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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Quelques mythes fondateurs de la SCYTHIE

 

Hérodote est la source que nous possédions la plus abondante concernant les Scythes et les peuples qui leur sont associés. Les Perses leur ayant fait la guerre, de nombreux chapitres de ses Enquêtes leur sont dédiés, mais comme bien souvent avec cet auteur, l'ethnocentrisme grec nous brouille quelque peu la vue lorsqu'il s'agit de s’intéresser sérieusement à ces peuples si lointains. Ainsi, les mythes qui vont suivre ne doivent pas être compris comme des mythes authentiquement scythes, mais plutôt comme des lectures grecques de mythes possiblement scythes. Les récits d'Hérodote peuvent aussi simplement être des mythes grecs partagés par les communautés grecques installées en Scythie, mais non revendiqués par les Scythes eux-mêmes.

Nous ne possédons malheureusement aucun chef-d’œuvre de la littérature antique scythe : nul Avestan sarmate, nul Rig-Véda Scythe… Cependant, les travaux de George Dumézil concernant la mise par écrit des légendes Nartes peuvent être considérés comme les ultimes vestiges d'une tradition scythe qui serait sans cela parfaitement oubliée. Cependant, ces récits valent plus comme un corpus de contes ethnique que comme un véritable témoin d'un culte ou d'un panthéon qui remonterait au Néolithique.

Ainsi, si Hérodote n'est pas le plus fiable des enquêteurs, son témoignage est le seul dont nous disposons. Les textes suivants sont donc extraits des « enquêtes » d'Hérodote, dans leur traduction par Pierre-Henri Larcher, dans son Histoire (Charpentier, Paris, 1850).

 

Les trois fils de Targitaos et l'or tombé du ciel (Histoires, 4,4 à 4,7)

La Scythie était autrefois un pays désert. Le premier homme qui y naquit s'appelait Targitaos. Ils prétendent qu'il était fils de Jupiter et d'une fille du Borysthène [fleuve qui se jette dans la mer Noire en Ukraine actuelle] : cela ne me paraît nullement croyable ; mais telle est l'origine qu'ils rapportent. Ce Targitaos eut trois fils ; l'aîné s'appelait Lipoxaïs, le second Arpoxaïs, et le plus jeune Colaxaïs. Ceux d'entre les Scythes qu'on appelle Auchates sont, à ce qu'on dit, issus de Lipoxaïs ; ceux qu'on nomme Catiares et Traspies descendent d'Arpoxaïs, le second des trois frères ; et du plus jeune, qui fut roi, viennent les Paralates.

Sous leur règne, il tomba du ciel, dans la Scythie, une charrue, un joug, une hache et une soucoupe d'or. L'aîné les aperçut le premier, et s'en approcha dans le dessein de s'en emparer ; mais aussitôt l'or devint brûlant. Lipoxaïs s'étant retiré, le second vint ensuite, et l'or s'enflamma de nouveau. Ces deux frères s'étant donc éloignés de cet or brûlant, le plus jeune s'en approcha, et trouvant l'or éteint, il le prit et l'emporta chez lui. Les deux aînés, en ayant eu connaissance, lui remirent le royaume en entier. Le pays des Scythes étant très étendu, Colaxaïs le partagea en trois royaumes, qu'il donna à ses trois fils. Celui des trois royaumes où l'on gardait l'or tombé du ciel était le plus grand.

L'or sacré tombé du ciel, les rois le gardent avec le plus grand soin. Chacun d'eux le fait venir tous les ans dans ses États, et lui offre de grands sacrifices pour se le rendre propice. Si celui qui a cet or en garde s'endort le jour de la fête, en plein air, il meurt dans l'année, suivant les Scythes ; et c'est pour le récompenser et le dédommager du risque qu'il court qu'on lui donne toutes les terres dont il peut, dans une journée, faire le tour à cheval.

