24 Décembre 2021
Extrait du Harivamsa (trad. Langlois)
Sous la direction de Manou puis de Dhruva, la Terre et ses habitants avaient quitté l'âge d'or pour entrer dans celui d'argent, et le déluge provoqué par les assuras n'était plus qu'un souvenir dont on se transmettait le récit de pères en fils.
Sur la Terre que les hommes avaient peuplée, le moment du baptême royal de Pritou, un kshatriya descendant de Manou, était arrivé. De tous côtés arrivèrent auprès de lui les dieux des mers, des fleuves et des eaux, chargés de pierres précieuses pour les lui présenter.
Brahma lui-même, les dieux, les Prajapatis et leur créatures, ainsi que tous les êtres animés et inanimés, s’assemblèrent pour assister au sacre d’un prince vertueux, environné de gloire et de puissance, et élevé au rang suprême pour le bonheur de la Terre. Les cérémonies solennelles furent accomplies par de savants Brahmanes et suivant le rite sacré, et Pritou fut reconnu roi des rois.
Lors de la cérémonie, les prajapatis chargèrent les brahmanes de la Terre de célébrer les louanges de Pritou:
« Chantez le noble Pritou pour les actions qui doivent le distinguer un jour, leur dirent-ils. Dites-lui ce qu’un roi doit être! Apprenez lui qu'il doit être l'ami de la vérité, toujours équilibré, équitable, honorable, affable, patient, fort, puissant contre les méchants, instruit dans les lois, reconnaissant, clément, aimable en ses discours, respectable, religieux, savant dans la science sacrée, doux, calme, agréable et habile à déterminer la justice issue des procès! Voilà ce que vous pouvez lui chanter! »
Depuis cette époque la poésie, par l'intermédiaire des poètes, élève par ses éloges, la gloire et le bonheur des Grands.
Dès lors, les mortels éprouvèrent la bienveillance du nouveau roi dont les vertus semblaient accroître une population heureuse de naître sous lui. Quand il devait aller sur la mer, les flots s’arrêtaient calmes et tranquilles ; quand il devait gravir les chemins les plus escarpés, les montagnes s’ouvraient pour lui faire un passage. Son drapeau était partout respecté. La terre, d’elle-même et sans travail, produisait à volonté des fruits toujours mûrs ; les vaches donnaient sans cesse leur lait à qui voulait les traire, et le miel se formait dans le calice du lotus. En cela, rien ne distinguait ce nouvel âge de l'ancien.
Cependant, Hirankashyapou, le démon du luxe, du confort et de la vanité, avait laissé sur Terre des traces de son passage que le déluge lui-même n'était pas parvenu à effacer. Ainsi, les hommes bientôt ne se satisfirent plus des fruits qui tombaient des arbres pour eux. Ils commencèrent alors à prier Brahma et les Rishis Célestes afin de connaître un régime alimentaire plus varié.
Les Vénérables Rishis, heureux de voir les mortels aimer ce roi qui leur était destiné, dirent aux hommes : « Pritou vous donnera des moyens de subsister ! »
Alors ceux-ci vinrent aussitôt trouver Pritou : « Les Vénérables Sages, s’écrièrent-ils, nous l’ont promis, c’est grâce à toi que nous obtiendrons notre subsistance. »
Pritou, ainsi pressé par les mortels qui l’entouraient, tâcha de condescendre à leurs désirs. Il prit son arc et ses flèches et violenta la Terre pour qu'elle ouvrît ses mannes. Celle-ci, effrayée s'enfuit devant le valeureux roi et se changea aussitôt en vache, révélant par là même que Shakti, la déesse-mère, et Kamadenyu, la vache céleste, étaient une seule et même divinité.
Pritou, l’arc à la main, poursuivit la fugitive qui, poussée par sa crainte, parcourut à la hâte tous les mondes, allant même là où régnaient Brahma et les autres dieux. Mais toujours elle apercevait Pritou à ses trousses, qui tenait son arc tendu, et la menaçait de ses flèches tranchantes et brillantes. Rien ne semblait impossible à celui que les Rishis avaient choisi comme roi de la Terre et puissant par sa foi. Pritou était alors redouté des dieux eux-mêmes qui refusèrent cette fois-ci de porter secours à la Terre.
