ses blessures s’écoula tant de sang que la race entière des Hrimthurses s’y noya, à l’exception de Bergelmir, qui se sauva en se réfugiant dans son arche. Il devint plus tard l’auteur d’une nouvelle race de géants.

Les trois dieux prirent le corps inanimé d’Ymir et le plaça au milieu de Ginnungagap ; de sa chair ils firent la terre, de son sang la mer, de ses os les montagnes, et de ses cheveux les forêts. La terre ferme eut pour ceinture l’océan. Les dieux assignèrent pour demeure aux Hrimthurses, les limites de la terre. Derrière leur domicile les dieux élevèrent Midgaard, la résidence des hommes, qu’ils entourèrent des sourcils d’Ymir. De son crâne ils formèrent la voûte du ciel ; quatre nains, le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest, portent la voûte sur leurs épaules. Les nuages, errant sur le firmament, sont formés du cerveau d’Ymir. Mais les étincelles qui sortaient de Muspelhejm, et qui flottaient en l’air, reçurent leur place sur le ciel, d’où elles éclairent la terre, tandis que les dieux en réglèrent la marche. Sur la plage les fils de Boer trouvèrent deux arbres, dont furent créés deux êtres humains. Odin anima ceux-ci d’un souffle de vie ; l’esprit et le mouvement furent les dons que leur fit Vile. Vé ajouta à ces bienfaits la vue, le parler et l’ouïe. L’homme reçut ensuite le nom d’Ask et la femme celui d’Embla. La race humaine descend de ce couple, dont la résidence était à Midgaard.

Nat était fille d’un géant, nommé Narfé ; elle avait le teint noir comme la race à laquelle elle tenait. Elle fut mariée à Delling qui était de la famille des dieux. Leur fils qui était blanc et beau comme son père, reçut le nom de Dag. Le dieu des dieux offrit à Nat et à Dag deux chevaux et deux chars, puis il les plaça sur le firmament et traça l’orbite qu’ils auraient à parcourir autour de la terre. Le char de Nat, qui précède la course, est traîné par le cheval Rimfaxe ; des gouttes découlent de son frein et produisent la rosée qui tombe dans les vallons. Le char de Dag est traîné par Skinfaxe, coursier fougueux ; de sa crinière jaillissent les rayons qui éclairent le ciel et la terre.

Un homme, portant le nom de Mundilfoere, devint père d’un fils et d’une fille ; ces enfants étaient d’une beauté si éblouissante qu’il leur donna le nom de Soleil et de Lune. Mais les dieux furieux de tant d’orgueil, enlevèrent les deux enfants et les placèrent au ciel. Soleil eut la fonction de conduire les chevaux, attelés au char de l’astre du jour ; Lune celle de diriger la course de la lune ; c’est encore elle qui décide des différentes phases de la planète. La course du soleil est rapide, car il est poursuivi par un géant, vêtu de la dépouille d’un loup ; un autre géant court en avant à la poursuite de la lune.

Au centre du monde les dieux édifièrent Asgaard, qui devint la résidence des dieux et de ceux qui leur appartiennent. Le pont tremblant, nommé Bifrost, s’étend du ciel jusqu’à la terre ; la nuance rouge de l’arc-en-ciel est le feu pétillant qui doit défendre le ciel contre l’assaut des Hrimthurses. »


 


LE FRÊNE D'YGDRASIL

 

