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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Georges Dumézil est-il fréquentable ?

Georges Dumézil, dans sa bibliothèque de sa maison à Vernonnet, près de Vernon dans le Vexin.

Georges Dumézil, dans sa bibliothèque de sa maison à Vernonnet, près de Vernon dans le Vexin.

Principal théoricien de la trifonctionnalité indo-européenne, Georges Dumézil (1898-1986) est probablement le plus grand des chercheurs en mythologie comparée du XXe siècle. Il fut cependant accusé d'accointances avec le nazisme et attaqué personnellement vers la fin de sa vie et juste après sa mort, par des intellectuelles et historiens juifs (Caorlo Ginsburg, Arnaldo Momigliano) ou des acteurs de la Gauche culturelle (Jean-Paul Demoule).

Chacun sait que Dumézil était de droite radicale, comme en témoigne sa présence auprès du GRECE de la Nouvelle Droite, ainsi que son introduction de Mircéa Eliade, ancien partisan de la Garde de fer roumaine, dans les milieux universitaires occidentaux. Dumézil n'était cependant pas un idéologue, mais un savant ; avant tout un scientifique irréprochable. Attaché culturel dans le Caucase, comme universitaire en France, il avait œuvré studieusement, amassant au fil d'une vie dédicacée à la connaissance de nos origines, une œuvre en mythologie comparée et en histoire des religions jusqu'à présent inégalée.

C'est une fois le maître vieilli et fatigué  que les attaques se firent cruelles. On lui reprocha ses amitiés et particulièrement son cercle proche, dont faisait partie Pierre Gaxotte (1895-1982), historien de talent et spécialiste des rois de France, mais ouvertement vichyssois à une époque où les français l'étaient en silence. Aussi, étudiant, Dumézil avait fréquenté l’intelligentsia du Quartier latin. Avant la répression de la manifestation nationaliste du Palais Bourbon en 1934 (17 morts et plus de 2300 blessés), cette élite intellectuelle parisienne était presque exclusivement composée de jeunes hommes de droite, adeptes, entre autres idéologues, de Charles Maurras et de Georges Sorel, et appartenant à toutes les tendances de la droite, allant du royalisme à l'anarchisme, en passant par le fascisme et plus communément le nationaliste. À cette époque, crime impardonnable pour ceux qui attaquèrent sa dépouille et sa mémoire, Georges Dumézil fréquentait Pierre Drieu la Rochelle, un des plus talentueux écrivains français du XXe siècle, mais ouvertement fasciste et collaborationniste. Il y eut aussi ces quelques mots bien innocents à propos de Charles Maurras, alors que les deux hommes venaient de se rencontrer, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : « Maurras [est] un homme fascinant » osa penser à voix haute Dumézil.

Voila tout. Voici tout ce qui incrimine le maître de la trifonctionnalité. Mais pour certains c'est déjà immense, impardonnable : ce sont déjà assez de raisons de vouer son œuvre au bûcher. Que le grand Dumézil, qui vécut sur tous les continents, qui comprenait plus d'une trentaine de langues, comme le khmer, l'ossète, le quechua, mais aussi les langues anciennes comme le sanskrit, l’hébreu et le latin, qui enseigna au Collège de France et dans les plus prestigieuses universités du monde, qui fut le propagateur des riches patrimoines mythologiques ossète et indien, que ce Georges Dumézil ait eu des idées politiques radicales et qu'il ait aimé la compagnie d'être passionnants mais sulfureux, qu'est-ce que cela peut bien faire ?

La réalité du phénomène indo-européen ne dépend pas de la moralité de ses chercheurs, mais de la véracité et de la pertinence de leurs découvertes. Or, si les théories de Dumézil ont été nuancées et largement complétées depuis un demi-siècle, elles sont encore largement acceptées par la communauté universitaire, de la même manière que le sont, dans d'autres domaines scientifiques, les théories de Darwin ou d'Einstein.

