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Arya-Dharma, l'héritage des spiritualités premières

Le sacrifice manqué du prince ROHITA (récit indien)

Dans une légende indienne qui rappelle celle du sacrifice d'Isaac, afin de connaître les joies de la paternité, le roi Harishchandra avait promis de sacrifier son fils Rohita à Varuna. Mais contrairement à son homologue israélite, Harishchandra refusera de tuer son fils et ne cessera de trouver des excuses pour ne pas le livrer à Varuna, lequel ne fait d'ailleurs aucun effort pour le contraindre... avant de lui infliger une longue maladie dégénérescente qui se soignera seulement lorsqu'on aura offert un substitut. La maladie qui frappe Harishchandra est l'Hydropisie, la maladie typique de Varuna, qui se venge en l'envoyant sur ceux qui fautent (car Varuna est le dieu au lasso, celui qui capture les hommes et les envoient dans la mort.)

La prière que Shunahshepa, le substitue de Rohita, chante pour amadouer les dévas, rappelle par ailleurs les martyres chrétiens des cirques romains, que les hagiographies nous présentent comme récitant la Bible face aux lions qui les dévoraient.

*

Rempli d'un bonheur sans limite, il fut bien évidement difficile pour Harishandra de tenir sa parole et de tuer son bébé, alors il commença des pourparler avec Varuna afin que son fils ne fût pas immédiatement sacrifié.

D'abord, le roi promit au déva d’immoler l’enfant quand il aurait dix jours... Mais ce temps écoulé, il lui était toujours aussi difficile de se séparer de son fils. Alors Harishandra promit à Varuna de le lui livrer lorsque ses dents pousseraient... Mais quelques mois plus tard, il ne lui était pas moins difficile de se séparer de celui qu'il aimait plus que tout au monde. Alors le roi promit une nouvelle fois de sacrifier son fils au dieu qui s'impatientait, une fois que seraient tombées ses dents de sagesse...

Des années passèrent, et Harishandra eut le plaisir d'entendre babiller son fils, ce qui est pour un père une chanson plus belle encore qu'une mélodie s'échappant d'une flûte, fut-elle jouée par Krishna lui-même.

Enfin, son fils parla, puis l'embrassa, ce qui est pour un père la plus belle des récompenses. C'est alors que le dieu apparut de nouveau devant Harishandra afin que celui-ci honorât sa promesse.

Le roi gémit de devoir lui abandonner son fils unique ; il pleura beaucoup. Varuna, le père de tout ce qui respire, fut touché par ses larmes. Prenant en pitié celui qui était père comme lui, le dieu permit alors que Rohita arpentât le monde durant quelques années encore, sans se soucier de sa mort prochaine.

« Je promets que je te livrerai mon fils une fois qu'il sera en âge de porter une armure ! » lui assura encore une fois le roi dont la voix était presque inaudible à cause des larmes qui coulaient de ses yeux à son gosier.

Enfin, le moment fatidique arriva et Harishandra n'eut d'autre choix que d'obéir à Varuna, le dieu qui donne et reprend dans un même mouvement créateur. Pour cela, le roi prit son fils à l'écart et, la voix noyée de pleurs, il lui expliqua qu'il devait mourir.

À ces mots, sans chercher à en savoir plus ni à échapper à ce qui avait été si longtemps reporté, le prince saisit son carquois et son arc et, sans hésiter ni laisser à son père le temps de s'expliquer, il s'enfuit dans la dense forêt qui entourait le palais royal. Varuna, excédé de se voir une nouvelle fois refusé ce qui lui revenait de bon droit, punit le roi en le infligeant une hémorragie interne qui devait le mener bientôt vers le royaume éternel de Yama, le Seigneur de la mort. Rohita fut très peiné d’apprendre la maladie de son père

Désirant faire de l'hostile forêt une demeure plaisante et dominer une nature qui lui donnerait tout ce dont il aurait besoin pour survivre, le prince entreprit d'intenses dévotions envers Indra, le chef des dieux dont la foudre est l'arme et Rancune la compagne. Suivant les conseils du roi des dévas, Rohita erra six ans à travers les bois quand enfin il rencontra un brahmane du nom d'Ajigarta, qui vivait là dans le dénuement le plus total.

Ajigarta avait trois fils ; la faim tourmentait sa famille. En échange de cent vaches, Rohita lui proposa d’acheter l'un d'eux afin de le substituer à sa propre personne lors du sacrifice qu'avait promis son père à Varuna. Ajigarta accepta mais comme il ne voulait pas vendre son fils aîné, et comme sa femme ne voulait pas laisser partir le plus jeune, ce fut son fils cadet, Sunahsépha, qui fut vendu à Rohita. Pour racheter sa propre vie, il l’amena sans tarder à son père, le roi Harishandra.

Harishchandra, charmé de voir son fils revenir à ses côtés oublia pour un instant la maladie qui le rongeait et s’apprêta à sacrifier le jeune brahmane Sunahsépha après avoir gracieusement offert les cents vaches promises par son fils à son père l'ermite Ajigarta.

Cependant, comme il n'existe pas de crime plus grave que celui de mettre fin à la vie d'un brahmane, cette caste étant sur terre une partie de la conscience cosmique, le roi ne se trouvait personne dans son royaume pour accepter de pratiquer le sacrifice imposé par Varuna.