L’arrivée des Scythes en Cimmérie (4,11 à 4,12)

Les Scythes nomades qui habitaient en Asie, accablés par les Massagètes, avec qui ils étaient en guerre, passèrent l'Araxe et vinrent en Cimmérie ; car le-pays que possèdent aujourd'hui les Scythes appartenait autrefois, à ce que l'on dit, aux Cimmériens. Ceux-ci,les voyant fondre sur leurs terres, délibérèrent entre eux sur cette attaque. Les sentiments furent partagés, et tous deux furent extrêmes ; celui des rois était le meilleur. Le peuple était d'avis de se retirer, et de ne point s'exposer au hasard d'un combat contre une si grande multitude ; les rois voulaient, de leur côté, qu'on livrât bataille à ceux qui venaient les attaquer. Le peuple ne voulut jamais céder au sentiment de ses rois, ni les rois suivre celui de leurs sujets. Le peuple était d'avis de se retirer sans combattre, et de livrer le pays à ceux qui venaient l'envahir ; les rois, au contraire, avaient décidé qu'il valait mieux mourir dans la patrie que de fuir avec le peuple. D'un côté, ils envisageaient les avantages dont ils avaient joui jusqu'alors ; et, d'un autre, ils prévoyaient les maux, qu'ils auraient indubitablement à souffrir s'ils abandonnaient leur patrie.

Les deux partis persévérant dans leur première résolution, la discorde s'alluma entre eux de plus en plus. Comme ils étaient égaux en nombre, ils en vinrent aux mains. Tous ceux qui périrent dans cette occasion furent enterrés, par le parti du peuple, près du fleuve Tyras [Dniestr], où l'on voit encore aujourd'hui leurs tombeaux. Après avoir rendu les derniers devoirs aux morts, on sortit du pays et les Scythes, le trouvant désert et abandonné, s'en emparèrent. [...]

Il paraît certain que les Cimmériens, fuyant les Scythes, se retirèrent en Asie, et qu'ils s'établirent dans la presqu'île où l'on voit maintenant une ville grecque appelée Sinope [rive sud de la mer Noire]. Il ne paraît pas moins certain que les Scythes s'égarèrent en les poursuivant, et qu'ils entrèrent en Médie.

Les amazones et les Sarmates (4,110 à 4,117)

Lorsque les Grecs eurent combattu contre les Amazones et qu'ils eurent remporté la victoire sur les bords du Thermodon [nord de la Cappadoce], on raconte qu'ils emmenèrent avec eux, dans trois vaisseaux, toutes celles qu'ils avaient pu faire prisonnières. Lorsqu'on fut en pleine mer, elles attaquèrent leurs vainqueurs et les taillèrent en pièces. Mais, comme elles n'entendaient rien à la manœuvre des vaisseaux et qu'elles ne savaient pas faire usage du gouvernail, des voiles et des rames, après qu'elles eurent tué les hommes, elles se laissèrent aller au gré des flots et des vents, et abordèrent à Cremnes, sur le Palus-Maeotis [nord-est de la Crimée]. Cremnes est du pays des Scythes libres. Les Amazones, étant descendues de leurs vaisseaux en cet endroit, avancèrent par le milieu des terres habitées ; et, s'étant emparées du premier haras qu'elles rencontrèrent sur leur route, elles montèrent à cheval, et pillèrent les terres des Scythes.

Les Scythes ne pouvaient deviner qui étaient ces ennemis, dont ils ne connaissaient ni le langage ni l'habit ; ils ignoraient aussi de quelle nation ils étaient, et, dans leur surprise, ils n'imaginaient pas d'où ils venaient. Trompés par l'uniformité de leur taille, ils les prirent d'abord pour des hommes, et, dans cette idée, ils leur livrèrent bataille. Mais ils reconnurent, par les morts restés en leur pouvoir après le combat, que c'étaient des femmes. Ils résolurent, dans un conseil tenu à ce sujet, de n'en plus tuer aucune ; mais de leur envoyer les plus jeunes d'entre eux en aussi grand nombre qu'ils conjecturaient qu'elles pouvaient être, avec ordre d'asseoir leur camp près de celui des Amazones, de faire les mêmes choses qu'ils leur verraient faire, de ne pas combattre quand même elles les attaqueraient, mais de prendre la fuite, et de s'approcher et de camper près d'elles lorsqu'elles cesseraient de les poursuivre. Les Scythes prirent cette résolution, parce qu'ils voulaient avoir des enfants de ces femmes belliqueuses.

