27 Janvier 2022
La campagne de Dionysos en Inde
Outre son lieu de naissance, le mythe le plus souvent rapporté afin d'établir l'analogie entre Shiva et Dionysos est la campagne de ce dernier en Inde.
Ayant atteint sa puberté, le jeune Dionysos se mit à traîner dans les rues, se livrant en permanence aux excès de la pire ivrognerie. Roulant dans les chemins, foulé du pied par les chevaux, celui qui n'était qu'un enfant buvait, hurlait, criait, pleurait. « Je suis fils de Zeus » criait-il dans la nuit, au grand dam de ceux qui voulaient dormir. C'est alors que Zeus apparut devant lui et lui intima l'ordre de conquérir l'Inde. Soumettre les Indiens récalcitrants, devenir le roi des Indes, établir son culte dans cette contrée éloignée, voilà qu'elles étaient donc ses travaux à accomplir, s'il voulait entrer dans l'Olympe. La conquête de l'Inde est donc présentée par Zeus comme la condition essentielle à l'admission de son fils dans le cercle très fermé des dieux de l'Olympe.
Bien que très souvent mentionné, ce mythe est peu documenté. Il ne fut que très tardivement mis sous forme écrite. Diodore dans sa Bibliothèque, bien que bavard, n'en donne aucun détail, tout en la mentionnant très souvent. La seule œuvre qui lui soit entièrement dédiée, est les Dionysiaques (v. 450 à 470) de Nonnos de Panopolis, écrivain égyptien de culture grecque du premier millénaire.
Né dans la ville qui se nomme de nos jours Akhmim, en Haute-Égypte, le mystérieux Nonnos (ou Nonnus), dont on ne sait presque rien, pourrait être l’ homonyme évêque syrien d’Édesse. Les chercheurs débattent encore pour savoir si Nonnos était chrétien, converti au christianisme ou même païen ayant renié le christianisme. Son œuvre est la seule à nous donner de nombreuses informations sur les connexions indiennes du mythe de Dionysos. Nonnos est même le seul à avoir légué à l'Histoire une épopée complète concernant les aventures de Dionysos en Inde. Mais rédigé trop tardivement, son témoignage ne doit être envisagé qu'avec circonspection : tandis que Nonnos rédigeait les aventures de Dionysos dans le Caucase ou dans le Sindh, il se rendait surtout responsable d'une énième réécriture du mythe d'Alexandre le Grand. Il n'en demeure pas moins que ses Dionysiaques sont le texte le plus complet et le plus riche concernant le célèbre mais si mystérieux voyage de Dionysos en Inde.
Avant d’entrer plus en détail dans la conquête de l'Inde par Dionysos, il convient de rappeler qu'il existe en Inde un mythe similaire faisant de Shiva le conquérant des terres occidentales. Shiva, dans sa conquête de ce qu'il convient donc d'appeler la Mésopotamie et l'Europe, fonde des villes, subjugue des rois, détruit des armées. Son aventure est donc semblable à celle de Dionysos.
Une fois souverain du monde, Shiva revient en Inde. Il se retire au sommet du mont Kailash, sa demeure à la fois géographique (une montagne du plateau tibétain occidental) et céleste (l'axe du monde des shivaïtes). De même, une fois maître des Indes, Dionysos revient en Grèce à travers le Caucase et la Syrie, il s’unit à des princesses et donne naissance à des enfants. Honorant ses exploits, Zeus et les dieux lui offrent alors une place au sommet de la montagne sacrée de l'Olympe.
La campagne de Dionysos en Inde est le principal motif pictural concernant cette divinité. Il est présenté chevauchant un jaguar, un cogne (gourdin) à la main, des couronnes de fleurs sur la tête, du lierre et de la vigne entremêlant ses membres. Jeune, beau, imberbe, il est le chef d'une troupe d'homme-bouc, les satyres, et de femmes ivres et folles, les bacchantes (ou ménades). Dionysos se transforme très souvent, perdant ses adversaires par la folie ou l'ivresse plutôt que par la force strictement physique. Le travestissement, l'ivresse salvatrice, la métamorphose, la lutte, le combat viril entre deux champions, le viol des nymphes, tous ces thèmes sont alors récurrents dans sa campagne indienne.
Dès les premières batailles en territoire indien, Nonnos ne manque pas d'assigner au dieu adolescent une présence féminine à ses côtés :
Déjà la pernicieuse Bellone des Indes aux cris barbares, a suspendu le combat.
