22 Décembre 2021
Homère n'est pas le seul à avoir été abondamment repris. En compilant les légendes ossètes, qu'il pensait être inspirées de la tradition scythe initiale, George Dumézil rapporte le passage du héros Soslan en enfer (Soslan au Pays des Morts). Cet épisode rappelle à la fois le mythe orphique, mais aussi Virgile et son Énéide. Lorsque Soslan rencontre sa femme dans les mondes infernaux, elle devient pour lui une sorte de guide, qui n'est pas sans rappeler la Sibylle guidant Énée.
*
« [Soslan] arrive enfin à l'endroit où est sa femme Beduha, mais horrible merveille, il n'y a là que le tronc de Beduha, sans sa tête. Soslan éclate en larmes.
- Pourquoi la tête de ma femme n'est-elle pas sur son corps ? demande-t-il aux morts. C'est pour la voir que je suis venu…
- Sa tête ne va pas tarder à revenir, lui répondent-ils.
Et en effet, la tête apparaît soudain et se recolle au corps.
- Qu'as-tu ? demande Beduha. Pourquoi ces yeux rouges ? Pourquoi pleures-tu ?
- Comment ne pas pleurer ? Quand je suis arrivé et que je n'ai pas trouvé ta tête sur ton corps, je n'ai pas eu la force de retenir mes larmes. Ils s'abandonnent à la joie de se revoir. »
Soslan raconte alors à sa femme sa visite des enfers (tout comme le fait Énée à son père). Durant son récit, Soslan pose de nombreuses questions à la résidante des enfers. La dernière est la suivante :
« Quand je suis arrivé ici, pourquoi ta tête n'était-elle pas sur ton corps ?
- Est-il possible que tu ne comprennes pas cela ? Ma tête est toujours près de toi. D'ici, je ne cesse de t'aider. Quand tu as voulu venir en ces lieux, c'est grâce à moi que tu as trouvé les chemins libres, car nul vivant ne peut pénétrer dans le monde des morts. Pendant tes expéditions lointaines, quand un nuage noir passe au-dessus de toi, c'est moi qui viens te protéger de l'ardeur épuisante du soleil. Pendant tes batailles, quand une pluie torrentielle tombe sur tes ennemis, c'est encore moi qui viens donner la victoire à ton armée. [...] C'est grâce à ta force que tu es entré dans le monde des morts, car Dieu ne permet pas qu'un vivant y pénètre. Il ne permet pas davantage qu'on en sorte pour regagner le monde d'en haut : une fois que tu es dedans, tu ne peux revenir sur tes pas. Cependant, rien qu'en fermant les yeux, je ferai que les sabots de ton cheval se retournent. Alors, va-t'en. Les morts te poursuivront, voulant sortir avec toi. Mais, quand ils regarderont les empreintes de ton cheval, ils verront qu'elles sont tournées vers l'intérieur, et ils s'en retourneront chacun à sa place. Tu es un homme d'aventure, Soslan, un homme présomptueux, et tu ne saurais vivre une vie tranquille. Jamais tu ne m'as écoutée, mais cette fois je te donne un grave avertissement : quand tu partiras d'ici, quelque trésor que tu rencontres, passe ton chemin sans même le regarder ! » Le Livre des héros, légendes sur les Nartes.
La suite de la légende de Soslan propose une autre analogie avec le mythe orphique de la remontée infernale et tragique. Cette fois, les rôles sont inversés.
Après avoir traversé sain et sauf les enfers, Soslan remonte à la vie… Mais malheureusement pour lui, il ne suit pas les conseils de sa femme, et veut s'emparer de force d'un cheval croisé sur son chemin… C'est alors que le héros se raidit, pour mourir aussitôt.
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