Les jeunes gens suivirent ces ordres : les Amazones, ayant reconnu qu'ils n'étaient pas venus pour leur faire du mal, les laissèrent tranquilles. Cependant les deux camps s'approchaient tous les jours de plus en plus. Les jeunes Scythes n'avaient, comme les Amazones, que leurs armes et leurs chevaux, et vivaient, comme elles, de leur chasse et du butin qu'ils pouvaient enlever.

Vers l'heure de midi, les Amazones s'éloignaient du camp, seules ou deux à deux, pour satisfaire aux besoins de la nature. Les Scythes, s'en étant aperçus, firent la même chose. Un d'entre eux s'approcha d'une de ces Amazones isolées, et celle-ci, loin de le repousser, lui accorda ses faveurs. Comme elle ne pouvait lui parler, parce qu'ils ne s'entendaient pas l'un et l'autre, elle lui dit par signes de revenir le lendemain au même endroit avec un de ses compagnons, et qu'elle amènerait aussi une de ses compagnes. Le jeune Scythe, de retour au camp, y raconta son aventure ; et le jour suivant il revint avec un autre Scythe au même endroit, oit il trouva l'Amazone, qui l'attendait avec une de ses compagnes.

Les autres jeunes gens, instruits de celte aventure, apprivoisèrent aussi le reste des Amazones ; et, ayant ensuite réuni les deux camps, ils demeurèrent ensemble, et chacun prit pour femme celle dont il avait eu d'abord les faveurs. Ces jeunes gens ne pouvaient apprendre la langue de leurs compagnes; mais les Amazones apprirent celle de leurs maris ; et, lorsqu'ils commencèrent à s'entendre, les Scythes leur parlèrent ainsi : « Nous avons des parents, nous avons des biens ; menons une autre vie : réunissons-nous au reste des Scythes, et vivons avec eux. Nous n'aurons jamais d'autres femmes que vous. »

« Nous ne pourrions pas, répondirent les Amazones, demeurer avec les femmes de votre pays. Leurs coutumes ne ressemblent en rien aux nôtres : nous tirons de l'arc, nous lançons le javelot, nous montons à cheval, et nous n'avons point appris les ouvrages propres à notre sexe. Vos femmes ne font rien de ce que nous venons de dire, et ne s'occupent qu'à des ouvrages de femmes. Elles ne quittent point leurs chariots (28), ne vont point à la chasse, ni même nulle part ailleurs. Nous ne pourrions par conséquent jamais nous accorder ensemble. Mais si vous voulez nous avoir pour femmes, et montrer de la justice, allez trouver vos pères, demandez-leur la partie de leurs biens qui vous appartient ; revenez après l'avoir reçue, et nous vivrons en notre particulier. »

Les jeunes Scythes, persuadés, firent ce que souhaitaient leurs femmes ; et, lorsqu'ils eurent recueilli la portion de leur patrimoine qui leur revenait, ils les rejoignirent. Alors elles leur parlèrent ainsi : « Après vous avoir privés de vos pères, et après les dégâts que nous avons faits sur vos terres, nous en craindrions les suites s'il nous fallait demeurer dans ce pays ; mais, puisque vous voulez bien nous prendre pour femmes, sortons-en tous d'un commun accord, et allons nous établir au delà du Tanaïs. »

Les jeunes Scythes y consentirent. ils passèrent le Tanaïs [Don] ; et, ayant marché trois jours à l'est, et autant depuis le Palus-Maeotis vers le nord, ils arrivèrent dans le pays qu'ils habitent encore maintenant, et où ils fixèrent leur demeure. De là vient que les femmes des Sauromates ont conservé leurs anciennes coutumes : elles montent à cheval, et vont à la chasse, tantôt seules et tantôt avec leurs maris. Elles les accompagnent aussi à la guerre, et portent les mêmes habits qu'eux.