C'est elle, divinité étrangement implantée dans le récit et qui ne fait pas partie du panthéon gréco-romain, que Bacchus doit alors ses victoires. Nonnos la nomme bien justement « Bellone indienne », Bellone étant la divinité celto-italique de la guerre, dont la figure se rapprochait de l’Athéna Niké (Victoire).
« Bellone indienne » est une divinité barbare et violente, qui décide du succès d'une entreprise militaire, et donc évoque très certainement Anahita-Sarasvati, la déesse aryenne des combats, mais surtout la Durga-Kali des hindous (qui jusqu'au début du second millénaire de notre ère, était priée des steppes de Transoxiane jusqu'au golfe du Tonkin). Bellone, ou Durga, il s'agit de la déesse-mère, mais dans sa dimension vengeresse et débridée. C'est la déesse-mère, généreuse et juste, mais fâchée au point de pouvoir détruire le Mal (ou les démons) sans que celui-ci n'oppose de résistance. Dès son entrée en Inde, Dionysos se voit donc assigner une divinité locale et furieuse, tout comme Shiva est systématiquement associé à Parvati lorsqu'il est en position de dominant, et à Kali lorsqu'il est en position de dominé. Et de même que le doux Shiva est le partenaire de la terrible « Kali la noire », Bromios est le partenaire de la Nuit initiale, Nyx, la reine du chaos primordial.
Lucien de Samosate, Bacchus.
Lorsque Bacchus conduisit son armée contre les Indiens, on dit que les peuples du pays le méprisèrent d'abord au point de rire de son expédition. Il y a mieux, ils eurent pitié de sa témérité, convaincus que, s'il osait leur présenter la bataille, il serait aussitôt écrasé sous les pieds de leurs éléphants. Ils avaient probablement appris par leurs espions d'étranges nouvelles de cette troupe. La phalange et les bataillons sont, leur disait-on, composés de femmes insensées et furieuses, couronnées de lierre, ceintes de peaux de faons, ornées de petites piques de bois sans fer et entourées de lierres aussi, avec de légers boucliers qui rendent un son éclatant quand on les touche. On voit qu'ils avaient pris les tambours pour des boucliers. On aperçoit dans les rangs quelques jeunes rustres, nus, dansant le cordas, ornés de queues et de cornes comme des chevreaux nouveau-nés.
Le chef de cette bande est porté sur un char attelé par des panthères. Il n'a pas du tout de barbe, pas le moindre duvet, mais il est cornu et couronné de raisins, avec les cheveux retenus par une bandelette. Ses habits sont de pourpre, ses chaussures d'or. Près du général marchent deux lieutenants, l'un court, vieux, dodu, ventru, camus, à longues oreilles droites, chancelant, s'étayant d'un bâton, le plus souvent à cheval sur un âne, revêtu d'un crocote [robe couleur safran], digne pendant du général en chef ; l'autre est un être monstrueux, à figure humaine, bouc dans sa partie inférieure, ayant les jambes velues, cornu, barbu, rageur et violent, tenant dans la main gauche une syrinx, dans la droite une baguette recourbée ; il parcourt, en bondissant, toute l'armée. Les femmes ont peur de lui, elles s'enfuient laissant aller leurs cheveux au vent dès qu'il approche, et se mettent à crier : « Évohé ! » Les espions s'imaginèrent que c'était le nom qu'elles donnaient à leur souverain. Ils rapportèrent, en outre, qu'elles ravageaient les troupeaux, déchiraient de leurs mains les animaux tout vivants, et que quelques-unes même se nourrissaient de chair crue.
À ce récit, les Indiens et leur roi se mettent naturellement à rire et croient inutile de faire une sortie et de ranger leur armée en bataille. Tout au plus enverront-ils leurs femmes contre ces ennemis, s'ils approchent. Pour eux, ils rougiraient de remporter une pareille victoire et d'égorger des femmes folles, un général efféminé, couronné d'une bandelette comme une fille, un petit vieillard courtaud, à peu près ivre, l'autre une moitié de soldat, puis des danseurs nus, tous parfaitement ridicules. Cependant, à la nouvelle que le dieu dévastait le pays, brûlait les villes et les habitants, embrasait les forêts, qu'en un mot il remplissait de feu l'Inde tout entière (le feu est, en effet, l'arme de Bacchus; il la tient de son père, il l'a ravie à la foudre), voilà les Indiens qui courent aux armes, équipent leurs éléphants, leur mettent un frein à la bouche, les chargent de tours, marchent à la rencontre de l'ennemi, tout en le méprisant, mais transportés de colère et résolus d'écraser avec son armée ce général imberbe.