Ainsi, bien qu'il eût près de lui quatre des plus saints prêtres védiques, dont le glorieux rishi et prajapati Vashisht et Vishvamitra, le rishi tutélaire de la dynastie des fils de la Lune, le roi ne trouvait personne pour attacher la victime au poteau du sacrifice ni personne pour la frapper et en faire jaillir le sang comme une libation.

Ajigarta, l’ermite qui avait vendu son fils pour nourrir sa famille, étant encore et toujours affamé, proposa au roi, en échange de deux cents vaches de plus, de se charger lui-même de cette mission. Ajigarta, étant un brahmane, connaissait par cœur les formules et mantras indispensables au bon déroulement du sacrifice, alors le roi accepta que le mystérieux brahmane tue son propre fils.

Voyant son heure dernière entamée, n'ayant plus d'espoir, Shunahshepa en appela aux dévas, et pour cela récita plusieurs hymnes védiques en leur honneur. Il commença sa prière en invoquant celui qui allait le dévorer, Agni, le dieu que Brahma fit responsable du feu sur la Terre et auquel les premiers hymnes du Rig-Véda sont adressées, puis il termina sa complainte en entonnant l'hymne à la déesse de l'Aube, Ushas, la gardienne de ce qui vit et ce qui meurt (le Rig-Véda se terminant aussi sur un hymne à l'Aurore).

« Ô royal Varuna, chantait-il, ô grand aurige, même si je marche en tremblant, comme une outre gonflée de vent, ne me laisse pas aller dans le tombeau, cette maison faite de terre !

Pur et magnifique Varuna, la pauvreté et le besoin m'ont contraint à l’inaction, et la soif m'a surpris alors même que j'étais au milieu des vagues et de la pluie.

Ô Varuna ! Quand bien même, faible humain que je suis, je me rendrais coupable envers les dieux ; quand bien même, par imprudence, j'abandonnerais ton œuvre, ne me punis pas de cette faute ! Plutôt, délivre-moi des chaînes qui enserrent mon esprit, mon cœur et mes pieds. Délivre-moi du mal, comme on délivre la vache de son veau.

Espérant une prospère existence, comme l’oiseau vole vers son nid, c’est vers toi que s'envolent mes pensées.

Ô Varuna, toi qui connais la voie de l’oiseau dans l’air et celle du navire sur la mer, par mes chants je veux t'adoucir et te calmer, comme un cavalier délasse par sa voix son cheval fatigué.

Alors, je te le redemande, épargne-moi, ne me livre ni à la mort ni à la lame d'un ennemi ni à la colère d’un furieux.

Tu possèdes force et richesse ; qui d'autre que toi devrais-je invoquer afin que le Soleil, l’œil de l'univers, me soit propice ? Tu es celui qui fait marcher les douze mois de l'année sur un chemin qui engendre les êtres et les choses ! Moi aussi, ô Varuna, je souhaite que tu me montres le bon chemin !

Comme la vache après son étable, ma prière soupire après toi qui prépares l'abondante nourriture que nous fournit le monde et qui soutient notre vie mortelle.

Le sage voit toutes les merveilles que tu as accomplies comme celles que tu accompliras et personne ici-bas n’oserait t'affronter ni ne saurait te faire baisser les yeux, pas même ceux qui, du mal, de l’injure et du crime, en ont fait une habitude.

Ô Varuna, tu connais aussi le sens du vent qui exerce sa remarquable puissance depuis les profondeurs de l’univers, de même que tu sais où se situe la demeure élevée des dieux.

Ô Varuna, toi qui es toujours enclin à aider tes fidèles serviteurs, accueille je t’en prie le sacrifice que je t’offre.

Ô Varuna, toi qui donnes la vie, ne m’accable pas des malheurs destinés à l’impie. Bien des aurores doivent encore se lever, pour lesquelles je te prie de me conserver. Je t'en prie, ne me laisse pas aller jusqu’aux extrêmes frontières de la lumière.

Dieu invincible, acquitte-toi des dettes que tu as contractées avec moi en me donnant la vie car je ne demande pas le fruit de ce qu’un autre a planté mais seulement que mes œuvres s’appuient sur toi comme sur un rocher solide.

Ô royal Varuna, fais que je n’aie point à déplorer la perte d’un ami ou d’un parent, ni la ruine ou la fin de ma chance ! Si des méchants ont conçu quelque mauvais dessein, s’il existe quelque trame injuste que j'ignore, ô divin Varuna, fais que ces complots s'éventent et délivre-m’en !

Ô Varuna, fais que je puisse encore longtemps chanter durant les rites et les sacrifices ! » Chant inspiré des hymnes à Varuna des rishis Srutavit, Kurma et Shunahshepa (Rig-Véda).

À mesure qu’il priait, délivré par un miracle, les chaînes de Shunahshepa tombèrent et l’hémorragie du roi diminua pour enfin s'arrêter tout à fait. Dès lors, plus personne n'eut à craindre pour sa vie.

Le roi Harishchandra régna dans l'espoir de voir le prince Rohita lui succéder, et l'ermite Ajigarta reprit le chemin de la forêt accompagné de ses trois cents vaches. Quant à son fils Sunahsépha, qui avait évité de justesse une mort des plus cruelles par infanticide en faisant preuve d'une foi inébranlable, il fut adopté par le rishi Vishvamitra afin qu'il puisse parfaire avec lui son apprentissage des Védas.

Le sacrifice manqué du prince ROHITA (récit indien)
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