22 Décembre 2021
Avec l'installation de comptoirs grecs à travers le monde méditerranéen et l'Asie, de nombreuses histoires s'ajoutent au canon grec : Héraclès en Gaule, en Espagne, en Afrique (Libye), dans le Caucase (Argonautiques) et aussi un Hercule Saxon.
Cependant, avec Héraclès en Scythie, il ne s'agit pas d'un mythe local (comme Ogmios) , ni d'un mythe importé (comme Kongorikshi). Hérodote raconte des mythes que lui ont été rapportés ou racontés par la communauté hellène de Scythie. L'acculturation est alors très courante. Soit le colon reconnaît sa divinité dans une figure locale, et alors se pratique un syncrétisme, soit le colon invente un mythe qu'il ancre dans sa nouvelle localité.
On rapporte une histoire similaire avec le premier celte, fils d'Hercule et d'une jeune fille native de la Gaule.
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« Hercule arriva dans le pays qu'on connaît aujourd'hui sous le nom de Scythie et y ayant été surpris par un orage violent et un grand froid, il étendit sa peau de lion, s'en enveloppa, et s'endormit ; et que ses juments, qu'il avait détachées de son char pour paître, disparurent pendant son sommeil, par une permission divine.
Hercule les chercha à son réveil, parcourut tout le pays, et arriva enfin dans le canton appelé Hylée [embouchure du Dniepr]. Là il trouva, dans un antre, un monstre composé de deux natures, femme depuis la tête jusqu'au-dessous de la ceinture, serpent par le reste du corps. Quoique surpris en la voyant, il lui demanda si elle n'avait point vu quelque part ses chevaux. « Je les ai chez moi, lui dit-elle ; mais je ne vous les rendrai point que vous n'ayez habité avec moi. » Hercule lui accorda à ce prix ce qu'elle désirait. Cette femme différait cependant de lui remettre ses chevaux, afin de jouir plus longtemps de sa compagnie. Hercule de son côté souhaitait les recouvrer pour partir incessamment. Enfin elle les lui rendit, et lui tint en même temps ce discours : « Vos chevaux étaient venus ici ; je vous les ai gardés : j'en ai reçu la récompense. J'ai conçu de vous trois enfants. Mais que faudra-t-il que j'en fasse, quand ils seront grands ? Les établirai-je dans ce pays-ci, dont je suis la souveraine ? ou voulez-vous que je vous les envoie ? »
« Quand ces enfants auront atteint l'âge viril, lui répondit Hercule, suivant les Grecs, en vous conduisant de la manière que je vais dire, vous ne courrez point risque de vous tromper. Celui d'entre vous que vous verrez bander cet arc comme moi et se ceindre de ce baudrier comme je fais, retenez-le dans ce pays, et qu'il y fixe sa demeure. Celui qui ne pourra point exécuter les deux choses que j'ordonne, faites-le sortir du pays. Vous vous procurerez par là de la satisfaction, et vous ferez ma volonté. »
Hercule, en finissant ces mots, tira l'un de ses arcs, car il en avait eu deux jusqu'alors, et le donna à cette femme. Il lui montra aussi le baudrier ; à l'endroit où il s'attachait pendait une coupe d'or : il lui en fit aussi présent, après quoi il partit.
Lorsque ces enfants eurent atteint l'âge viril, elle nomma l'aîné Agathyrsus, le suivant Gélonus, et le plus jeune Scythès. Elle se souvint aussi des ordres d'Hercule, et les suivit. Les deux aînés, trouvant au-dessus de leurs forces l'épreuve prescrite, furent chassés par leur mère, et allèrent s'établir en d'autres pays. Scythès, le plus jeune des trois, fit ce que son père avait ordonné, et resta dans sa patrie. C'est de ce Scythès, fils d'Hercule, que sont descendus tous les rois qui lui ont succédé en Scythie ; et, jusque aujourd'hui, les Scythes ont toujours porté au bas de leur baudrier une coupe, à cause de celle qui était attachée à ce baudrier. Telle fut la chose qu'imagina sa mère en sa faveur. C'est ainsi que les Grecs qui habitent les bords du Pont-Euxin rapportent cette histoire. » Hérodote, Histoires 4,8 à 4,10.
Les Grecs de la Mer Noire et l'or des Scythes - Christel Muller
Historienne, spécialiste de prospection archéologique et d'histoire de la Grèce romaine, Christel Müller est ancienne élève de l'École normale supérieure et ...