Quand les deux parties se sont rapprochées et mis en présence, les Indiens placent les éléphants sur leur front de bandière, et les appuient de la phalange. Bacchus, de son côté, se place au centre de ses troupes, tandis que Silène commande l'aile droite et Pan l'aile gauche. Les Satyres remplissent les fonctions de lochages et de taxiarques. Le cri de guerre général est : "évohé !" Tout à coup le tambour résonne, les cymbales font entendre un bruit guerrier. Un des Satyres, prenant une corne, sonne le nome orthien. L'âne de Silène se met à braire d'un ton martial. Les Ménades, ceintes de serpents, bondissent en hurlant, et mettent à nu le fer de leurs thyrses. Les Indiens et leurs éléphants ploient bientôt et prennent la fuite en désordre, sans oser s'avancer à la portée du trait. Enfin, ils sont complètement vaincus et emmenés prisonniers par ceux mêmes dont ils se moquaient tout à l'heure, apprenant par cette issue qu'il ne faut jamais mépriser, sur le bruit de la renommée, des troupes que l'on ne connaît pas.
Nonnos, Dionysiaques, 17
Les victoires s’enchaînent sans difficulté et c'est sans mal que Dionysos soumet l'Inde.
Le dieu se met à la tête de l'armée. Son front s'illumine de ce rayon céleste qui annonce le fils de Jupiter. Autour de son char de Lydie, triomphateur des géants, se pressent les rangs armés du thyrse. Environné de ses guerriers, Bacchus brille de toutes parts, radieux à l'égal de l'Olympe. Il les éclipse tous, et à sa beauté on l'eût pris pour le soleil étincelant au milieu des astres. Chef de troupe sans armes, au lieu du fer, il commande avec le lierre ; cette lance invincible, qui lui tient lieu de glaive et de javelots meurtriers, il l'agite dans les villes, l'enfonce dans le sol de l’Asie : il conduit à l'aide de rênes de vigne le char sauvage de la déesse Cybèle, ombragé par un lierre courbé en berceau, et il dirige l'attelage voyageur avec un fouet orné de fleurs. Il embaume et enivre de son raisin toute la contrée orientale. L'armée entière des bacchantes, son auxiliaire, accourt à sa suite, enhardie par cette première victoire, où Silène, le marcheur paresseux, après avoir, dans un doux délire, saisi de ses deux mains désarmées un Indien couvert de fer, mort et muet bien qu'animé, s'avançait à pas tardifs, chargé de ce fardeau : victoire où la fougueuse Mimallone, bondissant en cadence sur ses deux pieds, et traînant par le cou un Indien assoupi, butin du combat, proie de sa chasse, redoublait, échevelée, le cliquetis de ses cymbales.
Nonnos, Dionysiaques, 22
Le mobile Bacchus sème l'épouvante parmi tous les ennemis qui le voient, sans tirer l'épée, sans brandir la lance, se porter aussi prompt que les vents au milieu des premières lignes, passer de l'aile droite à l'aile gauche, et chasser devant lui des nuées d'Indiens, à l'aide d'un long thyrse et d'une fleur. Le gigantesque Thourée, tout immense qu'il est, ne peut le faire reculer, ni aucun autre capitaine, ni l'armée tout entière ; bien au contraire, se pressant les uns sur les autres, ils s'écartent de tous côtés à son approche.