 

*

 

Malheureusement, de nos jours, en France, à rebours du reste du monde universitaire, la thématique indo-européenne est un tabou. Face à l'impossibilité pour ses détracteurs de nier scientifiquement l'hypothèse de ce peuple primordial eurasiatique, il ne leur reste plus qu'à jeter l'opprobre, à diffamer, ou tout simplement à nier, sans aucune autre forme de procès, tout ce qui peut toucher, de près ou de loin, à la thématique.

Pourtant, les archéologues découvrent régulièrement des nouvelles cités sous la toundra et le permafrost sibérien, accréditant l'hypothèse d'une origine orientale des Proto-Indo-Européens. Si quelques décennies plus tôt, nous pensions que la civilisation était née en Égypte ou en Mésopotamie, nous savons à présent que les littoraux et bassins fluviaux européens, indiens, chinois, japonais, mississippiens, mexicains et andins, accueillaient aussi des civilisations proto-historiques complexes et raffinées. Le foisonnant folklore chamanique eurasien et amérindien répond ainsi aux mythologies égyptienne et sumérienne, et au temple de Louksor correspondent les mégalithes et kourganes (dont les prouesses architecturales et technologiques devancent même celle des Égyptiens de plusieurs milliers d'années).

 

Ill. D. Hénon

 

Avant de clore, mentionnons l'ouvrage de Jean-Paul Demoule, Où sont passés les indo-européens ? (2014), qui prétend que les Indo-Européens ne seraient pas une réalité historique, mais plutôt une construction politique servant de support à la pensée d'extrême droite. Malheureusement, Jean Paul démoule est plus intéressé par « les usages publics et politiques de l'archéologie » que par l'archéologie en elle-même... Comme l'annonce son blog, c'est un « homme de gauche », dont la bonne conscience est chevillée au cœur, prêt à utiliser toutes les armes, pour mener à bien son combat politique.

Le nombre de ses  apparitions médiatiques ferait pâlir n'importe quelle personnalité publique, et c'est donc sans surprise que son livre se vendit beaucoup et fit forte impression sur le grand public. Non reconnu par la communauté scientifique, en opposition catégorique avec ses confrères et contemporains américains, anglais et allemands, à contresens des principales découvertes des cinquante dernières années, mais plébiscité par des faiseurs d'opinion friands de déconstruction, Demoule obtint même deux prix, en 2014 et 2015, dont un fut attribué par l'Académie française. Paradoxalement, un ouvrage motivé par la négation d'une des origines du peuple français et de la civilisation celtique, fut donc considéré d'utilité publique.

Pourtant, Demoule ne fait pas consensus. Pour s'en convaincre, il faut lire l'article, L'Indo-européen n'est pas un mythe, publié par les universitaires Thomas Pellard, Laurent Sagart et Guillaume Jacques dans le Bulletin de la Société de Linguistique de Paris (Peeters Publishers, 2018, p.79 à 102). Il s'agit de chercheurs et linguistes éminents et non d'extrémistes haineux ayant prêté allégeance à des théories racistes. Voici leur conclusion :

 

« En dépit d’une vaste bibliographie, l’ouvrage de Demoule (2014) est mal informé. [...] Il est clair que la tentative de Demoule de remettre en question la réalité de l’indo-européen et des Indo-Européens est un échec grevé d’innombrables erreurs dans les données comme dans leur interprétation et de méprises conceptuelles. L’existence d’une famille de langues indo-européennes ayant divergé d’un ancêtre commun parlé par un peuple vers le IVe millénaire avant notre ère dans les steppes pontiques reste à ce jour le seul modèle plausible permettant d’expliquer l’ensemble des faits. […] Si ces attaques resteront sans doute sans effet dans le développement des recherches à l’international, leur réception enthousiaste en France par de nombreux non-spécialistes et par le grand public laisse malheureusement présager des dommages regrettables aux études indo-européennes, voire à la linguistique historique et comparative toute entière en France. L’entreprise de déconstruction de Demoule va non seulement à rebours dans le temps en avançant des conceptions qui sont obsolètes depuis longtemps déjà, mais également à contre-courant des collaborations très fructueuses entre linguistes, archéologues et paléogénéticiens, qui fleurissent récemment un peu partout. »

Georges Dumézil est-il fréquentable ?
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