Le frêne d’Ygdrasil est le plus beau de tous les arbres ; le monde entier est ombragé de ses branches qui s’étendent jusque dans les nues. L’arbre a trois racines, dont l’une aboutit au Niflhejm, l’autre à la demeure des Hrimthurses, la troisième se perd dans le ciel chez les dieux. Une source jaillit sous chaque racine ; la source de Hvergelmir au Niflhejm foisonne de serpents, une vipère, nommée Nidhug, en ronge la racine. Une autre racine qui s’étend chez les Hrimthurses, recèle la source de Mimer ; la sagesse sort de ses entrailles ; un breuvage puisé à ses eaux rend sage et produit une connaissance infinie. La troisième fontaine sourd chez les dieux ; deux cygnes blancs se baignent dans les eaux limpides de la source sacrée d’Urd ; les cygnes de la terre descendent de ce couple ailé, et tout ce qui s’approche de l’eau bénie de la source, se revêt de la couleur de l’innocence. C’est à l’ombre du frêne d’Ygdrasil que se rassemblent les dieux ; pour y aller tous les jours occuper leur siège de juge, ils traversent le pont de Bifrost. Le feuillage de l’arbre n’est pas sans population ; un aigle gigantesque est perché dans la cime, un faucon est assis entre les yeux de cet oiseau ; un écureuil grimpant sur les rameaux du haut en bas, sème la discorde entre l’aigle et le serpent qui sape la racine de l’arbre. Quatre cerfs courent dans le feuillage et en rongent les boutons, et trois déesses demeurant près de la source d’Urd, s’occupent à arroser l’arbre pour empêcher les branches de pourrir, et pour en entretenir la fraîcheur éternelle.

 

Le monde, de même que la nature entière, a été figuré sous l’image d’un arbre. Les racines qui s’en étendent des nuages jusqu’aux extrémités de la terre, représentent à la fois l’idée de l’étendue de l’univers et celle de l’infinité des temps. La couronne en est d’une fraîcheur éternelle, bien qu’elle ait vu s’écouler des siècles, dans lesquels nous n’étions pas encore. Le vent gémit doucement à travers le feuillage ; ce sont les esprits célestes qui nous entretiennent de ce qui se passe au-dessus de la terre embrumée de soucis. Et si le calme de l’arbre et le gémissement monotone des branches assoupissent l’âme dans un doux repos, le mouvement continuel des différentes espèces d’animaux, représentées sous des formes variées, porte la pensée vers l’activité infatigable de la nature. L’arbre gémit sous son fardeau, mais une série d’animaux prennent leurs ébats dans les régions qui leur sont propres. L’aigle plane au-dessus de la couronne de l’arbre, le serpent se tortille dans le fond, le cygne nage tranquillement dans les eaux pures de la source sacrée ; une rosée bienfaisante rafraîchit la terre ainsi que le cœur humain. En effet, l’image est sublime, il n’y a que l’âme humaine qui soit capable de la saisir, nul peintre, nulle couleur ne saurait la rendre. Rien ici n’est en repos, tout s’agite à l’instar de la pensée qui ne se lasse jamais de travailler, comme le sentiment, qui ne cesse jamais de se remuer. C’est donc l’univers entier qui n’est compris que par l’esprit humain, ou par la pensée du poète, et que la parole seule de l’enthousiasme sait interpréter.

 

RAGNAROK
 

L’hiver, nommé la saison de Fimbul, s’achemine ; la neige tombe de tous les coins de l’univers ; la rigueur du froid et du vent est affreuse, l’ardeur du soleil perd son intensité. Deux hivers semblables à celui-ci se succèdent sans être suivis d’été. Ce temps a été précédé d’une époque de combat et de lutte ; les frères se tuaient mutuellement, les pères mêmes n’épargnaient pas leurs fils. Les loups dévorent alors le soleil, et les astres disparaissent de la voûte du ciel. La terre et les montagnes tremblent de manière que les arbres se déracinent et que les rochers s’écroulent. Tous les liens se détachent ; le loup de Fenrir ayant échappé, s’élance à gueule béante, sa mâchoire supérieure touche au ciel, pendant que l’inférieure frotte la terre ; la bête féroce l’ouvrirait même davantage si l’espace le lui permettait ; le feu sort à la fois de ses yeux et de ses narines. La mer orageuse déborde, car le serpent de Midgaard, qui s’élève du fond, cherche à gagner la plage pour y vomir son venin. Le ciel se crevasse alors et les fils de Muspelheim en sortent ; Surte entouré de flammes et brandillant le glaive flamboyant est à leur tête. Ils traversent le pont de Bifrost qui s’écroule sur leur passage. Ainsi ils s’avancent dans la plaine, nommée Vigrind qui s’étend à cent lieues de chaque côté, en formant une phalange rayonnante. Loki, suivi du cortége lugubre de Hel, y vient à son tour, de même que les Hrimthurses et les géants.