Nonnos, Dionysiaques, 36
Bacchus, croisant le thyrse contre l’épée, assaille le vigoureux Dériade. Aux traits redoublés des javelots du guerrier, le dieu, changeant d’apparence, oppose les ingénieux fantômes de toutes ses transformations : tantôt c’est une flamme furieuse et soudaine, qui, au sein d’une sautillante fumée allume et recourbe son éclat ; tantôt, s’armant de traits humides, il grossit ses flots et roule des ondes mensongères. Parfois il prend la figure d’un lion, dresse en l’air sa gorge et fait sortir de sa gueule velue un mugissement sauvage, pareil au roulement de tonnerre du grondant auteur de ses jours. Ensuite de lion formidable, il devient sanglier vagabond, élargit le gouffre béant de son gosier à l’épaisse crinière ; puis, lançant sa tête contre le ventre de Dériade, debout et affermi sur ses pieds de derrière, déchire de ses dents acérées le milieu des flancs de son ennemi. Il prend encore l’aspect et l’image ingénieuse d’une vigne touffue, et en double la métamorphose ; car, tantôt pareil à une tige sortie du sol, il s’élance de lui-même sans arrêt et va onduler dans les airs comme le pin et le platane ; et tantôt, altérant sa tête, il fait croître la chevelure factice de ses pampres imitatifs ; son ventre devient un long cep, ses mains des rameaux, ses vêtements une verdoyante écorce ; ses pieds s’enracinent ; il arrête les efforts du roi en s’entortillant à ses cornes et en murmurant à son visage. Il mêle ensuite à des membres mouchetés une fourrure empruntée et, panthère aérienne, rampe à petits pas, puis s’élance d’un bond de ses jarrets sur la croupe des plus hauts éléphants. L’animal se dresse, ébranle le char, secoue les brillants harnais, les rondeurs des freins recourbés, et lance dans la plaine le guide impie qu'il portait. L'immense Dériade tombe, mais en tombant il combat encore Bacchus métamorphosé, et blesse la panthère de sa lance ; le dieu en vient alors à une autre forme. Torche errante, il paraît et s'agite au haut des airs qu'il réchauffe. Les vents en irritent la flamme ardente. Il court en cercle autour des mamelles et de la poitrine velue de Dériade ; la cuirasse arabe à la surface argentée que frappe l'étincelle noircit sous la vapeur d'une fumée pénétrante, et le casque à demi consumé du guerrier, que le feu tourmente, le brûle sous son aigrette embrasée.
Après avoir subjugué Dériade le roi des Indiens, Dionysos fait demi-tour, car sa conquête des Indes n'est que métaphorique. Il s'agit de l'épopée d'un héros civilisateur, qui apporte à une contrée barbare la lumière d'une nouvelle doctrine. Envoyé par Zeus pour « convertir » l'Inde, Dionysos semble faire comme Alexandre, c'est-à-dire qu'il s'approche de l'Inde, qu'il domine son chef le plus en vue, puis qu'il se retire aussitôt. Après avoir battu Porus sur la rive orientale de l’Indus, Alexandre s'en revient en Perse, de même que Dionysos, après avoir vaincu Dériade, s'en revient vers la Grèce par le Caucase.
Son voyage retour sera marqué par quelques-uns de ses mythes les plus célèbres. Dans un épisode que nous raconte Nonnos, Dionysos, vainqueur de l'Inde, fait une halte chez un berger du Caucase.
« Là, comme il continuait à pied sa marche, et, accompagné des satyres aux cornes de taureau, traversait ces roches qui recèlent des trésors, un homme des champs reçut le dieu dans sa cabane solitaire. C’est Brongos, citoyen de ces montagnes où ne s'élève aucun toit ; sur ces limites incertaines qui le séparent du domaine des géants, il habite une demeure qui n'est pas une maison. Le berger hospitalier mêle l'eau de la neige au lait de ses chèvres, et offre pour tout régal, au dieu qui donne la joie, cette boisson laiteuse dans de rustiques écuelles, et quelques vils aliments. Puis il amène du bercail une de ses brebis à l'épaisse toison, pour en faire un sacrifice à Bacchus. Mais le dieu s'y oppose : le vieillard, obéissant à d'immuables volontés, épargne la brebis, et ne présente à Bacchus, suivant ses désirs, que les mets des bergers. [...] Brongos apporte en abondance la joie de l'automne, l'olive nageant dans le sel, puis un fromage arrondi, tout frais, humide encore sur son éclisse. Le dieu sourit à la vue de la modeste nourriture des cultivateurs ; ensuite, jetant un regard favorable vers le berger hospitalier, il se place à l'humble table et y mange d'un insatiable appétit, fidèle au souvenir de ces festins modiques, privés de toute chair, que sa mère Cybèle livrait à son enfance au sein des montagnes. Il admira les âpres et informes vestibules de ce palais circulaire, comment la nature industrieuse avait su creuser une habitation, et comment, en dépit des règles de l'art, les roches se courbaient d'elles-mêmes en édifices. » Dionysiaques, 17.
