27 Janvier 2022
Arrivé en Syrie, Dionysos viole une nymphe. Puis il apprend que son plus fidèle disciple, le chanteur et poète Orphée vient de se faire massacrer par des femmes jalouses que le poète thrace ait refusé leurs avances (cet événement est une allégorie du refus du poète de continuer à écouter les muses). Sa tête, qui chante encore, est à présent balayée par les eaux de la mer Méditerranée. Contrarié, Dionysos se rend auprès de celles qui l'ont fait périr et les massacre toutes.
Loin d'être calmé, Dionysos retarde son passage en Grèce et cherche encore un moyen d'assouvir sa colère. S'approchant de Midas, le roi de Phrygie, il constate que celui-ci est imbu de sa souveraineté et qu'il a perdu de vue les valeurs essentielles de l’existence. Dionysos l'ensorcelle à son tour. Tout ce qu'il touchera se changera à présent en or… Et bientôt le pauvre Midas se voit rejeté de la communauté des hommes, car après sa femme, ses filles et ses proches, voilà que tous les hommes qu'il touche se changent en pépites et meurent.
Le mythe du roi Midas n'est pas sans rappeler celui de Shiva et Kubéra. Dans le mythe indien, Kubéra, roi des voleurs, est consacré dieu des richesses par Shiva. Dans le mythe de Midas, Dionysos punit un puissant de la Terre, tandis que dans le mythe de Kubéra, Shiva couronne un démon. Mais dans ces deux mythes, Shiva-Dionysos est le garant des richesses, l'accélérateur des gains, le pourvoyeur de la fertilité. Une fertilité telle, une puissance telle, qu'elle est fatale pour Midas et qu'elle transcende Kubéra. La richesse offerte par Shiva-Dionysos n'est donc pas une richesse matérielle, mais la transfiguration de l’âme, le moksha (illumination) des hindous ou le satori du bouddhisme zen (« connaissance », « illumination » en japonais).
Comme une ivresse, une maladie ou un poison, Dionysos s'instille dans le corps de ses disciples. Pour un initié bien préparé, pour un disciple fidèle, cette transfiguration est bénéfique, elle élève l'âme, la purifie et la transforme. Mais pour un être ignorant tout de sa véritable nature et des secrets dionysiaques, une telle transcendance est en revanche fatale. Le sacrifice des bacchantes, leur geste cruel et fanatique, doit donc être compris comme une variation autour du thème de l'abnégation, du salut par l'oubli de soi et par le dévouement à Dionysos.
Entrant enfin en Grèce, Dionysos rencontre Penthée, le roi de Thèbes. Celui-ci ne le respecte pas, s'en moque, nie son caractère divin et ses exploits indiens. En somme, il refuse de lui vouer un culte, donc de reconnaître sa nature divine. Dans ce qui demeure son mythe le plus célèbre (adapté au théâtre par Euripide vers -450) Dionysos se laisse dans un premier temps emprisonner, puis il ensorcelle les femmes du royaume, qui finissent par massacrer leur roi à mains nues. Associé aux femmes, à la folie, au meurtre, Dionysos devient un personnage tragique par excellence et c'est sous son patronage que le théâtre athénien se développe.
« Par ses origines, [la tragédie] se reliait étroitement aux fêtes d'une des divinités les plus populaires de l'Attique, Dionysos, le dieu de la vigne. La principale et la plus récente de ces fêtes était celle des Grandes Dionysies, célébrées dans [Athènes], sous la présidence de l'Archonte, au neuvième mois de l'année (mars-avril) ; beaucoup plus anciennes étaient les Dionysies rurales, qui se déroulaient en février-mars. Les Grandes Dionysies comprenaient d'abord une procession : un brillant cortège, où figuraient les prêtres, les magistrats et les cavaliers, suivait la statue de Dionysos, somptueusement parée ; puis venaient les libations, les sacrifices et de copieux banquets. Enfin, dans l'orchestre du sanctuaire du dieu, des chœurs de satyres, vêtus de peaux de bouc, faisaient entendre des chants qui rappelaient les mythes, douloureux ou glorieux, de Dionysos ; en outre, par leur agitation, d'abord violente et désordonnée, mais qui sera peu à peu disciplinée, ils s'efforçaient d'imiter les compagnons du dieu. Tels furent les débuts de la tragédie. Un jour vint où elle ne consista plus uniquement en chants du chœur : le chef de ce dernier, le coryphée, se détacha de ses compagnons, et un dialogue s'engagea entre eux et lui ; avec le temps, ses réponses à leurs questions gagnèrent en importance ; finalement, il cessa d'être un simple répondant pour devenir un « acteur » : la tragédie était née. » P. Cloché. Le Siècle de Périclès.
Dans son Histoire de la littérature grecque, Alexis Pierron rapproche la tragédie archaïque du rituel du bouc émissaire :
« Ce qu’on appelait déjà tragédie, avant Thespis [v. -580], n’était autre chose que le dithyrambe, le chant en l’honneur de Bacchus. Ce chant, tantôt triste et plaintif, tantôt vif et joyeux, libre dans son allure, dégagé de presque toutes les entraves métriques, était une sorte d’épopée, où se déroulait le récit des aventures du dieu. Le chœur dithyrambique dansait, en chantant, une ronde continue autour de l’autel de Bacchus. Sur cet autel on immolait un bouc ; et le nom de la victime, ράγος [bouc émissaire], fait comprendre comment le chant du sacrifice a pu recevoir le nom de tragédie, ργῳί, c’est-à-dire chant du bouc. [...] Suivant quelques-uns, le mot tragédie vient de ce que les chanteurs du dithyrambe se déguisaient en satyres, avec des jambes et des barbes de bouc, pour figurer le cortège habituel de Bacchus. »
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