Sur ses entrefaites se lève Hejmdal ; il embouche le cor de Gjallar, et les dieux se rassemblent à cet appel qui fait retentir tout l’univers. Odin se rend au puits de Mimer pour consulter la sagesse de celui-ci ; le vieux frêne d’Ygdrasil soupire en tremblant, la terre et le ciel s’épouvantent. Les dieux et les Ejnhériens se revêtissent alors de leurs armes et se mettent en campagne. Odin conduit la troupe vaillante ; vêtu de sa cuirasse luisante, la tête couverte d’un casque doré, et la lance à la main, il se précipite sur le loup de Fenrir. Thor se tient à ses côtés sans pouvoir du reste lui assister, engagé comme il l’est dans une lutte sanglante contre le serpent de Midgaard, c’est à peine qu’il évite de s’affaisser. Surt est l’adversaire de Frejr ; c’est un combat à outrance entre ces deux ; mais le dieu finit par succomber. Tyr, fils d’Odin, lutte contre un monstre de chien, nommé Gram ; et tous deux périssent. Thor a remporté la victoire sur le serpent ; mais atteint du venin dont l’a couvert le dragon, il ne fait que neuf pas chancelants avant d’expirer à son tour. Odin a été englouti par le loup de Fenrir contre lequel se jette le fils intrépide d’Odin, Vidar, qui se fait le vengeur de son père. Mettant le pied sur la mâchoire inférieure du loup, il le saisit par la partie supérieure de la gueule et lui arrache la langue. Loki et Hejmdal s’assassinent dans le combat. Les dieux ayant succombé, le monde se consume du feu que Surt a fait jaillir sur la terre ; les flammes pétillantes montent au ciel, et l’univers entier croule dans l’océan.

 

Thor combat les démons

 

Odin et Slepnir

 

 

LA RÉGÉNÉRATION

 

C’est ainsi que nos ancêtres se sont figuré la fin du monde, la dissolution des substances, des hommes et de la création entière. L’ordre de la nature est interrompu, les éléments se rencontrent ; Surt, le feu du ciel, le loup et le feu souterrain détruisent le serpent de Midgaard, l’image de la mer ; d’autres puissances ennemies engloutissent la terre. Mais qu’arrivera-t-il quand tout aura cessé, et que ni les dieux ni les hommes ne seront plus ? Il est dit pourtant que les hommes doivent vivre éternellement. Vala, la prophétesse divine de l’Edda, répond en continuant en ces termes : « Pour la deuxième fois je vois la terre surgir de l’océan, les torrents jaillissent, l’aigle puissant plane au-dessus du rocher prêt à fondre sur sa proie ; les champs donnent en abondance sans avoir été semés, tout ce qui était souillé s’est purifié. Balder revient ; il occupe avec Hoeder les palais abandonnés des dieux succombés. Vidar et Vale, fils d’Odin, ont survécu à ce sinistre ; ni la fureur de la mer ni l’intensité des flammes de Surt ne leur ont porté atteinte ; avec Modne et Magne, progéniture de Thor, ils occupent les sièges sacrés d’Asgaard, et s’entretiennent en parlant toujours de l’horrible événement dont ils ont été témoins. En se rappelant le loup et le serpent, ils retrouvent dans l’herbe les pions d’échecs en or, dont se servaient autrefois les dieux à l’origine de l’univers. Avant d’être englouti par le loup, le soleil avait donné naissance à une fille, qui suit le cours céleste de sa mère, plus radieuse encore que son origine. »

Un couple s’était caché pendant que ravageait le feu de Surt ; la rosée du matin leur avait servi de nourriture ; de leur réunion sortit la nouvelle géniture de la race humaine. L’œil clairvoyant de Vala découvre un édifice, plus rayonnant que l’éclat du soleil ; il porte le nom de Gimle, et c’est là la demeure pleine de félicité des vertueux. Mais s’il y a un endroit de béatitude, il doit bien y avoir aussi un endroit de correction pour les méchants ; cette sombre demeure s’appelle Nastrond. Les portes de l’édifice donnent sur le nord ; le toit en est couvert de serpents tournant les têtes en dedans, et vomissant leur venin dans la salle. Les parjures, les assassins, les séducteurs, ceux qui ont calomnié leur prochain marchent dans ces torrents immondes. Du haut des airs viendra alors le tout-puissant qui décidera de tout, et prononçant les jugemens décisifs, il assoupira les querelles et fera émaner des lois qui dureront éternellement.