Ne trouvant aucun protecteur, la Terre s’approcha enfin de Pritou. Celle que les trois mondes révéraient fut respectueuse devant le roi des rois et lui dit ceci :
« Pritou ! Non, tu ne voudras point te déshonorer par la mort d’une femme… Sans moi, comment pourrais-tu faire vivre les mortels ? C’est moi qui soutient tous les hommes, de moi que dépend la vie du monde. Ô roi, sans moi mourraient tous les êtres. Si tu veux le bien de tes sujets, tu ne dois pas vouloir ma mort. Ô toi, qui es mon protecteur, daigne écouter ma voix. Sache que l'on prépare par la réflexion le succès d’un projet. Réfléchis donc plutôt aux moyens d’assurer la subsistance des mortels car ce n’est pas en me détruisant, ô roi, que tu pourras remplir ce dessein. Ne t'a-t-on pas dit qu’il faut respecter la vie des femmes, ô prince ? Alors n'oublie pas les règles du devoir ! »
Entendant ce discours, le sage monarque, que l’amour du devoir animait, sentit fléchir son courroux et lui dit :
"Celui qui, pour l’intérêt d’une seule personne, de lui-même ou d’un autre, donne la mort à plusieurs êtres animés ou même à un seul, commet un péché. Mais quand cette mort a pour motif l’intérêt du grand nombre, alors, ô ma chère, il n’y a point de faute ! Il n’y a a pas même l’apparence d'une faute ! Mais surtout, si la mort d’un méchant doit faire le bonheur de la multitude, alors dans ce cas, l’homicide est une action pieuse !
Oui, je te frapperai, ô Terre, pour le bien des mortels, si tu refuses de m’écouter et de suivre mes ordres ! Je veux le bonheur des hommes et c’est en vain que tu détournes la tête et que tu t’obstines à me désobéir. Quoi qu'il en soit, je saurai fournir la nourriture aux mortels, quand bien même je devrais employer le fer contre toi. Ce sera même pour moi un sujet de gloire ! Soumets-toi donc à ce que je demande, ô toi qui connais les règles du devoir. Fournis la subsistance de tous les êtres car non seulement tu le dois, mais tu le peux ! Il n'y a que si tu deviens ma fille, que je retiendrai cette flèche redoutable qui est prête à te percer. »
À ce vigoureux discours, la Terre répondit :
« Ô prince, je respecterai toutes tes volontés, je le promets. C’est par la réflexion qu’on prépare le succès d’un projet. Réfléchis donc au moyen d’assurer la subsistance des mortels et je t'obéirai. Vois-tu ce veau que je nourris ? il faut m’en séparer, et niveler partout le sol terrestre, de sorte que mon lait, ô sage monarque, s’épanche également de tous côtés. »
Durant les Manvantaras précédents, la surface de la Terre avait été inégale et hérissée d’immenses aspérités. Tel ne fut donc pas son état sous le règne de Pritou qui, de la pointe de son arc, aplanit en un instant des milliers de montagnes. La Terre se découvrit alors de toutes parts. La chaîne de l'Himalaya se forma et Brahma nomma Himavat roi des montagnes et chef d'un empire montagneux qui commence dans les steppes sibériennes pour finir dans le golfe du Bengale. Himavat fut le père de Parvati, la princesse des montagnes qui devint plus tard la compagne de Shiva.
À cette époque, la Terre raboteuse et rude n’était point partagée en villes ou en villages. Point de moisson, point de soin des troupeau, point de labourage, point de commerce ; mais aussi point de fourberie, de cupidité, d’envie. C’est Pritou qui opéra ce changement radical que l'on nomme néolithique et qui correspond à la sédentarisation des hommes et au début de l’agriculture.
Partout où la Terre s’aplanissait, les hommes y établissaient leurs demeures. Quand ils ne se nourrissaient que de fruits et de racines, leur vie était extrêmement malheureuse. Mais dès l’instant où Pritou, de ses propres mains, se mit à traire Prithvi, parurent des moissons de toute espèce. C'est donc grâce à la prévoyance de Pritou que les mortels d’aujourd’hui doivent leur nourriture.