Les Sauromates font usage de la langue scythe ; mais, depuis leur origine, ils ne l'ont jamais parlée avec pureté, parce que les Amazones ne la savaient qu'imparfaitement. Quant aux mariages, ils ont réglé qu'une fille ne pourrait se marier qu'elle n'eût tué un ennemi. Aussi y en a-t-il qui, ne pouvant accomplir la loi, meurent de vieillesse sans avoir été mariées.

L'exécution de Scylès le gréco-scythe (4, 79 à 4,80) :

Scylès désira de se faire initier aux mystères de Bacchus. Comme on commençait la cérémonie, et qu'on allait lui mettre entre les mains les choses sacrées, il arriva un très grand prodige. Il avait à Borysthène un palais, dont j'ai fait mention un peu auparavant. C'était un édifice superbe et d'une vaste étendue, autour duquel on voyait des sphinx et des griffons de marbre blanc. Le dieu le frappa de ses traits, et il fut entièrement réduit en cendres. Scylès n'en continua pas moins la cérémonie qu'il avait commencée. Les Scythes reprochent aux Grecs leurs bacchanales, et pensent qu'il est contraire à la raison d'imaginer un dieu qui pousse les hommes à des extravagances. Lorsque Scylès eut été initié aux mystères de Bacchus, un habitant de Borysthène se rendit secrètement à l'armée des Scythes : « Vous vous moquez de nous, leur dit-il, parce qu'en célébrant les bacchanales, le dieu se rend maître de nous. Ce dieu s'est aussi emparé de votre roi ; Scylès célèbre Bacchus, et le dieu l'agite et trouble sa raison. Si vous ne voulez pas m'en croire, suivez-moi, et je vous le montrerai. » Les premiers de la nation le suivirent. Le Borysthénite les plaça secrètement dans une tour, d'où ils virent passer Scylès avec sa troupe, célébrant les bacchanales. Les Scythes, regardant cette conduite comme quelque chose de très affligeant pour leur nation, tirent, en présence de toute l'armée, le rapport de ce qu'ils venaient de voir.

Scylès étant parti après cela pour retourner chez lui, ses sujets se révoltèrent, et proclamèrent en sa place Octamasades, son frère, fils de la fille de Térès. Ce prince, ayant appris cette révolte, et quel en était le motif, se réfugia en Thrace. Sur cette nouvelle, Octamasades, à la tête d'une armée, le poursuivit dans sa retraite. Quand il fut arrivé sur les bords de !'Ister, les Thraces vinrent à sa rencontre. Mais comme on était sur le point de donner bataille, Sitalcès envoya un héraut à Octamasades, avec ordre de lui dire : « Qu'est-il besoin de tenter, l'un et l'autre, le hasard d'un combat ? Vous êtes fils de ma soeur, et vous avez mon frère en votre puissance : si vous me le rendez, je vous livrerai Scylès, et nous ne nous exposerons point au sort d'une bataille. » Le frère de Sitalcès s'était en effet réfugié auprès d'Octamasades.

Ce prince accepta l'offre, remit son oncle maternel entre les mains de Sitalcès, et reçut en échange son frère Scylès. Sitalcès n'eut pas plutôt son frère en son pouvoir, qu'il se retira avec ses troupes ; et dès qu'on eut rendu Scylès, Octamasades lui fit trancher la tête sur la place même. Telle est la scrupuleuse exactitude des Scythes dans l'observation de leurs lois et de leurs coutumes, et la rigueur avec laquelle ils punissent ceux qui en affectent d'étrangères.

 

Extrait des Enquêtes d'Hérodote, dans leur traduction par Pierre-Henri Larcher, dans son Histoire (Charpentier, Paris, 1850).

Quelques mythes fondateurs de la SCYTHIE

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