Mais une dernière vision se présente encore à l’aspect de Vala, car elle voit disparaître le serpent qui suçait les cadavres des méchants à Nastrond. C’est ici que s’arrête la prophétesse inspirée ; elle aussi disparaît, après avoir dit ce qu’elle savait, et tout rentre dans un silence solennel.

 

Faut-il ajouter quelque chose de plus ? Ces paroles éloquentes ont-elles besoin de commentaires ? Est-il possible que l’on puisse méconnaître la signification de ces tableaux ? Le monde et tout ce qu’il renferme, doit finir, mais non les principes. La résurrection de quelques-uns des dieux et non de tous, nous l’indique. Odin et Thor ne sont plus ; leur existence finit avec le monde, dont ils représentaient les forces motrices, les dieux de tout ce qui s’y développait et se remuait, enfin de tout ce qui avait de l’existence. Mais Balder et Hoeder sont revenus de Hel ; la lumière et l’obscurité doivent rester éternellement, mais sans plus se disputer l’ascendant ; toute différence a cessé, elles se ressemblent au contraire, car ni l’un ni l’autre n’ont plus rien de substantiel ; elles ne représentent que la base, le principe, l’espace, l’extension. Les deux êtres humains qui ont survécu à l’anéantissement, procréent une race nouvelle ; que nous faut-il de plus pour nous persuader que ni les hommes, ni la nature ne s’effaceront jamais, pour savoir qu’ils appartiennent à l’éternité ? Le grand jugement, où le bien et le mal se rangent chacun de son côté, où tout ce qui ne s’accorde pas sera séparé, l’Edda ne l’oublie non plus. La récompense est éternelle ; mais la punition, l’est-elle aussi ? Voilà la question. Mais si la lumière et l’obscurité se font la paix, que le jour et la nuit se marient, et que Balder et Hoeder s’embrassent, il faudra bien que le mal soit englouti dans la source intarissable du bien.

S’il y a un état transitoire, une purification — et les puissances conciliatrices nous en offrent la garantie — il faudra bien alors que la purgation soit complète. Nous autres, qui sont imbus de l’esprit saint du Christianisme, nous connaissons la joie du ciel d’un pécheur pénitent ; nous connaissons le dieu miséricordieux qui ne veut point qu’un seul d’entre nous soit perdu, le Tout-puissant, dont la main sait frapper et saisir, l’idéal de l’amour charitable, qui sait tirer une larme repentante du cœur le plus endurci. Nous n’ignorerons point pourquoi le serpent de la punition disparaît, car tout ce qui est obscur doit s’éclaircir aux rayons dorés de la lumière éternelle.

« Réjouis-toi de ce que tu viens d’entendre ? » lui dirent-ils enfin. Là-dessus s’élève un grand bruit, et le roi, regardant autour de lui, se voit transporté dans la plaine, où il n’y a plus ni château, ni salle de Valhalla.

Il retourne dans son royaume où il raconte ce qu’il venait de voir et d’apprendre, et ces récits se sont conservés en passant de bouche en bouche.

Tel est le cadre spirituel qui entoure la mythologie de l’Edda prosaïque. L’édifice et la salle de Valhalla à toit doré ont disparu ; mais les mythes qui nous racontent des dieux puissants, se transmettront d’une génération à l’autre, comme un héritage vénérable et précieux de l’antiquité.

 

 

LA GENÈSE SCANDINAVE, par S. Ricard (version longue de la cosmogonie nordique)
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