Le Pays d'Alybe, ou Alibé, dont est originaire le berger que rencontre Dionysos, est probablement le pays des Chalybes, un peuple de Géorgie. Plus qu'un berger, le protagoniste est un ermite, qui est semblable à la figure du brahmane, présent dans les Upanishads et fréquemment sujet de récits paraboliques. Vivant seul ou en famille rapprochée, possesseur d'une vache et vivant sous un rocher ou dans une cabane, les brahmanes ascétiques sont des personnages typiques de l'Orient ancien. Les Grecs les appelaient les gymnosophistes, ce qui veut dire littéralement « les savants nus » et que l'on pourrait traduire plus justement par « les savants du sport », en référence à leur pratique du yoga. La pratique du yoga réclame en effet le calme et la vie la plus sainte possible, donc la plus éloignée des hommes. En s'isolant ainsi, vivant dans les montagnes, domaine des dieux, le brahmane se rapproche du Brahman.
En visitant le berger-ermite du Caucase, Dionysos fait œuvre civilisatrice, mais non pas en inventant une technique, en fondant une cité ou en gagnant une bataille, mais en dévoilant à un ascète le secret du juste et correcte sacrifice. Le végétarisme était alors prôné non seulement par l'orphisme, mais aussi par le pythagorisme et la plupart des sagesses antiques, du druidisme aux traditions égyptiennes.
Les anciennes traditions juives mais aussi mésopotamiennes témoignent de véritables génocides animaliers lors de cérémonies religieuses orchestrées par une caste de prêtres. Ces rituels étant bien souvent des débauches. La corruption des élites, associée à celle de la caste sacerdotale, favorisa l’émergence de cultes marginaux. Subversives, ces sectes prônèrent non pas la débauche d'offrande en échange de la promesse de pardon, mais plutôt la recherche individuelle et gnostique du salut. Associé à l'interdiction de sacrifier les animaux, le végétarisme permet une relation à la divinité plus intérieure, plus métaphorique. À l'agneau égorgé au pied des idoles, succèdent les galettes de riz et les colliers de fleurs. En réaction à la religion des rituels, se construit une religion de la métaphysique et de la prière intérieure, donc de l'initiation. Les dieux élémentaires, le Vent, le Feu, la Pluie, l'Eau, le Soleil, cèdent alors la place à des demi-dieux héroïques, tels Héraclès, Dionysos, Rama, Krishna...
Les sectes esséniennes du Moyen-Orient, le manichéisme, le jaïnisme et le bouddhisme, peuvent être considérés comme les principales doctrines ayant influencé et perpétué des coutumes végétariennes, et dans une large mesure popularisé le concept de la non-violence envers l'ensemble du vivant (« ahimsa » en sanskrit). Plus encore que de sauver la vie animale, l'ahimsa propose simplement à l'homme de ne plus impacter le vivant. En s’abstenant de tuer et donc de manger, ce qui a « un père et une mère, ou qui peut être un père et une mère » (Vedas), l'homme freine sa principale et plus impérieuse pulsion : la faim et la gourmandise. En agissant ainsi, il prend sa place dans le cycle de la vie et n'impacte plus négativement son équilibre. Bien qu'inspirées par le respect de la condition animale, ces doctrines ont surtout pour objectif de laver les péchés de leurs adeptes. La promesse de l'initiation orphique et dionysiaque se retrouve alors dans le régime alimentaire : celui qui s'y soumet souhaite purifier son karma, c’est-à-dire se libérer du poids de ses actes bénéfiques comme négatifs.
La doctrine dionysiaque du salut de l'âme par la domestication de ses passions, par la pratique de la catharsis, inspirera l’orphisme, mais aussi le pythagorisme, le mithraïsme européen, et bien sûr le christianisme. Jésus, prophète sacrifié, homme dieu, « roi des Hébreux et rois de la Terre », est en effet une figure dionysiaque. Né en exil, subversif par ses actes, infidèle aux coutumes juives orthodoxes, chasseur à coups de bâton des marchands du temple, rabbin dissident, créateur d'une doctrine du salut à travers l'amour de dieu et non les rituels ou les offrandes, marcheur du désert, emprisonné volontaire, faiseur de miracles, héros populaire méprisé des élites, fils de Dieu ressuscité, Jésus possède en effet de nombreux points communs avec Dionysos.
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