Les Rishis Célestes accoururent alors pour boire le lait de la Terre. Les divers dieux se présentèrent eux aussi, avec Indra à leur tête. Le Soleil pressa pour eux la mamelle de la vache, d’où sortit un lait qui multiplia encore leur puissance. Leurs vases se remplirent alors des chants sacrés, de la pénitence et de la science éternelle de Brahma.
Le flamboyant Yama, seigneur du royaume infernal, ainsi que Kala, le gardien du temps et de la mort, ces deux juges qui connaissent si bien la vie des hommes, ont eux aussi trait la Vache Prithvi-Kamadenyu devenant dès ce jour la nourrice des Ancêtres, qui avant de s'en aller arpenter l’au-delà, passent leur enfance avec elle.
Les serpents, tirèrent aussi le lait de la Terre, mais ce lait fut pour eux du poison. Les assouras, dans un vase de fer, reçurent également le lait de la Terre, qui pour eux fut de la magie, funeste à leurs ennemis. La magie étant ce qui assure aux assouras leur puissance, elle est pour eux une science dans laquelle ils excellent.
Puis, dans un vase de terre non cuite, les bienveillants et pieux esprits de la nature, les Yakshas, prirent le lait de la Terre et ce lait pour eux, fut le pouvoir d’être invisibles et immortels.
Les Rakshasas et les Boots, qui sont les démons et les fantômes, s’approchèrent ensuite pour traire la Terre, se servant de crânes en tant que vase, qui étaient les débris de cadavres dont ils s’étaient nourris. C’est donc de ce lait que se nourrissent les rakshassas, les Yakshas, les monstres, les fantômes, et les esprits de la nature.
Arrivèrent ensuite les musiciens célestes, les Gandharvas, qui peuplent le Vaikunta, le paradis de Vishnou, et Indrapura, la ville des dévas. Les Gandharvas furent suivis de près par les Apsaras, ces nymphes qui peuplèrent bientôt le palais d'Indra. Toutes firent couler le lait de la Terre dans une coupe composée de pétales de lotus dont s’exhalaient de suaves parfums.
Les montagnes, avec Himavat et l'Himalaya à leur tête, prirent aussi le lait de la Terre. C’est le Mont Mérou lui-même qui a trait le lait et le vase dont il se servit fut la roche dont les reliefs sont formés ; dans ce vase grandirent les plus belles plantes et où se cachèrent les pierres les plus précieuses.
Enfin, la Terre donna son lait aux arbres et aux plantes, grâce à quoi ils furent bénits du grandiose pouvoir de repousser après avoir été coupés ou brûlés.
Ainsi, la Terre qui contient et produit tout, la Terre, source de toute pureté, devint le siège et la matrice de tous les êtres animés et inanimés. De tous côtés, bornée par la mer, elle donne à chacun, selon ses besoins, un lait nourricier ; elle se nourrit aussi elle-même de ce lait, et produit de son sein toute espèce de moisson.
Ainsi, on peut dire que c'est grâce au roi Prithvi qui la frappa, qu’elle fut purifiée et qu’elle se couvrit de fruits de toute sorte. C’est de lui qu’elle reçut sa couronne de villes et de cités. Depuis, les Brahmanes, instruits dans les Védas et les philosophies qui s'en inspirent, doivent honorer Pritou, source éternelle de la science divine.
De même, les princes de la terre, élevés au-dessus des autres mortels et avides de domination, les guerriers invincibles, qui désirent la victoire dans les combats, doivent honorer Pritou, le roi des rois qui fut à la fois chef et guerrier. Celui qui marche au combat en célébrant le nom du roi Pritou, traversera heureusement les champs de bataille les plus terribles et s’y couvrira de gloire.
Les Commerçants riches et opulents, occupés par leurs affaires, doivent également honorer l’illustre Pritou, qui assura jadis la subsistance de l'humanité.
Les Travailleurs eux-mêmes, purifiés par la dévotion, ceux que l'on appelle les Shoudras, les serviteurs des trois autres castes, doivent honorer le noble Prithou, qui a établi jadis l’ordre sur Terre.
Quelque temps après ses exploits, Pritou, qui s'était révélé être un avatar de Vishnou, se maria avec la princesse Archi, un avatar sur terre de la déesse Lakshmi.
C'est donc suite aux travaux de Pritou que la Terre prit la forme qu'elle a encore de nos jours.
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